Vincent CHIARA
REDONNER UNE ÂME À DES BÂTIMENTS ET À DES QUARTIERS PAR EMMANUELLE GRIL, JOURNALISTE
Dans sa première vie, Vincent Chiara était avocat. Aujourd’hui, il est président et fondateur de l’un des gros joueurs du secteur immobilier québécois : le Groupe Mach. Entrevue avec un homme d’affaires qui n’a pas fini de nous surprendre.
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n juin dernier, le Groupe Mach faisait la manchette en déposant une offre d’achat pour Air Transat, proposant 1 $ de plus l’action qu’Air Canada ne l’avait fait quelques semaines plus tôt. Même si, au moment d’écrire ces lignes, on avait appris que la balance avait penché en faveur d’Air Canada, en revanche, on peut dire que Vincent Chiara sait créer la surprise en se positionnant là où on ne l’attendait pas ! Il faut dire que le PDG a fréquemment fait office de précurseur dans ses décisions d’affaires. « Nous avons souvent été les premiers à lancer des classes d’actifs dans certains quartiers. Par exemple, dans le JBC MÉDIA PAR DENIS BERNIER
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Mile-Ex, nous avions acheté les anciens studios de CFCF-TV [405, rue Ogilvy] pour les transformer en locaux de bureaux. À l’époque, on nous disait que l’on ne pouvait pas faire de bureaux dans ce quartier, et pourtant, ça a fonctionné. Par la suite, plusieurs autres ont emboîté le pas, et ça a poussé comme des champignons », se souvient-il. Le site présente de nombreux avantages, ce qui n’avait pas échappé à Vincent Chiara : proximité du centre-ville, loyer raisonnable, accès au transport en commun… Bref, tous les ingrédients du fameux work, live & play, tant prisé aujourd’hui, y étaient. Par la suite, Groupe Mach a repris la recette, et avec succès, dans Saint-Henri et Griffintown. La même audace transparaît dans plusieurs autres de ses projets, dont l’un des derniers en date, le très attendu Quartier des lumières. DES MENTORS AVISÉS Lancée sur la base d’un capital de quelques propriétés, l’entreprise détient 20 ans plus tard un portefeuille de plus de 28 millions de pieds carrés, 4 000 appartements locatifs et elle emploie environ 120 personnes. Acquisition, construction et gestion : elle maîtrise tous les aspects du développement immobilier. Elle a également acquis des propriétés diversifiées – bureaux, industriel, commercial, résidentiel – cherchant à maintenir un certain équilibre entre ces différents secteurs. Rien ne prédestinait pourtant Vincent Chiara à plonger dans le domaine immobilier. Après des études en droit à l’Université de Sherbrooke – afin d’apprendre le français, confie-t-il –, il revient à Montréal pour œuvrer dans un cabinet d’avocats avant de rapidement démarrer son propre bureau, démontrant déjà son sens de l’entrepreneuriat.
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« C’étaient de très gros travailleurs (mes parents), ils ne s’arrêtaient jamais. Ils ont ouvert un commerce d’alimentation dans Saint-Michel où nous habitions. Pour moi, à l’époque, ce quartier était le centre du monde ! J’étais le fils de l’épicier, tout le monde me connaissait. » – Vincent Chiara
Cet esprit d’entreprise, Vincent Chiara le tient de ses parents, des immigrés débarqués de leur terre natale, l’Italie, vers la fin des années 1950, à la recherche d’une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs enfants. « C’étaient de très gros travailleurs, ils ne s’arrêtaient jamais. Ils ont ouvert un com merce d’alimentation dans Saint-Michel où nous habitions. Pour moi, à l’époque, ce quartier était le centre du monde ! J’étais le fils de l’épicier, tout le monde me connaissait », se rappelle M. Chiara, soulignant que ses parents lui ont servi d’exemples et de mentors : « Malgré leur simplicité, ils faisaient preuve d’un grand sens des affaires. Par exemple, mon père, qui n’avait qu’une deuxième année, tenait les livres de l’entreprise comme un comptable agréé. Les vérificateurs du ministère du Revenu étaient souvent impressionnés ! » JBC MÉDIA PAR DENIS BERNIER
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Quant à sa mère, pour faire face à la concur rence des épiceries à grande surface qui commençaient à ouvrir leurs portes, elle déploie une stratégie inédite. « En contre partie de leurs achats, les clients de Steinberg recevaient des timbres qu’ils pouvaient échanger dans ce supermarché ou son grand magasin affilié, Miracle Mart. Ma mère a décidé d’accepter ces timbres dans son épicerie. Elle avait dit à mon père que de toute façon, nous les enfants avions besoin de linge, et que ces timbres permettraient d’en obtenir chez Miracle Mart », raconte Vincent Chiara, ajoutant en riant qu’il a d’ailleurs gardé certaines habitudes de son enfance. « Le soir, ma mère faisait le tour de la maison et éteignait les lumières. Je fais pareil aujourd’hui au bureau en fin de journée. Les employés trouvent ça drôle, ça les amuse beaucoup, mais c’est resté une sorte de réflexe chez moi. » LES PREMIERS PAS EN IMMOBILIER Le côté entrepreneur de Vincent Chiara a donc pris racine dans un terreau fertile. Mais comment est-il passé du droit à l’immobilier ? Après avoir œuvré dans ce domaine pendant une quinzaine d’années, l’avocat se sentait un peu essoufflé. « Il faut travailler dur et prendre beaucoup de dossiers quand on exploite un petit cabinet. Or, le droit immobilier constituait une bonne part de ma pratique. J’avais parmi mes clients la famille Lieberman, qui avait effectué beaucoup d’investissements dans ce domaine. M. Lieberman m’a pris sous son aile et m’a aidé à faire mes premières opérations immobilières, agissant un peu comme un mentor et comme bailleur de fonds », explique Vincent Chiara. Ce dernier a d’ailleurs retenu les conseils avisés de M. Lieberman, qui lui avait recommandé de toujours évaluer les transactions non pas en se demandant combien on pouvait gagner d’argent, mais combien on pouvait en perdre. « Il disait aussi souvent : Better overpay for gold than underpay for shit. Shit will always be shit and gold will always be gold… Il avait raison, et je suis encore d’accord avec cette façon de faire », souligne M. Chiara. Au fil des ans et des acquisitions, les affaires de Groupe Mach vont prendre de l’ampleur, et d’autres investisseurs de poids vont s’associer au promoteur, notamment la famille Saputo.
DES OBJECTIFS POUR L’AVENIR Très fier de l’équipe qui l’épaule au quotidien, des succès du Groupe Mach et de l’excellente réputation de son entreprise, Vincent Chiara regarde aussi vers l’avenir. Parmi les projets qui l’occupent actuellement, on ne peut passer sous silence le futur Quartier des lumières, gigantesque projet qui alliera différentes classes d’actifs sur l’ancien site de Radio-Canada. « On aimerait redonner
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« Les immeubles à prix modique sont de très bonne qualité aujourd’hui, ils peuvent cohabiter avec du plus haut de gamme. Pas nécessairement dans les mêmes bâtiments, mais au moins dans le même quartier. Il faut éviter de créer des ghettos, car c’est en étant exposé à d’autres réalités que la nôtre que l’on peut développer d’autres aspirations... » – Vincent Chiara JBC MÉDIA DENIS BERNIER
aux gens du quartier un peu de ce qu’ils ont perdu autrefois. J’ai été très étonné du peu d’intérêt que suscitait cette zone, pourtant située tout près du centre-ville. Les gens ne réalisent pas qu’il y a presque la même distance entre la place Alexis Nihon et la place Ville Marie, qu’entre cette dernière et la tour de Radio-Canada. Pourquoi ? Parce qu’il y a un grand vide entre les deux », estime-t-il. Avec le Quartier des lumières, il espère contribuer à combler ce fossé et à retisser la trame urbaine entre l’est de Montréal et le centre-ville. Ce sera aussi l’occasion de donner une deuxième chance à la tour de Radio-Canada qui, selon lui, n’a jamais vraiment eu l’occasion de donner son plein potentiel, isolée au fond d’un immense stationnement, un espace asphalté et sans âme. « En l’inté grant dans un environnement animé, avec des parcs, des commerces, des logements, elle pourra prendre sa pleine valeur architecturale. Elle reste malgré tout une icône de Montréal, quand on pense à l’est de la ville, on pense nécessairement à elle », dit-il.
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Le Groupe Mach n’en est pas à ses premières armes dans ce domaine et a déjà redonné une deuxième vie à des bâtiments qui ont longtemps été négligés. Mentionnons notamment le redéveloppement des anciens ateliers du CN dans Pointe-Saint-Charles. Mais Vincent Chiara sait aussi flairer les tendances. Par exemple, la propension des nouvelles géné rations à préférer des logements plus petits au profit d’espaces communs plus spacieux. Il estime par ailleurs que les promoteurs ont une responsabilité et doivent contribuer à créer une mixité sociale dans les développements immo biliers. « Pas nécessairement dans les mêmes bâtiments, mais au moins dans le même quartier. Les immeubles à prix modique sont de très bonne qualité aujourd’hui, ils peuvent cohabiter avec du plus haut de gamme. Il faut éviter de créer des ghettos, car c’est en étant exposé à d’autres réalités que la nôtre que l’on peut développer d’autres aspirations… », dit-il. Une mission qu’il va assurément continuer à remplir avec talent.