11 minute read
INVESTISSEMENTS RESPONSABLES ET GOUVERNANCE
Andrée De Serres
Experte invitée
Comment la crise de la COVID-19 marquera-t-elle l’investissement responsable en immobilier? Plusieurs éléments laissent présager une nouvelle ère d’investissement durable, intelligent et résilient, dont on peut suivre et mesurer les impacts, positifs ou négatifs, générés sur les humains, la société, l’environnement, l’économie et la nature.
Andrée De Serres, Ph. D., titulaire, Chaire Ivanhoé Cambridge d’immobilier, et directrice, Observatoire et centre de valorisation des innovations en immobilier ( OCVI 2 ), ESG UQAM
LE VÉRITABLE BÂTIMENT DURABLE
La pandémie a pour conséquence d’accélérer la mise en œuvre de multiples innovations technologiques, numériques et managériales en bâtiment durable. Préexistante à la crise et considérée comme un moyen de lutter contre les changements climatiques, leur implantation a été retardée par le manque d’enthousiasme de plusieurs intervenants du secteur immobilier par rapport au changement. Ils étaient encore nombreux au début de la crise de la COVID à se demander pourquoi et comment faire du bâtiment durable, tout en se questionnant sur les coûts qui y sont associés et sur les modèles d’affaires efficaces pour en capter la valeur. S’ils n’ont pas été convaincus de l’urgence de lutter contre les changements climatiques, ils sont maintenant obligés dans l’urgence de réagir à la COVID-19.
Le bâtiment durable est un concept largement reconnu dans la littérature scientifique comme dans la pratique pour ses bonnes performances en gestion écoénergétique et environnementale, en gestion des eaux et des déchets, ainsi qu’en gestion de la sécurité, de la santé, du confort et du bien-être de ses occupants; il doit en outre offrir une bonne performance sur le plan de la mobilité, des espaces verts et de l’approvisionnement, ainsi que des services multiples. Un bâtiment durable devrait être doté de systèmes intelligents permettant de surveiller sa performance de façon continue. Il est en somme plus résilient que des immeubles comparables qui ne sont pas dotés des mêmes caractéristiques.
Un bâtiment véritablement durable ne l’est pas uniquement à son ouverture. Il doit pouvoir être adapté, rénové et transformé pour le demeurer tout au long de son cycle de vie et continuer à être utilisé pour des usages variés. Pendant la longue phase d’exploitation, ses gestionnaires devraient être outillés pour assurer le maintien de sa bonne performance et de sa santé. Ils gèrent du même coup les risques menaçant la continuité des services et les flux des coûts et des revenus, élément qui devrait plaire aux investisseurs, aux financiers et aux assureurs, ainsi qu’au voisinage et à l’adminis tration de la ville.
LE BÂTIMENT DURABLE PROPULSÉ PAR LA PANDÉMIE ?
Le confinement a obligé la cessation presque complète des activités dans tous les immeubles commerciaux et les tours de bureaux, durables ou non. Cependant, le déconfinement et le retour progressif au travail ont procuré l’occa sion d’apprécier les avantages qu’offrent aux locataires les bâtiments durables. Les propriétaires de condominiums et les locataires d’immeubles multirésidentiels devraient aussi les apprécier.
La COVID-19 servirait-elle ainsi de brusque réveil et produirait-elle l’effet de propulser la mise à niveau et le développement accéléré du bâtiment durable? Elle en fait effectivement ressortir sa meilleure résilience en permettant d’assurer le fonctionnement de l’immeuble et l’occupation de ses espaces de façon sécuritaire par les locataires et les usagers, et ceux-ci savent l’apprécier.
Pour demeurer concurrentiels dans l’aprèsCOVID, les acteurs de l’immobilier récalcitrants au bâtiment durable devront maintenant bouleverser leur modèle d’affaires afin de répondre aux nouvelles attentes des clients et des usagers des immeubles de même qu’à celles des régulateurs qui devraient se montrer plus
ISTOCK PAR WARCHI
exigeants en adaptant leur cadre réglementaire en conséquence. Le défi sera maintenant de développer les capacités pour pouvoir rendre compte à ses clients et à ses usagers du bon état de santé de l’immeuble, incluant la qualité de son entretien et de son maintien. Pour y parvenir, le bail vert sera utile et devra être partie intégrante du bail commercial. Il faudra aussi s’approprier rapidement les applications et les innovations en bâtiment durable et résilient, en BIM (Building Information Modeling) et 3D, en gestion de données, apprentissage profond, intelligence artificielle, Internet de l’objet, automatisation, robotisation et autres. Ces technologies numériques nous transportent dans une nouvelle ère, celle de la transparence de l’état de santé, ou d’obsolescence, de l’immeuble.
Les investisseurs les plus avant-gardistes transformeront leur modèle d’affaires: de propriétaire de bâtiments, ils pourraient se muter en fournisseurs d’un flux varié de services mesurables grâce aux applications numériques, qu’il s’agisse de quantité ou de qualité, services que les usagers choisiront moyennant un coût à fixer et à payer. L’actif financier n’est plus le bâtiment lui-même. C’est plus que le terrain, la brique et le béton. Le bâtiment se mute en projet immobilier, en système à durée de vie déterminée. Le choix des matériaux et des composants effectué lors de la phase de conception, au moment de sa construction ou de sa transformation, devient garant de la capacité de livrer et d’adapter les services offerts durant la phase d’exploitation. Les mauvais choix et les économies irréfléchies se transformeront en facteurs de dégradation prématurée de ce système immobilier de production de services et du flux de revenus qui lui est associé. Le coût global du cycle de vie de l’immeuble devient plus important que le seul coût de conceptionconstruction traditionnel, car à défaut de pouvoir livrer les services déterminés, la contre -partie est conséquente sur la valeur de l’actif.
Êtes-vous prêts à aborder la nouvelle ère de l’investissement responsable en immobilier durable?
VIANNEY BÉLANGER
REPENSER L’HABITATION URBAINE
PAR GABRIELLE BRASSARD-LECOURS, JOURNALISTE
Cumulant plus de 30 années d’expérience dans le domaine du développement immobilier, Vianney Bélanger travaille depuis deux ans sur un concept qui tentera de révolutionner l’habitation urbaine comme jamais auparavant.
UN RICHE PARCOURS
Président et fondateur de la firme COPRIM depuis 1990, l’architecte de formation a œuvré principalement comme gestionnaire de projets. «Ça m’a permis de travailler avec plusieurs bureaux d’architecture, d’ingénierie, de consultants spécialisés en construction, d’avocats et avec des institutions financières, ainsi que de mieux maîtriser les processus de création, mais surtout de réalisation d’un projet immobilier. C’est un vaste écosystème qui part de la conception jusqu’à la réalisation et qui implique la structure juridique, financière, l’interprétation des codes, la mise en marché, etc. J’ai touché à tous ces points pendant ma carrière», résume Vianney Bélanger.
COPRIM offre plusieurs services, soit le développement, la gestion et la mise en œuvre de projets, de même qu’un service de représentant/propriétaire. Parmi les projets pilotés par l’entreprise, on compte notamment le siège social du Port de Montréal à la Cité du Havre dans le secteur bureaux, le Ritz-Carlton hôtel et résidences à Montréal dans le secteur multifonctionnel, l’intégration des services de Radio-Canada des réseaux français et anglais au centre-ville d’Ottawa, l’expansion du marché
Jean-Talon dans le secteur commercial, le stade des Internationaux de tennis au parc Jarry dans le domaine sportif et culturel, le parcours de golf et le complexe résidentiel à Terrebonne en urbanisme, plusieurs projets pour les YMCA du Québec, des projets récréo-résidentiels à Saint-Donat et plusieurs autres.
Parmi les réalisations dont il est le plus fier, M. Bélanger note les Lofts Redpath le long du canal Lachine à Montréal, ainsi que le monastère Bon-Pasteur: «J’étais un gestionnaire de 33 ans avec une jeune équipe quand j’ai hérité de ce projet. Nous avons transformé un bâtiment classé monument historique en un projet à usage multiple.» Situé rue Sherbrooke près du boulevard Saint-Laurent, cet ancien monastère abrite aujourd’hui une cour intérieure paysagée, une résidence pour personnes âgées, une coopérative d’habitation, un centre culturel communautaire, des bureaux, une garderie, un stationne ment, des condominiums, ainsi qu’une salle de musique classique de notoriété à Montréal dans l’ancienne chapelle BonPasteur. « Il s’agissait du premier projet qui comprenait des entités distinctes (copropriétés divises) à l’intérieur d’un même bâtiment classé monument historique», raconte encore avec passion Vianney Bélanger .
L’entrepreneur originaire du bas du fleuve a touché à tous les types d’habitation. «J’ai réalisé beaucoup de projets avec des clients variés, dont des promoteurs privés et des organismes à but non lucratif. J’ai commencé ma carrière en développant des coopératives. Je sais ce qu’est un groupe communautaire et comment susciter l’enthousiasme, la motivation et travailler en collaboration. J’ai appris beaucoup au contact de ces groupes, et ça m’a été d’une grande utilité toute ma vie», affirme-t-il. Il s’est ensuite tourné vers le développement de condominiums. « Un complexe de condominiums, c’est une copropriété où chacun des occupants est généralement propriétaire, mais en réalité, c’est un peu la même dynamique que dans les coopératives», observe-t-il.
«J’ai toujours motivé les gens avec qui je collabore à se dépasser. J’ai travaillé d’arrache-pied toute ma vie et j’ai réussi dans les projets que j’ai entrepris grâce à mes capacités, à mon leadership et à mon expertise. Je suis une personne d’éthique et d’écoute. Je suis capable de changer d’idée, mais il faut que la nouvelle idée qu’on me présente soit plus pertinente, sinon la mienne prévaut», explique le gestionnaire pour justifier sa manière de travailler . «La sécurité du noyau familial, le fait de pouvoir y contrôler son environnement, la sécurité des enfants, l’homogénéité du voisinage, l’autonomie, l’espace, l’accès à des services; c’est l’essentiel.»
– Vianney Bélanger
UN RETOUR À L’ESSENTIEL
Ce sont donc toutes ses expériences et ses observations au fil de sa carrière à propos des différents aspects de la vie en milieu urbain qui ont donné l’idée à Vianney Bélanger de développer un nouveau concept d’habitation adapté à la vie urbaine moderne.
Les réglementations, les politiques de développement de l’habitation, les programmes gouvernementaux et municipaux de soutiens financiers sont enlisés dans des façons de faire difficiles à changer. D’après lui, son concept innovant est simple même s’il implique de repenser les manières de faire à chaque étape de sa mise en œuvre.
M. Bélanger explique qu’il manque d’habitations pour les familles à Montréal. « On parle toujours d’étalement urbain et du fait que les familles, depuis des décennies, quittent la ville. Mais à mon avis, c’est parce que l’offre qui s’y trouve n’est pas adaptée aux réalités d’aujourd’hui pour elles», dit-il.
Celui qui a étudié en architecture à Québec insiste sur le fait qu’il faut imaginer un concept qui comporte les caractéristiques de la maison individuelle, mais en ville : « La sécurité du noyau familial, le fait de pouvoir y contrôler son environnement, la sécurité des enfants, l’homogénéité du voisinage, l’autonomie, l’espace, l’accès à des services; c’est l’essentiel», affirme l’homme d’affaires.
Quel est le défi associé à sa démarche, qu’il appelle pour l’instant un produit résidentiel innovant? Offrir des habitations conçues à 100% pour les familles, en intégrant des lieux de socialisation et des espaces verts sécuritaires permettant aux enfants d’y jouer sans la surveillance
JBC MÉDIA PAR DENIS BERNIER
constante des parents. «Je suis allé à la marche pour le climat avec mon petit-fils à l’automne 2019 et j’ai réalisé à quel point l’environnement préoccupait les jeunes et les familles. Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour contribuer au mouvement, avec mon expertise », confie le grand-papa. En plus d’intégrer la verdure à son projet d’habitation, l’agriculture urbaine, la lumière naturelle en abondance dans son système et la superposition de ces unités résidentielles urbaines, le produit redonne à même son site la totalité des espaces verts sacrifiés pour l’implantation du projet.
Chaque unité aurait au minimum deux chambres à coucher, offrirait de la lumière naturelle sur trois, voire quatre façades (contrairement à une ou deux dans les logements existants) et aura un accès individuel et une pleine autonomie technique. «De cette façon, on réduit les espaces inutiles comme les corridors d’accès partagés, et l’on diminue les frais communs », affirme Vianney Bélanger. Pour lui, toutes les unités résidentielles doivent comporter les mêmes avantages et répondre aux besoins de toutes les couches sociales. «Il ne faut pas distinguer les familles pauvres, moyennes ou riches; elles ont toutes les mêmes aspirations. Les fondamentaux doivent être là pour toutes les unités et générer les mêmes bénéfices pour tout le monde, affirme le concepteur. J’ai toujours pensé qu’il fallait créer une réelle intégration sociale dans les immeubles d’habitation.»
Pour réduire la lourde empreinte écologique des chantiers de construction, souvent mal organisés selon l’entrepreneur, ce produit résidentiel sera bâti avec une part importante de préfabrication pour accélérer la cons truction, réduire les coûts et les nuisances en milieu urbain. Selon Vianney Bélanger, c’est un système flexible et adaptable qui pourra se configurer selon les caractéristiques des sites et des réglementations municipales dans la majorité des villes canadiennes.
LES PROCHAINES ÉTAPES
Pour l’architecte de formation, ce projet constitue un réel retour à la page blanche, avec l’implacable nécessité de repenser complètement l’habitation à toutes les étapes de conception et de réalisation. «Cette initiative va sans doute bouleverser certaines normes environnementales, des réglementations et les façons d’aménager les villes. Il faut impliquer et convaincre les acteurs, mais jusqu’à présent, je n’ai eu aucune difficulté à mobiliser les gens autour de ce produit», confie M. Bélanger. Il compte d’ailleurs sur son expérience et sa crédibilité dans le milieu pour faire avancer ce projet innovateur.
L’entrepreneur a déjà testé son concept auprès de groupes de discussion et travaille avec des architectes au développement conceptuel, en plus de rencontrer plusieurs partenaires stratégiques pour mettre en place ce nouveau type d’habitation.
«Il faut qu’on change nos habitudes, qu’on pense diffé remment notre milieu de vie», conclut ce penseur urbain, qui décrit son projet comme étant « un produit postcontemporain, conçu pour répondre aux besoins des familles modernes, en tenant compte des enjeux environnementaux et des impacts de l’actuelle pandémie».