F. LARCHER, KÖB
DOSSIER COGÉNÉRATION
Du bois... au mégawatt Nouvelle centrale électrique de gazéification de la biomasse à Güssing/Autriche Thomas Elsenbruch, Jenbacher AG Autriche
Dans la ville de Güssing, un nouveau processus de gazéification de la biomasse a été mis en place dans une installation pour la production combinée d’électricité et de chaleur qui a donné d’excellents résultats, compte tenu du temps relativement court qui s’est écoulé depuis la mise en service. Basée sur un procédé à lit fluidisé à deux sections, la gazéification est effectuée par de la vapeur qui conduit à une production de gaz à fort pouvoir calorifique et avec un haut pourcentage d’hydrogène. Ce gaz assure les meilleures performances pour une combustion optimisée dans un moteur à gaz. La société Jenbacher AG, constructrice de moteurs, a conçu un moteur spécifique pour obtenir une efficacité et une puissance disponible maximums. Les expériences menées
BOIS ENERGIE N°1/2003 32
jusqu’à présent sont prometteuses pour la production d’énergie à partir de sources renouvelables (biomasse).
CENTRE DE COMPÉTENCE POUR L’ÉNERGIE RENOUVELABLE Au début des années quatre-vingt-dix, la ville de Güssing dans le sud-est de l’Autriche a été confrontée à une
situation économique difficile. Les responsables politiques ont dû réélaborer de nouveaux plans régionaux dans les secteurs de l’économie, de l’agriculture, du tourisme et de l’énergie. Cette étude a eu entre autres pour résultat de mettre en évidence la grande quantité de biomasse disponible dans le secteur. Un nouveau plan énergétique basé sur cette ressource a donc vu le jour, dans le but de remplacer l’énergie fossile par les ressources énergétiques
locales renouvelables. Avec l’application progressive de ce plan énergétique, à long terme, la ville devrait réaliser les objectifs suivants : économie d’énergie, valeur ajoutée locale, protection de l’environnement et développement économique. L’industrie énergétique durable n’est donc pas seulement un slogan pour la ville de Güssing mais une réalité concrète depuis de nombreuses années, ce qui l’a conduite à accueillir le Centre Européen pour l’Énergie Renouvelable. Grâce à l’un des plus vastes réseaux de chaleur fonctionnant à la biomasse et une installation RME (Raps Methyl Ester) pour la production de biodiesel, l’énergie produite à partir de la biomasse couvre les besoins de presque 5 000 habitants. Avec l’entrée en fonction de l’installation de chauffage urbain, la qualité de l’air à Güssing s’est très nettement améliorée (Tableau 1). La construction de ce vaste réseau de chauffage urbain autrichien a été entreprise le 20 septembre 1996. Le projet a été subdivisé en trois parties : la centrale pour la production d’énergie, le réseau de chauffage urbain, les sous-stations de la chaleur. La centrale pour la production d’énergie a été construite en deux phases : l’installation de deux chaudières à biomasse d’une puissance de 3 et 5 MW, suivie de la réalisation du gazogène à biomasse pour la production d’électricité, que nous décrivons plus loin en détail. Le réseau de chauffage urbain comprend deux circuits d’une longueur totale de 14 km à une température de 90 à 110°C. Plus de 300 familles bénéficient de ce réseau de chaleur ainsi que toutes les collectivités de la ville - écoles, crèches, hôpitaux - et certaines industries (installations de séchage du bois par exemple). Pour permettre la production décentralisée d’électricité à partir de biomasse dans des petites installations éloignées des villes, on a expérimenté pour la première fois à Güs-
sing un autre type de centrale. Les partenaires ayant collaboré au développement de ce nouveau système de cogénération lié à la gazéification de la biomasse, de la conception à la réalisation, sont : Austrian Energy (qui est devenue dans l’intervalle REPOTEC) qui s’est occupée de l’ingénierie du projet ; les chercheurs de l’Université Technique de Vienne ; le fournisseur d’énergie EVN et la Société de chauffage du District de Güssing qui ont constitué le réseau RENET Autriche (Renewable Energy NETwork – réseau d’énergie renouvelable).
JENBACHER AG
DOSSIER COGÉNÉRATION
Figure 1 : Schéma synthétique du processus de gazéification
UN NOUVEAU TYPE DE GAZÉIFICATION
LES AVANTAGES DU NOUVEAU CONCEPT
Le concept de base de ce gazéificateur est la division du lit fluidisé en deux sections, une section de gazéification et une section de combustion. Le matériau constituant le lit fluide circule entre ces deux sections mais les gaz restent séparés. Le principe est illustré dans le graphique de la Fig. 1. Le combustible est introduit dans la section de gazéification et converti en gaz par la vapeur à la température de 850°C. Le gaz produit dans cette section est par conséquent exempt d’azote. Le matériau du lit, mêlé à des résidus de charbon de bois, circule dans la section de combustion. Cette section est fluidisée avec l’air et le charbon de bois est partiellement brûlé. La réaction exothermique qui se produit dans la chambre de combustion à environ 950°C, fournit l’énergie nécessaire pour la gazéification endothermique à la vapeur. Par conséquent, la température du matériau du lit à la sortie de la section de combustion est supérieure à la température d’entrée. Le gaz de combustion sera évacué sans entrer en contact avec le gaz produit. Grâce à ce principe de fonctionnement, on peut obtenir un gaz de qualité supérieure sans recourir à l’oxygène pur. Ce procédé peut être obtenu avec deux lits fluidisés reliés par les lignes de transport ou avec un lit fluidisé circulant à l’intérieur. (Fig. 2)
La chaleur nécessaire à la réaction de gazéification est produite par la combustion du carbone mêlé au matériau du lit dans la section de combustion. La section de gazéification est fluidisée avec de la vapeur, tandis que la section de combustion est fluidisée avec de l’air et les flux de gaz s’écoulent séparément (Fig. 2). Ces processus produisent un gaz quasi exempt d’azote à une valeur thermique de plus de 12 000 kJ/Nm 3 (sèche), soit deux fois plus élevée que dans les processus de gazéification comparables qui utilisent l’air. La composition du gaz est détaillée dans le Tableau 2. L e s a u tre s a va nta g e s d e ce tte méthode de production sont sa construction compacte, l’emploi de la vapeur comme agent de gazéification et la réduction de la teneur en goudron dans le gaz produit par rapport aux systèmes de gazéification traditionnels. De plus, la qualité du gaz n’e s t p a s i n f l u e n c é e p a r l ’ e a u contenue dans la biomasse utilisée, ce qui simplifie considérablement le traitement de la biomasse servant à l’alimentation de l’installation. D’autre part, dans ce système, les réactions de combustion et de gazéification s’équilibrent automatiquement, ce qui permet un fonctionnement continu sans gros problèmes de
TABLEAU 1 : RÉDUCTION DES ÉMISSIONS ANNUELLES LIÉE AU RÉSEAU DE CHAUFFAGE URBAIN À BIOMASSE Type d’émission
Dioxyde de carbone CO2 Dioxyde de soufre Monoxyde de carbone (CO) Hydrocarbures (CxHy)
Avant l’entrée en fonction du chauffage urbain à la biomasse
Après l’entrée en fonction du chauffage urbain à la biomasse
Réduction des émissions en pourcentage
6 650 000 kg/a 6 980 kg/a 16 900 kg/a 1 530 kg/a
250 000 kg/a 280 kg/a 2 870 kg/a 610 kg/a
env. 96 % env. 96 % env. 83 % env. 60 %
BOIS ENERGIE N°1/2003 33
DOSSIER COGÉNÉRATION
Figure 2 : Moteur à gaz Jenbacher avec flux de gaz préchauffé.
réglage et de mise au point. Comme nous l’avons dit, la réaction de gazéification est endothermique. La baisse de la température dans la section de gazéification entraîne la diminution de la proportion de combustible totalement décomposé, ce qui provoque l’augmentation croissante de carbone ou de combustible non oxydé dans la section de combustion. Plus la combustion augmente dans cette section, plus la quantité d’énergie transférée au matériau du lit est importante et plus ce dernier fournira à son tour d’énergie à la section de gazéification. On a ainsi une nouvelle augmentation de la température dans la section de gazéification. Ce processus assure également le maintien d’un équilibre stable entre les chambres de gazéification et de combustion. De
plus, la température dans la section de combustion peut être réglée en contrôlant le flux de gaz produit.
DU GAZ À L’ÉLECTRICITÉ Pour le fonctionnement du moteur à gaz, le gaz produit doit être refroidi de 850°C à 40°C. La chaleur du gaz produit et celle qui résulte de son refroidissement sont réutilisées par le réseau de chauffage urbain. Le système d’épuration du gaz est constitué de deux dispositifs : le premier dispositif est un filtre en tissu qui retient la poussière et les particules en suspension. Son efficacité de séparation pour les particules est de plus de 99%. Les résidus du filtre peuvent être recyclés dans le gazogène. Le second dispositif est un système de lavage qui réduit les concentrations
de goudron, ammoniac, gaz sulfureux avec un solvant organique. Ce système permet de recycler tous les résidus dans le processus. Par conséquent, l’épuration des gaz ne produit pas de déchets ni d’effluents mais une optimisation ultérieure du rendement. Le moteur à gaz convertit l’énergie chimique du gaz produit en énergie électrique. Par ailleurs, la chaleur évacuée par le moteur est utilisée pour alimenter un réseau de chauffage urbain. Avec la gazéification de la biomasse, le moteur à gaz Jenbacher JMS 620 GS-S.LC (Fig. 3) atteint un rendement électrique de 37,6 %. Le rendement électrique global de toute la centrale est réduit d’environ 30% par la consommation des systèmes périphériques, mais le
TABLEAU 2 : COMPOSITION DU GAZ PRODUIT PAR DIFFÉRENTS GAZÉIFICATEURS ÉQUIPÉS DE MOTEURS À GAZ JENBACHER MOTEUR
MOTEUR
H2 CO CO2 CH4 N2
BOIS ENERGIE N°1/2003 34
Güssing Autriche J 620 GS
35 – 40 % 22 – 25 % 20 – 25 % 10 % 3–5%
Tervola Finlande J 316 GS
10 – 15 % 25 – 30 % 8 – 10 % 2–4% 45 – 48 %
Harboøre Danemark J 320 GS
Boizenburg Allemagne J612 GS
15 – 18 % 25 – 28 % 7 – 10 % 3–5% 50 – 55 %
9 – 12 % 20 – 26 % 8 – 10 % 3–5% 50 – 55 %
WUT/Wamsler Allemagne J 208 GS
8 – 10 % 13 – 16 % 14 – 17 % 2–3% 50 – 55 %
DOSSIER COGÉNÉRATION
Figure 3 : Schéma du processus de gazéification de la biomasse et du traitement de gaz.
En bas à gauche Figure 4 : Gazéificateur pilote de 100 kW installé à l’Université Technique de Vienne. En bas à droite Figure 5 : Le gazéificateur de biomasse de Güssing.
rendement total d’électricité et de chaleur de l’installation arrive à plus de 85%. L’expérience accumulée après d’intenses activités de recherche et de développement à l’Université Technique de Vienne où a été construite
une installation pilote de gazéification de 100 kW, qui a fonctionné pendant plus de 5 ans (Fig. 4), a été consolidée par une simulation de processus à l’échelle industrielle dans la centrale de Güssing. Au cours de ces recherches et études de modèles, on
s’est aperçu que pour une production électrique inférieure à 5 MW, il n’existait aucune turbine à gaz en mesure d’assurer le rendement prévu de 35 à 40% et qu’en plus, l’autoconsommation d’énergie pour la compression du gaz aurait considérablement aug-
BOIS ENERGIE N°1/2003 35
DOSSIER COGÉNÉRATION Figure 6 : Mesures en ligne de la composition du gaz et calcul de la valeur thermique.
menté. Il a donc été décidé d’utiliser un moteur à gaz Jenbacher J620 GS comme générateur, également parce que la société Jenbacher AG était très intéressée à approfondir l’application de ses moteurs dans le secteur de la gazéification du bois. Dans l’intervalle, Jenbacher AG est entrée dans le réseau RENET Autriche.
UNE MISE EN SERVICE RÉUSSIE La construction de la centrale électrique à partir de biomasse (Fig. 5)
Figure 7 : Mélangeur du gaz à fonctionnement rapide, étudié par Jenbacher.
BOIS ENERGIE N°1/2003 36
à Güssing a commencé le 4 septembre 2000. Le générateur à gaz a été mis en service le 20 septembre 2001 lors de la Journée Autrichienne de la Biomasse, et la première production de gaz a eu lieu une semaine plus tard. Après des mesures de la qualité du gaz sur grande échelle, le moteur à gaz a été mis en route en avril 2002. Sa mise en service s’est effectuée sans problèmes grâce à la qualité constante du gaz (Fig. 6). Un autre facteur important a été le mélangeur du gaz à fonctionne-
ment rapide, spécialement conçu par Jenbacher pour des applications de ce type (Fig. 7). Fin janvier 2003, le générateur de gaz comptait déjà plus de 3 300 heures de fonctionnement et le moteur à gaz plus de 1 800 heures. L’objectif de Jenbacher dans cette installation est l’optimisation du moteur pour ce gaz, qui a une teneur en H2 relativement élevée, à travers un nouveau mode de mélange et l’approvisionnement en gaz du moteur. Des tests d’application pour la réduction des émissions de CO, utilisant un catalyseur d’oxydation, sont en cours. Durant les premiers essais, le moteur a atteint le rendement prévu et les premiers résultats du catalyseur ont été positifs eux aussi même si, bien entendu, nous ne disposons pas encore de résultats à long terme. Malgré cela, on peut dire que sur la courte période qui s’est écoulée depuis sa mise en service, cette centrale pilote pour la production d’électricité et de chaleur à partir de la gazéification de la biomasse manifeste un grand potentiel pour la production d’énergie renouvelable.