TRANSPORT ET DÉVELOPPEMENT URBAIN
PIÉTONS, CYCLISTES, AUTOMOBILISTES :
LA NÉCESSAIRE COHABITATION Paul Lewis Expert invité
Paul Lewis est doyen de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et chercheur à l’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier, dont il a été directeur jusqu’en 2012. Ses recherches portent principalement sur les transports, notamment la mobilité des jeunes, de même que la planification et la gouvernance des services de transport.
Ainsi, la Ville de Montréal interdira la circulation automobile de transit sur le mont Royal, le temps d’un projet pilote. Après une période d’essai, la Ville décidera ou pas d’interdire définitivement la circulation de transit.
Durant la période d’essai, les automobilistes auront accès au mont Royal, ils pourront encore se rendre en haut de la montagne. La Ville ne remet d’ailleurs pas cet accès en question. Mais il ne leur sera plus possible de traverser le parc d’est en ouest, même pour admirer le paysage. La voie Camillien-Houde a été pensée comme un parkway, mais ce n’est plus tout à fait sa fonction première, puissequ’elle sert aussi de voie de transit et qu’elle est souvent congestionnée. Le transit est-il compatible avec la fonction première d’un parc ? Pour plusieurs, la réponse est non. Après tout, un parc n’est pas aménagé pour les voitures, mais pour permettre aux urbains de vivre une expérience différente de la ville ; les voitures n’y ont donc pas leur place, sinon de manière très limitée. Si la fonction de transit semble difficilement compatible avec la fonction première d’un parc, la promenade, même en voiture, peut l’être. Tout dépend de l’identité que l’on cherche à donner au parc, à sa mission. Cette décision a suscité une très vive opposition, étonnante à bien des égards. Les opposants évoquent différentes raisons, incluant les droits des automobilistes. Pourtant, cette décision de la Ville de Montréal n’est pas particulièrement audacieuse. Ainsi, New York a fait de même s’agissant de Prospect Park, à Brooklyn, l’autre grand parc de New York – avec Central Park –, tous deux aménagés par l’architecte paysagiste du mont Royal, Olmsted. REPENSER LA PLACE DE L’AUTOMOBILE Il y a quelque chose de troublant dans cette opposition à la décision de limiter la circulation de transit dans le parc du mont Royal, comme
si les avantages consentis à l’automobile ne pouvaient être remis en question… Or, il nous faut revoir la cohabitation entre les différents usagers de la route et, surtout, réduire le nombre d’automobiles sur nos routes. C’est d’ailleurs là l’argument principal avancé pour justifier la fin de la circulation de transit sur le mont Royal. Depuis la fin de la dernière guerre, on a augmenté de manière considérable la place faite à l’automobile en milieu urbain, afin d’accomm oder un parc automobile en très forte croissance. Cette dépendance accrue à l’automobile coûte collectivement très cher (pour les voies de circulation et pour les espaces de stationnement). Le transport collectif per mettrait de réduire les coûts liés à la mobilité, comme l’avait d’ailleurs démontré la Chambre de commerce de Montréal, dans une étude publiée il y a quelques années et qui est toujours d’actualité1. Pour augmenter la part de marché du transport collectif, la réduction des avantages à l’automobile s’impose. Notre dépendance à l’automobile nuit aux piétons et aux cyclistes, au point où ces derniers peinent à se déplacer de manière sécuritaire. Par exemple, les feux de circulation sont encore trop souvent programmés pour favoriser la fluidité automobile, plutôt que la traversée sécuritaire pour les piétons. Les autobus connaissent des problèmes similaires. Trop souvent pris dans les bouchons de circulation, ils offrent aux usagers une solution moins rapide que l’automobile, la plupart du temps. Les voies réservées permettent d’améliorer la vitesse des autobus, mais elles sont encore
1. Chambre de commerce du Montréal métropolitain (2010). Le transport en commun. Au cœur du développement économique de Montréal. http://www.ccmm.ca/documents/etudes/2010_2011/10_11_26_ccmm_etude-transport_fr.pdf)
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insuffisantes pour donner un réel avantage au transport collectif. Sur ce plan, le métro et les autres systèmes de transport en site propre sont des solutions bien plus performantes. Il faut repenser la place de l’automobile dans la ville et permettre une meilleure cohabitation de tous les usagers. L’amélioration de la mobilité pour tous passe par une réduction de la place de l’automobile, pour en donner plus aux autres usagers. Les avantages considérables consentis à l’automobile n’ont pas amélioré la mobilité de tous, ils ont fait en sorte qu’elle soit globalement moins efficiente. Surtout, ces avantages nuisent assurément à la qualité de vie de tous, incluant
celle des automobilistes, qui peinent à se déplacer de manière efficiente. Cela vaut dans les quartiers centraux, où la pression automobile est souvent très grande ; cela vaut aussi en banlieue, où les citoyens sont nombreux à réclamer que l’automobile soit davantage disciplinée, même lorsqu’ils dépendent d’elle pour leurs déplacements. Une meilleure mobilité pour tous ne peut privilégier l’automobile, elle doit plutôt s’appuyer sur une diversité de modes, incluant l’auto. Augmenter la part de marché des autres modes n’est possible que si la ville permet une meilleure cohabitation entre tous les usagers de la route ; pour y parvenir, il faut réduire la place de l’automobile en milieu urbain.
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