DROIT IMMOBILIER
JUSQU’OÙ VA LA PERTE DES DROITS DE VOTE POUR UN PROMOTEUR DE COPROPRIÉTÉ ? Me Sylvie Bouvette Experte invitée
Lorsqu’un promoteur se trouve encore impliqué dans une copropriété divise, celui-ci peut voir le nombre de voix dont il dispose réduit, lors de votes tenus aux assemblées des copropriétaires, selon les circonstances.
La décision de la Cour d’appel dont nous voulons faire état1, rendue le 13 mai 2021, vient de jeter un nouvel éclairage sur ces dispositions.
Me Sylvie Bouvette est avocate associée chez Borden Ladner Gervais LLP / S.E.N.C.R.L., S.R.L. Elle représente des vendeurs, des acheteurs, des coentrepreneurs, des prêteurs et des emprunteurs dans le cadre de transactions et de financements immo biliers. Elle a été sélectionnée par ses pairs pour figurer dans l’édition 2016 de The Best Lawyers in Canada® dans la catégorie droit immobilier.
Un site de villégiature a été inauguré en 1944 au lac Archambault à Saint-Donat sur lequel se trouvait l’hôtel Manoir des Laurentides, de même que des chalets. En 2000, la société alors propriétaire du site (le « Promoteur Initial ») souhaite remplacer les anciens chalets par huit bâtiments, chacun composé de quatre unités d’habitation, qui seront construits par phases. Le Promoteur Initial dépose en 2005 une déclaration de copropriété divise, comportant dix fractions, dont deux (les unités 74 et 75) ont obtenu un total de 71,76 % des votes, et les huit autres, 3,53 % des votes chacune. Le Promoteur Initial vend les deux unités principales (74 et 75) à une société qui déclare ensuite faillite. Le syndic les revend à l’intimée, Hôtel & Suites Le Lincoln inc. (l’« Hôtel Lincoln ») en 2016. Sur le site de ces unités se trouvait encore le Manoir des Laurentides, devenu vétuste, qu’Hôtel Lincoln fera démolir en 2018. En août 2017, lors d’une assemblée des copro priétaires, le syndicat de la copropriété informe Hôtel Lincoln que ses droits de vote sont réduits de 71,76 à 25 % en vertu des articles 1092 et 1093 du Code civil du Québec. Hôtel Lincoln n’est pas d’accord avec cette prétention et présente une demande pour jugement déclaratoire afin de faire clarifier ses droits. L’article 1092 du Code civil du Québec prévoit qu’un promoteur d’une copropriété comptant
cinq fractions ou plus ne peut disposer, après la troisième année de la date d’inscription de la déclaration de copropriété, de plus de 25 % de l’ensemble des voix des copropriétaires (outre les voix attachées à la fraction qu’il habite). L’article 1093, quant à lui, précise qu’est consi déré comme promoteur celui qui, au moment de l’inscription de la déclaration de copropriété, est propriétaire d’au moins la moitié de l’ensemble des fractions ou ses ayants cause, sauf celui qui acquiert de bonne foi et dans l’intention de l’habiter une fraction pour un prix égal à sa valeur marchande. La Cour énonce les commentaires du ministre de la Justice à l’égard de ces articles qui soulignaient que la notion de promoteur ne correspond pas à une réalité juridique précise ; il peut s’agir d’un constructeur, d’un maître d’œuvre, d’un propriétaire-vendeur, mais aussi d’un créancier qui a participé au financement du projet. L’intention était ainsi de limiter le contrôle du promoteur sur les destinées de la copropriété par la réduction sur une période de trois ans du nombre de voix qu’il détient. La Cour confirme que c’est au moment de la date d’inscription de la déclaration de copropriété qu’il faut établir qui est le propriétaire d’au moins la moitié de l’ensemble des fractions. En 2005, il s’agissait du Promoteur Initial, mais Hôtel Lincoln est bien son ayant cause. Le nombre de ses voix serait plafonné à 25 %, s’il ne bénéficiait pas de l’exception prévue à l’article 1093 du Code civil du Québec (soit l’acquéreur de bonne foi qui a l’intention d’habiter une fraction, pour un prix égal à sa valeur marchande). Le syndicat a reconnu qu’Hôtel Lincoln remplis-
1. Syndicat des Copropriétaires Cond’Eautels du Manoir c. Hôtel & Suites Le Lincoln inc. 2021 QCCA 802
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IMMOBILIER COMMERCIAL : : AOÛT – SEPTEMBRE 2021