Brett MILLER
RETOUR AUX SOURCES PAR EMMANUELLE GRIL, JOURNALISTE
En février 2019, Brett Miller a succédé à Jonathan Wener au poste de chef de la direction de Canderel. S’il entend poursuivre le travail entrepris par le fondateur de la compagnie, il souhaite également lui donner une nouvelle impulsion. Rencontre avec un visionnaire qui a aussi les deux pieds sur terre.
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lusieurs œuvres d’art, essentiellement canadiennes, ornent les bureaux de Canderel dans le centre-ville de Montréal. La sculpture monumentale d’un ours en granite, pesant une tonne, attire le regard du visiteur. Rapporté d’un voyage à Vancouver par Jonathan Wener il y a quelques années, l’imposant animal de pierre a causé quelques sueurs froides à l’époque… « Il a fallu le hisser jusqu’au neuvième étage à l’aide d’une grue, car il était impossible de le transporter dans l’ascenseur. Au dernier moment, les JBC MÉDIA PAR DENIS BERNIER
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ingénieurs de l’immeuble ont dû vérifier que la structure du bâtiment pouvait bel et bien supporter son poids. L’œuvre a finalement été déposée à un endroit précis du bureau, au niveau d’une poutre de soutien. Mais le temps que les spécialistes fassent leurs calculs, l’ours est demeuré suspendu dans les airs pendant quelques heures ! », raconte Brett Miller, amusé par l’anecdote. L’œuvre préférée du chef de la direction ? Un portrait de Leonard Cohen, une toile réalisée par le peintre André Monet, placée bien en vue au détour d’un couloir. LE SENS DE L’ENTREPRENEURIAT Né en Afrique du Sud et arrivé au Canada à l’âge de 13 ans avec sa famille, Brett Miller est extrêmement attaché à la ville de Montréal. C’est de son père, un promoteur et l’un des fondateurs de CBRE Canada, qu’il tient sa passion pour l’immobilier. « Chez nous, il y avait toujours des discussions à ce sujet autour de la table. Très jeune, je savais que je voulais œuvrer dans ce champ d’activité », raconte-t-il. Ce n’est donc pas une surprise s’il s’inscrit au baccalauréat en commerce avec spécialisation en immobilier à l’Université McGill. En 1986, à la fin de ses études, il commence à travailler chez Canderel. Ce qui ne devait être qu’un emploi d’été s’est finalement transformé en poste à plein temps, le forçant à reléguer aux oubliettes le voyage de six mois en Europe qu’il avait projeté de faire une fois son diplôme en poche ! Embauché d’abord comme analyste financier, il occupe plusieurs postes de direction au sein de la compagnie, se familiarisant avec les différents secteurs de l’industrie. Mais en 1991-1992, la crise économique qui frappe le force à revoir ses plans. « C’était le calme plat pour les promoteurs immobiliers. J’ai donc décidé d’aller faire un MBA d’un an à l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD) de Fontainebleau, en France. Avec Jonathan Wener, nous avions eu l’idée que je pourrais éventuellement lancer une antenne de Canderel Europe. Mais finalement, la situation étant aussi mauvaise de l’autre côté de l’Atlantique qu’ici, nous avons abandonné le projet », se souvient Brett Miller. Qu’à cela ne tienne ! Grâce à son sens inné de l’entrepreneuriat et anticipant bien avant les Amazon de ce monde que la résidence allait devenir un lieu de consommation, il lance à Paris une entreprise spécialisée dans le nettoyage à sec avec services de livraison à domicile. Baptisée Nestor (du nom du maître d’hôtel de Moulinsart, 8
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Né en Afrique du Sud et arrivé au Canada à l’âge de 13 ans avec sa famille, Brett Miller est extrêmement attaché à la ville de Montréal. C’est de son père, un promoteur et l’un des fondateurs de CBRE Canada, qu’il tient sa passion pour l’immobilier.
clin d’œil à la bande dessinée Tintin), elle prend très vite de l’expansion. « On s’occupait du nettoyage de 25 000 chemises par semaine. Mais la blanchisserie est un champ d’activité difficile à gérer : vêtements tachés ou perdus, bouton égaré… J’ai décidé de faire autre chose de ma vie et je suis parti m’installer à Londres, où j’ai travaillé pour News Corpo ration Limited », dit-il.
financières qui investissent avec nous. Depuis une dizaine d’années, les projets sont devenus si importants que nous ne pouvons plus les financer seuls à 100 %, et nous avons besoin de partenaires. Jusqu’ici, nous ne voyions pas ces derniers
Au début des années 2000, Brett Miller est alors le père de trois enfants et réalise qu’il souhaite les élever au Canada. De retour à Montréal, il est embauché chez CBRE, où rapidement on lui confie le marché de tout l’est du pays. « Ce fut une très belle réussite. En l’espace de 10 ans, CBRE est devenu le numéro un alors que c’était une marque presque inconnue ici. Puis, en 2012, JLL a frappé à ma porte pour m’offrir le poste de chef de la direction Canada. Malgré sa taille importante à travers le monde, l’entreprise était quasi inexistante chez nous. Mon côté entrepreneur a pris le dessus, et je me suis lancé dans l’aventure », se souvient-il. Et avec succès : en six ans, JLL Canada passe de 150 à 1 500 employés, devenant un très gros joueur du domaine. Mais en 2018, Brett Miller décide de relever un autre défi… CANDEREL 2.0 « Durant 20 ans, Jonathan Wener et moi sommes toujours restés en contact. À plusieurs reprises, il a été question que je retourne chez Canderel, mais cela n’a pas fonctionné. C’était même devenu une blague entre nous. Je lui disais : " Je reviendrai quand tu prendras ta retraite, car je ne veux pas travailler pour toi ! " », raconte Brett Miller en riant. Mais l’an dernier, à l’âge de 69 ans, le fondateur de Canderel a décidé de prendre un pas de recul. Même s’il est encore très impliqué dans l’entreprise où il est toujours actionnaire principal et président du conseil d’administration, il a confié son poste de chef de la direction à Brett Miller. « Quand je suis revenu ici, l’une de mes premières questions a été : qui est le client de Canderel ? Certains ont répondu qu’il s’agissait des locataires de l’immeuble, d’autres, des acheteurs de condo, d’autres encore estimaient que nous travaillions pour nous-mêmes… Or, de mon point de vue, nos clients sont les institutions
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comme des clients, mais les choses vont changer. Désormais, nous serons une entreprise de services qui a pour mission d’acheter, de gérer et de développer de l’immobilier à travers le Canada pour et avec des institutions financières », explique-t-il. Cette vision stratégique transforme déjà les façons de faire à l’interne, où quatre divisions distinctes ont été mises sur pied, et les ressources humaines ont été réorganisées par centres de profit. Pour certains d’entre eux, la gestion immobilière deviendra le cœur de leurs activités. Quant aux groupes s’occupant d’investissement, ils ont été invités à développer une théorie structurée et une approche réflexive au lieu d’être réactifs. « On est en pleine transformation, on l’appelle Canderel 2.0. Mais on travaille déjà sur la version 3.0, il faut être dans un processus de transformation continue », affirme M. Miller. ASSURER LA STABILITÉ De propriétaire et promoteur immobilier, Canderel entreprend donc sa conversion vers l’entreprise de services. Derrière cette volonté se trouvent en filigrane les leçons du passé apprises par Brett Miller. « Le marché immobilier est cyclique. Depuis plusieurs années, nous sommes dans un cycle positif, mais de nombreux observateurs disent
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que cela va ralentir. Par conséquent, si Canderel agit uniquement à titre de promoteur, son activité va en pâtir, comme durant la crise de 1991-1992. Pour éviter cela, il faut que les mandats de gestion deviennent un revenu récurrent et pas seulement une activité secondaire. Cela constituera les fonda tions de Canderel, la stabilité pour les périodes creuses », explique-t-il. Autre argument de poids : les investissements en immobilier n’ont cessé de croître, car ce secteur est considéré comme un placement stable et rentable, comparativement aux places boursières très volatiles. Les investisseurs veulent donc faire des affaires avec des opérateurs qui disposent de plateformes nationales, avec une bonne gouvernance et une saine gestion. Exactement ce que Canderel propose de leur offrir. Bien qu’il formule quelques bémols concernant l’impact de certaines politiques municipales sur les coûts de développement, Brett Miller demeure relativement confiant quant à l’avenir du marché immobilier. « Lorsqu’on regarde la courbe démo graphique, on peut se montrer optimiste : les villes sont en croissance. Dans les bonnes années, ce sont en moyenne de 30 000 à 40 000 personnes qui déménagent à Montréal. Cela représente 15 000 logements ! » Des occasions en or à saisir…