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DROITS ET OBLIGATIONS Peut-on cesser de payer son loyer faute d’usage des lieux
Me Sylvie Bouvette
Experte invitée
Me Sylvie Bouvette est avocate associée chez Borden Ladner Gervais LLP / S.E.N.C.R.L., S.R.L. Elle représente des vendeurs, des acheteurs, des coentrepreneurs, des prêteurs et des emprunteurs dans le cadre de transactions et de financements immobiliers. Elle a été sélectionnée par ses pairs pour figurer dans l’édition 2016 de The Best Lawyers in Canada® dans la catégorie droit immobilier.
PEUT-ON CESSER DE PAYER SON LOYER FAUTE D’USAGE DES LIEUX?
Dans une décision de la Cour supérieure rendue par le juge Peter Kalichman le 5 janvier 20211, les demandeurs, qui sont des sociétés du Groupe Dynamite (collectivement le «Groupe Dynamite»), veulent se faire relever de leur obligation de payer leur loyer dans les circonstances où leur capacité d’utiliser les lieux loués était entravée par les décrets gouvernementaux liés à la COVID-19.
Le Groupe Dynamite exploite plus 300 magasins au Canada et aux États-Unis sous les noms de Dynamite et de Garage. Il s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la «LACC»), et des ordonnances lui ont déjà été émises, notamment pour que les créanciers de Groupe Dynamite ne puissent prendre ou continuer des procédures pendant la période de suspension qui lui avait été accordée. Il est aussi prévu, tant dans la Loi que dans les ordonnances, qu’aucune personne fournissant des marchandises ou des services ou fournissant auprès de ce groupe l’utilisation de biens loués après l’ordonnance puisse être empêchée de requérir paiement. La LACC a pour objectif de faciliter la mise en place d’arrangements par un débiteur envers ses créanciers afin que l’entreprise puisse continuer de faire des affaires. Pour cela, une suspension est accordée afin de permettre à l’entreprise visée d’établir un tel plan.
Le nœud du litige repose sur la notion de fourniture de l’«usage de lieux loués », qui figure dans l’ordonnance émise et dans la LACC. Làdessus, la position de Groupe Dynamite comme locataire est opposée à celle des propriétaires.
Selon Groupe Dynamite, les mots utilisés mettent l’accent sur l’usage et non pas sur l’occupation
ISTOCK PAR JUANMONINO
des magasins. Comme la continuité des paiements découle de l’usage des lieux, ni l’existence d’un bail ni l’occupation de locaux n’impliquent nécessairement leur usage. Selon la LACC, on devrait examiner s’il y a jouissance du bénéfice économique comme les parties aux baux l’ont convenu. Groupe Dynamite considère ne pas avoir l’usage des magasins. Il explique que, selon son modèle d’affaires, ceux-ci servent au marketing et à la reconnaissance de la marque. Voilà pourquoi Groupe Dynamite privilégie des centres commerciaux de première classe. Cependant, en raison des restrictions imposées par la pandémie de COVID-19, Groupe Dynamite a été obligé de fermer ses magasins au Manitoba et en Ontario. L’option pour celui-ci de mettre en place un service d’achat en ligne et de ramassage en magasin n’était pas viable, car cela ne représente que 0,5% de ses ventes globales, qui sont en outre déjà traitées par son siège social à Montréal. Par ailleurs, Groupe Dynamite reconnaît que s’il était effectivement obligé de payer les loyers, cela ne l’empêcherait pas d’établir un plan d’arrangement qui serait acceptable; cependant, l’utilisation de sommes à telles fins serait contraire aux objectifs de la LACC.

De leur côté, les propriétaires ayant contracté des baux avec Groupe Dynamite allèguent que ce dernier n’a pas demandé leur résiliation et que dans les faits, il n’est pas empêché d’utiliser les locaux. Dans l’intervalle, les propriétaires doivent continuer d’assumer les dépenses liées aux magasins sans recevoir le bénéfice du loyer, donnant ainsi un avantage à Groupe Dynamite. Pour eux, la Cour n’aurait pas discrétion pour satisfaire à la demande de Groupe Dynamite, et celle-ci aurait pour effet de réécrire les baux; ainsi, seuls les propriétaires subiraient le fardeau des restrictions associées à la COVID-19. Groupe Dynamite n’a pas voulu renoncer à ses locaux, ce qu’il aurait pu faire en demandant de mettre fin aux baux. En n’y renonçant pas, Groupe Dynamite confirme qu’il est le seul ayant le droit à la possession.
Pour la Cour, il n’est effectivement pas nécessaire de poursuivre des activités commerciales dans les lieux loués pour en avoir l’usage. À ce compte, il pourrait être trop facile pour un locataire de choisir de cesser temporairement ses opérations dans les lieux loués et de prétendre que le bailleur n’a pas droit au paiement. Il n’y a pas de doute que les restrictions liées à la COVID-19 touchent de manière importante les opérations de Groupe Dynamite. Celui-ci a choisi de ne pas abandonner ces baux, mais plutôt de les conserver. Cela confirme que le Groupe est le seul possesseur des lieux. La Cour se range aux arguments principaux des propriétaires et considère que la position des demandeurs donnerait un résultat injuste. De plus, les termes des baux ne relèvent pas Groupe Dynamite de son obligation de payer le loyer en cas d’action gouvernementale ou de situation de force majeure. En conséquence, les propriétaires ne sont pas empêchés de réclamer le paiement immédiat de leur loyer et peuvent donc le faire.
Paul Lewis
Paul Lewis était jusqu’à tout récemment professeur à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. De 2014 à 2018, il en a été le doyen et, de 2018 à 2020, il a occupé le poste de vicerecteur associé aux relations avec les diplômés. Il fait depuis quelques années de la photo urbaine, en prolongement de ses années d’enseignement en urbanisme. On peut voir ses photographies au paullewis.photos. Les lieux communs sont nombreux dans nos villes, ils font partie de notre quotidien et, ce faisant, ils appartiennent à tous. Nous les voyons sans les voir, nous ne les regardons pas vraiment, justement parce que ce sont des lieux communs, des lieux qui vont sans dire en un sens. Ces lieux peuvent être uniques, mais ils peuvent aussi être banals. Dans tous les cas, ce sont des composantes essentielles de la ville, qui la définissent et qui font sa richesse.

PAUL LEWIS, 2020, MUR, OUTREMONT
MUR
Les bâtiments se transforment, au gré des besoins de ceux qui les possèdent, les habitent et les utilisent. Leurs fonctions changent parfois, avec l’arrivée de nouveaux usagers, qui leur donnent une autre vie.
Montréal doit beaucoup à l’industrialisation. Plusieurs usines ont disparu, et nombre d’entre elles ont été démolies. Il en reste toutefois un riche patrimoine: certains des édifices qui témoignent de l’histoire industrielle ont été convertis, alors que d’autres sont encore en attente de nouveaux occupants. Cette photo a été prise au début du mois de février 2020, à Outremont. Ce bâtiment est peut-être abandonné, mais son mur de briques beiges attire le regard, avec ses grandes plaques de ton pastel, comme un tableau abstrait. Les deux arbres, qui font en quelque sorte corps avec le mur, complètent le tableau. Ce mur raconte une histoire, qui est peut-être oubliée. En février dernier, le mur était toujours là, comme le témoin d’un autre temps, mais aussi comme arrière-plan de nos vies, de nos errances dans une ville qui n’a de cesse de se transformer.