Immobilier commercial volume 11 - numéro 3 - Focus

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FOCUS

FAUT-IL AVOIR PEUR DU PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ? PAR EMMANUELLE GRIL, JOURNALISTE

Le partenariat public-privé (PPP) a eu bien mauvaise presse ces dernières années. Ce mode de réalisation de projets présente-t-il réellement autant de défauts que ceux qu’on lui prête ? Tour d’horizon.

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il faut en croire ses détracteurs, le parte­nariat public-privé traîne derrière lui un lourd passif. Une rapide revue de presse des dernières années montre qu’on l’accuse souvent de contribuer à la privatisation des services publics, d’occasionner des coûts de cons­truction plus élevés, tout en faisant payer les usagers des ponts et des auto­routes construits selon ce modèle. Quant au

scandale retentissant entourant les potsde-vin de 22 millions de dollars versés à l’ancien grand patron du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Arthur Porter, il n’a certes pas contribué à améliorer la réputation du PPP. Pas étonnant, donc, que plusieurs se montrent frileux, voire extrêmement critiques, à l’égard de ce mode de réalisation.

GETTYIMAGES PAR VASJAKOMAN

IMMOBILIER COMMERCIAL : : JUIN – JUILLET 2018

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UNE FAÇON DE FAIRE CONTRAIGNANTE ET PEU FLEXIBLE C’est le cas du professeur Pierre J. Hamel, chercheur en finances publiques à l’Institut national de la recherche scientifique, qui évalue que le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) aurait coûté 50 % moins cher pendant 30 ans aux Québécois – soit un milliard de dollars – si l’on avait opté pour un mode traditionnel. Selon lui, le financement privé d’un hôpital ou de tout autre PPP est au bout du compte plus onéreux pour les contribuables. « Le meilleur du talent du privé ne réside pas dans le financement, dit-il, le gouvernement pouvant emprunter à un bien meilleur taux. »

PIERRE J. HAMEL Chercheur en finances publiques Institut national de la recherche scientifique

Le manque de transparence et de souplesse du PPP est également montré du doigt par le professeur Hamel, pour qui ces ententes « coulées dans le béton » pour 20 ou 30 ans se prêtent mal à des projets où les changements technologiques, par exemple, nécessitent une régulière mise à niveau. Par ailleurs, il se montre méfiant envers les ententes à très long terme qui unissent les parties au contrat. Qu’adviendrait-il si, par exemple, l’entreprise privée chargée d’assurer l’entretien du bâtiment devait être vendue à une autre, laquelle offrirait une prestation de moins bonne qualité ? « Je pense aussi à un cas comme celui de la Ville d’Hamilton, en Ontario, qui, à l’époque, avait signé une entente avec le privé pour l’assainisse­ment des eaux sur son territoire. La compagnie qui devait fournir la prestation a été rachetée par une filiale d’Enron, et la municipalité n’a pas eu un mot à dire ! », s’insurge-t-il. Le PPP est en perte de vitesse partout dans le monde à quelques exceptions près, tranche le professeur Hamel, « sauf en Chine, au Viêt Nam et dans certains pays d’Afrique, où il a encore le vent dans les voiles, car il offre la sécurité d’un contrat très contraignant dont les partenaires ne peuvent pas s’extraire », souligne-t-il.

BLAKES

CLÉMENTINE SALLÉE Avocate associée Blakes

DES EXEMPLES DE RÉUSSITE Mais tout n’est pas si sombre au royaume du PPP. La Maison symphonique de Montréal, par exemple, est un modèle de réussite pour plusieurs, notamment pour Me Clémentine Sallée, associée au sein du cabinet d’avocats Blakes ; elle confie que cette réalisation est l’une de ses plus grandes fiertés professionnelles. « Le processus ainsi que les exigences techniques ont été longuement réfléchis et bien rédigés, de même que la répartition des risques vers la partie qui était la plus à même de l’assumer. Par exemple, compte tenu de la spécificité du bâtiment, le secteur public a conservé la maîtrise d’œuvre de l’acoustique », détaille-t-elle. Outre la Maison symphonique, Me Alain Massicotte, également avocat associé chez Blakes et qui a œuvré sur plusieurs PPP d’envergure, mentionne que le CHUM et son centre de recherche, les autoroutes 25 et 30, mais aussi la fameuse route « Sea-to-Sky » en Colombie-Britannique sont autant d’exemples de réussite de PPP.

BLAKES

ALAIN MASSICOTTE Avocat associé Blakes 16

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Il déplore cependant que ce que l’on a reproché aux PPP dans les médias – corruption, retards sur les échéanciers, augmentations des coûts – n’avait souvent rien à voir avec le PPP lui-même. « D’ailleurs, il faut savoir que le processus d’adjudication avec ce mode de réalisation est extrêmement rigoureux et exige une vérification des processus très serrée », dit-il, rappelant que quoi qu’il en soit, le secteur public devra toujours faire affaire avec le secteur privé dans ses projets de construction, en mode traditionnel ou autre.


BUSAC AMORCE UN NOUVEAU CHAPITRE

20 ANS D’INNOVATION ICI ET AILLEURS

DE SON HISTOIRE Cette année, BUSAC fête ses 20 ans et en profite pour présenter une nouvelle image de marque illustrant sa constante évolution, sa poursuite d’excellence et d’innovation ainsi que son engagement envers ses clients, actionnaires et partenaires, ici et ailleurs. Aux États-Unis, BUSAC consolide son rayonnement par la gestion d’importants portefeuilles et le développement de projets de premier plan. Au pays, elle continue d’offrir une foule de solutions immobilières innovantes et diversifiées. Grâce à son expérience des deux côtés de la frontière, BUSAC assoit sa position de leader nord-américain de l’industrie.

Pocono Manor Resort & Spa Pocono Manor, PA


FOCUS

LES INGRÉDIENTS DU SUCCÈS De l’avis des deux avocats de Blakes, pour qu’un PPP réussisse, il faut combiner des ingré­dients précis. En particulier, une planification minutieuse et une discipline sans faille, depuis les débuts du projet jusqu’à sa finalité, en passant par sa réalisation. « C’est cette discipline qui explique notamment le succès de la Maison symphonique », affirme Me Sallée.

Nicolas Vézeau, directeur des propositions PPP chez ENGIE Services, rappelle qu’avec le CUSM et le CHUM, le Québec a également eu l’occasion de déployer deux des plus grands projets PPP de l’histoire des infrastructures de santé en Amérique du Nord. « Des réalisations comme la Maison symphonique, les autoroutes 25 et 30, le pont Champlain et plusieurs autres de moins grande envergure, comme le CHSLD de Saint-Lambert, sont d’autres beaux exemples de l’expertise variée qui a pu être développée ici », souligne-t-il, déplorant que celle-ci ne commence à s’effriter si les PPP continuent d’être boudés. « Il y a une quinzaine d’années, le Québec avait une longueur d’avance sur les États-Unis et le reste du Canada dans ce domaine. Aujourd’hui, on semble avoir mis fin au modèle », mentionne-t-il. Yves Ouellet, PDG de la Société québécoise des infrastructures (SQI) – organisme provincial chargé de la gestion des bâtiments publics –, confirme qu’aucun nouveau projet en PPP n’est actuelle­ment dans les cartons. Il précise toutefois que cela n’empêche pas la SQI d’avoir recours à d’autres types de modes de réalisation : « Par exemple, nous sommes en train de démarrer le projet du centre hospitalier de Fleurimont, en Estrie, selon le mode conception-construction-financement. » Quelques autres projets du même genre seraient aussi en préparation.

ENGIE SERVICES

NICOLAS VÉZEAU Directeur des propositions PPP ENGIE Services

JBC MÉDIA PAR DENIS BERNIER

YVES OUELLET Président-directeur général Société québécoise des infrastructures (SQI)

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« Notre responsabilité première est de nous assurer que l’on a recours au mode de réalisation approprié. Le PPP peut être intéressant à considérer dans le cadre de grands projets, ou encore pour des bâtiments complexes dans lesquels le secteur privé pourra déployer toute sa créativité et démontrer sa valeur ajoutée. Il ne faut pas être dogmatique ni en faire une religion : dans certains cas, le PPP peut être une option à évaluer, et dans d’autres, il faut penser à un mode de réalisation différent », fait-il valoir. LES BONS CÔTÉS DU PPP De son côté, Nicolas Vézeau considère que lorsqu’il est employé à bon escient, le PPP peut offrir plusieurs avantages. « Les risques en matière de dépassement de coûts et d’échéancier étant transférés au secteur privé, cela encourage fortement ce dernier à se conformer à ce qui a été prévu initialement », assure-t-il. Selon son analyse des projets supérieurs à 50 millions de dollars réalisés au cours des dernières années, il apparaît que les PPP auraient davantage respecté les échéanciers et les budgets que ceux effectués en mode traditionnel. « Les lourdes pénalités généralement prévues dans l’entente en cas de défaillance de la partie privée constituent un fort incitatif. Ce modèle protège assurément le public », évalue-t-il. La prévisibilité des coûts et l’efficience de la gestion des dépenses publiques qui en découlent en matière de maintenance préventive et prédictive sont aussi des arguments de poids à ses yeux. Par ailleurs, des gains de partage des revenus de péage plus importants que ceux initialement prévus peuvent aussi apparaître en cours de route, à l’avantage de la partie publique. « Par exemple, l’achalandage automobile sur l’autoroute 25 est bien plus élevé que ce que l’on avait prévu au départ. Résultat, le ministère des Transports profite d’un partage des revenus, et le gouvernement du Québec a reçu en 2015, soit la dernière année pour laquelle les données ont été publiées, plus de 15 millions de dollars », se réjouit-il.


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