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À venir, un possible impôt sur la vente de la résidence principale

Par René Vézina, journaliste spécialisé en économie

À Québec, et surtout à Ottawa, les gouvernements ont ouvert leurs goussets pour atténuer les dommages causés par la pandémie. Les employeurs comme les employés ont eu droit à des programmes de soutien. Mais la facture associée à toutes ces mesures finira par nous rebondir en plein visage. Où trouver l’argent?

Il se pourrait fort bien que les gouvernements aillent puiser dans des réservoirs de capitaux protégés depuis toujours, par exemple sur le gain en capital résultant de la vente d’une résidence principale. Le choc serait terrible. Pour des millions de Canadiens, la résidence principale demeure une importante source de capital à la retraite, une fois vendue. C’est surtout vrai dans les grandes agglo mérations où les prix ont explosé, mais le principe vaut d’un bout à l’autre du pays. Et les constructeurs eux-mêmes en subiraient les conséquences.

UNE HYPOTHÈSE À CONSIDÉRER

Celui qui évoque cette mesure ne souhaite pas la voir appliquée, mais son expérience de politicien et ses connaissances du milieu lui indiquent que c’est là une des pistes que les gouvernements pourraient bien suivre le jour où la situation reviendra à la normale. Il s’agit de Jean Charest. Aujourd’hui associé au cabinet d’avocats McCarthy Tétrault, il a été tour à tour vice-premier ministre du Canada, puis premier ministre du Québec de 2003 à 2012. «Il faut comprendre que la relation la plus proche au Conseil des ministres demeure celle qui s’établit entre le premier ministre et son ministre des Finances», dit-il. Autrement dit, il ne lance pas cette hypothèse à la légère.

Les gouvernements profitent du fait que les taux d’intérêt sont historiquement bas pour emprunter. Mais ça ne durera pas éternellement. Il faudra tôt ou tard rééquilibrer les finances publiques.

Il a fait sursauter son auditoire lorsqu’il en a parlé lors d’une récente conférence virtuelle organisée par le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), où il était question de l’avenir pour l’ensemble de l’économie. Il a accepté de revenir sur ses propos pour Immobilier commercial.

LES MIEUX NANTIS, PLUS TOUCHÉS

«Les gouvernements profitent du fait que les taux d’intérêt sont historiquement bas pour emprunter. Mais ça ne durera pas éternellement. Il faudra tôt ou tard rééquilibrer les finances publiques», croit Jean Charest.

Il entrevoit plusieurs ponctions fiscales, toutes plus douloureuses les unes que les autres, avec des exemptions pour ne pas accabler la classe moyenne. Ce sont les gens plus nantis qui risquent d’écoper. Parmi les mesures possibles, il cite un impôt sur la richesse, en fait, sur la valeur des actifs d’une personne ou d’un ménage: «Mais je n’imagine pas qu’il s’appliquerait autrement qu’à partir d’un seuil élevé, du genre 10 millions de dollars.» Même scénario pour une mesure qui existe notamment en France, mais qu’on n’a jamais osé appliquer ici: un impôt sur les successions. «Dans tous les cas, on devrait concevoir des exemptions», estime M. Charest.

Autrement dit, le couperet ne tomberait qu’à partir d’un seuil donné, quelques millions de dollars pour un héritage, par exemple. La taxe serait imposée au-delà de ce montant.

Ces dispositions ne seraient certainement pas populaires, mais c’est celle qui touche à l’immobilier qui pourrait provoquer une véritable levée de boucliers; l’ancien premier ministre en est bien conscient. Au Canada, le fruit de la vente d’une résidence principale est aujourd’hui exonéré d’impôt. Les citoyens sont même encouragés à devenir propriétaires. Le gain qu’ils pourraient obtenir plus tard, à la suite d’une vente, aiderait à adoucir leurs vieux jours. Ira-t-on leur en prélever une partie?

«Entendons-nous, prévient Jean Charest. Cette mesure devrait être soigneusement encadrée.» À ses yeux, si jamais elle entre en vigueur, il faudra établir une sorte de franchise. Ce n’est qu’à partir d’un seuil de 500 000$, ou de 1 000 000$, que l’impôt frapperait le gain associé à la vente d’une résidence principale. Plus important encore, le bon sens voudrait qu’on mette en place une clause de droits acquis: les propriétaires actuels seraient épargnés. «Ce serait autrement injuste de pénaliser rétroactivement les gens qui comptent souvent sur la valeur de leur résidence pour financer leur retraite», souligne l’avocat.

UNE SITUATION INÉDITE

Il ne s’agit pas ici d’idées lancées en l’air. «Je ne pense pas qu’elles aient été formellement débattues au gouvernement fédéral, mais il est clair que les milieux financiers les évoquent, et l’on ne peut pas simplement les écarter. Elles sont sur l’écran radar», indique Jean Charest.

Il s’agirait là de mesures exceptionnelles, mais nous vivons une situation exceptionnelle. «Les bas taux d’intérêt sont devenus une drogue pour les gouvernements, qui ne regardent plus à la dépense, constate l’ex-politicien. On observe des niveaux d’endettement public un peu partout sur la planète. Qui plus est, le secteur de l’énergie, qui représente près de 10% du produit intérieur brut canadien, est en crise. Il va bien falloir trouver, tôt ou tard, des revenus additionnels.»

On n’ose même plus chiffrer le déficit que finira par présenter le gouvernement fédéral. Il faut pour l’instant veiller à ce que l’économie ne s’effondre pas. Mais il serait illusoire de penser que le redressement à venir s’effectuera sans douleur.

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