TOUS À LA MOUCHE ! La réhabilitation du patrimoine ferroviaire du quartier La Mouche ou la reconquête d’une hétérotopie
ÉTUD. UNIT
DESMAISON Isis
UE101A - PROJ 10 - MEM (My Ethique Maïeutique) DE PFE HAYET William -
PFE
MASTER ARCHI
S10 ALT 16-17 FI
© ENSAL
AVANT-PROPOS/
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Ce Projet de Fin d’Etudes s’inscrit dans une continuité de parcours. Après avoir développé une réflexion lors de mon mémoire de master sur les nouvelles fabriques de La Ville et notamment sur l’émergence des collectifs d’architectes, j’ai eu l’envie d’être au coeur de l’action. En Décembre 2016, j’ai pris part à l’association Ateliers La Mouche. Ce collectif d’architectes, urbanistes, historiens, artistes, paysagistes, et bien d’autres professionnels ou passionnés, vise à valoriser le patrimoine de nos territoires, et propose de mener des projets urbains citoyens. Très vite, l’aventure s’est concrétisée par la réalisation d’un stage auprès d’Ateliers La Mouche, sous la tutelle de l’agence Relations Urbaines. Mon projet a alors voyagé entre ces deux structures et l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon.
Schéma type «mindmap» retracant l’ecosystème du projet
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SOMMAIRE/
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HETEROTOPIA/
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LIEUX DES POSSIBLES/
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CONTEXTE/ PROBLÉMATIQUE/
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LA MOUCHE JADIS/ UN TERRITOIRE BERCÉ PAR LE FLEUVE
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L’ARRIVÉE DU CHEMIN DE FER
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LA GRANDE AVENTURE INDUSTRIELLE
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VERS UNE NOUVELLE IDENTITÉ ?
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CONCEPT/
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LA CULTURE FORAINE/
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RETOUR CRITIQUE/
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BIBLIOGRAPHIE/
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HETEROTOPIA/ MICHEL FOUCAULT
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Le thème principal s’articule autour des Hétérotopies, des délaissés de la ville. L’hétérotopie, concept forgé par Michel Foucault (1926-1984), est souvent définit comme un «espace autre». Les hétérotopies sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, comme une cabane d’enfant ou un théâtre, par exemple. Elles sont donc des lieux à l’intérieur d’une société qui en constituent le négatif. On y trouve le jardin, la prison, le couvent, le cimetière, mais aussi l’île, le navire, etc. J’ajouterai à cette liste les interstices, les espaces vacants et les sites en friches. Ce sont bien des endroits en marge de notre société, hors du temps mais pourtant réels dans nos territoires et finalement riches d’espaces.
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LIEUX DES POSSIBLES/
Yona friedman Spatial city, project perspective, 1958
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La ville est en pleine mutation. Entre le développement de villes intelligentes, régies par le numérique, et l’émergence de mouvements collectifs qui rassemblent les citoyens, nos territoires sont en pleines métamorphoses. Aujourd’hui, la population s’organise en dehors des institutions. On cherche à changer la fabrique des politiques publiques. De nouvelles pratiques voient le jour, et font face aux évolutions de la société vers un «vivre ensemble et autrement». On l’a vu, lors de l’expérience «Nuit Debout», les citoyens des villes ont réinvestit l’espace public, à l’image de la place publique pour sa fonction d’origine: la traditionnelle agora des cités grecques antiques, lieu de rassemblement social, politique et mercantile. Le citoyen cherche à réintégrer la société à laquelle il appartient. Il veut reprendre sa place et rencontrer d’autres personnes de ce même environnement. Cette démarche n’est pas neuve. On emploi la notion de « droit à la ville »1. Ce terme est issu du livre, du même titre, écrit 1/ L. Costes, «Le Droit par Henri Lefebvre en 1968. Publié peu avant les émeutes de mai, à la ville de Henri : quel hérice « manifeste » s’inscrit dans une période marquée par l’urbanisme Lefebvre tage politique et fonctionnaliste, la décentralisation industrielle, l’éloge du pavillonnaire scientifique ?», et sociétés, et le développement des grands ensembles. Le gouvernement impose Espaces 2010 (n° 140-141), ses nouvelles orientations urbaines. L’auteur, voit la nécessité d’un p. 177-191. avenir plus favorable à l’Homme. « Le DAV (Droit A la Ville) ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme un droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée ». Lefebvre crée ainsi une nouvelle pensée sociologique de l’espace urbain. Parallèlement, le terme d’activisme urbain, voit le jour. D’abord, Activisme, nom masculin, est définit comme le système de conduite qui privilégie l’action directe (en particulier dans le domaine politique et social). Ensuite, Urbain, adjectif, signifiant qui appartient à la ville. Le terme d’activisme urbain définirait alors un processus d’action politique et/ou sociale mené directement dans la rue, dans l’espace urbain.
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La ville apparaît donc comme le site, support de revendications de la part des professionnels et amateurs de l’art et de l’architecture (collectifs, artistes de rue, théâtre de rue, graffeurs, etc..). Ces derniers s’inscrivent, grâce à l’espace public, dans une démarche dite « sociale». Ils peuvent toucher directement le public, le passant, l’interrogeant sur les nouveaux enjeux sociaux et environnementaux. On retrouve également l’idée de partage de lieu favorisant ainsi un processus alternatif pour une fabrication commune de la ville. Les actions, par le biais d’événements, d’installation artistique, soulignent, défendent un propos. Dans l’objectif de créer l’événement, d’interpeller le passant sur son quartier, sur son territoire. Une remise en question générale s’impose. La ville devient alors support de manifestes, proposant une vulgarisation de la pensée car la culture ne se fait-elle pas aussi avec les non-architectes et les non-professionnels ? Ces appropriations « sauvages », ou non, mettent en avant un nouveau modèle, en marge, d’expressions. Les associations, militantes dans la ville, entrent en résistance douce afin de faire entendre leurs voies, et celles des habitants.
2/ «Main mise sur les villes», documentaire réalisé par Claire Laborey, produit par CHAMAEROPS PRODUCTIONS, ARTE FRANCE, 2013/ Source :https:// www.youtube.com/ watch?v=g_i_Ti1unOs
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Olivier Mongin, sociologue, évoque les nécessités d’une société autonome : « il faudrait une démocratie urbaine auto-gestionnaire, auto-productive, qui arrive à fonctionner sans le pouvoir public, en somme être capable de s’organiser par elle-même. »2 Par ailleurs, des processus de fabrication des espaces publics se multiplient, nous apprenant à ne pas avoir peur des territoires semioccupés. Des interventions architecturales temporaires, légères et expérimentales prennent place dans les brèches, les creux de la ville. Les usages sont réinventés. Durant quelques jours, quelques semaines, des actions locales sensibilisent les habitants, de manière ludique par rapport à leur environnement urbain. S’agit-il de recréer des pratiques civiques ? De retrouver le plaisir de la ville ? Il se forme une résistance douce aux villes standardisées, banalisées. L’habitant reprend sa place dans les idéaux des places publiques partagées.
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L’action collective reprend alors forme dans nos moeurs. Les populations s’agrandissent et les métropoles s’étalent. Face à cela, les surfaces à louer sont rares et onéreuses. Pourtant, ils subsistent au coeur des villes, de nombreux délaissés. Abandonnés par des entreprises, des habitants, ces «dents creuses», où le temps s’est arrêté, ont, elles-aussi, le droit d’exister. Dans ces cas, la reconversion, la réhabilitation de bâtiments est importante afin de contrer l’étalement urbain. Nous devons évoluer vers une politique de densification. Il faut construire la ville sur la ville.
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Occuper le négatif des villes afin de promouvoir une pensée n’est pas une idée nouvelle. Les premières «friches culturelles» datent des années 1970 à Berlin, Amsterdam et Bruxelles. Elles étaient prétexte à la contre-culture, qui comptait faire ressortir les lacunes des politiques culturelles en occupant des lieux vacants. Le concept se répend à partir de 1980, en France et en Europe. De nos jours, il faut réinventer le modèle de la friche industrielle culturelle. Il faut faire de l’usine une machine de l’action et permettre le recyclage de l’industrie. De plus, l’esthétique singulière de l’usine, sa charge émotionnelle ou symbolique, ses volumes et ses surfaces atypiques en font un lieu de création idéal. Ces lieux proposent l’opportunité d’acquérir des locaux bon marché en pleine ville. Par ailleurs, une plus-value d’image est apportée par la culture, qui devient facteur d’attractivité et moteur d’innovation.
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Les Grands Voisins, occupation des lieux de l’ancien hopital Saint Vincent de Paul, Paris
Les friches, industrielles ou non, se transforment alors en laboratoire de la cité. Elles peuvent susciter une attitude nouvelle, plus émancipante et généreuse. Elles sont des leviers de développement et des outils de la transformation urbaine. L’idée conductrice est alors de redonner une belle image à la friche, lieux des possibles.
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RIEN N’ARRETE LE POUVOIR DE L’INSTITUTION PUBLIQUE. LES LIEUX EN PERDITION S’AGGRAVENT ET NE CESSENT DE SE MULTIPLIER DANS LES METROPOLES. COMMENT RENDRE LA VIE À CES HETEROTOPIES ?
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CONTEXTE/ PROBLÉMATIQUE
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2 km
Situation du site à l’échelle de Lyon
Proche du centre historique de Lyon et de la zone tampon du secteur UNESCO, le site SNCF Lyon-Mouche se situe dans l’arc ferroviaire sud-est de la ville, dans le quartier de Gerland, au coeur du 7ème arrondissement. À 5 mn de la station de métro « Jean Jaurès » sur la ligne B, qui irrigue la ville du nord au sud via la Part-Dieu, à 10 mn de la place Jean-Macé où s’entrecroisent métro B, tramway T2, lignes de bus et gare TER. On rejoint aisément le site de tous les coins de la Métropole.
SITE D’ÉTUDE SITE DE PROJET 0
250
500 m
Situation du site à l’échelle de Gerland
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Toutefois, on ne découvre ce lieu que si un cheminot nous y invite. Le site est une propriété privée de la SNCF, qui a concentré son activité industrielle plus loin, sur d’autres parcelles, en construisant de nouveaux édifices permettant d’accueillir l’évolution des machines. L’activité ferroviaire de Lyon-Mouche s’amenuise et la nature a déjà repris ses droits dans certains bâtiments. Disparu depuis longtemps des cartes et des esprits, le dépot est délimité par une enceinte murée qui empêche quiconque d’y pénétrer. Pourtant l’esprit curieux pousse à franchir les limites, à voir l’intérieur. Sur un mode insulaire, le site s’est taillé une place de choix dans le tissu urbain : arrimé au talus ferroviaire sur une plateforme haute de 5 mètres, il occupe une emprise de 6,5 hectares en balcon sur la rue Paul Massimi, sa principale interface avec le quartier. Au-delà de ses frontières, le site Lyon-Mouche révèle alors une large palette d’ambiances, de volumes et de perspectives, dans une composition particulière entre édifices et grands espaces à ciel ouvert : petite cour, rotonde, atelier, grande cour, magasin général… Finalement, un patrimoine et une âme uniques, loin de l’agitation urbaine.
Alors quelle dynamique nouvelle choisir pour cet espace en devenir ? Comment sortir de son carcan sans oublier l’histoire ?
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LA MOUCHE JADIS/ UN TERRITOIRE BERCÉ PAR LE FLEUVE La Mouche n’apparaît que rarement sur les cartes avant la première moitié du XIXe siècle. Le territoire est une vaste étendue à demi-sauvage fait d’îles, de lônes, de marécages et de champs cultivés. Le Rhône vagabonde entre la végétation et noie les fermes, les chemins sur son passage lors de ses fréquentes crues. L’origine de l’appellation La Mouche pour la partie Nord de Gerland reste mystérieuse mais pourrait rappeler les nombreux petits ruisseaux (les mouches) qui y coulaient.
3/ Dominique BERTIN (dir.), Lyon de la Guillotière à Gerland. Le 7e arrondissement, 1912-2012, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 2012
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Frontière et synonyme de désastre, le fleuve est également un axe de circulation et un atout économique majeur. Il y avait, dans les années 1840, une tuilerie, une vitriolerie liée à la fabrique de la soie, des chantiers de construction navale... et de nombreuses guinguettes. « On venait ‘se caler une dent’ chez Argenson avec la friture du Rhône dans le quartier de La Mouche. (…) Des barques se rendaient même sur les îlots qui émergeaient en période de décrue »3. Il faut attendre 1830, date de la construction de la digue qui permit l’assèchement des lônes, pour que se développe à Gerland un début d’activité agricole. Après 1840, La Mouche se retrouve derrière la première ceinture de fortifications, en dehors de la ville de Lyon.
Plan du territoire de la Guillotière et de Gerland, 1701
23 Représentation des lônes, 1801
L’ARRIVÉE DU CHEMIN DE FER Par la suite, vers 1850, le chemin de fer relie Paris à Lyon, pour atteindre Marseille en 1855. C’est la création de la ligne Paris-LyonMéditerrannée (PLM). Cette arrête impériale, souvent empruntée par Napoléon III, traverse la ville via les gares de Vaise, Perrache et Jean Macé. C’est ici que le centre de dépôt et maintenance des locomotives prend ses fonctions. Les rails viennent cerner au Nord et à l’Est les terres de Gerland, qui occupent désormais une superficie de 700 hectares. La physionomie du quartier se structure peu à peu et le train favorise la mutation de ce territoire rural en un faubourg industriel. Alors, le destin de La Mouche se scelle pour plus d’un siècle. Le site de dépôt vapeur Lyon-Mouche est alors le plus grand de la ligne PLM. Il accueille les locomotives les plus élaborées pour assurer le transport de voyageurs et de marchandises sur le réseau ferré national. Le lieu comprend notamment un magasin général (usinage de pièces, fabrication des graisses nécessaires aux machines, stockage) et une école de soudure. Mais aussi un atelier de levage et de réparation, flanqué de deux rotondes à coupoles. Ces dernières possèdent 32 voies rayonnantes, desservies par un pont tournant central (pour le remisage des locomotives). Elles sont constituées d’une structure modulaire et de fosses d’entretiens. En 1960, la rotonde Nord est réaménagée, elle subit des extensions en béton pour recevoir les nouvelles locomotives électriques. C’est à ce moment que la rotonde sud disparait du paysage.
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Le plan de Gerland se dessine, on y aperรงoit les deux rotondes de La Mouche
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LA GRANDE AVENTURE INDUSTRIELLE Lyon Mouche fut la porte ouverte sur l’industrie. De nombreuses usines s’installent car de grands terrains vierges sont accessibles grâce aux rails. Le coût attractif foncier attire donc la SNCF et également l’armée. Ils acquièrent de grandes parcelles qu’ils occupent encore maintenant. La construction des locaux industriels se fait en fonction des besoins, des opportunités, sans pertinence urbanistique. La trame viaire de Gerland en est encore une trace aujourd’hui. Comme au sud de la Presqu’île, après Perrache, « derrière les voûtes », le pragmatisme l’emporte sur l’esthétisme. Le quartier s’organise le long d’un axe Nord-Sud, l’avenue Jean Jaurès, fait office d’épine dorsale de l’arrondissement. Cependant cette urbanisation florissante n’a pas pu contrer l’insalubrité de l’époque. En effet, le développement de grandes usines - Mûre, Fagor-Brandt, Câbles de Lyon, construction navale (bateauxmouches), demande une masse croissante d’ouvriers. C’est alors que de nombreux immigrés viennent travailler à Gerland. Ils sont logés dans des taudis du quartier La Mouche, on les appelle les «baraques de Gerland». Finalement l’abus de cette main d’oeuvre prend fin vers 1912. Après l’arrivée tardive du tramway à La Mouche, les Grands Travaux du maire Édouard Herriot et sa politique sociale transforment Gerland. L’avenue Jean Jaurès est ainsi prolongée depuis la place Jean Macé jusqu’au futur Marché aux bestiaux et Abattoirs de La Mouche (19081928), dessinés par l’architecte en chef de la ville Tony Garnier : ils accueillent l’Exposition Internationale Urbaine de Lyon de 1914, consacrée à la cité moderne, à l’hygiénisme et au progrès social. Avec son plan magistral de 24 hectares, Tony Garnier va former le noyau du quartier : tout près, la cité-jardin (Robert & Chollat), le groupe scolaire Aristide Briand puis le stade omnisports de Gerland (alors le plus grand de France) offrent les premiers logements sociaux et équipements publics. Il s’en suit la création du Port Edouard Herriot qui accroît encore l’activité industrielle lyonnaise. 26
Les «baraques de Gerland», Lyon, 1930
Usines à gaz de Gerland, Lyon, 1920
Les Abattoirs de La Mouche, T. Garnier, Lyon, 1918
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VERS UNE NOUVELLE IDENTITÉ ? Gerland reste un quartier méconnu car il possède une mauvaise réputation héritée de son passé industriel. Ce territoire abrite de nombreux édifices remarquables. Nous pouvons déjà citer le Château de Gerland, ancien domaine de 133 hectares avec ses dépendances agricoles, appartenant à une riche famille. Il fut construit vers la fin du XVème siècle. Il est le siège de la maison du département du Rhône jusqu’alors. En 1914, la construction du bâtiment principal des Abattoirs de La Mouche, confié à Tony Garnier, est achevé, il est aujourd’hui reconverti en salle de concerts et d’expositions. On se pose également la question de l’avenir du Stade omnisports de Gerland (réalisé par le même architecte en 1926), monument classé, n’hébergeant plus l’Olympique Lyonnais. En 1931, la Cité-Jardin de Robert et Chollat, marque la transition vers des ensembles de logements aux typologies nouvelles. Il ya aussi l’église Saint-Antoine réalisé par l’architecte Bonnamour en 1935. Cette liste, plus longue, prouve que Gerland n’est finalement pas un désert architectural. De nos jours, le quartier tente de marquer sa mutation: l’activité industrielle a cédé la place à un espace résidentiel que la proximité du fleuve a sûrement favorisé. La construction de plusieurs ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) en témoigne. Elles vont faire s’accroitre la population avec 8000 à 10000 habitants en 2020. La délocalisation des industries a libéré beaucoup de foncier comme nous le montre les nombreuses friches du quartier. Le départ prévisible d’autres entreprises offre de nouvelles perspectives pour l’urbanisme futur.
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Le quartier est aujourd’hui le deuxième pôle tertiaire de la Métropole. Après la déprise industrielle, la mutation du quartier s’active. De nouveaux liens se tissent avec le reste de la ville, les usines disparaissent progressivement et avec elles une mémoire et un paysage singuliers, dont les habitants et les associations tentent de garder des traces pour mieux accueillir les métamorphoses contemporaines. Gerland a besoin d’un nouveau poumon. L’arrondissement est trop disparate. Il faut inventer une nouvelle centralité, un
marqueur d’identité urbaine.
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CONCEPT/
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La démarche alternative vise à travailler avec LES existants: le patrimoine bâti présent et les habitants/associations engagés du quartier. Il s’agit de proposer l’Architecture comme faire-valoir du territoire par le biais du collectif, de l’expérimentation, et de rendre de nouveau attractif un site en perdition grâce à la culture.
PHASAGE: L’ARCHITECTURE EN TRANSITION Le projet propose de reconvertir le dépôt ferroviaire Lyon-Mouche autour d’un programme d’activités culturelles et mobiles, sur une temporalité partagée entre trois phases successives. Ce phasage va permettre de réintégrer le lieu, d’une façon douce, dans son tissu urbain. La première étape est événementielle : elle révèlera d’abord le site grâce à des manifestations ponctuelles. La deuxième phase suit le principe de l’urbanisme transitoire (éphémère), en alliant la dépollution par zones et l’expérimentation d’activités économiques viables. Le projet urbain intervient au troisième stade, en installant les bases d’une architecture pérenne. En bref, l’idée directrice est que le site Lyon-Mouche traverse des cycles d’activation, grâce à des interventions de petites dimensions qui préparent et puissent garantir la réussite du futur projet.
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LES TEMPS DE LA MOUCHE/
2010-2017
Phase 0
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LAFRICHE
2017-2020
Phase 1
EVÊNEMENTIELS
2020-2025
Phase 2
URBANISME TRANSITOIRE
2025-?
Phase 3
PROJET URBAIN
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Le projet va s’inscrire plus spécifiquement dans la phase 2 dite d’urbanisme transitoire. Alors pourquoi, comment et quels leçons peut-on tirer de l’occupation d’un lieu ?
Pourquoi ?
Nous partons du principe qu’un lieu devient vacant ou friche quand il est en suspension entre des temporalités diverses: l’abandon, l’attente d’un nouveau propriétaire, l’incertitude située entre l’appel à projet et le début de la construction ou simplement la négligence, comme le dépôt de La Mouche. Afin qu’un lieu soit dans un mouvement presque continu, dans une sorte de circuit court, nous avons relever plusieurs atouts à l’architecture en transit. Le premier intérêt à résorber cette vacance est sans aucun doute le réemploi patrimonial. Il faut utiliser les espaces déjà présents dans nos villes. Par cela, nous allons valoriser le patrimoine inutilisé en permettant à des projets de naître ou de se développer. La seconde opportunité devient l’économie de moyens où prime la valeur d’usage. Ainsi occuper un local à bas coût dans des espaces dont les qualités architecturales sont souvent sous-estimées. Finalement pour la résilience du territoire, le concept vise à redonner vie à court terme à des bâtiments, des zones pour l’instant délaissés afin d’orienter leur attractivité à plus long terme.
Comment ?
4/ Nicolas Douay, « L’activisme urbain à Montréal : des luttes urbaines à la revendication d’une ville artistique, durable et collaborative », L’Information géographique 2012/3 (Vol. 76), p. 83-96.
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Au travers d’un processus de recherche-action, différentes expérimentations vont être mise en place. Comme des projets à petite échelle, qui transforment l’espace urbain local et permettent de participer à des débats plus globaux 4. La parenthèse temporelle de ces lieux se transforme alors en laboratoire. Pour tendre vers une adaptation en douceur, le programme comptera une permanence architecturale.Cette notion trouve sa source dans le monde du spectacle. Durant le projet de reconversion de la Friche Belle de Mai à Marseille, de multiples permanences artistiques se déroulent. « C’est le metteur en scène François Cervantes, avec sa Compagnie L’Entreprise, qui affirme avec l’occupation de la Friche la nécessité d’une permanence artistique dans la ville, pour tenter de construire une relation régulière
avec le public. »5. Patrick Bouchain et son atelier, Construire, mettent notamment en place des « cabanes de chantier » ouvertes à tout le monde, accompagnant le projet dans sa continuité. Habiter le chantier, rend compte des besoins complexes d’un lieu et de sa population. Un principe également testé à la Biennale d’architecture de Venise. L’atelier Construire, associé au collectif Exyzt, a demeuré au pavillon français. Ils ont ainsi prouvé la capabilité de l’architecture: moins elle est anonyme, plus elle est appropriable.
5/ Édith HALLAUER, « Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? », Métropoles, 2015
Une des démarches sera la participation des habitants. Ils sont intégrés au projet de reconversion, et deviennent acteurs de la fabrication de leurs quartier, grâce à des réunions de concertation, des études originales ou encore invités lors de chantier dit participatif. L’idée est aussi de créer du lien, de ré-injecter l’architecte dans un cadre plus ouvert, plus proche du public. De plus, le mode transitoire va permettre l’aménagement morceau par morceau, tout en connaissant l’incidence de chacun sur l’ensemble. Certains édifices seront dépollués, remis en service, pendant que d’autres accueilleront une fonction éphémère permettant à l’activité économique du lieu de se développer, sans grande interruption. Le site sera la scène d’évènements culturels et politiques, de formations, d’ateliers de réflexion afin de tisser une synergie avec son environnement.
Concert en plein air lors de la réactivation de Matadero, ancien abattoirs de Madrid
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Quelles leçons peut apporter l’occupation temporaire ? Le site devient le levier d’une transformation urbaine plus large. La culture du squat est réinventée. Cette appropriation entre, le plus souvent, dans un cadre légal moyennant un bail dérogatoire ou une convention d’occupation temporaire. Ce phénomène se développe alors de façon plus institutionnelle, encadré et visible. Parallèlement, le chantier ouvert peut nourrir le projet. Les installations éphémères apprivoisent le site, le vide, l’espace, invitent à l’exploration. Elles s’inscrivent dans une dynamique faisant signal à travers l’urbain.
6/ Patrick BOUCHAIN, Construire Autrement, comment faire ?, l’impensé, Acte Sud, 2006
L’architecte, grâce à la permanence, est au coeur des histoires de quartier et anime le lieu. L’approche porte une dimension abstraite et expérimentale de recherches prenant place, on l’a vu, dans l’espace public. Patrick Bouchain conforte cette idée, qui tente de se diffuser à l’échelle de la population : « C’est en s’attachant au « petit » au « micro », à l’individu que l’on peut comprendre et agir sur l’ensemble, le « macro », la collectivité.»6.
Pragmatiquement, La Mouche devient un partenaire au service de la création, elle est un coup de pouce permettant de proposer des lieux abordables, poussant des artisans, des jeunes entrepreneurs à concrétiser leurs actions. L’appropriation se fait alors autour d’une dimension éthique et citoyenne. Le concept crée des outils de ré-activation des délaissés. Il faut alors prendre conscience que ce projet développe un des scénarios possibles. L’exemple de l’occupation temporaire à La Mouche reste unique mais ses dispositifs d’appropriations peuvent aller au-delà et s’appliquer à d’autres lieux en perditions. La multiplication des expérimentations permettra de faire évoluer les pratiques de l’occupation éphémère de l’espace.
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Gare Lille Saint Sauveur, en friche depuis 2001, elle est réhabilitéé en lieu d’exposition en 2008 à l’occasion de Lille 3000
«OCCUPONS DÉJÀ, ON VERRA APRÈS»
P. BOUCHAIN 37
LA CULTURE FORAINE/
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1
2 km
Carte du réseau de La Mouche, activation d’autres lieux
On découvre sur le site de La Mouche, les traces d’un réseau ferré interne, aujourd’hui quasi enseveli sous l’asphalte. Le projet révèle alors cette mobilité in situ et la prolonge en créant de nouvelles voies. Cette mise en valeurs de rails intramuros favorise à l’origine les déplacements de petits wagons. Cette anecdote fut le point de départ du détournement de l’activité ferrovaire du lieu. En effet, le projet propose de construire des nouveaux wagons proliférant sur le site et au-delà. Ils vont faire partie des outils de réanimation du quartier et perfuser la bonne parole. Ils pourront, par exemple, promouvoir un événement ayant lieu à La Mouche. On comprend alors que l’activité mobile s’étend également au-delà du lieu, le long du maillage SNCF, à l’échelle de la métropole Lyonnaise. Ils pourront aussi sillonner la France en prêchant cette nouvelle culture foraine. Le site sera un catalyseur, à l’image de la gare principale d’une ville. Les wagons seront construits et entretenus sur place et pourront voyager à la reconquête du territoire. Leurs actions, semblables à des greffes, vont panser la ville de ses failles et ses blessures. L’idée tend vers une logique de préservation des ressources urbaines.
39 Gravure d’un cheminot poussant un wagon Decauville, 1878
RETOUR CRITIQUE/
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J’ai choisi le Master ALTer-natives, afin d’être actrice de la nouvelle manière de faire la ville. Ce travail reflète la volonté d’exercer mon futur métier en collaboration directe avec les habitants dans un esprit professionnel pluridisciplinaire. J’ai conscience que ce projet de fin d’études ne montre qu’une partie infime de la richesse que peut apporter la reconversion douce, par phases. Dans un monde de la construction qui va toujours plus vite aujourd’hui, peut-être faut-il se poser plus de questions, laisser la place à l’expérimentation et la parole aux citoyens des villes. Pourtant le fétichisme de la participation possède ses limites. Il faut alors accompagner le citadin et lui donner les outils d’une concertation réussie. Le travail sur les friches a également pu pointer du doigt un sujet plus sensible. Il subsiste, en France, un traumatisme lié au squat. « Est-ce que cela va durer ? Quand vont-ils partir ? ». L’urbanisme temporaire est en ce sens une réponse, selon moi, positive. Il pose les bases de l’évolution d’une appropriation des lieux plus sereine, et qui reste éphémère. La vie nomade est enrichissante, mais jusqu’où vont ses limites ? La permanence est-elle la suite du transitoire ? La fin ne serait-elle pas le début ? Ce nouveau mode de faire reste dans une dimension encore peu établie, même si elle s’institutionnalise. L’urbanisme temporaire relève quelques défis. D’abord, l’amorce du projet a un coût et il faut arriver à une certaine fiabilité du modèle économique propre à l’endroit. Par la suite, même si tous les contextes des délaissés sont différents, ils restent soumis à la pression immobilière. De plus, les modes de gouvernance de ces tiers-lieux sont un point crucial. Est-ce que les politiques publiques vont soutenir le projet ? La mobilisation locale sera-t-elle présente ? Qui s’occupe de la gestion des lieux ? D’autres questions plus techniques doivent être pensées : normes de sécurité, accès du public, montage juridique, etc.. Sans oublier de préparer le deuil de la sortie du site.
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En outre, ce concept tente d’éveiller des pistes de réflexion dans les esprits. Faire du projet au travers des usages temporaires, questionne la mutabilité des espaces. La société change, les populations grandissent et l’architecture doit se transformer en conséquence. Finalement, la démarche propose d’expérimenter dans un espace temps délimité de nouvelles manières de faire nos territoires, vers la résilience de la ville.
Le village éphémère à Montréal, Bassin Peel, 2015 43
BIBLIOGRAPHIE/
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