#19 - Repats Africains

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#19 - Septembre/Décembre 2017

REPATS* AFRICAINS 8 raisons de rentrer... Ou pas !

KARIM SY Bâtisseur de communautés *Se dit de l’Africain qui rentre sur le continent après avoir vécu plus ou moins longtemps à l’étranger INSPIRE AFRIKA MAGAZINEwww.inspireafrika.com / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017 1


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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017


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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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ICI LONDRES

MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017 4 INSPIRE AFRIKA L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


SOMMAIRE

8. INSPIR’NEWS

12. COUP DE COEUR VOYAGE SUCRÉ LE LONG DE L’OGOOUÉ

10. TENDANCES

6. ÉDITO

KENYA : NOUVELLE TERRE D’ACCUEIL DES RETURNEES ?

23. OSER INSPIRER

MALLENCE BART WILLIAMS

15.

INSPIR’INTERVIEW KARIM SY

20. INSPIR’ASSOCIATION JEAN-PATRICK EHOUMAN, AU SERVICE DU WEB

34. INSPIR’ECO

MISER SUR LES RESSOURCES HUMAINES

36.

27. INSPIR’START-UP BENDJIN KPEGLO

31. CARRIÈRE AFUA HIRSCH

38. FOCULTURE SAVEZ-VOUS NOUER VOTRE FOULARD ?

40. 4 QUESTIONS À PENDA DIOP CISSE, CRÉATRICE DU COLAB

LES PENSÉES DE ALAIN YAV

43. LE BAR A LECTURE ORGUEIL ET PREJUGÉS INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE - Edition #19 Juin - Septembre 2017

LA REDACTION RÉDACTRICE EN CHEF JOAN YOMBO

LA FAMEUSE QUESTION DU RETOUR ... Qui n’a pas vu cette une du magazine The Economist, qui qualifiait l’Afrique de « continent du désespoir » dans les années 2000 ? Les choses ont bien changé depuis. Elles ont tellement changé que les Africains qui immigraient en Europe depuis des décennies à la recherche d’une vie meilleure, repartent sur le continent pour les mêmes raisons. La belle ironie.

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On les appelle returnees, repats ou repatriés, (en opposition à expatriés). Ils font de plus en plus parler d’eux, suscitent de l’intérêt, soulèvent des questions, parfois des polémiques. Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Dans « Un billet d’avion pour l’Afrique », l’auteure Maya Angelou racontait déjà son expérience de repat dans les années 60, et la difficile adaptation aux réalités locales. Elle finira par rentrer aux USA. Aujourd’hui, les success stories de repats sont célébrées. On nous exhorte à rentrer sur le continent afin de contribuer à son développement.

1 conférence sur 2 concernant le retour se destine à nous fournir les étapes clés d’un retour réussi. La question devient de plus en plus politique. Des pays comme le Nigeria, le Rwanda, ou la Côte d’Ivoire mettent en place des programmes d’accompagnement pour aider la diaspora à rentrer « à la maison ». Les repats qui « réussissent » contribuent à leur manière, à changer positivement le regard porté sur le continent. Dans tout cet enthousiasme, on oublie parfois de rappeler que bon nombre de returnees reviennent en Occident, la queue entre les jambes. Le continent est une mine d’opportunités, où les défis restent nombreux. La réalité, au-delà des articles de blogs et des photos sur Instagram et Facebook, c’est qu’il faut s’accrocher. Dans ce numéro, nos invités vous expliqueront pourquoi ils sont rentrés en Afrique. Mais ils vous raconteront aussi sans langue de bois les difficultés qu’ils affrontent au quotidien, comment et surtout pourquoi ils tiennent. Leurs retours d’expériences vous aideront peut-être à y voir plus clair si vous envisagez un retour sur le continent, mais retenez qu’il n’y a pas de recette miracle. Au final, le retour reste une question intimement personnelle, liée à beaucoup trop de paramètres aléatoires pour qu’on puisse établir un « guide du retour réussi » : le background académique et professionnel, le secteur d’activité et le pays visé, le seuil de tolérance, la capacité de résilience, le nombre d’années passées préalablement sur le continent, la capacité d’adaptation, le contexte familial et émotionnel, et j’en passe. Une chose est sûre, pour réussir (ou pas) son retour, « il faut d’abord aller au front et confirmer le code »1 comme on dit chez moi. Bonne lecture !

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Il faut aller sur le terrain et affronter les réalités, afin de les déceler et de les comprendre

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

RÉDACTRICE CULTURE MARIE SIMONE NGANE TRADUCTIONS ANITA BAKAL HECTOR KAMDEM ISABELLA MUMA SOLENNE KAMBA RELECTURE ISABELLA MUMA SOILA KENYA GRAPHISME VINCENTE FATTACCINI ILLUSTRATIONS MADIOR SOW OUKARA

PARTENARIATS AFRIQUE HYACINTHE ISSOMBO AMÉRIQUE ANITA BAKAL EUROPE FRANCESCA NGAHANE

ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO Ussi’n Yala – Photographe Francesca Ngahane – Le Bar à Lecture Isabella Muma – Inspir’Eco

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE EST ÉDITÉ PAR ANINKA MEDIA GROUP DIRECTRICE GÉNÉRALE CHRYS NYETAM DIRECTRICE DE PUBLICATION JOAN YOMBO RESPONSABLE COMMERCIAL ANITA BAKAL RESPONSABLE JURIDIQUE IVAN NYETAM Couverture : Karim Sy, Fondateur de Jokkolabs Crédits photos : Ussi’n Yala Publicité: Dju’Events / 06 83 61 87 82 Les photos non créditées proviennent de Google Images et ne sont en aucun cas la propriété d’Inspire Afrika Magazine.

Rédactrice en chef 6

RÉDACTRICE EN CHEF - ANGLAIS CHRYS NYETAM

Tout droits de reproduction réservés pour tous pays. Reproduction interdite pour tous les articles sauf accord écrit de la Rédaction.


REPATS : CES AFRICAINS QUI RENTRENT SUR LE CONTINENT DES PROFILS JEUNES ET QUALIFIÉS 38%

22%

+9ans

32,3

des repats travaillent pour l’administration publique

des repats sont des cadres supérieurs

est l’âge moyen des repats

passés hors d’Afrique

DES SECTEURS D’ACTIVITÉS PLÉBISCITÉS Télécom & IT

Marketing & Communication

Banque et Finance

14%

21%

19% Repats

DISPARITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES

58,28%

des hommes connaissent une augmentation salariale

2731$/mois Salaire moyen des hommes

39,45%

des femmes connaissent une augmentation salariale

2480$/mois Salaire moyen des femmes

Ces données sont issues de notre sondage « Qui sont les repats africains ?»

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INSPIR’NEWS

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Kiro’o REBUNTU CAMEROUN Après avoir créé le premier studio de jeux vidéo Camerounais, Olivier Madiba veut relever un nouveau challenge : Aider les entrepreneurs Camerounais à trouver des financements. A travers cette initiative, cet entrepreneur qui a réussi à lever 13 millions de FCFA souhaite créer un écosystème local d’entrepreneurs capables de saisir les opportunités d’investissement et de développement international. Un mentoring en ligne est disponible. Rejoignez le mouvement !

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Africa France : Première promo de Young Leaders Dans le but d’identifier, de réunir et de valoriser les hauts potentiels Africains et Français, la fondation Africa France et l’Agence Française de Développement lancent la première promotion des « Young Leaders Africa France ». 20 Jeunes leaders Africains et Français dont la moyenne d’âge va de 27 à 32 ans ont été sélectionnés le 24 Avril dernier afin de promouvoir une croissance partagée. 12 pays sont ainsi représentés et 8 femmes africaines participeront à cette aventure qui vise à accompagner des leaders dans la mise en œuvre de leurs projets.

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XL Africa, le nouvel incubateur de la Banque Mondiale Le groupe Banque Mondiale lance un programme d’accélération commerciale destiné aux TPE Africaines actrices du numérique. Le but est de donner plus de visibilité à la vingtaine de start-up sélectionnées tout en servant de point de rencontre entre les investisseurs et les porteurs de projets. Basé en Afrique du Sud dans la ville du CAP, XL Africa permettra de réunir des capitalisations allant de 250 000 à 1.5 millions de dollars.

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4 LE MEDEF lance l’AGYP Dans le but d’accélérer la croissance des jeunes actifs, le MEDEF lance l’AGYP (Active Growth and Young Programs). Les différents programmes de l’AGYP visent à aider les entrepreneurs Africains à créer et développer des réseaux avec les entreprises françaises et les diasporas, tout en suscitant des vocations. L’AGYP c’est également une plateforme d’échanges et de rencontres entre la jeunesse Africaine de France et les entreprises françaises. Envie de créer un réseau d’affaires solide ? Rejoignez l’AGYP.

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Laetitia Ky, le talent créatif à suivre de près CÔTE D’IVOIRE

A 21 ans, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, cette jeune ivoirienne a su séduire les internautes et les médias. Afropunk, féministe et bourrée de créativité, sa personnalité explosive ne passe pas inaperçue. Laetitia Ky s’inspire de tout, mais semble accorder une importance particulière aux cheveux afros : elle invente des nouvelles coiffures et les sculpte pour en faire des œuvres d’art. Un grain de folie assumé, qui a fait fondre la toile.

6 Mo Abudu a encore frappé ! La célèbre productrice Nigériane (Directrice de EbonyLife) revient cette saison avec Royal Hibiscus Hotel son dernier film, réalisé par Ishaka Bako. Royal Hibiscus Hotel c’est l’histoire d’une jeune Nigériane qui rêve de devenir chef à Londres et d’ouvrir son restaurant d’Afrofusion. Elle fini par rentrer au Nigéria avec pour ambition de redresser le restaurant de l’hôtel familial. Seule ombre au tableau, ses parents s’apprêtent à vendre l’hôtel à un séduisant jeune homme qu’elle a déjà rencontré quelque part … Le film a été bien reçu au Toronto Film Festival 2017 et sera bientôt sur les écrans.

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TENDANCES - KENYA

KENYA : NOUVELLE TERRE D’ACCUEIL DES REPATS ? Par Chrys-Eve Nyetam - @fatihadiamant

Dans les années 90, il était souvent question de la fuite des cerveaux Africains vers l’Occident. Aucun pays n’y échappait, qu’il s’appelle Cameroun, Sénégal, ou Ghana. Aujourd’hui, certains pays, à l’instar du Kenya, ont su se rendre plus attractifs que d’autres. Avec une population de plus de 46 millions d’habitants et un PIB par habitant de 1 377 $, ce pays d’Afrique de l’Est attire de plus en plus d’Africains. METTRE SES COMPÉTENCES AU SERVICE DU CONTINENT La dernière étude du cabinet de recrutement Robert Walters intitulé « Salary Survey » révèle que les entreprises ont de plus en plus de difficultés à trouver localement les compétences dont elles ont besoin. Cette même étude indique qu’en Afrique de l’Est particulièrement, ce manque de compétences pourrait être comblé par le recrutement important de personnes formées à l’étranger. Quentin RUKINGAMA l’a vite compris. Selon lui, « l’expérience que l’on acquiert en Occident est un actif qui se vend cher et qu’il faut savoir valoriser ». Titulaire d’un Master 2 en Finance d’entreprise de Skema Business School, ce Burundais a décidé de rentrer au Kenya en 2012 en rejoignant l’African Guarantee Fund en tant que Business Development Officer. A ce moment-là, le retour sur le continent n’était pas autant en vogue qu’aujourd’hui. Entre 2012 et 2017, beaucoup de choses ont évolué en Afrique et sur l’image que l’on a de celle-ci : « il y a de plus en plus de personnes qui rentrent et il y a toujours autant d’opportunités qu’avant. Cependant, je ne sais pas si ces opportunités seront encore présentes longtemps parce qu’il y a de nombreux investissements dans l’éducation et la formation de la population.» En effet, des institutions prestigieuses choisissent de former des Africains sur le continent. C’est le cas de Carnegie Mellon University, qui a récemment ouvert un campus à Kigali, la capitale du Rwanda. Quentin RUKINGAMA

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UNE MEILLEURE QUALITÉ DE VIE Comme Quentin, Divine MURAGIJIMANA a choisi de rentrer au Kenya. Après avoir quitté le Burundi, puis le Kenya à cause de l’instabilité de ces deux pays à l’époque, Divine s’est installée très jeune à New York, mais ne rêvait que de retour : « L’objectif final était de rentrer en Afrique, peu importe où, peu importe comment. Je voulais être sur le terrain pour mettre mes compétences au service du continent », avoue-t-elle. Son atterrissage à Nairobi, elle le doit à son réseau « un ami qui savait que je souhaitais rentrer, m’a parlé d’une opportunité à Cellulant ». Aujourd’hui, elle y est Chief of Brand depuis un an. Ce témoignage confirme ce que l’on sait déjà : Pour trouver un emploi en Afrique, il faut avoir la bonne information au bon moment. Comme partout ailleurs, direz-vous mais l’Afrique a une petite particularité. « Il existe un petit côté informel dans la recherche d’emploi en Afrique mais une fois que l’on se construit son réseau, il devient assez simple de se vendre » confie Quentin RUKINGAMA. Mais au-delà de ce côté informel, certains de ces jeunes arrivent à avoir des évolutions de carrière beaucoup plus rapides que s’ils étaient restés en occident. L’étude du cabinet Robert Walters indique également que les investissements importants faits en Afrique de l’Est, notamment en Ouganda et au Kenya, créeront davantage d’emplois qualifiés dans l’avenir. De plus, dans certains secteurs tel que celui des nouvelles technologies, secteur dans lequel évolue Divine, les salaires sont appelés à augmenter de 8 à 10% dans les années à venir. Ces augmentations de salaire permettent également de se constituer une épargne. Quentin qui est aujourd’hui Business Development Manager Africa pour Bunge, une entreprise leader dans l’agribusiness se dit satisfait de ses nouvelles conditions de vie « Aujourd’hui, j’épargne entre 50 et 60% de mon salaire. Ce qui n’aurait pas été possible en France ». Cependant, il convient de noter qu’il est plus facile pour un ressortissant des pays de la communauté d’Afrique de l’Est de s’installer au Kenya, et de travailler dans le secteur privé de ce pays.

Divine MURAGIJIMANA

PATIENCE RIME AVEC ADAPTATION Quitter le confort New-Yorkais ou Parisien n’est pas chose facile. Divine confie qu’au-delà de l’émotion générée par le retour sur la terre mère, il faut savoir comment les choses fonctionnent « Il m’a fallu six mois pour savoir comment payer mes factures ». Au Kenya, adaptation rime aussi avec patience. Les personnes qui envisagent un retour sur le continent aimeraient que leur salaire sur le continent soit équivalent à celui qu’ils avaient en Europe mais la réalité est toute autre. Comme beaucoup de repatriés, Quentin a dû pendant son premier emploi, s’adapter aux réalités du terrain. « On réfléchit souvent à court terme et on passe à côté de plusieurs opportunités ». S’adapter, au Kenya notamment, c’est accepter de travailler une première année avec l’équivalent d’un salaire de stagiaire en France. Cependant, les évolutions de carrière sont beaucoup plus rapides et les augmentations de salaire aussi. Il est aussi important de se projeter et de jauger son degré de flexibilité. « Je conseille toujours à mes amis qui veulent rentrer de se demander où et dans quelles conditions ils souhaitent vivre dans 5 ans. Une fois qu’ils le savent, ils peuvent établir un plan qui les mènera à leur objectif » nous dit Quentin. Décider de rentrer au Kenya ou ailleurs c’est aussi se poser les bonnes questions. Pour Divine, l’une des plus importantes est celle-ci « Que suis-je prêt(e) à faire pour rentrer ? En d’autres termes, qu’est-ce que je vais gagner et que suis-je prêt(e) à sacrifier pour y arriver ? » Cela va sans dire que si ce que vous gagnez est supérieur à ce que vous perdez, le jeu en vaut largement la chandelle.

Lom Pangar Dam

MAIS LE KENYA EST « TENDANCE » Le Kenya devient une plateforme Africaine. Avec une flotte de plus de 30 avions et 57 destinations desservies, Kenya Airways est devenue la fierté de l’Afrique. « Couvrir l’Afrique à partir du Kenya est plus facile que couvrir l’Afrique à partir de Johannesburg car on est à 6h de vol de tout », confie Quentin. Et si la question de l’insécurité est amenée comme motif de non-retour à un de ces repatriés, elle est tout de suite balayée d’un revers de la main « en moins de deux mois, il y a déjà eu trois attaques terroristes à Londres. On n’est à l’abri nulle part. » tient à préciser Quentin. Et il continue en disant « Il ne faut pas cloisonner sa pensée en se disant qu’il faut nécessairement rentrer dans son pays d’origine. ». Ses propos sont soutenus par Divine « Tous ceux qui veulent rentrer doivent - ou apprendre à- s’adapter. Pour réussir en Afrique il faut être 100% flexible et être tenace à 150% ». Divine et Quentin sont satisfaits de leur retour et jusqu’au bout, leurs histoires donnent envie de se rendre au Kenya. « J’ai convaincu déjà trois personnes que je connais à venir s’installer ici » nous dit Divine. Et Quentin conclut avec un dernier conseil « Si vous voulez rentrer dans un pays d’Afrique, allez-y d’abord pour des vacances de deux ou trois semaines. Si vous êtes convaincus, n’hésitez pas et installez-vous ! ». Si vous avez envie de changer les choses, n’hésitez pas, oubliez les préjugés car comme le dit Divine, le Kenya est « l’endroit idéal où la passion et l’impact s’allient harmonieusement ».

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COUP DE COEUR - GABON

VOYAGE SUCRÉ LE LONG DE L’OGOOUÉ Photos par Bambi Photographie Pro & François Zima Interviewée par Marie Simone Ngane - @MamzelMaysi

Stanislas Jerzy Law disait : « Avec les rêves aussi on peut faire des confitures. Il suffit d’ajouter des fruits et du sucre. » Jessica Allogo l’a pris au mot. Née au Gabon, elle y a grandi, avant d’aller vivre au Canada et en Birmanie. Elle est diplômée en chimie. Rien ne la prédestinait à la création d’une marque de confitures made in Gabon mais après tout, la cuisine n’est-elle pas de la chimie ? Son rêve aujourd’hui, c’est de faire rêver les autres à travers ses confitures. S’il te plaît, peux-tu te présenter à nos lecteurs ? Je suis Jessica Allogo, passionnée de voyages, de gastronomie et de culture africaine. Je suis issue d’un couple mixte : ma mère est d’origine canadienne et mon père est gabonais. J’ai quitté le Gabon après mon BAC scientifique, pour mener mes études supérieures au Canada, dans un cursus ingénierie. J’ai travaillé pendant une dizaine d’années chez Total, au sein de la division Exploitation au Gabon et en Asie. Mon goût pour la gastronomie et l’héritage africain m’a rattrapé il y a un an. J’ai donc décidé de rendre mon tablier d’ingénieur chez Total pour enfiler celui d’entrepreneuse gourmande. J’ai fondé en 2016, une ligne de confitures gourmet basée au Gabon : Les Petits Pots de l’Ogooué. Une marque d’épicerie fine qui crée des produits d’exception à partir du terroir africain. Des produits passionnément africains, qui portent notre patrimoine culturel avec style et raffinement. J’ai vécu à l’étranger à deux occasions durant mon parcours personnel. D’abord lors de mes études supérieures. J’ai obtenu un diplôme en Génie des Procédés Chimiques au Canada. J’y suis restée 10 ans, j’ai travaillé quelques années après l’obtention de mon diplôme puis j’ai décidé de rentrer au Gabon. J’ai vécu ma 2ème expérience d’expatriation durant ma carrière professionnelle. J’ai été affectée en Birmanie pendant 2 ans dans le cadre de ma mission chez Total. Pourquoi décides-tu de rentrer ? A aucun moment, lors de mon parcours universitaire je n’ai eu de doute sur le fait que je rentrerais au Gabon. Je suis résolument convaincue que l’avenir est en Afrique, chez nous. Il y a tout à faire, tellement de choses à créer, d’opportunités à saisir. Ayant un parcours universitaire solide, je n’ai jamais eu peur de l’avenir ni crains les difficultés. Réflexion faite, je me suis dit qu’un ingénieur de plus n’apporterait pas grand chose à la marche de la nation Canadienne, contrairement à l’impact que je pourrais avoir en rentrant au Gabon. 12

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Faire le choix de rentrer, c’est surtout avoir une vision. Transmettre une partie de ce que j’ai reçu à l’étranger, relayer les compétences et démontrer qu’on peut avoir une vie meilleure en Afrique. D’autre part, l’amour de la patrie, l’attachement familial et la sensation d’épanouissement qui me lient au Gabon ont été d’importantes sources de motivation. On se sent vivant en Afrique, plus que partout ailleurs. Comment s’est passé le retour ? Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ? Je me suis préparée plusieurs mois avant de rentrer définitivement. J’ai d’abord cherché depuis le Canada un emploi au Gabon. J’ai scruté les sociétés susceptibles de m’embaucher et j’ai envoyé des CV. Je me suis appuyée sur mon réseau de contacts et d’amis pour déposer des demandes d’emploi. J’ai eu une proposition de stage de 6 mois chez Total Gabon et j’ai saisi cette opportunité pour intégrer l’entreprise à l’issue de mon stage. La conjoncture était favorable pour moi, la société cherchait un ingénieur avec mon profil. Mon retour s’étant plutôt bien passé, il n’est pas pour autant un parcours exempt de difficultés. Il n’est pas évident de quitter la vie réglée comme du papier à musique et le confort des pays Occidentaux pour se retrouver dans un pays à l’organisation parfois chaotique. Entre lenteur administrative, coupures d’électricité, connexion internet ralentie, instabilité politique ... Les premiers mois, c’est la lune de miel, puis le choc culturel s’installe. Comment as débuté l’aventure des petits pots de l’Ogooué ? Pourquoi des confitures ? Je suis tombée dans le chaudron à confiture un peu par hasard. Comme je vous l’ai dit, j’ai été expatriée en Birmanie.


J’adore les mangues et j’avais la chance d’y découvrir des variétés exceptionnelles. J’avais du personnel incroyable, qui pour me faire plaisir me faisait découvrir de nouvelles variétés régulièrement. Le jour de mon départ, ils m’ont offert un cadeau, qui sur le coup m’a paru un cadeau empoisonné (rires) : une caisse de mangue de 40 Kg! De retour au Gabon, j’avais quelques mangues trop mûres et j’ai donc décidé d’en faire des confitures. Le « tour du monde en un pot de confiture » comme je l’ai appelé, était un savoureux voyage entre les mangues d’Asie, de fruits de la passion du Gabon et de vanille ramenée d’un voyage à l’Ile Maurice. Un grand succès à la maison! Quelques mois plus tard, en mars 2016, l’association Femmes Exceptionnelles a organisé un évènement pour la journée de la femme. J’ai décidé de faire quelques pots et de les vendre à cette occasion. Un succès, en quelques heures tous mes pots étaient vendus. J’ai réalisé ce jour là, le potentiel de ce projet d’épicerie fine. Le segment aurait pu, à tort, sembler banalisé. Il y a largement la place pour de la confiture haut de gamme. Aujourd’hui en Afrique et ailleurs, la nourriture de qualité, celle qui fait plaisir et qui fait du bien, s’invite sur le devant de la scène. Parce que la bonne cuisine est chose d’importance et fait partie de notre héritage culturel africain, je m’épanouis à sublimer les produits du terroir et en faire des confitures d’exception. Pour moi, la confiture véhicule des valeurs positives de partage, de convivialité, d’art de vivre, et de transmission. C’est un produit hédoniste, autour duquel on peut inventer tout le temps des nouvelles recettes, et qui se travaille comme un grand cru : la confiture se regarde, se sent, se goûte. Comment fabriques-tu tes confitures ? D’où te viennent les idées d’association de parfums ? Je puise dans mes expériences de voyage, mes souvenirs d’enfance, mon quotidien. La parfumerie, la mode, l’industrie du luxe, les livres, les discussions me nourrissent. Je m’efforce de bousculer les classiques en proposant des noms évocateurs et des alliances originales et différentes des saveurs connues : ananas coquin pour notre confiture ananas-gingembre, fraîcheur de bissap pour notre gelée de fleur d’hibiscus-menthe, plaisir de rose pour notre confiture pomelos-eau de rose du Maroc, ménage a trois pour notre confiture ananas-fruit de la passion-vanille de Tahiti. Pour chaque recette, je tiens à l’équilibre et l’harmonie de chaque ingrédient, comme un parfumeur. Le fruit est au cœur de ma réflexion. Pour respecter chaque fruit, je privilégie les associations de 2 à 3 ingrédients ; jamais plus car alors on ne retrouve plus le goût et les sensations de chaque élément. Sur un marché mature et concurrentiel comme celui de la confiture, il est important d’être innovant, donc de penser en dehors des sentiers battus et d’aller voir d’autres univers. Les fleuristes et chocolatiers m’ont aussi inspiré pour développer la confiture comme un achat cadeau. C’est aujourd’hui, le cœur de notre clientèle, on offre des pots de confiture comme on offrirait des fleurs.

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Les produits utilisés viennent-ils exclusivement du Gabon ? Nous défendons des valeurs de commerce équitable et de développement durable. Il est important pour nous de valoriser le terroir et les communautés locales qui le développent. Nous nous appuyons sur un réseau de producteurs indépendants et de coopératives que nous rémunérons en direct au juste prix. Cela nous permet de nous assurer que les fruits sont issus d’une agriculture raisonnée, et cultivés dans une perspective de développement durable. D’autre part, je crois fermement en l’entreprenariat social. Il est important de faire bénéficier les communautés qui contribuent à notre chaîne d’approvisionnement en créant de la valeur pour elles. En gardant cette philosophie nous nous assurons de garder la valeur ajoutée dans la chaîne de production et la redistribuons aux bonnes personnes. Je puise dans mes expériences de voyage, mes échanges quotidiens, pour créer des moments d’exception et d’évasion. Pour y arriver, je sélectionne des ingrédients précieux provenant d’autres horizons qui viendront sublimer les fruits. Par exemple la vanille grand cru Bora Bora d’Alain Abel que j’utilise dans notre confiture ménage à trois (ananas, fruits de la passion, vanille). L’eau de rose du Maroc utilisée dans notre confiture plaisir de rose (pomelos, eau de rose). Le métissage culturel est une valeur importante qui permet de magnifier le produit et le rendre différent. Est- ce que c’est facile de trouver une manufacture au Gabon ? Fais-tu tout de manière artisanale ? Il n’y a pas de manufacture au Gabon, tout est réalisé de manière artisanale. La base d’une bonne confiture, ce sont des fruits cueillis à maturité, un épluchage manuel qui nécessite beaucoup de main d’œuvre, et un taux de sucre raisonnable. Ensuite, tout l’art du confiturier est de s’adapter à chaque fruit : taux de sucre, temps et température de cuisson, viscosité et empotage varient. Une confiture est très dure à réussir, la cuisson doit être courte pour que le fruit ne se délite pas et conserve sa belle couleur. Certains fruits doivent être épluchées en un temps record et être cuits très rapidement, car ils s’oxydent vite. C’est un équilibre tenu de pH, de taux de sucre, de température, de temps de cuisson. Nous allons agrandir notre atelier d’ici quelques mois et investir dans des équipements qui nous permettront de mécaniser certaines parties du processus pour des raisons de maîtrise QHSE (Qualité Hygiène Sécurité Environnement, ndlr) essentiellement. La partie cuisson restera artisanale, dans des bassines en cuivre.

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Emploies-tu du personnel ? Vis-tu de cette activité ? J’emploie 2 personnes à temps plein, dont un chef d’atelier, un assistant et 3 journaliers. Les opérations de découpe de fruits sont celles qui mobilisent le plus de temps et je fais intervenir les journaliers pour ces opérations. Les opérations de cuisson, mise en pot et maîtrise qualité sont effectuées par moi et mes 2 employés. Ayant commencé cette activité il y a 1 an, je n’en vis pas aujourd’hui. Je suis convaincue de la rentabilité de ce projet et pouvoir en vivre d’ici quelques années. Quels sont tes projets pour les petits pots de l’Ogooué ? Je souhaite grandir à mon rythme, en étant sûre de la qualité de mes produits. Produire et produire bien au Gabon est un défi. Je souhaite réellement rehausser le niveau de qualité des produits agroalimentaires faits localement. Les fournisseurs de matières premières (en dehors des fruits) sont inexistants, les laboratoires de contrôle, l’expertise en Qualité/Hygiène est rare. Il me faut donc mobiliser beaucoup d’énergie et d’argent pour trouver des fournisseurs à l’étranger qui m’accompagneront dans tous ces domaines. Cela réduit aussi l’efficacité de mon développement car ça prend du temps. Je fais donc les choses à mon rythme. Nous comptons nous développer à l’international comme la référence en confiture haut de gamme du continent. Le concept a un très fort potentiel de développement comme un élément d’art de vivre à l’Africaine. Au niveau des produits, nous travaillons sur un nouveau format de pot (30 g.), orientés vers l’hôtellerie et les restaurateurs. Nous préparons aussi une gamme de chutneys et confits ananas épicés et une gelée de gingembre, qui permettront de découvrir une autre façon de déguster la confiture. Dans un an, j’aimerais avoir une boutique au Gabon de produits fins d’Afrique et d’ailleurs. Afin de faire découvrir et partager la richesse et la fraîcheur de la gastronomie africaine. Notre souhait est aussi d’être référencé dans des hôtels de luxe, de constituer des cadeaux d’entreprises, des cadeaux de mariage, de créer des emplois et de concevoir une entreprise différente où chaque salarié arrive sourire aux lèvres le matin.


INSPIR’INTERVIEW - SENEGAL

KARIM SY :

«JOKKOLABS EST MA CONTRIBUTION POUR APPRÉHENDER L’USAGE DES TECHNOLOGIES AFIN D’INVENTER LE FUTUR» Interviewé par Joan Yombo - @ushyndi Photos par Ussi’n Yala pour Inspire Afrika Magazine Entrepreneur en série depuis ses études supérieures à l’école polytechnique de Montréal au début des années 90, Karim Sy, questionne le monde depuis plus de 25 ans. Il y’a 7 ans, il fonde Jokkolabs, une initiative privée à but non lucratif, pour, nous dit-il « devenir un catalyseur du changement ». Par la force des choses, il devient donc un entrepreneur social reconnu par ses paires : en 2012, il est élu Ashoka Fellow, acteur du changement social. Karim Sy est convaincu qu’il est temps que tout le monde mette la main à la pâte pour « changer collectivement le futur, dépasser nos différences et construire sur ce qui nous rassemble ». Il faut dire qu’on ne pouvait pas trouver mieux comme ambassadeur du rassemblement. Karim est fils d’un père malien musulman et d’une mère libanaise chrétienne du Liban. Il a grandi en France, en Côte d’Ivoire, au Mali et en Ethiopie. Il se considère comme un pont entre les cultures et prône l’action dans la diversité. Rencontre. On peut dire que vous avez parcouru le monde. Pourquoi avoir décidé de rentrer vous installer au Mali précisément ? Je travaillais à l’époque sur un projet de pompe à eau manuelle à Montréal : la pompe AWARD développée par Michel Kaine, un homme d’affaires diplômé de l’école Polytechnique de Montréal qui m’a beaucoup inspiré. C’était une superbe innovation qui pouvait pomper de l’eau jusqu’à 30 m de profondeur : facile à transporter parce que légère (moins de 10kg), et à faible coût. En ce temps là, pour échanger avec l’Afrique, il fallait passer par des appels internationaux extrêmement couteux et des fax. Lors de l’une de mes missions sur le terrain, j’ai pu faire en trois mois ce qui prenait une année à distance : obtenir une commande ferme. Aussi, j’ai appelé mon frère à Montréal pour lui dire de garder mes affaires et je me suis installé à Bamako. J’ai préféré commencer le développement de ce projet en Afrique, continent qui m’était plus familier, alors qu’on me proposait de prospecter l’Asie. Mon père était rentré au Mali, c’était un peu naturel d’y aller en premier, mais la perspective a toujours été continentale. Plus de 300 pompes ont été installées en Afrique de l’Ouest. Je n’ai pas pu apporter de l’eau potable partout comme je l’imaginais, mais c’était un beau début qui m’a permis de découvrir une autre facette du monde du développement. J’habite au Sénégal depuis 20 ans maintenant, avec une base à Paris.

à rentrer s’est trouvé être notamment un concurrent…Ce sont plusieurs mythes qui se sont effondrés. J’ai un père qui nous a toujours encouragé à nous faire un « prénom » c’était aussi très difficile parce que finalement on me renvoyait constamment à lui alors qu’il me disait de me débrouiller, car mon mérite n’en serait que plus grand. Je dois avouer que sur le coup je ne l’ai pas pris avec philosophie mais, maintenant, je le comprends.

Quels sont les challenges que vous avez dû surmonter sur les plans professionnels et personnels au moment du retour ? Plusieurs challenges que je n’avais pas imaginé ! Déjà, les relations avec mon père qui avait du mal à m’imaginer indépendant, mais aussi redéfinir les relations familiales sous la perspective professionnelle. Surtout dans mon cas, l’un de mes proches aînés qui m’encourageait ¹ L’association Ashoka est une association à but non lucratif qui promeut l’entrepreneuriat social. Tous les ans, l’association identifie des entrepreneurs sociaux leaders dans leur domaines d’activités, qui apportent de réels changements au sein de leur communauté. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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Sur le plan des affaires, dans un Mali plutôt « commerçant » (sans être péjoratif), ma pratique des affaires était canadienne, orienté service. Je crois que l’on ne peut faire plus différent à tous les niveaux, mais j’ai beaucoup appris précisément de ces différences. Enfin, culturellement voir un jeune entreprendre dans une société gérontocratique quand c’était un peu le début de l’entrepreneuriat et de l’émergence d’un secteur privé en Afrique, c’était un vrai défi professionnel et personnel. S’il fallait repartir en arrière, comment prépareriez-vous votre départ pour éviter ces difficultés ? Vous savez, j’ai appris à nager en ayant été poussé directement dans une piscine avec un petit bâton pour m’éviter de me noyer. C’est un peu la même approche que nous préconisons. L’Afrique a une part d’imprévisible qu’aucune préparation ne pourra anticiper. Chez Jokkolabs, nous sommes entrain de formaliser une offre de services répondant à cette problématique en direction des 9 pays dans lesquels nous sommes implantés. Il s’agit d’un mix entre donner les clés pour entreprendre en Afrique, se préparer à être résiliant et donner accès à un réseau de soutien « conseil » et d’informations, pour permettre de s’adapter aux épreuves qui vont se présenter. Si je n’avais pas fait le grand saut d’un coup, je ne l’aurais peut-être jamais fait. Mais le faire dans un environnement « contrôlé » et « bienveillant », permet de largement réduire les risques personnels et professionnels qui bloquent le passage à l’action. Vous l’avez dit tout à l’heure, vous êtes un serial entrepreneur. Par quels projets êtes-vous passé avant Jokkolabs ? J’ai effectivement enchaîné les projets. De la pompe à eau à une compagnie de forage (Baara SA), en passant par une compagnie d’aviation d’affaires – Afrique Air Affaires -, mais aussi une petite mine d’exploitation de l’or alluvionnaire. Ensuite, avec l’avènement d’internet à la fin des années 90, je suis revenu à ma formation de départ avec le cabinet conseil et tout premier intégrateur au Sénégal OpenSys, qui a réalisé des projets très innovants comme la modélisation des processus d’import/export du Sénégal. Ce cabinet a été pour moi une sorte de laboratoire de l’économie numérique, me permettant de toucher à beaucoup de secteurs et de projets de transformation digitale. En 2004, avec le développement de la téléphonie mobile, j’ai participé à la mise en place d’un opérateur virtuel mobile avec l’exploitation d’un réseau de cabines téléphoniques mobiles. Avec des partenaires, nous avons lancé en 2006 Alternate Payment System APS : un réseau de portemonnaie électronique et de terminaux de paiement indépendants. Ce projet a été rattrapé par la crise financière de 2008. J’ai pu alors toucher du doigt le creusement des inégalités, qui ne me laissent pas insensible. Comment naît Jokkolabs ? Jokkolabs est plus qu’un projet, c’est mon engagement personnel pour appréhender l’usage du pouvoir transformateur des technologies pour inventer le futur, collectivement. Cette aventure humaine a muri tout au long de mon parcours. Le déclencheur a été la crise de 2008 qui m’a vraiment donné envie de m’engager. Pour m’aider dans ma réflexion, je me suis inscrit à un programme particulier du British Council qui ciblait des décideurs africains : le « Strategic Leadership Program ». L’échange avec des décideurs, notamment ceux d’Afrique du Sud a été déterminant. J’y ai vu un pays

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peu sécurisé et divisé, résultat d’une politique qui a favorisé les inégalités. C’était un peu voir ce qui peut se produire à grande échelle quand seule une minorité bénéficie d’une vie prospère. L’idée de me lancer dans un projet pour lutter contre les inégalités a fait son chemin et s’est traduite par Jokkolabs. Fruit de mon expérience et de ce que je peux apporter, vecteur d’une diversité d’énergies : un système pour favoriser l’entrepreneuriat. Nous avons plus que jamais besoin, en Afrique et dans le monde, de personnes qui osent imaginer des projets, qui font bouger les lignes et qui se lancent passionnément dans l’aventure sans filet, en s’adaptant au contexte. Si le potentiel créatif et économique du continent rencontre l’énergie formidable de notre jeunesse, je suis persuadé que l’impact sera phénoménal à tous les niveaux. Il faut désormais voir l’Afrique comme une terre d’opportunités. Et pour y arriver, il faut faire confiance aux jeunes. La nuance que nous apportons c’est qu’il est important de ne pas juste s’intéresser à son projet individuel mais aussi à son apport pour la communauté locale et globale. On peut aider avec peu de moyens si nous le faisons collectivement. Sinon, nous reproduisons les « comportements entrepreneuriaux » et les modèles qui ont conduit à la crise de 2008. J’ai la chance d’avoir des entrepreneurs qui ont rejoint mon analyse et veulent porter avec moi l’initiative Jokkolabs dans leur pays comme Cheickh Omar Ouedraogo au Burkina Faso, Seydou Sy au Mali, Mohsen Chirara au Sénégal, Philipe-Marie Koffi en Côte d’Ivoire, Jean Louis Ercolani à Nanterre en France, Aboubaker Benslimane au Maroc ou encore notre marraine au Cameroun Mareme Malong. Nous sommes 12 aujourd’hui, représentés dans 9 pays. Depuis 7 ans, je ne cesse d’être surpris par le dynamisme et le potentiel que je vois s’exprimer dans la communauté Jokkolabs ce qui est encourageant pour la suite de l’aventure. Des espaces de co-working sur le continent, il y’en a désormais à la pelle. En quoi les espaces Jokkolabs sont-ils différents des autres ? Jokko en wolof c’est la connexion, le lien. Jokkolabs c’est plus qu’un espace, c’est un lieu qui doit permettre de construire des liens improbables avec d’autres entrepreneurs mais aussi d’autres communautés et projets, au niveau local et global, ce qui doit décupler le potentiel de l’entrepreneur. Le sens de la communauté est important pour nous, il donne le sens à l’action. Nous sommes entrain de développer une plateforme dédiée pour permettre d’étendre cette expérience à d’autres espaces via le programme Jokkolabs Connect. Mais aussi le rajout de nombreux services pour les membres. En résumé, Jokkolabs n’est pas un espace de co-working mais un écosystème nouvelle génération de l’innovation ouverte, pour une prospérité partagée. En 7 ans d’existence, les hubs Jokkolabs ont accueilli des dizaines de projets. Pouvez-vous citer quelques projets qui vous ont marqué et qui existent toujours aujourd’hui ? Wizilli, une belle plateforme de marketing social média frugale développée par l’agence 3W. Le fondateur, Ludovic Lima, a commencé à Jokkolabs et tranquillement développé sa solution. C’est la première agence à avoir noué un partenariat avec Facebook et développé des applications sur le réseau social. Aujourd’hui, 3W a des clients dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest et du Centre parmi lesquels Airtel, Orange. http://3w.agency/


Dev Engine Lab., une jeune startup qui a une belle progression. Montée par Jimmy Kumako et Martial Konvi. Ils ont commencé par développer des applications mobiles pour des entreprises aux Etats Unis, en Asie, au Sénégal. Ils ont accompagné des startups de référence comme Marodi. Récemment, ils se sont associés à un ancien de Google France pour lancer la startup Coin Afrique la première application africaine 100% mobile de petites annonces. Ils affichent aujourd’hui plus de 300 000 téléchargements dans 17 pays et plus de 30 500 annonces ! Ils sont aussi lauréats du challenge panafricain que nous avons monté avec la Société Générale, ce qui leur vaut de développer un Proof Of Concept avec une filiale africaine de la SG pour une application d’amélioration de l’expérience client en agence. Mon coup de cœur de l’année va pour un projet qui mêle valorisation d’un territoire, art contemporain et digital. C’est ART+Casamance, un musée virtuel pour l’art contemporain africain, porté depuis 2015 par une passionnée Sabrina Daniel Calonne de l’association Archipel. Jokkolabs accompagne maintenant ce projet pour monter le ART+AFRICA un musée virtuel mutualisé pour les galeristes et artistes africains. Nous avons l’avantage de bénéficier dans le réseau Jokkolabs de l’expérience de notre marraine du Cameroun Marème Malong qui a monté il y a 21 ans la première galerie d’art contemporain la Galerie MAM abritée dans le complexe MJM (Galerie Mam, espace Jokkolabs et le salon littéraire MOSS, mais aussi de la fondation Donwahie en Côte d’Ivoire). L’Afrique reste une terra incognita dans le domaine des arts et de la production locale. ART+Casamance a montré une nouvelle voie pour en valoriser le potentiel, déjà quelques œuvres ont été vendues en ligne. C’est vraiment passionnant. Parlez-nous de Jokkokids. Jokkokids est un projet qui nous est cher. Nous l’avons lancé en 2016. C’est le premier projet porté par le cluster Education et Formation, sous la responsabilité de Laura Maclet, experte en ingénierie de formation, qui nous a rejoint par la suite à temps plein. Les enfants sont les futurs acteurs d’un monde de plus en plus complexe, et doivent eux aussi avoir accès aux technologies numériques et à des espaces d’expression leur permettant de libérer leurs talents. En 2050, l’Afrique constituera la 3ème population d’un monde de plus en plus connecté mais aussi de plus en plus inégal, notamment pour les usages numériques. Des millions d’enfants n’ont pas accès aux nouvelles technologies ou subissent le media de manière inquiétante. Nous pensons, à la suite de nombreux chercheurs, que les enfants sont des innovateurs nés : leur proposer d’exprimer leur créativité et de développer leurs potentiels en solutionnant des problèmes par le jeu, l’expérimentation et l’expression de soi est un gain pour l’avenir collectif. L’idée d’un projet structuré a germé suite à toute une série d’activités que nous avons initiées pour les enfants : des ateliers scratch pour les initier au code, des ateliers robotiques etc. Il est très vite apparu des faiblesses dans la finalité de ces activités qui devaient dépasser le numérique pour le numérique. Par ailleurs, la question de l’apprentissage, des animateurs et des techniques d’animations s’est également posée. On s’est rendu compte qu’il y avait un manque de documentation sur la question. Aussi, des partenaires comme OSIWA (Open Society West Africa, la fondation du philanthrope George Soros) nous ont soutenu pour nous permettre de lancer l’expérimentation.

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L’accent est donc porté sur une double dynamique : inclure le numérique au sein d’une démarche transversale de qualité, afin de relier les champs d’apprentissage (numérique, fabrication, expression de soi), décloisonner les pratiques et travailler la qualité d’animation (formation des animateurs selon des préceptes d’éducation positive). Le projet est inclusif, et intègre la prise en compte des enfants défavorisés. Il porte un accent particulier sur l’éducation et l’accompagnement des filles. Actuellement, nous poursuivons l’expérimentation pédagogique selon différentes déclinaisons au Sénégal sur 3 points : au sein de Jokkolabs Dakar, en partenariat avec Futur au Présent - une ONG d’aide à l’enfance en Casamance qui fait un travail remarquable avec les enfants - et en lien avec une école «traditionnelle» au centre du Sénégal. Nous passons aussi à l’essaimage du projet notamment au Cameroun, au Maghreb, au sein du réseau Jokkolabs ou avec des partenaires. Nous travaillons en lien avec l’ensemble des parties prenantes (écoles, formateurs, parents notamment) et documentons l’ensemble de nos actions, qui seront rendues open source prochainement. L’idée de fond est de disséminer les Kids’lab, les pratiques et les initiatives pour offrir à tous les enfants l’opportunité de développer leurs compétences pour le monde de demain. A votre avis, est-il possible d’avoir un réel impact sur le continent lorsqu’on n’y vit pas ? Aujourd’hui, les flux financiers de la diaspora en direction du continent sont plus élevés que les flux de l’aide publique au développement. Je vous laisse en tirer les conséquences en termes d’impact… Mais au-delà de cela, tout simplement en faisant connaître le continent sous un meilleur jour, l’impact est réel. Vous savez, il y a quelques années le rapport sur la compétitivité dans le monde du WEF (World Economic Forum) de Davos faisait ressortir un fait plein de bon sens, à savoir que plus la perception d’un pays est positive, plus il y a des investissements et sa compétitivité augmente ! Aussi, ils peuvent être les relais d’information d’un continent qui se transforme et qui bouge. Regardez juste comment le rapport « Lions on the move » de Mc Kinsey a eu un impact incroyable quand il est sorti. Ensuite, il me semble important de reprendre le contact avec le terrain pour s’engager d’une manière ou d’une autre, comprendre les dynamiques en action. Pour faciliter ces actions et le retour, nous avons plusieurs projets en cours. Nous avons lancé au Forum Expat de Paris un programme pour faciliter le retour des talents en Afrique en partenariat avec Talent2africa – la 1ere plateforme de cooptation et de mise en relation d’entreprises qui recrutent pour l’Afrique. De même, nous préparons un programme Fintech avec la Société Générale dans son centre d’innovation du Val de Fontenay pour accompagner des projets de la France vers l’Afrique. Enfin, nous sommes partie prenante et active de l’initiative AGYP (Active Growth &Youth Programs) portée par Pierre Gattaz et le MEDEF pour être un pont de rencontres entre les jeunesses africaines, les communautés d’affaires et d’entrepreneurs de la diaspora et les entreprises françaises. Cette plateforme permet de mieux faire connaître l’Afrique et son potentiel pour porter une ambition réaliste pour l’avenir. Encore une fois, nous sommes créateurs de liens pour connecter les écosystèmes pour créer de la valeur, ensemble.

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JEAN-PATRICK EHOUMAN, AU SERVICE DU WEB Par Joan Yombo - @ushyndi Chez certains peuples Akan en Côte d’Ivoire, Akendewa (souvent appelée Kakou Ananzê) est une araignée à forme humaine. Très présente dans de nombreux contes Africains, elle est l’héroïne qui sauve le village et qui résout les problèmes autour d’elle sans qu’on ne le sache. Elle transmet des valeurs de cohésion et de partage, sur lesquelles une association ivoirienne base aujourd’hui sa philosophie pour promouvoir l’écosystème Tech en Côte d’Ivoire, à travers une communauté de passionnés du web. Son Président Jean Patrick Ehouman, qui a fait ses armes chez Intel, AOL ou encore Cap Gemini a reçu une formation d’architecte en logiciels. Nous sommes en 2006. IOS et Android n’existent pas encore, et personne ne se doute de l’impact qu’auront les nouvelles technologies dans les usages quotidiens. Jean Patrick est donc une perle rare, un expert qui, de fil en aiguille, ressentira le besoin de partager son savoir et ses connaissances en Tech. Il finit donc par créer avec des amis Akendewa. A 35 ans, le jeune homme a un CV long comme deux bras : Président du programme She Is The Code, il est aussi Co-directeur de Founder Institute en Côte d’Ivoire, et chef d’entreprise. Il est installé en Côte d’Ivoire depuis 2014. LE DÉCLIC Comme la majorité des profils issus de la diaspora, Jean Patrick Ehouman arrive en Occident après son baccalauréat. En France, il entame des études en mathématiques, en génie électrique, puis en système informatique. 3 ans plus tard, il s’envole en Irlande, après un bref passage à l’Université du Texas, pour une formation en business et en entrepreneuriat. Sa carrière commence donc à Dublin, au sein de la société Intel. Il revient par la suite en France, et travaille dans les applications mobiles. Entre 2006 et 2011, il exerce en tant qu’ingénieur d’études et architecte en logiciels pour une ESN1 en région parisienne. 2008 fait de lui un entrepreneur. Il passe en freelance et monte la compagnie AllDenY, qui existe encore aujourd’hui, et qui met en place des interfaces web et mobile pour tout type de clients. C’est aussi cette année là qu’il effectue son premier retour en Côte d’Ivoire, sans forcément avoir pour ambition de s’y installer : « J’allais pour tâter le terrain » nous confie t-il. Mais ce premier voyage se révèle être plein de surprises. Il rencontre sur place des jeunes fanas de nouvelles technologies, comme lui. L’envie de contribuer à l’émergence de cette jeunesse connectée, qui savait déjà correctement utiliser les nouvelles technologies est à l’origine de la création de l’Association Akendewa en 2009 : « J’ai créé l’association avec la plupart de ces jeunes talents, notamment avec Édith Brou2 ». Avant son retour définitif sur le continent, Jean Patrick était persuadé de faire sa carrière à l’étranger. La Côte d’Ivoire, il la voyait comme une terre de repos où il finirait ses jours, et pas comme une terre d’opportunités où il allait consolider son parcours et faire du business : « Je me disais que j’allais rentrer, mais surement à la retraite. »

Pourtant, la question du retour se pose très vite quand le jeune homme se rend compte qu’il a besoin de challenges : « J’ai eu l’opportunité de manipuler des technologies extrêmement poussées très tôt, au tout début de l’explosion de la bulle internet. J’ai gagné beaucoup d’argent rapidement, et j’ai compris que l’argent ne serait pas forcément un problème dans ma vie. Cela m’a ramené à des choses plus simples. Je me suis dit que ma vie devait servir à quelque chose de plus grand. Je suis fan de nouvelles technologies, je voulais transmettre cette passion, je voulais m’engager, dans mon pays. ». Jean Patrick décide donc d’avoir un impact positif dans le quotidien des gens. Il affirme que de toutes ses activités, celles de l’association sont les plus importantes. Il y passe beaucoup de temps : « Je dirige Founder Institute Côte d’Ivoire, qui est un accélérateur basé dans la Silicon Valley. C’est quelque chose qui mobilise beaucoup d’énergie, mais Akendewa c’est au-delà de ça. C’est beaucoup plus que de l’argent ou du business. »

PREMIÈRES ÉPREUVES Pas du genre à se laisser déstabiliser, Monsieur Ehouman se rappelle avoir traversé des épreuves difficiles : « En rentrant en Côte d’Ivoire, j’avais intégré le fait qu’il soit possible que je perde tout. Mais je n’en étais pas effrayé, car je savais qu’avec mon expertise, j’aurais pu rebondir à tout moment. J’exerçais un métier rare, et très demandé. Je savais que quoiqu’il arrive, je pourrais rapidement retrouver un poste d’architecte logiciel. Je savais que je pouvais tout perdre, et ça m’est arrivé… »

Entreprise de services numériques Blogueuse Tech Ivoirienne, Présidente de l’association des blogueurs de Côte d’Ivoire, classée parmi les 50 personnalités influentes de la Côte d’Ivoire en 2015 selon Jeune Afrique. 1 2

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INSPIR’ASSOCIATION

En 2009, à la création de sa première entreprise AlldenY, Jean Patrick est entre 2 avions. Basé à Paris, il forme des collaborateurs à Abidjan et y établit un réseau de clients. Mais peu à peu, il se rend compte des mauvais résultats de son entreprise, malgré les investissements importants et les formations récurrentes. En menant son enquête, il s’aperçoit que ses collaborateurs menaient des activités parallèles et récupéraient les contrats signés pour leur compte personnel. En quelques mois, la boîte avait perdu tous ses contrats et était au bord de la faillite : « Il a fallu que je reste un peu longtemps en France pour me refaire une santé financière et réfléchir à une nouvelle stratégie pour adresser le marché ivoirien. ».

AKENDEWA, LA RÉFÉRENCE C’est en 2010, lors des élections ivoiriennes (et de la crise qui s’en suit) que l’association consolide son engagement et se fait remarquer. Jean Patrick et son équipe mettent en place des plateformes qui servent à informer les gens de la tournure des évènements. Ces plateformes furent utilisées par de nombreuses entités : les médias, les internautes, même les partis politiques : « dès le début de la crise en 2010, nous avons mis sur pied une plateforme permettant de sauver les gens. Ça a été un véritable pivot. Nous nous sommes rendus compte à quel point nous pouvions impacter des vies. » Sur internet, le hashtag #CIVSocial avait été créé pour parler de la crise ivoirienne. L’équipe d’Akendewa décide alors de s’en servir à bon escient : « À l’époque j’étais encore à Paris. J’ai pris quelques jours de congés pour créer l’application CIVSocial, dont nous avons lancé la campagne de crowdfunding par la suite. J’ai gardé le nom CIVSocial par ce que je voulais que toute personne qui utilise le hashtag utilise l’application également. ».

Le principe de CIV Social était très simple : si vous étiez en danger ou si quelqu’un était en danger autour de vous, il suffisait d’envoyer un sms, un mail, un tweet ou un bip via l’application. Derrière, l’application géolocalisait la personne en détresse, et contactait des entités comme l’ONU, la Croix Rouge, et même l’armée. Parfois, les bénévoles qui de part le monde s’étaient enregistrés sur l’application, étaient sollicités pour procurer leur aide : Je me souviens de ce médecin Polonais qui parlait très bien le français, et qui nous a aidé à faire accoucher une femme par téléphone. Pendant 8h, il nous a donné des instructions précises pour réussir l’opération. Le succès de ces diverses opérations humanitaires était aussi le fruit de multiples collaborations. L’association avait réussi à se faire accompagner par des chercheurs à l’Université de Columbia, par Internet Sans Frontières, et par un groupe de jeunes à Accra (Ghana), qui avait installé un call center de fortune dans une salle de classe : « De cette manière, les étudiants Ivoiriens à l’étranger pouvaient faire la permanence. Ils étaient notamment en charge de rappeler les numéros de téléphone qui nous avaient contacté pour solliciter de l’aide. » L’engagement d’Akendewa fut un tel succès que tout le monde en parlait. En Octobre 2013, l’UNESCO décida de remettre à l’association le premier prix pour l’entrepreneuriat des jeunes et la culture de la paix. A cette occasion, les membres d’Akendewa furent reçus par le Premier Ministre, le Ministre des Technologies et d’autres membres du gouvernement Ivoirien.

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Pour les élections de 2015, l’association mit en place un projet avec l’USAID3, la commission électorale en Côte d’Ivoire et tous les partis politiques pour être l’entité de diffusion des messages de paix durant tout le processus électoral. La campagne, appelée Élections C’est pas Nyaga4, impliquait des personnalités ivoiriennes telles que Didier Drogba ou encore Murielle Ahouré. Ivoirienne d’origine, Akendewa est hyperactive et traverse les frontières: « nous opérons principalement en CIV, mais mettons notre expertise à disposition pour des organismes étrangers qui souhaitent réutiliser des solutions que nous avons testé et approuvé de notre côté ». Ainsi, l’association s’est exportée au Congo, au Gabon, au Sénégal, au Ghana, au Nigéria, au Bénin et au Togo, dans le cadre d’élections, de création de barcamps et d’évènements divers. En 2015, la team Akendewa lance une webschool dédiée aux entrepreneurs sur Internet, puis un centre de programmation, pour former des développeurs web et mobile. L’organisation a aussi un incubateur. En Janvier 2016, naît le projet #Sheisthecode, un programme de formation et d’insertion professionnelle en informatique, entrepreneuriat et leadership pour les jeunes femmes, sponsorisé entre autres par Orange Côte d’Ivoire.

72% d’entre elles ont été recrutées suite à la formation et exercent désormais un métier dans les Tech, dans un pays où les outils et les infrastructures ne sont pas démocratisées. Aujourd’hui, Jean Patrick Ehouman souhaite faire passer un seul message : « créons des solutions adaptées à nos réalités locales, qui ont un impact au sein de la communauté ». Il nous conseille aussi de bien prendre le temps d’analyser notre environnement et nos usages : « 83% des internautes ivoiriens sont sur Facebook. Cette information est très précieuse pour tout ce qui veulent faire du business, notamment en ligne. Parfois, il n’est même pas utile de faire de la pub hors Facebook car les personnes les plus influentes sur Facebook sont d’importants relais dans les quartiers. »

RECONNAISSANCE Lauréat des Young African Leaders Initiative (YALI) en 2014, sélectionné parmi les mentors du Tony Elumelu Program, choisi par le Président Obama pour l’ouverture du Sommet Mondial de l’Entrepreneuriat, Jean Patrick Ehouman a été au contact des plus grands décideurs mondiaux. Et quand on lui demande quels impacts ont eues ces rencontres sur sa carrière ou son association, il répond : « ce sont plutôt les activités d’Akendewa qui m’ont permis d’accéder à ce type d’opportunités. En Côte d’Ivoire, Akendewa a été la première organisation à se faire connaître autour des thématiques Tech et la seule à avoir entrepris des actions pour créer cette communauté web ivoirienne dont on parle tant aujourd’hui. J’en suis fier. »

INTERNET ET LES IVOIRIENS Ce n’est plus un secret pour personne, les africains sont de grands consommateurs d’Internet via leur mobile. Pourtant, le taux de pénétration d’Internet en Afrique reste très bas5, malgré la prolifération d’initiatives liées aux nouvelles technologies. Il semble donc y avoir un gap entre la réalité et les solutions mises en place. Mais Jean Patrick Ehouman n’y voit aucun problème : Le manque d’infrastructures ne doit pas représenter un frein à l’innovation. En CIV il y’a environ 5 millions de personnes qui sont connectées. Dans nos villes et dans nos campagnes, lorsqu’une personne a accès à internet, elle représente un relai d’information pour les autres. Au quartier, c’est celui qui a accès à Internet qui va souvent faire le résumé des résultats des matchs à ceux qui n’ont pas vu le match. Ce qui signifie finalement qu’il n’y a pas de discontinuité de l’information. » Et les exemples peuvent être nombreux pour prouver qu’il n’y a pas de discontinuité de l’information. Avec l’application CIV Social, le jeune homme nous explique que la plupart des gens qui avaient été sauvés n’étaient pas connectés à Internet. Par ailleurs, l’association a mené un projet de formation et d’autonomisation des femmes dans le domaine des nouvelles technologies : 2300 candidates se sont présentées, et 25% d’entre elles ont reçu l’information uniquement par du boucheà-oreille.

Agence des Etats-Unis pour le Développement International Nyaga signifie bagarre en nouchi 5 10,84% en Afrique Subsaharienne en 2014, selon le Rapport Mondial de Développement 2016 de la Banque Mondiale 3 4

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OSER INSPIRER - SIERRA LEONE

MALLENCE BART WILLIAMS « L’AFRIQUE DOIT À TOUT PRIX SE DÉBARRASSER D’UN VIRUS QUI LUI EST MORTEL : L’INFLUENCE EUROPÉENNE » Interviewée par Marie Simone Ngane - @MamzelMaysi Traduit de l’anglais par Hector Kamdem Photos par Idea Factory Africa Mallence Bart-Williams est née à Cologne en Allemagne, de mère Allemande et de père Sierra-Léonais. Gaston Bart-Williams, son père, était à la fois écrivain et activiste. Il fut également le tout premier réalisateur Sierra-Léonais. En 2008, après la guerre civile qui secoua pendant dix ans la Sierra Leone, Mallence eût enfin la possibilité de se rendre dans le pays de son père. À sa rencontre avec les enfants de la rue du très redouté Lion Gang, elle ressentit en elle le besoin de faire quelque chose pour les aider. Elle se servit donc de son carnet d’adresses pour créer Folorunsho, un collectif de designers bénévoles. Les designers de Folorunsho encadrent les enfants et leur apprennent à relooker des sneakers. Grâce à l’argent que l’activité génère, les garçons peuvent aller à l’école ou se payer une formation. Écrivain, productrice et styliste, Mallence a suivi des études d’Economie et de Finance à Paris, à Singapour et au RoyaumeUni. Installée en Sierra Leone, elle voyage à travers le monde s’occupant de ses nombreuses activités parmi lesquelles sa ligne de produits cosmétiques naturels à Hong Kong, mais surtout Folorunsho, qui vise l’amélioration des conditions de vie des enfants en Ouganda et en Sierra Leone. Parlez-nous de vous en quelques mots Il m’est difficile de parler de moi en quelques mots… J’aime les chevaux, le soleil et la mer. Je ne me laisse pas impressionner par les titres, mais je juge les gens en fonction de leur valeur intrinsèque. Je suis un esprit libre, et profondément enraciné dans les traditions. Je ne supporte pas l’injustice : j’ai tendance à m’insurger contre toute forme d’injustice. Je suis plutôt non-conformiste, et j’aime enfreindre les règles. J’adore la nature, elle est l’œuvre la plus palpable de Dieu, et j’y trouve la réponse à la plupart de mes questions. Je ne travaille pas que pour de l’argent. J’aime ce que je fais, et je fais surtout ce que j’aime. L’argent n’est en effet qu’une résultante de la poursuite de ce qu’on aime. J’ai horreur des étiquettes, car je pense qu’il y a des personnes comme moi qu’on ne devrait pas enfermer dans des boîtes.

Comment encouragez-vous les Africains de la diaspora à s’impliquer pour leur continent? L’on se sent à la maison là où se trouve notre cœur. Pour réussir dans un sens global, il faut en effet suivre son cœur.

Vous êtes de la Sierra Leone, mais vous êtes née en Allemagne, avez étudié en France, en Grande-Bretagne au Singapour et en Allemagne. Votre ligne de produits cosmétiques est produite en Indonésie. Ce brassage culturel a-t-il influence votre carrière ? Oui. Le brassage culturel est en effet un aspect très important de ma personne. Je me définis comme citoyenne du monde, et non pas d’un pays en particulier. J’ai des racines africaines, européennes et asiatiques et je me sens chez moi partout où je me trouve. Je me sens bien dans ma peau ; mon corps est ma maison, je l’aime et j’y vis. Je parviens à trouver le juste équilibre entre le travail, les loisirs et la vie en général. Cet équilibre porte en effet un nom : Mallence. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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Si l’on entend l’appel du continent, alors il faut y répondre favorablement. Mais si on n’entend pas cet appel, cela ne sert à rien d’aller en aventure. L’on peut toutefois répondre à l’appel du continent plus tard, à un moment de la vie où on se sent vraiment prêt. Certaines des économies au taux de croissance le plus élevé se trouvent sur le continent africain. Ceci représente d’énormes opportunités. Il est par exemple estimé qu’en 2030, 50% des personnes âgées de moins de 18 ans dans le monde entier vivront en Afrique subsaharienne. L’Afrique est en grande partie encore sous- exploitée, et les Africains n’ont qu’une seule chose à faire : en reprendre possession, la développer et la protéger. Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors du lancement de vos projets en Sierra Leone ? J’ai eu de nombreuses difficultés ! J’ai cependant appris au fil du temps à transformer les obstacles en avantages. Les obstacles me donnent l’occasion de reconsidérer mes options. Cela me permet de grandir et de me réinventer constamment. À mon avis, les obstacles nous poussent à donner le meilleur de nous-même. Chez moi, les obstacles suscitent l’envie de me dépasser pour toujours faire mieux. Les obstacles sont pour moi des défis qui m’empêchent de sombrer dans l’ennui, ils me permettent d’affiner mes talents et de trouver l’énergie nécessaire pour continuer d’avancer. C’est dans cette perspective que je vois les choses, pour transformer difficultés et obstacles en avantages. Ceci est important pour la réussite de mon travail. J’aime bien travailler dans des contextes où les choses ne sont pas trop statiques ou prévisibles. Lorsque tout est prévisible, je me lasse rapidement. Parlez-nous un peu plus de Folorunsho et de votre œuvre caritative Folorunsho signifie, « né sous le regard de Dieu » en langue Yoruba. C’est aussi mon deuxième prénom.

Je suis convaincue que dans la vie, nous avons le devoir en tant qu’êtres humains non seulement de nous rendre service, mais surtout d’œuvrer pour le bien-être collectif. Le MOI dépend d’une puissance plus grande qui détermine nos valeurs morales. Ces principes me guident dans mon fonctionnement, et certains de mes projets naissent en effet du désir de poursuivre un idéal qui m’inclut, mais qui va bien au-delà de ma personne. De tels projets sont en effet nés sous le regard de Dieu. C’est Dieu qui allume en moi cette flamme en stimulant mon imagination, et c’est Dieu qui guide le projet jusqu’à sa finition. Moi je ne suis qu’un instrument de Dieu. Les projets Folorunsho n’ont pas de forme particulière, ils peuvent porter sur n’importe quoi, n’importe où, et à n’importe quel moment. Ils sont en règle générale créatifs, et suivent des principes bien déterminés. Ils visent à promouvoir une forme de capitalisme plus éthique à travers des actes de charité qui redonnent espoir aux personnes marginalisées. Je crois en effet qu’il n’est possible d’impacter la vie des autres qu’à la hauteur de l’impact que nous avons nous-mêmes eus. J’ai donc nommé mon œuvre SHARITY, ce qui renvoie à l’acte d’échanger, c’est-à-dire le partage. Il s’agit du partage d’une expérience, de valeurs, de ressources, d’idées, d’efforts, etc. En janvier 2015, vous avez prononcé un magnifique discours lors du TEDxBerlin. Vous parliez alors de la déstabilisation des marchés africains et de l’exploitation de nos ressources. 24

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Croyez-vous que l’Afrique peut se débarrasser de « l’aide » occidentale ? Je pense que l’Afrique est présentement dans une phase de puberté. Elle se retourne contre ses parents adoptifs qui ne la comprennent pas, et qui font main basse sur sa culture.

L’Afrique traverse une phase dans laquelle elle questionne son identité, évalue sa force et son pouvoir. Elle grandit, elle est excitée, elle est en colère, elle est pleine d’espoir, de rêves et d’idées. Ceci est typique d’un adolescent qui se sent capable de tout. L’Afrique ne s’arrêtera pas là, jusqu’à ce qu’elle retrouve la position qu’elle mérite, au sommet de la pyramide. Comment pouvons-nous en tant qu’Africains définitivement changer cette perception générale de notre continent ? En changeant notre propre perception de l’Afrique et notre perception de nous-mêmes. Soyons tous des représentants fiers et dignes de notre continent en respectant l’éducation que nous avons reçue de nos parents. Le linge sale doit se laver en famille : recherchons des solutions et faisons partie des solutions. Ne recherchons ni solution ni adoubement en dehors de chez nous. C’est comme cela à mon avis qu’une famille soudée doit fonctionner. Comme dans toutes les familles, il y a des différends et des obstacles, mais quoi qu’il en soit, les problèmes sensibles doivent être résolus dans le cadre familial. Votre famille et vos ancêtres devraient être fiers de vous. Tout Africain sait comment rendre ses ancêtres fiers. Quel est, selon vous, le principal problème de l’Afrique ? Les valeurs traditionnelles de l’Afrique ont été bafouées et détruites. Nous fonctionnons aujourd’hui comme une famille déstructurée qui recourt à l’aide de thérapeutes qui n’ont ni la capacité ni la volonté de résoudre leur problème. Ces supposés thérapeutes n’ont que leur propre profit en tête. Un problème interne reste un problème interne et ne peut être résolu par une force externe.

Nous avons collectivement besoin de corriger le discours sur l’Afrique: une fois que nous aurons retrouvé notre mémoire et modifié les discours sur l’Afrique l’ordre et la restructuration de l’Afrique suivront logiquement. L’Afrique doit à tout prix se débarrasser d’un virus qui lui est mortel : l’influence Européenne. L’Afrique doit renforcer son système immunitaire, rester au chaud, se débarrasser de ce virus et retrouver son équilibre et sa vitalité. Quels conseils donnez-vous à ceux qui s’apprêtent à investir en Afrique ? Je leur conseille de bien faire leur prospection, comme ils le feraient avec tout autre type d’investissement. Je leur demande de ne pas avoir des motivations uniquement financières, mais d’inclure dans leur définition du gain et de la réussite, l’impact ou le changement qu’ils induisent là où ils investissent. Quels sont vos rêves/projets d’avenir ? Je rêve de voir les richesses de l’Afrique profiter à tous les Africains du continent de manière générale dans TOUS les aspects de leur vie.


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AFRICA GREAT AGAIN

DIGITAL RELATIONS PUBLIQUES RELATIONS MÉDIAS ÉVÉNEMENTIEL RÉPUTATION BUSINESS DEVELOPMENT

HOPSCOTCH AFRICA L’agence multiculturelle de conseil en communication dédiée à l’Afrique

africa@hopscotchafrica.com 25

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PUBLI REDACTIONNEL

Le secteur de la communication tisse sa toile en Afrique : Hopscotch Africa s’installe comme le partenaire idéal des futurs champions de l’Afrique Hopscotch Africa, filiale du groupe international de communication Hopscotch Groupe, accompagne le développement de l’Afrique en matière de communication. De l’identification de vos besoins à la mise en place de réponses concrètes, Hopscotch Africa vous propose des solutions de communication adaptées aux enjeux de votre structure.

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DIGITAL RELATIONS PUBLIQUES Une conviction au cœur de ses actions ! RELATIONS MÉDIAS Face à une concurrence tenace, la valeur ajoutée des produits Hopscotch Africa se retrouve avant tout dans son leitmotiv. Conscient que le continent africain fait l’objet d’une véritable révolution en matière de communication, le groupe est persuadé que cette transformation du paysage africain présente un intérêt certain pour tout acteur désireux de développer ses ÉVÉNEMENTIEL activités en Afrique. Les opportunités business et les perspectives d’innovation étant extrêmement importantes, Hopscotch Africa souhaite accompagner le développement de cette nouvelle Afrique. Penser ainsi, c’est déjà faire la différence face aux nombreuses agences présentes sur le marché. RÉPUTATION Une présence physique sur le Continent Africain BUSINESS DEVELOPMENT

AFRICA GREAT AGAIN

Contrairement à de nombreux experts en communication, Hopscotch Africa dispose d’une présence effective sur le Continent Africain. Grâce au dispositif « Casablanca Financial City », le groupe a installé ses bureaux à Casablanca, au Maroc. De plus, la présence d’Hopscotch Africa en Afrique de l’Ouest et au Maghreb se manifeste aussi au travers de ses nombreux partenaires implantés dans différents pays Africains. Depuis 2013, l’ancrage local représente pour la filiale un atout indéniable pour travailler sereinement sur ses projets de communication en Afrique.

Une réalité organisationnelle source de différenciation Le groupe multiculturel et multilingue Hopscotch Africa a aujourd’hui la capacité de pouvoir travailler de façon agile et réactive grâce à une organisation en forme de HUB. Ses dirigeants ont fait le choix de ne pas multiplier les créations de bureaux en Afrique car ils ont foi dans les nouveaux canaux de communication qui relient les influenceurs, les médias et les différents partenaires intéressés par l’Afrique, rendant ainsi inutile une implantation permanente dans les pays où ils travaillent. Cette organisation, en phase avec les réalités digitales du continent permet de mener des campagnes panafricaines efficaces et de se démarquer des concurrents.

Un accompagnement personnalisé accessible à tous Porté par sa conviction, Hopscotch Africa a fait le pari d’accompagner le mouvement de développement de l’Afrique sur un secteur spécifique : le conseil en communication. 
C’est pourquoi, le groupe travaille aussi bien avec des multinationales qu’avec des petites entreprises, dans le but de connecter l’innovation africaine avec les initiatives existantes à l’international. Hopscotch Africa veut participer au développement des petites entreprises qui deviendront grandes et guider les grands acteurs Africains qui n’ont pas l’image et la réputation auxquelles ils pourraient prétendre à l’international.

L’enjeu de demain : faire face au manque de sensibilisation

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Le conseil en communication demeure un secteur dont l’intérêt reste globalement incompris des structures Africaines. L’énergie et le temps d’Hopscotch Africa est aussi dédié à la sensibilisation autour de cette activité en Afrique. L’agence met en place une réelle pédagogie au quotidien afin de devenir le partenaire d’un nombre croissant de décideurs africains et de marques Africaines. Une meilleure compréhension de la prestation de conseil en communication permet de considérer ce secteur comme un levier indispensable au développement d’une activité. Disposer de stratégies de communication adaptées permet ainsi de réaliser des retours sur investissements définitifs et solides. Investissements à court terme, rendements à moyen et long terme !

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Pour plus d’informations sur Hopscotch Africa : http://www.hopscotchafrica.com africa@hopscotchafrica.com 26

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INSPIR’START UP - TOGO

BENDJIN KPEGLO

« Partir à l’étranger fait la différence, mais au final, le plus important est d’être doué pour que les choses marchent. » Interviewé par Chrys Nyetam - @fatihadiamant Père de deux enfants et passionné de musique, Bendjin Kpeglo se considère comme un citoyen du monde. Et à juste titre ! Après avoir grandi et étudié au Togo, il quitte la terre de ses ancêtres avec une licence en Mathématiques pour la Côte d’Ivoire où il intègre l’Ecole de Statistiques. Gourmand de connaissances, il intègre en même temps l’ESSEC et l’ISUP où il obtient respectivement un Msc en Management et un Master Spécialisé en Actuariat. Il travaille pour Ernst&Young puis pour Towers Watson en tant qu’actuaire avant d’intégrer la prestigieuse Wharton Business School. MBA en poche, il décide contre toute attente de rentrer en Afrique. Discussion avec un repat surqualifié. Inspire Afrika Magazine : Qu’est-ce qui pousse un diplômé de Wharton à rentrer au Sénégal directement après ses études ? Bendjin Kpeglo : Ma décision avait été prise avant même d’intégrer Wharton, lorsque j’étais actuaire à Londres et que je travaillais sur des modèles d’assurance. La raison de ce MBA était en partie motivée par une perspective de retour postérieure et une volonté de devenir entrepreneur chez moi. La décision de rentrer s’est imposée naturellement après avoir été confronté à des questions existentielles qui se bousculaient dans ma tête : pourquoi suis-je actuaire ? Quelle est la finalité de ce que je fais ? Le retour s’est fait là où je me sentais le plus à l’aise et le plus utile. Je rentrais une fois par an à Lomé pour un séjour d’environ deux semaines pour voir ma famille et à chaque voyage, j’observais la multitude d’initiatives intéressantes à mettre en œuvre pour améliorer le quotidien des Africains. J’avais pris l’habitude d’aider au travers d’un soutien financier mais également de conseils. À la fin de ces deux semaines, je sentais avoir été plus utile qu’en une année à Londres. En tant qu’actuaire, j’étais conscient de n’avoir que des compétences limitées en termes de stratégie, de marketing, et de management des hommes, pour devenir entrepreneur. L’idée m’est alors venue de faire un MBA afin d’avoir un profil plus arrondi. Je voulais apprendre sur d’autres sujets que l’actuariat. Les Etats-Unis me permettaient de développer mon réseau dans des pays comme le Ghana, le Kenya ou encore le Zimbabwe. Je voulais avoir ce cachet international sur mon CV.

Si difficulté il y’a, elle n’est pas réellement liée à mon retour mais davantage à la perception d’autrui sur ce retour. 
 Vous savez, certaines opportunités sont perçues comme les meilleures. Quand on se permet de jouer l’individu original qui choisit l’opportunité qui n’est pas la plus conventionnelle, cela peut être mal perçu. Je ne suis pas là pour marcher sur des chemins déjà tracés, au quel cas mon apport dans la société serait limité. J’ai besoin d’exprimer entièrement ma personnalité. 
 C’est un choix critiqué mais je n’ai jusqu’ici éprouvé aucun regret. Je me sens bien. Mes enfants sont nés au Sénégal et ils grandissent harmonieusement. Je suis plus épanoui que partout ailleurs.

J’étais donc prêt à rentrer pour faire n’importe quoi, mais à rentrer absolument. IA.M : Vous êtes un « returnee », est-ce facile de s’insérer dans le tissu local ? B.K : Je pense que oui. A vrai dire, je ne me pose pas vraiment la question. La question s’est posée lorsqu’il a été question de s’insérer ailleurs (Paris, Etats-Unis ). Ici, je me considère chez moi. Certes, il existe des difficultés inhérentes au tissu local, mais je les connaissais avant d’entreprendre le retour, et elles me semblent normales. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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I.A.M : Comment avez-vous préparé votre retour tout en ouvrant une entreprise ? Quelles étaient les étapes clés ? B.K : J’ai bénéficié de beaucoup de conseils avant mon retour, auprès d’anciens ayant fait la démarche avant moi. Ces conseils ont été très précieux. Ils me répétaient de ne pas voir le retour comme un test me permettant de rentrer tâter le terrain pendant quelques mois, puis quitter l’Afrique en cas d’échec éventuel. Beaucoup des anciens le disaient sans que je ne comprenne vraiment l’importance de cette démarche. La première étape est donc, selon moi, purement psychologique. Il s’agit d’assumer la décision de rentrer et de l’accepter peu importe les difficultés à venir. La deuxième étape consiste à sécuriser son atterrissage. Lorsque je parle de sécuriser son arrivée, c’est aussi bien financièrement qu’en termes de méthodes de travail. Dans mon cas, j’ai choisi la SFI1 parmi les opportunités qui m’ont été offertes. Du fait de son statut international, la SFI fonctionne comme une entreprise américaine, mais en même temps, sur le plan personnel, j’étais immergé dans la réalité de la société. Cette situation m’a permis de faire mes armes dans la société tout en ayant une certaine sécurité financière. Elle m’a permis de lancer ma première entreprise à Dakar, une école de musique. J’ai ainsi pu tester le marché et ma capacité d’y entreprendre. Elle m’a aussi permis de faire une multitude d’erreurs (je ne les compte plus tellement j’en ai fait). En cinq ans, j’ai multiplié les petites expériences professionnelles, guidé par ma passion et mon désir d’apprendre la vie d’un entrepreneur local. Ensuite, la troisième étape s’est passée lors du lancement d’AVAKO. Pour cela, l’étape de l’étude de marché a été cruciale. Elle a été primordiale car j’avais en tête une idée, je pensais savoir comment le marché fonctionnait, ce que les clients souhaitaient mais après l’étude de marché, j’ai été surpris de mon ignorance. C’était une grande leçon d’humilité. Quelque soit la confiance que vous avez dans vos connaissances, l’étude de marché permet d’obtenir des informations précieuses et elle n’est pas très coûteuse. L’ultime étape est de trouver les bons partenaires sur le plan technique et sur le plan humain. C’est crucial. Vous avez besoin de personnes de confiance qui peuvent avoir la résilience nécessaire pour passer des étapes difficiles avec vous. Cela concerne aussi bien les collaborateurs, que les associés et les investisseurs. Bref, tous ceux qui sont impliqués dans l’aventure à vos côtés. C’est pour cela que je me suis associé avec un ami de longue date lors du lancement d’AVAKO. Nous avions fait la même Ecole de Statistiques à Abidjan. Il s’était ensuite installé en France. Il disposait d’une énorme expérience technique mais au-delà de cet aspect, il partageait mon point de vue sur la manière de gérer une entreprise. Je le connaissais depuis plus de 20 ans et je savais que je pouvais compter sur lui. I.A : Pourquoi avoir choisi de créer une entreprise dont les trois piliers sont le data, l’analytique et le quanti ? B.K : Tout d’abord, à cause du manque crucial de données. 
 Si on vous demande combien de téléphones d’une marque X ont été vendus en France en 2016, vous trouverez la réponse en quelques minutes sur Internet. Si on vous demande ensuite combien de téléphones de cette marque ont été vendus au Cameroun en 2016 personne ne le sait, même pas les responsables de la marque. C’est dramatique. Et ce constat est valable pour à peu près tous les pays de la sous-région, dans presque tous les secteurs. D’où la deuxième raison : la dimension africaine en tant qu’africain. 1

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Société Financière Internationale, appartenant au groupe de la Banque Mondiale

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Avant, les entreprises industrielles qui exploitaient des ressources précieuses comme le diamant ou l’or étaient les plus importantes. Aujourd’hui, les plus grandes entreprises sont, pour ne citer qu’elles : Facebook, Apple, Google, Amazon. Et certaines entreprises montent de manière fulgurante : Uber ou encore Airbnb. Le business de toutes ces entreprises est basé sur la donnée. La donnée devient une matière première précieuse qu’on doit essayer de gérer au plus vite pour proposer les informations les plus fiables possibles sur le marché. Malheureusement, les plus grands instituts internationaux risquent de devenir les maîtres de ces secteurs en Afrique aussi. Ce serait dommage car la donnée a cette particularité de ne pas être aussi homogène que l’or ou toute autre matière première. La donnée Africaine est intrinsèque à l’Afrique. On ne peut la collecter comme on la collecterait en Europe. Il existe une vraie carte africaine à jouer. C’est une vraie valeur stratégique et pas une simple position idéologique. Même si la fierté de l’africain qui veut collecter de la donnée en Afrique rentre en ligne de mire, c’est une vraie position stratégique. L’Africain qui collecte des données en Afrique fournit la donnée avec plus de valeur qu’un étranger. I.A.M : Avez-vous rencontré des difficultés lors du lancement d’AVAKO ? Si oui, sont-elles liées au fait que vous ne soyez pas un local ? B.K : La principale difficulté est due au fait que le secteur d’activité ne soit pas commun en Afrique. Pouvoir rendre crédible cette collecte de données, en comparaison avec un gros comme Ipsos qui s’intéresse de plus en plus à l’Afrique est un challenge permanent. En général, dans la sous- région, le marché est composé de cabinets dits locaux qui sont souvent, d’un point de vue opérationnel, présents dans un ou deux pays. Ils interviennent sur des missions de petite envergure. Leur personnel est majoritairement composé d’employés formés localement et ne sont pas à la pointe des méthodes utilisées à l’International. 
 Il y a ensuite les internationaux comme Ipsos, qui disposent de bureaux dans les plus grandes villes africaines – Abidjan, Lagos, Douala, Accra ou Dakar - avec des équipes locales limitées dans les villes en question, mais qui en fonction des projets et missions vont être rejoints et renforcés par des équipes plus techniques provenant de Paris ou des Etats-Unis. Ils sont à la pointe des techniques mais manquent de connaissances sur la réalité locale.
 AVAKO se positionne de façon hybride sur le marché. Personnellement, je suis Togolais et je connais le Togo mais aussi le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal pour y avoir vécu de nombreuses années. Professionnellement, je ne me définis pas comme Togolais car je peux travailler aussi bien en France, qu’au Sénégal ou encore aux EtatsUnis. En termes de méthode de travail, j’essaye de tirer le meilleur de ce que je connais, peu importe où je l’ai appris, pour l’appliquer au problème auquel je fais face.
 Le challenge se pose vis-à-vis des clients en termes de perception, car AVAKO est une jeune et petite entreprise. De plus, d’un point de vue stratégique, la bataille a lieu au niveau financier. Les plus gros peuvent se permettre de baisser les prix alors qu’AVAKO ne peut se le permettre. À cela, nous n’avons pas de solution miracle pour l’instant. Mais la bataille était prévue et prévisible et cela semble normal pour une jeune entreprise. Nous avons des atouts à faire valoir et notre entreprise a vocation à grandir sur la base de ces atouts dont la concurrence ne dispose pas. Pour l’instant, c’est la réalité, aucun cabinet n’a de consultants et d’analystes qui ont cette double expertise à la fois technique et locale. Petite à petit, les clients comprendront la valeur de cette double expertise et ils nous permettront de grandir.


Pour ce qui est des difficultés rencontrées lors du lancement d’AVAKO, je ne sais pas si j’utiliserais ce mot. Chaque difficulté est source d’opportunité. Notre concurrent éprouve sans doute une difficulté similaire. Si on la surmonte, on a alors la chance d’avoir un avantage compétitif. Si difficulté il y’a, elle n’est pas intrinsèque à AVAKO mais elle est valable pour la plupart des entreprises qui font du service ou du conseil. D’un point de vue culturel, beaucoup d’entreprises locales ne sont pas très incitées à payer pour un service intellectuel basé sur des données. À la rigueur, elles peuvent payer pour du conseil en stratégie. C’est pourquoi AVAKO a mis en place des méthodes pour contourner cette difficulté. Un exemple simple : on s’engage auprès d’une entreprise sans être payés et on explique aux clients que, si les enquêtes réalisées faites sur la base de données permettent d’accroître le chiffre d’affaires de l’entreprise, alors on sera payé. Pas avant. C’est un concept simple même si son application est parfois difficile sur le terrain. La formule plaît à certains clients et c’est la meilleure porte d’entrée sur le plan commercial. I.A.M : Quelle est la valeur ajoutée d’une étude faite par AVAKO pour une entreprise qui souhaite s’installer sur le continent ? B.K : Notre positionnement hybride et l’investissement humain d’AVAKO fait toute la différence. Prenons le cas d’Éric KONE, mon associé principal qui dirige les opérations d’AVAKO. Il a grandi en Côte d’Ivoire où il a fait son école d’ingénierie avant de s’inscrire à une formation en France et d’y exercer dans le domaine de la recherche de données en tant que consultant. Il a ensuite travaillé pour Meetic. Lorsqu’il réalise des études en Côte d’Ivoire, il applique les techniques de big data les plus avancées, mais avec une connaissance du terrain que personne d’autre de son niveau à l’international ne peut avoir. A titre d’exemple, il nous impose souvent de recruter des enquêteurs qui parlent la langue locale. Cette rigueur permet d’être le plus proche possible des réalités du terrain. AVAKO se positionne ainsi différemment sur le marché et dispose d’un argument à faire valoir face à ses concurrents internationaux. I.A.M : Dites-nous-en plus sur la gestion des ressources humaines… B.K : En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, nous partons de l’idée que la plupart des entreprises dans la sous- région, lorsqu’elles veulent grandir et être performantes devront remplir les mêmes critères de performances qu’une entreprise à l’étranger. Par exemple, les entreprises qui font du chiffre au Benin sont celles qui ressemblent le plus aux entreprises Françaises sur plusieurs aspects. AVAKO souhaite que ses employés soient le plus épanouis possible pour créer de la valeur ajoutée au groupe afin d’accroître le sentiment d’appartenance au projet. AVAKO vise à se rapprocher du mode de vie qui leur convient le mieux tout en ayant des exigences professionnelles et des obligations rigoureuses. Cela se traduit par le fait que le client soit érigé en Roi absolu. En dehors de cette rigueur, nous créons une relation de confiance avec les employés en les responsabilisant systématiquement et en les laissant gérer leur temps de travail à leur guise. Nous nous assurons que chaque employé est heureux dans son environnement de travail, est motivé, connaît ses objectifs et a à cœur de les atteindre pour faire grandir AVAKO. 
 Par exemple, la politique de congés n’est pas comptabilisée. Chacun part en congés comme il veut, quand il veut et pour la durée qu’il veut, à la simple condition d’une information préalable. Il n’existe pas de réels horaires de travail. Cela implique une rigueur forte au recrutement. On a besoin de gens qui adhèrent au concept sur le plan humain, du CEO jusqu’au moindre analyste. 2

Si un client nous impose de travailler jusqu’à deux heures du matin, on travaille tous jusqu’à deux heures du matin. Une question qu’on pose fréquemment au recrutement c’est qu’est-ce que AVAKO peut faire pour que vous soyez plus épanoui au bureau ? Par exemple, moi j’ai une guitare au bureau. Chaque employé à sa demande qui se voit respectée. Et c’est une clé de la performance de l’entreprise. I.A.M : Est-on plus crédible auprès de clients locaux quand on a eu une expérience à l’étranger ? B.K : Ce n’est pas juste du fait de l’expérience à l’étranger qu’on est plus crédible. La crédibilité, s’acquiert par la maitrise du sujet et la passion qu’on a pour celui-ci. Plus on a d’expériences diverses plus on peut maîtriser son sujet et ainsi faire la différence face à un client. Environ 8 fois sur 10 les dirigeants d’entreprises sont des locaux. Ils n’ont fait ni études ni parcours professionnels à l’étranger mais ils connaissent leur environnement. Partir à l’étranger fait la différence car on connait un peu plus de choses et on a ainsi plus d’assurance dans ce qu’on dit. Mais au final, le plus important est d’être doué pour que les choses marchent. I.AM : Les habitudes du consommateur africain sont méconnues ou difficiles à cerner pour certaines entreprises. Pourquoi ? B.K : Premièrement, il y’a des gens qui pensent savoir car ils s’appuient sur des données qui proviennent de l’étranger. Dans le domaine de l’assurance vie, la table de mortalité2 est une donnée capitale. Or, jusqu’à très récemment, celle utilisée dans les pays d’Afrique francophone était celle utilisée par la France en 1960. Ça veut tout dire. Quand on fait des études, on parle souvent de ménages or il s’agit d’une notion occidentale clairement définie. En Côte d’Ivoire, cette notion n’a plus aucun sens. A Abidjan, dans un quartier résidentiel comme Cocody ou la Riviera, un ménage se compose d’un papa, d’une maman, de deux enfants, d’un chauffeur, d’une nounou, d’une femme de ménage et d’un gardien. Dans un quartier populaire, le ménage est plutôt composé d’un papa, de trois mamans, cinq enfants, cinq neveux, trois oncles et tous ne vivent pas sous le même toit. C’est donc complètement faux de penser ces entités comme homogènes et de les penser comparables. Pour nous, il y’a donc bien un problème de fond. Beaucoup de concepts économiques, marketing, ou bancaires s’appuient sur des systèmes venus de France ou des Etats-Unis. Il faut donc cultiver l’idée de la nécessité de rechercher des données qui nous sont propres. Les entreprises qui souhaitent avoir des données, dans un univers économique qui devient de plus en plus concurrentiel tel que l’Afrique se rendent compte du coût élevé de l’accès à celle-ci. Elles souhaitent tout de suite avoir un niveau de données comparable à ce que pourrait détenir une entreprise française qui a pourtant déjà un siècle de recherche de données, d’études et d’investissements antérieurs. Par exemple, pour mettre en place un système de mesure du taux d’audience d’une chaîne de télévision dans un pays comme le Sénégal, les premiers clients payeront plus chers que les suivants. Mais les premiers ne sont pas prêts à payer. Cela rend la donnée rare et la facture décourage énormément.

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I.A.M: On parle beaucoup de la nouvelle classe moyenne Africaine. Cette observation est -elle corrélée au phénomène du retour de la diaspora qualifiée sur le continent ? B.K : Cette question mérite qu’Inspire Afrika commande une étude à AVAKO. D’après les observations que j’ai pu faire dans mon réseau, il y a bel et bien une classe moyenne de plus en plus grande. C’est indiscutable. Cependant, il y a également une classe défavorisée, à la base de la pyramide, qui devient aussi de plus en plus large. Aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’entreprises locales et de plus en plus d’entreprises étrangères ont besoin de responsables qui connaissent les réalités locales. C’est devenu un enjeu stratégique important d’être proche des clients. Est-ce que ces personnes embauchées sont de purs locaux, sans formation ni expérience à l’étranger, ou sont-ils surtout des returnees ? Je pense que nombreux sont des locaux. Il ne faut pas se leurrer: le phénomène des returnees représente une goutte d’eau dans l’océan. Les entreprises ne recherchent pas nécessairement des returnees. Tout dépend essentiellement du secteur et de la nature du poste. Après il y’a aussi la question liée au pays et aux infrastructures de formation du pays. La majeure partie des entreprises en Côte d’Ivoire est dirigée par des locaux. Ceci vient du fait que la Côte d’Ivoire a de bonnes structures de formation. D’autres pays comme le Niger, le Togo, le Burkina Faso ou la RDC, où les infrastructures de formations ne sont pas aussi développées qu’en Côte d’Ivoire, qu’au Sénégal, ou qu’au Nigeria, auront davantage besoin de faire appel aux returnees, qui auront une part un peu plus importante dans la classe moyenne de ces pays-là.

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CARRIÈRE - GHANA

AFUA HIRSCH

« L’AFRIQUE N’A PAS BESOIN DE GENS QUI CROIENT LUI FAIRE UNE FAVEUR OU QUI LUI ACCORDENT LEUR SOUTIEN AVEC CONDESCENDANCE» Interviewée par Joan Yombo - @ushyndi Photos par Ussi’n Yala

Avant d’assumer fièrement son héritage africain, Afua Hirsh affirme en avoir eu honte lorsqu’elle était plus jeune. En grandissant elle a rapidement pris conscience du potentiel de son continent. Tout a commencé au tout début de sa carrière en 2012, quand elle a décidé de retourner au Ghana. Alors revenue en Grande-Bretagne pour des raisons professionnelles, elle sait qu’elle y retournera très bientôt. Vous avez commencé votre carrière en tant qu’avocate et aujourd’hui vous êtes journaliste. Quand et pourquoi avez-vous décidé de modifier vos plans de carrière ? J’ai eu une carrière en constante évolution et j’en suis fière. J’ai toujours pensé à mon héritage africain et je me suis sans cesse demandé ce que je pouvais faire pour perpétuer la vision de mes modèles africains. J’ai débuté ma carrière au Sénégal, en Afrique de l’Ouest, dans une fondation de développement international couvrant 15 pays du continent. Agée de 21 ans à l’époque, ça a été une belle opportunité pour moi. J’ai eu l’occasion de travailler dans divers pays anglophones, francophones et lusophones et de rencontrer des personnes de catégories socioprofessionnelles variées, dont des militants, journalistes, agriculteurs, hommes d’affaires, avocats et politiciens. Néanmoins, j’ai expérimenté les revers de cette ‘’industrie du développement’’ et à la fin j’ai compris qu’avec une formation mieux définie et des compétences plus précises, je serais plus utile ailleurs. Je suis donc retournée au Royaume-Uni pour obtenir un diplôme en droit. Etre avocate m’a permis d’organiser mon travail comme je le souhaitais, grâce au caractère libéral de cette profession. Mais au fil du temps, je me suis sentie à l’étroit et je m’accommodais mal des exigences et dysfonctionnements du Barreau Londonien. J’étais principalement en charge d’affaires de violation des droits de l’Homme et de défense en matière pénale, généralement mal financées et difficiles à traiter. J’ai décidé de devenir journaliste pour écrire et attirer l’attention sur les problèmes que j’avais vu, au lieu de les résoudre cas par cas. Vous êtes née en Norvège et avez grandi au Royaume-Uni, mais vous avez pris la décision importante de rentrer en 2012 au Ghana. Quelle a été votre motivation ? J’avais 14 ans lorsque pour la première fois j’ai visité le Ghana. Mais cette visite a été un tournant décisif dans ma vie. J’ai ressenti une reconnexion avec mon patrimoine culturel et familial. J’ai passé une bonne partie de ma vie d’adulte à parcourir mon pays et à y travailler bien qu’étant basée ailleurs. Lorsque nous avons eu notre fille, son papa et moi avons décidé de rentrer nous établir chez nous, au Ghana.

Comment vous êtes-vous préparés au retour ? Comment être “prêt” pour franchir le pas ? Il n’y a pas de bonne réponse à cette question et je me garde bien de dire aux gens ce qu’il faut faire et à quoi ressemblera leur retour, car cela dépend de plusieurs facteurs ! En ce qui me concerne, je ne parlais ni Twi ni aucune des autres langues du pays. En plus, mes influences dans ma jeunesse ont essentiellement été britanniques. Ce qui n’a pas facilité mon retour. Ceci a un impact sur des choses qui peuvent paraître banales comme négocier le prix des biens, employer des gens, payer ses factures, naviguer dans les eaux parfois complexes de la bureaucratie et même effectuer un retrait d’argent à la banque ! Tout ça n’est pas aussi évident qu’il paraît. C’était un véritable défi pour moi. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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Cependant, je suis retournée au Ghana avec un job permanent dans une organisation britannique qui me rémunérait en livres sterling. Ceci marque aussi une grande différence avec une personne qui retourne au pays sans emploi ou sans sa propre affaire. Mieux on prépare son retour, mieux ça vaut, car trouver une maison, payer deux ans de loyer à l’avance, acheter une voiture est bien plus compliqué qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Tout ce que vous ferez en amont pour gérer cette transition vous rendra la vie plus agréable une fois retourné au pays. L’un des points forts des Ghanéens et de ceux qui choisissent le chemin retour, c’est le réseau ! Tissez vos réseaux et faites-en bon usage pour obtenir soutien et conseils. Quels ont été vos plus grands défis une fois rentrée et comment les avez-vous surmontés ? Gérer des choses pratiques comme l’électricité, l’eau, le gaz, l’entretien de sa voiture, la climatisation. Je trouvais parfois très compliqué de concilier le fait qu’au plus profond de moi je me sentais Ghanéenne, pendant qu’au Ghana j’étais considérée comme une Britannique. Mon attitude vis-à-vis de la religion, mes préférences alimentaires, mes opinions au sujet de l’éducation de ma fille, ma perception des rôles et relations entre l’homme et la femme étaient en contradiction avec celle de beaucoup de gens. Tous ces éléments constituaient des obstacles. Émotionnellement, c’était souvent difficile. Vous l’avez dit, pour certaines personnes vous êtes trop occidentalisée pour être une femme Africaine. Que veut dire être femme Africaine aujourd’hui ? Je pense que l’identité est quelque chose de fascinant et est en constante évolution. Il en a toujours été ainsi. Avec le temps, j’ai appris à ne pas questionner l’identité des gens et de ne pas admettre qu’ils me jugent. Vous savez, les gens ont tendance à me définir à ma place. Ils me trouvent soit trop noire pour être britannique, soit trop blanche pour être ghanéenne, soit trop ambitieuse pour être une maman, etc. Bien sûr, je ne prends plus du tout cela au sérieux parce que je suis plus confiante. Je me sens inspirée d’une nouvelle génération d’Africains de la diaspora qui embrassent leur patrimoine tout en le définissant à leur manière. Revenir sur le continent peut être brutal pour certains Africains, surtout ceux qui n’y ont jamais été. Dans un article célèbre, vous expliquiez que, même si l’Afrique est devenue la terre de nouvelles opportunités, le continent a encore un long chemin à parcourir : « circulation routière abominable, eau peu fiable, interruption de courant fréquente, pauvreté, faim, etc. » Tout le monde est-il préparé pour la ‘’bataille en Afrique’’ ? Est-ce un devoir de retourner chez soi ? Je connais beaucoup de personnes avec exactement le même héritage africain que moi, mais qui ne s’intéressent ni de près ni de loin au continent. Je pense que c’est dommage. L’Afrique a besoin d’Africains talentueux, passionnés par leurs pays et leurs identités et qui sont prêts à y consacrer leur énergie. Elle n’a pas besoin de gens qui croient lui faire une faveur ou qui lui accordent leur soutien avec condescendance. L’Afrique se portera sans doute mieux sans eux.

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Que pensez-vous des médias africains, leur influence et la façon dont les informations sont transmises aujourd’hui ? Que devrions-nous améliorer ? Il existe de nombreux journalistes en Afrique et dans des pays comme la Grande-Bretagne qui couvrent exclusivement le continent. Je trouve cela merveilleux. Les choses sont complètement différentes d’il y a 20 ans quand je débutais ma carrière. L’un des défis que j’ai personnellement rencontré est lié à la qualité de la presse et de l’audiovisuel en Afrique. Elle varie d’un pays à un autre, on ne peut pas généraliser. En Afrique il existe très peu d’opportunités de se faire une renommée de journaliste de classe mondiale, ce qui contraint les meilleurs journalistes à faire valoir leurs talents ailleurs ; c’est en effet un cercle vicieux. De plus, nous nous plaignons beaucoup de la façon dont les ’’médias occidentaux’’ dépeignent l’Afrique et la diaspora. La seule solution est d’investir et de posséder nos propres médias afin de pouvoir contrôler notre propre contenu. Il est important de tenir compte des médias existants, mais jusqu’à ce que nous prenions le contrôle des contenus, de la production, de la distribution, de la diffusion, des journaux, des éditeurs littéraires, des magazines, des fournisseurs d’Internet, etc., nous serons toujours à la merci de personnes qui ont d’autres objectifs que les nôtres. Quels conseils donnez-vous aux jeunes Africains de la diaspora ? Tirez profit des opportunités uniques qui existent en ce moment pour créer des cercles de personnes qui partagent votre façon de voir et qui sont entièrement dévouées à la même cause que vous. Ayez l’esprit d’entreprenariat. Nous devons arrêter de chercher l’adoubement des institutions occidentales et commencer à créer nos propres débouchés. Je crois fermement que les jeunes Africains sont en mesure de le faire.


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Le retour en Afrique : Miser sur les ressources humaines Par Isabella Muma & Chrys Eve Nyetam Photo, Dark Angel pour Iwaria De nombreuses raisons poussent les Africains à émigrer hors de leurs pays d’origine. Cependant, certains individus issus de la diaspora Africaine prennent la décision inattendue de rentrer chez eux, avec le désir de transformer en réalité leur rêve africain.

La diaspora et l’investissement dans les pays d’origine En 2011, la Banque Mondiale estimait à 30 millions – soit environ 3.6% de la population totale Africaine – le nombre de personnes nées en Afrique et vivant dans un autre pays que celui de leur naissance. Un nombre de plus en plus important d’Africains choisit même d’émigrer en Asie et au Moyen-Orient. Jusqu’à très récemment, l’impact de la diaspora Africaine semblait uniquement être monétaire, et à sens unique, puisqu’intimement lié au transfert d’argent en direction de l’Afrique. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, la diaspora africaine aurait envoyé plus de 21.5 milliards de dollars en 2011. Mais la diaspora des pays d’Afrique ne se trouve pas qu’en dehors du continent. Près de 13.2 millions d’Africains vivent sur le continent, mais hors de leur pays d’origine. Ces migrants eux aussi envoient des fonds chez eux. Bien entendu, certaines transactions restent non documentées, car un grand nombre de transactions sont informelles. En 2005, 85% de l’argent envoyé au Soudan ne passait pas par les canaux traditionnels. En plus du fait qu’une grande partie de ces envois permettent d’aider 34

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la famille restée sur place, ils permettent aussi aux émigrés d’investir dans des entreprises locales ou de construire leur maison en vue d’un retour imminent. En effet, 10 % à 20 % des fonds envoyés chaque année, sont soit réinvestis soit épargnés dans une banque. D’une manière générale, cet argent a un impact positif sur le continent africain. Selon le rapport « African Development Review » publié par la Banque Africaine de Développement, une augmentation de 10% de l’argent transféré permet une baisse de 2.9% du seuil de pauvreté. Un bon début mais qui reste bien faible pour développer toute l’Afrique. La solution est d’investir dans les ressources humaines Depuis quelques années ces chiffres sont sujets aux fluctuations dues au climat politique, socioculturel et économique. La crise financière de 2008 a également joué son rôle destructeur et troublant. Aussi, la croissance économique du continent des dernières années est un facteur de motivation : le retour en Afrique semble bien plus bénéfique qu’auparavant. “Nous avons vu une augmentation des retours sur le continent, dus à l’insécurité de l’emploi depuis la crise économique subie par les pays


REPATS, CES AFRICAINS QUI RETOURNENT SUR LE CONTINENT

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Secteurs d’activité

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Trajectoire

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les personnes qu’elles embauchent, mais aussi le processus à rallonge souvent dû à une communication hachée entre les deux parties.” Sachant que 76% des jeunes africains de la diaspora sont prêts à participer au développement du continent, Talent2Africa se rend disponible pour les aider à trouver un emploi ainsi que des revenus compétitifs. Mr. DIAGNE reconnaît cependant que “la plupart des entreprises ne révèlent le salaire proposé que lors de l’entretien d’embauche”. En plus de cela, certains candidats s’attendent aux même revenus qu’en Europe, mais Mr. DIAGNE conseille que “les candidats prennent en considération le marché du travail local et les salaires qui en découlent”. Dans ce sens, le salaire, sera adapté au coût de la vie de chaque pays tel que la Côte d’Ivoire, ou le Nigeria, où la classe moyenne est en pleine expansion. Un rapport de la Standard Bank intitulé, “Comprendre la classe moyenne africaine” publié en 2014 nous apprend par exemple, que la classe moyenne Nigériane a été multipliée par 6, de 2000 à 2014. En d’autres termes, près de 23 millions de personnes sont considérées comme appartenant à la classe moyenne, avec une consommation moyenne oscillant entre 23$ (18.4 euros) et 115$ par jour. La classe moyenne Nigériane ne cesse de croître et atteindra les 40 millions dès 2030. A l’heure d’une économie en feu, les opportunités d’entreprises se multiplient, et de manière réciproque, la demande de ressource humaine adéquate aussi, créant un abîme qui devra être rapidement comblé, par des individus compétents et prêts à faire la différence. occidentaux”, dit Laura Lungarotti, de l’Organisation Internationale pour les migrations (OIM). C’est la raison pour laquelle des entrepreneurs privés tels que Chams DIAGNE, qui est l’un des membres fondateurs du réseau professionnel français VIADEO, établissent des compagnies, comme Talent2Africa. Selon ses propres mots, Talent2Africa permet de “combler le manque de compétences auxquelles les recruteurs font face”. De récentes études montrent que 90% des chefs d’entreprises africains sont préoccupés par la disponibilité des talents, et que 70% des candidats ont des difficultés à trouver des offres d’emploi qui leur correspondent. Par conséquent, l’offre et la demande d’emploi devraient se rencontrer. Contrairement à ses concurrents, Talent2Africa ne détient pas de base de données avec des candidats disponibles, mais fonctionne grâce à un système de recommandation. Malgré cette initiative, de nombreuses entreprises ont toujours du mal à attirer les talents de la diaspora. Selon Mr. DIAGNE, il y a trois raisons qui expliquent ces résultats : “La stratégie de recrutement, l’écart entre ce que les entreprises recherchent, et

“Comme vous pouvez le voir, il y a eu un réel décollage dans l’industrie des arts, de la mode, de la musique et aussi du cinéma. Certaines personnes misent sur l’agriculture, l’ingénierie, les mines … On peut sentir la tension, la course au développement, à l’opportunité qui va rapporter le plus gros » nous dit Baba Epega, Nigérian retourné dans son pays d’origine. Néanmoins, la décision de rentrer en Afrique reste délicate, surtout lorsqu’on manque d’un réseau professionnel, d’institutions ou d’infrastructures qui permettent une transition plus fluide. La peur de l’inconnu reste une épreuve non négligeable pour les africains issus de la diaspora. Sources : Fond International pour le Développement de l’Agriculture. Banque Africaine de Développement

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LES PENSÉES DE... RDC - CONGO

ALAIN YAV, DG DE PYGMA COMMUNICATION Interviewé par Joan Yombo - @ushyndi La première chose qui vous frappe lorsque vous échangez avec Alain Yav, c’est cette chaleur et cette bienveillance qu’il dégage. L’homme est accessible, jovial, sociable. Difficile de se dire qu’il est à la tête de l’un des plus grands groupes de communication en Afrique Francophone. Il fait partie de cette catégorie de repats dont on parle peu : ceux qui ne sont pas sortis de leur continent. En effet, c’est en Afrique du Sud qu’Alain Yav fait ses armes à une époque où le pays sortait à peine de l’apartheid et commençait son processus de reconstruction. Là-bas, il travaille dans des multinationales de renom, puis retourne s’installer en RDC avec Pygma Group, la société qu’il fonde avec 5 amis en 2005. Il est la preuve (avons-nous encore besoin de cette preuve ?) qu’on n’a pas forcément besoin de sortir du continent pour créer des réussites. L’homme et l’entreprise « Je suis l’aîné d’une famille de 9 enfants chacun ayant des personnalités très fortes. Je travaille avec un de mes frères, Willy, qui a cocréé Pygma Group avec moi. D’ailleurs le nom PYGMA représente les initiales des personnes qui ont créé la société. Nous étions des amis, ayant tous vécu à l’étranger, et ayant décidé de rentrer travailler pour le Congo. Je suis sociable, ouvert, passionné. L’art, la création, le leadership, la jeunesse et la fierté africaine me tiennent à cœur. La Télévision est pour moi un bon support pour faire passer des messages. Je m’en sers autant que faire se peut (l’agence Pygma Communication est derrière le concours Miss RD Congo ndlr) » « Je suis de cette génération-là qui était fascinée par l’étranger : il fallait partir à tout prix. Je rêvais des USA, surtout de la Californie. Mes amis eux, partaient en Belgique. Mais après des études primaires et secondaires en RDC, je me retrouve en Afrique du Sud pour faire des études d’ingénieur commercial, sous l’impulsion de mon père. J’étais déçu et j’y suis allé la mort dans l’âme. J’ignorais alors que j’allais être agréablement surpris par un pays en reconstruction mais dynamique et décomplexé. A l’université, je me découvre une vraie passion pour le marketing. Un jour, j’ai l’opportunité de rencontrer un représentant de Procter & Gamble sur le campus. Je suis fasciné par son approche du marketing, tant et si bien que je vais à sa rencontre à la fin de son intervention en lui disant : « Monsieur, dans 10 ans, je serais comme vous ». Quelques semaines plus tard, je suis recruté dans un premier temps au sein de l’agence Grey WorldWide (où je travaillais sur le compte Procter & Gamble) puis au sein de l’entreprise même, 2 ans plus tard. Pygma Group nait en 2005. Nous souhaitions retourner au Congo et y développer des opportunités. Je précise que Pygma Communication est une branche de Pygma Group. Nous avons des activités dans d’autres secteurs, notamment en conseil et en construction. » « Pygma Communication fait partie des agences leader en Afrique Francophone. Il n’y a pas vraiment de recette pour réussir, il faut à mon sens, être constant et méthodique. Le marché de la communication, est relativement petit en Afrique, car peu développé. Les clients n’ont pas toujours une culture de la communication, même si c’est de moins

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en moins le cas. Par conséquent dès le début, nous avons diversifié nos activités : activations, communication événementielle, relations publiques, production… Nous avons créé un écosystème pour amplifier notre chiffre d’affaires et notre profit et pour maitriser la chaîne de valeur d’amont en aval. Rester dans la publicité uniquement ce n’était pas intéressant. Ensuite, nous avons beaucoup investi dans l’humain car nous croyons aux talents. Nous choisissons les meilleurs et les mettons dans des conditions décentes pour leur permettre de s’exprimer au mieux. Globalement, nous avons une approche sur le long terme, ce qui est rare en RDC. »


Le retour sur le continent Je ne me suis jamais demandé si j’étais un repat ou pas. J’imagine en effet qu’il y’a toujours une nuance entre nous qui sommes restés sur le continent bien que partis de chez nous et ceux qui sont partis en Europe. « En partant étudier en Afrique du Sud, il était clair que je voulais rentrer en RDC in fine. Pourtant, l’Afrique du Sud, il faut le dire, est le meilleur des deux mondes : un pays Africain qui n’a rien à envier aux pays Occidentaux en termes d’infrastructures et de possibilités. La plupart des africains qui ont évolué et réussi en Afrique du Sud ne partent jamais vraiment du pays. Je suis rentré en RDC en 2005, mais j’ai aussi une vie à Johannesburg. Je ne sais pas si j’aurais réalisé tout ce que j’ai réalisé aujourd’hui si j’étais passé par l’Europe. J’ai eu de réelles opportunités, j’ai eu des postes de responsabilité dans des multinationales, et j’ai monté un groupe et une agence de communication. En Occident, l’horizon était (et est toujours) plus bouché, les opportunités moins présentes. » « Il y’a une sorte de deux poids deux mesures en RDC. Pour avoir beaucoup recruté, je peux vous dire que les gens ont le sentiment que les profils issus de la diaspora sont avantagés et mieux payés. Et à raison, car ici, on accorde plus de crédit à ceux qui viennent d’ailleurs. Ces perceptions affectent les relations entre employés. La vérité c’est que le système éducatif en RDC a crashé. Il ne faut pas se voiler la face : quand je fais passer un entretien à une personne locale et à une personne de la diaspora, je vois clairement qu’elles n’ont pas les mêmes réflexes. Ce qui est normal, car cela est lié à la qualité des études.

Nous avons perdu des marchés parce que nous n’avons pas voulu jouer le jeu de la filouterie. C’est pour vous dire …. Nos efforts seraient multipliés par 10 si nous avions un environnement des affaires plus sain. Le manque d’infrastructures, est aussi un réel problème. Internet instable, coupures de courant intempestives, tout ceci au final nous revient très cher. Mais au-delà de tout ça, je tiens. J’ai eu d’incroyables opportunités en restant sur le continent. Le fait de me comparer à mes amis qui travaillent chez McDo depuis 20 ans me permet aussi de mettre les choses en perspective. Au quotidien, nous voyons l’impact que nous avons autour de nous : créer des emplois, former, inspirer. Quand je prends la parole devant des jeunes ici en RDC, je me sens utile et fier. » « Faire du business dans un environnement où toutes les règles sont à définir, ça demande d’être sur place. Sinon ce n’est pas évident. Il faut vivre les réalités de près. Rien ne se passe comme sur le papier ici. Quand on est loin, on a la critique facile. Les gens à l’extérieur se rendent difficilement compte que ce qui est supposé être évident, ici ne l’est pas. » « Pour vivre son rêve Africain, je dirais qu’il faut penser sans complexes et éviter de se mettre des barrières. Ce qui m’a marqué en Afrique du Sud c’est que les gens n’ont aucun complexe. Dans leur tête, ils sont mieux que les américains ! (Rires). Et c’est la bonne attitude. Par ailleurs, il faut éviter de prendre des raccourcis. Le Congolais est un gros rêveur qui veut réussir sans réaliser qu’il faut faire de gros efforts pour y arriver. Mettez de l’énergie dans vos projets et battez-vous pour vos idéaux. »

Les profils venus de l’extérieur ont une bonne formation de base, mais ils représentent une main d’œuvre plus chère et moins au fait des réalités locales. Et c’est sur cet aspect que les locaux prennent l’avantage. Je dirais pour résumer que les deux profils se complètent bien. Il m’est arrivé de tomber sur des personnes de la diaspora qui savaient se vendre mais qui n’avaient rien dans le ventre et des locaux qui avaient un vrai talent qu’il fallait simplement révéler. » Vivre son rêve Africain « J’ai été influencé par la culture occidentale, la télévision, les médias. A l’époque nous rêvions d’évasion et de changement de vie. Les choses ne sont plus exactement les mêmes aujourd’hui. Nos jeunes veulent toujours partir, mais avec de plus en plus l’ambition de rentrer au bercail, expérimenter ce qu’ils auront appris. » « Vous savez nous avons plusieurs défis majeurs sur le continent : Premièrement l’humain. Les gens ne sont pas toujours bien formés et n’ont pas la culture de l’emploi. Ensuite, les problématiques de financement. En tant qu’entrepreneur, il est difficile d’évoluer en Afrique. Les banques sont frileuses et ne prêtent pas. L’accompagnement est quasi inexistant. En tant qu’agence de communication, nous sommes obligés de jongler entre les multinationales et leur lourdeur (elles ne payent qu’au bout de 45 jours au moins) et un marché du travail encore très informel : pendant que d’un côté je dois attendre le paiement du client, de l’autre, je suis obligé de payer mon prestataire instantanément. Autre défi, l’environnement des affaires. Sans doute le plus gros défi. Je me souviens avoir entendu : « Ah Alain tu ne corromps pas ? Tu vas fermer boutique dans deux semaines ».

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FOCULTURE

SAVEZ-VOUS NOUER VOTRE FOULARD ? Par Marie Simone Ngane - @MamzelMaysi Photos par Laure Wavreille pour Osez le foulard La question peut paraître anodine. Tout le monde sait faire un nœud, alors, ça ne doit pas être très compliqué d’attacher un foulard. Et pourtant… Pratiqué depuis longtemps par les femmes africaines, l’attaché de foulard est depuis quelque temps une véritable mode. Il ne suffit pas de faire des oreilles de lapin et de faire passer le bout dans la boucle comme pour les lacets. C’est tout un art. Longtemps délaissé par les jeunes générations, la mode actuelle a redonné ses lettres de noblesse au port de la couronne en tissu. Appelé “maré têt” chez les caribéennes, “moussoro” chez les Bambara du Mali, ou encore “gele” chez les Yoruba du Nigéria, le foulard et son attaché revêtent une véritable symbolique.

Le foulard dans l’histoire

Au Mali, le foulard servait à protéger les cheveux contre les intempéries. En plus de ce rôle, c’était une arme de séduction. Les femmes rivalisaient d’adresse et de créativité pour le plus grand plaisir des maris. Chez les Bambara, les jeunes mariées se démarquaient des autres par leur attaché de “moussoro”. L’initiation à cet art et l’utilisation du foulard faisaient partie du rite du mariage. C’était pareil chez les Soninké où la mariée était reconnaissable à son “Nbissoro”. Des couleurs spéciales de foulard étaient attribuées pour le veuvage. Si chaque ethnie attribue une signification différente pour chaque foulard, le point commun est l’expression de la féminité. Le foulard servait même de communication dans le couple. Apprendre à attacher son foulard pour signifier un mécontentement et apprendre à déchiffrer les attachés faisaient partie de l’apprentissage du nouveau couple. Avec l’arrivée de l’Islam, le foulard a perdu un peu de sa majestuosité, chaque femme étant tenue de se couvrir sobrement la tête. On a tous été émerveillés par les foulards des clips nigérians. Dans la sous-région, les tenues traditionnelles des mariées se rapprochent de plus en plus de celles des Yoruba. On a (re)découvert les gele avec les vidéos de mariage des Nigérians, mais ce foulard particulier est commun à tous les peuples Yoruba que l’on retrouve également au Bénin, au Togo et au Ghana. Il est généralement fabriqué en Damask, Aso-Oke, Hayes ou Brocade, des matières rigides qui lui permettent de garder sa forme si particulière. En dehors de l’attaché de gele ordinaire, il existe des variantes modernes qui portent des noms particuliers comme “Super Jubilé” ou encore “Grand Suissel”. Le gele complète la tenue traditionnelle et ne pas le mettre serait considéré comme une faute de goût. Autrefois, on reconnaissait le statut marital d’une femme à la pointe de son gele; pointe à gauche pour les célibataires et à droite pour les mariées. Plus il était élevé et large, plus il sublimait le port de tête et était signe d’une position sociale élevée. Il a été un peu abandonné pendant quelques années par la plupart des femmes à cause de la complexité et de la patience que son attaché requiert, pour faire aujourd’hui son plus beau retour. Chez les Caribéens, l’art du “maré têt” est lié à l’esclavage. Les nuages de cheveux crépus dérangeaient les colons qui demandaient aux “travailleuses” de se couvrir la tête. Affranchies, elles se mettent à s’habiller à la mode et choquent encore plus. On leur retire le droit de porter leurs beaux chapeaux sans savoir que cela donnerait naissance à de superbes attachés de foulard. En effet, les adeptes du “maré têt” sont 38

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créatives et inventent de véritables couronnes avec leurs foulards.On pourrait trouver encore de nombreux exemples en parcourant les habitudes des africaines. Plus qu’un instrument de féminité, le foulard a souvent été un instrument de revendication. Pendant les indépendances, les foulards rouge et blanc ornés d’une hirondelle symbolisaient la lutte commune des peuples maliens, burkinabé, guinéen et ivoirien. Dans chaque région d’Afrique, ces étoffes avaient une place importante. Les femmes, qui étaient conscientes de leur rôle dans la lutte, manifestaient leur solidarité. De simples foulards sont devenus des symboles de la lutte.


Quand le foulard revient à la mode

Le port du foulard a été pendant longtemps lié au port de la tenue traditionnelle. Avec les modes de plus en plus occidentalisées, les tenues traditionnelles ont été relayées par les jeunes générations aux occasions particulières. Depuis quelques années, on observe une grande vague de fierté identitaire. Cette fierté a porté haut le pagne, les imprimés africains et les étoffes tissés sur le continent. Les africaines revendiquent le droit de porter le cheveu crépu, la tenue traditionnelle et le foulard sans que ce ne soit assimilé à un recul dans les progrès de la mode. Remettre au goût du jour l’esthétisme africain passe par une acceptation de sa culture et la mise en avant d’une autre féminité, loin des standards. De nos jours, il existe une multitude de manières de nouer le foulard. Les cultures se mélangent, le but étant de créer les plus belles couronnes. Pendant longtemps, le style “Nefertiti” a eu le vent en poupe porté par des stars comme Nina Simone, Erykah Badu ou Sally Nyolo. Il rend hommage à la coiffe de la célèbre reine égyptienne. “Mon mari est capable”, “Melekini”, “Babaguida” ou encore “Jamaïcaine” sont autant de noms d’attachés. Le foulard se porte avec tout. Il agrémente une tenue de ville occidentale comme la nouvelle petite robe en wax. Pour les plus douées, la toile regorge de tutoriels avec des étoffes plus ou moins longues, plus ou moins lourdes. On n’a plus nécessairement besoin de son Aso-Oke, une écharpe ou même un fichu fait l’affaire, il y en a pour tous les goûts. Pour les moins douées, il existe tout un business d’attaché de foulard.

Le business du foulard De l’attacheuse de foulard à la créatrice de foulards tous faits, chacun trouve son compte. Que l’on veuille un turban, un gele ou un attaché plus original, il suffit de taper sur la barre de son moteur de recherche pour trouver un prestataire. En Afrique francophone, le business en est encore à ses balbutiements, on se passe le nom des « attacheuses » de foulard par bouche à oreille. Au Cameroun, Dominique Hodieb a acquis le statut d’in-

fluenceuse grâce à son mouvement « dompter le foulard ». Elle pose pour les pubs d’un géant de la téléphonie et expose les photos de ses œuvres dans des galeries d’art. En Afrique anglophone, surtout au Nigeria, le gele est de rigueur et les prix montent souvent très vite. Du Nord au Sud de l’Afrique, l’occasion la plus particulière de porter un foulard reste encore et toujours le mariage. Être la reine d’un jour mérite bien de porter la plus belle des couronnes. En Occident aussi, on s’y intéresse. Ici, on privilégie les couronnes toutes prêtes. La marque Indira de Paris a adopté pour slogan « le turban pour les nulles… et les fortiches aussi ». On trouve assez facilement des jolies coiffes beaucoup plus discrètes à porter non pas seulement pour les grandes occasions mais surtout pour accessoiriser les tenues du quotidien. L’une des créatrices de foulards prêts à l’emploi la plus connue sur internet est Paola Mathé de Fanm Dianm (femme forte en créole haïtien). Suivie par 114.000 personnes sur Instagram, elle incarne sa marque et en booste les ventes. En 2014, elle commence son business en vendant tout simplement des foulards tous prêts chez elle le week-end. En 2017, elle fait la couverture d’une édition du New-York Times. Le foulard se mondialise. Chez « Osez le foulard », on organise des ateliers, on apprend aux dames à attacher leurs foulards elles-mêmes ou alors on se laisse faire sous les mains expertes de la créatrice. Lancé à Bruxelles en 2014, le mouvement multiplie les événements en Europe et s’est même déjà déplacé à Kigali. DK Ange, la créatrice, veut aider les femmes à avoir confiance en elle. Elle transforme les femmes en reine en leur attachant des couronnes. Que vous sachiez le nouer vous-même ou pas, souvenez-vous que le foulard a une multitude de significations suivant la manière dont on l’attache. Plus encore, portez-le fièrement, pas seulement pour cacher une coiffure trop vieille, des cheveux un peu gras, ou pour masquer la paresse de se coiffer, exprimez votre féminité. Il a servi de revendications d’une certaine beauté, d’un certain esthétisme pour tant de femmes et à ce qu’il paraît, dans certaines cultures, couvrir la tête empêcherait les mauvais esprits d’y rentrer. A vos foulards, prêts, attachez !!!

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4 QUESTIONS A - SENEGAL

PENDA DIOP CISSE Interviewé par Chrys Eve Nyetam - @fatihadiamant

D’origine sénégalaise, fille de diplomate née en France, Penda Diop Cissé a toujours été au contact de plusieurs cultures. Immergée dans le multiculturalisme dès son plus jeune âge, Penda Diop Cissé a vécu en France, au Maroc, au Sénégal, au Canada, aux Etats-Unis ou encore en Irak avant de s’installer en Côte d’Ivoire. Diplômée de l’EDHEC Business School de Lille, elle travaille au sein de multinationales comme Pernod Ricard, LVMH ou Canal+ avant de se lancer dans l’entrepreneuriat. Le parcours de Penda Diop Cissé se caractérise autant par sa singularité que par son éclectisme qui est à l’image du dynamisme de la nouvelle Afrique à laquelle elle contribue. Créatrice et Directrice Générale du groupe Piment Bleu Communication & Médias présent en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Niger et en Guinée, et du Colab, espace de co-working dédié aux entrepreneurs et aux startups, Penda Cissé Diop croit en une Afrique qui repousse les limites du possible. Elle nous parle de son retour. Inspire Afrika Magazine : Bonjour Penda. Quelles questions vous êtes-vous posées quand il a fallu rentrer sur le continent ?

Penda Diop Cissé : La première question après avoir obtenu mon contrat chez CANAL+, contrat pour lequel je devais avoir la charge du contrôle de gestion du groupe en Côte d’Ivoire a été : mes idées seront-elles bien perçues par l’ensemble de mes collaborateurs ? Pour moi, étant une femme très active, ma première préoccupation était plus portée sur mon nouvel environnement professionnel. Je rejoignais, pour le compte d’une multinationale, une filiale locale dont je devais avoir la charge du contrôle interne. J’avais peur de me heurter à mes nouveaux collaborateurs dans le sens où je devais tout optimiser dorénavant comme me le demandait ma mission. C’est sûr que lorsqu’on quitte la France pour l’Afrique, le retour semble plus évident car les mentalités se rapprochent en de nombreux points. Venant des Etats-Unis, et ne me rendant en Afrique que pour les vacances, j’avais peur du choc culturel qui pouvait naître de ce retour aux sources et des relations professionnelles. Notamment au sujet des méthodes de travail et plus spécifiquement en ce qui concerne le fonctionnement des structures hiérarchiques. Aux Etats-Unis, on donne ses idées de manière libérée, sans craindre de heurter la sensibilité de son patron. J’avais peur de paraître trop agressive et d’être moins bien perçue en Afrique du fait d’une rigueur « excessive ». Je savais que j’allais devoir faire preuve de diplomatie.

I.A.M : Avez-vous eu des désillusions une fois arrivée en Côte d’Ivoire ?

P.D.C : J’ai eu plus de révélations que de désillusions. Ayant vécu en France et aux Etats-Unis où nous voyons des milliers de startups se créer, l’Afrique est en comparaison un eldorado où il reste encore beaucoup à faire. Ma plus grande joie a été de constater que nous Africains, avions compris qu’il fallait travailler assez durement pour le développement du continent. Aujourd’hui, nous avons un continent qui 40

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ne reste pas en marge de l’innovation technologique, nous avons des jeunes africains qui se bougent, qui réfléchissent à des solutions innovantes pouvant résoudre certaines problématiques de premiers rangs, qui sortent des sentiers battus et qui proposent de la valeur ajoutée aux offres même si elles sont communes.

I.A.M : En quoi le fait d’être une femme peut être un accélérateur ou un frein quand on lance une entreprise en Côte d’Ivoire ? Et quand on décide de rentrer ?

P.D.C : C’est un accélérateur en termes de story telling. La femme africaine est perçue comme la Wonder Woman qui doit assumer son rôle social auprès de sa famille – notamment en tant que mère – et qui est désireuse de s’accomplir personnellement et professionnellement. C’est un frein dans certains réseaux à très forte dominante masculine. Une femme doit souvent se battre pour avoir sa place à la table des négociations. Mais aujourd’hui beaucoup de femmes font des choses extraordinaires et ce dans tous les secteurs. Elles ont des charges sociales et familiales importantes et pourtant elles s’en sortent à merveille.


I.A.M : 5 raisons de rentrer et de rester ? P.D.C : La volonté de participer au destin de l’Afrique doit être la raison principale motivant le retour surtout à une période où tout le monde regarde notre continent comme étant la seule zone de croissance significative des prochaines décennies. Chacun a envie d’apporter sa pierre à l’édifice. C’est un projet de vie et de société. De plus, il faut profiter des avantages économiques. Nous sommes chez nous. Aujourd’hui la vie dans certains pays d’Europe ou d’Amérique est devenue plus difficile que la vie en Afrique où on peut bénéficier d’un pouvoir d’achat non négligeable. Ensuite il faut rester pour le tourisme. Cette raison soutient l’argument économique. Il existe de nombreux paysages qui valent le détour. De nombreuses capitales ont beaucoup de choses à offrir : Dakar, Yamoussoukro, ou encore Saint Louis. La troisième raison tient au fait qu’il y’a de plus en plus d’attractions. Il arrive qu’à l’étranger, on s’imagine qu’on ne peut faire que le tour de la famille lorsqu’on se rend en Afrique. Il n’y a pas que la famille. Il y a de plus en plus de manifestations culturelles et des festivals qui sont organisés. Enfin, il faut rentrer et rester parce que la question du retour invite à un changement des mentalités qui doivent évoluer. Aujourd’hui nous devons reconstruire une nouvelle Afrique, fière de ses origines et désireuse d’accueillir des personnes qui ont connues d’autres horizons.

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LE BAR A LECTURE - LA REVUE

LES LECTURES D’INSPIRE AFRIKA Par Francesca Ngahane

En son temps, Aimé Césaire écrivait son cahier d’un retour au pays natal pour nous parler de la complexité de faire “le chemin inverse”. Mongo Beti a parfois exprimé la désillusion d’une génération rentrée dans les années 90 prête à tout changer et se heurtant à l’inertie. Aujourd’hui, Imbolo Mbue et Chimamanda Ngozi Adichie font des best-sellers en racontant l’histoire d’africains entre deux cultures. L’histoire change mais se ressemble. La question du retour fascine écrivains comme lecteurs. Le Bar à Lecture vous propose une pause dans ce questionnement ô combien important entre poèmes poignants et doubles maléfiques. À la rédaction, on a beaucoup aimé ces livres. On espère qu’ils vous accompagneront pendant les prochains mois. 100 Days, Juliane Okot Bitek, 2016 100 jours ça peut paraitre long, pas vrai ? Mais on sait tous comment le temps passe vite. Certains diront qu’il court ou qu’il fuit. La certitude c’est qu’on ne l’oublie pas, ni lui, ni les événements qu’il emporte au passage. En 1994, selon l’ONU, près de 800 000 personnes ont été tuées en l’espace de 3 mois au Rwanda. Pendant 100 jours et sous forme de poème, Juliane Okot Bitek a retracé le cauchemar persistant qu’a représenté le génocide Rwandais. Chaque poème rappelle la perte inutile et insensée de la vie et de l’innocence, s’inspirant de l’expérience de déplacement qu’a connu la famille de l’auteur sous le régime dictatorial d’Idi Amin. Pourquoi pas en lire 1 chaque jour.. Pendant 100 jours ? Nous vous mettons au défi !

ouvrage, sont accessibles sur la page web de l’auteur : https://julianeokotbitek.com/tag/100- days/ De quoi donner l’envie aux amateurs d’anglais de travailler leur compréhension écrite ! L’extrait Day 1 I have nothing I stand before you with nothing I am nothing You stand before me with nothing I don’t know what I know but I know that you know nothing Having come from nothing To nothing & from nothing Let my nothing meet your nothing We may find something there

Sur l’auteur Née au Kenya, Juliane Okot Bitek a grandi en Uganda, son pays d’origine. Elle réside aujourd’hui au Canada. Sa nouvelle Going Home remporte en 2004 le prix de la Commonwealth Short Story Competition et fait la une de BBC et CBC. Elle est reconnue pour ses essais passionnés et ses poésies engagées portant sur les questions sociales et politiques de son temps. Le + Juliane Okot Bitek poursuit l’oeuvre littéraire de son père Okot p’Bitek, décédé en 1982, précurseur de la littérature africaine et reconnu dans la littérature mondiale notamment pour son ouvrage Song of Lawino. Il a contribué à faire connaître son pays l’Uganda et la langue Acholi parlée par plus d’un million de personnes en Afrique Subsaharienne. Le L’ouvrage n’est pas disponible en version française. Mais à titre de lot de consolation sachez qu’en plus de se lire facilement (pas besoin d’avoir eu un score incroyable au TOEFL !), 90 poèmes, correspondant aux 90 premiers jours durant lesquels Juliane Okot Bitek a écrit son INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou, 2006 Avez vous déjà été lié à une personne pour le meilleur et pour le pire ? Dans Mémoires de porc-épic, l’animal-narrateur, un porc-épic de 42 ans est le double nuisible d’un certain Kibandi, jeune garçon d’une dizaine d’années. La petite bête malicieuse, exécutait les souhaits macabres de son maître. Ils avaient la même vie, le même souffle et étaient censés mourir au même moment. Mais surprise ! Kibandi est assassiné et le porc-épic est encore en vie. Le héros du livre décide alors de raconter ses aventures à un baobab. Oui, cela a de quoi faire perdre les pédales ! Ecrit d’une traite, avec pour seule ponctuation la virgule, Mémoires de porc-épic mêle à la fois la fable, le conte et le fantastique. Entre les savoureux personnages et les meurtres saugrenus à répétition, l’ouvrage saura vous enthousiasmer. L’auteur Ecrivain et enseignant d’origine Congolaise, diplômé de l’Université Paris-Dauphine, Alain Mabanckou est né au Congo en 1966 et vit aujourd’hui aux Etats-Unis. Finaliste en 2015 du Man Booker International Prize et du Premio Strega Europeo, l’ensemble de son œuvre a été couronné par l’Académie Française et par la Principauté de Monaco. Le + Le livre qui a remporté le prix Renaudot en 2006, est une parodie d’une légende populaire qui voulait que chaque être humain possède son double animal. Étrange, non ? Le Les anglophones ne pourront pas profiter de ce plaisir littéraire qui n’est malheureusement pas disponible en version anglaise. L’extrait « Mon cher Baobab, je voudrais retourner vivre dans notre ancien territoire parce que la fréquentation des hommes a créé en moi le sentiment de la nostalgie, un sentiment que je qualifierais de mal du territoire, eux parleraient de mal du pays, je tiens désormais à mes souvenirs comme l’éléphant tient à ses défenses, (… ), oui, l’irréparable, j’y pense aussi, me donner la mort, mais c’est la pire des lâchetés, (… ), et si j’existe encore, nom d’un porc-épic, c’est parce qu’une volonté au-dessus de moi l’a décidé, or s’il en a été décidé ainsi, c’est que je dois forcément avoir une dernière minute à remplir ici-bas. »

Alain Mabanckou

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LE BAR A LECTURE - LA NOUVELLE

ORGUEIL ET PRÉJUGÉS Par Leila Marmelade - @LeilaMarmelade Illustrations par Madior Sow Ouakara

Idris se demandait toujours pourquoi on parlait de Libreville la belle plutôt que de Libreville la verte. Des arbres, il y en avait à perte de vue alors qu’on se trouvait en pleine capitale. Il n’aurait pas su tous les nommer mais ce qui était sûr, c’était que leur feuillage luxuriant donnait du peps au panorama. S’il avait fallu ne compter que sur les maisons à moitié bâties ou les villas non peintes, le résultat aurait été moins… chatoyant. Il mit le volume de la radio à fond et bougea la tête en rythme en contemplant le paysage. A force de vouloir différencier les manguiers des badamiers, la voiture fit une embardée et sa poitrine cogna douloureusement le volant lui arrachant un juron bien senti. Tous les voyants lumineux s’éteignirent de concert. Apparemment, il venait de caler le moteur. Il avait voulu jouer au plus malin en prenant un raccourci pour éviter les embouteillages du centre ville et voilà qu’il se retrouvait piégé dans un

quartier où le bitume avait dit bye bye à la population depuis les indépendances. Libreville-la-sans-route serait peut-être plus approprié se dit-il en descendant pour vérifier les dégâts. Il écarquilla les yeux de terreur en constatant la longue éraflure qui ornait désormais le flanc de la berline. Il s’humidifia le pouce de salive et essaya tant bien que mal de faire disparaitre ce qu’il pouvait. Avec un peu d’insistance, les traces finirent par disparaitre et Idris put de nouveau respirer librement. Il posa un baiser sur ses doigts et caressa la peinture métallique en remerciant le ciel. Il se remit au volant avec entrain et démarra l’engin. Rien ne s’alluma, aucune lumière clignotante, aucun doux ronronnement, rien. Son cœur manqua un battement. Quinze minutes plus tard, il dut s’avouer vaincu. Cette maudite voiture flambant neuve était tombée en panne. Il sortit d’une main tremblante son iPhone de sa poche et lança un appel.

— Tu te rappelles du type qui a dit en direct à la télé : je suis mort, je suis foutu ? demanda-t-il à son ami dès qu’il décrocha. — Y’a quoi ? — Bah je suis mort ! — Donc là tu essaies de me faire croire qu’il y a le réseau en enfer ? Je suppose que c’est de là que tu m’appelles ! — Je suis dans la merde et tu fais de l’humour ? Je suis en plein quartier Akebe. La voiture…La voiture, putain de merde… commença–t-il à bégayer.

Déjà, de petits garçons apparus de nulle part, torses nus, culottes noircies par la crasse chuchotaient entre eux en désignant la voiture en panne. Idris se sentit de plus en plus nerveux. Il imaginait déjà ces garçons donnant l’alerte à leur ainés qui rappliqueraient vite fait pour le dépouiller de tout ce qui avait de la valeur dans et sur la voiture.

Son interlocuteur éclata d’un rire sonore signe qu’il avait compris que le problème était vraiment grave. — Vous les gabonais vous êtes comme ça ! Vous habitez des maisons en planches et conduisez des voitures dernier cri dans des quartiers populaires. On va bien te braquer les jantes de la voiture là ! — Tu me trouves une solution ou tu continues ta leçon ? demanda Idris en jetant de rapides coups d’œil inquiets aux alentours.

— Bon soyons un peu sérieux. Si tu es à Akebé vas chez Manu et Fils. Ils font des merveilles avec les Lexus. Manu a réparé la Hummer d’Alexis, il n’y a pas longtemps. — Donc tu veux que je confie cette voiture qui vaut au bas mot 15 ans de ton salaire… à quelqu’un qui a ouvert son garage dans Akebé ? — 15 ans du salaire de qui ? Moi ? Un ingénieur de haut niveau qui commande les expatriés comme moi ? Tu es fou !

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LE BAR A LECTURE - LA NOUVELLE Cette fois-ci ce fut au tour d’Idris de rire de bon cœur. S’il y avait bien une chose dont Cédric son ami, était fier c’était d’être mieux payé que les expatriés français du secteur pétrolier dans lequel il officiait. Pour lui c’était comme d’être un esclave affranchi possédant tout un ranch dans l’Amérique de la traite négrière. Le numéro du garage lui fut envoyé par messagerie et il les contacta. Malheureusement aucun camion de dépannage n’était disponible. A sa grande surprise, ce furent les ados du coin qui l’aidèrent sans qu’il ne le demande en poussant la voiture jusqu’au garage. Une fois sur place, ils acceptèrent qu’il leur paie une tournée de soda chez le boutiquier du coin et le quittèrent heureux de cet argent si facilement gagné.

à cette bande d’amateurs. Il retrouva le bonhomme musclé qui essuyait la moto. — Mais vous m’avez dit que Manu était là. — Oui. Manuella. Tout le monde l’appelle Manu. — C’est écrit Manu et fils… depuis 1980. — Ah oui. Le garage était à son père Emanuel Mvou. On l’appelait tous Manu. Le nom est resté.

Le garage dénommé « chez Manu et Fils » n’était pas à proprement parlé un garage, juste un vaste terrain avec un portail qui tenait à peine debout. Pour en faire un garage digne de ce nom il aurait fallu des aménagements que le propriétaire n’était semble-t-il pas disposé à faire. Il aurait peut-être aussi fallu ramasser toutes les mangues mures tombées au pied du portail de fer, afin de rendre l’endroit moins délabré. Idriss interpela l’homme en débardeur qui se battait avec les roues d’une moto de course.

— Petit, ta voiture là, avec tout ce qu’il y a d’électronique dedans… Ce n’est pas n’importe qui, qui doit la toucher. Manu te la répare en deux temps trois mouvements. Mais si tu n’as pas confiance, tu peux toujours aller à la maison mère payer 5 millions pour une petite panne de rien du tout. Comme vous les enfants d’aujourd’hui vous ne faites confiance qu’aux blancs.

Les épaules d’Idriss se voutèrent, il n’était pas sorti de l’auberge. L’homme en face de lui compris son indécision, habitué qu’il était aux réactions misogynes des clients.

Manu s’approcha d’eux, un petit sourire méprisant aux lèvres. Avec son afro indisciplinée, Idris lui trouva un air de militante pro vote noir.

— Excusez-moi ! Vous pouvez m’aider pour la voiture ? L’homme, à la barbe bien fournie et au corps d’athlète jeta un rapide regard à la berline avant de cracher à coté du pneu enfin démonté. Idris se retint de faire un commentaire désobligeant. Il appela un autre garagiste qui bricolait une Toyota Carina tellement vieille que le « Ta » de Toyota avait disparu. — Les berlines automatiques c’est du ressort de Manu, ces trucs la c’est fragile et les pièces coûtent chères, expliqua ce dernier. Va vers là-bas, dit-il en lui indiquant la gauche ou étaient entassés des moteurs de voitures ainsi que des pare-chocs en mauvais état. Quel accueil ! Idris prit son mal en patience et se dirigea vers le coin où était censé se trouver ledit Manu. De dos il put constater que Manu était un type plutôt gringalet, pas très grand, qui portait une casquette à l’envers sur une énorme touffe de cheveux crépus. Est-ce que cet homme était même capable de soulever une roue de voiture ? Il s’éclaircit la voix et appela le fameux Manu. — Ouep ? Y’a quoi ? demanda Manu sans se tourner pour autant. Il bricolait le moteur d’une Mercedes. Idris se fit la réflexion de leur faire des remarques sur leur accueil plus que non professionnel dans ce garage d’amateurs. Et puis c’était quoi cette voix de femmelette ? — Lexus en panne. On m’a dit de m’adresser à vous. — Vous avez du cash ? Parce que j’ai eu beaucoup de chèques sans provision ces derniers temps. — Oui, j’ai du liquide. — J’arrive. je finis avec la Merco. — Je n’ai pas le temps d’attendre. Faut vous en occuper maintenant. C’est urgent. Manu se retourna. Et la casquette tomba. Idris leva les sourcils de surprise et Manu compris qu’elle avait à faire à un de ces guignols plein aux as qui aimaient chipoter pour pas grand-chose. — T’es une femme ! s’exclama Idris sans s’en rendre compte. — Ah je ne l’avais pas remarqué. Un point pour toi, répondit Manu ironique. Idris tourna les talons sans rien ajouter. Cette voiture, il ne pouvait pas la confier

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— Patrick laisse le partir. Je ne cours pas derrière les clients, ajouta-t-elle d’un petit air suffisant qui exaspéra Idris. Comment pouvait-elle affirmer avec autant d’aplomb ne pas courir derrière les clients alors que le garage était décrépi. Elle croisa les bras sur sa poitrine invisible sous la combinaison de travail de couleur bleue. Idriss se gratta le sourcil afin de se calmer avant de reprendre la parole. Après tout, il avait réellement besoin qu’on jette un coup d’œil à la voiture.


LE BAR A LECTURE - LA NOUVELLE — Est-ce que tu peux s’il te plait jeter un coup d’œil à la voiture ? — Pourquoi vous passez au tutoiement ? — Pardon ? — Tout à l’heure vous pensiez que j’étais un homme vous m’avez vouvoyée. Je me suis tournée et maintenant c’est « tu ». Parce que je suis une femme ?

— Comment tu le sais ? — Je le sens c’est tout. J’espère que tu ne l’as pas volé hein. Je ne veux pas aller en tôle pour ta belle tête. Idris dut se mordre la langue pour ne pas lui faire remarquer qu’elle venait d’avouer qu’elle trouvait qu’il avait une belle tête.

Idris leva les yeux au ciel. — Non c’est parce que je me suis rendu compte qu’on avait probablement le même âge. De dos je pensais que tu étais Manu père, pas Manu fils, enfin fille. — Hum ! — C’est bon maintenant ? Tu peux s’il te plait regarder la voiture ? — C’est ma pause-déjeuner. — Donc ? — Je pourrai la regarder après ma pause. Elle alla prendre un vieux sandwich entamé et mordit dedans comme une affamée. Patrick se mit à rire et Idris comprit qu’elle le prenait pour un con. Il desserra sa cravate car il commençait vraiment à étouffer. Il remarqua qu’elle avait du mal à quitter des yeux la berline. Il en déduisit qu’au fond d’elle, elle mourrait d’envie d’examiner la voiture mais s’en empêchait pour faire perdre patience à Idris. Mais manque de pot pour elle, prendre son mal en patience, il savait faire. Il braqua donc ses yeux sur l’écran de son téléphone et fit mine de ne pas remarquer qu’elle s’avançait vers la Lexus comme si de rien n’était. Elle posa son sandwich sur le toit de la voiture et en fit le tour en guettant l’intérieur. Patrick siffla doucement Idris qui leva les yeux de son écran. Il lui fit un petit signe de tête puis bougea sa main fermée de droite à gauche pour mimer une clef. Idris sourit lorsqu’il comprit le message discret et sans quitter son écran des yeux, déverrouilla à distance la voiture. Manu sursauta et reprit son sandwich en prenant bien soin de mâchonner chaque bouchée avec lenteur. Il était presque finit et elle avait bien l’intention de le manger pendant encore une bonne trentaine de minute, histoire de faire mariner Monsieur-je-suis-propre-sur-moi. Mais cette Lexus LS 600h L était une pure merveille ! Même si elle les réparait, elle savait que pour le moment elle ne pouvait s’en offrir une comme ca même si elle en connaissait les caractéristiques par cœur. Cette voiture pouvait monter à 250 km/h et consommait 8,6 litre tous les 100 kilomètres. Elle caressa des yeux la calandre trapézoïdale soulignée de chrome et ne put s’empêcher de ressentir un frisson de plaisir devant cette coupe aussi racée que luxueuse. Un grand écran multimédia et un système de sécurité pré-collision bien utile avec les chauffards fous de Libreville. A bout, elle finit par engloutir le dernier morceau épais dans sa bouche pour se libérer les mains et ouvrit le capot avec dévotion. Idris s’adossa au portail branlant, abimé par la rouille et la regarda faire. Elle fit plusieurs aller-retour et ressortit à chaque fois avec des outils différents dont il ne connaissait même pas l’utilité. Elle pianota aussi sur son téléphone, se gratta la tête, grogna une tripotées d’injures plus que salaces. Une trentaine de minutes plus tard, avec un chiffon imbibé d’un produit spécial, elle essuya les dernières traces de poussière puis s’arrêta pour admirer son travail. La voiture ronronnait comme un fauve prêt à bondir. — Oui ma belle, c’est toi la plus belle, l’entendit murmurer Idris au véhicule. Ce qui était sûr, c’était qu’elle connaissait son métier sur le bout des doigts et le faisait avec passion. Il se rapprocha d’elle un peu moins enclin à critiquer son coté brut de décoffrage. Elle avait finit par nouer le haut de son blouson de travail sur ses hanches quand la voiture avait refusé de démarrer suite à ses premiers ajustements mécaniques. Idris essayait donc de ne surtout pas faire descendre son regard sur ses petits seins fermes dont les bouts pointaient à travers le tissu du tricot. Il accrocha son regard à celui de Manu. A présent de petites traces de salissures zébraient sa joue mais ça lui donnait plus un air candide que brouillon. — Ce n’est pas ta voiture…

— C’est la voiture que ma patronne vient d’acheter. C’est une femme d’affaire très influente. Ce soir c’est l’anniversaire de son mari et j’étais censé emmener la voiture chez une décoratrice qui devait orner la voiture avec des rubans pour qu’elle lui offre ca ce soir. C’est pour ça que j’ai failli avoir une crise cardiaque quand elle s’est arrêtée. J’étais à cran. — C’est une manière de t’excuser de m’avoir tutoyée ? — On ne va pas revenir sur cette histoire de tutoiement ! Si ? — Etant donné que je viens de te sauver les miches… Tu devrais même être en train de me baiser les pieds. — Oh... — Quoi oh ? — Non rien. Etonnamment, il aimait bien sa manière de s’exprimer. Sans manière. — Donc t’es chauffeur ? demanda-t-elle en essuyant une dernière poussière imaginaire du rétroviseur — Non secrétaire. — T’es secrétaire ? Genre secrétaire comme les femmes ? — Secrétaire ou assistant si tu préfères. Et toi t’es garagiste, genre garagiste comme les hommes, répliqua-t-il en souriant. — Un point pour toi, accorda-t-elle en souriant à son tour. Le cœur d’Idris fit une embardée comme la voiture quelques heures auparavant. Elle avait un de ces sourires lumineux ! Des lèvres qui s’ourlaient de manière très sensuelle en laissant apparaître de belles dents blanches. Il dut se forcer à la regarder de nouveau dans les yeux. Manu se dit qu’elle l’avait peut-être mal jugé quand il lui avait sourit. Il aurait pu mentir, essayer de paraître plus important qu’il n’était et elle l’aurait cru. Avec sa belle veste grise, elle aurait cru n’importe quoi venant de lui. Elle lui fit signe de patienter une petite minute et alla récupérer le ruban rouge qui ornait une voiture de mariage qu’elle avait dépannée une semaine auparavant. Elle se débrouilla avec quelques bouts de scotch et le résultat final était vraiment appréciable. — Merci, dit poliment Idris. — Ne dit pas merci, je vais te le facturer aussi, rétorqua-t-elle aussitôt. — Bon je retire mon merci alors. Ils éclatèrent de rire tout d’eux avant qu’Idris ne jette un coup d’œil à sa montre. Le soleil se glissait timidement dans son antre à l’horizon et baignait d’or l’atmosphère. Il était temps de partir. Mais il n’en avait pas envie. Il avait envie de découvrir comment ce bout de femme d’à peine 50 kilos à vue de nez avait développé ce talent incroyable avec des voitures. Mais il n’en avait pas le temps. Il se résolut alors à mettre fin à leur conversation. — Ca fera combien ? demanda Idris en sortant des billets de son portefeuille. — 475…410…390…350…310 000 francs CFA, égrena Manu avec toujours aux lèvres son magnifique sourire. — Pourquoi tu baisses le prix comme ca ? — C’est ton sourire qui le fait baisser, répondit-elle avec aplomb. Je suis raide dingue des voitures et des hommes avec les dents du bonheur, expliqua-t-elle en pointant du menton son visage. Donc quand tu souris… Ca me rend gentille. Et puis c’est moi la boss, je fais ce que je veux… — Vraiment ? INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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LE BAR A LECTURE - LA NOUVELLE — Ouep. Mais j’aime les mecs qui savent ce qu’ils veulent… ajouta-t-elle de manière très énigmatique. Elle l’avait dit en plantant son regard dans celui d’Idris qui lui sourit de plus belle. Autant de cran et de confiance en soi… ca devait faire des étincelles dans une chambre se dit-il bien malgré lui. — Oui c’est toi la boss mais c’est la première fois que tu baisses le prix comme ça, intervint Patrick en bougonnant. Ils l’avaient complètement oublié. Ils se résolurent à enfin se quitter des yeux. — D’ailleurs viens payer ça chez moi, ajouta Patrick en lui montrant un carnet de quittances. C’est quoi cette histoire de dents du bonheur! — L’espace qu’il y a entre les dents du devant, expliqua Manu. — Mtchrrr. Si j’avais su que tu aimais ça, je me serai cassé les dents du devant plus tôt hein, argumenta Patrick. Manu fit peu cas de lui et quitta les deux hommes pour aller ranger ses outils avant de se ridiculiser encore plus. Elle et sa grande gueule ne savaient jamais rester tranquilles. Idris régla la facture qui lui fut présentée et s’éclaircit la gorge pour faire sa demande vu que Manu s’était éloignée d’eux. — Euh, vous n’avez pas de carte de visite ? — Pourquoi ? demanda Patrick en plissant les yeux. — Bah… — Si tu veux le numéro de la petite c’est sur la facture au lieu de tourner autour du pot. Idris lut le numéro et le mémorisa de suite.

A propos de L’auteur : Leila Marmelade est une auteure gabonaise. Juriste de formation, elle a choisi d’assouvir sa passion pour l’écriture sur Facebook en écrivant des chroniques désormais suivies par près de 10.000 personnes. De l’Inde au Gabon, Leila voyage par les écrits en attendant d’assouvir son rêve, «faire un petit tour du monde». Ses histoires sont avant tout destinées aux femmes. « Pas celles qui attendent que le prince charmant vienne changer leur vie, mais celles qui disent plutôt à ce prince : « quoi, c’est maintenant que tu arrives ? Installe-toi si tu veux, mais j’ai déjà tout fait moi-même! » «. Derrière ce pseudo, on devine une femme forte qui veut donner une autre image de l’Africaine, non pas seulement forte parce qu’elle est le pilier de la famille mais indépendante. Les deux premiers tomes de son histoire à succès Vaudace viennent d’être publiés aux éditions Kusoma . Il nous tarde de la retrouver dans nos librairies.

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— Merci. — Mais c’est moi qui réponds aux appels hein, expliqua-t-il en éclatant de son rire tonitruant. Et surtout quand on lui fait du mal c’est moi qui casse la gueule, prévint Patrick en faisant bouger ses pectoraux pour influencer Idris. Idris se contenta de sourire. Pour aujourd’hui c’était grillé mais il comptait bien revenir même s’il ne savait pas trop sur quel pied danser avec Manuella. Il prononça encore mentalement ce prénom qu’il adorait déjà. Manuella ne devait pas être du genre restau de luxe. ca tombait bien parce qu’il aimait cuisiner. Peut-être pourrait-t-il à son tour l’impressionner avec du poisson frais braisé accompagné de pommes de terre sautées. En récupérant un flyer publicitaire, Idris vit un marqueur posé sur la table brinquebalante qui faisait office de bureau et s’en empara. Puis sans se soucier de salir sa belle veste de costume, il empila des pneus sur lesquels il grimpa. Cela lui permit d’être à la bonne hauteur. Il lut à haute voix : Chez Manu et fils et secoua la tête. Il modifia donc l’inscription de l’enseigne du garage avec son marqueur. Le résultat lui plut. Patrick le vit faire, étonné qu’il se permette de gribouiller sur une enseigne qui ne lui appartenait pas. Mais à la lecture de la nouvelle inscription, il sourit à son tour. Ça faisait bien dix ans qu’ils auraient dû y penser. Idris remit les pneus en place, passa même un petit coup de balai car il avait horreur du désordre ambiant. D’ailleurs, si sa patronne n’arrivait pas à se passer de lui c’était surtout pour ses compétences organisationnelles et son soin du détail. Il fit un petit salut à Patrick car Manu n’était plus dans les parages et s’éloigna pour monter dans la Lexus et s’en aller. Patrick appela Manu en criant que le client venait de faire une bêtise. Manu ferma le capot de la Mercedes se reprochant d’avoir été trop amicale avec Idris. Elle essaya de contenir sa fureur jusqu’à ce qu’elle rejoigne Patrick et lève les yeux sur l’inscription. Il était désormais écrit : Chez Manu et filsle. Depuis 1980. (Chez Manu et fille. Depuis 1980).


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INSPIR’TALKS #6 / RECAP

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REPATS AFRICAINS : SOMMES-

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Le 23 Juin dernier se déroulait la 6ème édition des Inspir’Talks à Paris. Nous cherchions à déterminer le profil des repats Africains, mais aussi à créer une vraie conversation autour d Laure Gnagbé Blédou, l’événement avait pour invités : Mr Issiaka Konate, DG des Ivoiriens de l’Extérieur - Mme Marion Scappaticci, DA de la Fondation AfricaFrance - Messieurs Bric thod, CEO de la Maison YUXE, Mme Paola Audrey Ndengue, DG de PANNELLE & Co. et Mr Gossy Ukanwoke, CEO de Beni American University. Revivez l’Inspir’Talk en images ! 1- Discours de bienvenue de Mr Leonard Cox, Chef de Cabinet de la Présidence du MEDEF 2- Chrys Eve Nyetam, Directrice Générale d’Inspire Afrika Magazine, présente les résultats de notre étude sur les repats Africains 3- ivées et publiques qui accompagnent le retour 4- Intervention de Mr Issiaka Konate, entouré de Mme Marion Scappaticci et Messieurs Brice Bredji et Steve Nicouey 5- Opening Speech par Mr Souleymane Khol, qui nous a raconté pourquoi il a décidé de rentrer en Afrique 6- Place au second panel sur le retour d’expérience, avec 3 repats : Paola Audrey Ndengue, Camerounaise vivant en CIV, Gossy Ukankwowe, Nigérian vivant au Nigéria, et Souleymane Khol, Sénégalais vivant au Maroc ! 7- Intervention de Nathan Londadjim, co-founder de l’Agence Medias France ex-repat d’origine Tchadienne, ayant décidé de rentrer en Afrique du Sud, ancien banquier à Johannesburg, aujourd’hui de retour en France, co-fondateur de l’Agence Medias France 8- Intervention de Romarick Atoke, Architecte rentré au Bénin après un an d’expérience en France 9- Intervention de Serge Owona, serial entrepreneur Camerounais, à la tête de l’agence de communication OSS et de l’Association Melting Pot Development 10- Arthur Kouoh expatrié basé en France qui a fait un discours très poignant sur les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas rentrer au Cameroun

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-NOUS TOUS FAITS POUR LE RETOUR ?

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du retour sur le continent, sans langue de bois : tous les Africains de la Diaspora sont-ils faits pour rentrer ? C’est la question à laquelle nous avons tenté de répondre. Modéré par ce Bredji et Steve Nicouey, Fondateurs de KODJI Agency - Mr Souleymane Khol, VP Sales & Marketing de AccorHotels pour l’Afrique et l’Océan Indien - Mme Yamousso Thiam-Ber11- Intervention de Cynthia Mukendi, née en Belgique et d’origine Congolaise, qui est rentrée au Nigéria, puis est retournée en Belgique. Actuellement, elle cherche à repartir sur le continent, mais dans un autre pays Africain 12- Intervention de Thierry Tchapnga, DG de Paraethnik.com, entrepreneur Camerounais souhaitant s’installer en Côte d’Ivoire 13- Une audience attentive et concentrée 14- Intervention de Mme Anto Cocagne, chef Gabonaise vivant à Paris, qui nous explique la difficulté de rentrer dans son pays quand on est une femme, qui en plus exerce un métier peu valorisé 15- Intervention de Princesse Likayi, COO de Talent2Africa, plateforme de recrutement vers l’Afrique 1617- Closing speech de Mme Yamousso Thiam Berthod, DG de Yuxe Africa 18- Joan Yombo, Directrice de Publication d’Inspire Afrika Magazine, remercie l’audience et rappelle la volonté du magazine de valoriser les jeunes entrepreneurs qui façonnent la Nouvelle Afrique 19- Place au networking ! 20- Pendant le cocktail, les boissons naturelles de Moriba ont ravi les papilles de ... 21- Certains ont préféré les bulles, en dégustant les produits de Nicolas Feuillate 22- Photo de famille avec l’équipe Inspire Afrika, les intervenants et les partenaires ! INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / SEPTEMBRE - DÉCEMBRE 2017

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