Dossier énergie - Maintenance immobilière - volume 9 numéro 2

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DOSSIER ÉNERGIE

TABLE RONDE AUTOUR DE LA CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE PAR JOHANNE LANDRY, JOURNALISTE

Dégager des budgets, motiver les locataires, créer des synergies entre les différents services d’opération : les défis en matière d’efficacité énergétique ne manquent pas. Tour de table des enjeux et des bonnes pratiques avec cinq experts en la matière.

GETTY IMAGES PAR RAWPIXEL ET BUBAONE

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DOSSIER ÉNERGIE

JBC MÉDIA PAR DENIS BERNIER

GENEVIÈVE GAUTHIER Directrice nationale, services de consultation Econoler

ANDRÉE DE SERRES, LL.L., MBA, Ph. D. Titulaire de la Chaire Ivanhoé Cambridge d’immobilier, ESG UQAM

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éduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et sa consommation énergétique, tout le monde en reconnaît la nécessité aujourd’hui. « Les propriétaires et les gestionnaires d’immeubles de classe A se montrent généralement préoccupés à cet égard sans toutefois aller aussi loin qu’ils le pourraient », constate Geneviève Gauthier, directrice nationale, services de consultation chez Econoler. Obtenir des certifications LEED et BOMA BEST et moderniser l’éclairage, c’est déjà très bien, mais on peut pousser davantage, fait-elle remarquer. « L’enjeu majeur, poursuit Andrée De Serres (Ph. D.), titulaire de la Chaire Ivanhoé Cambridge d’immobilier à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM), est de convaincre un nombre accru de propriétaires et de gestionnaires de procéder à des investissements pour améliorer l’efficacité énergétique. » Et la plus grande barrière à franchir, explique-t-elle, c’est que les baux commerciaux font en sorte que celui qui investit des sommes importantes – le propriétaire – n’est pas celui qui retire les avantages économiques, puisque les dépenses énergétiques sont généralement assumées par les locataires. « Cela joue de toute évidence sur la motivation des propriétaires », ajoute-t-elle. COMMENT POSITIONNEZ-VOUS VOTRE IMMEUBLE ? « Il faut regarder le positionnement de l’immeuble dans son cycle de vie », insiste Mario Poirier qui, dans le cadre du Défi énergie en immobilier de BOMA, travaille auprès des gestionnaires d’immeuble. Parce qu’il y a là, justement, un avantage à considérer : celui de se positionner comme un bâtiment compétitif où les coûts d’exploitation suivent ceux du marché. Le confort des locataires est aussi un incitatif. 6

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MARIO POIRIER Gestionnaire immobilier Président sortant BOMA Québec

« Si l’on contrôle mal nos systèmes d’énergie, on peut générer des zones de chaleur ou de froid, inconfortables et énergivores », fait-il remarquer. « En effet, poursuit Andrée De Serres, le propriétaire va en retirer des avantages : il améliore l’attractivité de son immeuble, la régularité de son occupation, la satisfaction de ses locataires, qui seront heureux de payer moins cher pour les coûts d’exploitation et de bénéficier d’un meilleur confort. D’autant plus que plusieurs d’entre eux se soucient de participer à l’effort collectif de réduction des GES et seront fiers de crier haut et fort qu’ils occupent un immeuble performant à ce chapitre. » Si le modèle des baux commerciaux répandu dans l’industrie constitue un écueil de taille, on voit maintenant apparaître le bail vert, souligne Andrée De Serres. Dès la signature, locataire et propriétaire peuvent ainsi convenir que si ce dernier investit en efficacité écoénergétique, il pourra bénéficier des économies jusqu’à un certain niveau de récupération de ses investissements. QUELLES SONT LES BONNES PRATIQUES POUR ALLER PLUS LOIN ? La remise au point des systèmes mécaniques du bâtiment (couramment appelée recommissionning dans l’industrie) est la première que recommande Stéphan Gagnon, coordonnateur au service d’accompagnement technique chez Transition énergétique Québec (TEQ). « Plutôt que de s’en tenir à de gros équipements, on va s’intéresser à l’ensemble du bâtiment, le voir comme un tout ; analyser les séquences de contrôle, les horaires d’occupation, les débits, les sondes, les volets »,


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« L’investissement pour un projet de remise au point des systèmes mécaniques du bâtiment se fait principalement en contrepartie d’honoraires de professionnels, une dépense qui n’est pas capitalisable et qui apparait moins tangible que l’achat d’une nouvelle pièce d’équipement. » – Stéphan Gagnon

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE QUÉBEC

STÉPHAN GAGNON Coordonnateur au service d'accompagnement technique Transition énergétique Québec

résume-t-il. Un exercice bien sûr complexe, mais qui peut générer des économies d’énergie importantes de 10 à 15 % et même, exceptionnellement, jusqu’à 30 % pour certains projets. « Avec des investissements mineurs, on peut rentabiliser la remise au point des systèmes mécaniques en moins d’un an », estime le coordonnateur. Il subsiste pourtant une réticence, a remarqué Stéphan Gagnon ; c’est que l’investissement pour un projet de remise au point des systèmes mécaniques du bâtiment se fait principalement en contrepartie d’honoraires de professionnels, une dépense

BENOIT PERREAULT Directeur principal du marketing et du développement des affaires Gaz Métro Plus

qui n’est pas capitalisable et qui apparaît moins tangible que l’achat d’une nouvelle pièce d’équipement. Introduire la culture du recommissionning en continu est rentable, rapporte Mario Poirier, qui a été gestionnaire au Palais des congrès où il a implanté cette pratique qui a contribué à abaisser la consommation de 1,4 à 0,8 gigajoule au mètre carré et à la maintenir à ce niveau. Aborder autrement la gestion de l’énergie est la seconde bonne pratique préconisée par Stéphan Gagnon. Si l’on

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assigne volontiers, dans les organisations, un gestionnaire responsable à chacune des différentes fonctions, plusieurs oublient de nommer une personne ou une équipe responsable de la gestion de l’énergie, c’est-à-dire le suivi fréquent des factures, des compteurs et des projets d’efficacité éner­ gétique. « Il faut avoir des systèmes qui aident à prévoir les besoins d’énergie et à détecter une consommation non conforme. C’est une démarche peu répandue parce qu’en gestion immobilière, on ne considère pas l’énergie comme une dépense compressible. Pourtant, elle l’est généralement. En bonus, améliorer sa consommation énergétique améliore aussi le confort des occupants. » COMMENT ABORDER SA PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE ? La première chose à faire, recommande Geneviève Gauthier, c’est de suivre sa consommation énergétique sur une base mensuelle, pour isoler l’effet de la météo des autres événements survenus dans le bâtiment et qui auraient pu la faire augmenter. Elle cite un cas où en regardant les factures de gaz naturel, on a constaté que l’opérateur de la chaufferie avait oublié de fermer la vapeur alors qu’elle n’était plus requise, ce qui avait fait grimper les coûts de 80 000 $ en quelques semaines. La seconde : comparer entre eux les différents bâtiments similaires de son parc au chapitre de la performance énergé­ tique ou les comparer avec d’autres immeubles de catégorie identique dans le même secteur géographique. « Il existe des plateformes gratuites comme le Portfolio Manager d’ENERGY STAR, un outil en ligne qui donne déjà une idée du potentiel d’économie d’énergie qu’il peut y avoir dans ce bâtiment », dit Geneviève Gauthier. La troisième étape est de regarder son plan de maintien d’actifs avec un œil économie d’énergie. « Des gestionnaires remplacent une unité de toit ou un refroidisseur parce qu’ils arrivent à la fin de leur vie utile, que c’est budgété dans un plan quinquennal, sans prendre en considération son efficacité énergétique potentielle. En remplaçant simplement une unité par une autre, ils perdent une belle occasion d’acheter un appareil qui coûte un peu plus cher, certes, mais qui permettrait par ailleurs de réaliser des économies. L’idée est de faire un levier de nos investissements en maintien d’actifs pour générer des économies d’énergie », expose Geneviève Gauthier. « Il faut saisir chaque occasion et chaque possibilité », ajoute Mario Poirier dans le même sens, donnant pour exemple l’arrivée d’un locataire qui entraîne de nouveaux aménagements et qui devient aussi une occasion de moderniser les contrôles du locataire, de faire maintenant un commissionning plutôt qu’un recommissionning plus tard. « Regardez les effets croisés que vous pouvez avoir à l’intérieur même de votre gestion. Regardez ce que l’aménagement vous procure comme possibilités et, dès que vous voyez des possibilités, faites de l’optimisation. Regardez comment l’énergie peut s’insérer dans le contexte », recommande-t-il. 8

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Il faut aussi créer une synergie entre les équipes. « Nous voyons souvent des équipes qui cherchent des moyens d’économiser de l’énergie fonctionner en silo, détachées des équipes de maintien d’actifs et d’exploitation, alors qu’une synergie permettrait d’aller chercher un maximum de bénéfices », fait remarquer Geneviève Gauthier.

D’AUTRES EXEMPLES DE CE QU’ON PEUT FAIRE ? Voici quelques propositions de Geneviève Gauthier, regroupées selon la période de retombées sur les investissements : Moins de trois ans : mettre les séquences de contrôle à jour. « Un bâtiment, c’est vivant, et les systèmes installés le sont pour des situations qui prévalent à un moment donné… et qui évoluent : les volets, les contrôles d’accès d’air, la température de consigne d’une pièce qui a complètement changé de vocation. Autant de points qui ne demandent que des inves­ tissements minimes parce qu’on travaille avec les systèmes déjà en place », explique-t-elle. De trois à six ans : changer l’éclairage. Installer un contrôle pour des bâtiments qui n’en ont pas. Installer des chaudières au gaz naturel ou des refroidisseurs plus efficaces. Revoir tous les équipements principaux afin de les changer pour des modèles plus efficaces. Plus de sept ans : tout ce qui touche l’enveloppe du bâtiment. Changer et calfeutrer les fenêtres, isoler la toiture et les garages. Convertir des systèmes à vapeur en système à eau chaude. Les mesures de cette catégorie peuvent générer des économies de l’ordre de 20 à 30 %. Installer des thermopompes géother­miques qui vont fournir de l’énergie à haute efficacité, des investissements importants de quelques millions de dollars, mais qui, à long terme, peuvent générer des économies allant jusqu’à 40 %, selon Geneviève Gauthier.

GETTY IMAGES PAR KADMY


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Benoit Perreault, directeur principal du marketing et du développement des affaires chez Gaz Métro Plus, émet d’autres suggestions. Installer des chauffe-eau sans réservoir, une façon de faire répandue en Europe où les logements sont petits et où l’énergie coûte cher. « Chauffer des masses d’eau de 40 ou 60 gallons et la maintenir à température constante pour éviter la prolifération de bactéries, ça coûte cher », fait-il remarquer. Les petites chaudières installées au mur qui produisent de l’eau chaude instantanément et uniquement sur demande constituent une technologie disponible en Amérique du Nord depuis une quinzaine d’années et qui se retrouve de plus en plus dans les projets d’habita­ tion récents. Ces chaudières peuvent générer des économies de 15 à 20 %.

la remise au point des systèmes de mécanique des bâtiments qui couvre toute la démarche, actuellement possible auprès de TEQ et d’Énergir, pourrait d’ailleurs être bientôt améliorée. Pour tout savoir sur ces programmes, on consulte le site www.transitionenergetique.gouv.qc.ca/affaires. « On a atteint aujourd’hui un certain raffinement au chapitre des mesures techniques qui peuvent être implantées. Il faut toutefois stimuler l’adoption des pratiques de gestion et le développement d’une culture de l’organisation qui soutiennent cette volonté d’améliorer l’efficacité écoénergétique et les aspects du bâtiment durable. Et il y a encore beaucoup à faire », conclut Andrée De Serres.

Installer un chauffe-eau central dans les tours d’habitation plutôt qu’un chauffeeau dans chaque unité. Les avantages ? « Une économie au moment de l’installa­ tion unique plutôt que multipliée par le nombre d’appartements. Une économie de la consommation d’énergie ainsi qu’une réduction des risques de dégâts d’eau, un point souvent névralgique avec les assureurs de copropriétés. La durée de vie des chaudières produisant de l’eau chaude domestique est de 20 ans », fait valoir Benoit Perreault.

ET LES SUBVENTIONS ? « Les gestionnaires québécois sont chanceux, car de nombreuses subventions sont disponibles chez les trois grands donneurs que sont Énergir, Hydro-Québec et TEQ. Les programmes sont bien décrits sur leur site Web respectif », dit Geneviève Gauthier. Chez TEQ, justement, Stéphan Gagnon men­tionne les différents volets du programme Éco­ Performance, qui accorde une aide financière correspondant à 50 % des dépenses pour la réalisation d’études et d’analyses des compo­ santes des bâtiments ; on offre aussi des sub­ ventions intéressantes pour soutenir les étapes de la mise en place d’un système de gestion de l’énergie, ainsi que sur le remplacement ou la modification en profondeur des équipements électromécaniques, à la condition qu’ils dimi­nuent les GES. L’obtention de subvention pour MAINTENANCE IMMOBILIÈRE : : ÉTÉ 2019

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