DROITS ET OBLIGATIONS
PACTA SUNT SERVANDA Me Sylvie Bouvette Experte invitée
Vous vous interrogez sur le sens de cette maxime ? Cette décision de la Cour supérieure1 vous l’apprendra bientôt !
La société 9127-6519 Québec inc. (« 9127 ») exploite, en vertu d’un bail, un comptoir de restauration dans un édifice, propriété de la Société du Vieux-Port de Montréal inc. (« SVPM »). Son bail n’expire qu’en 2019. Or, 9127 lui demande de quitter les lieux avant terme, ce à quoi SVPM s’oppose. Le bail a été conclu en décembre 2009 pour l’exploitation d’un comptoir de restauration offrant de la cuisine libanaise au Centre des sciences de Montréal durant la saison estivale. Ce comptoir est l’un des huit restaurants offrant un tel type de service alimentaire. Le 9 mars 2015, les parties renouvellent leur bail jusqu’au 30 novembre 2019, essentiellement aux mêmes conditions.
Me Sylvie Bouvette est avocate associée chez Borden Ladner Gervais LLP / S.E.N.C.R.L., S.R.L. Elle représente des vendeurs, des acheteurs, des coentrepreneurs, des prêteurs et des emprunteurs dans le cadre de transactions et de financements immo biliers. Elle a été sélectionnée par ses pairs pour figurer dans l’édition 2016 de The Best Lawyers in Canada® dans la catégorie droit immobilier.
Le bail prévoit une obligation d’exploiter le comptoir de façon continue et active durant le bail complet et notamment pendant les heures d’ouverture en vertu d’une clause qui se lit comme suit :
Or, 9127 prétend qu’il lui est devenu impossible d’exploiter son comptoir notamment en raison du déplacement d’amuseurs publics, de la modification de la circulation provenant des bateaux de croisière et de l’apparition de camions de cuisine de rue. L’ensemble de ces facteurs contribue au déplacement de la clientèle potentielle, faisant en sorte que le comptoir est déficitaire depuis bientôt trois ans. Dans les circonstances, SVPM présente une demande d’injonction interlocutoire pour enjoindre 9127 à exploiter son commerce de façon continue.
« 9.3 Opération continue Le Locataire est tenu pour la Durée complète du Bail, d’exercer ses activités de façon continue et active dans les lieux loués durant les heures d’ouverture fixées à chaque année par le Bailleur. Plus particulièrement, le Locataire doit pendant la Durée complète, être ouvert pour affaires, être pourvu d’un personnel et de stocks suffisants, de même que d’aménagements de la meilleure qualité, il doit exercer ses activités de manière continue, activement et avec diligence à l’intérieur de la surface totale des Lieux loués, d’une manière qui soit moderne et honorable et qui convienne aux Espaces commerciaux dont fait partie les lieux loués. (sic) »
1. Société du Vieux-Port de Montréal inc. c. 9127-6519 Québec inc. 2018 QCCS 1406
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En août 2017, 9127 met en demeure SVPM et lui reproche plusieurs actions et omissions qui ont eu pour effet de diminuer de manière consi dérable l’achalandage du restaurant ainsi que de la foire alimentaire. De manière provisoire, 9127 établit ses dommages à 120 000 $. De son côté, SVPM, qui réfute les reproches de 9127, fait part du défaut de celle-ci de payer son loyer et lui exige tous les loyers dus et frais d’administration qui s’élèvent à plus de 25 000 $.
IMMOBILIER COMMERCIAL : : JUIN –JUILLET 2019
La Cour examine les trois critères d’injonction interlocutoire. L’APPARENCE DE DROIT À ce propos, 9127 s’est engagée non seulement à louer l’espace, mais à l’exploiter de manière active et continue. Le libellé du bail est clair à cet égard et ne prête pas à interprétation. LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE Ici, le tribunal conclut que la synergie au chapitre de la variété des produits et services offerts est importante, comme c’est souvent le cas dans le cadre d’un centre commercial. D’ailleurs, selon une jurisprudence constante, le déguerpissement prématuré d’un locataire,
GETTY IMAGES PAR ELI RATNER
en présence d’une obligation explicite d’utiliser les lieux, constitue en soi un préjudice irréparable.
loués en faisant abstraction de ses engagements contractuels.
LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS Chacune des parties a à perdre si la décision d’injonction interlocutoire n’est pas rendue en sa faveur. Dans le cas de SVPM, celle-ci subirait un manque à gagner et aurait à combler un espace vide ; il lui faudrait aussi effectuer des démarches d’urgence pour trouver un locataire remplaçant. Quant à 9127, elle serait obligée de continuer ses activités commerciales à perte, quitte à obtenir réparation au terme du processus judiciaire. Au bout du compte, le tribunal estime que le critère favorise légèrement SVPM puisque le maintien du statu quo est demandé, alors que la décision unilatérale de 9127 vise plutôt à lui faire quitter les lieux, ce qui se solde par un bouleversement des rapports contractuels existants de manière constante depuis 2009. Par ailleurs, 9127 n’a soumis aucun bilan, budget, aucune prévision ni information d’ordre financier ou commercial au soutien de ses prétentions.
Le tribunal rappelle que la maxime pacta sunt servanda est toujours valable, c’est-à-dire, comme l’énonce l’article 1458 du Code civil du Québec, que « toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés ». Par consé quent, il n’y a pas lieu de cautionner la décision d’un locataire de cesser unilatéralement ses activités malgré son engagement formel de les maintenir pendant tout le terme du bail, d’autant plus que cet engagement a été repris lors du renouvelle ment du bail.
Même si SVPM avait agi de manière fautive, les droits et obligations ne seront déterminés que dans le cadre de la décision sur le fond. Ici, 9127 ne cherche pas à obtenir la résiliation judiciaire avant le terme de son bail, mais plutôt à quitter les lieux
En conséquence, la demande d’injonction inter locutoire est accueillie. Le tribunal ordonne donc à 9127, jusqu’au jugement définitif, d’exercer ses activités de façon continue et active dans les lieux loués et durant les heures fixées. Plus précisément, le tribunal va même plus loin en ordonnant à 9127, comme le prévoit la clause de son bail, d’ouvrir pour affaires, d’être pourvu d’un personnel et de stocks suffisants de même que d’aménagements de la meilleure qualité, à l’intérieur de la surface totale des lieux loués d’une manière qui convient aux espaces commerciaux dont font partie les lieux loués. IMMOBILIER COMMERCIAL : : JUIN – JUILLET 2019
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