DROITS ET OBLIGATIONS
Me Sylvie Bouvette Experte invitée
RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE : LE NOTAIRE N’EST PAS SEUL RESPONSABLE DE VÉRIFIER LES INFORMATIONS ESSENTIELLES D’UN ACTE D’HYPOTHÈQUE, LA BANQUE DOIT AUSSI LE FAIRE ! Une notaire instrumente un acte de vente le 20 mars 2007. Concurremment à la vente, un financement sous forme de prêt à terme de 125 000 $ est octroyé à l’acheteur, Larry Daigneault (« Daigneault »). Par ailleurs, la Banque Nationale du Canada (la « Banque ») avait confié à la même notaire le mandat de mettre en place une hypothèque immobilière contre l’immeuble ainsi acheté pour garantir ledit financement.
Dans la comparution, tant de l’acte de vente que de l’acte d’hypothèque, la notaire décrit l’acquéreur et le débiteur comme « Piscine Bel’eau, une compagnie légalement constituée ». Or, Piscine Bel’eau n’existe pas comme compagnie. Il s’agit plutôt d’un nom d’affaires ou de la raison sociale d’une entreprise personnelle de Daigneault. Après cette transaction, Daigneault fait cons truire une bâtisse et exploite son commerce dans l’immeuble acheté et hypothéqué. Me Sylvie Bouvette est avocate associée chez Borden Ladner Gervais LLP / S.E.N.C.R.L., S.R.L. Elle représente des vendeurs, des acheteurs, des coentrepreneurs, des prêteurs et des emprunteurs dans le cadre de transactions et de financements immo biliers. Elle a été sélectionnée par ses pairs pour figurer dans l’édition 2016 de The Best Lawyers in Canada® dans la catégorie droit immobilier.
À compter de 2012, tout se précipite. D’abord, les autorités fiscales publient des avis d’hypo thèque légale contre l’immeuble en question. Ensuite, en 2014, Daigneault fait défaut de paiement en vertu de l’hypothèque en faveur de la Banque. Ce n’est toutefois qu’au moment d’intenter les procédures que la Banque constate que la comparution était erronée. La Banque demande à la notaire de corriger la situation, mais peu de temps après, Daigneault fait faillite. Toutes les démarches de la notaire sont alors suspendues. La Banque adopte la position selon laquelle sa garantie est nulle et ne dépose aucune réclamation auprès du syndic de faillite. La municipalité publie par la suite un avis de vente pour défaut de paiement de taxes, et la Banque n’intervient pas. L’immeuble est vendu 12 000 $
1. Banque Nationale du Canada c. Me Rachel Durocher, 2018 QCCS 1304.
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IMMOBILIER COMMERCIAL : : JUIN – JUILLET 2018
par la municipalité pour taxes. Mais Daigneault, un an plus tard, soit en 2015, exerce son droit de retrait et récupère ainsi l’immeuble pour 13 200 $. Cette fois-ci, il déclare l’acquérir sous son nom personnel faisant affaire sous la raison sociale de « Piscine Bel’eau ». Le 1er mai 2015, la Banque intente un recours contre la notaire. Il est à noter que l’hypothèque en faveur de la Banque est demeurée tout ce temps inscrite au registre foncier. La Cour supérieure 1 conclut que la notaire a manqué à son devoir de prudence et de diligence et a commis une faute professionnelle en ne vérifiant pas l’identité de l’entité devant se porter acquéreur de l’immeuble et devant grever celui-ci d’une hypothèque. La Cour se demande ensuite si la Banque a commis une faute contributoire. La Cour déclare que la Banque a également l’obligation de s’assurer, avant de signer l’acte notarié, que son débiteur y est correctement identifié conformément au mandat confié à la notaire. La Banque, étant une entité sophistiquée et informée, se doit d’être vigilante et de vérifier les informations consignées à l’acte. La Banque ne pouvait se fier aveuglément à la professionnelle. La Cour conclut que la Banque a donc commis une faute contributoire en l’espèce.