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N°2 - Mercredi 12 décembre 2012

Comptoir

Ces Parisiens venus d’ailleurs Chinois, Italiens, Algériens, Chiliens, Japonais, buralistes, libraires, restaurateurs, peintres, ces nouveaux habitants font vivre la capitale.



Édito

Q

PAR CHARLES JÉGOU

ui sont les étrangers qui vivent à Paris ? Des touristes américains ou japonais. Des étudiants Erasmus. Des hommes d’affaire venus du monde entier. Etre un étranger à Paris ne se résume pas aux Roumains qui réclament « une petite pièce » en exhibant leur moignon. Ils comptent parmi eux des financiers, des chefs d’entreprise. Ce sont aussi des moteurs de l’économie. La diversité prend heureusement forme dans d’autres aspects bien plus réjouissants. Les étrangers investissent et font fortune en France. Des sportifs viennent développer leurs talents dans nos installations. Les étrangers voient Paris comme une source d’opportunités là où les parisiens y voient un motif de « râlage » et de mécontentement. Que ce soit les Chinois qui rachètent les bars-tabacs ou bien des Qataris qui dépensent leur fortune dans le VIIIème, les vrais parisiens n’aiment pas trop. Après tout, les Chinois font ce que les « bougnats » ont fait 60 ans avant eux. Vrai parisien ? Une formule d’ailleurs insensée quand seulement 25% d’entre eux sont nés à Paris. Paris n’est ni Londres ni New York, on est loin de l’intégration des communautés à l’anglosaxonne, mais les populations tendent à se communautariser quand même. Les Chinois sont dans le 13ème arrondissement, les africains dans le 18ème, les juifs dans le 2ème. Plus grave, les banlieusards se sentent aussi étrangers à Paris. Quand bien même ils viennent tous les jours y travailler dans leur majorité. Paris veut accueillir le monde en son sein tout en étant autocentrée. Elle veut aussi rester sur son piédestal, rester celle qui inspire les écrivains depuis des siècles (Hemingway, Wilde, Fitzgerald…) dans ce paradoxe qui lui est propre. « Ne pouvoir se passer de Paris, marque de bêtise ; ne plus l’aimer, signe de décadence » disait déjà Gustave Flaubert.

Sommaire

Grand Angle p. 4-5

- Les Bureaux de tabac rient jaune.

Société p. 6 à 9

- Tensions roumaines - Paris Tourist Club - Les provinciaux : ces étrangers méconnus - La banlieue s‘émancipe - Le quartier regroupe le monde entier - Paris, le refuge d’un Chilien - « Ni tout à fait marocain, ni tout à fait français »

Politique p. 16

- Élections à la grecque

Santé p. 20

- La France rechigne à soigner les étrangers

Éducation p. 21 à 23 - Scolarité étrangère - Erasmus, ma tribu

Art de vivre p. 24-25

- La Kaiseki d’Edakuni - Alba Pezone, haut les pâtes !

Culture p. 26 à 29

- Paris en toutes lettres - Pour l’amour des livres - 59Rivoli : « le monde capté en un lieu enchanté »

Sport p. 30

- Quand le football parisien bat pavillon étranger Directeur de la publication Michel Baldi

Rédacteur en chef

Thomas Inglot-Fantuzzi

Secrétaire de rédaction Charles Jégou

Rédacteurs graphiques Jérémy Blais Arthur Bernard

Rédaction :

Lucie Alègre Axelle Bichon Arthur Bernard Jean-Romain Blanc Kahina Boudarene Mathieu Brancourt Erwan Carfantan Matthieu Carlier Thomas Ciret Hugo Derriennic

Raphaël Dor Chloé Émmanouilidis Grégoire Gantois Raphael Homassel Charles Jégou Elyes Khouaja Justine Knapp Charles Lafon Delphine Proust Arthur Scherer

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économie Chinoiserie

Les bureaux de tabac rient jaune Depuis une dizaine d’années, beaucoup d’Auvergnats vendent leurs bureaux de tabac à des buralistes d’origine chinoise. Enquête au cœur de ce phénomène qui prend de l’ampleur.

Avec les Aveyronnais, ils Un bar tabac du vingtième arrondissement de Paris, repris par un buraliste avaient fait des bars-tad’origine chinoise. bac et autres PMU leur spécialité, par extension de la restauration, Les dernières généra- (environ 55 000 immi- listes issus de la commuau point de régner sur tions d’auvergnats, plus grés) et désireuse de nauté chinoise, constiune grande majorité des diplômées que les pré- s’intégrer par sa force de tuent des investissecomptoirs de cédentes, se travail. Il n’existe aucun ments rentables : malgré la capitale. Les « Un bureau sont orien- chiffre précis concer- les augmentations du établissements de tabac est tées vers nant le nombre de ta- prix du tabac, la vente se transmetune affaire d ’ a u t r e s bacs détenus par des de cigarettes, de boistaient alors personnelle » professions. buralistes asiatiques. « sons et de jeux à gratter de pères en Difficile donc La législation française demeurent régulière. fils, jusqu’il y a encore pour les buralistes de interdit tout sondage Chaque fin de mois se une dizaine d’années. ne pas vendre de leur ethnique ou religieux, et ressemble à peu de affaire une fois l’heure n’autorise que les son- chose près. De quoi perPlusieurs facteurs ex- de la retraite arrivée. dages par nationalités. mettre à un entreprepliquent la fin de ce Or, les buralistes asia- neur d’origine chinoise mode de transmission Un filon dans lequel s’est tiques à Paris sont fran- de tirer un chiffre familiale. Le déclin du engouffrée la commu- çais », révèle l’INSEE. d’affaire enviable, Paris populaire, et l’aug- nauté chinoise, arrivée qui amènera un autre mentation des années en masse sur Paris vers Les bureaux de tabacs, membre de sa comd’études chez les jeunes. la fin des années 1970 rachetés par des bura- munauté à acheter un

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© le75020.fr

«C

o m m e n t font-ils ? Ils viennent me voir avec du liquide, mais je ne veux pas vendre pour le moment », grommelle un buraliste de la rue de Sèvres. Ce Français s’interroge sur l’appétit des Chinois pour les bars-tabac de Paris. Difficile de ne pas constater en effet l’augmentation de la population d’origine chinoise de l’autre côté des zincs. Une évolution qui chasse peu à peu les auvergnats de leurs fiefs, acquis de haute lutte lors de leur arrivée à Paris au milieu du siècle dernier.


© buralistes.fr

Le bar tabac, le mythe de la lessiveuse d’argent sale.

nouvel établissement. Tant et si bien que si le phénomène se cantonnait jusque là dans les quartiers les plus défavorisés de Paris, où les Auvergnats cédaient leurs estaminets aisément, il s’exporte désor-

Cas de Fraude

Comme dans tout business qui se respecte, l’escroquerie réussit toujours à se faire une place. Le rachat en masse des bar-tabacs parisiens par des français d’origines chinoises ne déroge pas à la règle, même s’il ne s’agit pas d’une généralité. La preuve en février 2010, où une vingtaine de buralistes finit en garde-à-vue dans les locaux de la direction centrale de la police judiciaire de Nanterre. Les établissements ferment leurs portes pendant 48 heures, le temps pour les enquêteurs du service central des courses et des jeux (SCCJ) de mener ses interrogatoires auprès des propriétaires. Le SCCJ, maillon de la police judiciaire, s’est

mais jusque dans les beaux arrondissements.

Halte au mythe de la mafia

Avec leur réussite, difficile pour les Asiatiques de ne pas éveiller des intéressé au rachat d’un bar-tabac en 2009 par un frère et une sœur d’origines chinoises. Le premier tiers de la somme a bel et bien été versé, mais des interrogations subsistaient quant à la donation en provenance de Chine. Le document, rédigé en Mandarin, faisait état d’une vente immobilière effectuée au pays et estimée à près de 100 000 euros. Reste qu’après vérification poussée, il ne s’agissait de rien d’autre qu’une attestation de casier judiciaire vierge. Grandi par cette expérience, le SCCJ étend ses recherches et débusque encore aujourd’hui les adeptes de la combine. Faux et usage de faux, escroquerie en bande organisée, des délits passibles de 10 ans de prison ferme.

soupçons, parfois fondés. Le cliché de la mafia chinoise qui blanchit son argent à travers les bars-tabac parisiens à la peau dure. Tout simplement parce que pour tenir ce type d’établissement, il faut impérativement bénéficier de la nationalité française, ou appartenir aux 27 pays de l’Union européenne. C’est ce qu’explique JeanChristophe Blanc, courtier au cabinet CrediPro de Versailles collaborant régulièrement avec des buralistes d’origines asiatiques : « mes clients obtiennent la nationalité française de deux façon. La première consiste à effectuer six ans à la légion étrangère. La deuxième solution est de se faire naturaliser en cas de naissance sur le sol français ». Par ailleurs, le rachat d’un bureau de tabac par des représentants de la communauté chinoise est très réglementé. Un premier tiers de la somme doit être présenté en cash auprès du buraliste se séparant de son bien. Les deux autres tiers sont maté-

rialisés par un document de promesse de don émis depuis Pékin, qui devra être examiné et authentifié par le trésor public français. C’est avec ce document que le vendeur pourra être renfloué auprès des banques. Une mesure qui permet de connaître l’origine des fonds, et d’écarter tout rachat jugé suspect. Toujours dans l’idée de lutte contre les réseaux mafieux, un bureau de tabac est une « affaire personnelle », rappelle Jean-Christophe Blanc : « un bureau de tabac ne peut être lié qu’à un seul propriétaire. Un seul nom, c’est à dire une seule et même personne ».

Si les bars PMU changent de tenanciers, changentt-ils de visage ? Ces hauts lieux de discussions de comptoir, là où les demis de bière s’écoulent au rythme d’échanges amorcés entre deux rapidos, ces symboles tellement parisiens… Raphaël Homassel

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Société Communauté

Tensions roumaines Roms et Roumains : ne pas confondre. Les deux communautés, bien différentes, entretiennent une certaine animosité, à mots plus ou moins couverts.

© MaxPPP

tent de comprendre ce qui est à l’origine des problèmes d’intégration des gitans, parfois, au détour de la conversation, et certaines amertumes font surface. «  Même en Roumanie, il y a un rejet de la communauté gitane, car ils ne sont pas intégrés » explique Olivia Horvath. « C’est tout à fait normal qu’il y ait toutes ces idées reçues, cette xénophobie en France ! » Le mot est lâché. Mais si l’on pardonne presque la xénophobie des Français, le rejet des « Roms » par les Roumains reste très tabou. Ce n’est qu’en « off » que l’on nous confirme l’existence d’un tel phénomène. Helena, une jeune expatriée roumaine travaillant dans l’hôtellerie, ne mâche en revanche pas ses mots. « J’en ai marre de voir ces gitans partout, regardez l’image qu’ils donnent de nous ! » s’exclame-telle. « Quand je cherche du travail, j’ai toujours peur des réactions quand je vais dire que je suis Roumaine ». Quant à l’intégration de la communauté gitane, c’est pour elle peine perdue : « Ils n’ont pas envie de s’intégrer, et je ne suis pas sûr qu’on ait très envie de les intégrer non plus… » Il est décidément difficile d’être Rom en France, même auprès de ses compatriotes Roumains.

Une famille Rom à l’aéroport de Beauvais.

À

Paris, la communauté roumaine représente plus de 50 000 personnes. Il s’agit en grande partie d’une immigration intellectuelle, ayant fui à partir de 1946 le régime communiste. Alexandre Herlea, universitaire et ancien ministre roumain de l’Intégration Européenne explique que « généralement, les immigrés roumains s’intègrent très bien dans leurs pays d’accueil  ». Mais depuis quelques années, avec l’entrée dans l’Union Européenne de la Roumanie, l’immigration des « Roms » a quelque peu terni cette image. Le nom de « Rom » utilisé depuis 1971 prête à confusion. Pour les tziganes ou gitans, il est complètement artificiel et ne représente aucune

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réalité ethnique. Les « Roms » viennent majoritairement de Roumanie, mais aussi de Hongrie ou de Bulgarie. « C’est le dernier peuple nomade d’Europe, ils vivent comme ça depuis des milliers d’années » défend Olivia Horvath, diplomate à l’Institut Culturel Roumain. Mais pour les Roumains, le nom de « Rom » est une source de tensions supplémentaires, car trop similaire au nom de leur propre peuple. « Il faudrait faire un travail de communication et d’éducation pour que les gens sachent faire la différence  » reprend Olivia Horvath. Le sujet est sensible, et les expatriés travaillant dans de grandes institutions se défendent d’être concernés par la confu-

sion. « On n’est pas des Roumains qui se heurtent à des amalgames avec les Roms ou les mendiants du métro » lâche un peu vexé Alexandre Herlea.

Une xénophobie « normale »

Chez les Français, en revanche, aucun distinguo et aucun effort pour l’acquérir. « Je suis un peu catastrophée de voir que voir que l’image des Roms occulte la culture roumaine et tout ce qu’il y a de positif dans notre pays » s’agace Anca Lemaire, une chercheuse au CNRS venue en France il y a plus de vingt ans. « Ça ne me fait pas du tout plaisir d’être assimilée à tout ça ». Si la plupart des ressortissants roumains ten-

Raphaël Dor



Société Luxe

Paris Tourist Club Paris est une fête pour les riches expatriés anglo-saxons. Ils ont importé leur goût club version sport. Enquête. somme au titre de cotisation annuelle. Un luxe hors de portée du plus grand nombre, certes : « Nous avons beaucoup de gens importants, certains connus. C’est certain qu’ici on n’a pas de femmes de ménage », tient à préciser Mario Delesalle. Le sport est bel et bien présent sur les deux hectares du site, mais l’occasion est belle dans ce cadre idyllique de faire sauter quelques bouchons de Veuve-Cliquot : « Beaucoup d’adhérents sont des Social Member, c’est-à-dire qu’ils viennent profiter du lieu sans forcément participer aux activités sportives », ajoute le directeur adjoint, précisant également qu’il existe « des flambeurs, mais comme partout ». © saclub.org

Au delà de ça, les sujets de Sa Majesté sont traités avec le plus grand soin. « Nous organisons des événements d’origines anglaises. Cela donne une âme britannique au lieu ». Si le club est parfait pour soigner le spleen et le mal du pays, cela n’empêche pas les différentes « communautés » en présence de se mélanger.

L’intérieur «so british» du Standard Athletic Club à Meudon

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t quel meilleur endroit pour les riches étrangers vivant à Paris, qui plus est sportifs que le Standard Athletic Club, situé à Meudon ? Créé en 1890, le club qui sent bon la GrandeBretagne a été inauguré une seconde fois en 1957 par la Reine d’Angleterre en personne. Ça annonce quelque peu le standing du lieu, dont les principaux adhérents sont britanniques. « Il y a des Français

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mais nous privilégions les clients anglais », explique Mario Delesalle, directeur adjoint du club. «  Nous ne voulons pas casser l’ambiance british du lieu ». On imagine en effet sans mal le désœuvrement d’un Français face au terrain de cricket et à la table de snooker. Si le club se veut relativement sélectif, il « ne l’est pas au niveau des prix » selon le directeur adjoint, qui chiffre l’adhésion à 1000 euros l’année. Ajoutez à cela la même

Rueil-Ma Maison

Même son de cloche à Rueil-Malmaison. A dix kilomètres de Meudon se trouve le non moins prestigieux Paris Country Club, club « privé et haut de gamme » comme l’indique son slogan. Des Français mais aussi « beaucoup d’Anglais, d’Américains,

d’Indiens et de Russes, tous domiciliés à Paris » s’y rendent, explique Soly Lévy, directeur général du lieu. « Peu importe la nationalité de chacun, le club est une grande famille. Tout le monde se retrouve ici entre gens du même groupe social ». Il est vrai qu’à 2100 euros le droit d’entrée et 1500 euros la cotisation annuelle, il est plus facile de se faire des amis. Golf, tennis (pour lesquels il faudra débourser 1000 euros de plus à la remise du chèque), sports collectifs... Sportif, le club fait également la part belle aux adeptes du farniente avec les cours de fitness, le spa et bien évidemment les parties de bridge. Un « home sweet home » en banlieue parisienne. «On retrouve une ambiance très chaleureuse, et les Britanniques notamment se sentent ici comme chez eux », se réjouit l’heureux directeur du club. Las des Champs-Élysées, nostalgiques de leur pays natal ou simplement à la recherche du luxe inhérent à leur situation, les étrangers de la capitale ont leur petit nid douillet à quelques kilomètres de leur sanctuaire parisien. L’occasion d’entretenir son corps, son esprit et ses relations, mais aussi de se sentir à Paris parfaitement chez soi. Elle est peutêtre là, la solution pour une bonne intégration. Arthur Scherer



Société Exode

Les provinciaux, ces étrangers méconnus Les plus de 500 000 provinciaux ne se sentent pas toujours accueillis par la capitale.

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es Romains parlaient de «  barbares », les Parisiens préfèrent le terme « provinciaux ». Etrangers à Paris ? Oui et non, répondra-t-on. « Je me sens étranger, mais pas dans le mauvais sens du terme » affirme Olivier Gouffault, étudiant psychomotricien originaire des Pays de la Loire, « je me sens comme un nomade, qui habite Paris pour l’instant, qui habitera peut être ailleurs dans deux

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ans. » Contrairement à ces « Parisiens qui ne se voient pas autre part qu’à Paris, même dans 20 ans », comme le souligne Olivier. Garder son « identité » provinciale, une nécessité ? « Les gens qui viennent habiter à Paris semblent inconsciemment très attachés à leur région » analyse Gregory, natif de Paris, « Je connais des Lyonnais qui ne s’intéressent pas au foot, mais qui vont suivre l’équipe de Lyon, comme par chau-

vinisme. » Ce n’est qu’à Paris que le provincial devient provincial, et que la fierté prend le dessus. Aujourd’hui, seulement 31% des plus de 2 millions de Parisiens sont né à Paris. Si 25% sont des étrangers internationaux et 15% sont des Franciliens, près de 30% sont provinciaux, soit un tiers de la population parisienne. En tant qu’« autochtone », Gregory assure que « l’intégration à Paris se fait très facile-

ment. » Il explique que selon lui, « le tout est de ne pas rejeter le mode de vie parisien. » Le métro, les afterworks, les sorties culturelles, ce genre d’activités qui sont parties prenantes du « parisien way of life ». « Je suis devenue une vraie Parisienne » affirme Pauline Pacoret, 27 ans, « Avant, j’habitais Châteauroux. Je ne pourrai plus y vivre maintenant. J’ai goûté à Paris, j’ai adopté son quotidien. » Le choix semble restreint : s’inté-

© Droits Réservés

Nombreux sont les provinciaux dont l’aventure parisienne commença à la Gare Montparnasse, au 19ème siècle.


grer à la vie parisienne, et adopter sa culture, ou garder son intégrité régionale. Sempiternel dilemme des expatriés intérieurs, qui auront fait Paris. Au 19ème siècle, les travailleurs viennent de toute la France pour gagner leur vie dans une ville en plein essor grâce à l’ère prospère de l’industrie. Le développement des axes ferrés sur le territoire français créé des flux migratoires constants vers la région francilienne, et plus précisément la capitale.

Le Parisianisme « Pour moi, je tiens que hors de Paris, il n’y a point de salut pour les honnêtes gens » s’esclaffe Mascarille dans Les Précieuses Ridicules de Molière. Un exemple de parisianisme parmi tant d’autre que le maître de

la comédie s’amusait à railler. Nombreux ont été les artistes à se moquer de cet ethnocentrisme parisien. Apparu en 1840 sous la plume de Balzac, le parisianisme vient d’abord désigner les mœurs et modes de vie des Parisiens, avant de prendre un virage

péjoratif. Ce n’est que plus récemment qu’il condamne l’arrogance et la suffisance que l’on peut prêter aux Franciliens vis-à-vis du reste de la France, cette province qui regroupe 82% de la population française et 95% du territoire du pays.

Erwan Carfentan

Les Parisiens utilisent le terme « en province » comme ils pourraient utiliser les mots « en dehors de la région Île de France ». Pourquoi « province » ? Avant que les départements ne soient créés en 1790, la France était divisée en provinces, territoires historiques réunissant des populations liées par la culture et l’histoire. Depuis 1790, le terme « province » n’est plus utilisé administrativement, mais reste un temps utilisé populairement pour désigner des territoires regroupant plusieurs départements, comme la province de Savoie ou la province de Normandie. A l’heure actuelle, ce terme n’est utilisé qu’en Île de France pour qualifier l’ensemble des anciennes provinces françaises.

La Fête de la Bretagne. Les Bretons ont été les premiers provinciaux à s’installer à Paris.

Paris, 19ème siècle : les invasions barbares L’Ouest et le Massif Central sont historiquement les plus gros axes migratoires vers Paris. L’émigration bretonne est au 19ème siècle la plus importante. En 1865, l’inauguration de la ligne de chemin de fer ParisBrest, s’ouvrant ensuite à Quimper puis Nantes, et ce sont plus de 12 000 bretons qui vivent dans la capitale en 1883. Ils s’installent dans le sud de Paris, autour du quartier de Montparnasse. Le Breton est à l’époque une main d’œuvre bon marché : courageux et dur à la tâche, il est contraint d’accepter des postes laborieux à

bas revenus, car parlant mal le Français, langue imposée dans toute la Bretagne qu’en 1936. Le sud de Paris se voit « envahi » d’une autre population étrangère au 19ème siècle, les Auvergnats. Les populations originaires du Massif-Central ont émigré en masse dans la capitale, si bien que beaucoup s’amuse de la situation, appelant Paris « la capitale auvergnate ». Cette communauté est à partir de la fin du 19ème siècle une des mieux organisées : des associations et des évènements folkloriques sont fondés un peu par-

tout dans Paris, bientôt relayés par l’Auvernat de Paris, un hebdomadaire destiné aux originaires du Centre, créé par Louis Bonnet en 1882. Bretons et Auvergnats ne sont pas les seuls à migrer au 19ème siècle. Des flux moins importants prennent source dans le Nord, à l’Est et dans le Limousin. Seuls la Provence et le Sud ouest font exception à la règle, dont l’émigration prend de l’importance seulement au 20ème siècle. Une immigration venant de tous les coins de France, symbole de la richesse culturelle de la ville lumière.

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© savigny.gwalarn.org

D’où vient le terme « province » ?


Société Rupture

La banlieue s’émancipe Les inégalités entre Paris et sa banlieue sont criantes. Les banlieusards, s’ils rêvent de la capitale, s’y sentent parfois étrangers et restent fiers de leur appartenance à la périphérie.

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Beaucoup de jeunes banlieusards se réfugient dans un communautarisme et affichent fièrement leur appartenance au « 9-3 » ou au « 9-4 ». Des jeunes, mais aussi des adultes qui ne se sentent pas en phase avec leurs voisins parisiens. « Je côtoie quelques Parisiennes, d’un milieu assez aisé, et je ne me sens pas en phase avec elles. Nous n’avons pas les mêmes centres d’intérêt. J’ai parfois l’impression d’être sur une autre planète qu’elles et d’être en total décalage. » constate Christelle, mère de famille de 49 ans résidant à Choisyle-Roi (Val-de-Marne). Cette dernière avoue créer des affinités plus facilement avec des personnes originaires de la banlieue. Elle ne semble pas prendre en compte des critères sociaux ou financiers pour ses amitiés mais se sent exclue en présence de la « bourgeoisie » de la capitale. « Certaines femmes utilisent des tournures de phrases ampoulées. C’est un exemple bête et caricatural, qui ne concerne que peu de parisiennes que je connais, mais cela accentue le malaise que je ressens et le fossé qui nous sépare » complète Christelle. Une barrière linguistique qui pourrait être banale mais qui ne fait que souligner un phénomène réel. Entre Paris et sa banlieue, les différences opèrent jusque dans les mots.

© ASCO TP/Daniel VANDROS

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ivant dans des zones généralement délaissées par les pouvoirs publics ; les jeunes banlieusards rêvent de Paris où tout est accessible mais en même temps ils ne s’y reconnaissent pas. « La banlieue reste un endroit où les gens disposent d’un certain sens de la solidarité et de l’entraide » confie Alexandre, un habitant de Vitry-surSeine (Val-de-Marne) âgé de 19 ans. « A Paris, malgré le flux ininterrompu de passants, un fort sentiment de solitude prédomine ». Contrairement aux idées reçues, la banlieue est un endroit ordinairement calme où l’ennui et l’attente prévalent. Paris est, quant à elle, une fourmilière mouvante aux multiples infrastructures, notamment culturelles, qui ne connaît pas de temps morts. Des clichés largement véhiculés par les médias Le boulevard périphérique, symbole du fossé entre sont désormais marParis et sa banlieue qués au fer rouge dans l’inconscient collectif. La rente de plus en plus à métro, la barrière est banlieue serait un « No un mur que les banlieu- pourtant bien réelle. man’s land » où violences sards franchissent pour et trafiques regorgent. travailler ou pour égayer Barrières Des bandes un quoti- linguistiques de jeunes J’ai parfois dien morne. e n c a g o u l é s l’impression d’être Un périphé- Alors non, la banlieue s’échappant de sur une autre planète rique fai- ne cristallise pas en ses leurs cités joinet d’être en total sant office de murs toute la misère frandraient Paris décalage. » frontière qui çaise tout comme Paris pour exporm a t é r i a l i s e ne compte pas dans sa ter misère et agressivité. les inégalités grandis- population que des milSi réduire la banlieue à un santes entre la capitale lionnaires du seixième. espace cloisonné et autar- et sa périphérie. Si Paris Néanmoins, une fraccique relève de l’ineptie, n’est qu’à quelques en- ture, sociale et géograle périphérique s’appa- cablures ou stations de phique, tend à s’accroître.

Hugo Derriennic


Société Banlieue

À Champignysur-Marne, des petites communautés se sont formées avec l’arrivée des immigrants. À présent, une multitude de cultures cohabitent.

«J

e ne veux pas me fermer aux autres. Mais nous avons tout simplement la même manière de penser, la même religion et les mêmes coutumes. C’est normal de se rapprocher de ceux qui nous ressemblent, tout le monde fait ça ! », revendique Sarah, 21 ans et mère de famille. Cette Algérienne a emménagé avec sa famille au Bois l’abbé, un quartier de Champigny-surMarne, il y a une dizaine d’années mais tient à ne pas trahir ses origines. « C’est important pour moi de parler arabe et j’ai appris à mes enfants à parler cette langue avant le français, même s’ils sont nés en France, raconte Sarah. Je suis née en Algérie et même si la France est mon nouveau pays, je ne veux pas renoncer à ma culture maghrébine. » Tout comme elle, de nombreux immigrés l’ont précédée dans cet ancien bidonville construit dans

Le marché du Bois l’abbé, points de rencontre des différents communautés.

les années 60/70 par des Portugais. Lorsque ces derniers ont mieux gagné leur vie, ils ont laissé la place aux nouveaux migrants, principalement originaires d’Afrique. Depuis, les arrivées ont continué. Moins nombreuses. Au fur et à mesure, ces nouveaux venus ont formé des communautés, qui cohabitent entre elles. Pourtant, ils perpétuent leur culture d’origine. Des racines inoubliables.

«Se rapprocher de ceux qui nous ressemblent »

Partager ces rites tisse une grande solidarité entre les membres appartenant à une même communauté. Il y a quelques mois une jeune fille du quartier est décédée dans un accident de la route. Elle était originaire de la République Démocratique du Congo, ex Zaïre. Toutes les familles congolaises voisines sont allées à l’en-

terrement, ont cuisiné, pris soin de la maison et essayé d’aider les parents. Clarisse, 43 ans, s’y est rendue. « Je ne connaissais pas la jeune fille mais j’avais vu ses parents deux ou trois fois, raconte Clarisse. C’est comme ça chez nous, quand tu apprends que quelqu’un de ton pays est dans le besoin, tu l’aides dans la mesure du possible. » Cette mère de famille explique que cette entraide ne caractérise pas que les coups durs. « Nous aimons participer aux événements heureux, comme les naissances, ajoute t-elle. Aux mariages de mes filles, plus de 30 personnes qu’on ne connaissait que de vue sont venues offrir un présent aux jeunes époux.»

Jeunesse rebelle Néanmoins, pour les nouvelles générations, la transmission de ces cultures n’est pas systématique. Certains cherchent à se rappro-

cher des traditions françaises, ce qui crée des disputes familiales. C’est le cas d’Elhad Marah, un Comorien de 27 ans. « Je suis sortie avec une blanche lorsque j’étais plus jeune, raconte-t-il. Ma mère a fini par l’accepter mais elle m’a bien fait comprendre qu’elle voulait que je me marie avec une comorienne ou, au moins, une musulmane. » Le métier du frère d’Elhad pose également problème au sein de la famille. « Il est infographiste mais pour mes parents un vrai métier c’est lorsqu’on fait quelque chose de nos mains, qu’on est maçon ou plombier. » Pour ces jeunes, ce besoin de distance s’explique. Lorsqu’ils sont en vacances au « bled », ils observent que leurs parents pratiquent des usages désuets. Ceux qu’ils ont connu avant d’émigrer. C’est par exemple le cas pour le port du voile ou la possibilité de se maquiller. DELPHINE PROUST

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© Droits Réservés

Un quartier regroupe le monde entier


Société Terre d’asile

Paris, le refuge d’un Chilien

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éfugié en France, le Chilien Erasmo Escobar a fait sa vie. Récit d’un parcours d’exil. Un verre de pisco dans une main et une vieille photo dans l’autre, Erasmo Escobar fixe le jeune garçon chilien qu’il était cinquante ans auparavant. A ses côtés, ses parents qu’il a dû quitter pour fuir le régime d’Augusto Pinochet.

Militant engagé contre la dictature qui régnait, l’homme de soixantequatre ans est désormais un retraité paisible de la ville d’Ivry. « Je pense tous les jours à mon départ de Santiago », raconte-t-il dans un français irréprochable. « En réalité, c’était ma seule issue pour survivre et connaître une vie meilleure. En voyant ce que j’ai construit en France, je ne regrette rien. » Tous les ans, Erasmo emmène sa femme découvrir une nouvelle région du Chili. Une fierté qu’il partage avec ses proches. Des retours ambivalents, tant il garde de son pays des souvenirs pesants.

« J’ai d’abord eu honte de quitter mes frères »

Avant de rencontrer Joëlle, enseignante française avec qui il est marié depuis trente-huit ans, Erasmo a dû passer bien des épreuves pour

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s’intégrer. Venu du Chili en tant que réfugié politique, il fait partie de ceux qui n’ont pas vécu les déboires administratifs pour se procurer des papiers. « La France m’a donné ma chance », reconnait-il. « En deux semaines, j’avais obtenu le droit de venir à Paris pour y vivre. Malgré cela, la différence de culture et le regard des gens m’ont dérouté. Avec du recul je constate que ça m’a rendu plus fort. » Sa rencontre avec Gilles, alors lycéen parisien, aura facilité son insertion. « Avec lui, nous avions établi un pacte. Il devait m’apprendre le français et moi l’espagnol. Je le revoie encore souvent et sans cet homme, rien n’aurait été si facile ».

© Grégoire Gantois

Réfugié en France, le Chilien Erasmo Escobar a fait sa vie. Récit d’un parcours d’exil.

Erasmo Escobar, symbole d’une génération chilienne marquée par la dictature.

bras ». Et bien lui en pris : aujourd’hui, Erasmo peut profiter pleinePour repartir à zéro, il ment de sa retraite, sas’est résigné à de mul- chant ses deux fils indétiples métiers ingrats : pendants et épanouis. peintre, ouLe natif de vrier, froma- « J’ai d’abord eu Santiago vient ger… Il a fina- honte de quitter de s’offrir une lement termi- mes frères avec résidence sené sa carrière qui je militais, condaire, où en tant que mais je n’avais il peut à prés u p e r v i s e u r pas le choix. Ma sent écouler de la sécu- vie était en jeu. des jours heurité dans des reux. Signe centrales nucléaires, ce que l’errance est finie. Et haut-lieu de l’énergie que le Chilien souhaite franco-française. « J’avais se reposer dans la camune famille à charge, je pagne française. « J’ai me devais de leur four- vécu la répression, subit nir les moyens de réa- le fascisme du régime et liser leurs ambitions. », me suis battu pour appordéclare-t-il. « Mon par- ter la démocratie », excours doit leur servir plique le franco-chilien. d’exemple et les pousser « J’ai d’abord eu honte de à ne jamais baisser les quitter mes frères avec

qui je militais, mais je n’avais pas le choix. Ma vie était en jeu. Je suis fier que ceux qui sont restés soient arrivés au bout de leur peine». Au total, le gouvernement d’Augusto

Pinochet est responsable de plus de 3 200 morts et disparus, plus de 38 000 torturés et de dizaines de milliers d’arrestations de dissidents. Une peur qu’Erasmo n’oubliera jamais et qu’il a du mal à évoquer encore aujourd’hui. Malgré l’attache qu’il garde avec son pays natal, il reconnaît devoir énormément à la France. Un refuge qu’il respecte et qu’il pense ne jamais quitter. Grégoire Gantois


Société Médias

« Ni tout à fait marocain, ni tout à fait français » Porte-voix des quartiers populaires, le Bondy Blog est un média qui compte. A sa tête, Nordine Nabili. Il vit en France depuis 30 ans… et ne souhaite pas devenir français.

Aujourd’hui, vous semblez parfaitement intégré à la société hexagonale. Comment en êtes-vous arrivé là ? N.N. : Petit, j’étais un objet de curiosité, une bête de foire. Mais je ne vou-

© afp.com/Thomas Samson

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omment avez vous vécu votre arrivée en France ? Nordine Nabili : Avec ma famille, nous sommes partis du Maroc en 1976 pour nous installer dans un village alsacien. Mon père était ouvrier dans une usine Peugeot, ma mère, elle, s’occupait de nous et de la maison. En soi, notre ménage ressemblait à n’importe quel autre foyer français. Dès notre arrivée, nous avons tenté tant bien que mal de nous intégrer, en invitant les voisins à partager un plat de tajine ou en distribuant des pâtisseries pendant les fêtes, mais ces initiatives demeuraient vaines. Le matin en partant à l’école, des enfants du village m’appelaient «le bougnoule» et le soir en rentrant, certains lâchaient leurs chiens sur nous. On avait l’impression qu’ils avaient été entraînés à nous pourchasser. Pour mes camarades et mes voisins, j’étais «l’arabe aux dents sales et aux cheveux pleins de poux».

lais pas me confiner à liste. D’abord, j’ai été dicette image que les autres recteur de la radio locale m’avaient attribuée. Très de Marne-la-Vallée, puis vite, j’ai directeur de r e d o u b l é « Petit, j’étais un objet la rédaction d’efforts en de curiosité, une bête de de Beur FM cours pour foire. Mais je ne voulais avant de p o u v o i r pas me confiner à cette fonder le m’en sortir, image que les autres Bondy Blog. bien qu’à m’avaient attribuée » En acquémon arrirant ce stavée je ne savais rien de la tut, j’ai aussi gagné le reslangue de Voltaire. J’étais pect de mon entourage. le petit Arabe de service. Le jeudi, pendant que Vous cotisez, payez des mes camarades allaient impôts, travaillez en rencontrer le curé de la France. Pourquoi ne pas ville, je devais rester à la changer de nationalité ? bibliothèque. J’ai profité N.N. : A vrai dire, je ne de ces heures solitaires me sens ni tout à fait pour lire tous les livres marocain, ni tout à fait de Jules Verne qui me français : j’ai une double passaient sous la main identité. La preuve étant et ainsi mieux apprivoi- qu’ici je suis un immiser la langue française. gré, mais de retour au Aujourd’hui, cela fait 17 bled, j’en suis aussi un. ans que je suis journa- Mes proches m’appellent

l’ « immigri » - immigré en arabe - ; partout où je suis, je ne suis jamais vraiment chez moi. La seule chose que pourrait m’apporter la nationalité française, ce serait le droit de vote. A quoi bon ? Aurais-je plus de poids sur la vie politique hexagonale ? Je pense sincèrement que mon action via le Bondy Blog a bien plus d’impact qu’un bulletin électoral. Cela dit, si François Hollande tient ses promesses engagées pendant la campagne, d’ici la fin de son mandat, je pourrais peut-être voter… Enfin, seulement aux élections municipales ! En attendant, je n’ai pas l’intention de changer de nationalité. Kahina Boudarène

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Politique Grèce parisienne

© Droits Réservés

provoque toutefois l’éloignement des GrecsFrançais de la deuxième et troisième génération qui ne se sentent pas représentés dans leurs appels. Cela se traduit par une faible mobilisation, ainsi en 2009 seulement 698 grecs se sont déplacés pour voter. Alexandre Efstathiou, 23 ans né à Paris de parents grecs, exprime son scepticisme quant aux prochaines élections : « Les jeunes ne sont pas assez représentés. Les querelles politiques ne m’intéressent guère ». D’ailleurs les réunions culturelles de l’association grecque sont fréquentées uniquement par les seniors, elles accusent une perte de vitesse. Les jeunes Grecs de Paris ne renient pas pour autant leur racines. En 2009 la nouvelle association « Jeunes Professionnels Grecs » est un succès et redonne un espoir quant à la survie de la communauté grecque. Une communauté qui possède un fort encrage dans la capitale. La France a connu trois vagues de migrations de masses des grecs au XXe siècle. Durant la Première guerre Mondiale, à l’initiative de l’Etat français, la main d’œuvre dans l’industrie de l’armement est constituée d’environ 24 000 grecs. Une deuxième vague d’immigration spontanée est le contre-coup du déplacement massif de la population grecque d’Asie Mineure dans les années 20. La troisième se concrétise dans les années 60-70 où des milliers de grecs vont fuir la dictature des colonels. Chloé Emmanouilidis

La communauté grecque de Paris à la Maison de la Grèce.

Elections à la grecque Tous les trois ans, la communauté hellénique de Paris se choisit un président.

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résident des Grecs de Paris, un poste convoité au bureau de la communauté hellénique. Cette élection méconnue des Français se déroulera le 16 décembre où cinq listes vont s’affronter. Une fois nommé, le Conseil d’Administration représentera les 5000 grecs qui habitent Paris. Basée sur la loi 1901, depuis 1923 l’association est chargée de promouvoir la culture grecque auprès des Français, de s’assurer du bon fonctionnement de l’école grecque et d’accueillir les nouveaux grecs. Michel Cacouros, le président sortant élu en 2009, se représente avec la liste Communauté Unie Indépendante. « Il est nécessaire de se mettre au diapason avec les autres.

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En ces temps de crise nous devons être unis et faire cesser les divisions qui affaiblissent la communauté », annoncet-il. Un programme qui ne fait pas de vagues.

Une élection discrète

Etrangement les listes candidates ne font d’ailleurs pas campagne. Les électeurs reçoivent une semaine avant le scrutin des tracts de chaque liste par courrier. Une commission électorale composée des membres de chaque liste veille au bon déroulement du vote. Le scrutin plurinominal se déroule en deux étapes. La première est l’élection de vingt et un conseillers d’Administration et trois contrôleurs des finances. Après une

longue nuit de délibérations et accords intenses à la grecque, les vingt deux élus désignent le Président, le Secrétaire Générale et un Trésorier. Chez les Grecs de Paris, la politique est sacrée à tel point que dans certaines listes on retrouve des références aux partis grecs. La Communauté Solidaire se réfère au parti radical de gauche Syriza, dont le chef de file est le célèbre écrivain franco-grec Vassilis Alexakis. La Nouvelle Union Démocratique rappelle le parti de droite la Nouvelle Démocratie.

La communauté grecque vouée à disparaître ?

Cette influence des partis politiques grecs sur les listes parisiennes,



Santé Cartes de séjour

La France rechigne à soigner les étrangers De plus en plus difficile de se faire soigner en France ? Adeline Toullier, juriste et responsable accès aux droits à l’association AIDES, dénonce la loi sur le droit au séjour pour soins, modifiée sous Sarkozy.

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© AIDES

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uelles sont les dérés comme absents c o n s é q u e n c e s dans les pays d’origine. du change- De quoi faciliter la procément législatif, inter- dure pour les personnes venu en juin 2011, séropositives. Un texte pour les personnes certes plus respectueux demandant un titre des questions de santé, de séjour pour soins ? mais fragile quant à son Adeline Toullier : La statut de simple insloi du 16 juin a durci le truction ministérielle. critère de présence des traitements dans le pays Quel est le constat d’origine. D’une notion de sur le terrain ? traitement « disponible », A.D. : Il est inquiétant. Les on parle « d’absence » de renouvellements de titre traitements pour accor- de séjour pour soins se der une carte de séjour font annuellement. Depuis pour raisons médicales. quelques semaines, nous Cette disposition, beau- constatons donc les effets coup plus restrictive, de la loi. Des personnes demeure par ailleurs très présentes depuis plus de floue pour les médecins dix ans se voient refudes ARS (Agences régio- ser le renouvellement de nales de santé), qui appré- leur titre. Cela pour de cient la situanombreuses tion médicale Une porosité qui pathologies du patient pour induit de facto ( d i a b è t e s , la préfecture. une main-mise cancers, proLes associa- de la politique blèmes psytions de santé migratoire chiatriques et de soutien sur l’urgence etc.), mais aux personnes sanitaire. aussi pour étrangères male VIH et les lades se sont alors beau- hépatites. En découle une coup mobilisées contre recrudescence des mises ce projet, sans succès. en rétention (près de 5 Depuis novembre 2011, cas par semaine, selon la une circulaire du minis- CIMADE), mais aussi des tère de l’Intérieur dis- obligations de quitter le pose que, pour le VIH et territoire et des expulles hépatites, les traite- sions. Ces derniers jours, ments doivent être consi- les difficultés pour les

Adeline Toullier, juriste à AIDES, aux Universités d’été des personnes séropositives (UEPS).

renouvellements comme pour des premières demandes se font de plus en plus importantes. Une fois les personnes en rétention, il n’existe pas de procédure claire quant à une annulation de la décision de la préfecture de police. Nous n’avions pas vu ça depuis Sarkozy.

Quelles sont les raisons de ce durcissement ? A.D. : La modification législative y est pour quelque chose, c’est une évidence. Mais nous constatons également une profonde méconnaissance de l’instruction de novembre 2011. Et cela même par les médecins des ARS, ce qui est très nouveau. Le cabinet de l’Intérieur reste tout-puissant tandis que celui de la Santé ne fait pas valoir

ses droits. Une porosité qui induit de facto une main-mise de la politique migratoire sur l’urgence sanitaire. Les pratiques de l’administration n’ont pas changé depuis l’arrivée au pouvoir de la gauche. Nous sommes très inquiets, car lors de notre rendez-vous avec le cabinet de Manuel Valls, aucune décision n’a été prise. Cela ne semble pas être une priorité du gouvernement, malgré l’engagement de campagne de François Hollande de revenir sur cette loi de juin 2011. Nous devons rencontrer le cabinet du ministère de la Santé très prochainement. Il est fort probable que les associations se mobilisent. Propos recueillis par Mathieu Brancourt


ÉDUCATION Matheux

Scolarité étrangère

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as de titre de séjour ? Aucune chance de trouver une location. Obligé d’attendre fin novembre, trois mois après son arrivée, pour décrocher le sésame et commencer ses recherches. Sans succès. Heureusement que l’ami de sa famille, qui l’a hébergé les vingt premiers jours, peut contacter une connaissance dans l’immobilier. Et voilà Belaid installé dans un 22m² place d’Italie, pour la coquette somme de 575 euros. Un peu moins une fois l’Aide personnalisée au logement (APL) de 200 euros utilisée. Une des rares assistances que l’étudiant puisse toucher, et qui lui est vitale : « Si on baisse mes APL, ma scolarité est compromise. » Alors, Belaid travaille un peu. Pendant son premier été parisien, il dépose une centaine de CV. Aucune réponse positive. Même pas une proposition qui lui permette de goûter aux joies de la préfecture de police où il devrait demander une autorisation s’il souhaite travailler légalement. Alors depuis, il a décidé

d’utiliser ses compétences scolaires. Quatre heures par semaine, il donne des cours particuliers de maths et de physique.

Etrange écolier Les leçons, il y est habitué. Originaire de Tizi Ouzou, Belaid a suivi un drôle de parcours scolaire avant d’arriver sur les bancs universitaires parisiens. Gamin, il reste moins d’un an au sein de l’école publique. Le reste de sa scolarité se fait via une « école » associative (auto-organisée par des parents kabyles) qui propose un enseignement appuyé sur des cours du Centre national d’enseignement à distance (CNED). En terminale, Belaid se présente en candidat libre et repart avec un baccalauréat scientifique, mention bien. Il est alors « plus reconnu scolairement par l’État français que par l’Algérie ». Après beaucoup de paperasserie, il obtient une équivalence et finit par réintégrer le système scolaire algérien. Précisément à l’Ecole supérieure d’informatique d’Alger,

©Thomas Ciret

Jeune étudiant kabyle installé à Paris depuis septembre 2008, Belaid Aït Hamouda a quitté son pays natal à cause d’un environnement scolaire gangréné par l’islamisme. Mais si la France lui a permis de mieux comprendre son pays et le monde, il n’entend pas y rester.

l’équivalent de Centrale. L’Islam en plus. « J’avais l’impression de ne pas vivre dans le même pays. » L’influence de la religion et le manque de moyen le poussent à arrêter les cours dès février. Mais alors, que faire ? Partir étudier en Angleterre comme son oncle ? Trop cher. Alors la France. Deux mois d’attente pour un dossier valide et validé. Bienvenue à Paris, bienvenue à l’étranger.

Gueule de « métèque »

Dit « métèque », il n’en a ni la gueule, il pourrait être du cru, ni l’accent, qu’il a perdu au bout de six mois. Après quatre ans de vie parisienne. Belaid se sent toujours étranger et ressent « un léger complexe d’infériorité ». Peutêtre lié à la solitude des débuts. La première fois qu’il met les pieds dans un bar, c’est en 2009. Et la première fois qu’il est

invité chez quelqu’un ? Un an après. Et puis il lui a aussi fallu s’habituer à la faune parisienne, à « des types de gens qui n’existaient pas » chez lui : les gothiques, les hipsters. Mais il n’a pas pu s’accommoder avec le contexte politique de durcissement de la droite. La circulaire Guéant, notamment, l’a poussé à regarder ailleurs. Le Canada peut-être, pour un vrai passeport. Puis, une lueur dans le regard, l’ombre des aïeuls plane : « si j’obtiens la nationalité, je peux repartir. » Où ? Au loin, les monts algériens semblent l’appeler à eux. Un possible retour au bled serait maintenant plus évident. Lors de ses quatre années en France, « le meilleur endroit au monde pour faire des maths », Belaid a « appris plein de trucs sur l’Algérie ». Ce séjour lui a donné – il l’assure - une ouverture sur le monde. Thomas Ciret

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Éducation Auberge

Erasmus, ma tribu Les étudiants étrangers Erasmus n’ont pas l’habitude d’aller à la rencontre des Parisiens. La plupart préfèrent se réfugier dans leur grande communauté, au risque de passer à côté de rencontres locales.

Unis par la fièvre du samedi soir Le succès des Erasmus Party de la capitale,

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© tobeerasmusinparis.com

«L

es étudiants Erasmus ont tendance à rester ensemble. Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas comprendre. » Margarida, portugaise de 19 ans arrivée à Paris il y a trois mois, fait partie de la grande communauté Erasmus. En surfant un peu sur internet, le phénomène est flagrant : forums, sites internet et autres groupes Facebook destinés à réunir la « famille » étudiante ne cessent de fleurir. L’effet de groupe semble être à l’origine du phénomène. « On est tous dans la même situation, on doit s’habituer à un pays où l’on ne se sent pas forcément bien au départ », continue la jeune étrangère. La barrière culturelle et celle de la langue incitent également à rebrousser chemin devant les locaux. Un piège vicieux selon Guillaume, ex-étudiant Erasmus français qui a séjourné en Ecosse : « Les Français là-bas ne restaient qu’entre eux. Et une fois que tu as ta bande de potes, tu rencontres quand même des autochtones, mais tu ne crées pas de liens, c’est passager ».

qui réunissent chaque nocturnes, 70% des fêsemaine près de 1000 tards sont des étrangers. étudiants étrangers, dé- Le concept n’est donc montre combien l’inté- pas vraiment axé sur gration locale n’est pas l’échange avec les jeunes au centre de leurs prio- parisiens : « Ils restent rités. A l’oriplutôt entre gine, la soirée Lors de ces réunions eux, ils ne se nocturnes, 70% emblématique mélangent des fêtards sont n’a d’ailleurs pas », confie pas été crée des étrangers. Le Cécile, chargée dans cet ob- concept n’est donc de commujectif. Il y a 10 pas vraiment axé sur nication des ans, lors d’un l’échange avec les Erasmus Party. jeunes parisiens Parmi échange en les Espagne, JeanFrançais qui Eudes Bernard découvre s’y aventurent, une bonne ces rendez-vous festifs partie a elle-même vécu réservés aux étudiants l’expérience Erasmus. Erasmus. De retour à Un brin nostalgique, ils Paris, il perçoit la de- n’hésitent pas à venir mande des jeunes inter- épauler la relève. Rien nationaux, avides de d’étonnant pour Jeff se retrouver entre. Un Chilton, fondateur de « To marché prometteur qui be in Erasmus in Paris », porte encore ses fruits. société touristique et Lors de ces réunions évènementiel destinée

aux étudiants étrangers : « C’est avant tout un art de vivre. C’est une tribu, ils aiment bien rester entre eux. Etant donné qu’ils ont plus de temps libre que les Français, ils organisent pas mal de choses ensemble, comme des repas où chacun fait découvrir les spécialités de son pays par exemple. Toutes les cultures se mélangent ».

Parisiens écartés Les Français ne sont pas forcément les bienvenus dans la communauté. Au cours des voyages organisés en province par To be in Erasmus in Paris, ils sont « la goutte d’huile dans le bol d’eau » selon Jeff Chilton. « Ils parlent vite, ils ont


leur propre vocabulaire. Donc si on n’a pas une forte personnalité, c’est difficile de s’imposer  », explique-t-il. Autrement dit, seule une petite part de Français conciliante est acceptée dans ces activités spécialement mises en place pour les étrangers. Pour l’organisateur, « les phénomènes d’intégration sont identiques partout dans le monde. C’est humain de s’orienter vers des personnes qui parlent la même langue que toi ou qui vivent une expérience similaire à la tienne ». La pilule n’est pourtant pas simple à avaler. Margarida, l’étudiante portugaise, partagent son temps entre étudiants Erasmus et parisiens. Mais elle reconnaît que comme les étudiants étrangers aiment à vivre en groupe fermé, les Parisiens les « discriminent ». Pas d’élans d’amitiés pour les clans d’étrangers donc. Pour autant, les associations favorisant l’intégration des étrangers sont en passe d’inverser la donne. Euro-Fil, Le Club Erasmus, Parismus, toutes multiplient les activités nocturnes, les visites culturelles, ou les ateliers de conservations, afin de faciliter le mélange francoétranger. Une grande évolution selon Homsi Alain, président du Club International des Jeunes à Paris, qui compte 1000 étudiants étrangers par an : « Il y a 10 ans, mise à part l’administration des universités, il n’y avait pas beaucoup de structures qui proposaient ces activités culturelles ». Sur son site internet, le créateur de l’associa-

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Éducation

tion annonce « un programme de sorties et d’activités variées destiné à favoriser les liens d’amitiés entre jeunes et étudiants français et internationaux de séjour à Paris ». Et d’assurer que « aujourd’hui il est facile d’aller vers les étudiants parisiens grâce aux associations comme la nôtre ». Seulement voilà, sur vingt participants, un quart seulement est parisien. Même quand la démarche est entamée par les étudiants Erasmus en quête de rencontres locales, ce sont les autochtones qui leur font défaut. Justine Knapp

Erasmus, 25 ans et 33 pays Créé en 1987 lors de la Conférence de Rome, le programme Erasmus permet aux étudiants de participer à des échanges universitaires entre pays européens partenaires. Aux 27 pays membres de l’Union Européenne

200 nationalités vivent à Paris En 2011, Paris compte près de 764.000 étrangers, ce qui représente au total 15% de sa population. Un Parisien sur quatre est étranger, près de 23% des Parisiens ne sont pas nés dans la capitale. Près de 200 nationalités différentes cohabitent ici. 29,8 % d’entre eux arrivent de l’Union Européenne, près de 2,4% sont originaires d’Afrique sub-saharienne, 3,1 % d’origine maghré bine et 9,5 % d’autres nationalités. 15% d’étran-

s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège, la Suisse, la Croatie et la Turquie. 4 % des étudiants européens bénéficient du programme. Ils sont très exactement 213 266 à y avoir participé au cours de l’année académique 2009-2010. Cette même année, la France a envoyé plus de 30 000 étudiants étudier ou tra-

gers dans la capitale, le chiffre peut surprendre. Proportionnellement, il est faible. Les Parisiens ne représentant que 3,6% de la population française. Paris est l’une des premières des capitales mondiales à avoir accueilli des étrangers. La première mais pas la plus courue. 15 %, dans la capitale française, contre 47 % à Amsterdam ou encore 27% à Londres. Le record est au Luxembourg, qui recense 59% d’étrangers en ses murs. Un chiffre vraisemblablement explicable par un système fiscal avantageux. Lucie Alègre

vailler en Europe tandis qu’elle en accueillait plus de 26 000. Cela en fait le deuxième pays d’expatriation derrière l’Espagne (31 500 étudiants) et devant l’Allemagne (28 854). Notre voisin ibérique est d’ailleurs la destination privilégiée avec 16,6% du total des étudiants Erasmus. Charles Lafon

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Art de vivre Gastronomie

La Kaiseki d’Edakuni À Montmartre, Guilo Guilo, le restaurant d’Eiichi Edakuni, affiche complet. Le menu unique change tous les mois. Rencontre avec un cuisinier nippon missionnaire du bon goût.

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Pourquoi avez-vous choisi de venir vous installer à Paris et d’ouvrir un deuxième Guilo Guilo ? E.E : Un ami m’a demandé de préparer le repas A l’occasion de son exposition de poteries au Bateau-Lavoir* voici 5 ans, un ami m’a demandé de préparer le repas. J’ai adoré me sentir anonyme à nouveau et ai eu envie d’un nouveau départ. Les Français ont été très accueillants. Un restaurant était à vendre, rue Garreau, au cœur de Montmartre, j’ai saisi l’occasion. Au début, je faisais d’ailleurs tout moi-même.

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étonnés par mon sushi au foie gras et parlent d’influence française, alors que justement, ma cuisine n’a jamais été aussi japonaise et authentique que depuis que je suis ici.

Comment se traduit le « choc » des cultures entre clients japonais et clients français, dans votre restaurant ? E.E : Quand j’ai ouvert, les clients me demandaient du sel ! Il y a dix ans, les gens ne voulaient pas entendre parler d’algues dans leur assiette. Heureusement, les mœurs ont évoluées. Les Français ont dû s’ouvrir à la sensibilité japonaise. Maintenant, les clients sont excités à l’idée de gouter des plats venus d’ailleurs. Ma glace au thé torréfié a souvent inquiété à cause de ses saveurs de réglisse, de tabac, mais au final, on m’en a redemandé !

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omment avezvous commencé votre carrière dans la restauration ? Eiichi Edakuni : Je ne me destinais pas au métier de cuisiner. Très paresseux, je voulais gagner de l’argent en m’amusant. Un jour, au restaurant, j’ai gouté un plat qui m’a envahi par sa délicatesse. Je me suis dit que c’est ce que je voulais faire. À 26 ans, j’ai ouvert mon premier établissement à Kyoto, qui n’avait qu’une quinzaine de couverts. Très rapidement, le succès est arrivé, au point de devoir assurer quatre services par soir. Les clients devaient parfois attendre près de 2 ans et demi pour avoir une table. Le rythme était très dur à suivre et de nombreuses fois, j’ai pensé à fermer.

Comment expliquezvous l’engouement des français pour la cuisine japonaise ? E.E : La cuisine japonaise est très à la mode. Les Français veulent manger des produits sains, variés et équilibrés. Ma cuisine, la Kaiseki de Kyoto, plait aux clients (succession de sept plats, de saison, mêlant équilibre des goûts, des textures, de l’apparence).

Quelle image avezvous de Paris et comment avez-vous réussi à vous intégrer ? E.E : Paris n’est pas vraiment une ville internationale. Avant d’arriver en France, j’avais l’impression que le pays était encore en développement. Célèbre pour le tourisme, cette ville est encore trop tournée vers le passé. Le plus difficile, pour moi, c’est la conception du travail. Les Japonais considèrent le travail comme partie inté-

grante de leur vie, alors que pour les Français, c’est un moyen de survie. Les fournisseurs français m’ont rendu fou : ils pouvaient, un jour, me proposer d’excellents produits un jour, puis d’autres, sans saveurs le lendemain. Ce que je déplore le plus, c’est le manque de cohérence et de fiabilité.

Aujourd’hui, comment faites-vous pour trouver les produits nécessaires à votre cuisine ? E.E : Je me suis beaucoup battu avec les fournisseurs, n’hésitant pas à changer lorsque ça n’allait pas. En France, malheureusement, l’argent fait avancer les gens, alors qu’au Japon, tout est basé sur la confiance. Pour mes produits, ils proviennent de nombreux pays européens. Les maquereaux de Hollande ou d’Ecosse, les oursins d’Islande ou de Bretagne. Beaucoup de clients sont

Quelle est la raison de votre succès, en France ? E.E : Offrir un menu à 45 euros et en changer tous les mois, c’est un concept risqué. Il y a aussi le fait de cuisiner et de servir le client directement. Ce n’est pas une chose courante ici alors qu’au Japon, c’est normal. Je suis le seul à le faire, et c’est surement pour cela que ça marche. Un peu présomptueux peut-être, mais c’est vrai. » Propos recueillis par Julie Lacourt.


Art de vivre Cuisine

Alba Pezone, haut les pâtes ! Si pour vous la cuisine italienne n’est faite que de pâtes et de pizzas, vous feriez bien de vous intéresser à Alba Pezone. Cette Napolitaine est devenue une des représentantes les plus en vue de la gastronomie italienne en France.

Un travail de cadre supérieur et Gérard Mulot

Son parcours n’est pas des plus linéaires. Née à Naples voici 43 ans, la jeune Alba part pour Paris à 18 ans poursuivre ses études de gestion. « C’était un moyen de satisfaire ma curiosité. J’avais envie de découvrir le monde, d’observer de nouvelles cultures », explique-t-elle. Pour tromper la nostalgie qui la guette durant ses premières années parisiennes, la Napolitaine se

Alba Pezone prépare des grissinis garnis de marmelade d’oranges et d’un peu de parmesan « 18 mois d’affinage ».

met aux fourneaux. Avec le temps, ce qui n’était qu’un moyen de se rappeler aux bons souvenirs de sa baie natale devient une passion. Puis d’un coup, le déclic. « Après 9 ans à conseiller des entreprises, je décide de combiner mon métier et mon goût pour la cuisine». Elle arrête aussitôt sa carrière de cadre sup, reprend les études et passe plusieurs CAP en cuisine et pâtisserie. Forte de ses expériences dans de grandes enseignes, comme le Grand Véfour ou la pâtisserie Gérard Mulot, elle entame une carrière de journaliste culinaire. En 2003, elle publie ses premiers articles dans le mensuel italien Il Gambero Rosso. S’ensuit l’écri-

ture de plusieurs ouvrages sur la pâtisserie, les pâtes alimentaires ou encore, reconnaissance ultime, un ouvrage en trois volumes de ses recettes, publié en 2008.

« Prendre le temps de cuisiner, c’est important »

Parallèlement, l’hyperactive Alba Pezone crée son école, Parole in Cocina, en 2004. Ses clients sont nombreux, du particulier à la grande entreprise (BNP, AXA, Nestlé etc.). Moyennant 90 euros par heure, vous apprendrez à préparer bruschetta pomodoro e « stracciata » di Andria (bruschetta avec concassée de

tomates à l’origan, effilochée de burrata), Pen di Spagna (génoise à la pâte d’amande) ou risotto al nero di sépia (risotto à l’encre de seiche, encornets et burrata). Derrière ces noms qui fleurent bon la botte, des produits simples, peu chers et un concept bien définie. Dès 1999, elle rejoint « Slow Food », une association internationale qui lutte contre la standardisation de la restauration rapide. « Prendre le temps de cuisiner, c’est important. Et en général, les produits que j’utilise sont bons marchés et disponibles dans tous les marchés bios parisiens  », témoigne la gourmette. Jean-Romain Blanc

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© Sophie (Dans la cuisine de Sophie)

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aites le test. Demandez à des jeunes gens quel est le plat qu’ils dévorent le plus communément. La réponse sera « pâtes » ou « pizzas ». Ces plats qui assaisonnent notre quotidien sont loin d’être représentatifs de l’ensemble de la gastronomie italienne. Comment oublier le jambon de parme, les fromages, le risotto ou les saltimbocca à la romaine. Alors pour nous enseigner la vraie cuisine italienne, rien de tel qu’une Napolitaine expatriée à Paris. Alba Pezone dirige son école de cuisine dans le 18e arrondissement de Paris. « Pourquoi une telle école à Paris ? Parce que la cuisine italienne est incroyablement moderne, esthétique et saine », argumente-t-elle.


Culture Littérature

Paris en toutes lettres Paris, lieu de pèlerinage favori des écrivains étrangers. Convalescence, renaissance, inspiration, quelles qu’en soient les raisons, la ville continue d’être placée sous le signe de la littérature. Décryptage.

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© AFP

ovembre 2006, on crie déjà au mauvais étaient ressortis grandis d’interaction, elle donne Paris. C’est la stu- goût, d’aucuns y voient : Dostoïevski, Rousseau, autant qu’elle prend. péfaction au res- au contraire Nietzsche taurant Drouant : le prix la recon« Quand les bons (« Un artiste Lyrisme Goncourt, distinction la n a i s s a n c e Américains meurent, ils n’a pas de contemplatif plus prestigieuse de la d’une vérité vont à Paris. » maison en scène littéraire française, éprouvée : Europe, à Certes, Max Aue, le pervient d’être décerné à un Paris a de Oscar Wilde part Paris sonnage principal de inconnu. Un Américain, tout temps », a déclaré Littell n’est ni Parisien qui plus est. Jonathan été une terre d’accueil l’auteur de Zarathustra), ni Américain. Mais Max, Littell, qui vit à Paris de- sur-mesure pour les Kafka, Walter Scott, au- soldat de la Wehrmacht puis quatre ans, a écrit âmes errantes. Qu’on s’y tant de sommités qui ont aime, entre deux exterson romanrende pour participé à la renommée minations de Juifs, se fleuve Les « Paris est la seule des questions de la ville et qui, chacun à ressourcer à Paris pour Bienveillantes ville au monde où personnelles leur manière, ont appor- fuir les atrocités du front en un français mourir de faim est ou littéraires, té leur pierre à l’édifice, de l’Est. Il s’y perd à la parfait, en se est façonnant les arrondisse- contemplation innocente encore considéré Paris dispensant, des monucomme un art. » avant tout le ments de la « L’Amérique est ou presque, lieu de tous capitale tout ments et se mon pays et de toute réfé- Carlos Ruiz Zafon les possibles. autant que remémore Paris ma ville. » rence à sa terre Cortazar par- les auteurs ses écrinatale. « Paris lait d’effet français. Car vains favoGertrude Stein m’a inspiré », confiera boule de neige : on visite Paris a auris. Mise en le lauréat, laconique. Paris parce que, dans les tant besoin abyme, méSi parmi les cercles siècles passés, d’autres de ses écrivains que les ta-langage, hommage consanguins des belles grands noms de la littéra- écrivains ont besoin à une ville qui de tout lettres franco-françaises, ture l’avaient visitée et en d’elle. Paris est une ville temps aura su inspirer écrivains légendaires et plumitifs anonymes, les passages parisiens des Bienveillantes sont là pour ralentir le tempo du roman, lui offrir, le temps d’une ballade, une dose de lyrisme contemplatif, introspectif. L’introspection. C’est d’ailleurs là que se trouve la clé des amours parisiennes de la communauté littéraire anglophone. Paul Auster, Ernest Hemingway, Henry Miller, James Joyce, Oscar Wilde... La liste, bien que longue, présente un dénominateur commun : qu’ils soient venus vivre à Paris pour quelques mois, Jonathan Littel, écrivain américain, lauréat du Prix Goncourt 2006. quelques années ou pour

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Réalisme magique

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y mourir, leur période parisienne intervient alors qu’ils sont dans une période de trouble ; trouble amoureux pour Auster, trouble littéraire pour Joyce, trouble politique pour Hemingway. Paris, mère nourricière, sera là, quoi qu’il arrive, pour recevoir les poètes incompris au creux de son giron. « Si l’on a été assez chanceux d’avoir été à Paris dans sa jeunesse, alors où qu’on aille au cours de sa vie, la ville reste avec soi », a dit Hemingway. Curieux qu’à l’instar du tortionnaire nazi Max Aue, l’humaniste Hemingway aimât se ressourcer dans la ville-lumière entre deux guerres civiles.

Julio Cortazar, écrivain argentin, a vécu la moitié de sa vie à Paris.

Montparnasse : « Oliveira s’exiler à Paris pour com- « La chose la plus impor« Une fête mouvante ». roula son papier en boule prendre leur « Le commerce est tante que m’a Voilà qui colle aussi et, après avoir bien visé, pays d’oriun art, et l’art une donnée Paris, à l’idée que se faisait il envoya les devineresses gine. D’Isabel philosophie, à Paris. » c’est une persJulio Cortazar de sa ville rejoindre Baudelaire, Allende à Luis pective sur d’adoption. Argentin natu- Devéria, Aloysius Bertrand S e p u l v e d a l ’A m é r i q ue Elizabeth Barrett ralisé français, Cortazar de l’autre côté du mur […] en passant latine. Elle Browning a longuement décrit son Rejoindre aussi Barbey par Borges, m’a appris les adoration de d ’A u r e v i l l y, les écrivains latino- différences entre l’Amé« L’Angleterre a Paris dans et aussi américains sont venus rique latine et l’Europe bâti Londres pour son Rayuela Maupassant, chercher à Paris la ma- et même parmi les pays ( M a r e l l e ) . son propre usage, la si seulement tière de leurs histoires. d’Amérique latine, à traRécit on ne France a bâti Paris la petite vers les Latinos que j’y peut plus pour le monde entier. » boule de pa- Renaître à Paris ai rencontré. » Et pour autobiopier avait pu tisser ses contes surréag r a p h i q u e Ralph Waldo Emerson tomber sur Parce que Paris est vi- listes, Garcia Marquez, de d’un jeune la tombe de vante, parce que Paris son propre aveu, ne s’est Argentin M a u p a s s a n t est cosmopolite, parce jamais privé de mélanger venu à Paris pour parfaire ou d’Aloysius Bertrand. » que Paris dit les choses luxuriance américaine et son éducation sentimen- C o m m e telles qu’elles architecture parisienne. « Il m’est venu à tale, Rayuela tisse des Cortazar, on sont, et parce Mélange des genres qui liens sans cesse défaits se rend à l’esprit que Paris est qu’elle n’offre semble, avec le temps, entre Buenos Aires, le Paris pour un grain de beauté sur pas de répit, être devenu une véripoint de départ, et Paris, y trouver le visage de la terre, Paris a su té générale. La preuve et Londres un gros inspirer le refuge. Un refuge mys- des repères, le avec Sacha Guitry, russe furoncle. » tique sous forme d’exil c o m m e réalisme ma- d’origine et parisien littéraire, comme dans C o r t a z a r , gique si cher d’adoption, qui dit un cet extrait où Oliveira, on quitte James Weldon Johnson aux Latinos. jour : « Être Parisien, le personnage princi- le Nouveau Le maître à ce n’est pas être né à pal, évoque ses souve- Continent pour rejoindre penser Garcia Marquez, Paris, c’est y renaître ». nirs de lecture par l’en- la terre de ses ancêtres, prix Nobel de littérature tremise du cimetière comme s’il leur fallait 1982, ne disait-il pas : Matthieu CARLIER

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Culture Lettres étrangères

Pour l’amour des livres Rue Monsieur-le-Prince. Trois librairies, trois nationalités, trois parcours. Mais une même passion de la littérature, de la langue et du partage. Rencontre avec ceux grâce auxquels on ne lit pas que du français à Paris.

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Plus haut dans la rue, au 51, Serge et Alice Samuelian, les deux propriétaires de la librairie éponyme. Cette librairie spécialisée dans l’orientalisme au sens large, «  du proche à l’extrême  » d’après Monsieur, ils la doivent à leur père. Arménien, il fuit son pays suite au génocide qui coûta la vie à son frère et

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il veut perfectionner sa connaissance de la langue, mais ne trouve rien dans le Paris du début des années 70. Alors il commence par importer des livres. Pour lui. Puis pour les autres. Cet aimable personnage ouvre ainsi en 1976, au 45, la libraire You Feng, où on trouve tout sur l’Asie orientale. « Sauf l’Inde, on a pas la place ». « Pour connaitre un pays, il faut d’abord connaitre sa culture » promet Monsieur Kim, à présent également éditeur de livres autrement introuvables. Sauf dans la rue Monsieurle-Prince, haut lieu de la littérature à Paris.

San Francisco Books Co, porte ouverte sur le monde.

son propre père et s’établit bouquiniste à Paris en 1930. Plus de quatre-vingt ans plus tard, ses enfants perpétuent la tradition. « On est triste de voir le livre disparaitre petit à petit » déplore-t-elle. Il faut dire que l’ambiance ne prête pas forcément au modernisme. « Notre manière de faire est complètement périmée » s’en amuse-t-elle d’ailleurs. Ici, tout a le charme du passé, alors que flotte dans l’air cette odeur si caractéristiques des vieux

Avant d’abriter ces trois libraires, la rue a accueilli Blaise Pascal, Auguste Comte, Arthur Rimbaud, Paul Léautaud. Mais celui qui marqua réellement l’allée de son empreinte n’est autre que Pierre Bléarn. Poète, romancier, fabuliste, journaliste, il fonda en 1934, au 60, la librairie du Zodiaque, qu’il dirigea jusqu’en 1981. La mode est lancée. Dans le sillage du père du fameux « Métro-boulot-dodo », de nombreuses librairies ont ainsi pris pignon sur rue (de Monsieurle-Prince). Et comme Bléarn, né à Bucarest, certains libraires viennent d’au-delà les frontières.

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e voyage commence au 17 rue Monsieurle-Prince avec la San Francisco Books Co. En poussant la porte, on se retrouve téléporté dans un univers complètement différent. Des livres, quasi-exclusivement d’occasion, s’étendent du sol au plafond. L’espace entre les étagères est tellement réduit qu’il parait inconcevable de pouvoir croiser quelqu’un. Et derrière son comptoir, James Carroll, la cinquantaine révolue, petites lunettes rectangulaires et ensemble chemise-veston d’une élégance certaine. Débarqué des Etats-Unis en 1974, il ne « trouve pas de bon endroit pour lire » dans sa langue natale. Il décide alors de reprendre son ancienne profession de libraire et crée sa propre enseigne, qui perdure encore aujourd’hui. Selon Dan, un habitué des lieux, ce dernier est « en première ligne pour nous sauver de la vague digitale. C’est un véritable combattant ».

ouvrages. Eux sont à l’avenant : on aimerait avoir pour grand-mère cette dame aux idées si claires et pour grand-père cet homme gentiment bourru et un peu sourd. En réalité, Alice et Serge sont frère et sœur, et français.

« Pour connaitre un pays, il faut d’abord connaitre sa culture »

L’histoire de Monsieur Kim est plus légère. Fils d’immigrés chinois,

Charles Lafon


Culture Art alternatif

59Rivoli : « le monde capté en un lieu enchanté » Déconnectés. Les artistes du 59Rivoli ont investi les lieux voici 13 ans mais ils ne sont maintenant plus les seuls à faire vivre cet endroit singulier. L’étranger constitue ici l’atelier en lui même. si l’on se réfère à l’inscription peinte à l’entrée.

Un tour du monde en quelques marches

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ncastré entre deux boutiques, caché dans l’une des rues les plus commerciales de la capitale, un atelier de squatteurs se fait discret parmi les grandes marques. Au départ occupé illégalement depuis 1999, la bâtisse appartenait au Crédit Lyonnais. Depuis son rachat par la Ville de Paris en 2002, le 59Rivoli, Chez Robert pour les intimes, accueille des « électrons libres », comme se sont nommés les artistes. « Tous les arts et toutes les cultures y sont réunis. On peut compter en plus des peintres, des musiciens, des poètes, des sculpteurs, des photographes mais aussi des comédiens de toute origine », explique Elio Dipace, le photographe

Francesco, l’un des premiers électrons libres du 59Rivoli.

de la troupe. « Au lieu de faire le tour du monde, on capte la diversité artistique et créatrice dans ces 900m2 pour l’offrir aux autres. L’étranger est ici chez lui puisque tout semble hors contexte dans l’atelier », ajoute-t-il.

Le 59Rivoli étranger à la réalité embrigadée

L’exposition Passerelle(s) s’invite au 59Rivoli pour une semaine et propose un parcours dédié à l’art contemporain. Toutes les quinzaines, le programme change. Les électrons libres veillent à ce que rien ne se fige, convaincus que l’art est mouvement. L’entreprise peut paraître folle, et

Pendant l’ascension de cinq étages dans ce lieux de démonstration, l’étrangeté et l’originalité sont les deux ressentis possibles. À l’opposé des galeries d’art traditionnelles comme celles que l‘on peut trouver rue Matignon, l‘atelier de squatteurs brise les idées préconçues de l’art dans la continuité du surréalisme. L’omniprésence des artistes rend la créativité accessible pour tous. Les frontières de l’Art sont brisées. « Le temps, c’est la mouche qui pique ». Francesco se moque du temps et du monde. Ils vont tous deux trop vite et n’attendent personne, selon lui. « La portée du 59Rivoli est de s’inscrire dans le décor  », explique Elio. « L’art semble étranger dans l’affluence de la rue Rivoli. Nous désacralisons l‘idée d‘art dans un espace brute de fonderie, et la ville Lumière disparait le temps d‘un instant ». L’art est toujours étranger. Il se reconnaît à ce qu’il nous tend un miroir dans lequel on peine à se reconnaitre. Ce qui en lui est universel, c’est son étrangèreté.

c’est ce que veulent les artistes résidents. Pas de limite, aucune règle ni condition ne sont établies au 59Rivoli. Le paillasson, moitié paillasse, moitié pièces de centimes, témoigne bien de la frontière qui sépare la réalité parisienne très rythmée et l’univers complètement déconnecté qu‘offre le 59Rivoli. Quiconque s’attarde ne serait-ce que sur l’escalier d’entrée, quelque peu surréaliste, ne peut s‘empêcher de se pincer. Art ou folie ? Les trente artistes de l’atelier ne sont pas schizophrènes et montrent même beaucoup d’entrain à aller vers l’autre, le spectateur. « Salutations ! », lance Francesco, l’un des « 9 artistes de merde du 4ème »,

Axelle Bichon

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Culture

Le 4ème étage réunit 9 artistes «schizophrènes» 28 Le Comptoir

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Au coeur de Paris, un squat d’artistes. La ville lumière y disparaît. Tous étrangers ?


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L’artiste peintre Francesco se fond dans son art

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Un lieu enchanté, le 59Rivoli. Une bulle

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