Droits et obligations - Immobilier commercial volume 11 - numéro 6

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DROITS ET OBLIGATIONS

UN CONTRAT EST UN CONTRAT ! Me Sylvie Bouvette Experte invitée

Me Sylvie Bouvette est avocate associée chez Borden Ladner Gervais LLP / S.E.N.C.R.L., S.R.L. Elle représente des vendeurs, des acheteurs, des coentrepreneurs, des prêteurs et des emprunteurs dans le cadre de transactions et de financements immo­ biliers. Elle a été sélectionnée par ses pairs pour figurer dans l’édition 2016 de The Best Lawyers in Canada® dans la catégorie droit immobilier.

La Cour suprême vient de se prononcer dans un litige opposant depuis des années Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited et Hydro-Québec1 relativement au contrat qui lie ces parties depuis 1969. Bien que le litige, à proprement dit, ne touche pas à l’immobilier, les principes de négociation de contrats peuvent trouver application pour une panoplie de situations liées aux contrats immobiliers.

LES FAITS PERTINENTS Le contrat (le « Contrat ») signé en 1969 par Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited (« CFLCo ») obligeait Hydro-Québec à acheter, sur une période de 65 ans, la majeure partie de l’électricité produite par la centrale hydro­ électrique devant être construite par CFLCo. Le tarif payable par Hydro-Québec pour l’achat de cette électricité est fixé par le Contrat. Toutefois, ce tarif s’est retrouvé, plus tard, bien en deçà des prix payables selon le marché. CFLCo a donc demandé aux tribunaux d’imposer une renégociation du Contrat pour mieux répartir les bénéfices, alléguant qu’HydroQuébec aurait une telle obligation, soit selon les règles générales de bonne foi, soit selon la théorie d’« imprévision ». La cause fait état de divers arguments qui ne seront pas tous repris ici, sauf ceux qui peuvent intéresser nos lecteurs en matière contractuelle. Il faut d’abord souligner que, dans les années 1960, CFLCo n’avait trouvé qu’Hydro-Québec comme cocontractant prêt tant à s’engager à long terme pour l’acquisition de l’électricité devant être produite qu’à supporter la majorité des risques liés au développement de la centrale hydroélectrique. Ainsi, à l’époque, en plus de s’engager comme acheteur à long terme de l’électricité produite, Hydro-Québec a garanti tout dépassement des coûts de construction de la centrale, ce qui a permis à CFLCo  d’obtenir le financement requis pour la réalisation du projet, financement qui n’aurait pas été possible sans les engagements d’Hydro-Québec.

1. 2018 CSC 46.

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LES ARGUMENTS Plusieurs arguments découlant des obligations de bonne foi, que l’on trouve dans le Code civil du Québec, ont été mis de l’avant par CFLCo, notamment l’article 1434 qui prévoit ceci : « Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. » CFLCo prétendait que cet article oblige les parties à collaborer et à renégocier le Contrat. La Cour suprême déclare qu’en l’espèce, il ne s'agissait pas d'un contrat de « coentreprise » (joint venture), lequel se prête davantage à l’ajout d’obligations implicites pour combler ses lacunes. Au contraire, l’économie du Contrat quant aux avantages de chaque partie est claire, et le Contrat ne comporte pas de lacunes à combler pour le rendre cohérent.


Aussi, même dans les cas où la bonne foi permet aux tribunaux d’intervenir, l’utilisation des principes de bonne foi n’a jamais mené jusqu’à la renégociation même d’un contrat. Tout au plus, en jurisprudence, les tribunaux ont permis les modifications légères dans les contrats. Un autre argument consiste à affirmer que l’on n’a pas pu prévoir en 1969 la fluctuation du prix de l’électricité selon le marché. Cette théorie de l’imprévision n’est toutefois pas reconnue en droit québécois. Même dans les autres juridictions, où cette théorie est par ailleurs reconnue, les conditions y donnant ouverture sont très strictes et ne s’appliqueraient pas ici au Contrat. Par ailleurs, il est apparu de la preuve que les parties avaient eu un accord de volonté, dès le départ, sur les risques de fluctuation des prix de l’électricité (donc un accord sur les known unknowns). LES LIMITES DE LA BONNE FOI Les seuls cas où l’on pourrait se rapprocher d’une possible application de la théorie d’imprévision

sont ceux où la bonne foi l’impose. Cependant, la portée de la bonne foi ne peut être élargie au point de sanctionner une partie (comme Hydro-Québec) en l’absence de comportement déraisonnable de sa part ou d’imposer une obligation de renégociation des obligations principales en toutes circonstances. Ici, le fait pour Hydro-Québec d’insister sur le respect du Contrat, malgré le changement de circonstances, n’est pas déraisonnable. En effet, CFLCo a obtenu ce à quoi elle s’attendait, soit de recevoir la possibilité de financer sa centrale par voie d’emprunt et de gagner un rendement sur son investissement qu’elle jugeait raisonnable au moment de la signature du Contrat. En conclusion, le fait d’appliquer les notions de bonne foi et d’équité ne doit pas avoir pour effet de perturber la stabilité des contrats. Ces notions visent à apporter des correctifs lorsque cela est permis, mais non à redistribuer l’équilibre des contrats de manière imprévisible. En l’occurrence, rien ne justifiait d’imposer la modification de ce Contrat, qui doit donc être appliqué tel quel.

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