Environnement - Immobilier commercial volume 10 - numéro 5

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ENVIRONNEMENT ET URBANISME

INONDATIONS ET OCCUPATION DU TERRITOIRE :

VOIR AU-DELÀ DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES Frédéric Dufault

Le printemps québécois 2017 passera sûrement à l’histoire. Nombreuses sont les

Expert invité

cipalités du Québec, y compris des municipalités situées le long du Saint-Laurent

personnes convaincues que les inondations monstres ayant surpris plusieurs muni­ et autrefois épargnées par les crues des eaux, n’augurent rien de bon. Montréal, Laval, Rigaud et Gatineau, et toutes les autres municipalités touchées de près ou de loin par la montée soudaine des eaux printanières, ont goûté à ce que plusieurs attribuent aux changements climatiques. Mais sont-ils les seuls coupables ? Ces inondations sont le résultat de plusieurs facteurs : des accumulations de neige plus grandes que la moyenne ; la venue hâtive des chaleurs du printemps, qui a fait fondre rapidement cette même neige ; les effets directs et indirects des changements climatiques. Cependant, notre attitude à toujours vouloir en avoir plus peut aussi être pointée du doigt : plus de terrains aux dépens de la rivière, du milieu humide à l’arrière des terrains ; plus de zones d’asphaltage afin de permettre le stationnement à un plus grand nombre de voitures, etc. Les inondations histo­ riques de ce printemps découlent de tous ces facteurs conjugués, et non d’un seul d’entre eux.

WIKIMEDIA PAR GUERINF

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Frédéric Dufault, urbaniste, est évaluateur environ­ nemental de site agréé (EESA) et vérificateur environnemental agréé (VEA), agréments qui sont décernés par l’Association québécoise de vérification environnementale (AQVE). Il cumule plus de 15 années d’expérience dans le domaine de l’urbanisme et de la gestion immobilière et environnementale. Il est président de la firme Enviro 3D Conseils inc.

Mme Barbara Hatch Rosenberg, directrice des mesures de compensations à l’agence américaine de la gestion des urgences, lançait déjà un cri d’alarme en 1998 dans la préface d’un rapport : « La clé pour transformer un risque naturel en désastre naturel est une mauvaise localisation ou une mauvaise planification de nos développe­ ments construits […]. Pendant tout le 20e siècle, nos communautés n’ont pas cessé de grandir et de se développer dans une ignorance relative des risques naturels présents devant nos yeux. Nos lotissements, nos infrastructures et notre système économique ont été bâtis sur des terrains exposés à des glissements de terrain,

INONDATION AU PARC MAISON-VALOIS À VAUDREUIL-DORION

1. American Planning Association, Planning for Post-Disaster Recovery and Reconstruction, Planning Advisory Service, Report Number 483/484, 1998, page 1. 2. Forum Inondations 2017. Ensemble planifions l’avenir autrement. http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/foruminondations2017/index.asp

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ENVIRONNEMENT ET URBANISME

INONDATIONS AU PARC ANTOINE-GAUTHIER À TROIS-RIVIÈRES

aux inondations, aux incendies et à toutes sortes d’autres risques. Avec comme résultat que ces désastres naturels continuent de tuer et de blesser des gens, de détruire nos environnements bâtis et d’interrompre nos industries et commerces dans nos centres métropolitains.1 » (Traduction libre) À la suite de ces inondations printanières, le ministère du Développement durable, de l’Environ­ nement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) a tenu les 6 et 7 octobre derniers un grand forum sur le sujet, où des thématiques comme la gestion intégrée des bassins versants, la cartographie et la gestion des zones inondables ainsi que l’aménagement du territoire et la planification urbaine ont été à l’avant-plan. Le ministre David Heurtel a présidé ce forum, qui a été webdiffusé et disponible en différé ; de nombreux conférenciers ont abordé le sujet et ont tenté d’aider le gouvernement et les acteurs à trouver des solutions2. Mais la solution relève-t-elle uniquement des diffé­ rents paliers de gouvernement ? La réponse est non. L’ensemble de la communauté du développement immobilier et les acteurs qui gravitent autour de nos espaces de vie et de travail doivent se mettre à l’œuvre et prendre aussi les choses en main. Le gouvernement provincial, par ses différents ministères — MDDELCC, Affaires municipales et Occupation du territoire, Sécurité publique, Santé 86

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et Services sociaux, etc. —, doit aller de l’avant avec des lignes directrices, des guides, mais également des lois et règlements qui permettront de mieux encadrer le développement et l’aménagement de nos villes et villages. Les municipalités doivent aussi y jouer un rôle crucial, en prenant les rênes de l’aménagement durable de leur territoire et en cessant de toujours vouloir agrandir leur périmètre urbain ou de permettre des développements au détriment de certains éléments naturels et éléments critiques du milieu. À la fin des années 1970, le ministre Jean Garon a réussi à freiner le développement urbain sur les terres agricoles en adoptant la Loi sur la protection du territoire agricole, encore en vigueur aujourd’hui, et qui cons­titue un exemple pour d’autres provinces. Faudra-t-il se rendre à quelque chose de sembla­ ble pour protéger les milieux fragiles ? Étant aujourd’hui mieux informés et outillés pour trouver des solutions sans y être contraints légalement, nous devrions pouvoir envisager des options de rechange à l’extérieur d’un cadre législatif. Oui, il existe des guides et des politiques, comme la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, mais l’enjeu ne touche pas seulement les abords des cours d’eau. Il faut remonter bien plus en amont pour commencer à trouver des solutions aux problématiques environ­ nementales, dont celles liées aux inondations et à la question de la gestion de nos ressources aquatiques.


WIKIMEDIA PAR FRALAMBERT

Il existe déjà des solutions qui ont fait leurs preuves, par exemple des stationnements plus « verts » qui permettent l’utilisation de matériaux innovants comme le béton drainant ou qui réduisent le nombre de places de stationnement à la faveur d’aires gazonnées. Mais encore là, deux aspects importants font défaut : la formation et l’informa­tion. Les propriétaires fonciers, les promoteurs, tous les intervenants engagés dans le développement urbain doivent apprendre à reconnaître les milieux où ils désirent travailler. Reconnaître qu’un boisé héberge possiblement un milieu humide et qu’un projet qui permet à un terrain d’être complètement « recouvert » n’est plus acceptable sur le plan de la durabilité du projet. Il devient impératif de revoir

GETTYIMAGES PAR PHOTON-PHOTOS

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La certification LEED est un exemple de mesures prises par l’industrie. La certification exige un contrôle des eaux grises, des eaux de ruissellement et des lieux choisis, mais le pourcentage de certifi­ cation est encore assez faible, puisque les coûts associés demeurent parfois très élevés. Les pro­ mo­teurs doivent prendre d’autres moyens pour améliorer la situation ; de leur côté, les municipalités doivent mettre en place des projets qui favorisent le développement harmonieux sur tous les plans : économique, financier, social, environnemental. Il est temps de revitaliser les centres urbains et de trouver des méthodes ingénieuses pour gérer les eaux de ruissellement avant de continuer à encourager un développement irrespectueux dans les milieux vulnérables et les terres protégées.

RÉSULTAT DES FORTES PLUIES DU PRINTEMPS 2017, DANS UNE RUE DE MONTRÉAL

nos façons de faire, nos concepts de construction, sans nécessairement attendre les actions des municipalités et des gouvernements. Il faut se rendre à l’évidence : si nous subtilisons quelque chose à la nature, celle-ci reprendra ses droits un jour ou l’autre… Peut-être pas devant chez nous, mais ce ne sera jamais vraiment très loin.

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