TRANSPORT ET DÉVELOPPEMENT URBAIN
LA VILLE-CONFETTIS, ET APRÈS
Paul Lewis
Les grandes villes se sont beaucoup transformées au cours des 30 dernières années. Montréal n’échappe pas à ces transformations, les plus importantes étant sans doute l’intérêt pour le cœur de la région métropolitaine et, parallèlement, le renouvellement du discours sur la ville, mais également le transport collectif.
Expert invité
Le cœur de la région (le Vieux-Montréal, le centre-ville et les quartiers centraux) est redevenu attractif, il suscite un grand intérêt. Ainsi, ce secteur connaît une densification, ou plus justement une intensification. Le simple fait que la densification soit maintenant valorisée est un changement majeur du discours sur la ville : il y a quelques années à peine, elle était vue comme problématique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’ailleurs, la densification touche aussi la banlieue.
Paul Lewis est doyen de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et chercheur à l’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier, dont il a été directeur jusqu’en 2012. Ses recherches portent principalement sur les transports, notamment la mobilité des jeunes, de même que la planification et la gouvernance des services de transport.
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aux problèmes de congestion ; il l’est aussi en banlieue, où il contribue aux projets de centresvilles à Laval et à Longueuil. Le Réseau express métropolitain (REM), dont la mise en service se fera à partir de 2021, pourrait avoir un impact analogue à celui du métro, mais à une autre échelle, métropolitaine celle-là.
Cette densification n’interdit toutefois pas la poursuite de l’étalement urbain, voire son accélération, aux confins du territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), et au-delà, où les règles en matière d’aménagement ne visent pas les mêmes objectifs qu’à la CMM. La région montréalaise est ainsi constituée de deux grands ensembles, comme c’est le cas de nombreuses autres grandes villes : au cœur de la région, on const ruit, et reconstruit, une ville relativement dense ; en périphérie s’aménage une ville moins dense. Dans ce vaste ensemble disparate, on trouve parfois des ensembles relativement denses, notamment à Longueuil et à Laval, où des centres-villes se mettent progressivement en place. Pour l’essentiel, la banlieue reste encore aménagée de manière discontinue à l’image d’une ville-confettis. Mais la banlieue aussi se transforme : peu à peu, elle se diversifie, se densifie ; plus étonnant, l’intérêt pour le transport collectif y est maintenant bien réel.
Pendant longtemps, on a négligé le transport collectif à Montréal : le développement de l’offre a été si lent que la part de marché du transport collectif a décliné. La région s’est alors peu à peu engluée dans une congestion quasi perma nente. L’automobile apparaît toujours, aux yeux de plusieurs, comme la seule véritable option pour se déplacer. Mais le rapport au transport collectif s’est transformé : autobus, métro, train, train léger, tramway sont maintenant vus comme des solutions aux problèmes de mobilité. Le transport collectif est (enfin) redevenu attractif. Le tournant a probablement été l’adoption du plan métropolitain et de développement de la CMM, qui affirmait la nécessité de penser le territoire et les infrastructures de transport collectif ensemble. Puis le REM a montré comment aménager du transport collectif à l’échelle métropolitaine. Depuis, de nombreux projets de transport collectif sont à l’étude ou en construction. Tous ne présentent pas le même intérêt du point de vue de la mobilité – il faudra établir les priorités –, mais tous témoignent d’une véritable rupture dans la façon de concevoir le développement de la région métropolitaine.
LA NOUVELLE IMAGE DU TRANSPORT COLLECTIF Le renouvellement du discours sur la ville, et sur le transport en commun, constitue donc l’autre changement majeur, apparu ces dernières années à Montréal. Le métro reste sans aucun doute le moteur d’une transformation de la ville, parce qu’il constitue une véritable solution de remplacement à l’utilisation de l’automobile et
Parallèlement, de nouveaux modes de transport sont apparus. Le transport par vélo a fait des gains importants, en partie grâce à BIXI, qui est un mode de transport distinct du vélo. Au départ confinée aux quartiers centraux, on voit la formule du vélo-partage se déployer sur un territoire plus vaste. Il y a aussi UBER, qui n’est pas tout à fait le taxi, mais qui a forcé toute une industrie à réexaminer ses pratiques.
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GETTY IMAGES PAR HOLGS
LA TECHNOLOGIE COMME ANTIDOTE À LA DÉPENDANCE AUTOMOBILE UBER a été rendu possible par la généralisation des téléphones intelligents. Le transport collectif pourra aussi profiter des nouvelles technologies. Le téléphone intelligent offre une foule de possibilités, auxquelles nous n’avions pas accès il y a quelques années seulement : trouver les trajets les plus efficients, connaître en temps réel le temps d’attente, payer son passage… Le transport collectif doit s’adapter à cette réalité, intégrer différentes technologies, pour rendre plus faciles les déplacements, notamment les déplacements inhabituels, les plus difficiles à concevoir pour qui n’est pas un usager accoutumé. Le téléphone permet de combiner différents modes de façon presque transparente, rendant accessible ce qu’on appelle le cocktail transport : la possibilité d’utiliser différents modes, en fonction des déplacements que l’on fait, ou encore de combiner plusieurs modes pour un même déplacement. Les gens ont plus de choix, ce qui permet de les libérer de la dépendance automobile.
Ces transformations sont plus profondes qu’il n’y paraît. Elles annoncent une région métropolitaine très différente de celle que nous connaissons. Plus conviviale, plus égalitaire en un sens, plus agréable aussi. Mais cela suppose que nous aménagions une région compacte qui soit une véritable transit metropolis, au sens que lui donne Cervero1, une région qui favorise véritablement le transport collectif. Il faut espérer que nous saurons collectivement y arriver. P.-S. Cette chronique est mon dernier texte. Je tiens à remercier le magazine Immobilier commercial, tout particulièrement son éditeur Jacques Boisvert, pour l’accueil qui m’a été réservé. C’était un honneur pour moi d’écrire dans les pages de ce formidable magazine. Je laisse maintenant à d’autres le soin de continuer à discuter des enjeux de transport et d’aménagement. 1. Robert Cervero (1998). The transit metropolis: A global inquiry. Washington, DC: Island Press.
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