SCIENCES DE LA VIE ET TECHNOLOGIES DE LA SANTÉ GETTY IMAGES PAR METAMORWORKS
UN SECTEUR ATTRACTIF ET EN PLEINE EFFERVESCENCE PAR EMMANUELLE GRIL, JOURNALISTE
Aucun doute possible : les sciences de la vie et les technologies de la santé ont le vent dans les voiles. La croissance est au rendez-vous dans ce secteur qui met à profit le savoir et où des entreprises naissent régulièrement. Tour d’horizon d’un domaine en ébullition.
L
e Grand Montréal est un pôle majeur en sciences de la vie et technologies de la santé (SVTS). Avec 56 000 emplois directs et indirects, plus de 600 organisations – de la jeune pousse à la grande entreprise en passant par les centres de recherche –, ce domaine qui représente 5,6 milliards de dollars se démarque et offre des perspectives prometteuses. Pharmaceutique, biotechnologies, recherche clinique, technologies médicales ou appliquées à la santé, notamment en intelligence artificielle, représentent les principaux segments de ce secteur en croissance. « Le Québec occupe le 10e rang en Amérique du Nord pour sa compétitivité dans les SVTS. Nous constituons un pôle majeur et très attractif, grâce à notre masse critique d’organisations, mais aussi de chercheurs », se réjouit Frank Béraud, le présidentdirecteur général de Montréal InVivo, la grappe industrielle qui regroupe l’écosystème des SVTS du Grand Montréal.
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FRANK BÉRAUD Président-directeur général Montréal InVivo
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LE FINANCEMENT AU RENDEZ-VOUS Il est donc bien loin le temps où – au début des années 2010 – les SVTS connaissaient des fermetures et une restructuration majeure, en particulier du côté des centres de recherche des grandes compagnies pharmaceutiques. Aujourd’hui, le niveau d’emploi est revenu à ce qu’il était juste avant ce ralentissement qui, rappelle Frank Béraud, n’était pas un vote de défiance vis-à-vis de Montréal, mais plutôt l’expression d’une tendance généralisée et mondialisée dans le secteur pharmaceutique. Signe que les indicateurs sont au beau fixe, la plupart des personnes ayant été mises à pied à l’époque se sont replacées dans l’industrie ou encore ont lancé leur propre entreprise. « Cela démontre que notre domaine affiche une belle vitalité et que l’écosystème est capable d’absorber les hauts et les bas. D’ailleurs, les SVTS sont très diversifiées et affichent aujourd’hui un bon équilibre entre le secteur pharmaceutique, les biotechnologies et les technologies médicales », affirme M. Béraud. Autre signal fort : depuis environ deux ans, le financement est de retour. « De nombreuses compagnies prennent leur envol et réussissent à aller chercher de bons montants en capital », précise Frank Béraud. À cet égard, il cite plusieurs cas récents qui illustrent bien à quel point le vent a tourné. Ainsi, Theratechnologies, une compagnie
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cotée en bourse, a fait une émission d’actions de 57 M$ en juin dernier et se prépare à lancer son deuxième médicament sur le marché (traitement du virus de l’immunodéficience humaine [VIH]). Acasti Pharma a pour sa part émis pour 24 M$ d’actions au mois d’octobre. L’entreprise est actuellement en phase trois d’une étude clinique pour produire un médicament issu du krill (un zooplancton) contre les maladies cardiovasculaires. Clementia Pharma (traitement de maladies osseuses) est pour sa part entrée en bourse en 2017 avec un financement de 120 M$. Milestone Pharma (55 M$ en 2017 et 80 M$ en 2018), Dalcor Pharma (150 M$ en 2016) et Feldan Therapeutics (12,5 M$ en 2018), notamment, en sont d’autres beaux exemples. Par ailleurs, en mai 2017, Québec a décidé de soutenir le secteur en lançant la Stratégie québécoise des sciences de la vie 2017-2027, accompagnée d’une enveloppe de 205 M$. « La Stratégie est le fruit d’un important travail de collaboration entre les acteurs du secteur et le gouvernement. Elle a d’ailleurs repris plusieurs des demandes que nous avions formulées. Elle vise notamment l’atteinte du top cinq des SVTS en Amérique du Nord d’ici 2027, et l’attraction de 4 G$ d’investissements privés d’ici 2022. Mentionnons qu’ils ont été de 3,5 G$ dans les cinq dernières années », précise Frank Béraud.
Il souligne que le palier fédéral a aussi reconnu les SVTS comme l’un des secteurs prioritaires pour le développement économique du Canada. La stratégie fédérale en cours d’élaboration, qui est également le fruit d’une consultation avec le milieu, rejoint aussi les objectifs mis de l’avant par Montréal InVivo, notamment le souhait d’héberger l’un des fleurons canadiens en sciences de la vie sur le territoire du Grand Montréal.
Montréal InVivo souhaite aussi tirer profit de l’excellence de la recherche et de l’innovation au Québec. « Ici, nous avons la chance d’avoir des chercheurs et des établissements de calibre mondial. Or, on sait pertinemment que dans notre domaine, la recherche est un enjeu critique, un levier indispensable. Elle peut déboucher sur des innovations qui, ultimement, seront intégrées au marché », ajoute M. Béraud.
DU SOUTIEN POUR L’INDUSTRIE Montréal InVivo est un organisme sans but lucratif financé majoritairement par les trois paliers de gouvernement. Centré sur l’industrie, alimenté par la recherche, il vise essentiellement le dévelop pement économique du secteur des SVTS. « Nous avons plusieurs grands axes d’intervention, notamment celui d’aider à mettre en place une industrie forte et de classe mondiale, afin que nos petites entreprises puissent se développer », explique son PDG.
Autre défi prioritaire : soutenir l’expertise et faire croître le bassin de talents. Car si les SVTS ne sont pas un domaine où l’on connaît de graves pénuries de main-d’œuvre, comme c’est le cas dans d’autres champs d’activités, il faut toutefois penser à la relève si l’on veut qu’elle soit au rendez-vous le moment venu. « Nous venons de lancer une vaste étude sur l’adéquation entre l’emploi et la formation. Le but est de vérifier que l’on a suffisamment de jeunes qui choisissent les profils scientifiques, puis qui s’orientent en sciences de la vie. Ce faisant, on doit
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s’assurer qu’ils sont bien préparés et formés aux besoins actuels et futurs de l’industrie », explique Frank Béraud. Il dit toutefois s’attendre à ce que l’on constate des écarts. Aussi, Montréal InVivo travaille parallèlement à faire le point sur les meilleures pratiques en formation continue. « Modifier les programmes universitaires est un processus qui peut s’avérer long et complexe. L’une des avenues à explorer en attendant est donc la formation continue et les formations complémentaires », indique le PDG. L’intégration des innovations constitue un autre axe prioritaire. Car bien qu’il se crée de nombreuses technologies très innovantes au Québec, trop peu nombreuses sont celles qui aboutissent sur le marché. « Force est de constater que l’on éprouve des difficultés à les intégrer dans notre système de santé. Il existe certaines barrières qui nous compliquent la tâche, par exemple la règle du plus bas soumissionnaire conforme », souligne M. Béraud. Résultat : pour une PME québécoise, il sera souvent plus facile de vendre ses innovations ailleurs au Canada, aux États-Unis ou même en Europe. Or, le fait de ne pas avoir pu pénétrer son propre marché local constitue une bien piètre carte de visite… C’est pourquoi l’organisme travaille avec ses différents partenaires à faire bouger les choses. D’ailleurs, la Stratégie québécoise des sciences de la vie 2017-2027 a permis la création d’un Bureau d’innovation en santé et services sociaux, un outil réclamé par Montréal InVivo et l’ensemble du secteur. « Ce Bureau est une sorte de champion de l’innovation dans le réseau de la santé. Il a été mis sur pied il y a quelques mois, et il a à sa tête Paul L’Archevêque, une figure bien connue de l’industrie », précise le PDG. Si le Bureau se rapporte directement au ministère de la Santé et des Services sociaux, en revanche, ses moyens d’action sont financés par le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, ce qui semble être une suite logique pour M. Béraud, puisqu’au bout du compte, l’implantation des innovations dans le réseau aura nécessairement des retombées économiques pour le Québec. Enfin, Montréal InVivo œuvre aussi à faire rayonner les atouts de la province. « Notre mission consiste à mieux faire connaître les impacts des SVTS en 24
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termes économiques et sociaux. Cela peut être ardu, car ce n’est pas un secteur dont on peut toujours saisir les réalisations de façon concrète. Un avion, ça vole dans le ciel, on comprend tout de suite de quoi il s’agit. Mais il est plus difficile de comprendre tout le travail et l’argent nécessaires au développement d’un nouveau médicament, par exemple », constate M. Béraud. LE QUÉBEC SE DISTINGUE Cela dit, le haut savoir et l’expertise québécoise se démarquent, en particulier dans le Grand Montréal où se concentrent 80 % des emplois en SVTS. Quelle est la recette de la métropole ? Tout d’abord, une importante masse critique de chercheurs. « Les principaux pôles mondiaux en sciences de la vie se trouvent là où il existe une forte concentration de recherche, notamment dans des universités reconnues. On pense par exemple à Boston, San Francisco, etc. Nous possédons cet atout à Montréal. On a un nouveau CHUM, sans parler du CUSUM et du CHU Sainte-Justine, avec des centres de recherche à la fine pointe. Ils constituent ce qui se fait de mieux actuellement à l’échelle de la planète », explique Frank Béraud. Le Québec dispose non seulement des infra structures et des cerveaux, mais aussi du personnel – techniciens, scientifiques – nécessaire pour faire fonctionner la machine. Dans un grand pôle comme Boston, par exemple, dénicher les ressources est loin d’être facile. Car si les chercheurs y sont très nombreux, le personnel technique est en nombre limité, et l’on s’arrache cette main-d’œuvre rare. Pour illustrer la plus-value de la métropole québé coise dans ce domaine, le PDG mentionne le cas de Repare Therapeutics, un chef de file en réparation de l’ADN et oncologie de précision. Bien que la firme de capital de risque soit californienne et que le chercheur principal ait dirigé auparavant le groupe d’oncobiologie d’AstraZeneca R et D à Boston, c’est à Montréal que la compagnie a choisi de s’installer. Pourquoi ? Parce qu’on y trouve les cerveaux, les infrastructures, mais aussi les ressources humaines nécessaires. Autant d’éléments essentiels qui permettront assurément à l’industrie québécoise des SVTS d’enfoncer profondément ses racines dans le terreau montréalais, de croître et de prospérer.
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LES ENJEUX POUR L’INDUSTRIE Bien que vigoureuse et en bonne santé, l’industrie des SVTS fait face à plusieurs enjeux. En premier lieu, le financement. Abondants et faciles d’accès dans les phases de démarrage et de croissance, les investissements sont plus difficiles à obtenir pour les compagnies bien établies. « Et si elles ont du mal à en trouver à cette étape, il n’est pas rare qu’elles aillent en chercher aux États-Unis, ce qui augmente les risques qu’elles déménagent leurs activités chez nos voisins », constate Frank Béraud, soulignant qu’il est donc primordial de développer une chaîne de financement bien établie à chaque cycle de vie des entreprises. Autre défi majeur : celui de l’intégration des technologies dans le réseau. Certes, le Bureau d’innovation en santé et services sociaux va contribuer à faire bouger les choses, mais M. Béraud remarque qu’il existe un frein structurel dans la mesure où l’approvisionnement n’est pas basé sur la valeur, mais sur le prix. « Dans ce contexte, la capacité de mesurer la valeur ajoutée d’une innovation est essentielle pour contribuer à la faire adopter par le réseau. Or, il est extrêmement difficile d’accéder aux données de santé. Par conséquent, des compagnies d’ici sont obligées d’aller les chercher ailleurs au Canada, ce qui joue en défaveur de l’industrie québécoise », mentionne M. Béraud. La base de données de la Régie de l’assurance maladie du Québec – un
système standardisé et centralisé – représente pourtant une véritable mine d’or, un réel avantage concurrentiel à l’échelle nord-américaine. « Un accès sécuritaire et bien contrôlé à cette base nous doterait d’un outil de compétitivité remarquable. Des entreprises étrangères pourraient réaliser leurs études au Québec, sans parler du fait que cela faciliterait grandement l’implantation des innovations dans notre réseau de la santé », assure M. Béraud. Enfin, il évoque une épée de Damoclès au-dessus de l’industrie pharmaceutique, dans la mesure où le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés revoit actuellement le coût de ceux-ci. Cela pourrait déboucher sur des baisses de revenus dommageables pour les compagnies pharmaceutiques, et il y aurait par ricochet des répercussions pour les entreprises, fonds de capitaux de risques, chaires de recherche universitaires, etc., qui dépendent d’elles. « Ironiquement, si cette situation venait à se produire, cela saperait les efforts du gouvernement fédéral pour soutenir le développement économique du secteur », constate Frank Béraud, qui dit espérer que cette menace ne se concrétisera pas. Quoi qu’il en soit, les SVTS ont assurément un bel avenir dans le Grand Montréal. MONTRÉAL ÉCONOMIQUE : : ÉDITION 2019
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