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DE BONS TUYAUX
LES INCONVÉNIENTS CACHÉS DE L’ÉCONOMIE D’EAU On ne peut être contre la vertu, mais la réduction des débits d’eau entraîne son propre lot de problèmes. Henri Bouchard
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epuis de nombreuses années, plusieurs groupes environnementalistes, orga nism es publics et ministères militent pour une utilisation plus rationnelle de l’eau, sa conservation et même sa réutilisation. De nouveaux appareils sanitaires à faible et même à très faible volume ont vu le jour comme les toilettes à 4,8 L/c ou à double chasse et les urinoirs sans eau. De plus en plus utilisés, ils sont même devenus obligatoires dans certaines collectivités. En outre, la robinetterie limite les débits aux baignoires, douches et éviers de cuisine. Les robinets de lavabo, également à débit réduit, installés dans les bâtiments commerciaux, de bureaux et institutionnels fonctionnent de plus en plus avec des mécanismes de détection qui limitent la durée d’écoulement.
Les organismes soucieux de la conservation de l’eau et le marché de la plomberie en général visent une économie globale de la ressource. Or, les efforts se sont concentrés sur la consommation minimale de l’eau sans nécessairement prendre en compte l’impact de cette diminution du débit pour le transport des matières solides dans les réseaux d’évacuation. DES FACTEURS D’ÉVACUATION DÉSUETS ? À ce jour, peu de recherches ont été effectuées ou publiées pour orienter les entrepreneurs, les ingénieurs ou les concepteurs afin qu’ils adaptent les réseaux d’évacuation à ce changement, particulièrement en ce qui a trait au matériau, au diamètre, à la pente de la tuyauterie, etc. Ils n’ont aussi que peu de documentation à leur disposition.
Henri Bouchard est directeur du Service technique à la CMMTQ. Il voit à l’interprétation et à l’explication des articles des codes régissant la mécanique du bâtiment. En plus de rédiger des articles, des guides techniques et des formations, il donne des conférences, participe à des comités de la RBQ et siège au comité permanent du CNRC ainsi qu’à des comités nationaux de CSA.
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Les codes de plomberie et autres règles de l’art sont encore basés sur des facteurs d’évacuation qui ne tiennent pas compte de ces nouvelles données. Ils n’exigent pas non plus que la conduite d’évacuation d’une toilette soit « lavée » par l’évacuation d’un autre appareil. De plus, même si cette exigence existait, la robinetterie est souvent à débit réduit, quand elle ne fonctionne pas avec un temporisateur qui minimise sa durée de fonctionnement, et donc elle ne réussirait probablement pas à injecter assez d’eau dans la conduite d’évacuation. Parce que les changements intervenus au cours des années, proposés ou imposés par des organismes gouvernementaux ou municipaux liés à la consommation d’eau, ne sont pas encadrés par les codes, la tuyauterie est souvent dimensionnée de façon inadéquate pour respecter l’édition en vigueur du chapitre III, Plomberie du Code de construction du Québec (ce qui n’est pas vraiment un choix…). Les problèmes occasionnés sont de plus en plus fréquents. Les tuyauteries installées dans le sol ont tendance à bloquer quand des appareils à faible volume sont installés lors de rénovations, particulièrement lorsqu’il s’agit de tuyauterie en fonte et que la conduite est longue. Les clapets antiretour avec battant en laiton représentent également un obstacle de taille pour le transport des solides. Des entrepreneurs rapportent que lorsque plusieurs toilettes à faible volume sont installés en série, la conduite d’évacuation se bloque à répétition jusqu’à ce qu’ils installent une toilette à plus grand débit ou un mécanisme d’injection d’eau en bout de ligne, ce qui contribue au meilleur transport des matières solides.
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La réutilisation des eaux grises constitue également un autre facteur qui contribue à assécher les réseaux d’évacuation. En effet, le détournement de l’eau de la douche et du bain et même, dans certains milieux qui l’acceptent, du lavabo et de la lessiveuse fait en sorte que le réseau primaire d’évacuation s’assèche jusqu’à devenir complètement sec dans certaines parties, ce qui évidemment ne contribue pas à l’évacuation des solides. Y A-T-IL UNE SOLUTION ? La solution pourrait-elle passer par des modifications au code de plomberie ? Nous croyons que le code doit revoir la méthode de dimensionnement de la tuyauterie d’évacuation des eaux usées selon le type, le débit et le nombre d’appareils. Il doit réduire les facteurs d’évacuation liés aux appareils à volume réduit, particulièrement dans le cas des toilettes. Les pentes de tuyauterie pourraient être augmentées, et il faudra également revoir la configuration de la tuyauterie, en priorisant le lavage de tuyau.
D’un autre côté, il est à espérer que la recherche et le développement dans le domaine sanitaire apporteront des solutions à cet épineux problème. Il est possible que de nouveaux types de toilette voient le jour. Ces derniers pourraient inclure un système d’injection d’eau qui agirait après un certain nombre de chasses, etc. Une chose est certaine, il faut poursuivre la recherche dans ce domaine afin de répondre plus adéquatement aux demandes d’économie d’eau. On ne peut être contre la vertu ; l’économie et la réutilisa tion de l’eau, et donc l’efficacité des appareils sanitaires, sont fondamentales pour qui a une vision à long terme du développement durable, mais l’utilisation intelligente et responsable de l’eau doit encore primer. L’équilibre entre les avantages et les inconvénients doit se faire de façon à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Jacques… « Une rivière doit toujours avoir assez d’eau pour que le bateau puisse naviguer.1 »
1. Traduit librement d’une citation tirée d’un article de Ron George, CPD, paru dans l’édition d’août 2011 de Plumbing Engineer.
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