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patrick bĂŠrod
une vie une vie suspendu suspendue 25 ans de parapente
Je ne sais pas si chaque homme a un destin tracé quelque part. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a des portes qui s’entrouvrent ou s’ouvrent le temps d’une vie et qu’il ne tient qu’à nous d’oser les pousser (par curiosité ou tiré en avant par cette fameuse destinée). Depuis deux ou trois ans, en me penchant sur mon passé, je me disais « faudrait que je fasse un bouquin ». Pensée appuyée par mes fidèles élèves : « écris toutes ces anecdotes, écris sur ton histoire ! ». Ca y est, la barre des cinquante ans est passée et je me sens mûr pour faire tomber le fruit de ma vie. Mes 25 années passées à voler, mes 18 en Equipe de France m’ont apporté un bonheur incomparable. De tous les sports que j’ai pratiqués, il n’y a que le parapente qui m’ait fait vibrer autant et qui me fera vibrer encore. Etre un oiseau une heure ou dix heures durant, contempler la Terre depuis le ciel, quoi de plus beau et de plus envoûtant ? Chaque fruit doit mûrir, il faut laisser le temps au temps, comme les 17 ans qu’il m’a fallus pour devenir champion du monde. Je savais au fond de moi que cela arriverait. Alors j’attendais mon heure avec la même détermination, le même travail, la même motivation d’année en année.
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Bien sûr, les problèmes de la vie, et on en a tous, donnent parfois une saison sportive en dents de scie. Mais si en nous persiste toujours l’amour du jeu, alors on peut jouer longtemps. Un livre, c’est comme un enfant, je pense qu’il est important de se faire guider pour l’accouchement. En rencontrant Aurélie Cottier, journaliste, photographe et parapentiste, aux Açores, l’été dernier, en voyant l’étincelle d’envie, de curiosité dans ses yeux, j’ai senti que le fruit arrivait enfin à maturité. Vous allez vous balader au gré des années, au gré des saisons, orchestrées par tous ces souvenirs... Je n’aime pas parler du passé, mais revivre ou faire revivre de grands moments construisent aussi l’avenir. Un livre sur sa vie, on en écrit qu’un seul. Donner un peu de place, grâce à ces différentes préfaces, à ceux qui ont cru en moi est essentiel. C’est aussi un hommage car ils ont participé à mon histoire et à ce que je suis devenu. Merci et à tout à l’heure. Patrick
Je dédie ce livre à tous ceux qui, oiseaux, se sont brûlés les ailes et sont partis emportés par cette passion, directement ou indirectement : Gilbert Zanzi, Olivier Pérez, Jean-Marie Fabre, Sylvain Mison, Val Montant, Yves Remond, Pascal Betemps et tous les autres. À deux amis disparus trop tôt de maladie : Jean-Pierre Coello le «Woindu» en 1999 et Richard Piot «Ricou» en 2008. Quel immense bonheur et quel privilège d’avoir un jour volé avec vous !
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page 2
préfaces
page 8
interview
page 20
premiers vols
page 36
jeté de sac
page 58
les oiseaux
page 86
les arbres
page 88
les vaches
page 118
la pêche
page 136
Photo : Aurélie Cottier
introduction
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« L’homme est foncièrement nomade. Il est fait pour se promener, aller voir de l’autre côté de la colline. Par essence, la femme l’arrête. L’homme s’arrête près d’une femme et elle a envie qu’on lui ponde un oeuf, toujours, toutes les femmes du monde en ont envie. Alors on pond l’oeuf. L’homme est gentil, il calcule infiniment moins que la femme. Je ne dis pas que la femme est méchante, je dis que l’homme est con. L’homme reste près de cet 10
oeuf. Il va chercher de la paille. Il fait un toit. Il bâtit des murs et il reste là. Toute sa vie l’homme rêve de foutre le camp. Et les hommes ne sont malheureux que dans la mesure où ils n’assument pas leurs rêves. Alors que la femme a un rêve, c’est de garder le gars. Ce n’est pas méchant. C’est un ennemi. C’est un merveilleux ennemi. Si tous mes ennemis étaient nus, qu’est-ce que je les aimerais ». Jacques Brel
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préf ace s 12
Kti et moi n’aimons pas classer les gens en amis, copains, etc. Patrick fait partie des gens que nous aimons et aimerons toujours. Et nos potes, nous les prenons tels qu’ils sont, qualités et défauts compris (et Patrick en a quelques-uns, on a la liste !). Sa devise résume l’homme : « Qui ose gagne » dit-il souvent. Il dit aussi : « On vole comme on vit, on vit comme on vole… » Forte personnalité, gros caractère, profil d’ours, Patrick ne passe pas inaperçu. Côté sportif, son palmarès vaut mieux que des discours. Juste une remarque en passant : alors qu’aujourd’hui, plus un seul pilote de haut niveau ne semble pouvoir s’épargner l’apprentissage de la voltige, Patrick avoue ne jamais avoir fait la moindre SAT, il dit même ne pas aimer les 360 trop engagés ! Etrange venant d’un homme réputé très audacieux et qui fut, en ses jeunes années, un acrobate de renom en ski, multipliant avec son frère Vincent, les mentions au Guiness Book des Records… Par contre, pour manier une voile tout en finesse, monter sur une barrière, une échelle ou le toit d’un camion tout en contrôlant sa voile au-dessus de lui, pour percevoir l’invisible en comprenant d’instinct les cheminements du vent dans tous les recoins de montagne, il n’a pas son pareil. Bâti tout en force et largeur, Patrick a des doigts de fée et une intuition de singe. N’allez pas pour autant l’appeler Mélusine ! Ce surdoué du ski et du parapente aurait pu être champion de rallye, de quad, de snowscoot ou de tout autre chose car il est diaboliquement adroit et possède une qualité qui, face à d’autres virtuoses, fait souvent la différence : sa niaque d’enfer, son mental de gagneur effronté. Et l’homme dans tout ça ? Bourré de défauts, on l’a dit ! Bon, admettons, on exagère un peu, juste pour surprendre parce qu’on sait bien qu’on le défendra toujours. Mais bon, il est quand même têtu comme une bourrique, rusé comme un renard, tout à fait capable de mauvaise foi, voire de mauvais caractère, et il ne vaut mieux pas s’en faire un ennemi. Mais une préface est une préface, nous allons donc élégamment finir par les qualités du bonhomme et elles sont à la mesure du reste : entier, généreux, drôle, lucide, intelligent, malin, courageux, solide, fiable, et il n’a qu’une parole. S’il n’y avait que des Bérod sur cette planète, la vie ne serait pas forcément facile, car un Bérod c’est exigeant, mais le monde tournerait sûrement plus rond.
Des petites phrases qu’il a dites… (Au fil de ses interviews dans Parapente Mag, on retrouve quelques petites phrases qui lui ressemblent bien…) “Quand on fait 200 kilomètres et qu’il faut rester dix heures en l’air, concentré et actif, le parapente devient un véritable sport de combat. Il faut un mental terrible. C’est violent.” “La hargne, j’ai ça dans le sang. Avec mes trois frangins, mon père nous mettait toujours en compétition, celui qui ramasserait les feuilles le plus vite ou n’importe quoi. Le négatif, c’est qu’on se bagarrait sans cesse. Le positif, c’est que je ne pointerai jamais au chômage.” “Je suis un mec entier. Quand ça ne va plus, je dis les choses en face et je m’en vais. Mettons que j’ai ce qu’on appelle une grande gueule”. “Je hais l’hypocrisie et la tricherie. J’ai été éduqué à travers le sport, je crois aux notions de loyauté et de droiture.” “L’air est un truc simple et sans mystère. Comme l’eau : logique et sans traitrise dans son cheminement. Pour comprendre l’air, il faut passer du temps sur les cartes en relief.” “Pendant une heure on a regardé les vautours : où ils vont, comment ils font. Après il n’y a plus qu’à essayer de faire comme eux. Et ça marche !” “A mes débuts il m’est arrivé de me vacher en catastrophe, en visant les fourrés les plus épais, et je suis allé sept fois dans les arbres, dont deux fois dans le même, le même jour.” Pierre Pagani (Parapente Mag)
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Bérod fait un bouquin ! Alors, ne bougez pas, je m’assois et vous le redites ! Ok, et en plus, il faut faire une préface ! Une préface forcément de tout ce que nous avons en commun (à commencer par notre soif de vie). Arriverais-je à livrer nos complicités, nos échanges, nos combats, nos oppositions, en somme, tout ce qui fait que nos moments partagés ne sont jamais ordinaires ? Première rencontre en 1989 à Moustier pour ma première compétition A. Thierry Barboux me voit observer Patrick enfilant une combinaison moulante fluo. Me voyant impressionné, il me lance : - Tu es meilleur que lui ! Bon, il suffit d’y croire ! Ce jour-là, ce fut le cas (moins par la suite). Une présence physique autant que mentale sur les compétitions. Le travail de sape commençait au sol avant de se terminer en l’air. Des résultats (championnats de France, Coupe du monde, des vols de distance et j’en passe). Patrick a donné au mot « jeu » tout son sens dans notre discipline. Mais ce jeu tend vers une maîtrise toujours plus fine de sa voile, des éléments rencontrés voire affrontés, des reliefs survolés. Il a compris que tous ces éléments, familiarisés, maîtrisés sans être totalement domestiqués, laissent la place belle au plaisir pur d’être en l’air, l’esprit serein mais toujours curieux et attentif. Les vols à skis hivernaux donnent, là encore, toute l’insolence de sa maîtrise et de sa hargne malgré les années passées à «faire des ronds» en l’air. Mais Patrick, c’est aussi «qui m’aime me suive», et il n’est pas toujours aisé de suivre ce monument. On ne s’oppose pas facilement à ce roc et pourtant on se rend vite compte que, passée cette peur de l’affrontement, il comprend parfaitement et accepte sans condition vos points de vue voire vos désaccords, pour autant que ceux-ci soient fondés. Quelle que soit l’approche que vous aurez avec le personnage, vous en retirerez toujours une envie, une force d’avancer, de progresser, de ne pas vous contenter du médiocre. Ce bouquin sera certainement riche en aventures, périples, rencontres, échanges et, sans nul doute, une école de vie, de belle, intense et grande vie. Car Patrick, qu’on le veuille ou non, sort de l’ordinaire. Mes hommages, le Blues !
Ce livre retrace la carrière d’un extraordinaire champion, un compétiteur inspiré, rusé, tenace, un collectionneur de records et de très nombreux podiums. Mais attention, ce Bérod-là n’est qu’une des facettes du personnage, cet appétit-là n’est qu’une des manifestations de son incroyable vitalité, de sa boulimie de vie. Dans une époque si tristounettement marquée par la soumission aux « normes », par la pensée uniformisée et la dictature des diplômes, Patrick Bérod détonne ! Cet autodidacte est un champion en géographie, doté d’une mémoire proprement éléphantesque, une cervelle toujours en éveil : observer, analyser pour comprendre, comprendre pour agir. Cet hyperactif ne “travaille” pas : il déconne, il joue, et le plus souvent, il gagne. Il joue - tout lui est bon, en la matière - mais avec le plus grand sérieux, un engagement total : le jeu est son sacerdoce. Et qui dit jeu dit “enjeu”. Fatalement, c’est souvent la tournée d’apéros et mes atterrissages approximatifs m’en ont coûté quelquesunes ! Quant à la pétanque, n’allez pas le défier sur “son” terrain. Patrick est aussi et surtout un fantastique pédagogue du parapente. J’avais à mon actif une quinzaine de vols lorsqu’il m’a fait sniffer ma première ligne de cross, il y a bien longtemps : drogue dure, accoutumance immédiate, mais ne vous trompez pas, l’objectif n’est pas la dépendance de l’élève mais bien son éducation, la conquête de son autonomie. Surtout, ne change rien et trouve-nous quelques 100 km FAI pour ce printemps ! Paul Voisin, chercheur de thermiques (entre autres) et stagiaire multi-récidiviste.
Vincent Sprüngli
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Le Cernix, novembre 2009 Que vous dire sur mon fils Patrick ? C’est le Patrick est assis (c’est rare), sa fille Nina, trois ans, sur les genoux. « En 2010, je vais écrire un bouquin ». Etonnement autour de la table. Le connaissant, j’imagine un roman d’action, deux bandes rivales s’affrontant pour le contrôle du trafic du reblochon dans le haut Val d’Arly, avec courses-poursuites en quad, cascades en parapente, le tout, bien sûr, sur une toile de fond de belles histoires d’amour un peu compliquées. Un bouquin sur ma vie de parapentiste. Je cesse de délirer immédiatement. - Dadou, arrêtes de rigoler et je compte sur toi pour une préface. - Pourquoi moi ? On est amis depuis 35 ans, on a partagé de super moments, dans les passages difficiles on a fait ce qu’on a pu, mais en parapente, vu mon niveau... - Parce que t’as été le premier à voler avec moi ! Juillet 1986, il fait beau temps sur les Alpes. Patrick vient d’acheter son premier parapente et a déjà volé des dizaines de fois avec. Je lui fais donc une confiance absolue. En haut des pistes des Saisies : - Dadou, tu tiens une sangle dans chaque main et les poignées, tu cours comme un bourrin face à la pente en tirant sur les épaules (ça je sais faire). Quand la voile est au-dessus de toi tu lâches les sangles et tu tires un peu sur les poignées. On sent déjà les conseils du professionnel. Après un vol d’environ 200 mètres, à au moins 25 mètres au dessus des myrtilles, on remonte à pieds, la voile sous le bras et on recommence. La suite, vous la connaîtrez en lisant le bouquin. Patrick est un pudique alors je vais éviter de m’étaler sur ses qualités et ses défauts. Mais quand même, des gamins de vingt ans qui ont des rêves d’avenir glorieux c’est classique. Un gamin de cinquante qui les a réalisés, c’est plus rare ! A vingt ans, Patrick ne rêvait pas, il voulait ! Il voulait vivre au Cernix, en face du Charvin. Il voulait vivre en sportif. Il voulait voler. Il voulait découvrir le monde. Et il s’en est donné les moyens, comme ça, tout simplement. Il dit souvent que pour gagner, il faut en avoir plus envie que les autres. Des parapentistes qui rêvent d’être quatre fois champion de France et champion du monde ? Il l’a fait. Des parapentistes qui s’imaginent voler au-dessus de la muraille de Chine ? Il l’a fait. Il est comme ça Patrick. Il ne fait pas que rêver, il réalise. Voilà mon gars.
P-
tard toujours en action avec plein d’imagination
A -
souvent une idée en tête pour, avec ses amis, faire la fête
T -
quelquefois parti au bout du monde tu as pu voir que la terre était ronde
R-
vents et thermiques, il te faut pour voler comme un oiseau
I-
Car fut ton modèle et tu as créé « Equipée d’Ailes »
C-
toi qui organises tes voyages avec Laura et son bon sens comme bagage
K -
par cas, tu ouvres tes fenêtres aux stagiaires c’est qu’avec toi, il ne faut pas manquer d’air
B -
de Rio, Muraille de Chine le Japon et l’Argentine
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ta devise « toujours plus haut, toujours plus loin les ailes tu déployais avec soin »
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ant dans l’air comme un poisson dans l’eau et nous sur terre attendions tes « Allô ? »
O -
temps, suspend ton vol… il va se poser sur le sol
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que le jour se lève pour toi la vie est presque un rêve
Dadou
Patrick, du parapente en auras-tu marre, l’an à venir ? Seul nous le dira l’avenir… Yvette Bérod
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Jacques Brel
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Photo : Laura Sepet
« Je connais un million de types qui vont écrire un livre. (Ils disent :) « je vends des bretelles encore deux ans, et ensuite j’écris un livre ». Quand on a envie de faire un truc, il faut plonger comme un fou, quitte à se tromper. »
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Photo : AurĂŠlie Cottier
inte rvie w 21
les premières années Quand as-tu mis tes fesses en l’air pour la première fois ? C’était pendant mon armée. D’août 1982 à août 1983, j’avais 23 ans, j’ai atterri chez les parachutistes un peu par hasard. Etant moniteur de ski et préparant mon aspirant guide, j’avais demandé les chasseurs alpins. Je me suis retrouvé à Bayonne, un peu déçu sur le coup. Il leur manquait un moniteur de ski et un futur guide pour créer des voies et encadrer en montagne. C’est loin des Alpes ça, non ? Oui, au début je me sentais un peu loin de ma vallée, mais rapidement je n’ai plus regretté. Les filles se dénudaient plus tôt qu’à la plage des Marquisats… (rires) Et puis, nous faisions beaucoup d’escalade, de ski et beaucoup de parachutisme. C’était la première fois que je chutais et que je volais. Tout le monde ne voulait pas y aller. Moi j’étais super content, je revoyais Le jour le plus long, je m’imaginais atterrir sur une église. Les potes de chambrées ont fait onze ou douze sauts, moi j’en ai
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fait plus d’une trentaine. A chaque fois que le capitaine voulait des volontaires pour compléter un avion, je levais vite la main. Je montais le dernier pour sauter le premier et regarder les autres sauter du Transal. Une anecdote particulière sur ces douze mois ? Je me suis fait un arbre en pleine nuit et je suis resté pendu toute la nuit dedans. C’était un grand chêne. Je pensais que j’avais beaucoup de gaz et en fait il n’y avait que deux mètres. J’avais lancé mon casque mais le bruit n’était pas comme je voulais, à cause des fougères. J’y suis resté six heures. Puis, quand le jour s’est levé, je me suis dit : « t’es con Bérod ». J’ai tout secoué, les branches se sont cassées et je suis descendu. Tout le monde me cherchait. On avait des points à rallier, je suis rentré avec cinq ou six heures de retard. On était en autonomie, saut de nuit et survie pendant deux jours en rase campagne. Je suis revenu avec mon parachute tout déchiré.
Bon, revenons encore un peu en arrière, d’où te vient cet amour pour le vol ? Tout petit, je rêvais que je volais pendant la nuit. Mon truc c’était ça, voler ! A l’école je me mettais toujours à la fenêtre pour regarder dehors, les oiseaux, le ciel. Je ne compte même plus le nombre de punitions que j’ai eues. Je voyais toujours les buses, les aigles enrouler. Je disais à ma mère : « il n’y a pas une fée qui peut me changer en oiseau, pas un moineau hein, un aigle ? Je veux être un aigle ». Je pense que l’on a des destins plus ou moins tracés, au fond de soi, dès le départ. Tout petit, j’ai toujours été passionné par tout ce qui était aérien. On a fait de la gym enfant, les arceaux, la barre fixe, et on a commencé le ski acro avec mes frères vers 13/14 ans jusqu’à 30 ans. J’ai toujours été à l’aise en l’air.
Pau, base aérienne, octobre 1980.
A chaque fois que le capitaine voulait des volontaires pour compléter un avion, je levais vite la main. Je montais le dernier pour sauter le premier et regarder les autres sortir du Transal.
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Mais tes parents ? Il n’y en a pas un des deux qui a joué un rôle ? Si, mon père. Quand on avait dix ans, il nous emmenait en montagne faire tous les sommets autour de chez nous, la Dent de Cons, la Tournette, le Charvin. Quand il était jeune, il était animateur dans la section montagne du Club d’Ugine. Il emmenait des gens skier et marcher. Il a fait pareil avec nous quand on était en âge de marcher. On a tout le temps été bercé dans la montagne et le sport, que ce soit le ski ou le foot, le tennis ou la gym. Quand on partait marcher, après le casse-croûte, il sortait toujours un vieux Dauphiné et fabriquait des avions en papier. Il nous apprenait à plier et on les lançait avec lui. Ce qui me fascinait, c’est que ça montait, les papiers dépassaient la hauteur des montagnes. On les regardait voler. En plus, ils volaient super bien. On adorait ça. Tout doucement cela a du pénétrer au fond de moi.
En haut, mon premier C.V. en 1986. En bas, les résultats du championnat de France de surf swingbo en 1985.
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Ton père voulait voler aussi ? Mon père était fasciné par les oiseaux parce qu’ils volaient, mais il n’a jamais osé franchir le pas alors qu’il a fait voler pleins d’avions en papier. Il a volé en saut à ski dans les années cinquante mais lui n’a jamais voulu en parapente : « je ne volerai qu’une seule fois, ce seront mes cendres ». Je ne sais pas pourquoi. Il y en a qui font de l’aéromodélisme et qui ne feront que ça, préférant faire voler autre chose. Voler par procuration. C’est peut-être un peu leur âme qu’ils envoient sans prendre de risques pour eux. Je ne sais pas. Et puis, ce n’est pas à 80 ans qu’on le mettra devant un psy. (rires) L’aérien a toujours fait peur. On n’en entend pas beaucoup parler. Je pense que ceux qui volent sont considérés comme des extraterrestres. Ce doit être ça. Alors que j’ai fait voler ma mère, très souvent, ma grand-mère jusqu’à 84 ans mais le père Bérod, jamais. Tu étais donc prédestiné à travailler dans le milieu montagnard ? Tout petit, je n’avais pas d’idée précise. Je voulais travailler dehors, je ne voulais pas être enfermé. Du coup, j’ai commencé la formation d’aspirant guide que j’ai arrêtée en 1985, je ne suis pas allé au final.
Pourquoi ? Parce qu’il y a trop de dangers qu’on ne peut pas maîtriser. Tous les quinze jours, il y avait un guide qui disparaissait. Je trouve que le parapente est moins dangereux. Des rafales de vent, ça n’arrive pas comme ça. Tu vois un front arriver. Tu peux prendre la météo. En montagne, t’as une chute de pierres, un sérac, à n’importe quelle heure, jour et nuit. Le parapente, tu lis le ciel, tu vois ce qu’il se passe, même si c’est invisible, tu peux te faire une idée. Me retrouver dans un cunimb (cumulo-nimbus) à 9 000 m, ça ne m’arrivera pas. Je serai déjà à la bière avant. (rires) Après il y a toujours des décérébrés. Parle-moi un peu du ski et de l’acro, comment as-tu commencé ? On a fait de la gym avec mes frangins pendant une dizaine d’années jusqu’à 16 ans. Et puis, tout doucement, on a mis dans le ski ce qu’on avait appris en gym. On a relié les deux sauf que la réception était plus douloureuse sur la neige que sur la mousse. On a fait nos premiers saltos arrière derrière la maison, sur une bosse faite à la pelle. Sur les premières rotations, on tournait trop vite, on tombait sur le dos. Puis nos années de gymnaste nous ont permis de rectifier le tir et on a fini par poser sur les skis. On n’a jamais fait de compétition, toujours des démos dans les stations. On s’est entraîné pendant deux ans. Quand j’ai eu 18 ans, en 1977, je suis l’aîné, et que j’ai eu le permis, on a créé un petit club avec mes
deux frères et deux autres copains de la station, Renaud Nochez et Rémi Tonolini. On a acheté une vieille camionnette, une sono, des projecteurs, un vieux groupe électrogène et voilà, on s’exécutait le soir. On tournait trois fois par semaine, dans toutes les stations des Alpes du Nord. On était une bande de potes et on a plusieurs records du monde à notre actif. Lesquels ? Quand ? En 1983, pendant un week-end, on a invité l’officiel du Guinness Book des Records pour valider nos acrobaties : un salto arrière main dans la main à quatre en surf, en ski de fond, en monoski, à sept main dans la main en ski, la plus grande distance à ski à deux sur les mêmes skis (aux alentours de 200 kilomètres)… J’ai surfé pendant 18 heures non stop pour faire 225 kilomètres, sur une piste d’un kilomètre, je l’ai fait 225 fois. Certains records ont peutêtre été battus mais celui du salto arrière à deux sur le même surf n’a jamais été refait. J’ai aussi tenté un salto arrière en luge mais pas homologué, je suis tombé deux fois à la réception. On a fait ça pour le fun, pour faire parler de nous.
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1984 1985 Le groupe de ski acrobatique, je porte un bonnet.
Et le parapente ? Minute papillon, j’y arrive ! En 1984, le 9 janvier, tout s’est arrêté pendant deux ans. Je me gare devant le magasin de sport de mes parents pour récupérer mes skis, il est 8h50, j’ai cours de ski à 9h avec des clients. Je remonte dans mon combi VW et un car arrive en face de moi à vive allure sur la neige. Je n’ai pas le temps de démarrer, le chauffeur perd le contrôle de son bus et vient me percuter de pleine face. Mon véhicule recule d’une quinzaine de mètres. Tout l’avant est enfoncé, ma jambe gauche a fait 180° et est passée sous le siège. Le volant était dans le thorax et le rétro du milieu, au ras du visage. Deux heures pour me désincarcérer. Une belle fracture de la jambe, opération et une plaque avec treize vis. Le chirurgien dont la fille était dans l’équipe de France de ski me propose de regarder avec lui les J.O. de Sarajevo. J’avais l’espoir depuis toujours de rentrer dans l’équipe de France de ski malgré mon grand âge, j’avais 25 ans. Luime disait : « ce n’est pas grave, il n’y a pas que
le ski dans la vie ». Je venais de gagner le trophée Dynamic, en slalom parallèle, une compétition entre tous les moniteurs de ski du Val d’Arly et les jeunes espoirs des équipes nationales. Mon rêve s’arrêtait là, je savais que plus jamais je n’irai en équipe de France de ski. Pendant deux ans je ne pouvais plus enfiler de chaussures de ski, je me suis alors mis au surf Swingbo. Durant l’hiver 1985, je deviens champion de France de Swingbo et pareil l’année d’après en 1986. Et le 12 décembre 1985, je pars avec mon titre de champion de France à St Moritz (Suisse) pour les championnats d’Europe avec mon frère Vincent qui était deux fois vice-champion de France. Et le vol dans tout ça ? A l’époque ça volait déjà en delta et en voile de chute depuis la fin des années 70 ? Effectivement en 1985, j’avais des potes qui faisaient déjà du delta depuis cinq ou six ans. Ils me disaient : « mais viens essayer, viens voler toi qui veut voler. » Ils savaient que je rêvais de ça.
Mais ça ne m’allait pas. Pour moi voler, c’est comme l’oiseau, décoller du nid et revenir au nid. J’ai quand même fait trois ou quatre vols en delta, en solo et en bi, mais bon, rien que de penser à toute cette logistique pour voler, l’échelle sur la voiture, le portage du delta, cela ne me plaisait pas. Ca ne correspond pas à mon rêve d’oiseau. Maintenant je ferais plus de l’hélico, il peut revenir là où il a décollé. Et quand le parapente a été créé en 1985, je me suis dit, ça y est, ça se rapproche de l’oiseau, là ça m’intéresse. J’allais bien voir les gars voler à Mieussy avec leurs voiles de chute. Mais à cette époque, avec le ski acro, les démos, les cours de ski, je ne pouvais pas tout faire. Et puis je faisais de la planche à voile sur neige aussi.
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(rires) De la planche à voile sur neige ? C’est quoi ? En faisant toutes ces démos, beaucoup de journalistes se sont intéressés à nous, dont un journaliste et un photographe de Grenoble qui m’ont demandé de faire un truc original pour les Carnets de l’Aventure pour Antenne 2. Vu que j’étais bon en planche à voile et en surf, je leur ai dit : « je peux vous faire une balade sur les cimes, en planche à voile sur neige ». Mais ça n’existait pas ? Ben non. Enfin si. Il y avait un petit fabricant artisanal en Maurienne qui avait créé un immense surf avec pleins de full strap dessus. Il pensait que l’on pouvait adapter une voile dessus. Il avait fait des surfs pour les envoyer dans le Nord, pour que les lapons se déplacent sur la neige, sur les lacs gelés… Donc il m’a filé un grand surf. Mais pour le tournage du film, il me fallait des voiles colorées et c’est là que j’ai contacté les voileries Soubeyrat. Mais avant de finir de te raconter cette histoire, je dois d’abord t’en raconter une autre. Mais le parapente ? Héhé (rires), maintenant que je t’ai posé le contexte, tu vas vite comprendre… En fait, tout a commencé en Suisse. Avec Andrea Kühn. C’est lui qui a tout inventé, le kite comme le parapente, je pense. Il faisait aussi du delta avant. Je l’ai rencontré le 12 décembre 1985. J’étais donc dans l’équipe de France de Swingbo avec mon frère. On était à St Moritz pour les championnats d’Europe. On était venu quelques jours avant pour
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s’entraîner et un matin je vois une voile de parapente qui traverse le lac gelé avec un mec en surf, les pieds au sol. Il glissait. Ca dépotait, il y avait pas mal de vent, 30/40 km/h. Je me dis : « mais qu’est-ce que c’est que cet énergumène ? ». Je le vois sauter la route, remonter la piste sur le côté puis décoller et reposer sur le lac. Et recommencer ça plusieurs fois. Alors ma curiosité l’emporte et je vais voir cet artiste : « mais qu’est-ce que tu fais ? ». « Ben je vole. Je fais du parapente. » Ce n’était pas une aile de chute ? Elle avait le profil d’un parapente ? Oui, c’était la première fois que j’en voyais une avec cette forme. Dans ma tête, ça n’a pas mis deux minutes : « Je peux essayer ? Tu peux me la prêter ? ». « Oui, ok, mais va d’abord faire du gonflage sur le lac, tu te fais traîner avec ton surf. Tu vois, pour tourner tu freines ton aile avec ces commandes, à droite, à gauche, etc. ». Après deux trois gamelles, je pars, je traverse le lac, je reviens. Je fais ça plusieurs fois et je lui dis : « on remonte avec le télésiège là-haut et je fais un vol ? ». Il me dit ok, « tu vas tout droit et tu vas poser sur le lac ». Et c’est donc ce jour-là, le 12 décembre 1985, que j’ai fait mon premier vol en parapente. C’est rentré et ce n’est plus jamais ressorti. (rires) Je n’avais même plus la tête au surf. Mon frère a fini premier et moi quatrième. Après la remise des prix, je vais voir Andrea et lui demande si je peux lui emprunter sa voile : « Non, je ne peux pas, c’est un proto, mais je peux t’en filer une autre qui est plus vieille. Tu fais
bien gaffe, les suspentes sont usées, ne vole pas trop haut, pas plus de 100 mètres, pas plus. » (rires) Nous savions que nous allions nous revoir un mois après car nous étions engagés dans le team Peter Stuveysant Travel, un team de ski acro qui tournait dans toute l’Europe pour faire des animations, lui avec son aile et nous en ski acro et en surf. Quand on est rentré à CrestVoland, on a volé tous les jours, sous la pluie, sous la neige. On se tirait avec les motoneiges. Les premiers vols treuillés ! (rires) avec une grande corde de 80 mètres. Puis on s’est retrouvé le 1 janvier 1986 à Courchevel. Andrea faisait l’ouverture du show avec son aile, avec des fumigènes, des feux d’artifices, etc. Il m’a repris l’aile car elle était vraiment usée. Je l’avais déjà déchirée. Ma mère l’avait recousue : « oh mais c’est comme un pantalon ! ». (rires) Tu étais conscient des dangers ? Sacrément de la chance, non ? Il y en a beaucoup qui se sont tués à cette époque ? Avec le recul je me dis que parfois on a quand même frisé la correctionnelle. Mais on était des acrobates avec mon frère. Tout ce qu’on faisait était réfléchi. Le coup du cerf-volant, c’est vrai que je n’avais pas prévu que ce serait si difficile de descendre. J’ai quand même eu un peu de chance, oui.
Pour moi, voler, c’est comme l’oiseau, décoller du nid et revenir au nid. Quel coup du cerf-volant ? Je vais y venir. Mais pour ce qui était des dangers, pour moi tout était naturel. Je ne pensais pas faire mal ou des choses inconscientes. Je ne pensais pas être plus inconscient que d’aller faire une balade en montagne, ou pire de le faire un lendemain d’une chute de neige. On a tellement baigné dans le sport, je savais ce que je faisais.
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« La bêtise, c’est de la paresse. C’est un type qui vit et qui se dit : « ça me suffit ». Je vis, je vais bien, ça me suffit, il ne se botte pas le cul tous les matins en disant : « tu ne sais pas assez de choses, tu ne vois pas assez de choses, tu ne fais pas assez de choses ». C’est une graisse autour du coeur, une graisse autour du cerveau ». Jacques Brel
Le ski, mon autre passion, en freeride, en acro, en compétition, comme moniteur...
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