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OLIVIER ISSAURAT

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DO SÉ

DO SÉ

LE FRANCHISSEMENT

Le murmure d’une multitude d’écoulements Une course folle au milieu de la prairie L’eau qui ruisselle dans l’herbe humide La terre détrempée Un faux pas, glissade, déséquilibre Vautré dans l’eau gelée Les cimes enneigées Le vent froid qui dévale Retour au campement Ôter les habits alourdis Le corps qui tremble Rentrer dans le duvet Un corps nu, un autre corps nu Se serrer, se réchauffer au plus vite Ressortir pour remplir une gourde Faire bouillir et pourtant Le liquide est à peine brûlant Un sachet de thé, le gaz chantant La lumière bleue sous l’auvent Quelques gâteaux secs Deux corps nus à nouveau Qui se serrent et se serrent encore Et l’eau qui ruisselle Le soleil inonde enfin la vallée

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OLIVIER ISSAURAT MARCHER EST TOUT CE QU’IL LEUR RESTE

Le fleuve épais, obscur, s’écoule pesamment. Si regard perçant, l’on plonge attentivement, On y distingue une armée de spectres maudits. Ils avancent lentement, leurs pas alourdis, Enlisés dans la vase d’une étoffe moirée. Ils remontent ainsi au pont de l’Archevêché Qui enjambe la Seine pour l’Île de la Cité. Les terrassiers ont creusé des marches pavées. Les spectres sans morale, remontant des abysses, Se répandent en villes parmi les fleurs de lys. Cherchant des édifices élancés et pieux, Ils essaient comme ils peuvent d’atteindre tous les cieux. Avec les grands anciens, émergeant du sommeil, Déchirant les nuages pour manger le soleil, Les spectres font grincer les portails de l’enfer, Se couchent sur le Porphyre, en chutant de l’éther. Ils prient de mauvais dieux sensibles à leurs plaintes, Chapelets de tristesse, qui leurs cœurs noirs, éreinte. Si divinité fut, elle détourne les yeux Et s’en va ripailler en d’autres sombres lieux. Les spectres désolés s’en retournent alors, Ils rampent dans la terre nauséabonde encore, Qui n’accouchera que d’horribles silures. Les figures spectrales rêvent pourtant d’un futur : Elles rêvent, sans autre fin, qu’on trouve les clefs, un soir Jetées de par les rampes, celles du Pont des Arts Celle-là qui scellait une promesse d’amour Et déferrons le lien mortel de leurs atours.

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APRÈS LUI LE DÉLUGE

Mes souvenirs ne sont pas très clairs en ce qui concerne cette période. D’abord parce que je n’étais qu’un bonhomme tout juste au sortir de la petite enfance, ensuite parce que les adultes ont une façon bien à eux de raconter l’irracontable. Je sais qu’on empruntait la voie qui passait par la moyenne corniche et qu’on filait avec la Dauphine à bonne allure dans la descente impressionnante qui revient sur Nice. A cette époque, la route portait encore le nom de nationale 7. Nous avions passé l’après-midi chez des amis. Du moins ce que le copain de mes parents, devenu entre-temps beau-frère de mon père, appelait ainsi. Il s’était acoquiné avec un Corse, appelons-le Filipetti histoire de ne pas surcharger ce récit de « le Corse » à tout bout de champ. Le repas avait été ennuyeux car il n’y avait pas d’autre enfant pour venir meubler les discussions interminables des adultes. Je n’avais pas noté l’animosité qui avait plombé l’atmosphère à l’heure du digestif. Une histoire de ligne du parti, communiste à n’en pas douter puisqu’autour de moi, il n’y avait que ça. J’ai même, une fois et contre l’avis de ma mère, assisté à une réunion de cellule avec mon grand-père. Réunion de cellule, cette appellation revêt encore pour moi le caractère d’une aventure sans pareille. On avait désobéi à l’injonction maternelle et il n’en fallait rien dire. Dans une pièce aussi enfumée que le Londres du 19ième siècle lorsque le smog s’abattait d’un coup sur la ville, j’écoutais les secrets qui se racontaient. J’imaginais un projet terroriste à coup de bombe toute ronde de laquelle sortait une longue mèche. Je voyais la politique par les yeux des héros de bandes dessinées, essayez de n’en pas trop vouloir à l’enfant que j’étais. Mais revenons à Nice et laissons la proche banlieue dionysienne en paix. Donc, dans cette Dauphine aussi enfumée que la réunion de cellule sus-citée, nous descendions à tombeau ouvert en direction de Nice. Mon père s’énervait tout seul à son volant et ma mère écoutait distraitement ce discours politique destiné à un enfant et une épouse. Pour elle, il ne faisait aucun doute que le Filipetti était un crétin notoire et qu’il était inutile d’user sa salive pour en résumer la pensée. Si pensée il y avait, ce qui n’était pas certain au demeurant. Les arrivistes de tous poils ont cette aptitude à dénaturer la pensée des autres pour la rendre simpliste. Il s’adresse au peuple comme à des demeurés en pensant qu’une argumentation trop sophistiquée risquerait de les faire voter chez le voisin. Mais laissons cela et occupons-nous de la route qui défile avec vue sur la Méditerranée. D’un coup, le ciel s’est assombri et a mangé la lumière pour jeter la nuit en pleine après-midi. De grosses gouttes avaient commencé à parsemer le pare-brise d’éclats humides cerclés de poussière. Mon père s’amusa de l’orage qui menaçait, nous aussi. Mais deux évènements allaient bousculer nos certitudes en l’avenir. Je passe sous silence la qualité des essuie-glaces mono vitesse de la Dauphine qui n’essuyaient guère plus que le papier journal. Soudainement, les grosses gouttes se changèrent

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en un déluge apocalyptique, on aurait dit que le Bon Dieu faisait son ménage et déversait de gigantesques bassines sur la région. L’asphalte se transforma en torrent, torrent sur lequel roulaient des embarcations en déroute. Un concert de klaxons replaçait dans le droit chemin ceux qui pensaient que les autres avaient disparu comme par enchantement puisqu’on n’y voyait pas à vingt mètres. Mon père avait oublié le Filipetti, le beau-frère et tout ce qui allait avec pour se concentrer sur le tableau de bord et la jauge à essence. Celle-ci indiquait le zéro avec un aplomb proche de l’impertinence. Mon père tapota le tableau de bord sous le regard circonspect de ma mère. Elle avait devancé l’indicateur de quelques minutes car le moteur avait annoncé sa mise au repos sous peu par quelques soubresauts bien sentis. Nous étions donc en perdition sur un océan déchaîné lorsqu’apparut dans le lointain, une trentaine de mètres pour tout dire, une pancarte Esso. Ce n’est qu’une fois le nez pratiquement dessus que nous reconnûmes cette balise pour automobilistes malavisés. Il faut vous dire qu’une panne d’électricité avait plongé tout le secteur dans l’obscurantisme moyenâgeux. La fée électricité avait déserté l’endroit pour aller se faire voir ailleurs. Heureusement nous étions dans le sens de la descente, car le moteur, qui nous avait prévenu encore une fois de sa fin prochaine, rendit son tablier. En roue libre nous abordâmes ce lieu plein d’espoir et d’essence. Un homme courageux affronta la tempête pour nous rejoindre. « En panne sèche par ce temps, vous avez le sens de l’à propos ! » s’amusa notre pompiste. « Heureusement, nous avons encore le moteur débrayable ! » J’écoutais ces informations, intrigué par ce moteur débrayable imaginant je ne sais quelle course magique de pompe à essence déboulant à tout berzingue sur le circuit des 24 heures du Mans. Mais l’homme revint avec un long manche de bois qu’il leva bien haut. « Voilà ce qui va redonner de l’élan à votre véhicule ! » s’écria-t-il sous une pluie qui persistait à être torrentielle malgré l’avis éclairé de mon père. « Ça ne va pas durer, c’est aussi soudain que ce sera court ! » Ma mère avait observé mon père d’un air songeur. En y repensant maintenant, je me demande si l’air en question n’était pas plutôt teinté d’ironie. Mais revenons à l’homme et son balai magique qui allait porter notre voiture dans les airs à la façon des sorcières d’antan. Il planta son bout de bois dans un logement prévu à cet effet et le voici qui actionna la pompe à grands coups de va et vient remplissant le réservoir par giclées d’essence successives. Je fus impressionné par la modernité de cette installation qu’on pouvait faire fonctionner par un moteur ou bien à bras comme la charrette de pépé et mémé. Cette modernité a disparu en même temps que mon enfance. Cependant il me restera toujours en mémoire une aventure aux odeurs électriques, mais tombées du ciel et cet homme providentiel affichant un grand sourire, capable d’affronter à lui seul la colère des dieux, armé d’un unique manche à balai.

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PHOTO : GATIS MARCINKEVICS

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