Vers une fabrique collective de la ville ?

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Vers une fabrique collective de la ville ? La nouvelle vague des collectifs d’architectes

ÉTUD. UNIT

DESMAISON Isis

UE093 - E0932 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 3 - Mém. Init. Rech. DE MEM Vedrine C. MASTER DE PFE Hayet W. ARCHI

MEM

S09 ALT 16-17 FI

© ENSAL



INTRODUCTION

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Partie I/ D'où vient l'émergence de tels collectifs ?

1. Contexte de crise en France et en Europe

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2. Histoire de l'enseignement et du métier d'architecte

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3. Profession en mouvement : Quelle place pour l'architecte dans la société actuelle ?

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1/ Un enseignement pour l'élite (jusqu'en 1977) 2/ (A partir de 1977) Le statut contemporain de la profession et l'ouverture de l'enseignement

1/ La frustration de l'étudiant 2/ La réalité post-diplôme 3/ Vers une architecture sociale ?

4. Les Premiers Collectifs

1/ Les mouvements radicaux où l'Utopie en Angleterre et en Italie 2/ Les Associations d'Architectes en France et en Allemagne

Partie II/ Action et processus alternatif

1. Une dimension sociale forte

1/ La notion d' « activisme urbain » 2/ Le participatif : construire ensemble et autrement 3/ Le petit projet local

2. Le be-architecte, le poly-architecte

1/ La pluriactivité 2/ L'architecte de proximité

Partie III/ En quête de légitimité

1. Evolution d'un système institutionnel

1/ Situation entre les collectifs et les pouvoirs publics 2/ Accès à la commande 3/ Vers quelle adaptation de la formation (HMONP) ?

3. Développement de collaborations

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1/ Mutation des statuts 2/ Une hiérarchie horizontale

2. Regard sur la condition actuelle

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1/ Création de réseaux 2/ Choix d'une éthique

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CONCLUSION

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ANNEXES

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BIBLIOGRAPHIE

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« Réunir un faisceau de désirs »

Patrick Bouchain

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Introduction/

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On voit, depuis quelques années, l’émergence de la notion de commun. Une volonté, qui pose des questions sur la condition et la réalité d’une action collective globale, afin de repenser nos sociétés. « Cette crise1, sans doute plus que les autres, est significative des impasses auxquelles nous sommes confrontés. Le monde ne sera pas protégé par l’établissement d’une sorte de réserve de « biens communs naturels » (terre, eau, air, forêts, etc.) « miraculeusement » préservés de l’expansion indéfinie du capitalisme. » (Dardot, Laval, 2014, p.13) Il émerge des propositions de lois, dans le monde, pour tenter de protéger des « biens », moyennant la survie humaine, qu’on pensait alors fondamentaux et déjà intouchables. En Italie, ces suggestions législatives veulent redéfinir cette notion de bien commun. La requête est la suivante : « les biens communs sont, entre autres : les fleuves, les torrents et leurs sources, les lacs et les autres eaux, l’air, les forêts et les espaces boisés, les zones de haute montagne, les glaciers, les neiges éternelles, les côtes déclarées réserve naturelle, la faune sauvage et la flore protégées. Et les places et le lieu de rassemblement en ville. » 2 « La revendication du commun a d’abord été portée à l’existence par les luttes sociales et culturelles contre l’ordre capitaliste et l’Etat entrepreneurial. (…) Loin d’être une pure invention conceptuelle, il est la formule des mouvements et des courants de pensée qui entendent s’opposer à la tendance majeure de notre époque. (…) nouvelle façon de contester le capitalisme (…) C’est ce contexte qui explique la manière dont le thème du commun a surgi dans les années 1990, à la fois dans les luttes locales les plus concrètes et dans les mobilisations politiques de grande ampleur. » (Dardot, Laval, 2014, p.16) La défense des biens communs, sorte de troisième voie, ni publique ni privée, offre une nouvelle forme démocratique. Faut-il imaginer la protection de nos villes comme une ressource naturelle ? Cette idée apporte une nouvelle façon d’agir, de penser la ville ensemble. Le principal problème de l’urbanité, aujourd’hui, est la reconquête des espaces communs. La fabrique de l’espace public ne doit donc pas oublier de quoi les villes sont faites, par qui elle sont vécues et trouver un équilibre, où la puissance publique a bien peu de manœuvre. « Nous vivons en réalité la tragédie du non-commun. L’impasse dans laquelle nous nous trouvons témoigne du désarmement politique des sociétés. » (Dardot, Laval, 2014, p.14) Le citoyen cherche à réintégrer la société à laquelle il appartient. Il veut reprendre sa place et rencontrer d’autres personnes de ce même environnement. Cette démarche n’est pas neuve. On emploi la notion de « droit à la ville »3. Ce terme est issu du livre, du même titre, écrit par Henri Lefebvre en 1968. Publié peu avant les émeutes de mai, ce « manifeste » s’inscrit dans une période marquée par l’urbanisme fonctionnaliste, la décentralisation industrielle, l’éloge du pavillonnaire et le développement des grands ensembles. Le gouvernement impose ses nouvelles orientations urbaines. L’auteur, voit la nécessité d’un avenir plus favorable à l’Homme. « Le DAV (Droit A la Ville) ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme un droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée ». Lefebvre crée ainsi une nouvelle pensée sociologique de l’espace urbain. Si droit il y a, alors quels devoirs engendre-t-il ? Finalement, l’espace public doit-il figurer parmi les droits de l’Homme ? 1

Ils évoquent ici la crise écologique : « Le capitalisme, en produisant sur une base toujours plus large les conditions de son expansion, est en train de détruire les conditions de vie sur la planète et conduit à la destruction de l’homme par l’homme. » (Dardot, Laval, 2014, p.11)

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«Main mise sur les villes», documentaire réalisé par Claire Laborey, produit par CHAMAEROPS PRODUCTIONS, ARTE FRANCE, 2013/ Source :https://www.youtube.com/watch?v=g_i_Ti1unOs

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L. Costes, «Le Droit à la ville de Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ?», Espaces et sociétés, 2010 (n° 140-141), p. 177-191.

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Le commun apparaît alors nécessaire, pour une partie de la population. Parallèlement, il se développe des regroupements d’individus dans une démarche d’échange et de partage de ressources (associations de quartier, jardins partagés, lieux de vie coopératif, sensibilisation au recyclage, collectif d’architectes, et autres..). Cette recherche propose de comprendre les conditions et l’apparition d’une volonté commune de faire la ville. Plus précisément, dans la discipline qu’est l’architecture, avec la création, croissante, d’associations d’architectes aussi nommées Collectifs. La parution des travaux de recherche et d’expérimentation dans l’espace public, par l’équipe Carton Plein, nous amène de suite dans un contexte, toujours d’actualité. « Cette publication intervient à un moment particulier, entre attentats parisiens, montée des extrémismes, accroissement des inégalités qu’elles soient sociales, économiques ou politiques, contexte de tensions diverses au sein duquel la cohésion sociale est mise à l’épreuve. Aussi se questionner et travailler sur la manière dont on fait société devient plus que nécessaire » (La cartonnerie, 2016, p.12) François Ménard et Bertrand Vallet, responsable de l’action chez PUCA, Plan Urbanisme Construction Architecture4, expliquent aussi : « C’est précisément parce que ce que la production urbanistique courante peine à remplir cette tâche, par excès de formalisme, de normes et de procédures standardisées ou au contraire par négligence ou désinvestissement, que la question de l’espace public et de sa production est essentielle aujourd’hui. » (La cartonnerie, 2016, p.7) Alors, quels changements vont s’opérer ? Quel nouveau processus d’organisation va être mis en place ? Quels sont les réalités de l’architecture actuelle ? Les questionnements surgissent autour de ces thématiques et des rencontres s’organisent. En 2010, la conférence internationale SmartCity était centrée sur la question de l’activisme urbain et de l’engagement des artistes et des citoyens dans la construction de la ville. Jean Pierre Charbonneau, urbaniste et conseiller en politiques urbaines et culturelles, pose la question des collaborations dans les projets d’architecture : Pourquoi les architectes n’intègrent pas des artistes, par exemple, dans leurs travaux ? « nous somme finalement dans une société faite de différentes chapelles qui ne se parlent pas, ou peu. Certains sont des passeurs entre ces chapelles. Il faut essayer de faire du lien car, je pense, c’est ce qu’il manque aujourd’hui. Certains architectes ne sont pas orientés vers la dimension artistique. Les métiers sont différents même si les deux sont des métiers créatifs assumés. La réalité des projets pour les archi est dure, et, des fois, rajouter une entité n’est pas simple non plus. II y a peu de liens finalement entre un architecte urbaniste et un artiste. »5 En 2015, scientifiques, artistes et futurologues se sont retrouvés à Berlin au « TEDxBerlin City 2.0» pour dialoguer sur le devenir de nos villes. A quoi vont-elles ressembler dans le futur ? Comment allons-nous vivre, communiquer, habiter ? ARTE Future a demandé aux participants d’imaginer leur ville futuristique.6 Priya Prakash est

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Le Plan Urbanisme Construction Architecture est une agence interministérielle créée en 1998, afin de faire progresser les connaissances sur les territoires et les villes et éclairer l’action publique. Le PUCA initie des programmes de recherche incitative, de recherche-action, d’expérimentation et apporte son soutien à l’innovation et à la valorisation dans les domaines de l’aménagement des territoires, de l’urbanisme, de l’habitat, de l’architecture et de la construction.

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Extrait d’un interview dans le cadre de la conférrence internationale SmartCity, en 2010 à Paris. Source: http://www.smartcity.fr/ciup/projet/ville-creative-et-collaborative-conference-internationalesmartcity-2010.html

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http://future.arte.tv/fr/designers-architectes-ecrivains-chercheurs-ou-avocats-quelle-est-leur-ville20?language=de


à l’origine de «Design for Social Change», une plate-forme sociale où les résidents peuvent s’unir pour faire évoluer leurs quartiers. Selon elle, ce n’est qu’en se regroupant que les urbains arriveront à réaliser la ville de l’avenir. Ariane Conrad a co-signé avec l’avocat environnemental Van Jones le bestseller «Rebuild the dream». Elle souhaite une communauté de partage pour la ville de demain. Mazda Adli, médecin attaché à la clinique de psychiatrie et de psychothérapie de l’hôpital de la Charité à Berlin, travaille en particulier sur les troubles psychiques et les symptômes de stress. Pour la ville de demain, il préconise de développer une méthodologie commune aux urbanistes, architectes, neurologues et psychiatres afin de créer une ville sans stress. « Les psychologues doivent s’associer aux urbanistes et architectes pour mieux faire la ville future. Le stress des villes est mauvais pour le psychique, il y a 2 fois plus de cas de schizophrénie en ville qu’à la campagne ! » Ces propos revendiquent les besoins d’une méthode commune. Les citoyens se sentent menacés. Alors, comment faire pour valoriser cette démocratie urbaine ? Que devons-nous défendre en premier ? Faut-il forcément passer, par une organisation, par le haut (mairie, élu) ? La lutte urbaine prend vie. Comme avec Raumlabor, un collectif allemand, réputé. Ils emploient le slogan « No trust, no City », littéralement, « Pas de confiance, pas de ville ». Ils expliquent une démarche d’intervention : « Pour nous, il est important que les habitants se perçoivent comme des spécialistes locaux. Par Now Projet nous voulons rétablir la confiance. Donner les outils pour que les gens puissent être actifs, afin que l’espace public se crée.» (Raumlabor, 2008) Olivier Mongin, sociologue, évoque les nécessités d’une société autonome : « il faudrait une démocratie urbaine auto-gestionnaire, auto-productive, qui arrive à fonctionner sans le pouvoir public, en somme être capable de s’organiser par elle-même. »7 Par ailleurs, des processus de fabrication des espaces publics se multiplient, nous apprenant à ne pas avoir peur des territoires semi-occupés. Des interventions architecturales temporaires, légères et expérimentales prennent place dans les brèches, les creux de la ville. Les usages sont réinventés. Durant quelques jours, ou semaines, des actions locales sensibilisent les habitants, de manière ludique par rapport à leur environnement urbain. S’agit-il de recréer des pratiques civiques ? De retrouver le plaisir de la ville ? Il se forme une résistance douce aux villes standardisées, banalisées. L’habitant reprend sa place dans les idéaux des places publiques partagées. L’association Carton Plein interroge la légitimité d’une action à plusieurs : « Comment éviter que cette fabrique collective de la ville ne tombe dans l’anecdotique, voire le faire-valoir ? Face à l’instabilité des acteurs institutionnels (changements de postes, mutations, multiplicités des projets) comment garantir le cadre et la continuité du travail ? Comment formaliser la place des citoyens dans ces processus ? » (La cartonnerie, 2016, p.51) La programmation urbaine se met en place. Elle joue le rôle d’interface entre les différents intervenants d’un projet (maîtrise d’ouvrage, partenaires financiers, acteurs

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«Main mise sur les villes», documentaire réalisé par Claire Laborey, produit par CHAMAEROPS PRODUCTIONS, ARTE FRANCE, 2013/ Source :https://www.youtube.com/watch?v=g_i_Ti1unOs

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locaux et habitants), visant à assurer la cohérence des objectifs de l’intervention et l’usage qu’en ont les habitants et autres acteurs locaux. La population s’accapare, alors, la formule de « maîtrise d’usage » et participe à l’élaboration de son environnement. Face à cela, quel rôle peut ainsi jouer la profession d’architecte dans le domaine de l’aménagement ? Comment transmettre une certaine conscience urbaine aux citoyens ? Comment préparer la participation et à quels types d’habitants s’adresset-elle ? « Car si les usagers ne sont pas tenus informés ou ne sont pas sollicités aux bons moments, ils finissent par prendre de la distance. La participation ne se décrète pas : elle se prépare, se construit et s’outille ! » (La Cartonnerie, 2016, p.72) L’action collective reprend forme dans nos moeurs, mais d’où vient-elle ? Patrick Bouchain, architecte alternatif, présente le travail collectif comme existant déjà à l’époque médiévale : « Jusqu’aux grandes constructions des cathédrales du Moyen Age, l’architecture était l’expression d’un projet de société, un acte collectif, qui apportait tous les arts, celui du peintre, du sculpteur, du maître verrier, du tailleur de pierre... pour construire un édifice commun, qui n’était pas celui du pouvoir temporel ou féodal mais celui du pouvoir spirituel. L’ensemble du peuple travaillait à sa construction. » (Bouchain, 2006, p.115) La réfléxion se structure autour des questionnements suivants: Quelles sont les raisons de l’émergence de groupes, réclamant une ville pour tous ? Comment fabriquer la cité de façon collective ? Comment s’organise cette évolution de la pratique de l’architecture ? Le thème de ce mémoire fut élaboré en Allemagne, durant la période de mobilité, quand on découvre l’existence du collectif Raumlabor, à Berlin. D’abord, fascinée par la force de leurs installations, l’envie d’une compréhension en profondeur voit le jour. Les lectures se suivent et les recherches s’articulent autour de plusieurs associations actuelles. Le contact a été établi avec trois d’entre elles. Une grille d’entretien a été posé à ces groupements choisis, au préalable, pour leurs richesses différentes. En premier, ce fut la rencontre avec le jeune collectif Pourquoi Pas ?!, qui a pris place, au cœur du projet de réhabilitation urbaine de Vaulx-En-Velin, en 2014. Ensuite, l’échange avec Bruit du Frigo s’est effectué par téléphone, car ils sont installés à Bordeaux. Leur pratique débute en 1997. Etant l’un des plus ancien collectif français, ce travail ne pouvait se faire sans leur participation. Le statut complexe, de l’association Carton Plein suscite notre intêret. Le dialogue avec cette dernière équipe, a pris du retard et ne figure finalement pas dans la restitution des entretiens (disponibles en annexe). Cependant, les citations et analyses tirées de leur publication sont présentes. Carton Plein occupe une friche, à Saint-Etienne, depuis 2010, devenue un espace public, aujourd’hui. Dans « l’épisode 0 », l’association nous éclaire sur la raison de leur implantation à l’ancienne usine de carton : La Cartonnerie. « C’est la crise postindustrielle à Saint-Etienne, ville décroissante dont l’avenir inquiète. L’Etat est appelé à la rescousse : un Etablissement Public est crée pour renouveler l’attractivité de la ville à grand coup de projets urbains ! L’EPASE (Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne) s’implante, en 2009, dessinant les contours d’une Opération d’Intérêt National.. » (La Cartonnerie, 2016, p.20) D’autres groupes français sont aussi mentionnés, comme le collectif Parenthèse, le collectif Encore Heureux, etc.

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Ce mémoire entreprend la compréhension d’une évolution de la pratique de l’architecture. Premièrement, dans des contextes difficiles ; depuis les prémices de la formation d’une profession et les différentes étapes de la constitution d’un métier, à l’identité forte. Ensuite, nous proposons de voir la trajectoire mouvementée de l’étudiant voulant changer les codes établis par ses ainées. Puis, l’émergence d’une nouvelle manière de faire la ville par des mouvements collectifs. Deuxièmement, un aperçu de la réalité des actions participatives dans un domaine social, poussant l’architecte vers des activités plus diverses. Pour finir, par regarder, plus en détails, la constitution de ces groupements d’architectes et du fonctionnement interne de leurs associations. Un remerciement particulier s’adresse aux membres des collectifs et des associations ayant répondu à mes entretiens, pour la richesse du dialogue et la patience dont ils ont fait preuve. Merci à Amandine et Etienne (Pourquoi Pas ?!), à Jeanette (Bruit du Frigo), à Corentine (Carton Plein) et à Corine Vedrine, pour son accompagnement et sa disponibilité tout au long de cette refléxion.

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Partie I/ D’où vient

l’émergence de tels collectifs ? Pour mieux comprendre l’apparition de ces groupes d’architectes nous allons retracer par le biais d’un rapide historique les différentes « pressions » vécues à travers l’enseignement et la vie d’architectes depuis ses débuts. Mais d’abord, revenons sur les contextes dans lesquelles s’est inscrite la naissance de groupes contestataires.

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1. Contexte de crise en France et en Europe Durant les Trente Glorieuses, on voit apparaître, en France, les premiers mouvements dits de « lutte urbaine ». En effet, la reconstruction post-guerre engendre une prolifération de « banlieues » avec ses « barres » de logements sociaux, beaucoup de béton et peu de services (écoles, transports en commun, institutions publiques, espaces verts) associés à l’autonomie de ces quartiers excentrés1. Dans les années 1960, face à ce désenchantement, se met en place directement dans les banlieues, des Groupes d’Action Municipale (GAM). Ils sont constitués de militants qui partagent le constat que les politiques ne répondent pas correctement aux problématiques du moment, en terme d’urbanisme, de culture et de concertation des citoyens. Par la suite, les luttes urbaines prennent de l’ampleur et se transforment en manifestations parfois violentes, comme en 1968. Elles rassemblent la population et se développent sur une base plus radicale. Le mouvement dominant dans les années 1970, marque une situation en conflit avec les pouvoirs publics centraux ou locaux. Pour la première fois, en France, une lutte commune des classes prend place dans et pour la ville. Remettant ainsi en question les rénovations urbaines, la crise du logement et des transports ou l’altération du cadre de vie de façon plus générale. Cependant, l’engouement ne perdure pas, et ces mouvements ne s’inscrivent pas dans une pratique politique permettant un changement en profondeur de la condition socio-urbaine de l’époque. Des mouvements contestataires apparaissent plus largement en Europe. En Espagne, par exemple, vers les années 1970, touchée par une crise économique qui perdure et un plan d’urbanisme délaissant les banlieues, des associations de voisins (Asociaciones de vecinos) s’immiscent dans le débat. Différents contextes politiques et économiques ont ainsi engendré des rassemblements de personnes autour des questions de la fabrique de la ville de façon commune. Ces phénomènes de luttes urbaines sont un premier facteur ayant favorisé la formation de collectifs, dont les membres, en lien avec la discipline de l’architecture, partagent des idéaux sociaux plus proches de l’habitant.

2. Histoire de l’enseignement et du métier d’architecte 1/ Un enseignement pour l’élite (jusqu’en 1977) Il a paru essentiel de revenir sur quelques dates clés de l’histoire de l’enseignement de l’architecture. En outre, comprendre les rebondissements dues aux changements d’institutions et de pédagogie à travers les années. En 1671, l’Académie Royale d’architecture est créée par Colbert. C’est la première école officielle, sous la tutelle directe du Roi. Bien plus tard, en 1819, l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) ouvre ses portes et prend la suite de l’École 1

Simon WUHL, sociologue. 2007 : La démocratie participative en France : repères historiques. Site internet : Institut de recherche et débat sur la gouvernance (http://www.institut-gouvernance.org/ fr/analyse/fiche-analyse-418.html)

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Impériale d’Architecture. Les professeurs en assurent l’administration et se recrutent par cooptation. C’est une étape essentielle dans l’enseignement car elle marque la séparation, des futurs architectes, avec le pouvoir royale. Enfin, en 1867, l’ENSBA créée un diplôme d’architecture. Il faut attendre la loi Hautecœur du 31 décembre 1940, qui réglemente le port du titre d’architecte et crée l’Ordre des architectes, un consensus pour surveiller l’accès à la profession. En 1969, arrive la suppression définitive du Grand prix de Rome. La section architecture de l’École des beaux-arts est remplacée par dix-huit unités pédagogiques d’architecture (cinq à Paris et treize en province, issues des écoles régionales) largement autonomes dans la définition de leur enseignement. Depuis de nombreuses décennies, le métier d’architecte se veut élitiste. Le fonctionnement de l’école Nationale Supérieure des Beaux-arts illustre bien cette distance avec le public (Champy, 2001). Un apprentissage en atelier où l’étudiant est au contact du « maître-architecte », souvent patron d’agence, qui transmet ses savoirs techniques, ses règles de dessins et sa propre vision de l’architecture. Il en découle, une non-réalité des vrais problèmes rencontrés en agence, bien loin de la concertation des habitants et des nouveaux enjeux sociaux.

2/ (A partir de 1977) Le statut contemporain de la profession et l’ouverture de l’enseignement La loi sur l’architecture du 3 janvier 1977 donne son statut contemporain à la profession, que l’on connait aujourd’hui. Comme le décrit Florent Champy : « Cette loi comporte quatre ensembles de dispositions. La reconnaissance de l’intérêt public de l’architecture justifie la création du monopole d’exercice des architectes : il s’agit d’empêcher des intervenants non qualifiés, ou insuffisamment qualifiés, de modifier un espace qui, même quand la construction est privée, est par essence d’intérêt public. » (Champy, 2001). Ensuite, quelques reformes successives vont permettre d’encrer un peu plus l’étudiant dans la réalité de sa future profession. Dans les années 1970, des séminaires de SHS (Sciences Humaines et Sociales) sont intégrés aux programmes pédagogiques. (Champy, 2001). Arrive alors une réflexion plus poussée sur l’apprentissage de la conception et l’acquisition des valeurs professionnelles : « les architectes regrettent encore la trop grande distance entre l’enseignement et la réalité des pratiques : méconnaissance de ce qu’est la gestion d’une agence, ignorance des autres acteurs de la conception, incapacité à communiquer avec des non-architectes. » (Champy, 2001). Les écoles d’architecture ne possèdent pas de socle commun pédagogique, les formations diffèrent d’un établissement à un autre. « Certaines écoles accordent une place importante aux sciences humaines ; d’autres mettent plus volontiers l’accent sur les arts plastiques ; d’autres encore tentent de renforcer la formation technique. Le paysage, l’urbanisme, les nouvelles technologies ou encore les différents matériaux n’occupent pas la même place d’une école à une autre. » « Au début des années 1970, Raymonde Moulin, met en exergue les transformations des architectes par l’entrée de la profession dans le capitalisme et sa confrontation à

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un système de production industriel. Le constat est décapent et souligne le décalage entre les prétentions aristocratiques d’un autre monde et la réalité plus banale des pratiques professionnelles. » (Tapie, 2000, p.14). Une histoire, donc, tumultueuse, comprenant des failles. Ces dernières ont pu pousser des étudiants, en quête d’une formation complémentaire, à s’engager dans des associations ou encore developper des petits projets, grâce à leurs propres moyens. Tout cela, leurs permettant ainsi d’acquérir d’autres savoirs, en parallèle de l’école. C’est, du moins, ce que souligne Jeannette Ruggeri, administratrice chez BRUIT DU FRIGO : « En 1997, à la base, le collectif est né de la réunion de deux personnes : Yvan et Gabi, étudiants à Bordeaux, partant du constat que l’enseignement en architecture manque de concertation, de participation des habitants.» Les deux créateurs cherchaient, donc, à se « frotter au réel ; mais l’école n’était pas le lieu pour ce genre d’expérimentation, alors nous sommes allés nous-mêmes à la rencontre des habitants. Les premières actions étaient modestes.. »2. Si cela s’est passé il y a presque vingt ans, où en sommes-nous ?

3. Profession en mouvement : Quel place pour l’architecte dans la société actuelle ? Aujourd’hui, le statut de la profession d’architecte est confus. Son évolution propose une multitude des pratiques, la rendant ambiguë et attractive. L’identité élitiste de l’architecte-artiste l’a suit toujours et n’enlève en rien son besoin des connaissances techniques. Le métier séduit toujours, cependant il est l’un des moins bien rémunéré, parmi les professions libérales (Champy, 2001). Elise macaire a développé deux idées fortes, lors de ses recherches sur la formation et la trajectoire professionnelle des membres de collectifs. Premièrement, une passion incontestable de l’architecture et l’envie de la partager. Deuxièmement, une « haine » de la profession remettant en question l’Ordre des architectes (Macaire, 2009, p.2). 1/ La frustration de l’étudiant En s’appuyant sur les propos de Macaire, on voit que, l’étudiant construit souvent, dès le début de sa formation, une relation critique. Les différentes expériences démontrent que, dès le choix de l’école, se met en place une stratégie d’apprentissage croisant savoirs scolaires et connaissances acquises lors d’activités notamment associatives et politiques. Comme chez BRUIT DU FRIGO, vu précédemment, le Collectif Parenthèse explique, les prémices de leur constitution notamment, lors d’une conférence (2016) à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy, dans le cadre de l’ANCA, Atelier National des Collectifs d’Architectes : « A l’école, le projet est trop théorique, peu construit. On a eu envie de faire avec rien, on a découvert la jouissance du projet quand il est vraiment confronté à la réalité. »3. L’école devient donc l’élément moteur 2

Revue AMC n° 232, Article sur Yvan Detraz, 9 avril 2014.

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Extrait de la conférence « FAIRE (avec) » du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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de diversifications. Macaire ajoute que « L’engagement étudiant ouvre ainsi une voie de formation intellectuelle : définir un enseignement de l’architecture, produire une critique de la profession, réfléchir sur la « fonction sociale de l’architecture. » (Macaire, 2009, p.4). Durant le stage, le jeune diplômé déploie une posture critique. Un « refus » de l’avenir dans ce type de structure, ou bien le choix d’un stage différent, dans une collectivité locale, un établissement scolaire ou encore une association. Ces propos démontrent que les élèves architectes développent, durant leur formation, un « rejet » de l’idéologie professionnelle émanant du projet d’architecture, enseigné à l’école, mais également de l’exercice libéral de la maîtrise d’oeuvre expérimenté lors de stage(s) en agence. Cela engendre une envie alternative. Le diplôme et l’insertion vers le monde professionnel incitent une reconversion presque militante : « Le sujet choisi (la pédagogie, la participation, les friches urbaines…) fait souvent l’objet d’un conflit avec les enseignants qui incarnent ici le corps professionnel. Etre reconnu comme architecte, mais dans la différence, semble être un enjeu important, et l’obtention du titre est assujettie à une négociation de nature symbolique. » (Macaire, 2009, p.4). Macaire pose ici la question de la légitimité futur de ces architectes de la différence.

Dessin analytique illustrant la trajectoire de l’individu, de l’entrée à l’école d’architecture jusqu’au statut de membre d’un collectif d’architectes. D’après les travaux d’Elise Macaire.

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L’étudiant fait le choix d’une discipline : ARCHITECTURE. Il découvre des enseignements et ensuite la pratique TYPIQUE du métier en agence, en stage. Dans un contexte économique difficile, où la crise de l’emploi fait rage. L’étudiant construit une critique. Il expérimente d’autres horizons pendant ses études, fait des stages peu communs, choisit un sujet de diplôme alternatif et s’engage politiquement ou culturellement, au sein de l’école ou non, car il veut rester dans le domaine qu’il aime : l’ARCHITECTURE. Ce processus lui permet un passage plus facile vers le corps professionnel et l’acquisition d’un diplôme. (cf dessin analytique ci-dessus)

2/ La réalité post-diplôme De nombreux jeunes diplômés sont pris de désillusions à leurs arrivé dans le monde du travail. La formation avec le « maître », qui découle de l’ancienne union avec l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, favorise l’étudiant à l’illusion qu’il deviendra, un jour, un Artiste ou Archi-star. Comme Champy l’explique : «La difficulté qu’il y a, pour des architectes qui ont été formés à devenir les Nouvel et les Portzamparc de demain, à embrasser des voies professionnelles plus modestes, si nobles soientelles d’ailleurs.(...)Formés à devenir des artistes, ceux d’entre eux qui ne pourront y parvenir – c’est-à-dire les plus nombreux – vivent difficilement la nécessité d’adapter leurs pratiques aux occasions de travail qui se présentent sur le marché. » (Champy, 2001). Cette tension oscille entre un idéal peu accessible et la réalité. Les premières années, du jeune architecte, amènent de nombreux questionnements. Notamment, la recherche de pratiques différentes et l’obtention de commandes. Les diplômés font alors bouger la définition historique et idéale-typique (Chadoin, 2013) de l’exercice de la profession, en travaillant sur des postes divers. De plus, une crise de l’emploi a pris place : «Le déséquilibre entre l’offre et la demande de prestations architecturales, qui rend si difficile l’exercice de la profession en France, n’est donc pas dû à un excès de l’offre, mais bien à la faiblesse de la demande adressée aux architectes et de l’étendue de leur mission » (Champy, 2001). Selon Champy, les jeunes architectes sont donc face à une « concurrence accrue interne à la profession, des étudiants de plus en plus nombreux concevaient dès leurs études un projet professionnel atypique par rapport à la culture dominante de la profession ». Un facteur que le collectif Pourquoi Pas a également vécu, Etienne nous raconte : « Une fois diplômé, devant la difficulté à trouver du travail à Lyon, on a eu l’opportunité, en échos avec le DEM La Fabrique, de retravailler avec l’ENSA Lyon sur un projet au Mas du Taureau, à Vaulx-en-Velin, on a commencé à avoir quelques heures. On a démarré par le montage d’une briqueterie associative, prémices de La Fabriqueterie»4. Ensuite, Champy relève, également, des problèmes internes aux agences : « Le faible effectif des structures empêche aussi de différencier les positions des salariés, de leur donner des occasions de promotion et de rendre ainsi leur carrière attractive. Il contribue donc à entretenir la préférence pour le mode d’exercice libéral, malgré les difficultés et les incertitudes qui le caractérisent, ce qui ne peut que renforcer la concurrence interne à la profession. L’atomisation des agences rend enfin difficile la rationalisation des tâches et la professionnalisation de certaines d’entre elles. Les architectes qui travaillent seuls ou au sein de petites équipes doivent en effet se charger eux-mêmes 4

Extrait de l’entretien avec Amandine et Etienne, architectes membres du collectif Pourquoi Pas !?

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de la gestion financière de leur agence, de sa communication, de la résolution des problèmes juridiques, parfois au détriment de la conception architecturale elle-même, alors que des spécialistes seraient souvent plus efficaces pour remplir ces tâches. » (Champy, 2001). L’exercice en agence, portant le statut d’entreprise individuelle, efface alors la notion d’activité collective. Champy ajoute «Les moins bien lotis sont absorbés par une compétition âpre où ils jouent leur survie, tandis que les mieux lotis développent des stratégies individualistes d’accès aux commandes et éventuellement à la notoriété. » (Champy, 2001). Les agences se spécialisent, deviennent des « experts » sur certaines missions. On perd donc ici la notion de pluridisciplinarité (Tapie, 2000, p.17). Le travail en agence devient différent, moins captivant pour le jeune diplômé. Par ailleurs, d’autres facteurs entre en compte. Dans les écoles d’architecture ainsi que dans le monde professionnelle, la France voit, depuis les années 1960, une explosion démographique. Parallèlement, la croissance du nombre de diplômés ne coïncide pas avec le nombre d’inscrit à l’Ordre des architectes. Où vont donc ces professionnels ? Enfin, un des membres du collectif Parenthèse nous parle de son expérience postdiplôme, lors de sa HMONP (Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre) : « pour moi, par exemple, ça a été l’année de la désillusion : grosse agence, projets privées, promoteur ayant certain intérêt, bref je ne m’y retrouvais pas. J’ai totalement remis en question la loi de 775! ».6 L’association Carton Plein est devenue une « pépinière » pour les jeunes diplômés et explique pourquoi : « Le contexte économique fait que beaucoup de jeunes professionnels trouvent difficilement un emploi après leurs études. D’autres plus âgés, doivent aussi envisager une reconversion professionnelle. Tous doivent alors se construire leur cadre d’exercice, mettre à jour leurs compétences pour faire la différence, créer des réseaux professionnels... Carton Plein propose régulièrement de courtes missions qui demandent à chacune des personnes recrutées de créer un statut professionnel et permettent de tester la possibilité d’une activité indépendante. » (La cartonnerie, 2016, p.98). Marie Clément, architecte et enseignante à l’Ensa de Saint-Etienne explique que programmer et construire in situ sont des pratiques à ré-injecter dans les écoles d’architecture : « Les étudiants sont donc passés par tout le panel de ce qui fait l’acte de l’architecte. Je pense que c’est vraiment quelque chose qu’il faudrait retrouver à l’école ! (…) L’échelle 1 » (La cartonnerie, 2016). Finalement, l’échelle 1 permet une mise en réalité directe. De plus, l’acte de construire sur place engendre un questionnement directe face au contexte, qu’il soit architectural, environnant ou social.

3/ vers une architecture sociale ? Durant les années 1970, il apparait une concurrence dans la maîtrise d’oeuvre. D’autres activités voient le jour : promoteurs, services de collectivités publiques, bureaux d’études. (Tapie, 2000, p.14) L’architecte français est poussé vers deux tendances fortes: la première, dominante et plus classique, se tourne vers la conception architecturale et la maitrise d’oeuvre. La seconde, plus éparse relève des pratiques

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Il parle ici de la Loi du 3 juillet 1977 dont l’article premier présente l’architecture comme d’intérêt public.

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Extrait de la conférence « FAIRE (avec) » du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.


alternatives comme la programmation, la planification, le conseil, etc. Ces méthodes n’ont pourtant pas la côte vis-à-vis du reste de la profession. Cependant, de nombreux architectes s’orientent vers des activités diverses. On ressent une ouverture du spectre des pratiques de l’architecture, rendant dépassée l’image, souvent idéale, de la pratique habituelle en agence. Champy nous raconte que : « L’évolution des modalités d’exercice conduit elle aussi la profession à s’écarter peu à peu du modèle construit depuis la Renaissance, là encore en grande partie sous l’effet des stratégies des jeunes. L’installation à son compte dès la sortie de l’école tend à devenir de plus en plus rare . En conséquence, le salariat se développe à nouveau comme première forme d’emploi. Aussi la part de l’exercice libéral tend-elle à décroître dans l’ensemble de la profession » (Champy, 2001). Parallèlement, toujours selon Champy, une autre branche de la profession reste floue « Le devenir des architectes qui ne sont pas inscrits à l’Ordre est difficile à connaître. Parmi les activités plus ou moins éloignées de l’architecture qu’ils sont souvent amenés à investir, citons le design, l’urbanisme, le paysage, la promotion immobilière, voire l’assurance, la communication, la création de logiciels informatiques. Pour exercer ces métiers, une majorité d’entre eux s’est dotée d’une deuxième formation, qui leur a été délivrée hors des écoles d’architecture » (Champy, 2001). Cependant la diversification des débouchés amènent à deux prérogatives : la première, plutôt positive, attire une part des nouveaux professionnels permettant de rééquilibrer la croissance du nombre de diplômés face à l’affaiblissement des commandes architecturales, que la plupart des architectes subissent. La deuxième, met en valeur l’existence des diplômés dans de nouvelles activités, ainsi propice à la « cause de l’architecture ». Finalement, «La diversification des débouchés est donc certainement une évolution positive. Mais les bénéfices que la profession peut en attendre ne doivent pas pour autant être surestimés. »(Champy, 2001). L’entrée en scène des collectifs a aussi pu être tolérée, par de nouvelles dynamiques urbaines comme le souligne Olivier Chadoin (Chadoin, 2013, p.210) : « la prise en compte des préoccupations d’ordres environnementales et patrimoniales, d’une part, et la volonté croissante d’association des populations aux décisions d’autres part. Le renouvellement des « philosophies » d’action sur la ville à travers le thème général de la « qualité de vie » semble avoir des répercussions importantes sur les métiers de la maitrise d’oeuvre. » (Chadoin, 2013) L’émergence de préoccupations environnementales et qualités urbaines, la nécessité de réhabiliter le bâti ancien, le développement de la consultation des habitants, sont des thèmes qui questionnent aujourd’hui les professionnels de l’aménagement et leurs pratiques. L’analyse de Chadoin, montre un métier en réalité difficile à définir. Il conclut en déclarant que cette profession est soumise à des « pressions » externes et des « tensions » internes, comme la féminisation, encore taboue, ou la croissance de ses effectifs. Les évolutions de la discipline serait intimement liées à la société contemporaine. Société réalisant les déboires d’une époque passé et voulant agir autrement. « L’abandon progressif de grands projets de construction, la multiplication des opérations en sites urbanisés sont les signes annonciateurs de changement. » (Tapie, 2000, p.9) Finalement, on voit une double position pour ces architectes. Une idéologie construire sur la base d’une critique du métier et de son système élitiste. L’agence est

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vu ici comme un contre-modèle, une forme de « commerce » en conflit avec la mission de la Loi de 1977 voulant l’architecture comme d’intérêt public. Certains membres de collectifs sont en rupture avec l’exercice de la profession pendant que d’autres tentent de se réconcilier par des mi-temps dans des CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement), des maisons de l’architecture, des inscriptions à l’Ordre ou encore des partenariats avec les écoles d’architectures. Le métier d’architecte doit évoluer et arrêter de contraindre, selon Guillaume Peyret, architecte-designer-musicien, impliqué dans l’association Carton Plein : « Il faut casser cette folie de vouloir toujours faire de l’argent à court terme. Il faut changer de posture. C’est peut-être l’ingénieur qui devrait dessiner les plans et l’architecte ouvrir sur le contexte et les gens ? Mais l’architecte est encore vu comme le concepteur artiste. Il y a vraiment une attitude à avoir : savoir ce que les gens veulent, rester connectés... On impose toujours ! ». (La cartonnerie, 2016, p.46) Déjà Guy Tapie, sociologue, en l’an 2000, écrit sur la mutation de la profession d’architecte. Selon lui, les architectes sont très respectés et appréciés, notamment, pour leurs esprits créatifs. Leurs travaux envoûtent les amateurs comme les initiés à l’architecture. Face à cela, les architectes ne sont pas bien vu du grand public. (Tapie, 2000, p.9) Par la suite, il exprime que le jeune architecte, après avoir compris la société complexe, décide de se tourner vers une architecture plus sociale. Ainsi, retrouver une vision positive en accord avec l’opinion publique. Par exemple, se réconcilier avec l’habitant en le faisant participer. Tapie nous explique plus loin le tiraillement que la profession subit, ainsi que l’ambiguïté qui plane autour d’une socialisation de l’architecture : « Les architectes s’efforcent de trouver une cohérence à leur devenir. (…) La forte liaison avec des activités de création artistique et la dimension culturelle qui en résulte est ambiguë. (…) Sociologues et chercheurs signalent la difficulté à identifier des savoirs propres et à légitimer une fonction sociale. Ce qui expliquerait les crises régulières. (…) Crise économique et crise d’identité expliquent les difficultés d’une profession à faire valoir son expertise. (…) Pour d’autres il faut admettre des représentations néolibérales du rôle des architectes en intégrant la notion de profil inhérent au mode de production capitaliste contrairement à l’éthique du désintéressement propre à l’activité libérale, (…) l’existence de valeurs unanimement partagées, celles de la croyance en une architecture sociale. » (Tapie, 2000, p.16). Ainsi une certaine ouverture, permettant un champ d’action plus grand, est en marche. Le tout, entouré d’alliés venants d’autres professions, valorisant une position sociale dominante de l’architecture, poussée par l’action collective.

4. Les Premiers Collectifs 1/ Les mouvements radicaux ou l’Utopie en Angleterre et en Italie Des groupes d’étudiants, des groupes d’amis, se forment autour de visions communes face à l’art, l’architecture et la ville. Leurs pensées sociale et politique, mettent en avant, par le biais d’installations et d’événements, les failles de la société et de la fabrique des villes actuelles. Le tout, dans un contexte commun de crise économique, social et politique ; délaissant souvent la classe populaire.

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Macaire explique, par exemple, que « la période de 1968 a également été un contexte de renouvellement de la critique de l’enseignement et de la profession. Elle est à l’origine de leur formation politique et de leur engagement dans des collectifs d’étudiants. » (Macaire, 2009)

Yona Friedman, La Ville spatiale, 1960, Collage http://strabic.fr/IMG/jpg/yona-friedman_p-88-89-092_extensions-georges-pompidou-center.jpg

Dans les années 1920, les utopies sociales sont imaginées. Puis, dans les années 1960, on voit, en Europe, l’apparition d’une deuxième vague de cette Architecture de l’Utopie. Quelques unes des approches se concentrent sur l’émergence de nouvelles conditions d’une vie mobile et flexible, comme les travaux de Yona Friedman, par exemple. Les Utopies ont été la représentation de l’envie d’une société changeante. Elles sont, selon moi, les prémices des mouvements contestataires ou « luttes urbaines », vu précédemment. Constitué comme une association architecturale, à Londres en 1961, les premiers plus connus sont le groupe ARCHIGRAM. Utilisant des formats divers pour communiquer leurs revendications comme des magazines, des bandes dessinées, de la poésie ou encore des slogans radicaux. Ils y produisent la vision d’une ville consumériste, aidée par la technologie et l’optimisme d’avant la crise pétrolière de 1970.

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Archigram, Instant City

Leurs démarches politiques ont ainsi influencé d’autres groupes, comme les italiens ARCHIZOOM. Leur nom fait d’ailleurs référence directe au 4ème magazine d’ARCHIGRAM intitulé « ZOOM ». Fondé à Florence en 1966 par 4 architectes, Andrea Branzi, Gilberto Corretti, Paolo Deganello, Massimo Morozzi, et 2 designers, Dario Bartolini et Lucia Bartolini, le travail d’ARCHIZOOM est une réponse ironique à la logique consumériste d’ARCHIGRAM et de leurs désirs de détacher l’architecture des politiques. Ils ont engendré un mouvement radical, Anti-design en Italie, produisant de nombreux projets et essais critiques du Modernisme. Ils explorent, eux aussi, la technologie dans leurs approches urbaines. Dans la même année, aussi basé à Florence, Adolfo Natalini and Cristiano Toraldo di Francia, montent Superstudio. Ils critiquent les problèmes sociaux et l’aggravation des questions environnementales autour de projets polémiques produisant des mondes dystopiques.

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Superstudio, collage http://butdoesitfloat.com/Negative-utopias-and-forewarning-images-of-the-horrors-which

Toujours en Italie, mais fondé à partir de 1971 à Turin, le Gruppo Strum, mis en place par Giorgio Cerretti, Pietro Derossi, Carlo Gianmarco, Riccardo Rosso et Maurizio Vogliazzo. Ils montrent que l’architecture peut être participative en organisant des séminaires et en distribuant des copies gratuites de leurs « fotoromanzi », des imageshistoires.

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L’Italie regorge d’architectes à l’envie collective, un autre groupe majeur transalpin s’est formé, bien plus tard, en 1995. C’est Stalker, un collectif d’architectes et de chercheurs, reliés à l’Université de Rome. En 2002, Stalker a fondé le réseau de recherche Osservatorio Nomade (ON), qui regroupe architectes, artistes, militants et chercheurs qui travaillent expérimentalement et s’engagent dans des actions, afin de créer des espaces et des situations auto-organisés. Ils ont développé une méthodologie alternative de la recherche urbaine. Ils utilisent des outils participatifs pour construire un «imaginaire collectif», pour un lieu ou lors de marches collectives, par exemple, pour «actionner les territoires». Stalker effectue leurs promenades dans les espaces «indéterminés», négligés ou vides de la ville. Les promenades sont un outil pour cartographier la ville et ses transformations, recueillir des histoires, évoquer des souvenirs et des expériences. En commençant par les bords du Tibre à la périphérie de Rome, Stalker a depuis utilisé cette méthode dans de nombreuses autres villes comme Milan, Paris, Berlin7. Finalement, l’influence de ces groupes radicaux montrent une nouvelle dimension sociale de l’architecture de l’époque, s’ouvrant sur les questionnements de la ville.

2/ Les Associations d’Architectes en France et en Allemagne En France, les groupements d’architectes, souvent nommés « Collectifs » sont un phénomène récent. Les plus vieux datent d’il y a environ vingt ans. Ils sont le fruit de revendications d’un changement de la part de ses membres. Nous allons présenter rapidement ces architectes précurseurs d’une pratique singulière de l’architecture. Patrick Bouchain, père spirituel du « construire autrement », a commencé sa pratique dans les années 1985. Son travail est caractéristique d’une façon d’agir différente : « Je crois au provisoire, à la mobilité des choses, à l’échange. Et je travaille à créer, en architecture, une situation dans laquelle la construction pourra se réaliser d’une autre façon et produire de l’inattendu, donc de l’enchantement. » (Bouchain, 2006, p.7). La plupart des collectifs citent Bouchain, comme une référence indubitable. Il s’est, en effet, forgé une réputation d’acteur de l’alternatif et réussi à faire changer la vision de l’architecture en France. Bouchain a monté l’atelier « Construire », situé à Paris, il travaille sur des projets de réhabilitation de friches et des réalisations dans le domaine des arts du spectacle, construisant, par exemple, des chapiteaux et des centres culturels. On le retrouve également dans le monde de l’art, lorsqu’il collabore avec des artistes pour des œuvres, à l’international, tel Daniel Buren, Joseph Kosuth ou encore Claes Oldenburg. Il a, par ailleurs, habité, avec son équipe, le pavillon français durant toute la durée de la biennale d’architecture de Venise, en 2006. Il accorde également, une importance monumentale à ce que chacun est sa place au sein des projets : « Construire autrement reprend les idées que j’ai expérimentées avec bonheur puis retenues, d’un chantier à l’autre, pour atteindre ce but : s’inscrire dans le contexte, connaître la règle, ne pas agir mais transformer, faire le moins possible pour donner le plus possible, entrainer tout le monde, interpréter, donner du temps, transmettre, ne jamais faire pareil. (…) comme sur tous mes chantiers, je fais appel à d’autres pour enrichir l’oeuvre commune de leurs points de vue et de leurs savoir-faire, parce que écrire seul – comme construire seul – me paraît impossible, et que l’architecture n’est pas qu’affaire de spécialistes ou de techniciens.» (Bouchain, 2006, p.7) 7

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http://www.spatialagency.net/database/stalkerosservatorio.nomade


Patrick Bouchain, Le Caravansérail de la Ferme du Buisson, à Noisiel, Chapiteau permanent, 2003 http://thefunambulist.net/2011/03/22/interview-patrick-bouchain-on-metropolitiques/

Crée en 1997, on retrouve BRUIT DU FRIGO : « Si le développement des projets démocratiques reste un enjeu de nos sociétés alors de nouvelles formes d’urbanités restent à inventer. Un nombre croissant d’individus devrait trouver les possibilités d’avoir prise sur la fabrique permanente du monde où l’on vit. »8 Bruit du frigo est un collectif pluridisciplinaire regroupant une équipe de professionnels issus de champs variés : architecture, urbanisme, arts plastiques, cinéma, communication, animation, géographie, graphisme, histoire, paysage, sociologie, théâtre... Hétérotopique, son activité est un hybride entre bureau d’étude et médiateur urbain, entre éducation populaire et développement culturel, entre création artistique et programmation. La spécialisation des savoirs et savoir-faire, le cloisonnement des pratiques et des métiers appliqués au cadre de vie appellent à être rééquilibrés par des fonctionnements collectifs cherchant à construire des compétences partagées : « où nous intervenons, nous essayons d’associer ceux qui transforment une situation et ceux qui la vivent. »9 Bruit du frigo cherche ainsi à construire des situations et des dynamiques susceptibles d’ouvrir à chacun la possibilité d’exercer une curiosité critique sur son quotidien et de s’impliquer dans les processus qui le transforment.

8-9 Source: http://www.bruitdufrigo.com/index.php?id=49

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Bruit du Frigo, Lieux possibles 1, Bordeaux, 2008

L’Allemagne a, elle aussi, vu l’émergence d’un groupement d’architectes singuliers. Notamment à Berlin, après la chute du mur en 1989. La capitale s’est enclin à une vague contagieuse de liberté. Dans un contexte politique ambigu, Jan Liesegang, membre de Raumlabor, nous raconte les prémices du collectif, dans un contexte ambigu : « Quand nous étions étudiants, l’opinion public réalise que le Socialisme ne nous sauvera pas. Mais on ignorait ce qui allait prendre la place de cette grande utopie. Dans cette incertitude, beaucoup de nouveautés sont apparues dans la littérature et l’art. Mais aussi dans l’architecture avec de approches différentes sur la façon de faire face à la ville. »10

Raumlabor, THE BIG CRUNCH, 2011, Darmstadt, Germany/ https://raumlabor.net/the-big-crunch/ 10 Extrait de l’article Radikales Experimentierfeld par Nina Apin. Source : http://www.taz.de/!241439/

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« Als wir studierten, machte sich die Erkenntnis breit, dass uns der Sozialismus wohl nicht retten wird. Aber es blieb unklar, was an die Stelle der großen Utopien treten würde. In dieser Ungewissheit entstand viel Neues in der Literatur, in der Kunst. Auch in der Architektur entstanden daraus andere Ansätze, wie man mit Stadt umgeht. »


Raumalbor, YELLOW SUBMARINE, Laura Petruskeviciute, Paulina Naruseviciute, Kurt Cleary (Glasgow) https://raumlabor.net/shabbyshabby-apartments/

Raumlabor, situé à Berlin, en Allemagne, a été créé en 1999. C’est un groupe de 6 architectes : Andrea Hofmann, Axel Timm, Benjamin Foerster-Baldenius, Francesco Apuzzo, Jan Liesegang, et Markus Bader. En 2002, l’architecte Matthias Rick a rejoint le groupe après avoir été diplômé. Raumlabor Berlin ne se considère pas comme une agence d’architecture conventionnelle mais plutôt comme un groupe ouvert (composé d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes et d’artistes) qui cherche à collaborer avec des professionnels d’autres domaines : des scénographes, des cinéastes, des artistes, des musiciens, des ethnologues ou des sociologues, pour leurs différents projets. « RaumLabor » pourrait se traduire par espace et laboratoire, mais ne correspond cependant à aucun mot allemand. Ce néologisme renvoie donc à l’expérimentation, la perpétuelle recherche, guidée par un processus commun de fabrication. Les collaborations sont de mises et ainsi une manière de diversifier leur approche, et d’agir au plus juste en fonction du contexte. Optant souvent sur des projets d’urbanisme, ils impliquent toujours les habitants et en multiplient les échanges avec les usagers, comme avec les experts de tous horizons. Il découle de cette méthode participative des hypothèses formelles où l’architecture s’envisage mobile et modulable, en relation avec l’espace public, réceptacle de performances et d’interactions.

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Partie II/Action et processus

alternatif

Nous avons tenté de comprendre précédemment les raisons de l’émergence de collectifs d’architectes. Cette seconde partie aborde alors les activités de ces groupes. Que font-ils ? Quels sont les changements ? De quelles natures sont leurs interventions ?

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1. Une dimension sociale forte 1/ La notion d’ « activisme urbain » « Dans les villes, on parle souvent des « luttes urbaines », notamment pour qualifier les mobilisations des années 1960, ou encore plus récemment de « l’activisme urbain ». »1 L’activisme urbain2 naît en 2012, dans les travaux de Nicolas Douay. Ses recherches portent sur le processus de métropolisation et plus précisément les luttes urbaines et l’activisme. Ce terme n’est pas forcément revendiqué par les collectifs d’architectes, mais certaines associations d’artistes, issues du quartier Belleville à Paris3 l’emploient. Cependant, il apparaît comme une notion significative quand on évoque les actions menées par ces groupes. D’abord, Activisme, nom masculin, est définit comme le système de conduite qui privilégie l’action directe (en particulier dans le domaine politique, social). Ensuite, Urbain, adjectif, qui appartient à la ville4. Le terme d’activisme urbain définirait alors un processus d’action politique et/ou sociale mené directement dans la rue, dans l’espace urbain. La ville apparaît donc comme le site, support de revendications de la part des professionnels et amateurs de l’art et de l’architecture (collectifs, artistes de rue, théâtre de rue, graffeurs, etc..). Ces derniers s’inscrivent, grâce à l’espace public, dans une démarche dite « sociale ». Ils peuvent toucher directement le public, le passant, l’interrogeant sur les nouveaux enjeux sociaux et environnementaux. On retrouve également l’idée de partage de lieu favorisant ainsi un processus alternatif pour une fabrication commune de la ville. Les actions, par le biais d’événements ou d’installation artistique, soulignent ou défendent un propos. Dans l’objectif de créer l’événement, d’interpeller le passant sur son quartier, sur son territoire. Une remise en question générale de la fabrique de la ville s’impose. La ville devient alors support de manifestes, proposant une vulgarisation de la pensée car la culture ne se fait-elle pas aussi avec les non-architectes et les nonprofessionnels ? Ces appropriations « sauvages », ou non, mettent en avant un nouveau modèle, en marge, d’expressions. Les associations, militantes dans la ville, entrent en résistance douce afin de faire entendre leurs voies, et celles des habitants. On peut les qualifier de « rebelles » de l’architecture car leurs pratiques restent alternatives au métier « typique » de l’architecte. Par défaut, on déclare l’appartenance de l’espace public à tout le monde, alors jusqu’où vont ces activistes ? Quel est leurs degré de liberté ? Lors de la conférence du collectif Parenthèse, à l’Ensa de Nancy (2016), un des membres raconte : « Par exemple, le projet dans les cours intérieures, du centre ville de Montpellier, était en réponse au festival Design Tour. On a squatté, on a repris le logo, un peu modifié, du festival. On s’est installé là dans une cour intérieure, sans trop savoir si on pouvait, sur le chemin du festival, pour être sûr que les gens aller voir notre projet. Au final, on s’est fait poursuivre par le Festival. Mais, on a très vite rencontré une organisatrice, on a discuté et finalement elle nous a demandé de participer la saison d’après. ». Ici, l’intervention était illégale, mais elle a permis d’interroger les 1

Nicolas Douay, « L’activisme urbain à Montréal : des luttes urbaines à la revendication d’une ville artistique, durable et collaborative », L’Information géographique 2012/3 (Vol. 76), p. 83-96.

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Maryvonne Prévot, Nicolas Douay, « Introduction », L’Information géographique, 2012/3 (Vol. 76), p. 6-8. Gravereau Sophie, « Art et activisme dans le quartier parisien de Belleville », L’Information géographique, 3/2012 (Vol. 76), p. 52-67.

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www.larousse.fr

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organisateurs et le public. La provocation a été conductrice d’une collaboration future. Cela met en lumière une autre manière d’accéder à la commande de projets. Amandine et Etienne, du collectif Pourquoi Pas, expliquent également : « Le grand débat du collectif est : jusqu’où on va ? On a établi des règles de base : pas être affilié à un parti politique, garder une neutralité. Par contre, on a une revendication sociale qui nous amène parfois à être à la limite. (...) Les projets avec des partenaires, tel bailleurs sociaux et la ville de Vaulx, c’est ultra lent, les délais administratifs trop longs, donc c’est arrivé plusieurs fois de faire des choses avant d’avoir l’autorisation. (…) Mais on fait pas de squat et de projets illégaux. » Ces impératifs administratifs obligent parfois le collectif a dépasser les étapes du projet, pour faire avancer l’intervention. Ces groupes d’architectes revendiquent une nouvelle manière d’aborder le métier d’architecte et soulèvent des questions sociales et politiques en relation directe avec l’exercice de leur métier. C’est notamment, Elise Macaire qui développe la notion d’activité « socioculturel » : « les architectes tentent en quelque sorte de reconsidérer la fonction sociale de l’architecture. La forme de pluriactivité, que nous avons étudiée, construit ainsi une professionnalité particulière. Celle-ci résulte d’une redéfinition des compétences traditionnelles des architectes à partir de nouvelles valeurs (provenant de la mise en question de la profession en fonction notamment d’un idéal « démocratique ») et d’une expérience sociale originale dans le champ de l’architecture (élaborer un espace de travail avec le public). (...) Le projet apparaît alors comme une technique d’organisation de la production où la création est envisagée collectivement c’est-à-dire par l’intermédiaire du partage de l’autorité. (…) Ici, les professionnels ne travaillent pas seulement pour les « usagers », les « habitants » ou les « citoyens », ils travaillent avec, et c’est ce qui a été le moteur des transformations de leur culture professionnelle. » (Macaire, 2009, p.10) Une forme de pratique socioculturelle que la capitale belge a elle aussi connu. A Bruxelles, dans les années 1990, le centre-ville est encore disparate, possédant un tissu urbain parsemé de vides. Le pouvoir politique ne bouge pas et les spéculations immobilières favorisent la prolifération de ces failles. Dans ce contexte urbain chaotique, une nouvelle génération de militants est en marche : « Ces nouveaux militants s‘appuient sur de nouvelles formes d’action : occupation, diffusions de films en plein air, ateliers divers, actions symboliques qui remplacent la conférence de presse. »5 Ces associations tentent de réanimer la ville par le social et par la culture. Ils s’inscrivent ainsi dans une nouvelle dynamique pour leur profession.

2/ Le participatif : construire ensemble et autrement Une des nombreuses démarches que l’on retrouve chez la plupart des collectifs est la participation des habitants. Ils sont intégrés directement dans les projets urbains, et deviennent acteurs de la fabrication de leurs quartier, grâce à des réunions de concertation, des études expérimentales ou encore invités lors de chantier dit participatif. L’idée fondatrice est de créer du lien et de ré-injecter l’architecte dans un cadre plus ouvert, plus proche du public. Cette pratique, non loin de la démocratie participative, est apparue, de la part des collectivités locales, quand les processus de rénovation urbaine des quartiers tel ZUP (Zone Urbaine Prioritaire), et autres ; ont progressivement vu le jour, pour réconcilier l’habitant des « banlieues » avec son environnement. 5

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Gaël Comhaire, « Activisme urbain et politiques architecturales à Bruxelles : le tournant générationnel», L’Information géographique, 2012/3 (Vol. 76), p. 9-23.


La participation devient alors un nouvel outils d’expérimentation et de travail, ajouté au processus de conception de l’architecte, valorisant une certaine conscience professionnelle. Dans un contexte socio-politique difficile, et où les budgets du monde de la construction et des villes sont plus serrés ; la construction collective pousse l’habitant à s’impliquer dans la production de son futur logement. Par exemple, la triennale d’architecture de Lisbonne, nous a permis de découvrir un chantier singulier au Brésil. La commune urbaine « Dom Hélder Câmara »6, située près de Sao Paulo, associé au Mouvement des Travailleurs Sans Terres (MST) a réalisé un projet entièrement auto-géré. Proposant ainsi à une communauté d’accéder à la propriété et la production collective. Le projet s’articule autour de la création d’un ilot de logements, immeubles et pavillons, avec un amphithéâtre en son cœur, favorisant le rassemblement. Lors de la construction, femmes et hommes ont aidé à la réalisation de ce qui allait devenir leur futur foyer. Le projet a été, en amont, dessiné par des étudiants et des architectes. Le gouvernement brésilien et des opérations de subventions ont financé l’expérience.

Amphithéâtre en construction par les futurs habitants du lieux © USINA CTAH

Parallèlement, le participatif rassemble et développe l’idée du faire soi-même avec peu de moyens. Ainsi, développer une société maligne, qui fait avec ses mains et récupère les matériaux, dans un souci économique. L’utilisation de matériaux de récupérations est omniprésente dans les démarches des collectifs ; par économie et pour favoriser le réemploi de la matière. Le Collectif Parenthèse7 explique : « Le premier projet qu’on a fait était en palette, parce que c’est un matériau pas cher, léger et facile à trouver ». Le secteur de la construction est l’un des premier polluant. Face à cela, dans le cadre de la COP21, à Paris, le Collectif Encore Heureux va plus loin et remet en cause 6

http://www.archdaily.com.br/br/767961/usina-25-anos-comuna-urbana-d-helder-camara

7

Extrait de la conférence « FAIRE (avec) » du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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le système de recyclage des déchets français. Le projet s’appelle Pavillon circulaire. N’ayant pourtant rien de rond, le bâtiment tient son nom grâce à son processus de réalisation suivant le principe d’économie circulaire. le Collectif prône le réemploi de matériaux et a montré le champ des possibles avec ce projet. La façade est constituée de 180 portes en chêne provenant d’une opération de réhabilitation d’un immeuble de logements HBM (Habitation à Bon Marché) du 19ème arrondissement de Paris. La laine de roche servant à l’isolation intérieure a été déposée lors des travaux de la toiture d’un supermarché. Les éléments de la structure en bois sont des restes du chantier d’une maison de retraite. Les sols et les murs sont faits de panneaux d’exposition, tandis que le caillebotis de la terrasse extérieure provient de l’opération Paris-Plage. En guise de mobilier, cinquante chaises en bois ont été collectées dans les déchetteries parisiennes, réparées puis repeintes. Les suspensions lumineuses proviennent des stocks des éclairages publics. Un projet ambitieux mais éphémère qui a accueilli pendant trois mois un café, des expositions, etc.

Dessin du collectif Encore Heureux montrant le principe de réemploi des matériaux du pavillon circulaire http://www.pavilloncirculaire.com/fr/home/10107-le-pavillon-circulaire.html

Les groupes d’architectes utilisent leurs places pour influencer à leurs tour les esprits sur des sujets de préservation de l’environnement, comme le réemploi de matériaux.

3/ Le petit projet local La généralité des interventions, réalisées par les collectifs, sont des projets à petites échelles. Souvent, propices au chantier participatif, car plus rapides d’exécution et plus ancrés dans le réel. Les projets, selon Nicolas Douay, transforment l’espace urbain local et permettent de participer à des débats plus globaux.8 Le collectif Parenthèse (2016) explique : « La force de l’association c’est qu’on est initiateurs de projets de micro-architecture. »9 L’idée qui est développée, ici, montre

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Nicolas Douay, « L’activisme urbain à Montréal : des luttes urbaines à la revendication d’une ville artistique, durable et collaborative », L’Information géographique 2012/3 (Vol. 76), p. 83-96.

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Extrait de la conférence « FAIRE (avec) » du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.


que les projets de faible envergure n’ont pas forcement un moindre impact. Un effet sur la conscience du public ou sur celles des institutions. De plus, l’action directe, permet d’avoir un regard, une réponse en contact immédiat avec l’espace. Par ailleurs, on comprend que, pour les associations d’architectes, le projet physique est souvent une infime partie du travail. La démarche, bien plus vaste, porte une dimension abstraite et expérimentale de recherches prenant place, on l’a vu, dans l’espace public. Patrick Bouchain conforte que cette idée va plus loin et tente de se diffuser à une échelle plus large de la population : « C’est en s’attachant au « petit » au « micro », à l’individu que l’on peut comprendre et agir sur l’ensemble , le « macro », la collectivité. (Bouchain, 2006, p.8).

Bruit du Frigo, On a marché sur la Têt, installation éphémère

On entend souvent l’emploi d’un certain vocabulaire dans le monde de l’architecture, avec des termes comme « acuponcture urbaine » ou encore « pansement urbain », afin de qualifier ce type d’installations. L’utilisation, ici, métaphorique d’expressions ou pratiques médicales, reflèterait donc les troubles de la ville. Les collectifs deviennent alors des soignants, distinguants où se trouvent les différentes plaies et cicatrices de l’espace public.

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© Samuel boche/ Bruit du frigo/ Le tube/

Les projets des collectifs sont alors souvent de plus petites échelles que ceux des agences typiques d’architecture, car la commande et la démarche sont particulières. Ils ont souvent une temporalité éphémère, lors d’événements ou d’interventions ponctuelles dans la ville.

La place au caillou © Carton Plein/ http://www.carton-plein.org/index.php/parcours-de-jeu/biennale-du-design-2013/

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Š Carton Plein/ Parcours de Jeu/ http://www.carton-plein.org/index.php/parcours-de-jeu/biennale-dudesign-2013/

Š Samuel boche/ Kino Tour/ Bruit du frigo

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2. Le be-architecte, le poly-architecte 1/ La pluriactivité Cette nouvelle dimension sociale, vu précédemment, amène alors des collaborations s’effectuant à plusieurs niveaux. L’architecte, en association, doit alors s’auto-munir d’un nouveau panel d’outils, lui permettant d’être à la hauteur de cette nouvelle dimension relationnelle. Cette polyvalence de l’architecte est liée à l’évolution de la commande. Dans les années 1990, « la réhabilitation du bâti et projet urbain vont de pair en vu de reciviliser ces banlieues par l’architecture » (…) De ce point de vue l’architecte-concepteur est inclus dans un système partenarial beaucoup plus large où les exigences architecturales se combinent avec d’autres, économiques, sociales, politiques et où la population apparaît enfin comme un acteur pertinent. Des secteurs jusqu’alors très peu concernés par l’aménagement urbain, les travailleurs sociaux, les animateurs, les responsables associatifs ou ceux d’administrations spécialisées, sont de nouveaux partenaires pour les architectes. » L’interdisciplinarité devient inhérente aux projets urbains. (Tapie, 2000, p.235). Chez Bruit Du Frigo, doyen des collectifs français, la pluriactivité se retrouvent dans les collaborations multiples : «Selon les projets on s’entourent des professionnels qui correspondent. Des architectes habilités pour les projets qui ont besoin de maitrise d’oeuvre ; urbaniste, sociologue, artiste plasticien, artiste culinaire, constructeur, régisseur général, paysagiste, etc.. »10 Dans la volonté de répondre aux nouveaux enjeux professionnels, les groupements d’architectes s’entourent de collaborateurs spécialisés dans certains domaines, des experts, dirons-nous. De plus, c’est parfois l’architecte, lui-même, qui devient be ou poly-professionnel. Pour le collectif Parenthèse, la diversification vient des parcours d’études, tel que l’école d’ingénieur ou de paysagiste, en plus des études d’architecture11. Ils revendiquent aussi leurs différence car les membres du collectif sont issus d’origines diverses (espagnole, réunionnaise, vietnamienne, tunisienne), apportant ainsi une mixité des cultures. Amandine s’exprime aussi sur la pluralité de Pourquoi Pas : «Historiquement, c’était plus riche, pour le projet à Casablanca, on avait une architecte de Grenoble et un artisan menuisier qui a fait l’Insa (école d’ingénieur). Aujourd’hui, la moitié des membres sont double diplômés, architecte-ingénieur ou l’inverse. Issue de l’Ensal et de l’Insa. Mais maintenant le noyau dure est très archi ! 12» On voit, ici, que les membres de collectifs possèdent, pour certains d’entre eux, un double-diplôme. Cette be-fonction nous amène à les qualifier de « be-architecte » car ils sont architecte-urbaniste, architecte-ingénieur, architecte-paysagiste, etc.. Arrive alors une hybridation des compétences : « les pratiques des architectes montrent leur ouverture et capacité à aller vers d’autres territoires professionnels. Elles s’élaborent par des mises en tension entre la séparation du groupe originel, la lutte avec des concurrents et des carrières plus diversifiées. » (Tapie, 2000, p.247). 10 Extrait de l’entretien avec Jeannette Ruggeri, administratrice chez Bruit du Frigo, 2016. 11 Extrait de la conférence « FAIRE (avec) » du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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12 Extrait de l’entretien avec Amandine et Etienne, architectes membres du collectif Pourquoi Pas !?


Avoir plusieurs professions, plusieurs casquettes, mais pour quoi faire ? Lors de ses travaux de recherches, Elise Macaire développent trois grandes catégories d’activités des collectifs, qui se chevauchent souvent : activités pédagogiques ; médiations et participations ; artistiques et événementiels. L’architecte-pédagogue, avec une certaine éthique, travail dans l’éducation, la sensibilisation à l’architecture et à la ville. Il organise des travaux en école souvent dans leurs quartiers pour réfléchir à l’environnement à la création artistique. Ensuite, l’architecte-médiateur, autour d’une conscience professionnelle, lance des actions participatives. Il fait de la médiation urbaine, de la concertation et de la consultation. Par exemple, lors des ATU (Atelier de Travail Urbain); développé à Grande-Synthe par les Arpenteurs, un collectif grenoblois. Les ATU sont une sorte d’école de la Ville, permettant de regrouper les habitants, les collectivités, les élues et finalement les architectes-urbanistes afin de penser des projets urbains ensemble. (Macaire, 2009, p.6) « Cette multiplication des fonctions architecturales ouvre des carrières professionnelles plus complexes que précédemment où l’horizon dominant, si ce n’est unique, était l’agence d’architecture et la conception de projet. (…) Ces trajectoires ne résultent pas seulement d’une crise de l’emploi dans les agences et de la pression démographique d’étudiants formés, elle est le produit de l’ouverture d’espaces socioprofessionnels plus nombreux (…) A côté du modèle du concepteur libéral dominant, se greffent donc d’autres modes d’exercices et d’autres conceptions du métier. (…) Pour l’élite, le cumul des statuts est une réponse à l’éclatement de la profession et légitime pour une part la revendication de l’unité dans la diversité » (Tapie, 2000, p.248). L’architecte, en agence comme en collectif, voit une évolution de sa pratique professionnelle. On assiste alors à une mutation d’une identité unique dans la pluralité du métier.

2/ L’architecte de proximité Les architectes en collectifs, dans le cadre de projets de réhabilitation urbaine, développent alors des manières singulières d’exercer leur métier. L’espace public devient propice à l’expérimentation d’action collective. L’architecte est ainsi absorbé dans un système complexe, où son rôle se décuple. Il soutien, d’une part, les habitants issues de ces lieux en perdition. Il entretient un dialogue fertile avec les pouvoirs publics, d’autre part. « Cependant, la fragilité de ces initiatives à très petites échelles témoigne de leur dépendance à l’égard des contextes et des acteurs ultralocaux, freinant leur normativité. »13. La notion de permanence trouve sa source au théâtre. Patrick Bouchain, étroitement lié au domaine de l’Art, influence sa pratique architecturale, notamment, par le monde du spectacle. Durant le projet de reconversion de la Friche Belle de Mai à Marseille, où Bouchain prend part, de multiples permanences artistiques se déroulent. « C’est le metteur en scène François Cervantes, avec sa Compagnie L’Entreprise, qui affirme avec l’occupation de la Friche la nécessité d’une permanence artistique dans la ville, pour tenter de construire une relation régulière avec le public. » (Hallauer, 2015). Patrick Bouchain et son atelier, Construire, s’approprie donc le terme et aiment employer la 13 Édith Hallauer, « Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? », Métropoles [En ligne], 17 | 2015, mis en ligne le 15 décembre 2015, consulté le 09 janvier 2017. URL : http://metropoles.revues.org/5185

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permanence architecturale. Ils mettent en place des « cabanes de chantier » ouverte à tout le monde, accompagnant le projet dans sa continuité. Habiter et vivre in situ, sur le chantier, rend compte des besoins complexes d’un lieu et de sa population. Un principe également testé à la Biennale d’architecture de Venise. L’atelier Construire, associé au collectif Exyzt, a demeuré au pavillon français. Ils ont ainsi prouvé la capabilité de l’architecture. « L’idée était de prouver que moins l’architecture est anonyme, plus elle est appropriable » (Hallauer, 2015). Nous allons mettre en lumière certains projets reflétant cette démarche de permanence architecturale. A partir de 2010, et durant trois ans, Sophie Ricard, architecte et disciple de Patrick Bouchain, a déménagé dans un petit pavillon, au cœur du projet de réhabilitation urbaine de Boulogne-sur-mer. Cette permanence a été soutenu par les collectivités territoriales, l’Office HLM et proposé par l’agence Construire. Les travaux se sont articulés autour d’un Atelier Permanent d’Architecture : « Construire ensemble – le Grand Ensemble », sorte de laboratoire réflexif sur le logement sociale. Bouchain raconte : « Sophie construit ce chemin, entre l’habitant qui n’est pas écouté et les élus qui sont chargés de réhabiliter le quartier. (...) Sophie est un lien, un relais, un tuteur, plus qu’un architecte projeteur. »14. La permanence dessine alors une nouvelle figure de l’architecte, celui de la proximité. Celui qui fait du projet via l’expérience habitante (Hallauer, 2015). º/ La Fabriqueterie (Vaulx-En-Velin) avec le collectif Pourquoi Pas Le local du collectif Pourquoi Pas est au cœur du projet de renouvellement, à Vaulx-En-Velin, banlieue lyonnaise. Alors, ancrés dans ce « chantier quotidien », les Pourquoi Pas ont pu « Habiter le lieu grâce à l’implication des bailleurs sociaux Alliade puis EMH, instaurer une présence quotidienne grâce au service Jeunesse de la ville et à la bienveillance des éducateurs de prévention et ne jamais faire l’économie de la rencontre. Ouvrir un espace d’expression où l’on parle, pense et construit ensemble. »15. Amandine et Etienne, architectes et membres actifs du collectif, nous raconte l’histoire du projet. Amandine commence : « La Fabriqueterie est née de la rencontre entre le DEM (Domaine d’Etude de Master) « la fabrique in situ », le Grand projet de ville et Pourquoi Pas. On est tous ensemble et on profite du fait que chacun soit intéressé par ce territoire pour créer un truc. »16. On découvre, ici, l’alliance, à trois têtes, fondatrice du projet. La première, est un domaine d’étude de master, comprenant des étudiants guidés par une équipe pédagogique, issue de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon (Ensal), elle aussi implantée à Vaulx-En-Velin. La deuxième, est le Grand projet de Ville, qui se définit comme « un ensemble d’actions publiques initiées par l’État qui vise à réduire les inégalités sociales entre territoires et à (re) valoriser le cadre de vie des habitants de quartiers urbains prioritaires (QPV)»17. La dernière entité est la jeune association d’architectes-ingénieurs Pourquoi Pas, ayant effectuée, pour la plupart, leur formation au sein du DEM La Fabrique in situ à l’Ensal. Etienne continu le récit :« Ca a duré tout un semestre et ça a permit de fédérer le projet, entrer en contact avec les gens dans le quartier. Sauf que, calendrier scolaire oblige, après trois mois, tout le monde est parti, il y a plus rien du jour au lendemain. Les gens sont déçus car une attente a été générée par le projet. Ca a été plutôt contre-productif 14 http://strabic.fr/Patrick-Bouchain-ma-voisine-cette-architecte-1 15 http://collectifpourquoipas.fr/portfolio/items/la-fabriqueterie-du-mas-du-taureau/ 16 Extrait de l’entretien avec Amandine et Etienne, architectes membres du collectif Pourquoi Pas !?

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17 http://www.gpvvaulxenvelin.org/Grand-Projet-de-Ville/Politique-de-la-ville/(item)/A-Vaulx-en-Velin


(...) les choses reculent finalement. » Finalement, cette alliance n’a pas eu une temporalité optimale. Quand la fin du semestre est arrivé, le DEM a fait office de césure rompant la continuité du projet. A la suite de cela, le collectif reprend les reines et installe une permanence architecturale : « La Fabriqueterie nait de ce constat là, il faut travailler dans la douceur, la longueur, proposer une démarche, un fil rouge sur plusieurs années, avec une approche hyper modeste, où on s’installe sur un territoire inconnu, on s’intègre dedans. La première année : on organise des installations type workshop, et depuis la Fabriqueterie est plus un travail de fourmis. Le plus gros du travail est sur la durée. ».

Photos du chantier de la Fabriqueterie http://collectifpourquoipas.fr/portfolio/items/la-fabriquetterie/

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Le projet Fabriqueterie a permis un lien avec les habitants, un lien transitoire. Ce lien est renforcé par une présence in situ. En effet, l’installation du collectif, directement dans le quartier, montre une place stratégique, au cœur de l’action, entre les habitants et l’instance publique. Par ailleurs, dans un site en chantier, le collectif fait partie intégrante d’un projet. La requalification d’un quartier se fera autrement que par la démolition de plusieurs immeubles de logements. Certains lieux sont inoccupés car en attente de démolition, tandis que d’autres morceaux de quartier déjà détruits par les bulldozers sont nus et vides de sens. C’est là que vient se placer Pourquoi pas, dans cette atmosphère de l’entre deux. º/ La Cartonnerie (Saint-Etienne) avec l’association Carton Plein Non loin de Vaulx-en-Velin, à Saint-Etienne, dans la métropole lyonnaise, l’association Carton Plein a également joué le rôle de l’architecte-voisin. En 2010, l’EPASE (Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne), se saisit de la Cartonnerie, ancienne usine de carton, démolit, devenue une friche. L’EPASE décide d’en faire un espace public temporaire et propose à carton plein de concevoir et animer le lieu. (La Cartonnerie, 2016, p.11). Comme le collectif Pourquoi Pas, l’association Carton Plein est installée sur place. Aujourd’hui l’expérience continue, mais Carton Plein a regroupé les résultats et les histoires recueillis durant 5 années de permanence à la Cartonnerie, devenue espace public de quartier (La Cartonnerie, 2016, p.8). Carton plein entretient des liens entre les différents acteurs issus du quartier et d’autres, plus lointain. L’association a organisé, par exemple, une rencontre entre les élèves d’un collège et les élèves de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne (ENSASE). Carton Plein développe des collaborations variées et invente ainsi un nouveau cadre de travail. « la recherche de nouvelles modalités de travail entre institutions publiques et initiatives collectives est au cœur de la démarche » (La Cartonnerie, 2016, p.35) Ces nouvelles activités de gestion, pour les architectes de proximités, amènent des questionnements : qui gèrent quoi ? « qui sont les régulateurs/activateurs d’espaces publics aujourd’hui ? » (La Cartonnerie, 2016, p.75). Et quels sont les avantages et les inconvénients d’être au centre du jeu ? « Je trouve que l’expérience ensuite d’immersion en continu que Carton Plein a pu défendre en étant sur place a démultiplié les effets. (…) mais il y avait aussi un acteur nouveau dans le paysage qui justement pouvait se positionner comme médiateur ou intermédiaire entre l’aménageur et ses gros sabots, la ville et ses nombreuses contraintes de gestion, et l’habitant et ses petits problèmes de quotidien.. » Stéphane Quadrio, directeur de l’aménagement à l’EPASE, s’exprime sur la nécessité de nouveaux acteurs, comme les collectifs, pouvant exercer le rôle de médiateur au cœur du projet urbain. Souvent, cette vision positive n’est pas du goût de tous car « intégrer ce genre de démarche aux grands projets urbains c’est prendre le risque d’ouvrir le débat citoyen. Cependant, même d’un point de vue très pragmatique, ne vaut-il pas mieux que le territoire et ses habitants comprennent et participent au projet plutôt qu’ils s’y opposent ? » (La Cartonnerie, 2016, p.87)

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«De même, l’agir in situ permet de révéler les territoires dans leur diversité culturelle, sociale, et patrimoniale. L’esprit des lieux, la compréhension de l’histoire, la confrontation des mémoires, sont autant d’éléments pour créer des villes vivantes et singulières. » (La Cartonnerie, 2016, p.13)

En haut: Chantier participatif à la Cartonnerie; en bas: Workshop viaduc fertile http://carton-plein.org/

Finalement, on découvre des architectes dans des postures différentes, hors de l’agence, aux cœurs des projets urbains. Ils développent alors de outils divers, expérimentaux, toujours dans un esprit participatif, afin de répondre aux enjeux sociaux actuels.

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Partie III/ En quête de

légitimité

La légitimité, nom féminin, est le caractère de ce qui est fondé en droit1. La légitimité d’un contrat, par exemple. C’est aussi la qualité d’un pouvoir à être conforme aux croyances des gouvernés quant à ses origines et à ses formes.

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www.larousse.fr


1. Evolution d'un système institutionnel 1/ Mutation des statuts On l'a vu précédemment, la majorité de la pratique de l'architecture se déroule en agence. Ce sont, souvent, des structures aux formes juridiques de type S.A. (Société Anonyme) ou SARL (Société à Responsabilité Limitée). Notons que, avant toutes choses, le responsable de l'agence doit être inscrit à l'Ordre des Architectes. L’architecte entrepreneur individuel exploite directement ses fonds, c’est-à-dire sans l’intermédiaire d’une société. Il est seul responsable de son patrimoine personnel. Ce statut attire le jeune architecte car il est simple. Il suffit seulement d'une déclaration auprès du service concerné pour constituer l'entreprise, par exemple. En optant pour le statut d’auto-entrepreneur l’architecte bénéficie du régime micro-social simplifié et paie ses charges sociales en fonction des recettes encaissées. En outre, s’il n’encaisse rien pendant la période considérée, il ne déclare et ne paie rien. Ce système permet de connaître facilement son coût de revient et amoindrit les problèmes de trésorerie puisqu’aucune avance n’est demandée à l’auto-entrepreneur2. Les collectifs, en minorité, forment, généralement, des Associations, issues de la loi 1901, associées avec d'autres corps de métiers. Selon l'article premier de la loi du 1er Juillet 1901 :« L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations. ». Etienne de chez Pourquoi Pas raconte: « Le collectif est une association loi 1901 et on l'a monté à la base pour partir à Casablanca. Et la Fabriqueterie est un projet spécial parmi d'autre à l'intérieur du collectif. »3 Pour le collectif Pourquoi Pas, l'association fut la forme juridique qui s'est présenté, le plus simplement, pour leur regroupement. D'autant que l'association a été créée alors qu'ils étaient encore des étudiants. Dans ces associations, les architectes ont un statut personnel d'auto-entrepreneur. Ils deviennent alors prestataires des associations dont ils sont membres. Etienne, de chez Pourquoi Pas, nous explique leur système d'auto-entrepreneur au sein du collectif 4: « On est tous prestataires, tous auto-entrepreneurs, le collectif nous paye. On est obligé de se justifier avec autre chose, donc des fois on va repeindre la chambre d'un ami, on fait une mission ailleurs, comme ça on justifie qu'on est pas un salarié déguisé de l'association, mais vraiment un auto-entrepreneur, en activité consacré au développement de l'association. Et ça, aussi, c'est la limite de notre montage. Au début, il y a des avantages, tu es exonéré de charges, si t'as moins de sous qui rentre, y'en a moins qui part. Et, au bout de deux ans, tu payes des charges car t'es sensé avoir évolué dans ton auto-entreprenariat, et du coup pour nous ça marche plus trop ; donc on va sûrement changer de forme juridique. Un truc lisse, un peu comme tout le monde. » Alors ces statuts posent des questions. Les problèmes de légitimité peuvent venir de cette nouveauté. L'association a-t-elle un cadre professionnelle ? Est-ce un vrai métier ? Et alors jusqu'où va l'implication de ces membres ?

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http://compta-architectes.com/services-compta-architectes/creation-developpement-agencearchitectes/creer-votre-entreprise/choisir-forme-juridique-adaptee-projet/

3-4 Extrait de l’entretien avec Etienne, architecte membre du collectif Pourquoi Pas !?

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Carton Plein rencontre ce type de questionnement et trouve des solutions : « Comment légitimer ce positionnement collectif, pluridisciplinaire et local comme professionnel, expert et compétent ? Au fil du temps, l'association construira une grille tarifaire qui permettra de faire des choix plus facilement et aidera à défendre les compétences de la structure dans les différents contextes d'intervention. » (La Cartonnerie, 2016, p.102). La compréhension, de la part des autres acteurs, n'est pas toujours facile. « Mais parfois cela ne fonctionne pas. La logique économique – qui doit pouvoir trouver un cadre pour réaliser une collaboration – est difficile à comprendre pour des acteurs dont les rémunérations sont fixes et garanties. » Notamment avec Maurice Desgoutte, directeur de la Médiathèque de Carnot, quand il s'exprime sur les prémices d'un projet en collaboration avec l'association : « on s'est dit : ils sont dans quelle démarche la Cartonnerie, enfin Carton Plein ? (…) Quand vous me disiez : il faut démarcher le Conseil Général parce qu'on peut avoir des sous... moi je n'avais pas envie de taper 8000 € au Conseil Général pour un projet qui concerne au final même pas une classe, huit gamins ! Donc tu te dis même si on peut potentiellement l'avoir, c'est de l'argent public ! C'était surdimensionné. Alors je comprends que votre association elle a besoin pour vivre d'être vue, de faire du projet, vous avez besoin d'avoir un certain rayonnement, mais ce n'était pas le propos ! » (La Cartonnerie, 2016, p.102-103) Quelle est la réalité concrète de la forme associative ? Une association à l'avantage de proposer des « cadres innovants » et n'est pas tributaire des marchés publics, trop intermittents. Elle renferme aussi des contraintes. Suivre les calendriers de subventions, se faire reconnaître dans un « écosystème local », et perpétuellement imaginer de nouveaux terrains de travail. « Il est donc difficile de trouver une vraie place (…) Les financements plutôt fragmentés de l'association induisent aussi un manque de transparence au regard des acteurs extérieurs. « Quel est le budget de Carton Plein ? » est une question récurrente. (…) L'association a du mal à être pleinement identifiée. » De plus, le fonctionnement des commandes et appels d'offres, ajouté à peu de financements, de la part des institutions, engendrent « une réelle concurrence entre les acteurs qui nuit souvent aux projets collaboratifs. » C'est pourquoi, Carton Plein, prend l'initiative de pas répondre à ces appels d'offres, « de se distinguer des cadres de travail conventionnels et d'asseoir sa légitimité par son ancrage local. » (La Cartonnerie, 2016, p.103) Avec cette exemple, on voit que la posture de l'association est ambiguë. Les financements publiques ne sont pas toujours faciles à trouver. Les membres du groupement peuvent se retrouver en situation précaire. Finalement, les collectifs doivent se battre au quotidien pour leurs projets expérimentaux mais aussi pour acquérir des identités plus fortes. « Il n'y a pas de permanence et cette indétermination est difficile à gérer pour l'acteur associatif en situation d'insécurité. Pourtant, les temps d'échanges avec ces partenaires sur les cadres possibles de conventionnement sont nombreux, mais débouchent rarement sur des accords concluants. (…) entre délégation de service public, action auto-organisée et militante, et dynamique entrepreneuriale, ce qui rend sans doute l'action peu lisible. Cette posture du dedans/dehors (…) est à la fois fructueuse et peu transparente, surtout dans des mondes où l'argent demeure tabou. » (La Cartonnerie, 2016, p.105) Mais alors, ces statuts ont-ils des limites ? Quelle évolution peuvent-ils avoir ? Nous avons interrogé ces collectifs sur l'avenir de leurs structures.

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Etienne, du collectif Pourquoi Pas, commence : « On est amené à évoluer. Salarier une personne peut-être. Salaires fixes, cotiser pour la retraite (…) A la dernière Assemblée Générale, globalement, l'évolution de la structure serait de travailler en partenariat, de faire correctement les projets. Recherche de durabilité. La question qui fâche c'est : est-ce qu'on veut que ça soit professionnalisant ? Mais bon, plusieurs sont déjà à temps plein depuis 1 an. L'évolution : un modèle d'association salariale ou coopérative, une évolution juridique de la structure. L'ouverture à d'autres professions - pas que des archi - avec le noyau fondateur. Ensuite, le local va bouger, on va partager des locaux avec d'autres associations. On aimerait prendre plus de recul et bosser avec d'autres : comédiens, géographes.. Bref, stabiliser le système économique du collectif. » Amandine, continue : « Est ce qu'un jour on voudra faire de la maitrise d'oeuvre ou pas ? On peut pas répondre à ça. Si oui, faudra rentrer dans un autre rapport au marché. Est-ce qu'on pourra se démarquer parce qu'on est alternatif ? Est ce qu'on aura des initiatives de projet aussi ? Et si on se frotte à la concurrence du marché ? Est ce que ça a encore du sens ? Difficile à dire... Le rêve, ça serait de la maîtrise d'oeuvre à la Bouchain, mais on a pas sa connaissance législative, politique, etc. Et puis pour l'équipe, une partie des membres n'est pas permanente, deux vont partir car ils ont d'autres perspectives d'avenir, ils veulent bosser en réhabilitation, en agence. Après, je pense que tout le monde a envie de faire ses armes à un moment, s'il ne trouve pas son compte, revenir au collectif, mais aussi avec plus d'expériences. » 5 Après ces questionnements venant d'un collectif jeune, voyons ce que nous explique Bruit Du Frigo, en lice depuis bientôt 20 ans : « Bruit Du Frigo c'est une association, nous les permanents on est salariés (…) Par rapport au statut de l'association, ça fonctionne bien, je pense on va rester comme ça. Pour la maîtrise d'oeuvre, la HMONP, ça te permet d'être doté de capacités, mais tu peux aussi faire des projets plus complets, à petite échelle, plus personnels. L'idée est de mixer les activités. Mais il y a 2 architectes qui sont partis pour la faire ailleurs, car nous on n'est pas habilité. Ils vont sûrement revenir. Souvent les gens qui passent chez nous on déjà un regard autre sur la profession et le fonctionnement du système. »6 Elise Macaire parle des collectifs et de leurs statuts comme d' « Une activité prenant du temps, peu « rentable » mais permettant de se différencier d'un bureau d'étude classique « Ceci leur permet de se démarquer des « bureaux d’étude » pris par la logique de rentabilité. » (Macaire, 2009). Finalement, E. Macaire nous montre que derrière ces nouveaux statuts, une part des architectes fait évoluer la façon de pratiquer. Plus encore, autour d'une éthique différente, avec le choix de répondre à telle ou telle commande. Alors si leurs manières sont alternatives, quand est-il du fonctionnement interne de ces collectifs ?

2/ Une hiérarchie horizontale L'architecte, responsable d'une agence, devient alors un chef d'entreprise. Il doit tenir un certain rendement, car il peut avoir des salariés ou non. Il est question, ici, de la responsabilité reposant sur les épaules d'une seule tête. Ce que les collectifs ont a contrario essayé de developper.

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Extrait de l’entretien avec Amandine et Etienne, architectes membres du collectif Pourquoi Pas !?

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Extrait de l’entretien avec Jeannette Ruggeri, administratrice chez Bruit du Frigo, 2016.

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Julien Choppin membre créateur d'Encore Heureux explique ses débuts: « Encore Heureux est né en 2001. Nicolas Delon et moi-même avons fondé l’agence dès la sortie de l’école. Au départ Encore Heureux était ce qu’on appelle un collectif. Nous ne voulions pas que ça soit l’addition de nos deux patronymes, c’est-à-dire Delon – Choppin. Mais on a choisi ce nom-là qui nous a permis d’embarquer des gens divers et variés, avec des compétences diverses. »7 On voit ici, la volonté de ne pas devenir un « archi-star ». C'est une perte de la notion d'égo, chez les jeunes architectes. Ils veulent devenir une entité concrète et ne pas travailler pour le nom d'une personne. Avec les collectifs, la responsabilité devient collective. Un statut est définit avec pour chacun un rôle, une fonction, une rémunération. Durant chaque Assemblée Générale de l'association, par exemple. Le collectif définit ainsi des règles statutaires afin de structurer la pratique. Chacun acquière une certaine autonomie, issue de cette répartition collective. Le collectif Parenthèse commente, lors de la conférence ANCA8 (2016), que ses membres sont tous à mi-temps, ils ont un autre travail à côté de la pratique en collectif. Amandine raconte, pour Pourquoi Pas : « On est tous amis, ou proche donc ça peut poser aussi des problèmes. Etre amis ça suffit pas, car on est pas d'accord sur tout. Par exemple, la première année d'activité, ça a été de longs débats sur pleins de choses. On a mis en place un règlement, des outils, que tu peux retrouver dans des entreprises, dans des sociétés, car il arrive un moment où on peut pas faire autrement, c'est nécessaire d'écrire des bases communes. » Ici, Amandine, explique qu'ils ont du calquer le système d'organisation de structures et d'institutions déjà établi. Finalement, expérimenter ces méthodes avec la forme associative. Amandine continue :« Il y a une liberté incroyable à être ton propre patron : tu fixes tes règles, mais lesquelles ? Tu pioches du coup dans le système d'entreprise, par exemple. Tient, on aura cinq semaines de vacances par ans. On copie des modèles. Mais on est obligé de trouver une base. Veillez au bon équilibre, très vite il faut des bases, comme les vacances par exemple. Parce que Benoît, par exemple, il est capable de pas prendre de vacances pendant un an, et c'est comme ça que tu fais un burn out, sans t'en rendre compte. Du coup chaque personne a amené des choses différentes et petit à petit tu écris ta constitution. » Etienne raconte le mode de rémunération du collectif Pourquoi Pas : « Nous c'est partage communiste, tout ce qui rentre va au pot commun et après c'est divisé, peu importe qui est sur le projet et combien de temps il a bossé dessus. On divise ensuite, par rapport à ceux qui ont dit, à l'Assemblé Générale, tout les six mois, leur investissement. Par exemple, moi je suis là à temps plein et j'ai une part pleine ou moi je suis là à mi-temps, etc. Donc si l'argent rentre, on est 5 membres actifs pour l'instant, on partage en 6, il y a +1 pour le commun, qu'on réintègre après. On amorti avec ça les frais de fonctionnement et pour investir : payer le local, payer les déplacements, les matériaux, etc.. Ca permet une autre indépendance du collectif. Tout le monde est à part égal. (…) Aujourd'hui on commence à se financer mais on a pas les moyens de financer d'autres partenaires. » 9 « chez Carton Plein tous les revenus sont les mêmes sans distinction sur le niveau d'expérience et la discipline d'origine. Ces choix nécessitent une confiance réciproque entre les membres du groupe. » (La Cartonnerie, 2016)

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Extrait de la conférence «Bricolages organisés» du collectif Encore Heureux dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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Extrait de la conférence «Faire (avec)» du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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Extrait de l’entretien avec Amandine, architecte membre du collectif Pourquoi Pas !?


2. Regard sur la condition actuelle 1/ Situation entre les collectifs et les pouvoirs publics « On est partisan du faire ensemble, il faut travailler avec tout le monde. Mais la difficulté c'est le fonctionnement des institutions qui sont souvent issues de systèmes ancestraux. C'est cohérent quand tout le monde travaillait de la même façon, avec les mêmes bases. Quand il y avait pas les problèmes de chômage actuel, et pas cette nouvelle vague d'auto-entrepreneurs. Aujourd'hui on est dans deux mondes différents. Et travailler ensemble, dans l'innovation, dans les moyens, faut être réactif au bon moment, c'est pas accordable. Donc on s'adapte.10 » Le collectif Pourquoi Pas, nous explique, ici, les problèmes rencontrés avec les institutions publiques d'aujourd'hui. Alors, quelle considération reçoivent les collectifs, vis-à-vis de ces institutions ? Ont-ils un rapport de collaborateurs, alors que la majorité des missions reçues proviennent des pouvoirs publics ? Les institutions publiques proposent de nouveaux terrains de commandes, propices aux groupements d'architectes. « Devant la multiplication et la prolifération d'espaces vides, les pouvoirs publics recherchent tous à retrouver des formes d'attractivité pour relancer le développement de la ville. (…) les aménageurs ont des difficultés à agir et recherchent de nouveaux outils de conception et d'action. » (La Cartonnerie, 2016, p.29) Bruit de Frigo ajoute : « C'est vrai que la concertation, la participation dans les projets urbain a changé. Une certaine prise en compte d'un regard sur le territoire urbain. Faire la ville autrement n'est pas évident, aujourd'hui les collectivités territoriales se sont emparées de ce genre d'approche, par nécessité. Car on voit maintenant que les projets urbain, notamment « banlieues » qu'on appel aujourd'hui « zones prioritaires » n'ont pas fonctionné. Maintenant donc, financés par l'Union Européenne pour créer des marchés publics. »11 Devant l'opportunité d'emplois, les collectifs trouvent ainsi un terrain professionnel favorable à l'exercice de leurs pratiques émergentes. Cependant, ces offres publiques restent fragiles et les associations développent une certaine dépendance face à ces institutions. Bruit du Frigo nous explique leur perception du futur: « On a peu de visibilité sur le futur, même si on existe depuis 20 ans. Pour l'instant on a juste une vision à 6 mois avec des projets. On est finalement dépendant de cette volonté politique qui fait appel à nous et qui a des financements. On est conscient, on veut continuer vers cette cohésion sociale, cette plus-value du territoire, ce développement politique. »12. A Saint-Etienne, la position de Carton Plein par rapport à l'EPASE reste ambiguë : « Carton Plein se place à l'endroit de la rencontre et/ou du conflit entre le public et le privé, en étant à la fois réponse à la demande publique et force de proposition autonome, porteuse de valeurs et de convictions sur la fabrique de la ville, en étant à la fois invitée par la force publique et laissée sur le pas de la porte des décisions. » (La Cartonnerie, 2016, p.35) Cette situation est celle de nombreuses structures associatives en corrélation avec l'Institution Publique. Par ailleurs, cette dépendance se ressent lors du projet à la cartonnerie. L'EPASE ne s'investit plus de la même manière. Elle pousse ainsi Carton Plein vers de nouveaux 10

Extrait de l’entretien avec Amandine, architecte membre du collectif Pourquoi Pas !?

11-12 Extrait de l’entretien avec Jeannette Ruggeri, administratrice chez Bruit du Frigo, 2016.

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interlocuteurs, de nouveaux partenaires. Une quête, finalement, nécessaire à l'existence de l'association. Cela projète, plus vite que prévu, l'équipe stéphanoise vers l'autonomie. (La Cartonnerie, 2016, p.64) Si les structures et ses membres sont sur le chemin de la reconnaissance, où en est la légitimité de l'action ? On découvre l'avis d'un membre de la mairie de Saint-Etienne, comprenant difficilement les interventions de Carton Plein : « Et puis je pense que pour les Politiques, pour beaucoup de gens de la Ville, on est resté dans de l'expérimentation. C'est-à-dire vous êtes sur un terrain depuis 5 ans et concrètement le terrain est toujours une friche ! (…) Le projet urbain d'une ville, cela dure combien de temps ? C'est-à-dire qu'à un moment donné, est-ce que l'EPA ou la Ville doit vous donner les moyens de mettre en place quelque chose réellement ? (…) En tout cas il y a un espèce de flou là ! Certes c'est de l'expérimentation : mais est-ce que cela va durer longtemps comme ça ? Avec des interventions éphémères dans l'espace public ? » (La Cartonnerie, 2016, p.104) Il faut alors faire preuve de ruse. Pousser les idées plus loin. Le collectif Parenthèse choisit de dépasser la commande. En effet, ils répondent souvent parallèlement à la demande, ou bien propose un projet différent de la requête initiale13. Une démarche que l'on retrouve chez Carton Plein. Ils ont détourné une des commandes de l'EPASE proposant un « laboratoire urbain ». L'idée éveille alors la curiosité des aménageurs. Carton Plein développe ainsi le dialogue avec l'EPASE afin de construire, une commande, ensemble. Stéphane Quadrio, directeur de l'aménagement à l'EPASE raconte : « C'est à ce moment là où on vous confie une petite mission d'expertise, de rencontre avec différents acteurs potentiels et de préfiguration ou de prémontage de ce qui pourrait être ou de comment tout cela pourrait fonctionner, avec différentes pistes de programmation.(...) Emerge l'idée qu'il faut mettre en place un espèce d'intermédiaire pour gérer la programmation d'un truc comme cela et pour accompagner la mise en place d'un espace public de cette nature. » (La Cartonnerie, 2016, p.32). La décision de donner à l'association la gestion transitoire du site prend forme. Une dynamique survient et cela donnera vite un processus de projet peu classique. D'où le développement de recherches-actions et d'un laboratoire à ciel ouvert. Mais, très vite, « le désordre induit par cette démarche « laboratoire » implique en permanence la clarification d'un cadre commun. (...) c'est le format d'une « mission exploratoire » qui est choisi dans le but de clarifier la commande de l'EPASE (voire de la questionner) mais aussi de mettre à jour les enjeux du projet et les postures de travail. » Suite à cela, Carton Plein devient une association loi 1901, afin de répondre à la mission de l'EPASE et d'un « besoin de simplification rapide » du statut. (La Cartonnerie, 2016, p.34) Quelle est, alors, la limite des moyens mis en œuvre, pour prendre soin de l'espace public ? Carton Plein questionne, ici, le pragmatisme de tels projets : une fois lancé, jusqu'où va le projet ? Le commanditaire suit, jusqu'à quel point ? Les investissements humains seront-ils soutenus ? « Doit-on prendre en charge l'entretien de l'espace public ? Doit-on endosser un rôle plus distancié, en observant ce qui se passe, en intervenant à la marge et en laissant la vie suivre son cours sur le site ? » Durant la phase d'expérimentation, l'association a pu observer la vie d'un lieu « sous l'emprise des institutions » : « Carton plein doit se résoudre à ne plus endosser la responsabilité de la gestion de ce site et à remettre les pouvoirs publics face à leurs 13 Extrait de la conférence «Faire (avec)» du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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responsabilités ». Ainsi, une certaine forme d'abus de l'investissement de l'acteur est, ici, mise en lumière. Ces propos posent les questions de l'éthique des collectifs, comme des institutions. Qui va finalement ramasser les « crottes des chiens » ? Devant le surplus de travail des services techniques de la ville, il ne faut pas se laisser entraîner. (La Cartonnerie, 2016, p.71) On revient vers une notion déjà abordée et chère aux collectifs : Faire Ensemble ; ou « Produire en commun pour transformer les politiques publiques ». Cédric Bouteiller, architecte et membre du collectif Etc, parle de l'association Carton Plein : « Il y a toujours eu chez vous une conscience urbaine, depuis la question de « comment on occupe une friche ? » avec la volonté de dire « on est acteur de la ville, on participe à son évolution et on veut travailler à une forme de justice, enfin, à un peu de redistribution des pouvoirs qui sont souvent mal fichus dans toutes ces politiques là ! » (La Cartonnerie, 2016, p.85-86). Amandine, Pourquoi Pas, nous parle du regard des autres acteurs et questionne finalement la base d'une profession qu'on pensait fondé : « de la part des professionnels c'est plus rare parce que ça a évoluer depuis l'école. Mais de la part des gens qui bossent à Vaulx-en-Velin, ils comprennent pas pourquoi on est là. Ils se disent c'est facile de s'installer à Vaulx, genre vous êtes voisin, vous dites : on partage un cadre de vie commun, mais vous êtes pas comme nous, pas en relogement, pas de famille à nourrir. (…) Peu légitime pour beaucoup de gens, par rapport aux personnes avec qui on travaille. (...) Pour les institutions, ce sont des projets qu'ils n'ont pas l'habitude de voir, et ça leurs paraît aberrant. Et pour les confrères, on est pas vraiment architectes. Pour eux c'est pas de l'archi. Ce sont ces trois batailles à mener sur le même front, le plus dure. Je remets en question. Donc moins légitime pour les pro, car tu veux faire un truc autre mais décemment. Sous entendu, ce qui est habituel ne te parle pas. Dans une formation commune, toi, tu fais un choix autre, ça a moins de valeur... mais ça évolue super vite. Du coté institutionnel les gens viennent vers nous maintenant, il y a du nouveau. Donc à nous d'exploiter cet effet de mode aussi dans la limite de nos idéaux. Chez les archi, de notre génération, il y en a beaucoup qui se posent la question aussi - mais oui vous avez raison, moi je m'ennuie dans mon taff, mon patron je suis pas d'accord avec ses idées.14» Finalement, il faut repenser certaines choses directement chez les acteurs publics. Les collectifs compenseraient-ils des failles ? « Les approches telles que celles développées par Carton Plein viennent d'une certaine manière pallier certains dysfonctionnements de l'action publique (...) Cette fonction d'ensemblier ne peut être portée uniquement pas une dynamique associative et citoyenne, elle doit obtenir la reconnaissance des pouvoirs publics en terme de financements de légitimité à agir. (…) La prise en compte globale et systématique des problèmes urbains peut-elle être soutenue et sous quelle forme ? » (La Cartonnerie, 2016, p.105) Aussi, pour faire valoir leur place parmi les acteurs de l'aménagement, les collectifs sont dans une mouvance démonstrative de légitimation. « Yvan Detraz, architecte, membre fondateur de Bruit du Frigo raconte : « Au début nous passions pour des hérétiques, aujourd’hui nos compétences sont recherchées »15

14 Extrait de l’entretien avec Amandine, architecte membre du collectif Pourquoi Pas !? 15 Revue AMC n° 232, Article sur Yvan Detraz, 9 avril 2014.

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2/ Accès à la commande ? On retrouve souvent deux types de projets : les initiatives propres (souvent dans les débuts de la pratique des collectifs), sans sollicitation aucune. Et les appels à projets, concours ouverts, ou après plusieurs interventions, une commande peut être faite auprès des associations. Ensuite, « La deuxième tendance est l'importance croissante de la réhabilitation enclenchée par les grands programmes de développement social des quartiers HLM (Habitation à loyer Modéré). Elle découle du vieillissement d'un parc immobilier conçu en majorité dans les années 1960-70. » de nouvelles politiques urbaines apparaissent pour les « banlieues » et proposent des postes pour les architectes. « Le pouvoir publique, associé à des organismes (Développement Social des quartiers, Développements Sociaux et Urbains, Contrats de Ville, Grands Projets Urbains) engendre « des politiques ambitieuses de restructuration des quartiers difficiles » (Tapie, 2000, p.151) Bruit du Frigo nous explique son propre accès aux projets :« Aujourd'hui il y a un certain équilibre entre appels d'offres et initiatives. Pour les gros projets, on s'associe pour répondre avec des architectes, des paysagistes et d'autres, qui ont eux du coup l'habilitation à la maitrise d'oeuvre. Mais au début et encore aujourd'hui, on pousse l'initiative, on va chercher le projet, le financement. Après 20 ans d'expériences, on a des commandes. »16 Amandine et Etienne, collectif Pourquoi Pas : « Après le PFE (Projet de Fin d'Etude), plus rien, donc initiative des projets, Etienne, Benoît et Claire, décident d'aller démarcher, approfondir pour créer des ateliers de sensibilisation dans les écoles. (...) Les contacts sont nés grâce à ça, dans les écoles de Lyon, au début bénévolement, les écoles sont réceptives, donc on continue. On a été voir la maison de l'architecture à Archipel, on nous a trouvé un projet à Bron. Après ça le réseau se crée, les contacts se forment et d'autres projets arrivent. » (…) « On a très peu répondu à des appels d'offres. Le peu qu'on a fait on l'a raté. Ca marche plutôt au réseau. Opportunités à droite à gauche. Type de projets ; travail avec des collectivités, avec du public, les interactions sont nombreuses (...) Dans chaque projet tu rencontres beaucoup d'acteurs du territoire. Et qui dit projet particulier,dit dimension social orientée, on tombe très vite dans la même famille. Un terrain propice au réseau, un effet de mode aussi, Grand projet de ville et collectivités sont friands de ce genre de démarche. On est jeune donc ils nous payent pas trop, sur Lyon, c'est encore assez sain, il y a pas de concurrence. »17

3/ Vers quelle adaptation de la formation (HMONP) ? De nouveaux enseignements, dans les ENSA, cultivent, inconsciemment, une évolution de la pratique vers d'autres activités : « Les finalités politiques sur l'ouverture des écoles d'architecture aux métiers de l'architecture sont les vecteurs d'une mutation importante (…) Le pluralisme du corps enseignant, la diversité des savoirs enseignés, la dissociation progressive entre un savoir d'analyse et un savoir projectuel, l'autonomisation des écoles confortent et poussent à un renouvellement des pratiques. Le système de formation provoque contradictions et tensions identitaires au sein d'une profession naviguant entre un modèle unitaire et un modèle pluriel. » (Tapie, 2000, p.305) 16 Extrait de l’entretien avec Jeannette Ruggeri, administratrice chez Bruit du Frigo, 2016. 17 Extrait de l’entretien avec Amandine et Etienne, architectes membres du collectif Pourquoi Pas !?

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On estime que la formation « relève d'une option interne au système de formation et n'est plus sa finalité exclusive. Perspective, difficilement admise par les générations anciennes d'architectes et politiquement délicate vis-à-vis de la profession pour les autorités de tutelle. L'abandon d'une formation exclusivement référencée au métier d'architecte est un tournant historique. » (Tapie, 2000, p.306) Plus concrètement, les chiffres de la Maîtrise d'Oeuvre étaient, en 2014 : « Environ 1200 diplômés HMONP sortent chaque année des écoles d’architecture françaises. Plusieurs trajectoires professionnelles s’offrent à eux, le salariat chez leurs aînés restant la plus commune. Mais, malgré le contexte économique actuel, certains de ces jeunes architectes s’inscrivent au tableau de l’Ordre pour se lancer « en leur nom propre ». Ils fondent leur agence et tentent de décrocher leurs premières commandes. D’autres s’engagent au sein d’associations communément appelés les « collectifs d’architectes ». Ils y défrichent des pratiques alternatives à la maîtrise d’œuvre. »18 Afin d'acquérir une meilleure compréhension : « Les professions de la maîtrise d'oeuvre se caractérisent par la prise en charge de missions spécifiques dans le processus de production d'un ouvrage. » (Chadoin, 2001, p.197) Alors, ces propos, amènent à se poser la question autour du titre : Est-on architecte si on ne fait pas de maîtrise d'oeuvre ? Amandine nous parle de la Maîtrise d'Oeuvre chez Pourquoi Pas : « Margaux et Romain (Paris) on fait leur HMONP. Prochaine étape plusieurs y réfléchissent. Après 2 ans postdiplôme, j'en ressent le besoin. Quand sur un projet tu commences à expliquer : alors je suis architecte mais j'ai pas vraiment le titre. Tout de suite, il y a une ambiguïté. Les gens disent : ha bah en fait t'es pas vraiment architecte ! Du coup, rien que pour la propre fierté, j'ai envie de finir le cursus, jusqu'au bout. Ensuite, aussi en terme de gestion du collectif, la formation HMONP, avec la partie théorique, gestion, finance, administratif, ça aide quand même. En plus, on travail sur des projets avec des architectes, eux peuvent avoir l'avantage financier parce qu'ils sont archi. On a plusieurs approches pour les autres membres ; certain aimeraient faire « manifeste », passer l'Habilitation avec le collectif (à l'image de Bouchain et Sophie Ricard par exemple). Mais c'est pas facile à faire passer, il y a des professionnels qui considèrent pas ça comme une vrai pratique de l'architecture, donc pas d'Habilitation. On commence à faire nos armes, mais une partie du boulot nous handicap, quand on arrive à la maîtrise d'oeuvre. (...) Personne n'est inscrit à l'Ordre. Pour l'instant, pas question d'exploiter le titre HMONP de quelqu'un. Pour des raisons de structure d'une part et des questions de savoirs, d'expériences. »19

3. Développement de collaborations 1/ Création de réseaux On l'a compris, la notion de « faire ensemble » est récurrente chez les collectifs. Ils développent, aussi, l'entraide entre les associations d'architectes. En France, on découvre la prolifération d'un réseaux de collectifs.

18 http://www.lemoniteur.fr/article/l-acces-a-la-commande-des-jeunes-architectes-un-sondage-exclusifmoniteur-amc-croaif-24085483 19 Extrait de l’entretien avec Amandine et Etienne, architectes membres du collectif Pourquoi Pas !?

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Leurs nombres augmentent, et c'est, notamment, le collectif Etc qui est à l'initiative du « Détour de France »20. Durant un an, de 2011 à 2012, douze membres du collectif sont aller rencontrer les autres groupements d'architectes français, travaillant eux aussi à une certaine « fabrique citoyenne de la ville » directement chez eux. Le tout à vélo, clin d'oeil entre la fameuse course cycliste française et les Compagnons du Devoir. Ils ont alors organiser des projets, des workshops, des réunions. Toute l'histoire et ses prémices sont disponibles dans une publication.

Carte du collectif Etc repertoriant les collectifs rencontrés durant le «Détour de France»

Suite à cela, le premier vrai rassemblement, nommé « Superville » à eu lieu en 2013 dans un chalet de montagne. C'est le collectif Parisien Bellastock, qui accueille « Superville #2 » en juillet 2016. Les associations ne sont plus seules. Ces sortes de G20 de collectifs permettent une entente pérenne, il n'y a « pas de concurrence entre nous, il ne faut pas se tromper d'ennemie » à tel point qu'on parle, ici, de désordre des architectes21. Le collectif Parenthèse explique : « On développe ainsi l'entraide, l'échange d'expériences et parfois on conseille pour des offres, on fait des concours ensemble ou on se refile des appels d'offres. C'est la famille Superville »22. Dominique Altschuck, psychologue du travail et investie dans l’association Carton Plein explique l’avantage d’être un groupe dans un réseaux plus vaste : « Grâce au réseau, tu rencontres des gens qui eux aussi ont un réseau, et ça te fait plein de monde avec qui potentiellement tu peux développer des choses. » » (La Cartonnerie, 2016, p.100)

20 http://www.collectifetc.com/realisation/le-detour-de-france-du-collectif-etc/ 21 http://strabic.fr/Le-desOrdre-des-architectes

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22 Extrait de la conférence «Faire (avec)» du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.


Rencontre Superville 2 à Paris/ http://www.bellastock.com/actualites/superstock-rencontre-superville-2/

Il y a une vraie prise de conscience collective de l'existence d'un mouvement. Par ailleurs, c'est l'ENSA de Nancy qui est la première école d'architecture a crée une formation pour les collectifs. En 2016, un Atelier National des Collectifs d’Architecture (ANCA) a été créé. L'objectif de la formation est de développer des outils et aider à la création et au fonctionnement des collectifs. L'ENSAN pousse alors, et encadre, la structuration de ces associations, vers la légitimité de ces pratiques émergentes. Etienne, de chez Pourquoi Pas, nous raconte son sentiment face à la reconnaissance croissante des collectifs : « Bruit du frigo, ils doivent se dire : ça bouge enfin, moi ça fait 15 ans que je marche dans le désert, il commence enfin à y avoir de l'écho. Mais eux voient ça d'un bon œil. La légitimité est pas tombée là par hasard, c'est des gens qui l'ont amené petit à petit, comme Bouchain, comme Bruit du Frigo, comme plein, qui ont amené les gens à se questionner. Et du coup, tac, tu te sens légitime, car t'es plus tout seul, tu appartiens à un groupe plus large. Ca devient établi qu'il y a du sens.. »23 Elise Macaire résume : « Dans le cadre de ces réseaux, certains développent plutôt la mutualisation de moyens, d’autres s’inscrivent dans une démarche d’échanges sur les pratiques et d’autres encore travaillent à la valorisation d’actions (…) tous expriment une difficulté à se constituer comme un groupe clairement identifiable. Un segment professionnel paraît ainsi en cours de constitution mais avec des difficultés pour financer ses activités et pour capitaliser les expériences. Pour cela, semblent encore manquer les alliances au sein de la profession et le soutien matériel et symbolique de l’Etat nécessaire » (Macaire, 2009) 23 Extrait de l’entretien avec Etienne, architecte membre du collectif Pourquoi Pas !?

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2/ Choix d'une éthique Les groupes d'architectes défendent des valeurs, ils sont en perpétuelle remise en cause de leurs travaux, dans un contexte ou la reconnaissance ne fait l'unanimité. Les associations sont très vite amenées à developper une éthique, dans une démarche de cohérence et une certaine protection, autour de leurs méthodes de travail. On l'a vu, il se met en place une certaine liberté d'action. « des projets, on en refuse plein, même si on est dans le rouge économiquement, pour l'instant il n'y a pas l'envie de faire des concessions. » déclare le Collectif Etc 24. Le collectif Parenthèse nous parle des limites qu'ils ont atteint : « Jusqu'où ça va ? Quelles sont les limites de l'association ? Quand t'es auto-entrepreneur, tu as des revenus limités, donc on arrive a un moment charnière. On choisit plus l'argent ou plus l'éthique ? Ensuite, après le bouche à oreille, on commence à avoir plein de projets, est-ce qu'on prend tout ? Est-ce qu'on prend que ceux qui suivent notre posture ? Estce qu'on accepte si c'est beaucoup de sous ? Quel est l'objectif à terme ? Au bout de 4 ans, on est stable, on a un local25 de 150m2, on a acheté notre matos, on se dit qu'on va pouvoir en vivre. »26 Le collectif Encore Heureux se demande : le terme « collectif », est-ce que ça a encore du sens, pour nous, aujourd'hui ?

Finalement, pour qui ces collectifs travaillent-ils ? Une question qu'Etienne, de l'association Pourquoi Pas, s'est également posée : « Il faut aussi faire attention à pas se faire instrumentaliser par les institutions qui font appel à toi. En terme de renouvellement urbain, avec des opérations importantes, avec des centaines de foyer, une démolition médiatisée, et t'appelles une équipe de petits jeunes, au début bénévoles, puis payés tout gentiment pour apaiser le truc, faire que le climat social se délite pas trop. Ca nous questionne en fait ; sur, pour qui on travaille ? Est ce qu'on est la pour fédérer des envies de faire ou juste faire passer la pilule ? Là par opportuniste ou pas ? Il faut pas devenir un « vendu » ! et surtout à Vaulx-En-Velin. Un mec va te demander : t'es bénévole ? c'est bien, si non t'es un vendu ! Il faut arriver à expliquer ton étiquette. Mais faut pas tout nier non plus, on fait pas que des projets sauvages, à l'encontre de l'Institution Publique. On a un certain engagement. On peut pas être antisystème. »27 Tout n'est pas rose dans le paysage des collectifs. Pourtant, la non-standardisation, de l'architecture, interpelle. Lise Serra, architecte et chercheure, parle de Carton Plein: « Pour moi vous ne faites pas partie du chantier, vous faites partie de la ville. Vous êtes plus dans l'animation et moins dans la transformation de la ville. La ville est en transformation et cette ville en transformation vous l'animez. Le temps qui est le vôtre est beaucoup plus long. Par rapport à un temps de chantier il n'y a ni début ni fin à vos actions. Carton plein dans son foisonnement pourrait travailler à l'infini dans un territoire infini. Il n'y a pas de cadre limité. » (La Cartonnerie, 2016, p.46)

24 http://www.collectifetc.com/ 25 Comme pour le collectif Pourquoi Pas, un local est négocié avec la Ville, la mairie d’Aubervilliers, ici, pour le collectif Parenthèse. 26 Extrait de la conférence «Faire (avec)» du collectif Parenthèse dans le cadre de l’ANCA à l’ENSA de Nancy, 2016.

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27 Extrait de l’entretien avec Etienne, architecte membre du collectif Pourquoi Pas !?


Finalement ces architectes, accompagnent l'habitant et apportent une « expertise technique ». Leur place a muté, ils sont maintenant aux côtés de la « maîtrise d’usage » face à la « maîtrise d'ouvrage » (le commanditaire, le pouvoir public) et la « maitrise d'oeuvre » (les techniciens). (Macaire, 2009) Cette place ouvre d'autres opportunités de travail et repose des questions autour de leurs démarches et de leurs éthiques, dans ce monde où l'architecture a voyagé vers une authentique dimension sociale.

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Conclusion/

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Depuis son origine, la profession d'architecte, reflète un titre d'honneur. Son enseignement créatif, mais aussi technique, lui inculque l'appellation d’artiste. Par la suite, la dissémination des ENSA, après la rupture historique fondamentale avec les Beaux-Arts, engendre l'autonomie et la spécialisation de chaque école d'architecture française. Les esprits changent, à travers les époques, vers une formation plus ouverte à d’autres disciplines, liées de près ou de loin à l’architecture. Dans le passé, les BeauxArts formaient à la maîtrise de l’oeuvre, aujourd’hui, l’école pousse l’exercice à d’autres domaines. Cette transformation du schéma d’enseignement amène la profession à évoluer. Face à cela, dans des contextes difficiles, le système de production marque un nouveau positionnement des architectes. L’évolution de la formation crée une mouvance en profondeur. Elle plaide pour un changement structural qui donne l'image d'un architecte pluriel. En exemple, à l'Ensa Lyon, le Domaine d'Etude de Master (DEM) « La Fabrique in situ » a engendré la création du collectif Pourquoi Pas. Son évolution actuelle, et jusqu'en 2020, s'appelle « ALT » pour alternatif. Ainsi, l'école de Lyon propose un enseignement de master où l'étudiant est libre de son choix de Projet de Fin d'Etude (PFE), dans une atmosphère qui pousse à constamment remettre en cause la pratique, les méthodes actuelles et la profession. Que se passera-t-il après 2020, qu'elle sera alors, la mutation du DEM ALT ? La manière de fabriquer la ville a évolué face à des transformations sociétales. L'architecture assume clairement sa dimension sociale et ses changements. La pratique en agence n’est plus la seule réponse post-diplôme digne d’une intégration victorieuse. Les années 1970 ont marqué l'ouverture d'un espace socio-professionnel pour les architectes. Les villes s’agrandissent et sont de nouvelles scènes d’exercices. Parallèlement, des collectifs d'architectes apparaissent. On voit là, la naissance d’un courant architectural. Ils insufflent une façon nouvelle, buissonnière, créative et ouverte d’aborder l’urbanisme et l’architecture. Ce mouvement est souvent méconnu et traduit comme l’altération de l’image d’un modèle. Alors qu’il exprime la capacité d’une grande adaptation, plus qu’une malformation, des architectes. L'architecture contemporaine des collectifs présente une certaine facette. Ils revendiquent une rehabilitation par la culture sociale et le détournement artistique. La majorité des interventions soignent alors l'espace public. La ville et l'urbain, sont les nouveaux socles de la diversification de la profession. On parle alors de compétence architecturale (Henri Beauclair, dans Guy Tapie, 2000) dans différents secteurs : Le premier est un besoin d'architecture pour les usagers ou les maîtres d'ouvrage assurant une sorte de formation du public par le conseil, la sensibilisation, l'écriture dans des magazines, les journaux et la réalisation d'expositions. Le deuxième secteur est autour du contrôle et de la règlementation de l'architecture, dans l'administration. Le troisième est la conception architecturale classique souvent spécialisée. Le quatrième crée des designers dans les entreprises de construction pour l'amélioration permanente des produits et des matériaux du bâtiment. Le cinquième est un secteur à part, portant l'enseignement de l'architecture et la recherche dans les écoles. On ajoutera, à cette liste, l'exercice en collectif ouvrant alors un nouveau secteur de la compétence architecturale.

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Ces activités socioculturelles permettent de ré-injecter le social dans le domaine architectural. Elles redéfinissent les compétences traditionnelles. Collectivement, on partage l'autorité. On développe un nouvel engagement avec l'alliance populaire. Dans la réalité, la légitimité de l'action des collectifs se fait sentir peu à peu. « nous pouvons conclure que ce groupe professionnel n’est pas complètement situé en dehors du champ de l’architecture, même si les liens avec les institutions et d’autres professionnels du champ sont plutôt fragiles. L’absence de reconnaissance des organismes de financement et des institutions publiques de l’architecture demeure le principal obstacle à la constitution d’un territoire professionnel identifié et légitime. Les collectifs paraissent ainsi dans une position de faiblesse propre à la polyactivité bien que la reconnaissance à l’intérieur du champ se construit progressivement » (Macaire, 2009, p.21) Cette construction de l’alternatif permet de sortir de la standardisation. Les travaux des collectifs, souvent réflexifs, font preuve d'audace. Pour reprendre les propos d'un architecte, dont la réputation n'est plus à faire, l'architecture serait un sport de combat.1 On questionne le rôle de l'architecte des temps modernes. Une thématique qu'on a retrouvé à la 15e Biennale de Venise, en 2016, autour du PENSER EN COMMUN, AUTREMENT. Une tâche nouvelle pour un avenir immédiat. Globalement, la loi du 3 juillet 1977 définissant l’architecture comme d’intêret général, est remise en cause. Elle n’est plus vue comme, « ce qui est pour le bien public », sa définition première. Cela influence la production participative de la ville. Des projets sont contestés et l'appel au droit est davantage présent afin de contrecarrer leurs constructions. Certaines propositions échouent même, faute d’un avis favorable, après la concertation des habitants. La participation citoyenne et la réappropriation de l’espace public général sont liées à la question des possibles contre-pouvoir. L’idée principale est de rééquilibrer un peu la donne économique. Finalement, l'urbanisation croissante, le vieillissement des grands ensembles, le perfectionnement des outils de planification, la nouvelle gestion des villes et leurs évolutions, remettent les espaces communs et les populations au centre des attentions. L'architecte, ici, n'est plus qu'un assistant, un accompagnateur, vers l'obtention pérenne du droit à la ville. Mais finalement, à qui appartient-elle ? Cette question récurrente, est encore aujourd’hui sans une vraie réponse. La population réclame une légitimité d’appartenance à la fabrication de l’architecture, dont elle se sent exclue. Les habitants se transforment en acteurs du bien commun. «Commun et devenu le nom d'un régime de pratiques, de luttes, d'institutions et de recherches ouvrant sur un avenir non capitaliste. » (Dardot, Laval, 2014, p.17) Les propos de Michel Onfray peuvent être une réponse à la tragédie du-non commun de Laval et Dardot (2014), développé en début d'introduction. « L’architecture libertaire découple bâtiment et souci de la production capitaliste. Elle soumet les projets à de nouveaux impératifs : nominaliste, sensualiste, empiriste, dandy, hédoniste, vitaliste, dionysien, organique, cinématographique, politique, militant, dialectique, écosophique, lyrique, historique – on l’a vu. L’ensemble se veut donc alternatif et constitutif d’une façon révolutionnaire nouvelle. Chacun a fait son deuil de la révolution dans son sens léniniste. Coup d’Etat, violence putschiste, armée de guérilla urbaine, avant-garde éclairée, etc., plus personne ne croit 1

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« L’architecture est un sport de combat », titre du manifeste de l’architecte Rudy Ricciotti (2013)


à ces possibilités pour changer les choses. Tant mieux. Pour autant, faire son deuil de la révolution est un luxe impossible en ces temps de libéralisme lâché comme des chiens furieux sur tous les terrains. (…) En revanche, le fascisme s’est métamorphosé : le fascisme du lion a laissé place à un fascisme de renard, rusé, moins visible, caché, dissimulé. La renardie politique (libérale) exige une contre-renardie politique (libertaire). Cette alternative vit de la multiplication et de la prolifération de micro-résistances à opposer fermement aux micro-fascismes partout repérables. A situations de guerre, stratégies et tactiques de combat. Les micro-fascismes en architecture ne se combattent pas à l’arme blanche, au canon et au feu, mais avec la micro-résistance de bâtiments de chocs, de lieux manifestes. » (Bouchain, 2006). Les collectifs se multiplient en France et dans le reste de l'Europe. Aujourd'hui, on peut dire que leurs pratiques ont eu un impact incontestable sur la maîtrise des projets urbains et des autres idéaux qu'ils défendent. Le parcours n'est pourtant pas achevé, il est encore trop émergent et alternatif. Ce qualificatif signifie: alternatif à quelque chose, une entité pré-existante ancrée dans les moeurs. Il s'agit, ici, de l'architecte travaillant en agence et répondant à des commandes de maîtrise d'oeuvre. Il faudra du temps pour faire reconnaître aux esprits pragmatiques la légitimité de l’action collective. Les résultats, de la recherche, apportent la confirmation que les collectifs, comme les agences, ont pourtant leur place dans la société. Mais pour combien de temps ? Quelle est la réelle temporalité d’une telle association ? Quelle est la finalité du combat ? L’évolution de la pratique suivra toujours les influences contextuelles (politique et autres). L’architecte peut associer ses convictions personnelles à l’exercice de son métier. Qu’il travaille seul ou en groupe, il doit pouvoir respecter une déontologie liée aux nécessités nouvelles de l’environnement et de l’Homme. L’étude pourrait se poursuivre autour de l’éthique de la pratique collective de l’architecture, vers une recherche plus sociologique et politique. Autour de reflexions sur les réelles raisons de l’implication des différents acteurs et notamment celle des pouvoirs publics. Les associations d’architectes tendent, aujourd’hui, à évoluer vers des statuts moins flous. Cette entrée dans les rangs, par l’institutionnalisation, est-elle une métamorphose bienfaisante ? Ou ces groupes doivent-ils garder une position militante, pour revendiquer une identité originale ?

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Annexes/ Grille d’entretiens

semi-directif

- Quelle est l’Histoire de la création du collectif ? - L’équipe: quel est votre métier de base ? De quelle école venez-vous ? Ou en êtes vous par rapport à la HMONP (Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre) ? - Projet: sont-ils issus de vos initiatives ou ce sont des commandes ? Légalité des interventions ? - Collaboration: avec qui ? Pourquoi ? - Financements: pour les projets ? La rémunération du collectif ? D’où viennent les financements ? - Votre opinion sur sur les collaborations avec d’autres institutions ? Avantages/ problèmes ? - Vous arrive t-il de souffrir de remarques sur un manque de légitimité? - Comment voyez-vous le futur de votre collectif ?

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Collectif POURQUOI PAS ?!/ Amandine et Etienne, architectes et membres actifs - Quelle est l'Histoire de la création du collectif ? « A la base, on a monté ça en parallèle de la fin du PFE (Projet de Fin d'Etude). Un échange entre étudiant de l'Ecole d'Architecture de Casablanca et les étudiants de l'Ensa Lyon : DEM (Domaine d'Etude de Master) « La fabrique in situ ». Mais c'était au moment des attentats au Maghreb, donc le gouvernement a dit, à cette période, plus aucun étudiants ne quittent le territoire pour se rendre dans ces régions là. Donc le projet tombe à l'eau, on décide d'y aller quand même, on se retrouve un peu tout seule, on commence notre premier chantier ouvert, sans programme, en construisant avec les gens de là-bas (dans un orphelinat, avec les pensionnaires et les éducateurs). Au retour, une fois diplômé, devant la difficulté à trouver du travail à Lyon, on a eu l'opportunité, en échos avec le DEM La fabrique, de retravailler avec l'Ensal sur un projet au Mas du Taureau (Vaulx-en-Velin), on a commencé a avoir quelques heures. On a commencé par le montage d'une briqueterie associative, les prémices de la Fabriqueterie. Ca dure tout un semestre et ça a permis de fédérer le projet, entrer en contact avec les gens dans le quartier. Sauf que, calendrier scolaire oblige, après 3 mois, tout le monde s'en va, il y a plus rien, les gens sont déçues, car une attente a été généré par le projet. C'est plutôt contre-productif, les choses reculent, finalement. La Fabriqueterie nait de cette idée, il faut travailler dans la douceur, la longueur, proposer une démarche, un fil rouge sur plusieurs années, avec une approche modeste, où on s'installe sur un territoire inconnu, on s'intègre là dedans. La 1er année on fait des installations type workshop, et depuis la Fabriqueterie est plus un travail de fourmis. Le plus gros du taff est sur la durée. Le collectif est une association loi 1901, on l'a monté, à la base, pour partir à Casablanca. Et la Fabriqueterie est un projet spécial (tripartite avec l'Ensal, le Grand projet de ville et Pourquoi Pas), parmi d'autre à l'intérieur du collectif. En parallèle de ça, après PFE, plus rien, donc on est à l' initiative de projets, Etienne Benoit et Claire, décide d'aller démarcher pour créer des ateliers de sensibilisation dans les écoles. C'est la qu'Amandine entre en jeu, ayant fait de l'animation. Les contacts sont nés grâce à ça, dans les école de Lyon, au début bénévolement, les écoles sont réceptives donc on continu. On a été voir la maison de l'architecture à Archipel, on nous a trouvé un projet à Bron. Apres ça le réseau se crée, les contacts se forment et d'autres projets arrivent. » « On est tous amis, ou proche donc ça peut poser aussi des problèmes. Etre ami ça suffit pas, car on est pas d'accord sur tout. Par exemple, la 1ere année d'activité, ça a été de longs débats sur pleins de choses ou on a mis en place un règlement, des outils, que tu peux retrouver dans des entreprises dans des sociétés car arrive un moment on peut pas faire autrement. Il est nécessaire d'écrire des bases communes. Tu as une liberté incroyable à être ton propre patron, tu fixes tes règles (mais lesquelles?). Tu pioches du coup dans le système d'entreprise, par exemple. Tient, on aura 5 semaines de vacances par ans. On recalque des modèles pour veillez au bon équilibre. Très vite il faut des bases, comme les vacances par exemple. Parce que Benoit, par exemple, est capable de pas prendre de vacances pendant 1 an, et c'est comme ça que tu fais un burn out, sans t'en rendre compte. Et du coup, chaque personnes a amené des choses différentes et petit à petit tu écris ta constitution. »

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- L'équipe: quel est votre métier de base ? « Historiquement c'était plus riche, pour le projet Casablanca, on avait une archi de Grenoble et un artisan menuisier qui a fait l'Insa. La moitié des membres sont double diplômes en archi-ingé ou l'inverse. Mais maintenant le noyau dure est très archi. » - Ou en êtes vous par rapport à la HMONP (Habilitation à la Maîtrise d'Oeuvre en son Nom Propre) ? « Margaux et Romain (Paris) on fait leur HMONP. La prochaine étape, plusieurs y réfléchisse. Après 2 ans post-diplôme, j'en ressens le besoin. Quand sur un projet tu commences à expliquer : alors je suis architecte mais j'ai pas vraiment le titre. Tout de suite, il y aune ambiguïté. Les gens disent : ha bah en fait t'es pas vraiment architecte ! Du coup, rien que pour la propre fierté, envie de finir le cursus jusqu'au bout. Ensuite aussi en terme de gestion du collectif, la formation HMONP, avec la partie théorique, gestion, finance, administratif, ça aide quand même. En plus, on travail sur des projets avec des architectes, eux peuvent avoir l'avantage financier parce qu'ils sont archi. On a plusieurs approchent pour les autres membres ; certain aimerait faire « Manifeste », passer la HMONP avec le collectif (à l'image de Bouchain et Sophie Ricard par exemple). Mais pas facile à faire passer, il y a des professionnels qui considèrent pas ça comme une vrai pratique de l'archi, donc pas d'habilitation. On commence à faire nos armes, mais ça nous handicap quand on arrive à la maîtrise d'oeuvre. On se ferme des portes tout seul. La volonté, pour tout le monde, c'est de faire la HMONP, mais ça va prendre du temps. Personne est inscrit à l'Ordre. Pour l'instant il est pas question d'exploiter le titre HMONP de quelqu'un. Pour des raisons de structure d'une part et des questions de savoirs, d'expériences. » - Projet: sont-ils issus de vos initiatives ou ce sont des commandes ? « Pour Casablanca et la Fabriqueterie on démarre avec l'Ecole au début : on crée la commande. On attendait pas le projet, ensuite on a été démarcher, trouver les bonnes personnes. On a très peu répondu à des appels d'offres. Le peu qu'on a fait on l'a raté. Ca marche plutôt au réseau. Une opportunité à droite à gauche. On travaille avec des collectivités, avec du public, les interactions sont nombreuses, ça développe un réseau. Dans chaque projet tu rencontres beaucoup d'acteurs du territoire. Et pour les projets particuliers, a dimension social orientée, on tombe très vite dans la même famille. C'est un terrain propice au réseau, un effet de mode aussi. les collectivités sont friandes de ce genre de démarche. On est jeune donc ils nous paye pas trop. Sur Lyon, c'est encore assez sain, il y a pas de concurrence. » - Légalité des interventions ? « Le grand débat du collectif c'est : jusqu'où on va ? On a établi des règles de base : pas être affilié à un parti politique, garder une neutralité, par contre on a une revendication sociale qui nous amène parfois à être à la limite de ça. Par exemple à Vaulx, il y a des immigrés, des gens délogés, on les aide nous. Les projets avec des partenaires tels bailleurs sociaux et la Ville de Vaulx, où c'est ultra lent, les délais administratifs trop longs, donc c'est arrivé plusieurs fois de faire des choses avant d'avoir l'autorisation. Mais on fait pas de « squat » et de projets illégaux. »

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- Collaboration: avec qui ? Pourquoi ? « Anthropologue, sociologue ,au début car ils ont un intérêt à bosser à Vaulx, mais c'est difficile de garder ces personnes là au quotidien (car ce sont des bénévoles). Au début c'est dure de fédérer les gens si on les implique pas dans quelque chose de plus ponctuelle. » - Financements: pour les projets ? La rémunération du collectif ? D'où viennent les financements ? « Aujourd'hui on commence à se financer mais on a pas les moyens de financer d'autres partenaires. Pour nous c'est le partage communiste, tout ce qui rentre va au pot commun et c'est divisé, peu importe qui est sur le projet et combien de temps il a bossé dessus. On divise ensuite par rapport à ceux qui ont dit à l'Assemblée Générale, tout les 6 mois, son investissement. Moi je suis là à temps plein, j'ai une part pleine ou mi-temps, etc. Donc si de l'argent rentre, on est 5 membres actifs pour l'instant, on partage en 6 ; +1 pour le commun, qu'on réintègre après. Avec ça, on amorti les frais de fonctionnement et on investit, pour le local, payer les déplacements, ça permet une autre indépendance du collectif. Tout le monde est à part égale. On est amené à évoluer. Salarier une personne peut-être. Salaires fixes, cotiser pour la retraite. On est tous prestataires, tous auto-entrepreneur,s le collectif nous paye. On est obligé de justifier autre chose, donc des fois on va repeindre la chambre d'un ami, une mission ailleurs, comme ça on justifie qu'on est pas un salarié déguisé de l'asso, mais vraiment un auto-entrepreneur, dont l'activité est consacrée au développement de l'asso. Et ça aussi c'est la limite de notre montage, c'est à revoir. Au début il y a des avantages, tu es exonéré de charges, si t'as moins de sous qui rentre, y'en a moins qui part, et au bout de 2 ans tu payes des charges, car t'es sensé avoir évolué dans ton auto-entreprenariat. Du coup pour nous ça marche plus trop ; donc on va surement changer de forme juridique. Un truc lisse, un peu comme tout le monde. » - Votre opinion sur sur les collaborations avec d'autres institutions ? Avantages/ problèmes ? « Partisan du faire ensemble, tout le monde faut travailler avec. Difficultés : système ancestraux, cohérent quand tout le monde travaillait de la même façon, avec les mêmes bases, il y avait pas les problèmes de chômage actuels, et pas cette nouvelle vague d'auto-entrepreneurs. On est dans 2 mondes différents. Et travailler ensemble, innover, dans les moyens, il faut être réactif au bon moment, c'est pas accordable. Donc on s'adapte. Faut aussi faire attention à pas se faire instrumentaliser par les institutions qui font appel à toi, en terme de renouvellement urbain, avec des opérations importantes, des centaines de foyers, une démolition médiatisée, et t'appelles une équipe de petit jeune, au début bénévole, puis payée tout gentiment pour apaiser le truc, faire que le climat social se délite pas trop. Ca nous questionne en fait sur, pour qui on travaille ? Est-ce qu'on est là pour fédérer des envies de faire, ou juste faire passer la pilule ? On est là par opportuniste ou pas ? Il faut pas devenir un « vendu » ! et surtout à Vaulx. Un mec va te demander, t'es bénévole ?! c'est bien, si non t'es un vendu ! Il faut arriver à expliquer ton étiquette. Mais faut pas tout nier non plus, on fait pas que des projets sauvages, à l'encontre de l'institution publique. On a un certain engagement. On peut pas être anti-système. »

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- Vous arrive t-il de souffrir de remarques sur un manque de légitimité? « Dans les 2 sens oui, de la part des pro c'est plus rare parce que ça a évoluer depuis l'école. Mais de la part des gens qui bosse à Vaulx-en-Velin, ils comprennent pas pourquoi on est là. Ils se disent c'est facile de s'installer à Vaulx, genre vous êtes voisins, vous dites : on partage un cadre de vie commun, mais vous êtes pas comme nous, il y a pas la même problématique qu'eux : on est pas en relogement, on a pas de famille à nourrir. On est peu légitime pour beaucoup de gens. Par rapport aux personnes avec qui on travaille, comme vient de le dire Etienne. Pour les institutions, car c'est des projets qu'ils ont pas l'habitude de voir, et ça leurs paraîent aberrant. Et pour les confrères, on est pas vraiment architectes. Pour eux c'est pas de l'archi. Ce sont ces 3 batailles à mener sur le même front, le plus dure.Une manière de faire différente par rapport à une autre. Je remets en question. Donc c'est moins légitime pour les pro. Tu veux faire un truc autre mais décemment. Sous entendu ce qui est habituel te parle pas. On est issue d'une formation commune, et toi tu fais un choix autre, ça a moins de valeur.. mais ça évolue super vite. Du coté institutionnel les gens viennent vers nous maintenant, il y a du nouveau. Donc à nous d'exploiter cet effet de mode, aussi dans la limite de nos idéaux. Chez les archi, de notre génération, il y en a beaucoup qui se pose la question aussi : mais oui vous avez raison, moi je m'ennuie dans mon taff, mon patron je suis pas d'accord avec ses idées. » « Bruit du frigo, ils doivent se dire : ça bouge enfin, moi ça fait 15 ans que je marche dans le désert, il commence enfin à y avoir de l'écho. Mais eux voit ça d'un bon œil. Le légitimité est pas tombée là par hasard, c'est des gens qui l'ont amené petit à petit, comme Bouchain, comme Bruit du Frigo, comme plein, qui on amené les gens à se questionner. Et du coup, tac, tu te sens légitime, car t'es plus tout seul, tu appartient à un groupe plus large. Ca devient établi qu'il y a du sens. » - Comment voyez-vous le futur de votre collectif ? « A la dernière Assemblée Générale, globalement, l'évolution de la structure, c'est de faire des partenariats, de faire correctement les projets. Dans une recherche de durabilité. La question qui fâche c'est : est-ce qu'on veut que ça soit professionnalisant ? Mais bon, plusieurs sont à temps plein depuis 1 an. L'évolution : un modèle d'association salariale ou coopérative, une évolution juridique de la structure. L'ouverture à d'autres professions, pas que des archi avec le noyau fondateur. Le local va bouger, on va voir le partage de locaux avec d'autres associations. On veut prendre plus de recule et bosser avec d'autres : comédiens, géographes.. bref, stabiliser le système économique du collectif. Est-ce qu'un jour on voudra faire de la maîtrise d'oeuvre ou pas ? On peut pas répondre à ça. Si oui, il faudrait rentrer dans un autre rapport au marché. Est-ce qu'on pourra se démarquer parce qu'on est alternatif ? Est-ce qu'on aura des initiatives de projet aussi ? Et si on se frotte à la concurrence du marché ? Est-ce que ça a encore du sens ? C'est difficile à dire.. Le rêve, c'est de la maîtrise d'oeuvre à la Bouchain mais pas on a pas ses connaissances législatives et politiques. Une partie des membres est pas permanent, 2 vont partir car ils ont une autre perspective d'avenir, ils veulent bosser, en réhabilitation, en agence. Après je pense que tout le monde a envie de faire ses armes à un moment, et si il trouve pas son compte, revenir au collectif mais aussi avec plus d'expérience. »

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BRUIT DU FRIGO/ Jeanette Ruggeri, administratrice - Quelle est l'Histoire de la création du collectif ? « En 1997, à la base, réunion de 2 personnes : Yvan et Gabi, étudiants, partent d'un constat que l'enseignement manque de concertation, participation des habitants. L'idée était de réinjecter les habitants dans les projets de rénovations urbaines ; l'enjeux était aussi d'associer structure et personne » - L'équipe: quel est votre métier de base ? De quelle école venez-vous ? Ou en êtes vous par rapport à la HMONP (Habilitation à la Maîtrise d'Oeuvre en son Nom Propre) ? « Créateurs viennent de l'ENSA Bordeaux, 6 permanents dont 3 architectes, 2 chargés de projets et moi (jeannette : administratrice). statut association avec personnes salariés. Aucun à une maitrise d'oeuvre » - Projet: sont-ils issus de vos initiatives ou ce sont des commandes ? Légalité des interventions ? « Aujourd'hui certain équilibre entre appel d'offre et initiatives. Pour les gros projets, on s'associe pour répondre avec des architectes, des paysagistes et d'autres, qui ont eux du coup l'habilitation à la maitrise d'oeuvre. Mais au début et encore aujourd'hui, on pousse l'initiative, on va chercher le projet, le financement. Après 20 ans d'expériences, on a des commandes. » - Financements: pour les projets ? La rémunération du collectif ? D'où viennent les financements ? « C'est une association, nous les permanents on est salariés de l'asso. Par exemple, le projet des refuges, à la base initiative propre mais maintenant financer par la région bordeaux/ aquitaine. Et chaque année, on essaye de lancer un projet perso qui répond à un site, un point de vue et on cherche des financements. » - Collaboration: avec qui ? Pourquoi ? Votre opinion sur sur les collaborations avec d'autres institutions ? Avantages/ problèmes ? « Selon les projets on s'entourent des professionnels qui correspondent. Architectes habilités pour les projets dont besoin maitrise d'oeuvre, urbanistes, sociologues, artistes plasticien, Artiste culinaire, constructeurs, régisseur général, paysagiste.. » - Vous arrive t-il de souffrir de remarques sur un manque de légitimité? « C'est vrai que la concertation, la participation dans les projets urbain à changer. Une certaine prise en compte d'un regard sur le territoire urbain. Faire la ville autrement n'est pas évident, aujourd'hui les collectivités territoriales se sont emparées de ce genre d'approche, par nécessité. Car on voit maintenant que les projets urbains, notamment

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« banlieues » qu'on appel aujourd'hui « zones prioritaires » n'ont pas fonctionné. Maintenant donc, Financé par l'union européenne pour crée des marchés publics. » - Comment voyez-vous le futur de votre collectif ? « On a peu de visibilité sur le futur, même si on existe depuis 20 ans. Pour l'instant on a juste une vision à 6 mois avec des projets. On est finalement dépendant de cette volonté politique qui fait appel à nous et qui a des financements. On est conscient, on veut continuer vers cette cohésion sociale, cette plus-value du territoire, ce développement politique. Par rapport au statut de l'asso, ça fonctionne bien, je pense on va rester comme ça. Pour la maitrise d'oeuvre. La HMO ça te permet d'être dotés de capacités mais tu peux aussi faire des projets plus complet à petite échelle, plus personnelle. L'idée est de mixer les activités. Mais il y a 2 architectes qui sont partis pour la faire ailleurs, car nous on n'est pas habilité. Ils vont surement revenir. Souvent les gens qui passent chez nous on déjà un regard autre sur la profession et le fonctionnement du système. »

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Bibliographie/

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Elise Macaire, L'architecture à l'épreuve de nouvelles pratiques, recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, Thèse de doctorat en architecture, sous la direction de Jodelle Zetlaoui, 2012 Raumlabor, Acting Public, published by Jovis Verlag, 2008 Patrick Bouchain avec Exyzt, Construire en habitant, édition Actes Sud, coll. « l'Impensé », 2011 Thomas More, L'Utopie,1516, édition électronique ; traduction française de Victor Stouvenel, 1842 Florent Champy, Sociologie de l'architecture, Edition La Découverte, 2001 Elise Macaire, Des architectes dans le champ socioculturel, in Shapiro (R.), Bureau (M.-C.) et Perrenoud (M.) (dirs.), L’artiste pluriel. Démultiplier l’activité pour vivre de son art , éditions du Septentrion, Lille, 2009, pp. 161-171. Patrick Bouchain, Construire Autrement, comment faire ?, l'impensé, Acte Sud, 2006 Olivier Chadoin, Être Architecte : Les Vertus de l'Indétermination, Une sociologie du travail professionnel, édition pulim, 2013, 384p. Guy Tapie, Les architectes : mutations d'une profession, L'Harmattan, 2000, 320p. La Cartonnerie, Expérimenter l'espace public -Saint-Etienne- 2010>2016, édition Puca, Carton Plein, 2016, 301p. Simon Wuhl, La démocratie participative en France : repères historiques, recherche et débat sur la gouvernance, 2007. Nicolas Douay, M. Prévot, G. Comhaire, D. Jamar, L. Reynaud-Desmet, S. Gravereau, C. Grout, C. Didier-Fèvre, L'Information géographique, Activisme urbain : art, architecture, et espace public, 2012/3, Armand Colin (Vol. 76), 100p. Édith Hallauer, « Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? », Métropoles, 2015 Pierre Dardot, Christian Laval, Commun, essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, Paris, 2014

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Sources/

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Vidéos/ « Main mise sur les villes » Documentaire sur la question du droit à la ville et la démocratie urbaine réalisé par Claire Laborey, produit par CHAMAEROPS PRODUCTIONS, ARTE FRANCE, 2013/ https://www.youtube.com/watch?v=g_i_Ti1unOs Extrait d'un interview dans le cadre de la conférrence internationale SmartCity, en 2010 à Paris/ http://www.smartcity.fr/ciup/projet/ville-creative-et-collaborative-conference-internationalesmartcity-2010.html

Vidéo arte sur la ville 2.0/ http://future.arte.tv/fr/designers-architectes-ecrivains-chercheurs-ouavocats-quelle-est-leur-ville-20?language=de

Conférence « bricolages organisées » par le collectif Encore Heureux, dans le cadre de l'Atelier ANCA à l'Ensa de Nancy, 2016/ https://vimeo.com/165896217 Conférence « Faire (avec) » par le collectif Parenthèse, dans le cadre de l'Atelier ANCA à l'Ensa de Nancy, 2016/ https://vimeo.com/166323049 Conférence de Patrick Bouchain à l'Ensa Lyon, 2009/ http://siam.lyon.archi.fr/index. php/mediatheque/conferences/64-conference-de-patrick-bouchain Conférence de Raumlabor Berlin à l'Ecole spéciale d'architecture, 2011/ https://vimeo. com/23863114

Intervention d’Elise Macaire « Ecosophes, entre marge et polarité dans le champ de l’architecture », au Centre Méridional de l’architecture et de la ville, Toulouse, 2011/ http://www.dailymotion.com/video/xp8b4t_part-1-architectes-ecosophes-intervention-d-elise-macaire-atoulouse-mai-2011_news

Articles/ Revue AMC N° 232 DU 09/04/2014 : Article sur Yvan Detraz http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/ficheanalyse-418.html http://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2012-3.htm http://metropoles.revues.org/5185 http://www.taz.de/!241439/

Sites Internet/ http://Strabic.fr/ http://www.archdaily.com/ http://compta-architectes.com/ http://www.lemoniteur.fr/ http://www.gpvvaulxenvelin.org/ http://www.spatialagency.net/ http://www.collectifetc.com/ http://collectifpourquoipas.fr/ http://www.bruitdufrigo.com/ http://construire-architectes.over-blog.com/ http://carton-plein.org/

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Résumé/ Depuis la fin des années 1990, on découvre l'émergence de collectifs d'architectes. Cette évolution de la pratique de l'architecture a vu le jour dans des contextes difficiles. La formation de cette profession a vécu différents changements autour de son histoire, engendrant la constitution d'un métier, à l'identité forte. Les membres de ces groupes ont, souvent, suivi des trajectoires mouvementées, poussant l'élève architecte dans ses retranchements et voulant changer les codes établis par ses ainées. Ces architectes, en structure associative, revendiquent, alors, des processus alternatifs à la méthode traditionnelle de maîtrise d'oeuvre. Leurs interventions sont de plus petite envergure, pour des raisons économiques. Ils développent des outils expérimentaux, autour de l'espace public, avec comme ingrédient de base la participation et la concertation des habitants. Cette nouvelle manière de faire la ville, plus sociale, pose les questions de la réalité de l'architecture actuelle.

Mots-clés/ Architecture - collectif – profession - alternatif - expérimental participation - social – égalité

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Abstract/ Since the late 1990s, we have discovered the emergence of architect's collectives. This evolution of the architecture's practice was born in difficult contexts. The formation of this profession has undergone various changes around its history, creating a trade, with a strong identity. The members of these groups often followed eventful ways, pushing the pupil architect into his entrenchments and wanting to change the codes established by his elders. These architects, in an associative structure, claim alternative processes to the traditional method of project management. Their interventions are of a smaller scale, for economic reasons. They develop experimental tools, around the public space, with as a basic ingredient the participation and consultation of the inhabitants. This new manner of making the city, more social, raises the questions of the current architecture's reality.

Keywords/ Architecture - collective - profession - alternative - experimental participation - social - equality

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