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FISCALITÉ FONCIÈRE ET PERSPECTIVES À MONTRÉAL : UNE BONNE NOUVELLE QUI EN CACHE UNE MAUVAISE… Yves Godin, É.A. AACI
Dans son dernier budget, l’administration Plante semble avoir entendu les demandes des acteurs de l’immobilier non résidentiel en posant deux gestes qui permettront de réduire le taux de taxation dans ce secteur. Cette bonne nouvelle en cache pourtant une autre beaucoup moins réjouissante pour le centre-ville de Montréal. Il faut souligner les efforts accomplis par la Ville de Montréal afin de soulager le fardeau fiscal qui pèse sur les épaules des propriétaires et locataires de bâtiments non résidentiels sur l’île.
Kevin Muzellec
Yves Godin, vice-président directeur, Gestion des impôts fonciers au Groupe Altus, Montréal, fournit expertise et conseils en ce qui touche une grande variété de propriétés non résidentielles et d’autres biens immobiliers. Après avoir obtenu une double maîtrise en comptabilité / finance, Kevin Muzellec a choisi d’orienter sa carrière en évaluation immobilière. Analyste principal, Gestion des impôts fonciers au Groupe Altus, il consacre désormais ses efforts dans l’analyse des valeurs aux fins de taxation et dans l’analyse du marché immobilier non résidentiel au Québec.
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Ainsi, dans son budget 2019, l’administration municipale a instauré un taux réduit de taxation pour ces immeubles sur la première tranche de 500 000 $ d’évaluation. Ce changement avait d’ailleurs été proposé par deux rapports, l’un du Comité de travail sur la fiscalité non rési dentielle et le développement économique1 l’autre émanant du Comité consultatif sur le « Plan commerce » de la Ville de Montréal2. Résultat : 90 % des immeubles non résidentiels situés sur le territoire vont voir leurs taxes municipales diminuer jusqu’à 10 % en 2019. Par exemple, pour un édifice évalué à 450 000 $, c’est
14 471 $ qu’il faudra payer en 2019 compara tivement à 16 191 $ en 2018 (excluant la taxe scolaire), ce qui représente une baisse de 10,6 %. En revanche, plus la valeur est élevée et moins l’économie s’avère substantielle. En effet, pour un immeuble non résidentiel de 1 M$, la diminu tion de la taxe municipale n’est plus que de 4,6 % et d’à peine 0,6 % pour un édifice évalué à 3 M$. Parallèlement, la Ville a adopté une stratégie prévoyant une croissance des charges fiscales pour les immeubles non résidentiels qui sera 25 % moins rapide que celle applicable au résidentiel, et ce, jusqu’en 2023. Cette mesure vise à rééquilibrer le poids des taxes foncières et à réduire l’écart entre les deux secteurs. C’est une excellente nouvelle, car Montréal est la ville canadienne où le ratio de taxation foncière taux commercial / taux résidentiel est le plus haut, si
RATIO DE TAXATION FONCIÈRE TAUX COMMERCIAL / TAUX RÉSIDENTIEL | CANADA – 2018
Toronto avait un ratio de 3,81 et Vancouver de 4,88 en 2017. Montréal demeure stable (3,77 en 2017) Source : Analyse comparative des taux de taxation foncière au Canada, Groupe Altus limitée (2018) 1. Comité de travail sur la fiscalité non résidentielle et le développement économique (2016). Pour une métropole en affaires. http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/PRT_VDM_FR/MEDIA/DOCUMENTS/RAPPORT_POUR_UNE_METROPOLE_EN_AFFAIRES_VFINALE.PDF?utm_ source=referral&utm_medium=lickstats&utm_campaign=VDM-MetropoleEnAffaires&utm_term=&clickthrough_id=5a57a689bfeb1824d6cfafed 2. Comité consultatif sur le « Plan commerce » de la Ville de Montréal (2018). Renouer avec le commerce sur rue, un chantier prioritaire. https://blogues.desjardins.com/communiques-de-presse/strategie-plan-commerce-synthese-fr.pdf
IMMOBILIER COMMERCIAL : : AVRIL – MAI 2019
TAXES FONCIÈRES PAR PIED CARRÉ 2019 REZ-DE-CHAUSSÉE DES IMMEUBLES COMMERCIAUX
68,76 $
Rue Sainte-Catherine
10,00 $
9,57 $
Rue Masson
Rue Fleury
8,33 $
7,54 $
Avenue du Mont-Royal Rue Saint-Hubert
6,11 $
5,37 $
Rue Wellington
Rue Ontario
Source : Groupe Altus (2019)
l’on exclut Vancouver où les conditions du marché font en sorte qu’il existe une distorsion. Actuellement, la moyenne canadienne de ce ratio est de 2,90. Or, il grimpe à 3,78 dans la métropole québécoise, un taux équivalent à celui de Toronto. Même si la Ville Reine et Vancouver ont entrepris de faire baisser ces ratios, passant respectivement de 3,81 en 2017 à 3,78 en 2018 et de 4,88 en 2017 à 4,40 en 2018, il n’en est rien du côté de Montréal où le ratio est demeuré stable (3,77 en 2017). La mesure adoptée par l’administration Plante va donc dans le bon sens, même si elle demeure timide par rapport à ce qui se fait dans une ville comme Toronto où l’on souhaite réduire le ratio à 2,5 dès 2023. LA PROBLÉMATIQUE DU CENTRE-VILLE Ces nouvelles dispositions sont favorables aux proprié taires et locataires d’immeubles non résidentiels… sauf à ceux du centre-ville. Pour financer ces mesures, le taux de taxation excédant la première tranche de 500 000 $ a en effet été relevé. Or, la valeur des immeubles est très
haute dans le centre-ville ; le taux réduit ne les avantagera donc pas. En fait, on constate une réduction ou un maintien des taxes foncières dans toutes les rues commerciales de Montréal, sauf la rue Sainte-Catherine qui affiche plutôt une augmentation annuelle de 10 % depuis les trois dernières années (en vertu de la croissance progressive des valeurs due à l’étalement). Ainsi, en 2019, les taxes foncières par pied carré sont de 5,37 $ dans la rue Ontario, de 8,33 $ sur l’avenue Mont-Royal, de 10 $ dans la rue Masson, alors que dans la rue SainteCatherine, le coût explose à 68,76 $ le pied carré pour des espaces commerciaux au rez-de-chaussée. Cette énorme distorsion nous pousse à nous interroger à propos de la capacité de survie du commerce de détail sur cette artère commerciale emblématique de Montréal qui, par ailleurs, connaîtra des travaux intensifs étalés sur plusieurs années. Notons également que le taux de vacance y augmente de façon préoccupante, passant de 8,7 % en 2015 à 13,2 % en 2018. Si l’on continue dans cette
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voie, il y a fort à parier que seules les grandes bannières qui souhaitent conserver une vitrine rue Sainte-Catherine seront capables d’y demeurer, alors que les autres commerces périront.
RATIO TAXES FONCIÈRES / LOYER NET
Mais ce n’est pas tout, car le marché du bureau paye aussi le prix fort au centre-ville. Si l’on prend l’exemple des immeubles de bureaux de classe A, le taux moyen des taxes foncières est de 11,80 $ / pi2 dans l’arrondissement Ville-Marie, soit le même qu’au centre-ville de Toronto. Ces prix dépassent largement ceux observés dans les autres villes canadiennes, même Ottawa (9,70 $ / pi2) et Vancouver (8,50 $ / pi2).
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Si l’on se penche sur le ratio taxes foncières / loyer net, les nouvelles ne sont pas bonnes, puisqu’il atteint 57,6 % dans le centre-ville de la métropole québécoise, un record qui surpasse largement Toronto (32,8 %), Ottawa (43,3 %) et Vancouver (25,8 %). Là encore, on peut s’interroger sur les effets pervers d’un tel niveau de taxation. Supposons qu’une multinationale souhaite s’établir au Canada ; quelle grande ville sera-t-elle portée à choisir pour installer son siège social ? Si les coûts par pied carré sont les mêmes à Montréal qu’à Toronto, parions qu’à tout prendre, elle optera pour cette dernière.
Les chiffres sont clairs à cet égard : depuis les cinq dernières années, le budget municipal a grimpé de 4,21 % en moyenne par an. Si l’on exclut le service de la dette et le paiement au comptant des immobilisations, cette augmentation représente malgré tout 2,90 % annuellement en moyenne. Alors que sur la même période, l’indice des prix à la consommation dans la région de Montréal n’a crû que de 1,34 %, en moyenne.
DES RECOMMANDATIONS Dans ces conditions, comment alléger le fardeau fiscal des immeubles non résidentiels, en particulier dans le centre-ville ? À cet égard, nous avons quelques recommandations à formuler. Tout d’abord, ralentir la croissance des dépenses de la Ville afin de réduire la pression exercée sur le budget de fonctionnement.
C’est à partir de 2008 que les dépenses de la Ville ont commencé à devenir incontrôlables. Pour contrebalancer la diminution des valeurs engendrée par la crise économique de l’époque, Montréal a fait grimper son taux de taxation foncière non résidentiel. La plupart des autres villes canadiennes ont depuis réduit ce taux progressivement, mais Montréal ne leur a pas emboîté le pas. Quand on
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Voici une idée pour réduire les dépenses de fonctionnement de la Ville tout en diversifiant les sources de revenus : procéder à une tarification de l’eau, selon le principe de l’utilisateur-payeur, pour l’ensemble des catégories d’immeubles. Cette mesure a déjà été adoptée par Toronto où, en dépit d’une augmentation constante de la population, la consommation d’eau a diminué de 20 %. Une facture plus salée pour le citoyen fait en sorte qu’il a tendance à moins gaspiller cette ressource. On pourrait penser à une solution identique pour les ordures ménagères, une pratique là aussi adoptée par la Ville Reine. GETTY IMAGES PAR LAVI37
sait que les taxes municipales représentent plus de 67 % du budget de la métropole québécoise, on comprend mieux pourquoi elle rechigne à restreindre ses ambitions. Or, que se passera-t-il si une autre récession fait chuter les valeurs immobilières ? Les taux de taxation foncière sont déjà très élevés à Montréal ; va-t-on les augmenter encore davantage pour combler le manque à gagner ? C’est la raison pour laquelle il est indis pensable que la Ville freine ses dépenses, dont la croissance dépasse déjà largement le taux d’inflation. Le contexte économique actuel serait la période idéale pour le faire, car Montréal se porte bien, et les sources de revenus se sont multipliées ces dernières années. Le marché est très actif, la cons truction résidentielle bat son plein, et les taxes de mutation viennent gonfler les caisses de la Ville.
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Autre voie à explorer : continuer à réduire l’écart entre la fiscalité des immeubles résidentiels et non résidentiels. Aujourd’hui, la part du non résidentiel représente 56,1 % des taxes municipales alors qu’elle ne constitue que 26,1 % de l’assiette fiscale. L’administration Plante a déjà posé des gestes en ce sens, mais il faut poursuivre les efforts, en s’inspirant d’expériences comme celles de Toronto et de Vancouver. Enfin, il est essentiel de réduire la pression fiscale exercée sur le centre-ville, sous peine d’affaiblir dramatiquement celui-ci. Actuellement, les taxes foncières y ont atteint un niveau insoutenable, le taux d’inoccupation dans la rue Sainte-Catherine est trop élevé, alors que celui des locaux pour bureaux augmentera dans les années à venir compte tenu du poids de la fiscalité municipale. Le taux de taxes non résidentiel dans Ville-Marie ne pourrait-il pas être différencié ou réduit ? Est-ce faisable sur le plan juridique ? Cela reste à vérifier, mais la question mérite d’être posée.