#20 - Changer le continent grâce aux Tech

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#20 - Juillet/Décembre 2018

CHANGER LE CONTINENT GRACE AUX TECH Des initiatives qui transforment le quotidien et les usages des Africains

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018 www.inspireafrika.com 1


SERVICES DIGITAUX S’abonner, déposer et retirer de l’argent : le meilleur terrain pour vos opérations.

Total, partenaire du football africain #FootballTogether 2

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LUMIÈRES SUR LES FUTURS TALENTS DE L’AUDIOVISUEL AFRICAIN

Lancée en 2013, “L’Afrique au féminin“ est une initiative du groupe ¢ visant à former et soutenir des réalisateurs et réalisatrices africains d’Afrique sub-saharienne francophone. Placée sous le thème « La place de la femme dans la société africaine », cette deuxième édition rassemblera 7 candidats venant de 7 pays d’Afrique. ¢ contribue ainsi au développement des métiers de l’audiovisuel sur le continent africain à travers la formation de professionnels du cinéma et la mise en valeur de créations originales locales. Les 7 lauréats auront à leur disposition :

L’Afrique Au Féminin

@AAFeminin

@Afriqueaufeminin_2018

• Une formation sur mesure en partenariat avec CFI • Une formation en écriture de scénarios et montage par les équipes de Galaxie Africa • La participation à la production d’émissions de ¢ • La visibilité des lauréats sur les réseaux sociaux dédiés et sur le site ¢ Afrique Les reportages imaginés et produits par les lauréats seront diffusés à l’antenne de ¢ en Afrique à l’occasion de la journée de la femme avec un dispositif de communication spécifique.

CANALPLUS-AFRIQUE.COM

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SOMMAIRE

10. COUP DE COEUR

6-7. INSPIR’NEWS

GENEVIEVE SIMIYU

8. TENDANCES LES INFLUENCEURS INFLUENCENT-ILS VRAIMENT ?

5. ÉDITO

21. OSER INSPIRER DOUGLAS MBIANDOU

14.

16. INSPIR’ASSOCIATION

MAXIME TIAGUE LEUYOU

AU NIGERIA, SHESECURES FORME LES FEMMES À LA PROTECTION DES DONNEES

INSPIR’INTERVIEW

19.

REPATSTORIES BILL DIARA

27. INSPIR’ECO COMMENT LES NOUVELLES TECHNOLOGIES IMPACTENT LE QUOTIDIEN DES AFRICAINS

30.

24. INSPIR’START-UP Dr. FEMI KUTI

26. CARRIÈRE JASON NJOKU CEO IROKOTV

LES PENSÉES DE BITHILOKHO NDIAYE ©Saitrag

32. 4 QUESTIONS À OMAR CISSE, CEO INTOUCH

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34. FOCULTURE LA TONTINE EN AFRIQUE

36.

LE CHOIX DES LECTEURS

37. LE BAR A LECTURE TOUT SUR LES CHRONIQUES AFRICAINES SUR FACEBOOK


INSPIRE AFRIKA MAGAZINE - Edition #20 Juillet - Décembre 2018

LA TECHNOLOGIE VOUS VA SI BIEN

LA REDACTION

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Saviez-vous qu’il existe seulement une douzaine de pays dans lesquels le mobile money peut être utilisé pour envoyer et recevoir de l’argent ? Saviez-vous que ces pays sont exclusivement africains1 ? Saviez-vous également qu’il existe 10 pays en Afrique dans lesquels le nombre de comptes mobile money dépasse celui des comptes bancaires classiques2? Je pourrais continuer comme ça pendant des heures, je n’aurais aucun mal à vous présenter des chiffres qui illustrent le terrain que les nouvelles technologies occupent désormais sur le continent. Allez, une dernière question pour la route… Vous étiez-vous rendus compte qu’il y a encore 10 ans, WhatsApp n’existait pas ? Difficile d’y croire, tant la plateforme de messagerie est entrée dans les usages quotidiens. Avec plus d’1 milliards d’utilisateurs dans le monde, dont quelques centaines de millions en Afrique, WhatsApp est sans doute l’exemple le plus tangible de la transformation des habitudes africaines. On y échange avec ses proches, on y organise des événements, on s’y divertit, et on y consomme !

En 2015, l’agence digitale Kouaba annonçait dans son étude sur la solution de messagerie que 25% des utilisateurs WhatsApp au Cameroun avaient déjà effectué un achat via la plateforme, tandis que 32% d’entre eux estimaient qu’il serait plus simple d’y d’effectuer des achats. Il a donc fallu une petite poignée d’années aux Tech pour bouleverser complètement les usages. S’aligner pendant des heures pour payer une facture, marcher des kilomètres pour aller voir un médecin, être assis dans une classe de 200 élèves, dépendre de l’électricité pour consommer du contenu audiovisuel… Dans quelques années, ces réalités africaines seront mises sur le banc de touche grâce aux Tech et à la créativité des entrepreneurs du continent. Au Kenya, 7 personnes sur 10 connaissent et utilisent le portefeuille électronique M-pesa pour effectuer tout type d’opérations courantes. Au Sénégal, l’agrégateur de paiements Intouch, opère avec 40 000 transactions au quotidien. Au Ghana, Chalkboard Education, permet aux étudiants de suivre des cours sur un mobile, sans avoir forcément besoin d’un smartphone ou d’une connexion internet. En deux ans, la startup est passée de 78 à 4000 comptes étudiants ouverts et utilisés. Un an après son lancement en 2011, la plateforme IROKOtv de Jason Njoku comptabilisait déjà 500 000 utilisateurs actifs. Entre 2017 et 2018, le magnat du divertissement nigérian attends une augmentation de 150% de sa base abonnés, qu’on évalue à plusieurs millions d’âmes. Les Tech ont permis à l’Afrique de se positionner comme une terre d’innovations. Habitués à faire plus avec moins, les africains inventent des solutions d’une efficacité redoutable, qui finissent par servir de modèles dans divers coins de la planète. C’est entre autre le cas du « Systeme des Agents de Santé Communautaire » au Rwanda. Ce sont des agents de santé qui sont recrutés, formés et rémunérés pour accompagner des patients vers la guérison. En général, ils viennent du même milieu que les patients dont ils ont la charge, et travaillent pour la communauté. Ce système a été mis en place par la suite à Haïti, au Mexique, puis dans les quartiers pauvres de Boston, où il aurait globalement permis de réduire les dépenses médicales de près de deux tiers. La technologie nous va si bien…

RÉDACTRICE EN CHEF JOAN YOMBO RÉDACTRICE CULTURE MARIE SIMONE NGANE RELECTURE ISABELLA MUMA SOILA KENYA GRAPHISME VINCENTE FATTACCINI

PARTENARIATS HYACINTHE ISSOMBO

ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO Gloria Atanga – Relecture Ketsia Kemougne – Relecture Joliet Nkem – Relecture

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE EST ÉDITÉ PAR ANINKA MEDIA GROUP DIRECTRICE GÉNÉRALE CHRYS NYETAM DIRECTRICE DE PUBLICATION JOAN YOMBO RESPONSABLE COMMERCIAL ANITA BAKAL RESPONSABLE JURIDIQUE IVAN NYETAM Couverture par Bartosz Hadyniak Publicité: BMG / 06 52 64 96 56 Les photos non créditées proviennent de Google Images et ne sont en aucun cas la propriété d’Inspire Afrika Magazine. Tout droits de reproduction réservés pour tous pays. Reproduction interdite pour tous les articles sauf accord écrit de la Rédaction.

Bonne lecture !

¹ Source : Innogence Consulting 2 Burkina Faso, Tchad, Côte d’Ivoire, Gabon, Kenya, Mali, Sénégal, Tanzanie,  Ouganda et Zimbabwe. Source : Innogence Consulting

Rédactrice en chef INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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INSPIR’NEWS

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ABC Innovation : Le Sénégal à l’honneur Pour l’édition 2018, le concours ABC Innovation nous a fait découvrir deux initiatives inspirantes venues tout droit du pays de la Teranga. Marina Gning remporte le prix « She 4 Africa », avec APIAFRIQUE, qui est une entreprise fabriquant des serviettes hygiéniques et des couches réutilisables. Sarr Cheikhna quant à lui remporte le prix « rebranding Africa » avec OUTALMA (« trouve pour moi » en wolof), qui est une plateforme de mise en relation entre acheteurs et vendeurs basés entre le Sénégal et la France.

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PARTECH Africa investit dans la start-up Nigériane Trade Depot Le 18 Janvier 2018, la société américaine PARTECH VENTURES annonçait la création du fond PARTECH Africa dont le but sera d’investir dans les start-ups Tech africaines prometteuses. Dotés de 57 millions d’euros, ce fond de capital-risque injectera entre 500 000 et 5 millions d’euros dans les différentes entreprises qui seront sélectionnées. Pour leur premier investissement, Cyril Collon et Tidjane Deme, les deux associés de PARTECH Africa, ont choisi d’injecter 3 millions € dans la start-up Nigériane Trade Depot, dont le but est de fluidifier la relation entre les points de vente de biens de consommation, les marques et leurs distributeurs. On se demande déjà à qui sera adressé le prochain investissement de PARTECH Africa...

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Et si on visitait le Rwanda ? En tout cas c’est ce que le gouvernement souhaite que les amoureux du football anglais fassent. Le 23 Mai dernier, le Rwanda Development Board (RDB) a signé un partenariat avec le club anglais Arsenal. A partir d’Aout 2018, les maillots auront la mention « Visit Rwanda » sur le manche gauche. Objectif : Promouvoir le tourisme dans le pays. En 2017, le Rwanda a reçu près de 1.3 millions de visiteurs et selon la Banque Mondiale, le tourisme a généré 470 millions de dollars l’année d’avant. Il est également prévu que des joueurs du club anglais visitent le Rwanda afin d’organiser des camps d’entrainements pour y accompagner le développement du football.

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4 La Côte d’Ivoire et La BAD investissent dans l’e-agriculture En Côte d’Ivoire, l’agriculture qui est portée par 6.1 millions d’exploitants, représente 22% du PIB et 75% des exportations du pays. Cependant, les agriculteurs éprouvent plusieurs difficultés à augmenter leur productivité, et ce problème pourra être résolu par les nouvelles technologies. Porté par le Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) du gouvernement ivoirien, le projet e-agriculture donnera aux agriculteurs un accès à des services numériques garantissant une plus grande ouverture sur le marché. Afin de soutenir cette initiative et d’impacter ainsi un quart de la population ivoirienne, la banque mondiale a accordé un prêt de 70 millions de $ à la Côte d’Ivoire. A terme, ce prêt permettra de réduire la pauvreté dans le pays.

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Bénin : restitution des œuvres d’art

Ce n’est pas qu’un jeu politique, mais c’est surtout une question culturelle et sociale. Le 1er Aout 2016, le Président de la République du Bénin, Son Excellence Patrice Talon, demandait officiellement à la France la restitution des œuvres d’art prises pendant la colonisation. Plus de 22 mois après, la France ne semble pas aller dans le sens de l’ancien Royaume du DAHOMEY. Pourtant, et comme le dit si bien Mr. Talon « la restitution, le partage et la circulation des biens culturels sont désormais pour le Bénin, un moyen de lutte contre la pauvreté, un facteur de création d’emplois et de richesses ». Et il a raison. Fait rare en Afrique, 4 tableaux de l’artiste Ajarb Bernard ont été vendus à 45 millions de FCFA lors de l’événement Douala Art Fair. Preuve que les œuvres artistiques et culturelles sont aujourd’hui reconnues à leur juste valeur sur le continent.

6 Ethiopian Airlines ouvre ses portes à l’investissement privé et étranger Jusqu’ici détenue à 100% par l’Etat, la compagnie aérienne Ethiopian Airlines ouvre son capital aux business angels et aux investisseurs étrangers. Avec 100 avions et plus de 60 autres en cours de commande, Ethiopian Airlines souhaite accélérer son développement et asseoir sa souveraineté d’ici 2025. Cet appel fait aux investisseurs correspond aussi à celui fait à la diaspora éthiopienne à travers le monde. Avec une croissance du PIB de 10.9% en 2017, le gouvernement souhaite élever cette compagnie aérienne au plus haut niveau. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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TENDANCES - AFRIQUE

LES INFLUENCEURS INFLUENCENT-ILS VRAIMENT ? Par Marie Simone Ngane Photos par Mayeul Akpovi pour Inspire Afrika Le titre de cet article ressemble quelque peu à un sujet de philosophie. Une question qui paraît évidente mais à laquelle on n’a pas vraiment de réponse. Si réponse il y a, elle diffère radicalement d’une personne à une autre. Si, en philosophie, c’est la réflexion et la démarche qui est admirée, pour notre question, il en faut un peu plus. La réponse à cette question vaut de l’argent. On fait des conférences, on réunit des équipes de communication, on discoure pour savoir qui sont ces africains-là qui peuvent influencer la tendance. En Afrique anglophone, la question se pose peu ou pas. On ne présente plus la blogueuse nigériane Linda Ikeiji qui est aujourd’hui millionnaire grâce à son blog de gossip. La valeur de bellanaija.com créé par la nigériane Uche Pedro est estimée à plus de 2 millions de dollars. En Afrique du Sud, Sbahle Mpisane, qui partage ses astuces fitness et santé sur son compte Instagram facture le post sponsorisé entre 1860 et 3102 dollars1. La styliste Kenyane Sylvia Njoki récolterait entre 228 et 381 dollars par post Instagram sponsorisé. Récemment, Nike a fait parler grâce à une super campagne avec des chanteurs et des influenceurs nigérians, pour la promotion du maillot des Super Eagles fabriqué spécialement pour la coupe du monde. Les maillots ont été tous vendus au Nigéria et à l’étranger en 3h seulement.

pact d’internet et des réseaux sociaux mais comme toute citation dans un devoir de philosophie, elle est vieille et s’applique au présent. En soi, on ne peut pas être influenceur de tout. Votre voisine qui est toujours bien coiffée et dont on s’arrache le nom des produits et coiffeurs dans le quartier, est une influenceuse beauté dans votre quartier. Nous sommes tous un petit peu influenceurs et influencés à différentes échelles. Il est important de délimiter les secteurs d’influence et le public visé. Le nombre d’abonnés ne fait pas tout.

En Afrique francophone, on débat beaucoup, mais on a peu de réponses. On a le plus souvent recours aux sportifs, aux chanteurs ou à la diaspora parce que localement, il est difficile de sourcer les personnes qui influencent réellement leur environnement. Très peu de marques prennent pour l’instant le « risque » de faire des campagnes avec des influenceurs locaux. Les chiffres des entreprises n’étant pas publiés, le retour sur investissement est difficilement calculable. Malheureusement, ce dont on parle, le plus n’est pas forcément ce qui se vend le mieux.

Les influenceurs influencent-ils vraiment ? Le terme est utilisé à tort et à travers et l’on se proclame « influenceur » alors que notre audience ne suit pas forcément les tendances qu’on impulse. Est-ce que les stratégies mises en place par les marques pour travailler avec les influenceurs sont efficaces ? En Afrique francophone, très souvent non. Un influenceur, ce n’est pas celui qui a le plus d’abonnés. L’influenceur est celui qui a le plus d’engagement dans un certain domaine et auprès d’un certain public. La question à poser est donc « y a-t-il réellement des influenceurs pour chaque domaine en Afrique francophone ? » Humoristes, blogueurs beauté, fitness, lifestyle, il nous faut des banques de données, des campagnes ciblées et surtout de la transparence autour des chiffres pour savoir qui influence qui.

Andy Warhol disait en 1968 « A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale. » Il n’avait très probablement pas anticipé l’im¹ Source : influencermarketinghub.com

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La force de l’influenceur devrait être la possibilité de fédérer une audience qui l’écoute et lui fait confiance dans son domaine d’expertise.


Maureen Ayité, Directrice de NanaWax, 185k abonnés Instagram, 134k abonnés Facebook, a créé sa marque après avoir influencé des milliers de personnes sur Facebook avec ses tenues en pagne. Elle a aujourd’hui plusieurs boutiques en Afrique. © Aninka Media

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COUP DE COEUR - GHANA

GENEVIEVE SIMIYU « NOTRE RELATION AVEC LES PROFESSEURS EST INTERDEPENDANTE : NOUS FACILITONS ET ELARGISSONS LE PARTAGE DE LEURS CONTENUS, LES RENDANT CAPABLES D’IMPACTER LA VIE DE MILLIERS D’ETUDIANTS » Interview par Joan Yombo Photos par Ofoe Amegavie pour Inspire Afrika Plus jeune, elle pensait qu’elle était Africaine simplement parce que le Kenya, son pays natal est situé en Afrique. Aujourd’hui, Genevieve Simiyu se sent Africaine parce qu’elle a sillonné le continent. Elle connait les ressemblances (et les différences) entre les pays, et comme de nombreux africains, elle a une détermination à toute épreuve. Elle a décidé de mettre une pause à sa « carrière » d’ « Afrique-trotteuse » pour diriger la branche Ghana de Chalkboard Education, une application de e-learning qui utilise les technologies SMS et USSD pour permettre d’étudier sans connexion. Comment est née Chalkboard Education ? Chalkboard Education est née quand les co-fondateurs, Adrien Bouillot et Miora Randriambeloma, se sont rendus compte qu’une grosse partie d’étudiants assoiffés de connaissance, n’a pas accès à l’éducation en raison du faible nombre d’universités, face à une demande de plus en plus forte. Par ailleurs, ils se sont aperçus que ces étudiants ne sont pas tous capables de payer leurs frais de scolarité. Certains vivent en zone rurale, et doivent se déplacer pour venir étudier en ville. Quand bien même ils arrivent à payer ces frais de scolarité, il est difficile de tenir, tant la vie est chère en ville. Ils se retrouvent donc parfois obligés de mettre leurs études entre parenthèses au profit d’un petit job qui leur permettra de se nourrir et parfois de nourrir leurs familles restées au village. Au-delà de ça, un constat connu : la plupart des gens au Ghana et en Afrique en général, ont plus facilement en leur possession un mobile qu’un compte bancaire. Pour Adrien et Miora, c’était une opportunité. Il fallait rendre l’éducation accessible au plus grand nombre, gratuitement, et possiblement sans avoir à se connecter, vu le prix de la connexion internet. Comment l’application fonctionne-t-elle ? Les élèves reçoivent un SMS unique en provenance de l’université pour laquelle ils ont appliqué. Ce SMS contient un identifiant et un mot de passe qui leur permettra d’accéder à la plateforme. Une fois connectés, ils ont à leur disposition les cours et le programme scolaire sur 6 mois. Le contenu peut être sous plusieurs formes : texte, images, ou audio. Nous travaillons avec un designer pédagogique en interne, qui adapte le contenu des cours en fonction de leur spécificité et de la meilleure manière de les assimiler. Les étudiants ont la possibilité de se connecter en mode offline, afin d’économiser de la data. Pas besoin donc nécessairement de télécharger les contenus ou d’accéder à l’appli via internet. Les contenus sont maintenus dans le cache. Ils peuvent télécharger des exercices, répondre à des questionnaires, des quizzs, etc.

Comment l’application réussit-elle à tracker des informations data même sans connexion ? L’application Chalkboard Education a des fonctionnalités en ligne et hors ligne. Nous avons plusieurs outils de mesure qui nous permettent de tracker les usages de nos apprenants, disséminés à travers le pays. C’est un atout considérable pour les écoles avec lesquelles nous sommes partenaires. Les étudiants sont amenés à répondre à des questionnaires sur la plateforme, par SMS ou via la technologie USSD. Une fois le SMS envoyé, nos serveurs reçoivent l’information et l’analysent. Les étudiants reçoivent un feedback via SMS et n’ont plus besoin de se remettre en ligne. Quel est le coût de l’application pour les étudiants ? Chalkboard Education est totalement gratuit pour les étudiants. Notre business model est basé sur les partenariats que nous signons avec les universités et les ONG. Nous leur vendons la solution comme une SaaS (Software as a Service)1. Comment avez-vous convaincu les investisseurs à vous accompagner dans l’aventure ? Ça a été un travail de longue haleine qui a nécessité l’implication de toute l’équipe. Nous avons participé à plusieurs compétitions et avons gagné des prix prestigieux : MTN Challenge, Oxford Africa Challenge et SEEDSTARS Ghana. Ces victoires nous ont vraiment fait connaître. Nous étions en contact avec les meilleures startups du monde, les meilleurs coachs et bien sûr, les investisseurs les plus aguerris. Ceux qui ont investi dans ce projet ont cru en notre vision et à la mission que nous souhaitons accomplir. Ils ont cru en notre équipe, et ont été impressionnés par notre capacité d’exécution. Ils ont compris que notre solution était la plus adaptée aux besoins et à l’environnement des étudiants, par le biais d’un outil accessible à tous, le mobile.

¹ Le logiciel en tant que service (Software as a Service), est un modèle d’exploitation commerciale des logiciels

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A tous les entrepreneurs qui liront cet article, j’ai un conseil à donner : prenez du temps pour préparer votre rencontre avec les investisseurs, lisez des bouquins, des articles. Il y a énormément de ressources disponibles pour cela en ligne. Demandez également conseil à ceux qui sont déjà passés par là. Si vous êtes bien préparés et qu’une opportunité se présente, il y a de fortes chances que vous obteniez votre financement. Quel est votre rôle en tant que Directrice de Chalkboard Education Ghana ? Mon rôle a évolué avec le temps. Au début j’étais surtout en charge du business development, des ventes et de la gestion des partenariats. Aujourd’hui et maintenant que l’équipe a grossi, je suis moins portée sur l’opérationnel, même si j’ai toujours un œil dessus. Je pilote surtout notre stratégie locale et le management des équipes.

Il y a beaucoup d’applications de e-learning en Afrique, et elles fonctionnent hors connexion. Quel est le point de différenciation de Chalkboard Education ? La première chose, c’est que nous ne travaillons qu’avec des universités accréditées. Les étudiants sont donc sûrs de terminer leur formation avec un diplôme valable et reconnu. La seconde force de notre application, et je l’ai déjà mentionné, c’est le fait de pouvoir tracker des données. Elles nous permettent d’analyser les usages et les comportements des étudiants sur l’application. Nous transmettons ces informations aux écoles, afin qu’elles affinent la qualité de leur contenu, et l’expérience éducative.

Quel bilan tirez-vous des 2 dernières années pour Chalkboard Education ? Quels ont été les victoires ? Quels sont les challenges ? Une croissance notable. La première année a été difficile. Nous avons essuyé plusieurs refus, et je me suis souvent remise en question. Nous n’étions que trois à l’époque, et il fallait faire décoller la startup. En plus d’avoir un super produit, nous avions une super équipe, passionnée, qui travaillait en synergie. Nous n’avions pas d’autre choix que de persévérer. Nous avons finalement reçu du financement après de nombreux mois de préparation, et cela a tout changé pour nous. Nous sommes passés d’une team de trois à une team de huit. Nous avons démarré avec 78 étudiants de la University of Ghana, université leader dans le pays. Aujourd’hui, nous améliorons l’éducations de plus de 4000 étudiants à travers le pays. Nous nous sommes déployés à l’International et opérons désormais en Côte d’Ivoire et au Rwanda. Le plus jouissif ? Tout le travail de terrain et de communication locale abattu depuis la première année est en train de payer. Les gens nous recommandent, l’information passe du bouche à oreille, ce qui est excellent pour notre budget marketing (rires). Ça nous rassure aussi sur le fait que les gens apprécient ce que nous faisons. Sans compter que nous créons des emplois sur le continent. Mais l’aventure n’a pas toujours été simple. Nous avons dû faire face à beaucoup de scepticisme au début. Les gens trouvaient cette manière de dispenser les cours farfelue. Le second challenge c’est que parfois, notre cible n’est pas décisionnaire et à besoin de l’aval du parent, du tuteur, ou du mentor pour opter pour notre solution. Cela peut ralentir les choses. Que répondez-vous à ceux qui disent que la digitalisation de l’éducation menace le métier de professeur ? Je dirais que nous en sommes bien loin. Sans les professeurs, nous n’avons pas de contenu à partager. Notre relation avec les professeurs est interdépendante : nous facilitons et élargissons le partage de leurs contenus, leur rendant capables d’impacter la vie de milliers d’étudiants, beaucoup plus que ceux qu’ils ont l’occasion de voir en face d’eux. La Tech a changé notre manière de faire les choses. Nous devons capitaliser sur ces nouveaux outils que nous avons, afin de laisser notre propre héritage.

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#19 - September/December 2017

AFRICANS REPATS* 8 reasons to move back … Or not !

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INSPIR’INTERVIEW - CAMEROUN

MAXIME TIAGUE LEUYOU

« IL EST IMPOSSIBLE DE PREVOIR CE QUI VA ARRIVER DANS LE SECTEUR DE LA FINANCE » Interview par Chrys Nyetam Photos par Garrick, Express Union Lorsqu’on le rencontre on est tout de suite frappé par sa facilité à sourire, même quand il s’agit de sujets aussi sérieux que la digitalisation d’une institution financière. Maxime Tiague Leuyou est un jeune camerounais, est président d’Express Union France, filiale du groupe Express Union. Express Union est une entreprise camerounaise spécialisée dans l’envoi rapide d’argent et créée en 1997. Depuis 2006, elle propose également des services de micro finance. Avec plus de 700 agences sur le territoire camerounais, c’est le leader de son secteur. L’entreprise est également présente dans 12 pays Africains. Elle vient d’ouvrir sa première agence physique en France. Et l’objectif est clair : conquérir la diaspora africaine. Express union a décidé d’ouvrir sa première succursale en occident. Vous avez choisi la France. Pourquoi ? Le choix de la France était évident parce que la banque partenaire historique en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest est une banque française, en l’occurrence la société de transfert d’argent BDE. Ça semblait logique d’ouvrir la première agence en France d’autant plus que le bureau de représentation était déjà à Paris, dans le 18ème arrondissement et dans les locaux de ce même partenaire.

finance. En plus du paiement ou du transfert d’argent par mobile ces services à valeur ajoutée ont aussi pour but de rassurer le client sur la solidité de l’institution de microfinance Express Union qui progressivement l’amènera à se bancariser. C’est peut-être de cette manière là que le taux de bancarisation augmentera.

Vous êtes très axés sur le digital. Vous avez déjà un service mobile money pour les personnes sur le continent. A terme, […] comment est-ce que ça fonctionne ? Quelle est la cible ? Le service mobile money d’express union cible toutes les couches sociales et tous les types de profils. Quand je dis tous les types de profils, qu’ils soient particuliers ou professionnels. Les particuliers effectuent des transferts de fonds rapides, et procèdent au paiement de factures. Les professionnels quant à eux peuvent être intéressés car ils souhaitent offrir à leur clientèle ou à leurs fournisseurs un nouveau canal de paiement. C’est aussi un service intéressant car il permet à terme à ces divers clients de se bancariser et donc de bénéficier d’autres services comme par exemple des crédits. Le taux de bancarisation aujourd’hui en Afrique stagne, pourtant des montants élevés sont échangés à travers le mobile money. Comment expliquez-vous cette stagnation et surtout comment vous êtes-vous adaptés à l’arrivée du mobile money? La stagnation du taux de bancarisation peut s’expliquer par le rapport de méfiance que les africains entretiennent avec les institutions bancaires. Partant de ce constat, notre entreprise souhaite offrir des services avec une vraie valeur ajoutée pour le client telle que les services de micro14

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© Aninka Media


En quoi avoir une application de transfert d’argent et de mobile money est-elle pertinente quand on souhaite offrir des services de microcrédit à une population non bancarisée ? Cette application permet aussi de connaître les habitudes du client. A partir de ces habitudes, nous pourrons définir le profil de client, définir le type de crédit adapté à ses habitues, et évaluer sa capacité de paiement. Ces données nous permettent aussi de proposer le bon produit au client le plus susceptible de l’adopter. Il ne s’agit pas seulement ici de crédit d’ailleurs. Nous offrons des cartes de retrait et de paiement par exemple. A terme, tous nos produits et services ont vocation à contribuer à l’augmentation de l’inclusion financière.

vers les institutions financières et à terme la garder, car c’est le plus important.

Quelle est la valeur ajoutée du service Express Union pour cette diaspora qui souhaite garder un lien fort avec la famille restée au pays ? Parlons d’abord du lien entre la diaspora et le continent. Aujourd’hui la force d’Express Union réside dans son implémentation géographique. Nous avons des agences même dans les coins les plus reculés du Cameroun, pour ne citer que ce pays. Par conséquent, chaque membre de la diaspora peut envoyer de l’argent dans n’importe quelle localité au Cameroun. C’est un point très important parce que ce lien est direct, et la personne n’aura pas à se déplacer dans une grande ville pour effectuer un transfert d’argent. Deuxièmement, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous nous sommes aperçus qu’à Paris, le volume de retraits est plus élevé que le volume d’envoi. Et l’explication est simple : Les personnes basées en Afrique n’ont pas toujours des moyens de paiement, comme des cartes de crédit, pour acheter sur les plateformes en ligne. C’est intéressant que vous ayez souligné ce point. Je ne sais pas si c’est particulier à l’agence express union de Paris, mais cette tendance que l’on a de penser que les fonds viennent forcément d’Europe n’est pas toujours vraie.

Tout le monde parle de digitalisation. Qu’est-ce que ça vous apporte de nouveau en tant qu’institution bancaire ? La digitalisation nous apporte déjà une certaine flexibilité et une certaine réactivité. La digitalisation va nous apporter une réactivité dans le traitement des services et de la valeur ajoutée qu’on va proposer au client. Aujourd’hui, le souci en Afrique, c’est la gestion de la data. Savoir gérer la data nous permettra d’être plus efficace vis-à-vis de nos clients. On pourra ainsi proposer des services de qualité parce qu’on saura quelles seront les habitudes par tranches d’âges, ou par secteur d’activité. Les données permettront aussi d’adapter notre investissement. Investir 20% du budget sur un produit qui ne va intéresser que 2% de notre cible, ce n’est pas efficace. L’exploitation des données est plus efficace si on se digitalise et qu’on est vraiment pertinents sur ce point-là, même en termes de communication. En ce qui concerne la fiabilité il faudra un système d’information solide avec le niveau de sécurité adéquat parce que de toutes les façons, le régulateur aujourd’hui nous l’exigera.

Que faut-il pour attirer et rassurer la clientèle Africaine pour qu’elle ait confiance aux institutions financières ? Pour rassurer et de nouveau attirer la clientèle africaine vers les institutions financières il faut surtout qu’on se conforme aux standards financiers mondiaux. Il ne faut pas qu’on ait peur de fournir des services de qualité et innovant avec une forte valeur ajoutée. Il faut se rendre compte que l’Afrique a été pionnière sur le paiement mobile. Le mobile money a donné un coup d’accélérateur aux services financier que ce soit en Afrique ou ailleurs. C’est en fournissant des services de qualité et adapté aux consommateurs qu’on pourra attirer la clientèle africaine

Quels sont les objectifs d’express union en France ? Nous voulons axer notre développement sur la digitalisation de nos services. La première étape à franchir est de gagner en autonomie en se conformant aux normes du régulateur, donc en ayant un agrément en bonne et due forme pour notre filiale Française. Une fois que ce sera fait, nous pourrons nous concentrer sur le digital via notre application mobile et un site web. L’objectif à long terme est de pouvoir fournir tout le panel de micro-crédit du groupe Express Union à la diaspora.

Trouvez-vous que le régulateur s’adapte à l’évolution rapide de la fintech et des services de transferts d’argent ? Il y a toujours un retard au niveau de la régulation. Ce n’est pas propre à l’Afrique. Même en Europe, c’est le cas. Tout se joue sur la durée du retard. Le régulateur prend peut-être du temps mais il finit par sévir. Il a beau avoir du retard par rapport aux nouveaux produits qui sont sur le marché mais à un moment, il prend ses responsabilités, peut-être trop tard aux yeux de certains mais au moins, il réagit. Ce qu’on peut espérer, c’est qu’au fur et à mesure il puisse résorber ce retard et être le plus réactif possible. Il est impossible de prévoir ce qui va arriver dans le secteur de la finance à mon sens.

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INSPIR’ASSOCIATION - NIGERIA

AU NIGERIA, SHESECURES FORME LES FEMMES À LA PROTECTION DES DONNEES Interview par Joan Yombo Photos par TechPoint.ng pour Inspire Afrika Caleb Barlow, Vice-Président de IBM Security prédit dans un article du magazine TechRepublic que dans un avenir proche, l’Intelligence artificielle sera à l’origine d’une mutation des usages en matière de cybersécurité. Les entreprises vont commencer à protéger leur données en utilisant cette technologie, tandis que les cybercriminels vont s’en servir pour les attaquer. Le continent Africain serat-il prêt à temps pour cette guerre ? Rien n’est moins sûr. Mais en attendant, certains organisent déjà la résistance. C’est le cas de Sophina Kio-Lawson et Lilian Douglas. L’une est ingénieur en sécurité informatique, et l’autre est analyste en cyber sécurité. A deux, elles ont créé l’association SheSecures, qui forment les femmes aux enjeux de la cybersécurité sur le continent.

© Aninka Media

Inspire Afrika Magazine : Pouvez-vous nous parler de l’initiative SheSecures ? Sophina Kio Lawson : SheSecures est une association basée à Lagos, dédiée aux jeunes femmes qui travaillent dans le domaine de la cybersécurité ou qui s’y intéressent. A travers cette initiative, nous souhaitons mieux faire connaître les problématiques liées au digital et à la cyber-sécurité en Afrique. Nous voulons également encourager les professionnelles du métier à partager leur connaissances et à coacher celles qui manifestent de l’intérêt dans ce domaine. Notre mission ne s’arrête pas là. Nous avons également pour ambition de former les enfants à la maîtrise de l’usage d’Internet. Lilian Douglas : Seulement 11% des femmes dans le monde travaillent dans le domaine de la cyber-sécurité. Nous souhaitons contri16

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buer à améliorer cette statistique, pour qu’on puisse voir plus de femmes prendre la parole dans le milieu. IAM : Quelles sont les principales activités de l’association ? LD : Nous organisons des bootcamps 100% féminins autour du digital et de la cyber-sécurité, pour les étudiantes et/ou pour les femmes qui souhaitent changer de carrière. Nous organisons également des conférences, afin de créer un réseau solide entre les professionnelles du secteur et celles qui s’y intéressent. Nous rendons disponible gratuitement et autant que faire se peut toute la littérature et la documentation autour de la cyber-sécurité.


INSPIR’ASSOCIATION IAM : Il y a peu de femmes dans les Tech et encore moins en cyber- sécurité. Pourquoi à votre avis ? SL : De manière générale, les femmes présentes dans les Tech sont peu valorisées et donc peu visibles dans leur milieu. On ne leur donne pas la parole. Cela contribue à créer une sorte de mystère inutile autour des Tech. Celles qui veulent s’engager dans ce type de carrière n’ont personne à qui s’identifier, et donc parfois elles laissent tomber car elles ne veulent pas prendre le risque de se tromper. Notre mission est de trouver ces femmes et de braquer les projecteurs sur elles, afin qu’elles partagent leur réalisations, qu’elles fassent connaître leurs différents métiers, et qu’elles soient une source d’inspiration pour les autres. Même si le milieu de la cybersécurité est encore très fermé, les choses sont en train de changer petit à petit quand il s’agit de technologie en général. Les femmes s’y intéressent de plus en plus. LD : En effet, il y a pas mal d’associations qui œuvrent désormais pour une meilleure visibilité des femmes dans les Tech, notamment ici au Nigéria. J’ai d’ailleurs démarré ma carrière dans les Tech grâce à ce type d’association. J’ai fait des études en informatique, et j’ai pu avoir mon diplôme. Je voulais travailler dans une grosse entreprise du pays. Mais, je n’avais pas reçu de formation professionnelle ni de conseils pour m’orienter. J’avais un diplôme en Informatique, certes, mais la vérité c’est que je ne savais pas quoi en faire. Ne trouvant pas de job, je me suis donc résolue à faire une formation en couture. Un jour, j’ai découvert l’initiative PinkIT, lancée par Abiola Illupeju, qui forme les femmes à la programmation. Je me suis inscrite, et c’est ainsi qu’a démarré ma carrière dans les Tech. Donc oui, il y a plusieurs initiatives pour encourager les femmes à s’impliquer dans les Tech. D’ailleurs, une de nos sources d’inspiration est Ire Aderinokun, femme développeur très impliquée dans la communauté Tech au Nigeria. IAM : Comment parvenez-vous à susciter l’intérêt des femmes pour les sujets de cyber sécurité ? SL : Premièrement, nous avons été à leur place. Nous savons ce que c’est que de s’intéresser à un domaine sans savoir vers qui se tourner pour des conseils. Nous faisons de notre mieux pour que la communauté SheSecures soit la plus ouverte, la plus dynamique et la plus inclusive possible. LD : A travers le blog de l’association, nous partageons des astuces et des conseils qui ont fonctionné pour nous et pour d’autres femmes dans l’industrie. A travers les SheSecures Spotlight Sessions, nous célébrons les femmes africaines du monde entier, qui font des choses extraordinaires dans le domaine de la cybersécurité. Et pour finir, à travers nos Live Session mensuels, nous faisons interagir et débattre des professionnelles de la Tech autour de problématiques actuelles. IAM : Les économies africaines se développent rapidement, les cyber attaques également. Pourquoi est-il si important de s’intéresser à la cybersécurité aujourd’hui ? Comment convaincre nos gouvernements à mettre en place des actions ? LD : La cybersécurité est à l’intersection de la technologie, du business et de la sécurité nationale. C’est le lieu où l’on définit les pratiques et les méthodes qui nous permettent de sécuriser nos informations en ligne et hors ligne. Les politiques qui structurent la cybersécurité ne concernent pas uniquement les gouvernements et les entreprises. Elles sont également utiles pour créer des environnement sécurisés pour nos familles, pour la communauté, pour le pays. SL : Plus un gouvernement est prêt ou capable d’investir dans des initiatives telles que les nôtres, ou dans des entreprises spécialisées dans

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© Aninka Media la cyber sécurité, plus il saura leur garantir le maximum de ressources humaines et technologiques pour contrer les cyber attaques à l’échelle nationale. Cet investissement peut sembler lourd au début, mais il faut voir les choses sur le long terme. Une fois subventionnés ou soutenues, ces entreprises/associations créeront de la valeur. Cela sera toujours plus bénéfique que d’injecter des millions de naira pour se remettre des cyberattaques à grande échelle. Malheureusement c’est ce qui se passent aujourd’hui. Nous payons au prix fort, le fait de ne pas être assez protégés. Selon le Internet and Security Threat Report de Symantec en 2013, 80% des ordinateurs personnels étaient infectés en Afrique. Est ce qu’on peut dire en 2018 que le continent s’est amélioré en matière de cyber protection ? Ce n’est pas une nouvelle. Les cyberattaques que l’on voit se développer dans le monde, impactent plus fortement notre continent : logiciels de rançon1, emails frauduleux, virus, etc. Nous restons encore peu équipés et sous-éduqués par rapport à ces menaces. Toutefois, ces dernières années, des efforts sont faits pour mettre en place des guidelines et des politiques de protection pour les entreprises, les autoentrepreneurs, les particuliers. Des sessions d’information sont organisées pour sensibiliser autour de l’importance de protéger ses données. Nous sommes sur la bonne voie … Quel est l’accomplissement dont vous êtes particulièrement fières ? SL : Je pense que l’une des choses dont nous sommes le plus fières c’est d’avoir réussi à créer une communauté digitale, dédiée à la cybersécurité, au-delà des frontières du Nigéria. Nous avons des membres au Kenya, aux USA, au Royaume-Uni, en Suisse, etc. Toutes ces femmes sont motivées par un objectif commun : s’assurer que les gens aient les bons réflexes pour se protéger en ligne. L.D : La deuxième chose qui nous rend particulièrement fières, c’est d’avoir réussi à mettre sur pied des bootcamps professionnels pour aider les femmes désireuses de se réorienter dans une carrière en cyber sécurité. Lors de ces sessions, nous leur donnons les outils pour démarrer leur nouvelle carrière, mais également des opportunités d’emplois, et de stages (pour les plus jeunes). IAM : J’hésite à rejoindre SheSecures. Que pouvez-vous me dire pour me convaincre à sauter le pas ? SL : Nous donnons aux femmes l’opportunité de se faire coacher par des professionnelles de la cybersécurité, qui ont plus de 10 ans d’expérience et de pratique. Vous intégrerez une communauté dynamique, au sein de laquelle vous pourrez échanger et obtenir le maximum d’informations pour exceller dans la protection des données. Vous participerez à la formation et à la sensibilisation des jeunes enfants. C’est aussi auprès d’eux que se joue l’avenir de la cybersécurité en Afrique. SheSecures est le meilleur endroit pour construire un nouveau plan de carrière, lorsqu’on a envie de se tourner vers les Tech.

Il s’agit d’un logiciel malveillant qui prend en otage des données personnelles INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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REPATSTORIES - SENEGAL

BILL DIARA « CE QUI ME MARQUE LE PLUS AU SÉNÉGAL, C’EST QUE L’ÉCOSYSTÈME ENTREPRENEURIAL EST BOUILLONNANT » Propos recueillis par Joan Yombo Photos de Mouss Lion En 2015, Bill Diara et ses partenaires créent m-Tick, la première marketplace de vente de tickets de transport en Côte d’Ivoire. Trois ans plus tard, après avoir été à cheval entre une vie de salarié et une vie d’entrepreneur, le jeune homme de 32 ans dépose ses valises de manière pérenne, au Sénégal, pour y déployer l’activité de la startup. Il inaugure la nouvelle rubrique, « Repat Stories », qui a deux objectifs : rentrer en immersion dans le quotidien d’un entrepreneur repat1 et découvrir une ville Africaine sous un angle différent.

Il y a 2 ans, nous parlions déjà de m-Tick dans la version en ligne d’Inspire Afrika Magazine. Bien des choses ont changé. Comment a évolué la startup depuis le temps ? En effet, Inspire Afrika est le premier magazine à avoir parlé de la solution m-Tick durant le concours ABC Innovation dont nous avions été lauréats en 2015. Par la suite, nous avons été lauréats de plusieurs autres concours, notamment le Orange Challenge Développeurs. La société a été lancée dans la foulée 2 mois après cette victoire, en 2016 et a fait son petit bonhomme de chemin à Abidjan. Là-bas, nous nous sommes associés à une douzaine de transporteurs. Nous desservons aujourd’hui plus de 60 villes à l’échelle nationale, et 3 villes en dehors du pays : Cotonou, Lomé et Accra. En Mars dernier, nous avons lancé m-Tick au Sénégal, où nous avons dupliqué ce qui se fait à Abidjan, avec 5 transporteurs. Par ailleurs, nous venons de rajouter une nouvelle brique à notre service, celle du ticketing d’événements (concerts, spectacles, matchs de football, etc.) 1

L’activité évolue tant bien que mal, nous sommes toujours à la recherche de partenaires notamment ceux qui peuvent nous ouvrir les portes dans d’autres pays. Notre objectif à terme est de créer le corridor Dakar – Abidjan – Niamey. Si m-Tick ouvre un nouveau bureau cela veut dire que les financements sont présents. Quel est votre secret ? Aujourd’hui nous ouvrons d’autres bureaux parce que nous croyons en l’activité. La croissance générée en Côte d’Ivoire nous permet d’avoir de réels espoirs et des prévisions de croissance. L’opportunité d’ouvrir un nouveau bureau s’est présentée au Sénégal, et nous l’avons saisie. Cependant, nous fonctionnons encore majoritairement sur fonds propres. Les différents concours que nous avons gagnés nous ont également aidé. Nous avons aussi eu recours au love money auprès de personnes que nous ne connaissions pas à la base mais qui ont cru au projet dès le début. Pour finir, nous avons des perspectives de levées de fond en cours avec des institutions locales et internationales.

Un repat est une personne qui rentre s’installer dans son pays d’origine après avoir vécu plusieurs années à l’étranger INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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Quelle est aujourd’hui la plus-value de m-tick par rapport à d’autres services de transports ou d’autres solutions de ticketing ? Ce qu’on peut dire en premier par rapport au benchmark, c’est que la solution m-Tick est flexible : nous sommes passés du ticketing de transport vers le ticketing d’autres produits. Ensuite, nous avons l’atout de l’interopérabilité, car nous sommes en lien avec tous les opérateurs de mobile money existants, et nous sommes présents sur leurs API. Autre atout, la simplicité d’usage de la plateforme : le site internet est épuré et consomme très peu de datas. Pour finir nous avons la chance de faire des collaborations de temps en temps avec d’autres marques pour communiquer de manière plus directe et toucher notre cible. Existe-t-il une appli m-Tick ? Pourquoi la partie m-Tick Event n’est pas visible sur le site ? Nous n’avons qu’une application Android pour le moment. Cela se justifie par le fait que 80% des mobiles en Afrique sont sous Android. M-Tick Event n’est disponible que ponctuellement, lorsque nous avons des évènements à proposer. Le but sur le long terme c’est de transformer les partenariats ponctuels en partenariats pérennes, afin de proposer une offre de ticketing événementiel toute l’année. Tu es définitivement installé à Dakar depuis peu. Qu’est-ce qui te marque le plus dans cette ville ? Je suis à Dakar depuis un an, et ce qui me marque le plus ici, c’est que l’écosystème entrepreneurial est bouillonnant. Les jeunes sont de plus en plus créatifs, il y a de plus en plus de startups qui se créent. Mais, je n’aime pas beaucoup appliquer le concept de « startups » à l’Afrique. Une startup est ce qu’elle est parce qu’elle évolue dans un écosystème où il y a assez de structures pour l’accompagner. En Afrique, nous sommes encore loin de cette réalité. Toutefois, les choses bougent vraiment, et c’est ça qui nous motive à avancer. Grace à m-Tick, on peut désormais réserver un ticket de bus au Sénégal. Quel est le meilleur moyen de transport pour se déplacer dans Dakar ? M-Tick permet surtout la réservation pour les voyages inter urbains, c’est à dire de Dakar vers les villes de régions. Nous n’avons pas encore préempté le territoire intra urbain. Cependant, c’est une très bonne question que vous posez là. Pour être totalement transparent, l’idéal à Dakar c’est d’avoir sa propre voiture. Les taxis coûtent excessivement cher. Il suffit de faire cinq déplacements dans la journée pour en arriver à 15 000 FCFA (environ 23 euros), ce qui représente une somme assez conséquente. Sinon il y a les bus, mais ça demande beaucoup de patience, et il faut accepter de se serrer… En effet, Dakar a la réputation d’être une ville chère. Comment faire des économies quand on veut visiter la ville ? Cela dépend du tourisme que l’on veut faire. Il y a le tourisme « normal » et le tourisme de luxe, qui évidemment coûte plus cher. Si on est un touriste « normal » on peut faire des économies sur le transport en prenant les transports en commun, même si, je le répète, il faut s’armer de patience. La nourriture ne coûte pas forcement cher si on connait les bons plans. Il y a des petits bouis-bouis ou des fastfoods en centre-ville où on peut manger de la bonne nourriture et en bonne quantité pour pas cher. Quand on raisonne en termes de confort et de coups de cœur, on est sur ce que j’appelle du tourisme de luxe. On prend des taxis privés, qui assurent une certaine sécurité et un suivi des trajets, on va dans les restaurants tendances, on se loge dans les meilleurs hôtels. 20

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A ce moment-là ça peut monter très vite. Côté logement, je conseillerais le Radisson et les locations Air BNB, qui restent dans des tarifs acceptables. A quoi ressemble la journée idéale à Dakar pour toi ? Le matin, je démarre avec un jogging à côté de la plage, près de la corniche. Ensuite, je vais boire un jus de coco frais, 100% naturel, qu’on fabrique devant moi. Après une douche, j’attaque la journée de travail. En général, je préfère me poser au Marina Bay vers N’gor, qui est un lieu tout à fait adapté à mes besoins. A midi, je prends ma pause déjeuner soit au Marina Bay, soit au restaurant La Cuillère Magique. Ensuite j’enchaîne avec un thé au Radisson ou au Terou-bi. Ça c’est quand je ne suis pas en période de Ramadan bien sûr ! Je rentre au boulot pour quelques heures supplémentaires, avant de terminer ma journée comme je l’ai commencée : un petit footing sur la corniche et un jus de coco frais … Tu es donc un fan de sport et de jus de coco ? (Rires…) Oui le sport est un exutoire pour s’échapper du stress et de la difficulté de la vie des startups. Ça permet de déconnecter et de prendre soin de son corps. Quand au jus de coco, ça fait partie de l’identité Dakaroise. Impossible d’y échapper ! Cette interview est menée en plein Ramadan justement. Comment est Dakar pendant cette période ? La ville est un peu plus calme que d’habitude. On commence à travailler plus tôt, et les journées sont en continue. La majorité des entreprises commencent à fermer entre 15h et 16h, car il faut rentrer chez soi tôt pour couper le jeûne à temps. Les embouteillages ne facilitent pas la tâche. Le temps est un peu en suspens entre 15h et 21h. Ensuite on essaie de retrouver une activité normale après avoir coupé le jeune, c’est-à-dire de 21h à 00h pour les courageux, et pour les startups comme nous qui ont besoin d’avancer un peu… Dakar by night : 3 lieux que tu recommanderais ? En premier lieu, je dirais le phare des mamelles, un restaurant très sympa sur la colline des Mamelles, près du phare. Ensuite l’Endroit et le Baramundi pour ceux qui ont l’esprit jetsetteur. Côté fringale, qu’est-ce qu’on mange le mieux à Dakar ? Le Tièboudiène en premier, puisqu’il fait partie de l’identité sénégalaise. Mais il n’y a pas que ça. Je conseille le « dibiterie », une façon spéciale de griller la viande. On a aussi le Tiakri, qui est le fameux Degue partagé par tous. Je finirais par le coucous Sénégalais, fait à base de mil, qui est tout simplement excellent. Ce sont mes favoris, mais il y a encore pas mal de plats succulents à découvrir au Sénégal. Je pense que d’un point de vue culinaire, le Sénégal fait partie des pays africains les mieux lotis. Quelles villes nous conseillerais-tu de visiter en dehors de Dakar ? Je vais vous lister mes préférées, car encore une fois il y a tant de choses à découvrir au Sénégal ! Je conseillerais en premier la ville de Saint Louis, qui a un très fort héritage historique. Le petit plus ? On peut y faire des balades en calèches. Ensuite je conseillerais le village de Mar-lodj qui est dans les iles du Sine-Saloum, dans la région de Fatick. C’est un endroit terré dans les mangroves après Ndangane (moins de 30mn en voiture après Mbour), où tu as l’impression que le temps s’arrête et on revient aux essentiels de la vie en Communauté. Puis il y a les classiques Ile de Gorée, Lac Rose et île de Ngor, qui sont des endroits plus touristiques que beaucoup connaissent déjà.


OSER INSPIRER - CAMEROUN

DOUGLAS MBIANDOU « AVEC 10000CODEURS NOUS SOMMES LA POUR INFORMER LA JEUNESSE AFRICAINE QU’IL Y A DE L’EMPLOI POUR CEUX QUI SE FORMENT DANS LES FILIERES NUMERIQUES » Interview par Marie Simone Ngane Photos par Overworld Agency pour Inspire Afrika Douglas MBIANDOU, 41 ans, est un Ingénieur informatique diplômé de l’INSA Lyon. Arrivé en France, à l’âge de 7 ans, confié par ses parents à un oncle, il y a vécu toute sa vie ou presque. Après ses études et quelques années en entreprise, il crée Objis et décide de redonner espoir au continent qui l’a vu naître grâce à l’initiative 10000codeurs.

© Aninka Media Comment et pourquoi vous est venue l’idée de créer Objis ? Après 5 ans comme développeur d’applications, j’avais envie de créer une société et avoir de « gros » clients. Amoureux de la technologie et du transfert de compétences, je me suis tourné vers le secteur de la formation. Depuis 2005 ma société a formé plus de trois mille informaticiens en France, dont la plupart sont des ingénieurs issus de multinationales.

Nous sommes partis de plusieurs constats : en 2100, 40% de l’humanité sera Africaine avec une population jeune dont 70% auront moins de 30 ans ; à l’échelle internationale, les entreprises et organisations de toute taille se questionnent sur leur avenir, conscientes que le numérique sera une des clés de leur compétitivité future. Or, elles disposent aujourd’hui de peu de compétences numériques pour la mise en place de solutions digitales innovantes ;

Parlez-nous du programme 10000codeurs … 10000codeurs était initialement un projet porté par Objis dans le cadre de sa politique RSE et en parallèle, de son développement en Afrique. 10000codeurs est aujourd’hui une startup portée par mon associé Redouane EL HALOUI et moi.

en Afrique, nous avons des jeunes éduqués, intelligents, connectés, déterminés (souvent au prix de leur vie) à réussir, mais dont les compétences ne correspondent pas à la demande….

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Notre ambition est donc de devenir une passerelle entre ces jeunes et les entreprises en quête d’expertise numérique. Nous mettons le dividende démographique de l’Afrique au service du développement digital des entreprises à travers le monde. Notre objectif est de favoriser l’autonomisation financière de plus de dix mille jeunes hommes et femmes entre 2015 et 2025. Pour y arriver, nous formons cette jeunesse à des technologies numériques recherchées par les entreprises du monde entier. Nous disposons de 450 heures de formations, et nos programmes sont constitués comme suit : technique, notamment le codage (70%), soft skills (10%), anglais (10%), entrepreneuriat (10%). Vous mettez un point d’honneur à former les jeunes filles. Combien d’entre elles avez-vous déjà formé ? Manifestent-elles un réel intérêt pour le code ? En effet, nous sommes soucieux de contribuer à l’émancipation des femmes via le numérique. Par ailleurs, nous constatons que les femmes sont plus professionnelles et impliquées que les hommes en général. Ainsi, pour chaque nouvelle promotion, nous mettons à disposition trois places gratuites pour des candidates féminines. Dans le cadre de notre échantillon pilote de 100 jeunes, 15 sont des femmes. La plupart (80%), ont des profils Bac+2 à Bac+5 en informatique. C’est le cas de Marie France BROU et Nabounou DIABI en Côte d’Ivoire. C’est le Cas de Fama GUEYE et Ma Awa DIEDHIOU au Sénégal. D’autres, au Cameroun, font une reconversion vers le code, comme Stéphanie NTAMACK à Yaoundé, cette esthéticienne de formation qui, encadrée par son formateur 10000codeurs s’accroche et sera bientôt développeuse. Pensez-vous qu’il y ait de l’emploi pour tous les jeunes qui se forment au numérique sur le continent aujourd’hui ? Avec 10000codeurs nous sommes là pour informer la jeunesse africaine qu’il y a de l’emploi pour les jeunes qui se forment dans les filières numériques recherchées par les entreprises. C’est le cas des métiers de la programmation informatique, en particulier le métier de développeur d’applications web mobile. Nous pouvons contribuer à cette employabilité dans le cadre d’un processus spécifique, et en partenariat avec les entreprises de notre comité pédagogique. J’invite les jeunes qui souhaitent se former avec nous à se rendre sur notre site internet pour plus d’information. Nous tâcherons de les rencontrer physiquement ou de faire un entretien à distance permettant de mesurer d’une part leur motivation et d’autre part leur esprit logique, indispensable pour ce métier de développeur.

Quel est le retour des 100 premiers codeurs sur leur expérience ? Ont-ils tous trouvé un emploi ? C’est à la fin de cette année que nous pourrons faire un premier bilan. En parallèle de la formation nous sommes actuellement en plein processus d’insertion. Notre premier inséré vient du Sénégal. Il s’appelle Birante SY, et est un des principaux développeurs de la startup Weebi, qui vient de remporter un concours d’innovation de la Société Générale. Son employeur affirme de lui qu’il est « autonome » et qu’il « apprend vite ». C’est exactement ce que nous attendons de nos bénéficiaires une fois qu’ils sont propulsés au sein d’une entreprise. Quelle est l’innovation technologique africaine qui vous a le plus marqué ces dernières années ? Pourquoi ? Sans doute, le Mobile Money, pour 2 raisons : la simplicité de l’usage (le fait de pouvoir payer simplement avec son téléphone, sans devise ni carte bleue) et l’adaptabilité de la solution, les autres continents s’en inspirent désormais, notamment l’Europe (Orange Bank). Quelle sera la suite du projet 10000codeurs ? Comment voyezvous Objis dans 10 ans ? Dans 10 ans nous aurons formés et insérés 10000 jeunes, et aurons mis en place un modèle économique viable. Si Objis a financé à 90% les 100 premiers, il est nécessaire de convaincre les entreprises de nous faire confiance en devenant des partenaires privilégiés sur toute la chaine de valeur et en finançant notre travail sur le terrain, ce qui correspond en fonction des services et du volume, à un investissement entre 2000 et 5000 euros par bénéficiaire. Objis souhaite se positionner comme le premier centre de formation informatique professionnel sur le continent dans 10 ans. Pour se former, plus d’informations sur http://10000codeurs.com Contacts Locaux Côte d’Ivoire : Noel N’GUESSAN au 00 225 58 66 13 07 Sénégal : Senebou BADJI au 00 221 77 201 31 33 Cameroun (Yaoundé) : Stéphanie NTAMACK au 00 237 568 375 60 Cameroun (Douala) : Pierrette MAKANI au 00 237 6 96 23 19 54

Quelle est la plus grosse difficulté que vous avez rencontrée en mettant en place le programme 10000codeurs ? Mettre en place le réseau de formateurs a été pour moi le plus délicat. Ensuite communiquer sur le programme et trouver les premiers stagiaires a été l’autre difficulté. D’autant plus que nous avons tout de suite voulu nous déployer dans 3 pays : Cameroun, Sénégal, Côte d’ivoire. Est-ce que les premiers codeurs que vous avez formés avaient un background informatique ? Tout à fait ! 80% d’entre eux ont des profils informaticiens. D’autres sont en reconversion comme Landry KUICHEU, ce gestionnaire camerounais en reconversion vers le métier d’informaticien. Il recherchait une solution logicielle pour gérer son association, il n’a pas trouvé de développeur à la hauteur. Il a voulu se former pour créer lui-même cette solution logicielle !

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MAKE

AFRICA GREAT AGAIN

DIGITAL RELATIONS PUBLIQUES RELATIONS MÉDIAS ÉVÉNEMENTIEL RÉPUTATION BUSINESS DEVELOPMENT

HOPSCOTCH AFRICA L’agence multiculturelle de conseil en communication dédiée à l’Afrique

africa@hopscotchafrica.com

@HopscotchAfrica

www.hopscotchafrica.com INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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INSPIR’START UP - NIGERIA

Dr. FEMI KUTI

« Si vous améliorez l’existant avec l’aide de la technologie, vous apporterez bien plus de valeur à la communauté. » Propos recueillis par Joan Yombo

Après des études en médecine au Nigéria, le Docteur Femi Kuti se retrouve au sein de l’équipe médicale de Goldman Sachs à Londres. Son champs d’action s’étend aux hôpitaux et organismes médicaux des zones Afrique et Moyen Orient. Deux ans plus tard, il décide de rentrer dans son pays natal pour démarrer un projet entrepreneurial. Passionné depuis toujours par la médecine et les nouvelles technologies, il a en tête de les utiliser pour régler les problèmes sanitaires de base qui existent sur le continent. C’est ainsi que démarre l’histoire de Kangpe1, une assurance maladie en ligne, made in Nigeria…

Comment est née Kangpe et quel est l’intérêt de cette application ? Je rentrais au Nigéria, et je cherchais à lancer une solution qui contribuerait à améliorer le système de santé. En tant que Docteur, j’étais encore plus conscient de toutes les difficultés que les gens avaient à trouver des informations fiables concernant leur santé. Donc, la première chose que mon associé et moi avons faite, c’était de créer une plateforme de télémédecine qui permettrait aux gens de poser des questions liées à leur santé 24h/24 et 7j/7, simplement en utilisant leur téléphone portable. Nous avons adopté cette formule pour deux raisons :

par mois, soit environ 8 dollars. C’est un tarif accessible à une grosse partie de la population au Nigeria, notamment les personnes issues de la classe moyenne. Mais en effet, il y a encore des efforts à faire. J’espère qu’avec les souscriptions de plus en plus nombreuses, nous serons à même de réduire ces coûts et de rendre la solution accessible pour tout le monde.

Au Nigéria, les gens envoient des sms à des docteurs qu’ils connaissent pour poser leurs problèmes de santé, et presque tout le monde possède un téléphone portable. L’idée c’était donc de s’appuyer sur ces deux éléments pour créer une solution pratique pour les gens. Donc au départ, Kangpe était une simple application de chat avec des médecins, disponible tous les jours, à toutes les heures : on pose sa question et on obtient une réponse au bout de 10 minutes maximum. Quelque temps après avoir lancé le service, nous nous sommes aperçus que le chat ne pouvait pas totalement remplacer la rencontre avec le médecin, même dans des cas très simples. Les gens sont souvent rassurés de voir un médecin en chair et en os. Alors, nous avons effectué un léger pivot et avons transformé Kangpe en une assurance maladie en ligne. Pour un montant fixe par mois, l’utilisateur a accès à un docteur en ligne 24h/24, via son téléphone portable. Si le problème est sérieux et qu’il a besoin de se rendre à l’hôpital, cela est pris en charge par l’assurance. Aujourd’hui, l’assurance maladie s’appelle Reliance HMO, et Kangpe en est la société mère. Est-ce que tout le monde au Nigéria peut s’offrir cette assurance maladie ? Le coût de l’assurance pour une personne seule est de 3500 naira 1

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Votre promesse est de répondre aux utilisateurs en moins de 10 minutes. Cela demande beaucoup d’organisation. Combien de médecins y a-t-il sur la plateforme ? Et comment vous assurez-vous de la crédibilité de leurs diplômes ? Nous avons plus de 750 médecins sur la plateforme. La majorité d’entre eux est basée au Nigeria, mais certains sont également basés aux USA, aux UK ou en Australie. Concernant les médecins du Nigéria, nous nous assurons qu’ils travaillent déjà avec des institutions gouvernementales.

Le mot originel est « Kampe », un mot en pidgin qui signifie « feeling good » (se sentir bien). La startup l’a transformé en « Kangpe » pour des raisons de droits d’utilisation.

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En effet, ces institutions font des vérifications en amont sur le profil des médecins qu’elles recrutent. Les médecins qui travaillent avec elles sont donc fiables à 100%. Concernant les médecins qui sont hors du Nigéria, nous consultons les registres médicaux, qui sont la plupart du temps publics, ainsi que les informations disponibles sur ces registres. Avez-vous établi des partenariats avec les pharmacies pour proposer une offre plus complète ? Nous n’avons pas établi de partenariat avec les pharmacies. Par contre, nous nous sommes plutôt concentrés à monter des partenariats avec les hôpitaux. Nous estimons que si la situation est grave, il est préférable que le patient aille directement à l’hôpital pour faire un check-up plus approfondi. Les médicaments lui seront directement administrés sur place, et cela est pris en charge par l’assurance.

Oui la vie d’entrepreneur est difficile, mais les opportunités sont énormes, surtout quand il s’agit du système de santé en Afrique. Nous avons besoin de meilleurs hôpitaux, de meilleurs produits sanitaires, de meilleurs systèmes de logistique pharmaceutique, etc. Comment voyez-vous Kangpe dans 5 ans ? Nous voyons Kangpe comme la solution d’assurance maladie numéro un dans la plupart des pays africains. Notre plateforme est faite pour simplifier la vie aux patients, leur permettant d’avoir des réponses rapides et un accès direct aux médecins. Nous espérons ouvrir des filiales au Nigeria et dans la sous-région durant les 5 prochaines années.

Comment accéder à l’application lorsqu’on n’a pas internet ? Premièrement, la plateforme est accessible via SMS, justement pour les portables qui n’ont pas internet. Nous avons un numéro spécifique dont les utilisateurs peuvent se servir après avoir souscrit à l’assurance. Nous avons également un partenariat avec la plateforme Facebook Free Basics, qui permet d’utiliser un certain nombre de services (dont Kangpe) sans connexion internet, car le coût de la data est directement supporté par les opérateurs de télécommunication. Qu’est ce qu’il faut comme ressources_ financières, humaines, etc..., pour mettre sur pied une application comme Kangpe ? Quels sont vos challenges aujourd’hui ? Eh bien, il faut avoir une excellente équipe : des ingénieurs, capables de manier la technologie, et du personnel de santé, qui comprend le patient et ses besoins. Concernant le financement, je vous avoue que mon partenaire et moi avons été chanceux. Grâce à notre apport personnel, nous avons pu financer en grande partie la version bêta de l’application. Cela nous a permis de produire une démonstration de faisabilité pour les investisseurs, et les convaincre de nous accompagner. C’est ce qu’ils ont fait par la suite, quand il a fallu développer l’application. Mais je vais être honnête, le parcours est très difficile. Il y a beaucoup de loupés, beaucoup d’imprévus dans la vie d’une startup. Nous cherchons constamment des moyens d’améliorer le service. C’est aussi ça le gros atout des startups : leur agilité. Toutefois, Kangpe n’est pas à plaindre. Nous commençons à percevoir des revenus, nous avons de bons investisseurs et des personnes qui soutiennent ce projet au quotidien. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent se lancer dans la MedTech ? C’est une très bonne question car j’ai cette conversation avec beaucoup de gens ces derniers temps ! (rires). Mon premier conseil est le suivant : ne suivez pas les tendances. Beaucoup d’entrepreneurs se lancent juste parce qu’ils trouvent ça «cool». Concentrez-vous plutôt à résoudre de vrais problèmes. D’ailleurs, vous n’avez pas forcément besoin d’inventer l’eau chaude. Il existe des domaines qui génèrent énormément de business et de revenus. Mais quand on y regarde de plus près, il y a beaucoup de choses à améliorer. Si vous améliorez l’existant avec l’aide de la technologie, vous apporterez bien plus de valeur à la communauté que si vous vous lancez dans un projet « tendance ». Ne vous laissez pas guider par les médias, qui très souvent « glamourisent » l’entrepreneuriat. Laissez-vous guider par le marché. Si vous l’étudiez suffisamment, vous comprendrez ses besoins. Mon second conseil, vous avez déjà dû l’entendre plusieurs fois : n’abandonnez jamais. N’ayez pas peur de vous lancer. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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CARRIÈRE - NIGERIA

JASON NJOKU « LA PARFAITE CONNAISSANCE DU MARCHE ET L’USAGE DES OUTILS LOCAUX SONT LES MOYENS LES PLUS EFFICACES POUR DEVELOPPER CE CONTINENT » Interview par Joan Yombo Photos par IROKO/ROK Tout fan de Nollywood qui se respecte connaît et consomme IROKOtv, l’une des premières plateformes de distribution de contenus africains en ligne, spécialisée dans la distribution des contenus nigérians. Jason Njoku, à sa tête, va révolutionner le marché du divertissement nigérian en 2011 avec une idée simple : mettre en ligne des contenus Nollywood qu’il est à l’époque difficile de trouver (notamment pour la diaspora), car uniquement distribués en CD au Nigéria. Le succès est immédiat. En 2012, la compagnie enregistrait déjà plus de 500 000 abonnés au compteur. Après le succès auprès de la diaspora, Jason Njoku installe l’activité en Afrique avec une stratégie simple : s’adapter le plus possible aux usages et aux réalités du marché. Ainsi en 2015, IROKOtv passe de plateforme web à application mobile. L’année d’après, l’entreprise s’associe à CANAL+ pour lancer IROKO+, le pendant francophone de IROKOtv, exclusivement sur mobile et en français. IROKOtv, c’est une croissance de 78% entre début 2017 et début 2018, et une projection de +150% de nouveaux abonnés d’ici la fin de l’année. Preuve que les gens se sont accommodés à regarder le cinéma et la télévision sur mobile, ce qui n’aurait pas forcément été une évidence il y a 10 ans. Avec IROKO, maison mère de IROKOtv, Jason Njoku est présent dans la filière divertissement d’amont en aval : il crée, produit, édite et distribue du contenu nigérian à destination de l’Afrique et de sa diaspora. La boucle est bouclée ! Vous avez échoué 11 fois avant le succès de IROKOTV. Comment on reste motivé après tout ça ? J’ai passé les 5 premières années de ma carrière à échouer tout ce que j’entreprenais. Je suis juste parti du principe que je ne pouvais pas faire pire. Je savais aussi au fond de moi que j’étais incapable de travailler pour quelqu’un d’autre. Pour finir, j’ai toujours été un bosseur. Sans prétention, je ne connais personne dans mon entourage qui ait mis autant de détermination et de hargne que moi à entreprendre. J’étais obligé de continuer, et de redoubler d’efforts. Vous avez été très controversé, notamment concernant vos différents avec certains « anciens » de l’industrie. Comment avez-vous réussi à gérer cela ? Je ne connais pas un seuI entrepreneur ou homme d’affaires qui soit parti de rien et qui ait réussi sans avoir fait face, à un moment donné de sa carrière, à de violentes critiques. En affaires, il est impossible de prendre la bonne décision tous les jours, à tout moment.

respectables vers qui je me tourne quand j’ai besoin de conseils. J’apprécie leurs points de vue et leurs inputs, même si parfois ils me disent ce que je n’ai pas envie d’entendre. Vous êtes très transparent sur les réalités de l’entrepreneuriat et vous partagez régulièrement les difficultés que vous traversez. Toutefois, quelle est votre plus grosse victoire ? En toute sincérité, ma famille est ma plus grosse victoire. Ma femme, Mary Njoku m’a soutenu à travers chaque difficulté, chaque challenge. Elle dirige ROK Studios, la société de production de IROKO, une des plus visibles sur le continent aujourd’hui. Nous avons 3 enfants adorables, intelligents et drôles. Notre succès vient du fait d’avoir construit une famille qui est aussi une business unit efficace. Nous aimons ce que nous faisons, nous croyons en nos capacités, nous adorons nos enfants, et nous avons la chance d’avoir toutes ces grâces en même temps.

Quand nous lancions IROKOtv, nous n’avions pas d’exemples à suivre. Nous étions les premiers à digitaliser et à monétiser les contenus Nollywood. Cette position a été un avantage sur bien des aspects. Mais elle impliquait aussi qu’on ne pouvait pas apprendre des erreurs des autres. On a du faire ces erreurs nous-mêmes, et apprendre sur le tas. Et c’est l’une des choses qui nous différencie de la concurrence. Nous sommes prompts à tirer des enseignements de ce qui n’a pas marché et de nous en servir pour améliorer notre service. En ce qui concerne ma manière de gérer les controverses, elle est très simple : je n’y accorde pas d’importance et je me concentre sur ce que j’ai à faire. Je suis chanceux d’être entouré de mentors et d’entrepreneurs 26

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Kiosque IROKOtv


Jason Njoku annonce le lancement de la chaîne ROK on SKY

Vous avez dit dans une interview que pour réussir, il faut oublier sa vie sociale, ne pas avoir de distraction ni de petite amie. Comment avez-vous rencontré Mary ? Au travail. Littéralement. Je n’étais pas en train de socialiser. Je l’ai rencontré sur le plateau d’une production de film. J’étais encore très peu connu dans le milieu d’ailleurs.

veut dire que ce business peut marcher au Sénégal. Or c’est totalement faux. La parfaite connaissance du marché et l’usage des outils locaux sont les moyens les plus efficaces pour développer ce continent. Concernant les investisseurs africains, ils s’améliorent, mais nous avons besoin de voir plus de flux financiers et plus d’investissements. Nous les voulons plus présents dans l’écosystème de startups locales.

Comment trouver l’équilibre professionnel et personnel quand on travaille en couple ? Premièrement, nos rôles dans le groupe sont très différents, même si ils sont complémentaires, ce qui est nécessaire lorsqu’on dirige une compagnie multi-produits comme la nôtre. Concernant l’équilibre entre professionnel et personnel, j’avoue qu’en ce moment nous sommes très portés sur le professionnel car IROKO se construit encore, et nous mettons toute notre énergie à en faire l’entreprise qu’elle devrait être. Cela demande énormément de temps. Nous respectons chacun l’opinion de l’autre, et savons reconnaître quand nous sommes limités sur certains sujets. Je sais négocier des deals et travailler avec les équipes Tech pour améliorer le produit, mais je ne sais pas écrire un scénario ou régler la luminosité dans un studio photo. C’est plus du ressort de Mary. Quand les rôles sont clairs et définis, la relation de travail, même en couple, est plus fluide.

En dehors du Nigeria, quels est le top 5 des pays où l’on utilise le plus IROKO TV? Quelle stratégie marketing adoptez-vous dans ces pays ? Nos cinq pays phares sont le Nigeria, les USA, le Canada, le RoyaumeUni et le Ghana. Nous avons installés des Kiosques IROKOtv dans certaines grandes villes africaines : Lagos, Accra, Nairobi, etc. puisque ces villes représentent un marché important pour nous. Au-delà des classiques panneaux publicitaires dans les villes, notre stratégie marketing est finalement assez simple ; nous souhaitons nous adresser directement au plus grand nombre de consommateurs possible. Ces kiosques nous permettent donc de faire preuve de pédagogie avec les consommateurs en leur montrant comment télécharger et utiliser l’application, comment s’inscrire, comment sélectionner et regarder leurs films, avec la certitude qu’ils iront partager toute cette connaissance avec des fans de Nollywood dans leur entourage. Ils sont nos meilleurs ambassadeurs.

Dans un de vos billets de blog, vous exprimez l’idée selon laquelle les startups nigérianes locales ne sont pas logées à la même enseigne que les startups occidentales. Pensez-vous que les investisseurs étrangers veulent développer l’Afrique sans les africains ? Il y a-t-il assez d’investisseurs Africains ? Je ne dirais pas que les investisseurs étrangers veulent développer l’Afrique sans les africains. Je dirais plutôt qu’ils ne prennent pas le temps qu’il faut, ou ils ne font pas les efforts qu’il faut pour développer l’Afrique avec les africains. C’est une nuance. Les multinationales estiment qu’il faut simplement dupliquer sur l’Afrique les modèles occidentaux qui fonctionnent (en recrutant au passage des employées occidentaux), pour craquer le marché. Elles sont sur une logique selon laquelle si quelqu’un a lancé un business à succès en Espagne, ça

Où voyez-vous IROKOtv dans 10 ans ? Je veux que IROKOtv soit reconnu et utilisé dans l’Afrique entière. Nous avons accès à un contenu incroyable et nous produisons des films et séries de qualité, qui plaisent à nos fans, divertissent au-delà des frontières, s’améliorent avec le temps. Mais tout ça n’est vrai que sur nos marchés phares pour l’instant. Je souhaite ne voir que des pays Africains dans notre top 30 des pays qui consomment le plus, car il y a un vrai potentiel. Raconter des histoires africaines incroyables à la plus large audience, c’est possible !

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Recevez de l’argent depuis l’étranger rapidement et en toute sécurité

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INSPIR’ECO - AFRIQUE

COMMENT LES NOUVELLES TECHNOLOGIES IMPACTENT LE QUOTIDIEN DES AFRICAINS Par Chrys Nyetam C’est presque devenu une symphonie. Tout le monde parle des records battus par l’Afrique en termes de croissance ou de levée de fonds. Mais on oublie souvent qu’il est facile de battre des records lorsqu’on part de (presque) rien. Et si cette fois-ci, on analysait plutôt l’impact ? La digitalisation fait partie des nombreux records battus par le continent. Elle rend disponible à moindre coûts des services parfois hors de prix pour le commun des Africains. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), seulement 1 personne sur 10 aurait accès à une assurance maladie sur le continent. Cette statistique explique à elle seule la difficulté de l’accès aux soins médicaux que connaissent la majorité des Africains. La startup nigériane Kangpe, dont nous parlons dans ce numéro, est loin d’être la seule à avoir identifié ce problème. En Tanzanie, une autre start-up s’est donnée pour ambition de démocratiser l’accès aux soins médicaux à la population. Jamii Africa est une micro-assurance santé dont la cible principale est constituée de personnes exerçant dans le secteur informel, et donc non bancarisées pour la plupart. Il est possible d’assurer 1 à 4 personnes pour une durée de 3, 6 ou 12 mois et pour une somme allant de 7000 TSH (environ 1800 FCFA soit 3 €) pour une personne seule, à 127 000 TSH (environ 31 000 FCFA soit 47 €) pour 4 personnes. La souscription à la police d’assurance se fait par téléphone à travers M-Pesa, qu’on ne présente plus. Aujourd’hui Jamii compte plus de 20 000 utilisateurs et est partenaire avec 400 hôpitaux dans le pays en seulement 2 ans. La startup a récemment levé 750 000$ et souhaite impacter 720 000 personnes d’ici la fin de l’année 2018. Allons maintenant au Kenya. Depuis 1963, le pays ne produit que 2000 Mégawatt, puissance insuffisante pour satisfaire ses 48 millions de Kenyans. Afin d’atteindre ses objectifs de développement d’ici 2030, le pays doit produire 13 000 Mégawatt de plus. Strauss Energy est une start-up qui souhaite apporter sa contribution au développement de l’économie du pays en intégrant des panneaux photovoltaïques aux maisons. Ces panneaux vont capturer les rayons du soleil qu’ils vont ensuite transformer en énergie solaire capable d’alimenter tout un ménage. Le nombre de panneaux solaires intégrés à chaque foyer est définit en fonction de la taille du ménage et de sa consommation énergétique. En plus de contribuer à résoudre le problème énergétique du pays, Strauss Energy propose une solution non polluante à la production d’énergie. L’impact sur le panier des ménages est non-négligeable : 30% d’économie sur la consommation en électricité, et une rentabilité de 30% sur l’investissement fait sur la toiture qui abrite cette technologie.

du matériel/des biens. Quant aux investisseurs, il est possible pour eux de choisir sur quel type d’entreprise ils souhaitent investir. Ovamba a réalisé plus de 16 000 transactions sur sa plateforme et les investisseurs ont un retour sur investissement de 15.5% en moyenne. L’impact est direct sur des petites et moyennes entreprises locales qui peuvent ainsi bénéficier d’une rapidité d’accès au matériel, et ainsi accélérer leur développement. Que l’on parle d’InsurTech dans le cas de Jamii Africa, de CleanTech dans le cas de Strauss Energy ou même de FinTech dans le cas d’Ovamba, il parait évident que les solutions aux manquements que connait l’Afrique peuvent être trouvées si on y met un peu d’innovation technologique. L’Agence Française de développement l’a d’ailleurs bien compris et a annoncé le lancement de Digital Africa, qui se veut être un écosystème fédérant les acteurs importants du numérique. Et c’est le chaînon manquant. La réplication de ces trois initiatives à travers le continent permettrait de changer la vie de plusieurs millions de personnes. En travaillant ensemble, les africains n’entendraient plus seulement parler de croissance, ils pourraient en être acteurs, avoir plus d’impact sur les conditions de vie du plus grand nombre, pour ensuite aspirer à une industrialisation certaine.

Enfin partons de l’autre côté du continent, au Cameroun. Comme plusieurs entrepreneurs dans le monde, les entrepreneurs camerounais font face à des difficultés de financement, notamment lors du démarrage de leurs activités. Au même moment, il existe une diaspora qui souhaite investir sur les entrepreneurs du continent. Dans le but de satisfaire tout le monde, la plateforme Ovamba a été lancée il y a maintenant 3 ans. Sur cette plateforme, les entrepreneurs qui ont besoin d’un nouveau matériel remplisse un formulaire en ligne où il leur est demandé de décrire leur activité et d’exprimer leur besoin. Sur la base de ces réponses, le risque sera ainsi déterminé et sous 3 à 5 jours, l’entrepreneur recevra une réponse (favorable ou défavorable) à sa demande. Si celle-ci est favorable, Ovamba s’occupe de l’achat INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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LES PENSÉES DE... - SENEGAL

BITHILOKHO NDIAYE, CONSEILLÈRE TECHNIQUE AU MINPOSTEL SENEGAL Interview par Joan Yombo Photo par Moussa Owens Ndiaye pour Inspire Afrika Conseillère technique sur les questions du genre au Ministère des Postes et Telecom du Sénégal, Bithilokho Ndiaye œuvre pour accompagner et conduire la politique du genre dans les différents secteurs de la communication, des télécoms et du numérique. En 13 ans d’administration sénégalaise, elle a occupé deux postes majeurs : chef de service adjoint au Ministère des relations avec les institutions (service des relations avec le parlement), puis Directrice de la communication au Ministère de l’Information. Elle est également Présidente de l’association FESTIC (Femmes Sénégalaise dans les TIC) qui a pour but de mettre le numérique au centre du développement socio-économique des femmes. Nous avons justement échangé autour des femmes et du numérique au Sénégal. Quelles actions concrètes menez-vous pour la démocratisation des TIC auprès des femmes du Sénégal ? Depuis 2013, je pilote un projet dénommé genre et TIC, qui a pour objectif de réduire la fracture numérique du genre, intégrer le genre dans les programmes du secteur TIC et renforcer la présence des femmes au niveau des postes de responsabilité. Ce projet a reçu un financement de l’État, des partenaires publics, mais aussi du secteur privé. Nous déroulons nos activités autour de la formation des femmes dans le domaine du numérique, l’équipement en termes d’ordinateurs, et la formation en entrepreneuriat numérique. Nous encourageons également les femmes à se mettre en réseau. Depuis qu’on a commencé, on a vu que l’investissement de l’État sur les projets liés à la facture du genre dans le domaine du numérique a augmenté. Nous avons également reçu le prix international Remtech Awards remis par ONU Femmes et l’Union Internationale des Télécommunications à notre ministère, comme disposant de la meilleure stratégie gouvernementale d’intégration du genre dans le secteur des TIC, tenant compte de l’autonomisation des femmes par le numérique. Les clichés ont la vie dure… Peut-on dire que les femmes sont moins intéressées par les Tech que les hommes ? Selon l’expérience que j’ai, les femmes sont tout autant intéressées par la Tech que les hommes. Tout est question d’accès à la connaissance. Si elles ont l’enseignement, l’équipement et les compétences adéquates, elles y portent autant d’intérêt. La barrière quand elle existe, est uniquement liée aux ressources et à la connaissance. Nous avons organisé de nombreux concours Tech. Les filles ont été les plus promptes à proposer des solutions numériques adaptées à des problèmes précis qu’elles rencontrent au quotidien. On observe lors des formations que l’on donne, que les petites filles qu’on initie au codage sont très enthousiasmées par cette matière. Qu’est ce qui explique donc selon vous la faible présence des femmes africaines dans les Tech ? La raison principale, est celle que je viens de mentionner : le faible accès à la connaissance technologique. Cela s’explique parce que en termes d’éducation en général, les femmes sont historiquement en retard. Notre société a toujours cantonné la femme a un rôle exclusivement familial, lui empêchant ainsi l’accès aux études. Les garçons 30

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étaient envoyés à l’école, les filles restaient à la maison. Celles qui réussissaient à démarrer des études ne restaient pas longtemps à l’école. Une fois enceintes, il fallait tout abandonner pour s’occuper des enfants et des charges de la maison. Tous ces éléments ont participé au retard global qu’on observe aujourd’hui. sMais il faut nuancer en disant que la technologie permet également l’inclusion des personnes illettrées. Regardez WhatsApp par exemple. Qu’on soit instruit ou pas, on est capable d’utiliser l’outil. En effet, 67% de la population analphabète du Sénégal est féminine. En dehors de l’exemple de WhatsApp, cela reste quand même un obstacle majeur à la présence des femmes dans les Tech non ? Tout à fait. Nous nous sommes rendus compte que les femmes qui ont préalablement eu accès à l’éducation n’ont pas de problèmes particulier à accéder à la technologie. Le problème se pose vraiment au niveau des femmes analphabètes. Notre stratégie pour cela a été de nous servir de la technologie pour alphabétiser les femmes. Nous mettons en place des programmes sur diverses plateformes qui les accompagnent dans un premier temps à l’alphabétisation, ensuite à l’éducation numérique économique. Le but au final, est de pouvoir en faire des acteurs économiques. En quoi la forte présence des femmes dans le domaine numérique est-elle un enjeu économique majeur ? Les femmes représentent 51% de la population au Sénégal. Si on leur permet de mieux utiliser internet comme un outil économique, cela aura une incidence économique. Je pense notamment à une grande partie de ces femmes artisanes ou qui produisent de la valeur dans des contrées éloignées du pays. Le numérique serait un moyen efficace de leur permettre de toucher plus de clients, et ainsi d’augmenter leurs chiffres d’affaire, ce qui aurait un impact dans l’économie globale. Le Sénégal est classé parmi les pays dont la contribution d’internet au PIB est la plus importante au monde. Nous avons cette position parce qu’il y’a une vraie économie de l’internet qui se crée au Sénégal, et il faut y inclure les femmes.


Comment est-ce que les hommes peuvent accompagner la transformation numérique féminine ? Quel serait leur rôle ? Je pense que le rôle des hommes est déterminant. En tant que décideurs, ils peuvent accompagner la question de l’égalité numérique par le renforcement des investissements financiers. Ils peuvent aussi intervenir en militant pour que les femmes accèdent à des postes de responsabilité. D’un point de vue stratégique, ils peuvent aussi être des mentors et accompagner les jeunes filles à s’approprier le numérique notamment dans le domaine de l’entrepreneuriat. Pour finir, les maris doivent avoir un rôle de partenaire et de soutien, en créant au sein de leur famille un cadre propice à l’évolution de la carrière de leurs épouses.

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4 QUESTIONS A - SENEGAL

OMAR CISSE, CEO INTOUCH Interview par Chrys Nyetam Photos par Da Silvio Bizenga pour Inspire Afrika

La quarantaine, souriant, Omar Cissé et son équipe ont réalisé le rêve de plusieurs start-ups africaines : nouer des partenariats avec des multinationales. Grâce à la solution InTouch, il est désormais possible pour les clients du pétrolier Total de payer autrement qu’en liquide ou en bons de carburant. Au Sénégal, plus de 20% des clients réguliers ont déjà adopté cet outil. De manière générale, plus de 40 000 transactions transitent sur cette plateforme. Nous avons voulu savoir quel était le secret de cet entrepreneur, pur produit de la Teranga. Inspire Afrika Magazine : Plusieurs multinationales telles que Total et Worldline (filiale du groupe Atos) sont entrées au capital du groupe lnTouch. Qu’est-ce que vous avez fait de plus que les autres Start-ups ? Omar Cissé : Je pense que

nous avons apporté une réponse à un besoin qui était présent sur le marché. Travailler avec un grand groupe comme Total n’est pas quelque chose de facile. Pour nouer ce type de partenariat, il faut être patient et accepter de jouer le jeu jusqu’au bout. Dans notre cas par exemple, quand nous avons présenté la solution Touch Pay, elle n’était pas prête, mais nous leur avons montré que nous avions les compétences pour leur apporter en très peu de temps, ce dont ils avaient besoin. Nous avons respecté tous nos engagements, notamment en termes de délai de livraison. Nous avons su gérer la pression et faire face à toutes les procédures d’audit et de contrôle. Pour réaliser tout cela nous avons mis en place une équipe structurée, et qui tenait la route.

I.AM : Parlons de votre équipe ! Elle est composée de personnes ayant travaillé à l’étranger et ayant une grande expertise dans le domaine technologique. Est-il difficile de trouver la ressource humaine localement ?

Omar : La ressource humaine existe localement. Le Sénégal a la chance d’être un pays reconnu pour sa formation académique en Afrique. Nous recevons beaucoup d’étudiants qui viennent se former ici et qui ne rentrent pas forcément chez eux. Nous pouvons donc travailler avec ces talents locaux. De nos jours, nous avons aussi beaucoup d’Africains qui travaillent en Occident mais qui cherchent à avoir un impact en Afrique. Pour ce faire, ils cherchent des entreprises innovantes ayant un potentiel de développement important et pouvant leur offrir de réelles perspectives d’évolution de carrière. InTouch est dans une phase qui lui permet d’attirer ce type de talents là et de travailler avec tous les Africains compétents.

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I.A.M : Pourquoi est-il important de collaborer avec une entreprise telle que Total ?

Omar : Collaborer avec un grand groupe comme Total nous a permis de gagner en crédibilité. Plusieurs partenaires se sont dit « s’ils ont réussi à travailler avec un grand groupe comme Total, alors ils ont fait leurs preuves ». Conséquence, d’autres entreprises se sont intéressées à nous. Un partenariat comme celui-là réhausse aussi les standards de travail d’une start-up comme la nôtre. Nous mettons plus d’accent sur nos process, sur la sécurité, sur l’efficacité opérationnelle. Il faut passer plusieurs tests, mais à la fin, nous arrivons à avoir un produit qui répond à des normes internationales. L’autre avantage d’un partenariat comme celui-là est qu’il pousse l’entrepreneur à voir beaucoup plus grand. Dans le cas de Total, notre partenariat n’a de sens que s’ils arrivent à dupliquer la solution dans plusieurs pays Africains. On y gagne beaucoup plus qu’on y perd.

I.A.M : Quel est l’enjeu majeur de la FinTech en Afrique aujourd’hui ?

Omar : Un des enjeux majeurs de la FinTech aujourd’hui est la régulation. Une fois que ça touche à la finance c’est réglementé, mais malheureusement les nouveaux modèles ou les modèles alternatifs ne sont pas toujours pris en compte. Nous subissons les réglementations des banques centrales qui n’ont pas intégré qu’il y a de plus en plus d’innovations dans la gestion des flux financiers. Forcément, ça crée un peu d’incertitude dans notre domaine. On se demande comment tout cela va évoluer, comment nous allons être accompagnés et comment la régulation technologique va s’articuler avec la réglementation financière, sachant que ces deux domaines se rapprochent de plus en plus.


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FOCULTURE - AFRIQUE

LA TONTINE EN AFRIQUE DU VILLAGE AU MOBILE Par Marie Simone Ngane

Dans son sens premier, la tontine est une convention conclue entre plusieurs personnes qui achètent un bien en commun. Celui-ci revient au survivant après le décès des autres acquéreurs. En Français d’Afrique, la tontine a un tout autre sens. C’est une association de personnes qui se retrouvent à des périodes d’intervalles régulières pour mettre en commun leur épargne. Chaque participant reçoit donc à son tour, une épargne. Les tours sont décidés selon les besoins de chacun et sont possiblement interchangeables. Les premiers écrits concernant les tontines datent de 1952. Cependant, au XIXe siècle, on pratiquait déjà l’esusu, une forme de tontine, au Nigéria. Les musulmans yorubas se réunissaient pour épargner. En effet, la tontine a cela de particulier que sa base est le lien social. On fait une tontine avec sa famille, ses amis, sa tribu, ses collègues, etc. La confiance est importante car on épargne les uns pour les autres et celui qui omet de cotiser peut se voir exclu du groupe. Les tontines ont vu le jour en Afrique, avant l’apparition de la monnaie. A l’époque, on s’échangeait des services. Ainsi, on pouvait pendant une période construire la case de l’un, pendant une autre, aider un congénère à organiser une fête pour la venue d’un enfant, ainsi de suite. En Asie également, la pratique est ancienne et courante. Dès le XIVe siècle, des petits groupes se réunissaient au Japon pour le « kou » qui ressemblait fortement à une tontine. Le mot « tontine » vient du nom du banquier italien Tonti qui avait suggéré à Mazarin d’utiliser une nouvelle forme d’emprunt pour renflouer les caisses de l’état. La tontine est aujourd’hui présente dans tous les pays d’Afrique. On l’appelle Dashi au Mali, Likelemba en RCA, Djangui au Cameroun, Obilimba au Kenya ou encore Stokfel en Afrique du Sud. Son rôle est avant tout social. Il n’est pas rare que dans des pays étrangers, les ressortissants d’un même pays africain se réunissent pour des tontines. C’est une technique qui a fait ses preuves pour l’épargne. Si les premiers à 34

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remporter la mise doivent ensuite en quelque sorte rembourser un crédit, les autres versent une somme à période régulière qu’ils récupèreront à un moment opportun pour réaliser des projets. C’est une caisse de prévoyance que l’on peut débloquer en cas d’événement heureux ou malheureux (mariage, naissance, décès…). De plus en plus d’adhérents aux tontines se réunissent dans des groupes Facebook et WhatsApp et organisent les paiements par mobile money ou PayPal, mettant ainsi de côté la traditionnelle réunion. La tontine garde son côté social, car on intègre rarement une tontine sans avoir été recommandé. Cependant, les groupes sociaux sont de plus en plus larges et le problème de confiance se pose peu à peu. Tonteo, i-Djangui, squirroo, natebi, tontinek, etc, nombreuses sont les applications africaines pour gérer les tontines en ligne. Elles offrent des forums de chat, des rappels, la possibilité de faire des versements, le tout de manière sécurisée. Les faibles taux de bancarisation en Afrique sont la preuve de l’échec de la banque classique. Les coopératives d’épargne et certains micro-crédits reprennent d’ores et déjà les principes de la tontine. Si les applications ont surtout du succès auprès de la diaspora, comme beaucoup de domaines en Afrique, la tontine se digitalise. L’avènement du mobile money a changé l’habitude des africains. Il est plus facile et surtout traçable d’envoyer de l’argent via mobile. Il n’existe pas réellement de cadres légaux pour les tontines, le flou autour de la législation du mobile money permet de perpétuer cette épargne informelle que beaucoup préfèrent à la banque. Avec les applications et les évolutions de la loi, les tontines vont peu à peu sortir de l’informel, leur enlevant ainsi cette grande différence avec la banque.


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LE CHOIX DES LECTEURS - MAROC

MR. MOULAY HAFID ELALAMY « Il n’y a pas d’émergence individuelle, il n’y a que de la co-émergence » Propos recueillis par Jules Hervé Yimeumi Photo par Royaume du Maroc Co-organisé par Publicis Groupe et le Groupe Les Echos, Viva Technology (ou encore VivaTech) est le rendez-vous mondial des startups et de l’innovation. Cet événement international se tient chaque année à Paris. Parmi les pays Africains qui ont brillé par leur présence, on compte le Maroc, actuellement en pleine transformation numérique. Nous avons eu le plaisir de poser 3 questions à Mr. Moulay Hafid ELALAMY, Ministre de l’industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique. Monsieur le Ministre, peut-on connaître le sens de la participation du Maroc à Vivatech ? C’est un salon qui est devenu important, qui a une place au niveau international et qui va concurrencer dans les prochaines années le Consumer Electronic Show de Las Vegas. Maurice Levy, qui en est le président, a fait un travail remarquable avec ses équipes. Le Maroc a une vraie volonté de développer le numérique aujourd’hui. Sa majesté le Roi Mohammed 6 souhaite que notre Royaume intègre le monde digital tout en entrainant dans son sillage l’ensemble des pays frères qui souhaitent utiliser le Maroc et ses compétences pour émerger à leur tour. C’est la raison pour laquelle le stand du Maroc a été mis à disposition dans un premier temps cette année aux startuppeurs marocains, et dans un second temps l’année prochaine à l’ensemble des startuppeurs Africains. Ils sont chez eux sur notre stand, qu’ils viennent collaborer avec nous.

Le Maroc est perçu comme un hub Africain, notamment dans les domaines aériens et industriels. Qu’en est-il du numérique aujourd’hui ? Le Maroc fait partie des 10 pays Africains en avance en ce qui concerne le digital. On pourrait faire mieux. Mais l’objectif ce n’est pas d’être premier ou dernier, c’est de pouvoir ensemble utiliser le digital pour faire émerger nos pays. De même que l’avènement du mobile a changé les usages dans nos pays, et changé la vie de millions d’africains, la digitalisation du continent permettra aussi de gagner énormément de temps en termes de développement. Nous allons donc nous y attacher et entrainer avec nous tous nos frères Africains qui sont engagés dans la même dynamique. Certains d’entre eux sont en avance sur certains domaines, nous le sommes sur d’autres. Eh bien, mettons-nous ensemble, et partageons afin de permettre à l’Afrique d’aller plus haut. Sa majesté le Roi disait lors de sa dernière visite en Afrique « Il faut que le Sud fasse confiance au Sud ». C’est l’attitude à avoir.

L’agence du développement du digital (ADD) a été créée tout récemment. Quel est le contenu de l’ADD et quels sont les objectifs de cette agence ? En effet nous avons créé l’ADD cette année. Elle a plusieurs axes de développement dont voici les principaux. Premièrement, la mise en place de la stratégie de l’État en matière de développement du digital. Dans ce cadre, nous allons déployer les programmes e-gov, ayant pour vocation d’améliorer le service rendu aux citoyens par l’utilisation du web. Nous avons énormément de services qui ont été développés sur le terrain, mais n’ont pas tous été mis à la disposition du citoyen au niveau souhaité. Nous y travaillons. Le deuxième axe est celui de la formation, mais surtout de l’accompagnement de tous les acteurs du développement : grands groupes, SSII, startups, et toutes les structures qui ont besoin d’avoir du digital dans leur activité pour améliorer leur productivité ou leur capacité commerciale. L’ADD se doit d’être une plateforme ouverte sur l’ensemble du continent Africain, afin de permettre aux talents africains d’émerger. Nous pensons profondément qu’il n’y a pas d’émergence individuelle. Il n’y a que de la co-émergence. Nous avons envie de travailler avec d’autres pays Africains sur ce sujet. Nous espérons que cela donnera des résultats.

L’Afrique doit faire confiance à l’Afrique.

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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

Nous avons des talents énormes dans notre jeunesse, mettons les en valeur, aidons les à émerger.


LE BAR A LECTURE

TOUT SUR LES CHRONIQUES AFRICAINES SUR FACEBOOK Par Marie Simone NGANE

©Saitrag

Akissi, Les Chroniques de Myss, Les péripéties de Louise, Rubis, Les Histoires d’Aimée, La Vie Trépidante de Noëlla et Les Siens… En 2013, elles sont nombreuses (ce sont très souvent des femmes) à écrire sur Facebook. Gabonaises, Congolaises, Ivoiriennes, ou Sénégalaises, elles racontent des histoires fictives ou non, des histoires dans lesquelles des africaines se reconnaissent parce que ça aurait pu arriver dans leur environnement. Un nouveau type de littérature aux allures de série télévisée. Des chapitres délivrés au compte-goutte selon l’emploi du temps de la chroniqueuse. Des lectrices fidèles attendant les nouveaux « épisodes » comme on attend aujourd’hui le nouvel épisode de Game of Thrones. Les chroniques Facebook sont écrites par des passionnés de lecture, qui se cachent derrière des pseudos la plupart du temps. La particularité de ces écrivains en herbe est qu’ils relatent des histoires du quotidien. Aucune restriction dans l’écriture, des scènes parfois osées, des incursions dans les milieux occultes, des histoires d’amour passionnelles, beaucoup de leçons de vie. Certaines de ces pages comptent plus de 10.000 abonnés qui lisent gratuitement les feuilletons et commentent de manière quasi instantanée. Les chroniqueurs vivent de cette communauté qui les encourage. Des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, le public des chroniques est vaste. Ce phénomène a cependant connu ses difficultés. L’impossibilité de régir les droits d’auteurs pour de telles œuvres est vite devenue un frein pour les écrivains en herbe qui voyaient très souvent leurs chapitres plagiés et partagés sur d’autres plateformes. La politique de gestion des pages Facebook a limité le nombre de personnes qui voyaient ces chroniques apparaître sur leur fil d’actualité. Des plateformes indépendantes comme Muswada ou Sunubiir sont apparues pour permettre aux chroniqueurs de partager gratuitement ou non les œuvres de leur esprit. Surfant sur la popularité des e-books, la startup Kusoma Group se donne pour mission d’éditer et de publier les histoires africaines en format papier ou numérique pour les distribuer au monde entier.

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LE BAR A LECTURE

La rédaction vous offre une petite sélection d’œuvres, dédiées aux amoureux de lectures africaines.

Vaudace tome II, Leila Marmelade, 2017 (Kusoma Group) Leila Marmelade est une chroniqueuse gabonaise qui raconte les histoires de femmes fortes. Vaudace en est une. Comment ça vous n’avez pas lu le tome I ? Dans le tome I qui a été publié sur Facebook avant d’être édité par Kusoma, l’héroïne se bat pour atteindre ses rêves tout en rencontrant l’homme de sa vie. Dans le tome II, tout est remis en question et Vaudace se lance dans une enquête. Leila Marmelade, c’est beaucoup de « woman empowerment1 », des romances qui ne finissent pas toujours bien, et depuis peu, un amour pour les romans policiers. Leila a un site internet où vous pouvez retrouver toutes ces histoires. 1

Émancipation de la femme

Une réponse du ciel de Dschang, Sandra B, 2015 (Amazon) Une histoire d’amour dans une ville de l’Ouest Cameroun. Un français teinté d’expressions locales camerounaises. Sandra B. écrit les Chroniques d’une rencontre dangereuse sur Facebook. Elle se fait appeler affectueusement Chrochro par ses lecteurs et organisent des séances dédicaces. Elle s’auto-publie en version papier et PDF.

Monsieur le président, Rebbeil, 2016 (Wattpad) Les coulisses de la vie d’un président. Vous êtes-vous déjà demandés qui étaient en privé ces hommes qui dirigent et parfois terrorisent tout un peuple ? Rebbeil nous emmène dans les coulisses.

Dans le ventre de la nuit, Alban Afène, 2017 (Amazon) Au cœur de la bourgeoisie gabonaise, on découvre les liens très souvent compliqués entre modernité et tradition. Dans le milieu de l’occulte, dans le ventre de la nuit, rien n’est pareil. Sceptiques et peureux, s’abstenir.

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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018


INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - DÉCEMBRE 2018

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L’AFRIQUE, UN CONTINENT QUI SE RÉINVENTE

L’INNOVATION AU CŒUR DE NOTRE STRATÉGIE POUR MIEUX VOUS ACCOMPAGNER !

DIGITALISATION - INCLUSION FINANCIÈRE OPEN INNOVATION - AGILITÉ - CO-CONSTRUCTION

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2017 Société Générale, S.A. au capital de 1 009 897 173, 75 € - 552 120 222 RCS PARIS, Siège social : 29, bd Haussmann, 75009 PARIS. © David Dang – FRED & FARID Paris

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