DOSSIER COGÉNÉRATION
Le point sur la gazéification
de la biomasse L a u r e n t Va n d e S t e e n e , G i r a r d P h i l i p p e , C i r a d - F ô r e t
France
L’application traditionnelle de la gazéification concernait jusqu’à présent la production de gaz de synthèse, comme étape intermédiaire à la production d’ammoniac et d’engrais. La versatilité des cours du pétrole, l’ouverture du marché européen et international de l’électricité et le renforcement des contraintes environnementales ont ouvert de nouvelles possibilités à la gazéification et notamment la gazéification de la biomasse.
En effet, à l’opposé des solutions conventionnelles en cycle vapeur, la gazéification permet d’accéder à des solutions techniques de production d’électricité à fort rendement, à la fois pour les petites et moyennes puissances par la combustion des gaz en moteurs thermiques, ou les grandes puissances, avec l’utilisation des turbines à gaz. De plus, lorsque la biomasse est concernée, à cet enjeu énergétique s’ajoute un enjeu environnemental qui n’est plus à démontrer : substitution aux énergies fossiles et réduction des émissions de gaz à effet de serre.
LA GAZÉIFICATION DANS LE MONDE SFA Pacific Inc. qui a réalisé une étude pour le DOE américain a recensé, au niveau mondial, 329 unités de gazéification, tout combustible confondu. Parmi celles-ci, 163 unités sont en fonctionnement ou seront réalisées prochainement représentant une capacité installée d’environ 60 GWth pour plus de 450 gazéifieurs. Toujours selon SFA Pacific, il y aurait à ce jour 33 projets sérieux, en cours de négociation dans le monde, pour une capacité totale supplémentaire de 18 GWth et dont la grande majorité concernerait la production d’électricité. Ce travail fait également remarquer que la tendance pour les projets récents va dans le sens d’une multifonctionalité des installations, couplant gaz de synthèse et cogénération afin d’améliorer la rentabilité économique des unités. L’Europe arrive assez largement en tête en matière de capacité installée, notamment bien avant les Etats Unis. Ces chiffres qui
montrent le niveau de maturité incontestable de la technologie de gazéification ne doivent cependant pas faire oublier que ces installations ne concernent que faiblement des unités biomasse, comme le montre la figure 1.
LA GAZÉIFICATION : QUELQUES RAPPELS La gazéification est une transformation thermochimique d’un solide combustible (charbon, bois, paille, ...) en présence d’un composé gazeux (O2, air, CO2, vapeur d’eau...). Le but de cette transformation est généralement de convertir le solide en un mélange gazeux combustible. Elle se distingue donc de la pyrolyse, opération thermique s’effectuant en l’absence de gaz réagissant avec le solide, et de la combustion dans laquelle la plus grande partie du carbone contenu dans le solide est transformée en CO2. La gazéification, d’un point de vue purement scientifique, se décrit comme une réaction endothermique hétérogène entre le carbone (C) contenu dans le solide et un gaz réactant qui peut être de la vapeur d’eau (H O) ou du dioxyde de carbone (CO2). C + H2O → CO + H2 (1) C + CO2 → 2.CO (2) Sur le plan industriel, lorsque l’on parle de gazéification, l’objectif est donc de favoriser ces deux réactions (1) et (2), qui vont produire le gaz combustible. Cependant, pour se faire, il faudra préalablement ou simultanément générer les éléments nécessaires à ces deux réactions; à savoir, le charbon (ou char) très concentré en carbone, les réactants CO2 et H2O ainsi qu’une quantité importante d’énergie.
Dans les procédés de gazéification, ces trois composantes sont produites par les réactions de pyrolyse ainsi que les oxydations homogène et hétérogène qui interviennent classiquement en combustion. Le pouvoir calorifique du gaz de synthèse obtenu varie classiquement de 3,5 à 6 MJ/Nm3 selon sa concentration en divers gaz inertes tels que l'azote et dioxyde de carbone et dont la concentration dépend essentiellement des agents de gazéification utilisés et des procédés mis en œuvre. Cette valeur est largement supérieure dans les procédés de gazéification à l’oxygène ou la vapeur d’eau. Ce gaz contient aussi divers composés à l’état de traces, HCl, HF, NH3, HCN, métaux alcalins à l’état de vapeur et dont les proportions sont directement liées à la nature du combustible. Enfin, il contient une part plus ou moins importante de composés hydrocarbonés, plus communément appelés goudrons, résultant d’une réduction incomplète des produits de pyrolyse de la première étape de la transfor-
Figure 1 : Unités de gazéification par type de combustible.
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Figure 2 : Puissance des installations envisageables (E Rensfelt, 1997).
mation. Leur concentration dans les gaz est fortement liée au type de réacteurs utilisés et, une fois encore, à la matière première.
LES TECHNOLOGIES EXISTANTES POUR LA GAZÉIFICATION DE LA BIOMASSE Elles sont de deux types, les lits fixes et les lits fluidisés. Dans les procédés à lits fixes, le combustible solide introduit dans la partie supérieure descend par gravité dans le
réacteur et réagit au contact de l’agent oxydant. Le résidu solide, appelé cendres de gazéification, est récupéré en partie basse du réacteur. L’agent oxydant, qui est dans ce cas généralement de l’air, traverse le réacteur. Les gaz formés quittent le réacteur, soit en partie haute dans les procédés à contre-courant (updraft gasifier), entraînant avec eux une quantité non négligeable de produits de pyrolyse et de particules, soit en partie basse, dans les procédés à co-courant (downdraft gasifier), après avoir traversé la zone la plus chaude du réacteur permettant une conversion maximum des vapeurs
de pyrolyse. Le principal avantage des procédés à lits fixes réside dans leur simplicité de construction. Par contre, ils ne s’appliquent en général que pour des installations à usage thermique, dans le cas du contre-courant et pour des installations de petites et moyennes puissances (< 500 kWe) pour le co-courant. Les procédés à lits fluidisés développés pour la combustion et la gazéification du charbon et pour le secteur papetier ont profité aux procédés de gazéification de la biomasse ; les travaux ayant été largement soutenus par un secteur industriel puissant, principalement scandinave. La biomasse, qui aura préalablement été réduite en taille (quelques dizaines de millimètres au maximum) et séchée, est introduite dans un lit de sable, ce qui améliore les transferts de chaleur et de matière. Les réacteurs peuvent être classés en trois catégories en fonction de la vitesse de fluidisation : les lits fluidisés denses, les lits fluidisés circulants et les lits entraînés. La comparaison des différents options mises en œuvre pour la gazéification de la biomasse est donnée dans le tableau 1. Ce tableau met en évidence les critères technologiques qui ont conduit à la dichotomie actuelle, où les petites puissances se sont quasiment toutes tournées vers le lit fixe à co-courant et les unités de grosses
TABLEAU 1 : AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DES DIFFÉRENTS PROCÉDÉS POUR LA GAZÉIFICATION DE LA BIOMASSE AVANTAGES Co-courant - Simple de conception et éprouvé pour certains combustibles - Simple de construction - Taux de conversion élevé - Gaz relativement propre si combustible approprié Contre courant - Construction simple et robuste - Rendement thermique élevé - Plus grande souplesse vis à vis de l’humidité de la matière première Lit fluidisé dense - Bon contrôle des températures - Vitesses de réaction élevée - Bon contact solide/gaz - Construction relativement simple et opérationnelle - Pas de limite de taille - Traitement catalytique dans le lit possible Lit fluidisé circulant - Bon contrôle de température et vitesse de réaction - Grande tolérance par rapport au combustible (type, taille) - Taux goudrons dans les gaz modérés - Taux de conversion élevé - Pas de limite de taille Lit entraîné - Bon contact gaz solide et mélange - Vitrification des cendres - Pas de limite de taille - Taux de conversion élevé - Gaz propre par rapport aux goudrons BOIS ENERGIE N°1/2003 26
INCONVENIENTS - Combustible homogène et de taille significative - Taille des installations très limitée (350 kWe) - Possibilité de fusion des cendres dans la grille du réacteur avec blocage - Faible humidité des combustibles nécessaire - Coût de maintenance élevé (usure) - Température des gaz faible en sortie avec risque de condensation - Gaz très chargé en goudrons - Inadapté à la production d’électricité - Taille minimale pour être économique (20 MWe) - Taux de particules dans les gaz élevé - Pertes de C avec cendres par entraînement limitant les rendements - Nécessite des particules de faible taille - Humidité faible <20% - Sensible à la répartition granulométrique - Taux goudrons modéré à élevé - Taux de particules dans les gaz élevé - Humidité faible < 20% - Taille minimale pour être économique (20 MWe) - Perte de C avec les cendres - Nécessite des particules de faible taille pour bénéfice optimal des propriétés - Coût préparation biomasse élevé - Haute température donne gaz de qualité mais faible PCI - Inventaire des combustibles limité - Très forte taille minimale (>50 MWe)
DOSSIER COGÉNÉRATION puissances, vers le lit fluidisé circulant. La figure 2 illustre ce tableau et précise les plages de puissances escomptables en fonction du type de procédé.
au niveau de la R&D serait plutôt de tenter de maîtriser la production de ces goudrons au sein même du procédé par une meilleure conception.
LES CONTRAINTES AU DÉVELOPPEMENT DE LA GAZÉIFICATION
UNE DÉMONSTRATION INDUSTRIELLE QUI RESTE ENCORE À RÉALISER POUR LA GAZÉIFICATION DE LA BIOMASSE AVEC APPLICATION ÉLECTRIQUE
Comme l’illustre ce tableau, les techniques de gazéification de la biomasse sont à la fois complexes et variées, elles font appel à un savoir faire qui ne s’improvise pas et qui manque encore de recul à la fois sur le plan scientifique et technique. Outre les aspects économiques, les principales difficultés rencontrées résultent directement des propriétés du combustible. La biomasse, en fait il conviendrait de parler des biomasses, est un combustible dont les propriétés varient dans de fortes proportions. Parmi celles qui ont une influence directe sur le choix du procédé, nous pouvons citer : l’humidité, la teneur en cendres, la température de fusion et de ramollissement des cendres, la granulométrie, la dureté, etc. Avec des biomasses d’origines diverses, le choix du procédé devient critique compte tenu des particularités et des rendements de gazéification des différents procédés, des auxiliaires nécessaires, etc. Cet aspect ne milite pas dans le sens d’une diminution des coûts et doit rendre très suspicieux dès lors qu’un procédé se réclame d’une grande universalité. Toujours liée à la caractéristique de la biomasse, mais avec une importance technologique majeure, quel que soit le procédé mis en œuvre, la présence de polluants dans les gaz et en particulier des goudrons, néfastes à une utilisation dans les moteurs et les turbines, cristallise aujourd’hui toutes les attentions. En effet, ce problème n’est toujours pas résolu et leur élimination avant utilisation entraîne des surcoûts importants d’investissement et de maintenance. La mauvaise connaissance de leurs mécanismes de formation et la carence de solutions industrielles satisfaisantes constituent le principal verrou au développement de la gazéification, même si plusieurs techniques d’épuration des goudrons sont e n cou rs d e d é v e l o pp em en t en Europe et aux USA. Il s’agit du craquage thermique ou catalytique, du lavage humide ou de la condensation forcée. Toutefois, la tendance actuelle
Il convient encore une fois de distinguer les installations et procédés de petites et grosses puissances. Pour les installations de petites puissances (< 0,5 MWe), le nombre d’acteurs industriels est fort limité. Si l’on exclu la multitude “d’industriels occasionnels”, le nombre de fournisseurs susceptibles de garantir leurs matériels est extrêmement réduit. Ceux disposant d’une réelle expérience industrielle sont encore plus rares. Pour la production d’électricité, on peut voir émerger quelques constructeurs en Europe, dont la démarche est basée sur une approche plus scientifique, à opposer aux initiatives du début des années 80 qui ont le plus souvent simplement consisté à remettre au goût du jour des procédés issus des années 40. Les procédés proposés restent néanmoins perfectibles et pour la quasi
majorité d’entre eux, centrés sur des lits fixes à co-courant. Même si cette technologie permet de limiter le niveau de goudrons dans les gaz, lorsque le procédé est bien maîtrisé et la matière première adaptée, elle est encore difficilement compatible avec une utilisation fiable et simple de moteur pour la production d’électricité. Le recul industriel fait, de plus, encore défaut compte tenu du faible nombre de réalisations existantes. Il nous semble qu’à ce niveau il est nécessaire de revisiter l’approche technologique et d’apporter des solutions réellement innovantes susceptibles de fiabiliser la technologie. Malheureusement, à quelques exceptions près, les centres de recherches actifs en gazéification se concentrent beaucoup plus sur les lits fluidisés, laissant supposer que le lit fixe a atteint une certaine maturité. Pour les installations de grande puissance, supérieures à 5 MWe, après quelques 30 ans de R&D, la technologie en lit fluidisé a atteint un niveau satisfaisant. La co-gazéification a démontré sa faisabilité et son intérêt au travers, par exemple, des projets autrichiens de Zeltweg (10 MWth) avec Austrian Energy et finlandais de Lahti (60 MWth) avec Foster Wheeler, tous deux sur la base d’un lit fluidisé circulant. Des progrès significatifs ont également été accomplis sur le procédé Batelle au niveau de l’installation de Burlington (60 MWth) dans le Vermont, USA.
Tar Protocol Recommandation pour la normalisation de l’échantillonnage et l’analyse des goudrons de gazéification Les chercheurs et industriels ont souvent développé leur propre technique d’analyse des goudrons, afin de tester et d’améliorer les performances de leurs procédés. Les installations mises en oeuvre pour caractériser et quantifier de manière reproductible les produits organiques contenus dans les gaz sont relativement complexes. Elles nécessitent une ligne d’échantillonnage précise permettant de condenser à froid les goudrons avant leur analyse par chromatographie. Le fait qu'aucune norme n’existe pour ce type d’analyse freine le développement de la filière dans la mesure où il est difficile de comparer les performances des procédés les unes avec les autres. Dans le cadre d'un projet européen du 5éme PCRD, un groupe de recherche a travaillé sur la mise au point d’une procédure d’échantillonnage et d’analyse des goudrons (Tar Protocol), en vue de rédiger une norme européenne applicable à tout type de procédés de gazéification et de fixer des seuils limites d’émissions de polluants. Pour plus de renseignements : http ://www.tarweb.net/
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DOSSIER COGÉNÉRATION Plus spécifiquement pour la production d’électricité, si la solution IGCC (Integrated Gasification Combined Cycle) est perçue comme le concept idéal, son développement et sa mise en œuvre restent difficile dans le mesure où elle implique la maîtrise d’un ensemble complexe d’équipements, depuis la préparation du combustible, jusqu’à la génération d’électricité. Elle est cependant maîtrisée par Lurgi, Texaco et Shell sur la base de lignite, de charbon ou de résidus de pétrole qui ne sont pas réputés être des combustibles faciles. Les obstacles de la biomasse sont donc bien avant tout économique. L’unité de Varnamo en Suède (6 MWe + 9 MWth) sur la base de la technologie Foster Wheeler en cycle combiné a cependant largement contribué à crédibiliser la filière après quelques milliers d’heures de fonctionnement et beaucoup de difficultés, il faut bien l’avouer. Entre le projet ARBRE (8 MWe), qui associe au procédé TPS (gazéification à lit fluidisé circulant) un schéma global avec fourniture de matières premières à partir de cultures en TCR (Taillis à Courte Rotation) de saule, l’unité de Batelle dans le Vermont, qui expérimente la production d’électricité à partir de turbine avec de gros problèmes sur les goudrons et l’unité de Varnamo déjà mentionnée, les unités de gazéification de la biomasse en cycle combiné ne sont pas nombreuses dans le monde, et aucune d’entre elle n’est en fonctionnement à ce jour. Cependant, on peut raisonnablement penser que ces expériences devraient permettrent à terme une plus grande crédibilité de la technologie qui se serait probablement déjà développée, sans la
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contrainte économique forte liée au coût de l’approvisionnement. Seul le projet de démonstration autrichien de Güssing (voir article) d’une capacité de 3 MWe sur un procédé de gazéification développé par l’Université de Vienne couplé à un moteur Jenbacher est à ce jour très prometteur. La démonstration industrielle de la gazéification de la biomasse en grosse puissance reste donc à réaliser. Les perspectives sont certes prometteuses pour autant que les quelques verrous technologiques restants soient levés. L’ouverture du secteur de l’électricité au privé dans de très nombreux pays, poussé par le renforcement des contraintes environnementales et les besoins croissants en électricité, devrait certainement entraîner un développement accéléré de la gazéification. A ce niveau, les pays d’Asie comme la Chine, constituent le marché le plus important en terme de capacité installée et de marché potentiel. L’ensemble des pays en développement, et tout particulièrement les pays tropicaux, qui permettent d’envisager des productivités des plantations énergétiques 3 à 5 fois supér i e u re s à c e l l e s d e l ’ E u ro p e , constituent un marché très important et qui devrait émerger rapidement. Il convient également de rappeler même si cet aspect n’a pas forcément été très développé dans ce document que la gazéification peut permettre la production de carburant de substitution (H2, Méthanol,…). Dans un contexte énergétique évoluant, il n’est pas certain que ces solutions à partir de la biomasse ne soient pas amenées à jouer un rôle prépondérant dans la satisfaction de nos besoins futurs. Enfin, il est évident que les aspects économiques sont fondamentaux et jouent un rôle majeur.
Pour plus d'information sur la gazéification de la biomasse en Europe, le lecteur pourra consulter le site de Gasnet (www.gasnet.uk.net). Gasnet – The Biomass Gasification Network est un réseau européen constitué de 20 membres ; chercheurs, ingénieurs et constructeurs impliqués dans le développement de procédés de gazéification de la biomasse. Le Cirad en est le représentant pour la France. L'objectif de Gasnet est de discuter, échanger, partager les informations relatives au développement de la gazéification de biomasse et des procédés de production de chaleur et d'électricité. Un bulletin d'information est publié tous les 6 mois. Pour recevoir gratuitement une copie, s'adresser auprès de votre représentant-pays. Gasnet fait partie du réseau Thermonet, qui associe deux réseaux, PyNe (pyrolyse), actif depuis 1998 et GasNet (gazéification), depuis 2001.
L’existence d’un marché pour la bioénergie, qui soit compatible avec le coût de la matière première, permettra la levée de certains de ces verrous.