Savoir pour mieux investir - Immobilier commercial volume 12 - numéro 5

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SAVOIR POUR MIEUX INVESTIR

L’ÉTALEMENT URBAIN ET SON IMPACT SUR LES PÔLES DE DÉVELOPPEMENT IMMOBILIER

Jean-François Grenier

Le phénomène de l’étalement urbain résidentiel est bien connu et a fait l’objet de nombreuses études. La région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal ne fait pas exception à la règle, et l’île de Montréal a vu son poids relatif s’amenuiser au cours des 35 dernières années. En effet, celui-ci est passé de près de 60 % de la population de la RMR de Montréal (sur la base des limites géographiques de 2006) à un peu moins de 50 % en 2016, au profit essentiellement des banlieues plus éloignées de la Rive-Nord et de la Rive-Sud. De plus, ces pertes s’effectuent essentiellement auprès des jeunes familles ; les motifs de ces choix résidentiels les plus fréquemment mentionnés sont les suivants : un coût d’acquisition d’une propriété et des taxes foncières moins élevés qu’à Montréal et un meilleur cadre de vie pour élever ses enfants (maison individuelle avec cour, plus d’espace pour le même prix, etc.).

Jean-François Grenier, directeur principal au Groupe Altus – Solutions de données, œuvre depuis 1982 en recherche commerciale (localisation commerciale, développement de réseaux, modélisation et techniques d’analyse spatiale informatisée ainsi que tendances en commerce de détail).

LIMITES RMR MONTRÉAL 2006

Ces choix résidentiels en milieu périurbain de la part des ménages sont souvent mis en opposition avec des coûts de transport plus importants qu’en milieu urbain, mais surtout avec des temps de déplacement plus longs entre le lieu de résidence et le lieu de travail qui minent la qualité de vie des banlieusards. Cette vision dichotomique traduit une représentation relativement simplifiée de la réalité en supposant que les migrations pendulaires (déplacements quotidiens maisontravail-maison) sont majoritairement du type périphérie vers le centre et que les travailleurs des banlieues doivent s’astreindre à des temps

Source : Groupe Altus

ÉVOLUTION DU POIDS RELATIF DES DIFFÉRENTES COMPOSANTES GÉOGRAPHIQUES DE LA RMR DE MONTRÉAL ENTRE 1981 ET 2016 RMR DE MONTRÉAL LIMITES 2006

POPULATION

ÎLE DE MONTRÉAL

1981

59,8 %

9,1 %

10,8 %

20,3 %

100 %

1991

55,0 %

9,7 %

13,6 %

21,6 %

100 %

2001

52,5 %

9,9 %

15,4 %

22,1 %

100 %

2006

51,0 %

10,1 %

16,3 %

22,6 %

100 %

2011

49,3 %

10,5 %

17,2 %

23,0 %

100 %

2016

48,8 %

10,6 %

17,4 %

23,2 %

100 %

LAVAL

Source : Statistique Canada Recensements 1981 à 2016 48

de déplacement de plus en plus longs. S’il est vrai que le choix de vivre en périphérie dans des milieux à faible densité résidentielle nécessite un usage accru de l’automobile, et ce, pour toutes les activités – travail, magasinage, études et loisirs –, est-il également vrai qu’une proportion de plus en plus importante des travailleurs résidant en banlieue doit subir des temps de déplacement de plus en plus longs pour se rendre dans le principal pôle d’emploi de la RMR qu’est l’île de Montréal ?

IMMOBILIER COMMERCIAL : : OCTOBRE – NOVEMBRE 2019

RIVE-NORD LIMITES 2006

RIVE-SUD LIMITES 2006


Pour que cet énoncé soit vrai, il faudrait que les lieux d’emplois soient statiques géographiquement ; mais est-ce vraiment le cas ? Nous avons utilisé une compilation de Statistique Canada pour les recensements de 2006 et 2016 qui nous permet d’analyser l’évolution des emplois selon les secteurs d’activité et les lieux de travail.

Dans un premier temps, nous avons examiné l’évolution de l’emploi entre 2006 et 2016 pour l’ensemble de la RMR de Montréal (sur la base des limites de 2006) selon les différents secteurs d’activité. Durant la période allant de 2006 à 2016 environ, 195 000 nouveaux emplois ont été créés dans l’ensemble de la RMR de Montréal, mais certains secteurs d’activité ont

EMPLOIS SELON LES SECTEURS D’ACTIVITÉ

DIFFÉRENCE ENTRE 2006 ET 2016 EN NOMBRE

∆%

SOINS DE SANTÉ ET ASSISTANCE SOCIALE

46 395

23,8 %

SERVICES PROFESSIONNELS, SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

34 029

24,8 %

COMMERCE DE DÉTAIL

26 099

12,4 %

SERVICES D’ENSEIGNEMENT

25 482

20,7 %

HÉBERGEMENT ET SERVICES DE RESTAURATION

24 375

24,6 %

SERVICES ADMINISTRATIFS / SOUTIEN / GESTION DES DÉCHETS / ASSAINISSEMENT

13 751

24,1 %

FINANCE ET ASSURANCES

13 353

15,9 %

ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

13 087

17,1 %

CONSTRUCTION

10 804

24,7 %

TRANSPORT ET ENTREPOSAGE

9 447

12,5 %

ARTS, SPECTACLES ET LOISIRS

9 418

32,9 %

AUTRES SERVICES (SAUF LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES)

4 757

6,1 %

INDUSTRIE DE L’INFORMATION ET INDUSTRIE CULTURELLE

4 490

7,4 %

SERVICES IMMOBILIERS ET SERVICES DE LOCATION ET DE LOCATION À BAIL

2 408

7,7 %

AGRICULTURE, FORESTERIE, PÊCHE ET CHASSE

586

9,2 %

EXTRACTION MINIÈRE ET EXTRACTION DE PÉTROLE ET DE GAZ

475

32,4 %

GESTION DE SOCIÉTÉS ET D’ENTREPRISES

115

4,6 %

SERVICES PUBLICS

(1 319)

-8,6 %

COMMERCE DE GROS

(4 123)

-4,4 %

FABRICATION

(37 824)

-16,1 %

TOTAL

195 805

11,8 %

Source : Statistique Canada Recensements de 2006 et 2016 (compilation spéciale)

IMMOBILIER COMMERCIAL : : OCTOBRE – NOVEMBRE 2019

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SAVOIR POUR MIEUX INVESTIR

vu leurs effectifs décroître. Mentionnons entre autres les secteurs liés à la fabrication et au commerce de gros. Essentiellement, deux phénomènes expliquent cette décroissance : l’automatisation et la robotisation, ainsi que la délocalisation de ce type d’emplois à l’étranger. Ces pertes d’environ 42 000 emplois ont été largement comblées par le secteur des services, qu’ils soient à forte ou à faible valeur ajoutée. Les secteurs des soins de santé et des services sociaux, les services professionnels, scientifiques et techniques, le commerce de détail, les services d’enseignement ainsi que l’hébergement et la restauration ont à eux seuls généré plus de 156 000 nouveaux emplois.

L’analyse de l’évolution de l’emploi selon les différents secteurs d’activité et en fonction de la répartition géographique démontre que la part relative des emplois localisés sur l’île de Montréal par rapport au reste de la RMR a diminué au cours de la période 2006-2016, et ce, dans tous les secteurs d’activité. Le tableau ci-dessous révèle que la part globale des emplois sur l’île de Montréal est passée de 66 % en 2006 à 63 % en 2016. Près de 68 000 emplois ont été créés durant cette période sur l’île, soit le tiers de tous les emplois créés pendant ces 10 années. Pour conserver sa part relative d’emplois de 2006, il aurait fallu que l’île de Montréal génère près de 63 000 emplois additionnels durant cette période.

ÉVOLUTION DE L’EMPLOI ENTRE 2006 ET 2016

SECTEUR D’ACTIVITÉ

PARTS RELATIVES DES EMPLOIS SUR L’ÎLE DE MONTRÉAL 2006

2016

ÎLE DE MONTRÉAL

RMR

GAINS ADDITIONNELS NÉCESSAIRES ÎLE DE MONTRÉAL

SOINS DE SANTÉ ET ASSISTANCE SOCIALE

67 %

62 %

18 608

46 395

12 296

SERVICES PROFESSIONNELS, SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

75 %

73 %

20 905

34 029

4 737

COMMERCE DE DÉTAIL

53 %

50 %

4 969

26 099

8 950

SERVICES D’ENSEIGNEMENT

64 %

63 %

15 671

25 482

561

HÉBERGEMENT ET SERVICES DE RESTAURATION

62 %

60 %

12 649

24 375

2 358

SERVICES ADMINISTRATIFS / SOUTIEN / GESTION DES DÉCHETS

73 %

69 %

7 241

13 751

2 865

FINANCE ET ASSURANCES

80 %

78 %

9 144

13 353

1 505

ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

69 %

67 %

6 892

13 087

2 161

CONSTRUCTION

45 %

43 %

3 728

10 804

1 093

TRANSPORT ET ENTREPOSAGE

74 %

68 %

1 977

9 447

5 047

ARTS, SPECTACLES ET LOISIRS

67 %

68 %

6 748

9 418

-467

AUTRES SERVICES (SAUF LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES)

63 %

61 %

1 361

4 757

1 641

INDUSTRIE DE L’INFORMATION ET INDUSTRIE CULTURELLE

87 %

85 %

2 547

4 490

1 351

SERVICES IMMOBILIERS ET SERVICES DE LOCATION

68 %

67 %

1 603

2 408

23

AGRICULTURE, FORESTERIE, PÊCHE ET CHASSE

19 %

21 %

245

586

-135

EXTRACTION MINIÈRE ET EXTRACTION DE PÉTROLE ET DE GAZ

50 %

49 %

225

475

13

GESTION DE SOCIÉTÉS ET D’ENTREPRISES

78 %

80 %

155

115

-66

SERVICES PUBLICS

73 %

72 %

-1 114

-1 319

146

COMMERCE DE GROS

70 %

64 %

-8 548

-4 123

5 667

FABRICATION

64 %

57 %

-37 026

-37 824

12 912

TOTAL

66 %

63 %

67 980

195 805

62 661

Source : Statistique Canada Recensements de 2006 et 2016 (compilation spéciale)

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DIFFÉRENCE ENTRE 2006 ET 2016

IMMOBILIER COMMERCIAL : : OCTOBRE – NOVEMBRE 2019


ocean a l autre Investis d’un

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Sans surprise, on observe que certains types d’activités nécessitant de grandes superficies de terrains et de bâtiments, tels que la fabrication et le commerce de gros ainsi que le transport et l’entreposage, ont subi un déclin relatif plus important sur l’île de Montréal. Or, on constate que même les secteurs des services à plus haute valeur ajoutée qui ont historiquement plutôt tendance à être localisés au centre ont également contribué à la baisse du poids relatif des emplois sur l’île. Les entreprises œuvrant dans les secteurs liés aux services professionnels, scientifiques et techniques ainsi que celles du secteur des finances et des assurances auraient dû générer environ 6 000 emplois de plus sur l’île de Montréal pour conserver leur poids relatif par rapport à 2006. Plusieurs raisons ont concouru au desserrement de certaines activités économiques dans l’espace métro­ politain montréalais : • un coût foncier et des taxes moindres en périphérie ; • un accès au réseau autoroutier plus rapide et moins congestionné permettant aux activités de logis­tique de desservir les autres agglomérations plus rapidement ; • un parc immobilier industriel vieillissant dans les secteurs centraux et dont les coûts de réhabilitation ou d’agrandissement sont souvent prohibitifs comparativement à l’option d’un nouveau bâtiment en banlieue ; • l’introduction des technologies de l’information et de la communication qui rendent caduque la nécessité de la proximité physique de l’ensemble des services des grandes entreprises en permettant de déplacer certains d’entre eux (le back-office) en périphérie où les coûts des loyers sont moins élevés qu’au centre ; • la proximité nécessaire des bassins de clientèles résidentielles pour certaines activités économiques tels que le commerce de détail, les services d’enseignement, les services sociaux et de santé ; • la proximité et l’accès à un bassin de main-d’œuvre en croissance en périphérie qui facilitent la rétention des employés pour ces entreprises en diminuant les contraintes des temps de déplacement entre le lieu de résidence et le lieu de travail.

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IMMOBILIER COMMERCIAL : : OCTOBRE – NOVEMBRE 2019

GETTY IMAGES PAR FANGXIANUO

Il semble donc clair que le processus d’étalement urbain touche non seulement le secteur résidentiel, mais également et de façon concomitante le desserrement géographique de l’emploi. L’étalement urbain résidentiel aurait ainsi favorisé la croissance et la consolidation des pôles d’emplois en périphérie. On peut aussi se demander si l’offre immo­ bilière qui se déploie de façon concentrée autour des infrastructures de transport favorise à son tour l’étale­ ment urbain résidentiel. Dans une telle perspective, on peut envisager que le poids relatif de l’île de Montréal poursuivra son lent déclin.


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