2014
EDITORIAL Politique européenne de l’énergie : il est temps de sortir de l’ornière Claude Mandil
Numéro
2
ENTRETIEN AVEC André Merlin Président exécutif de MEDGRID et Président sortant du CIGRE (Conseil International des Grands Réseaux Electriques)
ÉNERGIE
TELECOMMUNICATIONS
SIGNAL
COMPOSANTS
AUTOMATIQUE
INFORMATIQUE
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ISSN 1265-6534
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EDITORIAL
CLAUDE MANDIL
Politique européenne de l’énergie : il est temps de sortir de l’ornière
L
La construction de l’Europe de l’énergie a pris deux formes essentielles : la création du marché intérieur concurrentiel de l’électricité et du gaz et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Très rapidement, ce dernier objectif s’est ramifié avec l’adoption de sous-objectifs : la croissance des énergies renouvelables et le fameux 3 x 20 en 2020. Du fait de ces objectifs surdéterminés ou contradictoires, la situation actuelle est un champ de ruines. Prenons l’exemple du marché de l’électricité. La fixation d’objectifs pour la pénétration des énergies renouvelables a nécessité des mesures spécifiques puisque ces énergies, souvent trop chères et presque toujours intermittentes, ne peuvent pas se placer sur le marché : tarifs de rachat garantis et priorité d’accès au réseau. Elles sont donc hors marché alors que leur production devient une fraction significative de la production totale dans l’Union européenne : 7,8 % de l’électricité produite mais 16,7 % des capacités de production en 2013. Et comme il faut bien payer le surcoût entre le prix de marché et le prix garanti au producteur, ce surcoût est imputé directement au consommateur. Il en résulte une situation ubuesque dans laquelle les prix de gros, très volatils, sont en moyenne de plus en plus bas du fait de la croissance de la production renouvelable, et les prix de détail de plus en plus élevés du fait de l’impact croissant des systèmes de type CSPE en France ou EEG en Allemagne. Du coup les gouvernements sont tentés de réglementer les tarifs aux particuliers, en augmentant encore le nombre d’acteurs qui échappent aux lois du marché. En bref le marché intérieur de l’électricité a les apparences d’un marché, mais il n’en a aucune des caractéristiques qui lui permettraient de conduire à un équilibre général au moindre coût. Deux perturbations majeures sont venues au même moment altérer un peu plus le fonctionne-
ment du marché. La première est la crise financière de 2008, dont un effet collatéral a été l’effondrement du prix de marché des permis d’émission de CO2. La tonne de CO2 évité, qui était autour de 25 avant la crise, et qu’on pensait voir monter à 50 , se traîne à 7 . Du coup, les investissements destinés à limiter les émissions voient leur rentabilité se réduire, voire disparaître. La seconde tient au développement de la production de gaz non conventionnel aux Etats-Unis, provoquant là-bas un effondrement du prix du gaz qui déplace massivement le charbon vers l’Europe, puisque la pénalité carbone du charbon par rapport au gaz y est trop faible et puisqu’une priorité absolue est donnée aux énergies renouvelables. Voilà comment de nombreuses centrales à gaz ferment en Europe, alors qu’elles sont indispensables, à cause de leur souplesse, pour assurer le soutien aux énergies intermittentes. En résumé, la situation est la suivante : s LE MARCHÏ DEVAIT DÏVELOPPER LA CONCURRENCE ET provoquer une baisse des prix pour les consommateurs. En fait les prix du gaz et de l’électricité n’ont jamais été aussi élevés pour le consommateur final ; s LE SOUTIEN AUX ÏNERGIES RENOUVELABLES ÏTAIT PRÏsenté comme une politique temporaire, devant permettre à ces énergies de devenir progressivement rentables. C’est le contraire qui s’est trop souvent produit et des tarifs trop généreux permettent à des énergies sans avenir, comme l’éolien offshore, de se maintenir, au détriment de l’innovation ; s LA SÏCURITÏ DU SYSTÒME ÏLECTRIQUE EST COMPROmise par le développement anarchique des énergies intermittentes et la fermeture des centrales à gaz. En cas de forte demande électrique un jour sans vent ni soleil, des pannes sont à prévoir ; s L %UROPE SE VOULAIT LE BON ÏLÒVE ET MÐME LE donneur de leçons dans la lutte contre le chan-
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gement climatique, l’opposé du mauvais élève américain. Et voilà que le mauvais élève réduit fortement ses émissions et que le bon élève augmente les siennes, en particulier en Allemagne ; s LA REPRISE ÏCONOMIQUE EN %UROPE EST COMPROmise par l’entêtement à poursuivre ces politiques et par leur coût insensé ; s h,AST BUT NOT LEASTv LA CONlANCE DES OPINIONS publiques dans le bien-fondé des politiques énergétiques décidées par leurs gouvernants est ébranlée. Si on ne veut pas courir le risque d’un effondrement du système et d’un retour à des politiques purement nationales, donc gravement sous-optimales, il faut lui apporter en urgence des améliorations pragmatiques afin d’en faire disparaître les travers les plus criants. Quelques suggestions : s FAIRE EN SORTE QUE LES MARCHÏS FONCTIONNENT NORmalement, donc que le choix des acteurs soit influencé par les coûts. Il conviendrait de mettre fin à l’aberration des tarifs garantis et de les remplacer, si nécessaire et pour une durée limitée, par des subventions d’équipement. Il faudrait en outre que les renouvelables supportent le coût de leur intermittence ; s METTRE EN PLACE UN MÏCANISME D INTERVENTION sur le marché ETS, afin de maintenir la confiance
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dans le cours des permis d’émission, signal pour les décisions d’investissement à long terme. Ce nouveau marché exige, comme d’autres, une véritable autorité de marché ; s PUISQUE LA CONTRAINTE MAJEURE EST LA LUTTE CONTRE le changement climatique, faire des émissions de CO2 le seul objectif chiffré contraignant ; s QUE TOUS LES %TATS MEMBRES PROCLAMENT PUBLIquement la règle « touche pas à mon pote » : toute interruption de la fourniture d’énergie à l’un des Etats-membres est une interruption pour l’Union tout entière, et déclenche automatiquement une fourniture de substitution en provenance du reste de l’Union ; s LA COHÏRENCE DES DIVERSES DÏCISIONS NATIONALES est essentielle. Que la Commission organise AVEC LES ÏTATS MEMBRES DES h0EER REVIEWSv SUR le modèle pratiqué par l’AIE, destinées à vérifier la cohérence des différentes programmations indicatives, les résultats étant publiés. Il restera à tenter de convaincre l’opinion publique qu’une énergie totalement sûre, abondante, PROPRE SANS ÏQUIPEMENTS hIN MY BACKYARDvx ET bon marché, cela n’existe pas ! Claude Mandil est ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie.
sommaire Numéro 2
1
EDITORIAL Politique européenne de l’énergie : il est temps de sortir de l’ornière Par Claude Mandil
p. 1
4
SOMMAIRE
7
FLASH INFOS
8 10 11 12 13 13 p. 25
15
Une nouvelle détermination de la masse de l’électron Du nuage au brouillard : après le cloud computing, le fog computing Des piles à combustibles rechargeables sans métal Le recyclage des panneaux photovoltaïques est désormais obligatoire Un stockage électrique de masse au Japon De nouvelles cellules photoélectrochimiques (PECs) pour produire de l’hydrogène Création d’un centre de développement sur les semiconducteurs à large bande aux Etats-Unis Des vélos à hydrogène ?
17 A RETENIR Congrès et manifestations
21 VIENT DE PARAÎTRE La REE vous recommande
25 LES GRANDS DOSSSIERS Les nouveaux mécanismes de marché dans les systèmes électriques Introduction : Les outils de marché : la part immatérielle du réseau de transport d’électricité Par Dominique Maillard p. 54
28
Le mécanisme de capacité français Par Réseaux de Transport d’Électricité, Département Marchés
33
La création dans le système électrique français d’un mécanisme de capacité et d’un marché de capacités Par Maurice Méda
40
Les contraintes imposées aux réseaux européens par l’injection d’électricité intermittente Par Jacques Percebois
p. 85
Credit photo couverture : © spql - Fotolia.com
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p. 92
46
La place du consommateur dans les nouveaux mécanismes de marché Par Emilie Scholtès, Anne-Sophie Chamoy, Anne-Soizic Ranchère
enova pub 80x260h 01/04/14 08:25 Page1
De l’innovation à l’application
54
Les grandes éruptions solaires et leur impact Introduction : Ô Soleil, toi sans qui les choses ne seraient pas ce qu’elles sont…. Par André Deschamps
56
La couronne et l’activité solaires : un peu de physique Par Karl-Ludwig Klein
59
L’environnement spatial de la Terre – Météorologie de l’espace Par Karl-Ludwig Klein
66
Les centres de météorologie spatiale Par André Deschamps
71
La grande panne d’Hydro-Québec Par André Deschamps
78 RETOUR SUR ... Ampère n’a pas été qu’un grand savant Par Robert Locqueneux
85 ENTRETIEN AVEC... André Merlin Président exécutif de MEDGRID et Président sortant du CIGRE (Conseil International des Grands Réseaux Electriques)
89 ENSEIGNEMENT & RECHERCHE Echos de l’enseignement supérieur Par Bernard Ayrault
Le salon des technologies en électronique, mesure, vision et optique
91 CHRONIQUE Pourquoi et comment modéliser les imaginaires ? Par Bernard Ayrault
92 LIBRES PROPOS On attend les oies du Capitole… Par Jean-Loup Picard
93 SEE EN DIRECT
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La vie de l'association
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FLASHINFOS
post doc de l’institut Max Planck dirigÊ par Klaus Blaum.
Une nouvelle dÊtermination de la masse de l’Êlectron
La mesure, toujours indirecte, de la masse de l'Êlectron s’appuie sur un dispositif appelÊ piège de Penning. Ce
La masse de l'ĂŠlectron est l'une des grandeurs impor-
procĂŠdĂŠ de piĂŠgeage ou de confinement de particule a
tantes de la physique. Elle vient d’être mesurÊe avec une
ĂŠtĂŠ imaginĂŠ par le physicien Penning en 1938 mais a
prÊcision 13 fois meilleure qu’auparavant. C’est en tout
ĂŠtĂŠ rĂŠalisĂŠ seulement dans les annĂŠes 80 par Hans Deh-
cas ce qu’indique une Êquipe de chercheurs allemands
melt, ce qui lui vaudra le prix Nobel de physique en 1989.
de l’Institut Max Planck, à Heidelberg, dans un article
Hans Dehmelt avait notamment rĂŠussi Ă piĂŠger un seul
publiĂŠ le 20 fĂŠvrier dans la revue Nature1. Nous allons
ĂŠlectron et Ă mesurer ses sauts quantiques, son moment
d'abord rappeler comment cette masse a ĂŠtĂŠ dĂŠterminĂŠe
magnĂŠtique et avait contribuĂŠ, Ă l'ĂŠpoque, Ă l'amĂŠliora-
depuis la dĂŠcouverte de l'ĂŠlectron puis nous exposerons
tion de la prĂŠcision de la masse de l'ĂŠlectron. Le principe
le principe de l'expĂŠrience et l'importance de ce rĂŠsultat.
du piège de Penning est de combiner un champ magnÊtique qui force les particules chargÊes à se dÊplacer selon
La masse de l’Êlectron à la du fin XIX siècle e
des orbites circulaires et un champ ĂŠlectrique quadripo-
Au XIXe siècle, les physiciens Êtudiaient les dÊcharges
laire constant qui les maintient dans les lignes de force du
d'ĂŠlectricitĂŠ dans des gaz rarĂŠfiĂŠs confinĂŠs dans des tubes
champ magnĂŠtique. La combinaison de ces deux champs
de verre enfermant des ĂŠlectrodes appelĂŠes cathode
induit des oscillations de la particule chargĂŠe qui sont :
et anode que l’on reliait à une source Êlectrique. Deux
s UNE OSCILLATION AXIALE
thÊories s’affrontaient sur la nature des rayons catho-
s DEUX OSCILLATIONS RADIALES UNE OSCILLATION MAGNĂ?TRON
diques : l’une, ondulatoire et l’autre, corpusculaire. En
(correspondant à l’orbite circulaire de la particule au
1897, le grand physicien expĂŠrimentateur Joseph John
sein du piège) et une oscillation cyclotron qui est une
Thomson mesure avec prĂŠcision la dĂŠviation des rayons
oscillation correspondant au spin de la particule. L’os-
cathodiques (des Êlectrons) sous l’action d’un champ
cillation cyclotron est liĂŠe au rapport de la charge Ă la
magnĂŠtique, ce qui lui permet de dĂŠduire le rapport de la
masse et Ă l'intensitĂŠ du champ ĂŠlectrique et peut ĂŞtre
charge Ă la masse e/m. Le rayon du cercle que dĂŠcrivent
mesurÊe très prÊcisÊment dans le dispositif (figure 1).
les Êlectrons est inversement proportionnel au rapport e/m, à l'intensitÊ du champ H et proportionnel à la vitesse. Quelques annÊes plus tard J.J Thomson mesurera par une autre expÊrience la charge de l'Êlectron. Cette mesure sera amÊliorÊe vers 1910 par le physicien Millikan qui dÊterminera la charge de l'Êlectron avec une plus grande prÊcision. La masse n'est donc jamais mesurÊe directement mais est dÊterminÊe par calcul à partir d'une relation thÊorique avec des grandeurs mesurables, relation dans laquelle figure la masse. Les mesures de J.J Thomson valident l'hypothèse corpusculaire de la matière encore en dÊbat fin XIXe et font de l'Êlectron une particule ÊlÊmentaire dont les caractÊristiques physiques deviennent les fondements du modèle standard de la physique des particules. Nouvelles techniques de mesure : le piège de Penning
Figure 1 : Champ magnÊtique reprÊsentÊ par le vecteur noir. Dans la partie droite un dessin simplifiÊ montre en vert le chemin de l’oscillation de la particule dont la trajectoire est en rouge et la prÊcession du spin en noir, sous l’effet combinÊ du champ magnÊtique et du champ Êlectrique. Cette configuration est celle de Heidelberg – Source : Max Planck Institut.
La nouvelle mesure de la masse de l'ĂŠlectron a ĂŠtĂŠ effectuĂŠe Ă l'Institut Max Planck de physique nuclĂŠaire Ă Heidelberg par une ĂŠquipe menĂŠe par Sven Sturm un
La mesure de l’Êquipe de Heidelberg Le principe de l’expÊrience de l’Êquipe d’Heidelberg consiste à utiliser un atome de carbone 12, auquel ont
1
“High-precision measurement of the atomic mass of the electronâ€? – Sven Sturm & Al – Nature 506, 467-470 (27 fĂŠvrier 2014).
ÊtÊ retirÊs cinq de ses six Êlectrons. L’atome de carbone a ÊtÊ choisi car il est à la base de l’unitÊ atomique et sert
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FLASHINFOS
à mesurer la masse des atomes et des molécules. Sa
300 000... L’un des auteurs de l’article, Sven Sturm, se
masse est par définition très bien connue et son utilisa-
montre optimiste en affirmant que « plus la mesure sera
tion exclut une source d’erreur importante liée à l’atome.
précise, plus nous serons prêts à voir de nouvelles parti-
Le point clé dans l’expérience est que la fréquence de ré-
cules, comme celles, par exemple, de la matière noire ».■
volution de l’ion et celle de l’oscillation du spin de l’élec-
ML
tron sont dans un rapport exact et les lois de l’électrodynamique quantiques permettent la mesure de la masse de l’ion carbone qui se trouve liée à celle de la masse de
Du nuage au brouillard : après le cloud computing, le fog computing
l’électron. Le papier précise également que l’équipe de
Le concept de cloud computing est maintenant bien
Heidelberg a bénéficié du calcul plus précis du facteur
connu : des ressources de traitement et de stockage ainsi
gyromagnétique2 de l’électron grâce à la collaboration
que des logiciels applicatifs sont mis à la disposition des
avec le département de physique théorique de Christoph
utilisateurs via l'Internet. Ils peuvent ainsi se libérer de
Keitel du même institut ce qui a permis l’amélioration
l'acquisition de leurs propres serveurs et de la gestion de
de la mesure de la masse de l’électron. Il s’agit donc en
leurs propres données et recourir à des applicatifs parta-
résumé de la combinaison d’une mesure très précise du
gés (SaaS : Software as a Service). De plus, le fournisseur
moment magnétique d’un électron unique lié à un noyau
du service de cloud prend à sa charge la sécurisation des
de carbone avec un calcul effectué dans le cadre de
données stockées et la permanence des traitements.
l’électrodynamique quantique des états liés. Le résultat
Le concept a un grand succès mais a aussi fait ap-
de la mesure donne une masse pour l’électron égale à
paraître quelques interrogations : où sont stockées les
0,000548579909067 unité de masse atomique. C’est
données ? Ne peuvent-elles pas être connues d'autres
donc encore une mesure indirecte de la masse qui se
acteurs que leurs propriétaires ? Les redondances du
réfère à un étalon, ici le carbone 12 et qui s’exprime éga-
cloud sont-elles suffisantes pour faire face à de grandes
lement comme étant 1/1836.15267377 fois la masse du
catastrophes naturelles ? Le cloud peut-il supporter des
proton. En kilogramme, la valeur pratique de la masse de
applications soumises à des contraintes de temps réel ?
l’électron est de 9,1 x 10 -31 kg. La précision de la mesure
Face aux gros volumes de données engendrées par les
obtenue par l’institut Max Plank pour la masse atomique
capteurs de l’Internet des objets, l’architecture en cloud
de l'électron dépasse la valeur de la littérature actuelle du
peut-elle résister ?
Comité pour les données scientifiques et de la technolo-
A ces questions, on voit apparaître depuis quelque
gie (CODATA 3) d’un facteur 13. La dernière évaluation qui
temps des réponses qui consistent à s'appuyer sur une
date de 2011 avait été effectuée au CERN.
couche de stockage ou de traitement intermédiaire. C'est
Cette nouvelle détermination est un pas important
un peu compliqué car dans les réseaux IP les traitements
pour la métrologie car si le pas franchi semble unique-
ne peuvent en principe être effectués qu'à la périphé-
ment quantitatif il contribue à une meilleure connaissance
rie du réseau, soit par les serveurs du cloud, soit par les
des paramètres fondamentaux et du modèle standard
machines des clients. Par exemple, la société Symform
tels la constante de Planck, la constante de structure fine,
a développé un système de stockage de données qui
la constance de Rydberg, la liste n’étant pas exhaustive.
segmente les données d'un client, les encrypte et les
« Ce résultat jette les bases de futures expériences de phy-
stocke de façon redondante sur des machines de clients
sique fondamentale et de tests de précision du modèle
volontaires qui bénéficient, en échange, d'un volume
standard », qui décrit le comportement de toutes les par-
de stockage à prix réduit : ainsi les données sont proté-
ticules. Entre la masse de la plus légère, l’électron donc
gées contre des visiteurs indiscrets, chaque segment de
(en mettant de côté le cas du neutrino), et celle de la
données n'étant pas significatif à lui seul, et également
plus lourde le quark Top, il y a un écart de 1 à plus de
contre des pannes de serveurs car un même segment de données est stocké sur plusieurs machines distinctes. On
2
3
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Nombre sans dimension proche de 2 découvert par Alfred Landé appelé pour cela aussi, facteur de Landé. Committee on Data for Science and Technology. Organisation internationale de gestion des données scientifiques et techniques. http://www.codata.org
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peut qualifier cette approche de fog computing. Pourquoi le brouillard ? Parce que le brouillard est vu comme la couche du nuage la plus proche du sol ! L'Internet des Objets est une autre motivation pour le développement du fog computing. En effet, il engendrera
FLASHINFOS
des volumes considĂŠrables de donnĂŠes : selon Cisco,
chitecture de beaucoup de grands systèmes industriels
un avion engendrera 10 tĂŠraoctets de donnĂŠes pour
qui ont mis en Ĺ“uvre une couche de commande des
une heure de vol. De plus, la source des donnĂŠes sera
pĂŠriphĂŠriques d'acquisition. ChargĂŠe de traiter les inte-
constituĂŠe en majeure partie de capteurs de nature variĂŠe
ractions en temps rĂŠel avec les capteurs et la pĂŠriphĂŠrie
soumis Ă des contraintes ĂŠnergĂŠtiques fortes et utilisant
et de gĂŠrer des protocoles non standards, elle permet
des protocoles souvent non standards : il est fortement
de rÊduire la charge de traitement du cœur du système
improbable qu'on puisse espĂŠrer y ajouter des fonctions
due Ă la gestion de la pĂŠriphĂŠrie et de lui ĂŠviter d'avoir
de traitement ou de stockage. Les sources de donnĂŠes
Ă connaĂŽtre du dĂŠtail du fonctionnement de celle-ci.
seront très nombreuses et souvent mobiles, et les appli-
Elle est ĂŠgalement dĂŠjĂ mise en Ĺ“uvre dans un certain
cations de l’Internet des objets impliqueront des actions
nombre de smartphones qui collectent les donnĂŠes et
rapides Ă portĂŠe locale pour ĂŞtre efficaces : par exemple
interagissent avec des capteurs portĂŠs par les utilisateurs,
si l'on veut mieux adapter le cycle de fonctionnement des
montres, lunettes
feux de circulation routière sur les flux instantanÊs de vÊhi-
La question essentielle dans le fog computing est
cules, c'est en temps rĂŠel que les dĂŠcisions doivent ĂŞtre
la dĂŠfinition de l'architecture et la localisation de cette
prises et les actions engagĂŠes. Mais les dĂŠcisions locales
couche dans le monde Internet. Compte-tenu des
ne sont pas suffisantes, il faut qu'elles soient coordonnĂŠes
contraintes des capteurs de l’internet des objets, il n'est
avec celles prises dans ces zones voisines : par exemple,
pas possible d'imaginer les utiliser pour porter cette
le changement du rythme des feux de circulation dans
couche sinon de façon exceptionnelle. C'est donc une
une partie d'une ville peut impliquer des modifications de
nouvelle couche de traitement qu'il faut imaginer et
ce rythme dans d'autres zones de la mĂŞme ville. Les enti-
structurer. Cisco vient d'annoncer une orientation im-
tĂŠs de dĂŠcision locales doivent pouvoir ĂŠgalement com-
portante : il propose une nouvelle version du système
muniquer entre elles en temps rĂŠel pour ĂŞtre pleinement
d'exploitation de ses routeurs, routeurs d'edge notam-
efficaces. C'est un vĂŠritable rĂŠseau de traitement local qui
ment, appelĂŠe IOx qui devrait ĂŞtre disponible en 2014.
devient nĂŠcessaire et le cloud Ă lui seul ne peut rendre ce
Elle inclut une version du système d'exploitation Linux
service. Il faudra donc disposer de moyens de traitement
et un kit de dÊveloppement d’applications spÊcifiques
et de stockage proches de la couche des capteurs de l'In-
ĂŒ LA COUCHE DE FOG COMPUTING ELLE PERMET Ă?GALEMENT
ternet des objets et très probablement indÊpendants de
de dĂŠvelopper les interfaces de communication spĂŠci-
celle-ci : ce serait la couche de fog computing qui assure-
fiques Ă certains capteurs. Ainsi les acteurs de l'Internet
rait des tâches de dÊcisions locales et de stockage et de
des objets utilisateurs de routeurs d'edge pourraient
prÊtraitement des donnÊes reçues des capteurs avant de
disposer sur ceux-ci d'une plate-forme d'accueil pour la
les transmettre des rĂŠsultats plus ĂŠlaborĂŠs Ă la couche
partie de leurs applications qui doivent rester Ă proxi-
de cloud computing qui assurera la coordination entre les
mitĂŠ de leurs capteurs et actionneurs et de services de
entitĂŠs de la couche “fogâ€?.
communication permettant d’interagir avec des applica-
L'idĂŠe d'avoir une couche de prĂŠtraitement et dĂŠcision
tions plus globales logĂŠes dans le cloud.
au plus près des capteurs renvoie à la pratique de l'ar-
Figure 2 : Modèle Cloud versus modèle fog fondÊ sut IOx. Source : Cisco. Cette initiative va certainement soulever beaucoup de commentaires et provoquer des rÊactions dans le MONDE INDUSTRIEL ELLE PERMETTRA AUSSI PEUT �TRE DE FACIliter l'Êmergence de L'Internet des Objets. ■Figure 1 : Internet des Objets et Fog Computing – Source : Cisco.
PC
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VIENT DE PARAÎTRE
Jean-Pierre Hauet. Comprendre l’énergie - Pour une transition énergétique responsable Éditions de l’Harmattan - avril 2014 - 295 p. - 31 La présidence du comité de rédaction de notre revue (i.e. la charge de rédacteur en chef !) laisse à Jean-Pierre Hauet le temps de penser et d'écrire des synthèses beaucoup plus étoffées que les Flash Infos, interviews ou dossiers que, grâce à lui, la REE publie régulièrement ! Il avait, il y a une dizaine d'années, coproduit avec Emile H. Malet, un très beau Panorama mondial du développement durable ; il récidive, seul cette fois, son complice se bornant à la préface. Tout au long de sa carrière J-P Hauet s'est intéressé aux questions d'énergie et l'actualité confirme l'importance de ces questions, décisives pour la vie des communautés humaines, mais où les slogans simplistes sont hélas très courants L'ouvrage que viennent d'éditer les éditions de l'Harmattan, est ambitieux : avant de suggérer les possibles d'une indispensable transition énergétique, J-P Hauet tient à nous faire comprendre ce dont il est question : on ne peut s'exonérer des grandes lois de la physique et fort opportunément l'ouvrage commence par un retour aux fondamentaux. Mais l'énergie a aussi une histoire, qu'on ne saurait éluder : le temps y joue un rôle fort important et c'est de temps long qu’il s’agit, en particulier parce que l'économique vient se mêler de la partie : en raison même des investissements nécessaires (dans la production comme dans les économies d'énergie on commence par investir !) et des besoins croissants, les problèmes soulevés sont complexes, et les solutions rarement uniques et allant de soi. La consommation d'un pays, comme celle du monde entier, peut être représentée comme le produit de trois facteurs : l'intensité énergétique (énergie consommée rapportée au PIB), le PIB par tête, la population enfin. Avant toute prospective, il importe d'analyser chacun d'entre eux : tout indique qu'à l'échelle du monde, deux des facteurs semblent volens nolens être structurellement orientés à la hausse à l'horizon 2050, cependant que l'intensité énergétique reste tributaire des progrès techniques à venir. Et pourtant, même si tous les indicateurs ne sont pas alarmistes, il est nécessaire d'agir, tant les questions environnementales (le climat, la nature, les besoins en eau…) sont devenues prégnantes. Ensuite dans plusieurs chapitres plus proches des techniques, examinées ici avec soin mais sans technicité, J-P Hauet aborde le champ du possible, qu’il s’agisse de la décarbonation de l’économie (le prix auquel il faudrait taxer le gaz carbonique – au moins 100 la tonne – est tout sauf indolore !), des perspectives réalistes quant aux énergies renouvelables (qui ne sont pas gratuites, mais souvent fort coûteuses si on veut aussi stocker !), l’avenir possible des énergies conventionnelles (le nucléaire est l’objet de forts enjeux et controverses, tout comme le gaz de schiste !). De ce qui est envisageable, doit résulter un mix énergétique, dont tout indique qu’il ne saurait être universel, ni même uniforme au sein de l'Europe ; il importera aussi de se soucier fortement des filières non-électriques de l'énergie (industrie, transports, usages domestiques), même si elles sont plus difficiles à faire évoluer. Après toutes ces mises au point, qui redressent bien des idées reçues et pointent des difficultés variées, J-P Hauet aborde le cas spécifique de la France, dont les acquis en matière électrique de la période « dirigiste » ne sont pas minces ; il souligne avec pertinence
qu'il importe de clarifier les grands objectifs géostratégiques comme les priorités : est-il plus urgent de satisfaire à l'objectif dit du « facteur 4 » (diminution par 4 des rejets de gaz à effet de serre à l'échéance de 2050, comme décidé au Grenelle de l'environnement) ou à l'engagement présidentiel de ramener à 50 % la part du nucléaire d'ici 2025 ? Il ne faut pas non plus tenir pour subalterne la sécurité énergétique, largement liée à la stabilité des échanges mondiaux, ni négliger, quand on s'engage dans des économies massives, ‘l’effet rebond’ qui risque d'orienter les gains obtenus dans un sens opposé à celui voulu : ainsi la baisse de la consommation des avions en termes de km x passager peut conduire à une économie d'énergie ou, par baisse des prix, à une augmentation du trafic ! Dans toutes les hypothèses examinées, il convient de rester réaliste quant aux conditions économiques de faisabilité : les politiques gouvernementales et la résorption des déficits publics montrent qu’il est bien difficile de trouver 10 Md , alors que c’est l’ordre de grandeur de ce que coûterait l’isolation de 500 000 logements anciens par an ! Qu'on sorte du nucléaire ou qu'on y reste, fût-ce à hauteur de 50 % de la production électrique, il aura fallu à l'échéance de 2050 fermer la quasi-totalité des centrales actuelles, donc investi des sommes comparables à leur valeur à neuf car il n'existe pas d'énergie miraculeuse, abondante et bon marché ! Il s’ajoute dans notre pays comme partout ailleurs dans le monde, le poids des subventions et/ ou des interventions publiques : afin que les plus modestes ne soient pas exclus du marché de l'énergie, de l'électricité en particulier, les tarifs sont très largement administrés, et très souvent l'objet de subventions directes ou indirectes : ainsi en a-t-il été quand on a garanti des tarifs de rachat excessifs à ceux qui installaient des panneaux photovoltaïques ! L'auteur insiste à plusieurs reprises sur l'échéance de 2050 : c'est que le temps long (les investissements en jeu doivent s’amortir !) caractérise ces questions énergétiques, autant que leur complexité intrinsèque ; ce sont deux points essentiels, qui trop souvent sont occultés par des raisonnements simplistes, que cet ouvrage, à la fois foisonnant et structuré, déconstruit avec ténacité. Au terme de cette présentation chaleureuse d'un ouvrage qui honore son auteur autant que notre revue, il faut aussi souligner la parfaite maîtrise de la documentation et sa totale transparence : J-P Hauet cite toutes ses sources afin que le lecteur incrédule ou simplement sceptique puisse vérifier de lui-même : cela nous vaut près de 250 notes en bas de page ! De même la mise en forme des informations se révèle exemplaire, grâce à force graphiques ou tableaux (plus de 100 au total). Les lecteurs de REE seront nombreux à apprécier cet ouvrage. Il serait également important que les responsables politiques de tous horizons ajustent leurs arguments aux lumières que leur apporte J-P Hauet, d'autant que la note finale est pleine d'espoir : c'est sans doute à travers une ambitieuse politique de transition énergétique, en faisant confiance à sa R & D pour augmenter son efficacité énergétique, que notre pays pourra retrouver de surcroît une bonne part de sa compétitivité industrielle ! ■
REE N°2/2014 21
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Les outils de marché : la part immatérielle du réseau de transport d’électricité Un des domaines d'expertise du gestionnaire
core à la vitalité des territoires. Elles peuvent cibler
de réseau de transport d'électricité consiste à
des personnes éloignées de l'emploi ou soutenir
évaluer l'offre de production et les besoins de
des PME innovantes. Enfin, le rôle de RTE, archi-
consommation à moyen et long terme. Cette
tecte du marché de l'électricité, s'est fortement
faculté permet de rechercher et de prévoir des
développé au cours des 10 dernières années et
solutions pour assurer durablement l'équilibre
reste trop peu connu. Il ne s'agit plus aujourd'hui
entre l'offre et la demande d'électricité, il s'agit
d'examiner la seule composition du bouquet
pour RTE de développer sa capacité à s'adapter
électrique mais bien d'observer le système élec-
à un contexte fortement évolutif : développement d'énergies renouvelables intermittentes, consommation d'électricité de plus en plus vola-
Dominique Maillard Président du directoire de RTE
tile et intégration des technologies de l'information et de la communication.
trique dans son ensemble. Les mécanismes de marché agissent sur toute la chaine de valeur de l'électricité à travers les signaux économiques qu'ils émettent. La gestion et la conception de
ces mécanismes confèrent à RTE une responsabilité à l'égard
La responsabilité de RTE – offrir un accès durable, écono-
de l'ensemble du système électrique et de ses acteurs qu'ils
mique et sûr à une énergie électrique largement décarbonée –
soient producteurs, consommateurs, fournisseurs ou traders.
va bien au-delà de la représentation induite par l'expression
Cette expertise est indispensable pour répondre aux enjeux
« transport d'électricité ». L'amélioration de la performance du
présents et à venir et est un pivot de la faculté d'anticipation
matériel technique et industriel de RTE est un prérequis. Ce
de RTE.
matériel évolue, les politiques de maintenance poursuivent une démarche constante d'optimisation de ses activités et le domaine des compétences nécessaires à l'entretien du patri-
Le marché européen de l’électricité : un vecteur d’optimisation économique
moine industriel s'élargit. A titre d'exemple, au cours de ces
La libéralisation des marchés du gaz et de l'électricité a
cinq dernières années RTE a développé un réseau de fibres
commencé de manière pleinement opérationnelle en 1996,
optiques qui s'étend aujourd'hui sur 20 000 km. Ce réseau de
date de la directive fondatrice de la construction du marché
télécommunication a permis d'automatiser une grande par-
intérieur de l'énergie. Elle se donne pour objectif une meil-
tie des opérations de contrôle et de surveillance du réseau
leure utilisation des moyens de production et des capacités
et d'améliorer le service rendu, notamment s'agissant de la
de transport de l'électricité à l'échelle européenne, grâce à
qualité d'électricité. Mais RTE développe aussi des logiciels
la mise en concurrence. Pour permettre à des flux d'électri-
pour mieux exploiter et piloter les flux d'électricité à travers son
cité de traverser l'Europe, deux éléments sont nécessaires :
réseau. Ainsi, les besoins de prévision de l'énergie produite
un élément physique, à savoir l'existence d'interconnexions
par les parcs éoliens et photovoltaïques nous ont conduits à
transfrontalières, et un cadre de règles permettant les
mettre en service conjointement avec ERDF un nouvel outil
échanges commerciaux. L'architecture du marché européen
informatique : IPES (Insertion de la Production Eolienne dans
de l'électricité a ainsi été pensée pour que les opérateurs
le Système). Ce système innovant permet d'être informé mi-
puissent commercer, optimiser leur portefeuille, gérer leurs
nute par minute de la production éolienne et photovoltaïque
risques, anticiper leurs positions , c'est-à-dire faire fonction-
et d'établir des prévisions de production jusqu'à 48 heures
ner efficacement les centrales de production et les réseaux
(c'est l'une des premières briques des smart grids de demain).
en lien avec les sites de consommation. A cet égard, le
Le développement des infrastructures de transport d'électri-
couplage des marchés par les prix, qui couvre aujourd'hui
cité intègre de nouvelles technologies et est accompagné par
la France, le Benelux, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et
de nouveaux modes de concertation et d'échange avec les
la Scandinavie, permet d'utiliser les moyens de production
parties prenantes, des initiatives qui contribuent davantage en-
selon leur mérite économique tout en optimisant l'utilisation
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LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
des infrastructures. Il concerne près de 75 % de la consom-
la loi, RTE a proposé un dispositif pour rémunérer la contri-
mation européenne et sera étendu au sud-ouest de l'Europe
bution de toutes les capacités de production comme d'effa-
au cours de l'année 2014. Au total, les échanges entre pays
cement à la sécurité d'alimentation électrique. Il valorise la
renforcent l'efficacité collective.
capacité à produire (et donc à être disponible dans le cas de situations tendues ou ponctuelles) ou à s'effacer, et non
De nouveaux outils pour plus de flexibilité du système électrique
plus seulement l'énergie produite. Le projet de règles proposées par RTE a fait le fruit d'un long processus de concer-
Notre façon de produire et de consommer l'énergie élec-
tation avec les acteurs. A terme, ce mécanisme permettra
trique se transforme. Longtemps, le système électrique a
également d'accompagner une part croissante et significative
été conditionné par la prévisibilité de la consommation : des
d'énergies renouvelables dans le système électrique français.
moyens de production « pilotables » s'adaptaient aux besoins de consommation. Le gestionnaire de réseau de transport
Une expertise reconnue
ajustait cette offre jusqu'au plus près de la demande. Au-
Ainsi, RTE se mobilise pour rechercher des solutions qui
jourd'hui, le développement des énergies éolienne et photo-
anticipent les évolutions du système électrique. Cette exper-
voltaïque nous amène à gérer une part de production variable
tise va de pair avec l’analyse des dysfonctionnements qui
mais cependant assez prévisible à court terme. Parallèlement,
viennent aujourd’hui perturber les signaux économiques. Le
le pic de consommation augmente en France deux fois plus
marché de l'électricité ne dispose plus des signaux néces-
vite que la consommation annuelle d'électricité et est à l'ori-
saires à l'accompagnement de la transition énergétique. Le
gine d'une situation paradoxale : alors que les moyens de pro-
financement des ENR hors marché (en France, par des tarifs
duction sont parfaitement capables de fournir les 500 TWh
garantis d'achat) se traduit sur le marché de gros de l'élec-
que représente la consommation brute annuelle de l'hexa-
tricité par des prix trop faibles pour inciter à investir dans
gone, il devient de plus en plus difficile de faire face à des si-
de nouveaux moyens de production conventionnels ou de
tuations ponctuelles et occasionnelles du type de la vague de
stockage hydraulique. La coexistence de deux systèmes de
froid de février 2012. Par ailleurs, avec le développement des
rémunération de la production d'électricité – à travers le mar-
nouvelles technologies, sont apparus de nouveaux appareils
ché ou subventionné – perturbe le rôle joué par les signaux
électriques et de nouveaux usages : aujourd’hui les écrans
économiques. Le développement du gaz de schiste aux
LCD, les smart phones, les box télécoms, les tablettes… de-
Etats-Unis a entraîné une baisse du prix du charbon à l'in-
main les véhicules électriques ou les pompes à chaleur. La
ternational et favorisé l'utilisation du charbon en Europe par
consommation d’électricité devient de plus en plus volatile et
rapport au gaz produit ou importé en Europe. Enfin, le prix du
l’exercice de l’équilibre offre-demande s’avère de plus en plus
CO2 est trop faible pour encourager les investissements dans
complexe. L’enjeu dès aujourd’hui est de progresser vers une
des technologies faiblement émettrices ou dans des cycles
gestion plus flexible de cet équilibre et, en particulier, vers une
combinés au gaz qui peinent à trouver leur rentabilité. Ces
consommation plus souple de l’électricité.
moyens de production sont pourtant utiles pour compenser
A ce titre, RTE est le seul gestionnaire de réseau de trans-
l'intermittence des ENR.
port à proposer un dispositif valorisant les effacements de
Au-delà de la valorisation des effacements et du méca-
consommation. NEBEF1 est un mécanisme innovant, qui per-
nisme de capacité, il devient nécessaire de revoir les mé-
met aux consommateurs ou à des opérateurs d'effacement
canismes de soutien des énergies renouvelables. Une
agissant pour le compte des consommateurs de valoriser
consultation a été lancée à ce sujet par la Direction Générale
directement leurs effacements de consommation sur le mar-
de l'Energie et du Climat (DGEC) en décembre 2013. RTE a
ché de l'électricité. Le premier effacement de ce type a eu
répondu à cette consultation tant sur les aspects d'intégra-
lieu en janvier 2014. Un agrégateur basé dans le sud-ouest
tion au système électrique que sur les aspects économiques
de la France a permis à un papetier norvégien de valoriser
des mécanismes de soutien envisageables.
sur le marché 2 h d’effacement de consommation pour un
RTE propose une meilleure intégration technique des
volume de 63 MWh. Le rôle de l'agrégateur est fondamental :
ENR en améliorant l'observabilité et la prédictibilité de cette
il fluidifie l'accès au marché et permet de foisonner plusieurs
production pour l'exploitation du système électrique mais
sites industriels, en diminuant les risques.
aussi en permettant aux ENR de participer activement à la
Autre avancée importante, la conception d'un mécanisme
gestion du système électrique. Au plus près de la demande,
de capacité pour répondre au problème croissant de la ges-
RTE peut solliciter les producteurs d'électricité à la hausse
tion du pic de consommation en France. En application de
ou à la baisse pour ajuster la production aux besoins de consommation. Jusqu'ici, les ENR ne participaient pas à cet
1
Notification d’Echange de Bloc d’Effacement.
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REE N°2/2014
ajustement en temps réel. Pour mieux les intégrer dans le
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
système électrique, RTE propose de faire participer les ENR
services d'agrégation de production renouvelable pourraient
au mécanisme d'ajustement. S'il est difficile aux producteurs
s'avérer pertinents.
d’ENR de s'engager sur des offres à la hausse, il leur est par contre très facile de couper ou de diminuer leur production.
Vers des réseaux de plus en plus intelligents
RTE plébiscite également une meilleure intégration éco-
Les mécanismes de marché font partie de la panoplie
nomique des ENR. Le système actuel procure une grande
d’outils indispensables à l’émergence des supergrids de demain, au même titre que le développe-
sécurité financière aux investisseurs mais demeure trop centralisé et écarte du marché
Dominique Maillard né à Paris,
ment de lignes HVDC ou de l’intégration
les installations subventionnées, conduisant
le 28 mars 1950, est diplômé de
de systèmes d’information performants
à des inefficacités : lors de périodes de faible consommation, couper des éoliennes peut s'avérer plus économique que d'arrêter (pour les redémarrer ensuite) des centrales thermiques.
l’Ecole polytechnique et de l’Ecole des mines de Paris. Il a consacré la quasi-totalité de sa vie professionnelle au secteur de l’énergie. De 1998 à 2007, Il a notamment occupé le poste de directeur général de
qui permettront l’interaction efficace entre tous les acteurs du système électrique. Vecteurs d’intégration européenne et d’optimisation économique du système électrique, contributeurs à la sécu-
l’énergie et des matières premières
rité d’alimentation électrique et leviers de
vention ouvert et bien inséré dans le mar-
et a présidé le Conseil de direction
la transition énergétique, leur rôle reste
ché, croit en la capacité des acteurs à se
de l’Agence internationale de
pourtant largement sous-estimé et est
mobiliser pour trouver des solutions de
l’énergie (2002-2003). Depuis mai
parfois présenté comme un simple pallia-
gestion efficaces et innovantes. Il ne s'agit
2007, D. Maillard est Président du
tif à des dysfonctionnements ponctuels.
pas d'imposer un schéma particulier, mais
directoire de Réseau de transport
Espérons que ce dossier permettra aux
de donner un maximum de souplesse dans
d’électricité (RTE). Il a été recon-
lecteurs de REE de mieux comprendre
l'organisation du secteur. Dans ce cadre, des
duit dans ses fonctions pour 5 ans,
leur valeur ajoutée.
RTE, en proposant un système de sub-
le 1er septembre 2010. Il préside également depuis décembre 2012, la Fondation nationale entreprise et performance (FNEP).
LES ARTICLES
Le mécanisme de capacité français Par Réseau de transport d’électricité (RTE) ........................................................................................................................ p. 28 La création dans le système électrique français d’un mécanisme de capacité et d’un marché de capacités Par Maurice Méda ........................................................................................................................................................................... p. 33 Les contraintes imposées aux réseaux européens par l’injection d’électricité intermittente Par Jacques Percebois .................................................................................................................................................................... p. 40 La place du consommateur dans les nouveaux mécanismes de marché Par Emilie Scholtès, Anne-Sophie Chamoy, Anne-Soizic Ranchère ............................................................................... p. 46
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LES NOUVEAUX MÉCANISMES DE MARCHÉ DANS LES SYSTÈMES ÉLECTRIQUES
Le mécanisme de capacité français Réseau de transport d’électricité (RTE) Département Marchés
amont de l’année de livraison considérée, tandis que les opérateurs d’effacement le peuvent jusqu’au début de cette année de livraison. La disponibilité prévision-
Les dispositions prévues par le cadre législatif et réglementaire
nelle annoncée sera comparée à celle effectivement observée, à la suite de quoi un règlement financier sera opéré pour tenir compte des écarts.
Les dispositions de la loi portant nouvelle organisa-
Les dispositions proposées établissent un nouveau
tion du marché de l’électricité (NOME) établissent un
mécanisme de marché, régulé par la puissance publique,
dispositif d’obligation de capacité. Celui-ci prévoit que
sur lequel les détenteurs de garanties et les acteurs obli-
« chaque fournisseur d’électricité contribue, en fonction
gés échangent des garanties de capacité permettant à
des caractéristiques de consommation de ses clients,
ces derniers de satisfaire à leur obligation légale.
en puissance et en énergie, sur le territoire métropolitain continental, à la sécurité d’approvisionnement ».
Ce dispositif relève d’une logique assurantielle : les exploitants de capacités voient leurs installations valo-
Les fournisseurs se verront attribuer une obligation
risées pour l’assurance qu’ils procurent au système
qui dépend de la consommation effective de leurs
électrique en termes de disponibilité lors des pé-
clients lors des pointes de consommation. Ils devront,
riodes de tension. Débutant quatre années en amont
pour la remplir, détenir un certain montant de garan-
des périodes de livraison, le mécanisme adresse des
ties de capacité, soit du fait de moyens détenus en
signaux économiques complémentaires à ceux du
propre (installations de production ou capacités d’ef-
marché de l’énergie.
facement), soit en acquérant ces garanties de capacité auprès d’autres détenteurs. L’obligation, fonction de paramètres définis quatre années en amont de
Les enjeux du mécanisme de capacité français
l’année de livraison visée, sera actualisée en fonction
La France est confrontée à des défis majeurs pour
des données de consommation effectivement mesu-
gérer avec succès sa transition énergétique et passer
rées dans le périmètre du fournisseur.
d’une société fondée sur la consommation abondante
Les garanties de capacité sont initialement émises
d’énergies non renouvelables à des modes de produc-
par RTE et attribuées aux exploitants de capacité en
tion, de transport et de consommation plus sobres et
fonction de la contribution prévisionnelle de leurs ins-
plus écologiques. Cette transition énergétique implique
tallations à la réduction du risque de défaillance lors des
notamment de réaliser des économies d’énergie, d’op-
pointes de consommation. Les producteurs doivent
timiser les systèmes de production et de recourir de
demander à se faire certifier trois ans au plus tard en
manière accrue aux énergies renouvelables. Le secteur
ABSTRACT The French capacity mechanism has been design to ensure security of supply in the context of the energy transition. This energy transition challenges the electricity market design with several features: peak load growth, the development of renewables, demand response,… To ensure security of supply in this context, a capacity mechanism is being implemented in France. It is a market wide capacity obligation on electricity suppliers, based on market principles. Suppliers are responsible for forecasting their obligation, which corresponds to their contribution to winter peak load, and must procure enough capacity certificates to meet their obligations. Capacity certificates are granted to capacities through a certification process, which assesses their contribution to security of supply on the basis of availability commitments. This certification process is technology neutral and performance based, associated with controls and penalties in case of non compliance. Demand Side is fully integrated in the market, either through the reduction of suppliers’ capacity obligation or direct participation after certification. In addition to the expected benefits in terms of security of supply, the French capacity market will foster the development of demand response. The participation of foreign capacities will require adaptations which are scheduled in a roadmap, and could pave the way for further European integration of energy policies.
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REE N°2/2014
Le mécanisme de capacité français
Figure 1 : Illustration de la variation de la consommation thermosensible et non thermosensible sur l’année 2011-2012 (données RTE). électrique français actuel, compétitif et peu carboné, est lar-
Dans ce contexte, les effacements de consommation
gement le fruit des choix énergétiques passés (développe-
peuvent et doivent jouer un rôle majeur. Si le mécanisme de
ment de l’hydroélectricité et du nucléaire, transferts d’usage
capacité proposé est technologiquement neutre et n’avan-
vers l’électricité par le biais du développement du chauffage
tage structurellement aucune filière par rapport à une autre,
électrique) qui ont majoritairement été mis en œuvre dans les
il permet de reconnaître les capacités dont les performances
années 1970-1980. Ces choix, cohérents au regard de l’indé-
correspondent aux besoins réels en matière de sécurité
pendance énergétique, de la compétitivité et de la réduction
d’approvisionnement, ce qui est bien le cas des actions de
de l’empreinte carbone, ont conduit à l’apparition d’un phé-
maîtrise de la courbe de charge. Les modalités spécifiques
nomène de pointe de consommation électrique qui présente
proposées (certification souple jusqu’au démarrage de l’an-
une ampleur particulière. Ces dernières années, alors même
née de livraison, agrégation possible indépendamment du
que le rythme d’augmentation de la consommation moyenne
lieu ou des fournisseurs de rattachement des sites) contri-
s’infléchissait (en énergie), la puissance appelée à la pointe de
buent à cette intégration. Dans l’ensemble, les choix d’archi-
consommation continuait à progresser de manière importante.
tecture de marché réalisés en France vont de pair avec le
Le mécanisme de capacité français a été conçu comme
potentiel des effacements de consommation en tant que
une réponse à cette problématique, c’est-à-dire comme
solution structurelle pour assurer le bouclage de l’équation
un moyen de modifier les comportements de consom-
capacitaire.
mation à la pointe (approche demande) et de susciter
La mise en place du mécanisme de capacité français
les investissements adéquats en installations de produc-
participe d’une politique assumée de flexibilisation de la
tion et en capacités d’effacement (approche offre) dans
courbe de charge, consacrée par les pouvoirs publics par la
un contexte où la propension des marchés de l’énergie à
loi « Brottes ». Loin de constituer une alternative ou un subs-
engendrer de tels investissements était mise en doute de
titut au développement de l’effacement de consommation,
manière générale en Europe.
la mise en place de l’obligation de capacité achève un pro-
Une fois gérée de manière économique et écologique
gramme de quatre années ayant conduit à ouvrir tous les dis-
sans engendrer de risque sur la sécurité d’approvisionnement
positifs de marché à l’effacement – y compris la participation
du territoire, la pointe électrique ne sera plus un problème.
directe aux marchés de l’énergie.
Atteindre cet objectif est d’autant plus important que de nou-
Enfin, l’évolution en cours du mix énergétique conduit à
veaux transferts d’usages, tels que l’accroissement du parc
des besoins croissants en flexibilité, notamment du côté de
de véhicules électriques, pourraient intervenir dans le cadre
la demande, pour faire face à la part croissante des moyens
des politiques de « décarbonisation » mises en œuvre pour
de production intermittents. De ce fait, l’aléa dimensionnant
atteindre les objectifs climatiques fixés par le Conseil euro-
du système électrique français pourrait être amené à évoluer
péen en 2009 et déclinés par la Commission dans sa feuille
progressivement. A terme, le mécanisme de capacité fran-
de route 2050 et devraient conduire à pérenniser l’existence
çais sera en mesure d’évoluer d’une vision uniquement
de la pointe.
centrée sur la pointe nationale à une approche intégrant
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Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Ô Soleil, toi sans qui les choses ne seraient pas ce qu’elles sont... Dès que l’être humain a commencé à réfléchir
d’Amaterasoukami, déesse du Soleil fait partie
et à se séparer de son environnement immédiat,
des grands mythes. En Amérique précolom-
il s’est tourné vers le Soleil dont l’influence sur
bienne, les cultes solaires étaient nombreux,
sa vie quotidienne était manifeste. Il ne compre-
on ne citera que les Aztèques qui adoraient
nait pas bien sa nature et a cru se concilier ses
Huitzilopochtli, les Mayas qui honoraient Pipil, et
faveurs en le divinisant.
les Incas qui adoraient le Soleil sous le nom de
L’une des plus anciennes civilisations connues, celle de Sumer quelque 4 000 ans avant JC adorait déjà le Soleil sous le nom du dieu Utu. Dans la plus ancienne épopée connue, Gilgamesch ne doit son salut qu’à l’intervention
André Deschamps Ingénieur de recherche hors classe honoraire à l’Observatoire de Paris
du dieu Utu. Toujours en Mésopotamie, les civi-
Manco Capac. Terminons ce court résumé en rappelant que nos ancêtres les Gaulois révéraient Belenos, dieu solaire. De nombreuses inscriptions montrent que ce culte revêtait une certaine importance. On voit par là que depuis que l’histoire existe,
lisations d’Assur adoraient le dieu du Soleil sous le nom de
le Soleil a été reconnu pour influencer notre existence, même
Shamash. Le roi Hammurabi, connu pour le code qui porte
si sa structure propre était totalement inconnue. Mais que
son nom, est représenté en adoration devant ce dieu.
dire dans tout cela des taches solaires ?
Vers 3000 avant JC, les égyptiens adorèrent le dieu du
On pourrait croire que, compte tenu de sa proximité
Soleil sous le nom de Râ, symbole de la renaissance après
avec la Terre, nous connaissons tout sur le Soleil. Il n’en
la mort et donc de l’éternité. Selon sa position dans le ciel, il
est rien et chaque observation ou chaque mission spatiale
portait aussi les noms de Khepriou d’Atoum. Les pharaons et
nous livre de nouvelles connaissances, et pose de nouvelles
les hauts dignitaires étaient associés à ce cycle et par consé-
questions.
quent immortels. Plus tard, le culte de la divinité Amon-Rê fut
En 1609, Galilée en utilisant la lunette astronomique
développé à Héliopolis et à Memphis. Vers 1400 avant JC, le
qu’il vient de développer, remarque la présence de taches
pharaon Amenophis IV prit le nom d’Akenaton, et institua le
sur le Soleil. Ceci contredit la doctrine de l’époque qui
culte obligatoire du dieu solaire Aton.
considérait le Soleil comme un astre immaculé. A la même
Un peu plus tard, à Athènes, Platon écrivait que « le
époque, Johann Frabricius explique que le mouvement de
démiurge de tout ce qui existe est le grand géomètre et
ces taches s’explique par un mouvement de rotation du
rythmeur du cosmos : le Soleil ». Dans l’empire romain, l’em-
Soleil sur lui-même. Mais la cause des taches reste inconnue.
pereur Aurélien institua parmi les nombreux cultes celui du
Les observations de Galilée, Fabricius et Scheiner contre-
Soleil sous le nom de « Sol Invictus ». Une grand fête avait
disent les dogmes de la physique aristotélicienne, populaire
lieu au solstice d’hiver du calendrier Julien et portait le nom
à l’époque, qui est basée sur le mouvement circulaire par-
de « Dies Natalis Solis ». Ce nom fut christianisé pour devenir
fait et l’immuabilité des astres. D’abord simples curiosités
chez nous « Noël ». Cette religion fut mal perçue, car ses
astronomiques, les taches solaires se retrouvent rapidement
détracteurs l’associèrent à l’empereur Hélagabal, de sinistre
au cœur d’une polémique sur la structure de l’Univers. Les
mémoire. Néanmoins un peu plus tard, l’empereur Constan-
nouvelles théories défient la doctrine géocentrique, selon
tin fera frapper une nouvelle monnaie qui portait la devise
laquelle l’Univers tourne autour de la Terre, au profit de
« Sol Invicto Comiti ». Il est intéressant de remarquer que
la cosmologie héliocentrique selon laquelle les planètes
cette dénomination fut reprise dans de nombreux royaumes
tournent autour du Soleil, théorie qui avait été introduite par
en Europe, exportée en Amérique du Sud par les premiers
les Grecs de l’Antiquité et que Copernic avait ranimée au
colons et reprise en Amérique du Nord pour devenir le sym-
milieu du XVIe siècle. Les spéculations allèrent bon train pen-
bole du dollar, le signe $.
dant près de trois siècles. Ce n’est qu’en 1843 que l’astro-
Mais ce culte solaire ne fut pas réservé au monde occi-
nome Samuel Heinrich Schwabe remarqua que le nombre
dental. Dans l’Inde, vers 1000 avant JC, on révérait Varoun,
de taches solaires variait de façon cyclique sur environ dix
issu du Soleil ainsi que Mitra ou Agni. Au Japon, l’histoire
ans. L’astronome suisse Rudolf Wolf parvînt alors à reconsti-
54
REE N°2/2014
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
tuer l’historique des taches solaires depuis 1745 et démontra
la surface du Soleil restent inconnues. Plusieurs modèles phy-
la périodicité de 11 ans.
siques du cycle magnétique solaire à l’origine des taches ont
Au début du XX siècle, grâce aux développements de la e
spectroscopie, George Ellery Hale établira la nature magnétique intense de ces taches. Enfin, en 1859, Richard Carrington
été proposés, mais aucun ne fait consensus. Les articles qui suivent expliquent en détail les causes et conséquences de ces éruptions solaires.
observa pour la première fois une éruption solaire. Le champ
Dans son article « La couronne et l’activité solaires : un peu de
magnétique est la cause de ces taches, au cœur desquelles il
physique », Karl-Ludwig Klein nous explique ce que sont ces phé-
est de 1 000 à 10 000 fois plus intense que
nomène de jets de matière et de champs André Deschamps est ingénieur
magnétiques au niveau du Soleil. Dans un
Aujourd’hui, l’étude des taches solaires
de recherche hors classe honoraire
second article, « L’environnement spatial de
continue de façon très active grâce à des ins-
à l’Observatoire de Paris. Il est pré-
la terre », il détaille tout ce que le Soleil nous
le champ magnétique terrestre.
truments spatiaux qui ont la particularité de s’affranchir de l’atmosphère terrestre et donc d’avoir accès à tout le spectre. Malgré le lancement d’une série de satellites d’observation du Soleil au cours des vingt dernières années, plusieurs questions demeurent sans réponse. Entre autres, nous ignorons
sident de la commission « Radioastronomie » de l’URSI-France. Il a travaillé sur des grandes missions scientifiques spatiales (ROSETTA, Herschel, etc.) pour lesquelles il a reçu un award de la NASA et un autre de l’ESA. Il a été représentant
envoie et explique comment le champ magnétique de la terre nous en protège. Dans l’article « Les centres de météorologie spatiale », l’auteur de cette brève introduction présente les acteurs d’une météorologie particulière : la météorologie
de la radioastronomie française
spatiale. Dans un second article, il détaille
toujours l’origine et la structure de la démar-
auprès de l’ANFR (Agence natio-
les causes et les effets d’un événement
cation ombre/pénombre des taches. De la
nale des fréquences) et de l’ITU
dû à une éruption solaire exceptionnelle
même façon, la profondeur des taches et la
(International Telecommunication
et qui causa une panne d’électricité totale
manière dont l’énergie est transportée vers
Union, Genève).
dans le Québec en 1989.
LES ARTICLES
La couronne et l’activité solaires : un peu de physique Par Karl-Ludwig Klein .....................................................................................................................................................................p. 56 L’environnement spatial de la Terre - Météorologie de l’espace Par Karl-Ludwig Klein .....................................................................................................................................................................p. 59 Les centres de météorologie spatiale Par André Deschamps..................................................................................................................................................................... p. 66 La grande panne d’Hydro-Québec Par André Deschamps...................................................................................................................................................................... p. 71
REE N°2/2014 55
LES GRANDES ÉRUPTIONS SOLAIRES ET LEUR IMPACT
La couronne et l’activité solaires : un peu de physique Karl-Ludwig Klein Astronome au LESIA, Observatoire de Paris
Préambule L’atmosphère externe du Soleil (couronne et vent) et son activité ne constituent pas seulement des laboratoires d’astrophysique proches. Elles affectent directement l’environnement spatial, ionisé et magnétisé, de la Terre et des planètes. Tandis que l’atmosphère et le champ magnétique de la Terre empêchent le gros des perturbations solaires d’atteindre le sol, des
Figure 1 : Dessin de taches solaires par Galilée.
événements solaires extrêmes peuvent, par exemple,
dès l’antiquité. Mais l’appartenance de ces taches au
conduire au dysfonctionnement de satellites, à des
Soleil n’a pu être démontrée qu’au 17e siècle, grâce à la
perturbations des communications et de la géoloca-
lunette astronomique. Les premiers dessins semblent
lisation par ondes hertziennes, ainsi qu’à l’interrup-
avoir été faits par T. Harriot en Angleterre, en 1610.
tion du transport d’électricité par les lignes de haute
J. Fabricius, étudiant de médecine à Leyde et
tension dans des régions exposées de la Terre, aux
Wittenberg, fut en 1611 le premier à publier un ré-
hautes latitudes. Ils sont également une menace
cit systématique dans lequel il démontrait qualitati-
potentielle pour les astronautes. Le terme « météo-
vement l’appartenance des taches au Soleil. Galilée
rologie de l’espace » désigne les recherches sur les
à Florence et C. Scheiner à Ingolstadt ont ensuite
phénomènes et processus de l’activité solaire qui ont
mené des observations systématiques et se sont
un impact sur l’héliosphère et sur l’environnement
livrés à un duel passionné et passionnant sur la na-
de la Terre, comprenant la magnétosphère, la haute
ture de ces taches – Galilée défendant leur appar-
atmosphère et parfois des effets au sol.
tenance au Soleil, tandis que Scheiner, père jésuite,
Quelques éléments d’histoire
cherchait à démontrer qu’il s’agissait en fait d’ombres de corps opaques en orbite autour du Soleil. L’enjeu
La première manifestation du magnétisme solaire
était de taille : il s’agissait de décider si le Soleil était
sont les taches, régions sombres de la photosphère.
immuable, comme le stipulait l’astronomie tradition-
Des rapports écrits, surtout en Asie, plus rarement
nelle d’Aristote et de Ptolémée, ou s’il était soumis au
en Europe, témoignent de leur observation à l’œil nu
changement – une idée nouvelle qui mettait l’astro-
ABSTRACT The outer atmosphere of the Sun – the corona and the solar wind – are nearby laboratories for astrophysics, but they also affect the ionised and magnetised environment of the Earth and other planets. While the Earth's magnetic field and atmosphere prevent most solar perturbations from reaching the ground, extreme solar events are still a hazard, conducive to satellite malfunctioning, disturbance of communications and GNSS systems using radio waves, and to the interruption of power lines in the exposed regions of the Earth at high latitudes. Solar disturbances are also a potential risk for astronauts. The term "space weather" describes these hazards. Research in space weather addresses the interaction between solar processes and the Earth's magnetosphere and high atmosphere. This article, together with the article about the “space weather”, gives a brief introduction to the solar corona and wind, describes the space environment of the Earth and illustrates how it is affected by the variable emission of photons and charged particles from the Sun.
56
REE N°2/2014
La couronne et l’activité solaires : un peu de physique
Les clichés des éclipses (figure 3) suscitent immédiatement la question de savoir pourquoi cette couronne est si irrégulière, tandis que la photosphère sous-jacente est ronde. La photosphère est ronde parce que la force dominante, la pesanteur, agit de façon isotrope. Dans la couronne, en revanche, la pesanteur ne joue qu’un rôle secondaire. Elle détermine certes la décroissance de la densité du milieu vers l’extérieur, mais une autre force crée les structures qu’on distingue : c’est le champ magnétique du Soleil qui agit sur les particules constituant la couronne. Ce sont des électrons, protons et ions plus lourds, donc des particules Figure 2 : Dessin de taches solaires par Carrington.
électriquement chargées. Là où les lignes de force du champ magnétique sont ancrées des deux côtés dans le Soleil, la
nomie et la physique établies à l’antiquité grecque tout autant
matière coronale est retenue au Soleil et forme des struc-
en question que la proposition du système héliocentrique.
tures brillantes dans les clichés d’éclipses. Là où les lignes
L’issue de la discussion montra le caractère variable du Soleil.
de force ne sont ancrées que d’un côté dans le Soleil, tandis
La première éruption, observée en 1859 par les Anglais
que l’autre est connecté quelque part dans le milieu interpla-
Carrington et Hodgson, confirma cette nouvelle conception
nétaire, par exemple à la Terre, le gaz chaud de la couronne
du Soleil. Un jour après cette éruption, un gros orage géoma-
peut s’étendre librement. Il s’échappe du Soleil et les régions
gnétique frappa la Terre et ses premières technologies vulné-
correspondantes de la couronne, avec un déficit de matière,
rables, les télégraphes.
apparaissent sombres sur les clichés d’éclipses. Ces régions
Soleil, taches, couronne et vent solaire
sont appelées des trous coronaux. Les trous coronaux visibles sur le cliché d’éclipse se situent autour des pôles du Soleil. La
Quand nous parlons du Soleil, nous pensons d’abord à ses
structure filamentaire du gaz visible dans ce cliché rappelle
rayonnements, visible et infrarouge. Ils sont émis essentiel-
effectivement la limaille de fer qu’on utilise pour mettre en
lement par la photosphère, la couche de gaz chaud (environ
évidence les lignes de force d’un aimant ordinaire.
6 000° C) qui délimite le Soleil en lumière visible. Lors d’une
La structuration de la couronne résulte donc d’un équilibre
éclipse solaire, nous nous apercevons que le Soleil ne s’arrête
entre deux forces, exercées par le champ magnétique d’un
pas à la photosphère : lorsque la photosphère est complè-
côté et par le gaz chaud de l’autre. Il s’avère que, l’intensité du
tement occultée par la Lune, on voit apparaître la couronne,
champ magnétique décroissant avec l’altitude, la force qu’il
gaz dilué, mais très chaud (1 million de degrés et plus) qui
exerce devient incapable de contenir la couronne chaude
entoure la photosphère.
au-dessus d’une distance de quelques rayons solaires. La
Figure 3 : Cliché d’une éclipse solaire en lumière visible (cliché C. Viladrich, http://media4.obspm.fr/public/AMC/pages_eclipses-soleil/ types-eclipses_impression.html).
REE N°2/2014 57
❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱ RETOUR SUR
Ampère n’a pas été qu’un grand savant Robert Locqueneux Professeur émérite, Université de Lille 1
sa stupeur suspendit et opprima pendant quelques temps toutes ses facultés » ; un an plus tôt, il avait perdu sa sœur aînée, « sa plus tendre amie ». A partir
Les travaux d’André Ampère (1775-1836) sur
de décembre 1797, Ampère donne des cours parti-
l’électricité viennent bien tard, entre 1820 et 1826
culiers de mathématiques et de physique, il prépare
dans une carrière qui avait été amplement favorisée
quelques élèves au concours de l’Ecole polytech-
par des amis occupant des fonctions éminentes dans
nique et commence des recherches en mathéma-
les administrations les plus inamovibles de l’Empire et
tiques. Peu après son mariage, en décembre 1801,
de la monarchie constitutionnelle ; et, sans la décou-
Ampère obtient un poste de professeur de physique
verte d’Oersted, Ampère serait resté mathématicien
et de chimie à l’école centrale de Bourg-en-Bresse. En
par profession, chimiste et philosophe par passion :
avril 1803, il rentre à Lyon, ayant obtenu un poste de
en ces différentes disciplines la postérité ne lui aurait
professeur de mathématiques au lycée de cette ville ;
attribué qu’un rang fort modeste. Hors ses travaux
Julie, sa femme meurt en juillet, lui laissant un fils,
sur l’électricité, la première cause
Jean-Jacques, qui sera élevé par sa
de la célébrité d’Ampère, qui n’a pas
grand-mère paternelle et sa tante ; le
attendu le nombre des années et
séjour d’Ampère à Lyon s’achève en
reste intacte, c’est l’image cocasse
décembre 1804.
du savant distrait ; elle lui fut acquise
Les amitiés lyonnaises
dès ses premiers cours à l’X, et propagée grâce à ses tournées d’ins-
Commençons par Roux-Bordier.
pecteur général. Une autre cause
Fils d’un botaniste réputé, il a acquis
de sa célébrité, bien oubliée, est
très jeune une vaste érudition dans
celle que lui valut sa foi : les milieux
cette science ; lisant parfaitement
dévots donnèrent de lui une image sulpicienne, qui
l’allemand, il a une parfaite connaissance de la philo-
lui interdit l’entrée du panthéon édifié par les édiles
sophie allemande, c’est peut-être grâce à lui qu’Am-
scientistes du second Empire et de la troisième Répu-
père a approfondi sa connaissance de Kant. Bredin
blique.
fut le plus intime des amis d’Ampère. Lorsque Lyon
André Ampère est né à Poleymieux aux Monts
s’armait contre la Convention, Bredin s’enrôla dans
d’Or ou à Lyon. La famille passe la belle saison à
la cavalerie du comte de Précy et y fit preuve d’un
Poleymieux et le reste de l’année à Lyon. Au temps
grand courage : en vain son père tenta-t-il de le faire
de la Terreur, à Poleymieux, André est plongé dans
rappeler à l’armée. Fait prisonnier à la chute de Lyon,
l’étude de la Mécanique analytique de Lagrange ; son
il ne dut son salut qu’au manque dramatique de vété-
père est resté seul à Lyon, il y a été élu juge de paix,
rinaires dont souffraient les armées de la Révolution.
c’est lui qui a lancé le mandat d’arrêt contre Chalier ;
Plus tard il succéda à son père à la direction de l’école
aussi, en 1793, à la chute de Lyon, fut-il guillotiné.
vétérinaire. Ampère lui confiait toutes ses joies et ses
Sainte-Beuve nous dit que « cette mort fut un coup
peines, ses faiblesses et ses doutes. À partir de 1806,
affreux pour le jeune homme, et sa douleur ou plutôt
leur correspondance palliait l’absence et sans elle
1
1
78
A l’automne 1792, les jacobins ont pris la municipalité de Lyon ; Chalier, le président du tribunal de district, ne parle plus que de têtes à couper. A la mi-mai, les modérés ont repris par les armes le contrôle de la ville et le 29 mai 1793 la municipalité jacobine est dissoute. Chalier et les principaux meneurs jacobins seront incarcérés ; Chalier sera guillotiné. Deux jours plus tard, à Paris, ce sont les girondins qui, au terme d’une émeute, perdent le pouvoir ; la terreur règne à Paris, Lyon est assiégé, à la chute de la ville, les massacres commencent.
REE N°2/2014
nous ne pénètrerions point autant l’âme d’Ampère ; quand la maison de Poleymieux aura été vendue, c’est chez Bredin qu’à chaque vacance Ampère retournera à Lyon. À Lyon, Ampère est entré dans le cercle des amis de Ballanche, lequel forma « une petite mais aimable société » consacrée aux belles lettres et à l’amitié. C’est cette société que fréquenta André Ampère. Cette so-
Ampère n’a pas été qu’un grand savant
ciété renfermait un homme déjà célèbre, Camille Jordan, un
de confiance. Ampère et ses amis appartiennent à la mou-
autre qui le devint bientôt, Degérando (ces deux là étaient
vance libérale et chrétienne.
inséparables, tous deux s’étaient engagés dans la défense de
Degérando et Fontanes sous l’Empire, Camille Jordan
Lyon) ainsi que le futur traducteur d’Homère, Dugas-Montbel.
à la Restauration veilleront sur la carrière d’André Ampère.
Dans un grand élan religieux, Ballanche écrit : Du sentiment
Dans l’introduction de la Correspondance philosophique de
considéré dans la littérature et dans les arts. Avant d’être
Maine de Biran-Ampère, A. Robinet et N. Bruyère notent
publié en novembre 1801, l’ouvrage avait été lu et discuté au
que : « autour de Biran et d’Ampère se décrit un milieu im-
sein de cette petite société. Jean-Jacques, le fils d’Ampère,
médiat évoluant, dont le noyau reste stable, appuyé sur les
relèvera que Ballanche « exprima dans cette œuvre avec
institutions ou les administrations les plus inamovibles des
beaucoup de bonheur des idées qui allaient être merveilleu-
régimes… (Le duo) Biran-Ampère tient sa sécurité politico-
sement présentées dans le Génie du Christianisme ».
administrative, de l’influence de lyonnais montés à Paris, qui
Bien que Camille Jordan et Degérando ne furent jamais
ont tous pour caractéristique d’avoir résisté à la Convention
aussi proches d’André Ampère que ne le furent Ballanche
par patriotisme local, d’avoir été la cible de condamnations,
et Bredin, c’est peut-être envers ces deux là qu’il eut la plus
pas seulement par la Terreur... d’avoir été mêlés aux tenta-
forte dette : la pensée philosophique d’Ampère emprunta
tives de déstabilisation des régimes en place, soit lors de la
beaucoup à celle de Degérando, sa pensée politique à l’ac-
montée bonapartiste, soit lors de la conjuration des Cinq à
tion de Camille Jordan. De plus, nous pressentons que, dans
la fin du régime napoléonien, d’avoir enfin été les agents les
ses errances mystiques, les convictions religieuses assurées
plus actifs de la Restauration, et les premiers bénéficiaires du
des deux amis furent un repère que ni Ballanche, ni Bredin
retour de la monarchie ».
– aussi égarés que lui – ne pouvaient offrir. Degérando s’initia à la philosophie allemande ; il lut entre
L’entrée dans le cercle des mathématiciens
autres les œuvres de Leibniz, de Schiller, de Goethe et de
Le séjour de Bourg-en-Bresse fut bénéfique pour la car-
Kant. Degérando concourt pour le prix de l’Institut : « Déter-
rière d’Ampère, puisqu’il y fait la connaissance de Lalande. Il
miner quelle a été l’influence des signes sur la formation
y rédige un mémoire de mathématique sur le jeu. Lalande,
des idées ». Son mémoire fut retenu pour le prix ; il fut peu
alors agé de soixante-dix ans, est né à Bourg-en-Bresse et
après, nommé secrétaire du Bureau consultatif des arts et
est resté attaché à cette ville ; il est rentré à l’Académie des
du commerce. Il entra alors dans les allées du pouvoir pour
sciences en 1753 et son œuvre fait autorité. En Lalande,
n’en plus sortir. Il fut accueilli à la Société d’Auteuil ; en 1802
Ampère va trouver un appui et il semble bien qu’il a su capter
il fut nommé membre correspondant, et deux ans plus tard,
la sympathie du vieil académicien. C’est alors l’époque de la
il fut élu membre de l’Institut. Dans ces quelques années,
création des Lycées, une chance pour Ampère qui espère
Degérando s’est bâti une œuvre philosophique : en 1802,
une place de professeur de mathématiques à Lyon. Ampère
il publia De la génération des connaissances humaines, cet
cherche alors de multiples recommandations : de l’arche-
ouvrage fut l’esquisse de son Histoire comparée des sys-
vêque de Lyon, de M. de Jussieu, “d’un illustre lyonnais”, etc.
tèmes de philosophie, qu’il publia en 1804. Camille Jordan
Une visite des inspecteurs généraux, Delambre [qui fut
a mis son érudition au service de Mme de Staël lorsqu’elle
l’élève de Lalande] et Villars, tous deux membres de l’Ins-
écrivait De l’Allemagne et il est possible qu’il ait inspiré à
titut, est-elle annoncée, que Julie, la femme d’Ampère, sol-
Chateaubriand quelques pages des Mémoires d’Outre-
licite Ballanche pour qu’il obtienne une recommandation
Tombe. Sous le Consulat et l’Empire, Degérando commença
de Degérando, par ailleurs, Camille Jordan a déjà sollicité
une carrière de grand commis de l’état : en novembre 1804,
Degérando pour Ampère. Peut-on en effet rêver meilleure
il est nommé secrétaire général du Ministère de l’intérieur
recommandation que celle de Degérando ? À cette époque,
qui avait à sa charge l’enseignement, les cultes, l’agriculture,
ce Lyonnais, de trois ans plus âgé qu’Ampère s’est déjà atta-
le commerce et les travaux publics sous un régime où l’admi-
ché au nouveau pouvoir ; un an plus tard, en 1804, il sera
nistration est le véritable instrument du pouvoir. Sous la Res-
nommé secrétaire général du ministre de l’Intérieur, lequel a
tauration, il continua son ascension politique, il fut appelé, en
en charge l’instruction publique.
1837, à la Chambre des pairs. En 1814, la chute de l’Empire
En avril 1803, Ampère rentre à Lyon, il a obtenu le poste
ramena Camille Jordan sur la scène politique, ses critiques
de mathématiques convoité ; Julie meurt en juillet à la suite
du Consulat et de l’Empire l’en avait écarté. Nous savons par
d’une longue maladie ; le séjour d’Ampère à Lyon s’achève en
Degérando qu’il fut à cette époque appelé à une conférence
décembre 1804. Les travaux mathématiques d’Ampère – des
particulière par Louis XVIII et qu’il en reçut des témoignages
travaux de mécanique analytique – ont porté leur fruit : à l’au-
REE N°2/2014 79
ENTRETIEN AVEC ANDRÉ MERLIN
PrĂŠsident exĂŠcutif de MEDGRID et PrĂŠsident sortant du CIGRE (Conseil International des Grands RĂŠseaux Electriques)
Quelle politique ÊnergÊtique pour l’Europe ? REE : Une nouvelle Commission va
transports et à l’Ênergie, avait estimÊ que
être nommÊe à la tête de l’Europe
LES INTERCONNEXIONS Ă?LECTRIQUES ENTRE
en 2014. Quels sont selon vous, en
DEUX PAYS DEVAIENT CORRESPONDRE AU
Il a ĂŠtĂŠ abordĂŠ mais il a ĂŠtĂŠ traitĂŠ de
matière d’Ênergie, les succès et les
minimum Ă 10 % de la puissance ĂŠlec-
façon insuffisante. La 3e directive Gaz de
ĂŠchecs de la Commission dont le
trique installĂŠe dans ces pays. Cet objec-
2009 n’Êvite pas les risques de pÊnurie
mandat s’achève ?
tif n’est pas atteint et c’est un handicap
EN CAS D HIVER TRĂ’S RIGOUREUX #ELA N A
A. M. : On ne doit pas vĂŠritablement
que l’on retrouve Êgalement du côtÊ du
pas ÊtÊ la prioritÊ première et il faudrait
parler de succès ou d’Êchecs car les
gaz. Le dĂŠveloppement des ĂŠnergies re-
aller plus loin dans la mutualisation de
conditions dans lesquelles a pu ĂŞtre
NOUVELABLES NE FAIT QUE L EXACERBER NOUS LA GESTION DES STOCKAGES DE GAZ -AIS LE
mise en Ĺ“uvre la politique europĂŠenne
y reviendrons.
3. Le troisième point est celui de la sÊcuritÊ d’approvisionnement.
PROBLĂ’ME EST SANS DOUTE PLUS SĂ?RIEUX
de l’Ênergie se sont trouvÊes fortement
DANS LE DOMAINE Ă?LECTRIQUE OĂĄ EXISTE UN
modifiÊes au cours des toutes dernières
RISQUE DE BLACK OUT C EST ĂŒ DIRE D EFFON-
L’ouverture des marchÊs annÊes. En effet, la plupart des propoa bien rÊsistÊ à la crise. sitions qui sous-tendent cette politique Les objectifs des 3 x 20 remontent à 2008. Mais depuis cette ont interfÊrÊs entre eux. date des ÊvÊnements considÊrables La sÊcuritÊ d’approvisionnement n’a pas ÊtÊ suffisamment sont survenus : prise en compte s LA CRISE �CONOMIQUE ET lNANCIÒRE QUI A
drement du rÊseau comme on en a CONNU DANS LE PASS� EN &RANCE EN et plus rÊcemment en Italie et en AmÊrique du Nord en 2003. Il ne s’agit pas seulement de faire face au besoin de la pointe de consommation, ce que l’on sait gÊrer si nÊcessaire
affectĂŠ rudement les pays europĂŠens ;
s LA R�VOLUTION �NERG�TIQUE AUX %TATS 5NIS ,E DEUXIÒME VOLET EST CELUI DIT DES par des dÊlestages ciblÊs, mais d’Êviter liÊe à l’Êmergence des gaz de schiste ; s L ACCIDENT NUCL�AIRE DE &UKUSHIMA AU Japon. Ces trois facteurs ont complètement
 trois fois vingt  pour l’horizon 2020 :
une perte de contrĂ´le du rĂŠseau en cas
s RĂ?DUCTION DES Ă?MISSIONS DE GAZ ĂŒ d’incident non planifiable. La règle dite effet de serre de 20 % par rapport
du n-1 permet normalement de faire
Ă 1990 ;
face à la dÊfaillance d’un ouvrage clÊ du
bouleversÊ le cadre dans lequel s’inscri-
s PART DES Ă?NERGIES RENOUVELABLES POR-
système Êlectrique. Mais il peut y avoir
vait la politique europÊenne de l’Ênergie
tĂŠe Ă 20 % au moins dans les bilans
DES ENCHAÔNEMENTS DU TYPE DE CEUX
ĂŠnergĂŠtiques ;
QUE L ON A CONNUS LE DĂ?CEMBRE
et il faut en tenir compte dans toute apprĂŠciation. Ceci dit, on peut dĂŠcomposer la politique europĂŠenne de l’Ênergie en trois grands chapitres : 1. L’ouverture des marchĂŠs de l’ÊlectricitĂŠ et du gaz (terme que je prĂŠfère Ă
s EFlCACITĂ? Ă?NERGĂ?TIQUE AMĂ?LIORĂ?E D AU EN &RANCE LE SEPTEMBRE EN moins 20 %. Ces objectifs se chevauchent et inter-
Italie (avec perte de toutes les interconNEXIONS AVEC LE RESTE DE L %UROPE ET LE
FĂ’RENT ENTRE EUX )L EĂ&#x;T Ă?TĂ? PRĂ?FĂ?RABLE DE NOVEMBRE EN !LLEMAGNE OĂĄ LA n’en retenir qu’un seul : la rĂŠduction des
COUPURE DE DEUX LIGNES DE K6 A EN-
celui de dĂŠrĂŠgulation).
ĂŠmissions de CO2 CAR LES DEUX AUTRES traĂŽnĂŠ la sĂŠparation du rĂŠseau europĂŠen
Globalement, l’architecture des mar-
objectifs sont seconds par rapport au
EN TROIS MORCEAUX DE LA MER "ALTIQUE ĂŒ
chĂŠs mise en place me paraĂŽt avoir rela-
premier. Aujourd’hui, la Commission
l’Adriatique et à une perte de puissance
tivement bien rĂŠsistĂŠ Ă la crise et reste
propose une rĂŠduction des ĂŠmissions
EN %UROPE DE L /UEST DE -7 EN
satisfaisante, surtout si on la compare Ă
de GES de 40 % à l’horizon 2030. C’est
UNE FRACTION DE SECONDE &ORT HEUREUSE-
LA SITUATION DES %TATS 5NIS OĂĄ SEULE UNE un objectif volontariste et peut-ĂŞtre se-
ment le système de protections frÊquen-
partie des ĂŠtats ont ouvert leurs mar-
rait-il avisĂŠ de ne le considĂŠrer que dans
cemĂŠtriques a bien fonctionnĂŠ sur les
chĂŠs. Il reste un point faible cependant :
le cadre d’un accord mondial de portÊe
RĂ?SEAUX DE LA PLUPART DES PAYS DE L 5%
L INSUFlSANCE DES INTERCONNEXIONS Ă?LEC-
Ă?QUIVALENTE QUI SERA UN DES PRINCIPAUX Mais de tels ĂŠvĂŠnements peuvent se
triques et gazières. Loyola de Palacio,
ENJEUX DE LA #ONFĂ?RENCE DE 0ARIS SUR LE reproduire et pourraient conduire alors Ă
ĂŒ L Ă?POQUE COMMISSAIRE EUROPĂ?EN AUX climat en dĂŠcembre 2015.
DE VĂ?RITABLES i BLACK OUT w
REE N°2/2014 85
REE : Deux approches coexistent au
ÊnergÊtique europÊen. Pour l’atteindre,
niveau de Bruxelles : une approche
il faudra bien augmenter la capacitÊ d’in-
très libÊrale fondÊe sur l’ouverture
TERCONNEXION DU GRAND RĂ?SEAU EUROPĂ?EN
des marchĂŠs et une approche beaucoup plus dirigiste visant Ă promou-
REE : Nous avons notĂŠ que vous
voir l’efficacitÊ ÊnergÊtique et les
considĂŠriez le pourcentage minimal
ĂŠnergies renouvelables. Comment
d’Ênergies renouvelables comme un
peut-on harmoniser les deux ?
objectif second. Que pensez-vous de
A. M. : L’ouverture des marchÊs n’est
l’objectif  efficacitÊ ÊnergÊtique 
pas aussi libÊrale qu’on pourrait le pen-
qui semble patiner quant Ă ses rĂŠsul-
SER ,A &RANCE COMME D AUTRES PAYS A
tats. N’a-t-on pas surestimÊ le poten-
rÊussi pendant longtemps, et c’est encore partiellement le cas aujourd’hui, à prÊserver le système antÊrieur en main-
Le système de soutien aux EnR a beaucoup perturbÊ le marchÊ. Il faut y remÊdier
tiel de rÊduction des consommations d’Ênergie ? A. M. : L’efficacitÊ ÊnergÊtique est un
tenant des tarifs rĂŠglementĂŠs de vente
objectif de long terme, surtout lorsque
pour les clients domestiques. Toutefois,
l’on considère la rÊnovation du parc im-
il ne me paraÎt pas rÊaliste d’envisager
en 2008/2009 Ă la demande de Neelie
mobilier. Il faut prendre en compte la
un retour à l’ancienne organisation.
Kroes, alors Commissaire europĂŠen Ă la
rentabilitĂŠ dans la durĂŠe, certaines me-
Parallèlement à l’ouverture des mar-
Concurrence. La principale prĂŠoccupation
sures sont rentables, d’autres ne le sont
CHĂ?S L 5NION EUROPĂ?ENNE A VOULU MENER de la Commission europĂŠenne est de ne
pas. Il faut dĂŠcider en connaissance de
une politique volontariste de promotion
pas verrouiller le marchĂŠ par une propor-
cause, après une analyse Êconomique
des ĂŠnergies renouvelables avec des
tion trop forte de contrats Ă long terme.
pertinente. Je pense que la Commis-
modes de rĂŠmunĂŠration qui, dans beau-
La question est donc de savoir quel est le
sion attend avant de se prononcer sur
coup de pays, font difficultĂŠ. Clairement, il
bon ĂŠquilibre entre contrats Ă long terme
un objectif en 2030 que les discussions
faut revoir le système d’obligation d’achat
et marchĂŠ. Ceci supposĂŠ acquis, il me
progressent avec les Etats membres sur
(feed-in tariff) qui perturbe fortement le
paraÎt possible d’avoir un mÊcanisme de
ce sujet.
marchĂŠ et crĂŠe des distorsions dans son
CONTRATS BILATĂ?RAUX ENTRE FOURNISSEURS ET
fonctionnement. C’est un des sujets que
consommateurs, contrats “over-the-coun-
l’Europe doit traiter et ce sera clairement
TER /4# v COEXISTANT AVEC LES MARCHĂ?S les rĂŠseaux ĂŠlectriques europĂŠens
le rĂ´le de la nouvelle Commission qui va
organisÊs, c’est-à -dire les bourses d’Êlec-
sont actuellement gĂŠrĂŠs ?
se mettre en place fin 2014. On devrait en
tricitĂŠ. Je reste convaincu par ailleurs que
A. M. : Il faut accroĂŽtre les capacitĂŠs
particulier s’intÊresser à la solution adop-
plutôt que d’avoir un tarif d’accès rÊgulÊ
D INTERCONNEXION POUR LES RAISONS RAP-
tĂŠe dans les pays scandinaves qui com-
à l’Ênergie nuclÊaire historique (ARENH)
pelĂŠes prĂŠcĂŠdemment mais il faut aussi
REE : Peut-on amÊliorer la façon dont
BINENT LES PRIX DE MARCHĂ? ĂŒ DES CERTIlCATS EN &RANCE IL EĂ&#x;T Ă?TĂ? PRĂ?FĂ?RABLE D AVOIR UN renforcer la coordination dans la gestion verts, avec une obligation de pourcentage
CONTRAT ĂŒ LONG TERME ENTRE %$& ET LES FOUR-
du grand rĂŠseau europĂŠen. En particu-
minimum d’Ênergies renouvelables dans
nisseurs alternatifs.
lier, il faut aller vers un centre de coor-
l’ÊlectricitÊ vendue par chaque fournisseur. Je n’y vois aucune impossibilitÊ de fond et il y a là matière à une nouvelle directive europÊenne.
DINATION EUROPĂ?EN UNIQUE 5NE Ă?TAPE
Les contrats de grĂŠ Ă grĂŠ peuvent coexister avec les marchĂŠs organisĂŠs
REE : Comment peut-on concilier les signaux de court terme qu’envoient
a dÊjà ÊtÊ franchie avec la crÊation de Coreso1 qui est capable d’analyser les risques de grand incident, tout particulièrement d’un jour pour le lendemain. Mais je pense qu’il faut aller plus loin
1UANT AUX PRIX NĂ?GATIFS C EST BIEN vers une organisation du type ISO (Inde-
les marchĂŠs, avec des prix parfois nĂŠ-
Êvidemment la traduction d’un gaspil-
pendent System Operator) comme c’est
gatifs, avec la nÊcessitÊ d’encourager
lage qui est la marque d’une insuffisance
LE CAS AUX %TATS 5NIS QUI GĂ?RERAIT LES mUX
les investissements Ă long terme ?
d’investissement
SUR LE GRAND RĂ?SEAU K6 , %.43/ %2
A. M. : Il faut encourager les contrats de
NEXIONS ENTRE %TATS MEMBRES $ANS SES
FOURNITURE ĂŒ LONG TERME 5N EXEMPLE INTĂ?-
nouvelles propositions de janvier 2014,
ressant est celui du contrat passĂŠ entre
LA #OMMISSION ENVISAGE DE lXER UN
dans
les
intercon-
%$& ET LE GROUPEMENT %XELTIUM CONTRAT OBJECTIF DE EN POUR LA PART dont j’avais eu l’occasion de m’occuper
86
REE N°2/2014
des ĂŠnergies renouvelables dans le bilan
1
Coreso est un centre de coordination techNIQUE DES RĂ?SEAUX DE TRANSPORT D Ă?LECTRICITĂ? français (RTE), belge (Elia) et britannique .ATIONAL 'RID BASĂ? ĂŒ "RUXELLES
%.43/ % %UROPEAN .ETWORK OF 4RANSMISsion System Operators for Electricity.
2
CHRONIQUE
Pourquoi et comment modéliser les imaginaires ?
L
e titre de cette chronique évoque un programme fort hasardeux, qui plus est dans une revue dont l’orientation scientifique n’est guère contestable ! Et pourtant, pour paraphraser les évangiles – Matthieu ou Luc – ou le célèbre roman de Doudintsev, on sait bien que ‘’L’homme ne vit pas que de technique’’ ; la sphère des idées et des représentations joue dans la vie courante un rôle qu’il ne s’agit pas ici de minimiser. Plus subtil et plus complexe apparait celui-ci dans les processus de création et d’innovation, au cœur même de l’activité intellectuelle de l’homme. Bien sûr, on songe spontanément à l’imagination de l’artiste, à son côté proprement visionnaire, où qu’il se manifeste – peinture, poésie ou autre : chacun d’entre nous a sans doute ressenti bien des fois combien cette capacité d’une représentation originale n’était ni facile, ni universelle, car n’est pas artiste qui veut ! La politique elle-même, en cette période électorale, n’échappe pas à la nécessité de l’imaginaire et les média ne manquent pas d’insister souvent sur la pauvreté du story telling proposé par tel ou tel. Cette chronique se propose d’inviter à la réflexion sur le rôle de l’imaginaire pour qui innove ou crée, au sein des activités professionnelles usuelles, celles des ingénieurs et plus généralement, celles des intellectuels de toutes disciplines : l’objectif est d’analyser les processus mentaux, idéels, associés à la création. Chacun connait Apple pour sa créativité industrielle, ou encore l’importance du packaging pour le commerce des objets courants (alimentaires ou pharmaceutiques par exemple) comme pour celui des objets de luxe (alcools, parfums…), mais la valeur ainsi ajoutée, l’est de façon consciente, voire manipulatrice, par des spécialistes relevant du marketing. Bien plus profond est le projet de la chaire « Modélisations des imaginaires, innovation et création », créée fin 2010 à Télécom Paris-Tech avec le soutien de plusieurs partenaires, industriels comme Dassault Systèmes, Orange ou PSA, institutionnels comme la DATAR. Elle est animée par Pierre Musso, universitaire à Rennes II, philosophe de formation et spécialiste de Saint-Simon, mais aussi fin connaisseur du monde des télécoms (il a
été naguère membre du conseil d’administration de France Télécom). Comme toutes les chaires qui se sont multipliées ces dernières années dans quelques grandes écoles, celleci associe dans un objectif partagé des enseignants-chercheurs (confirmés ou doctorants) et des entreprises intéressées par des thématiques originales et le plus souvent transversales. Les retombées attendues concernent autant l’enrichissement des enseignements
Pierre MUSSO L’imaginaire industriel
Etienne KLEIN EURÊKA D’où viennent les idées (scientifiques) ? Editions Manucius chaque ouvrage - 50 p.- 4
s’adressant à de futurs cadres supérieurs que les progrès partagés de la connaissance ; l’expérimentation comme la confrontation théorie/pratique sont souvent au programme de ces aventures intellectuelles stimulantes. Dans le cas présent, Pierre Musso et ses collègues s’attachent à analyser les imaginaires des acteurs engagés dans des processus innovants, que ceux-ci concernent des nouvelles formes industrielles ou des nouveaux services de la société numérique. Deux convictions, largement vérifiées dans des champs très divers, fondent l’activité du groupe : d’une part l’imaginaire constitue une (sinon la) matière première d’une innovation de plus en plus intense, d’autre part le cheminement, par les émotions et les représentations, de cet imagi-
naire est largement méconnu ou sous-estimé dans les processus où il se manifeste. Un tel programme est à l’évidence largement inter – et pluri – disciplinaire : c’est pourquoi la chaire invite chaque mois un spécialiste à venir expliquer ce que cette exploration de l’imaginaire apporte dans son propre champ intellectuel : il en résulte une série de conférences, qui fort heureusement sont rapidement publiées. Déjà une quinzaine d’ouvrages ont paru aux éditions Manucius : ils sont petits quant à la taille et au prix (une cinquantaine de pages pour 4 à 6 ), mais fort précieux pour leur originalité et leurs contenus. Réunis, ils constituent une véritable approche collective où l’on peut à loisir s’enrichir du savoir et de la réflexion d’un historien (François Caron : Les voies de l’innovation - les leçons de l’histoire), d’un socio-anthropologue (Victor Scardigli : Imaginaire de chercheurs et innovation technique), d’un sociologue (Gérald Bronne : Croyances et imaginaires contemporains), d’un économiste (Michel Volle : Philosophie de l’action et langage de l’informatique), d’un psychiatre (Roland Jouvent : Les rêveries du cerveau émotions et technologies), d’un biophysicien (Henri Atlan : Qu’est-ce qu’un modèle ?)… D’un catalogue déjà fort riche et prometteur nous avons extrait pour le cartouche de la présente chronique deux conférences tout à fait significatives de l’esprit de la collection. Etienne Klein, dont nos lecteurs connaissent bien les ouvrages, s’interroge sur l’origine des idées scientifiques : quand on s’intéresse comme lui aux questions de physique fondamentale autant qu’à leur vulgarisation, on est évidemment fondé à réfléchir aussi sur les représentations et les processus intellectuels qui conduisent (parfois !) au célèbre Eurêka ! L’autre ouvrage est dû à Pierre Musso lui-même : il était bien normal après tout que le directeur de la collection s’attachât à montrer que l’industrie, loin d’être uniquement affaire de technique et d’économie, était aussi (P. Musso dit même d’abord !) affaire philosophique en tant qu’elle réalise et porte depuis la Renaissance l’imaginaire de l’Occident. Nous conseillons vivement à nos lecteurs de confronter leurs certitudes, et leurs ignorances, à ces réflexions roboratives et originales.
B. Ay.
REE N°2/2014 91
PROPOS
LIBRES
Jean-Loup Picard Ancien directeur général adjoint du Groupe Thales
(le Capital et le Travail s’opposent encore dans l’inconscient
L
nement du marché du travail... dix ou quinze ans après nos
collectif !), pour élaborer lentement de laborieux compromis sur la réforme des retraites, les charges sociales, le fonction-
a crise a accéléré l'histoire. Le barycentre du monde
voisins, accoutumés aux enjeux de la compétition mondiale,
s'est déplacé en Asie. La compétition mondiale s'est
fussent-ils en même temps les champions d'une économie
établie à tous les stades de la valeur ajoutée, depuis
sociale avancée, comme nos amis scandinaves.
la recherche jusqu'à la distribution des produits et
Heureusement, nous avons des fonctionnaires inventifs
services associés. L'enjeu du développement et de l'emploi
et, depuis que l'on a redécouvert les vertus de l'industrie, qui
repose, plus que jamais, sur les technologies, c’est-à-dire cet
génère, de fait, plus de 80 % de nos exportations, un arsenal
ensemble de techniques et de savoir-faire susceptible de géné-
de dispositifs a été mis en place : les pôles de compétitivité en
rer une valeur ajoutée élevée, permettant d'asseoir de manière
2004, le renforcement du Crédit impôt recherche en 2008, les
pérenne une position de leadership sur le marché mondial.
« investissements d'avenir » en 2010, le CICE en 2012, les trente-
Une étude récente de la Direction du Trésor (Trésor-éco, N°
quatre plans de « la nouvelle France industrielle » en 2013... Mais
122, janvier 2014) illustre bien ce phénomène : le tiers de l'acti-
la croissance n'est pas au rendez-vous, faute d'une mobilisation
vité industrielle française, ciblée sur les produits à haute valeur
suffisante. Le chef de l'Etat évoque un « pacte de confiance »...
ajoutée, a doublé en dix ans son solde commercial, qui est pas-
Mais au fait, que disent nos ingénieurs, face à ces défis
sé de 0,6 % à 1,2 % du PIB, sans compenser malheureusement
fondés sur la mobilisation des technologies et des savoir-faire ?
la dégradation du solde commercial du reste de l'activité, plus
On ne les entend pas… Certes, ils ne sont pas nombreux
sensible à la compétition directe par les prix.
dans l’espace politique, ni au Gouvernement, ni sur les bancs
Les gouvernements, mais aussi les régions, les grandes métropoles de nos pays industriels ne s'y sont pas trompés : Il faut s'appuyer sur ses points forts, supporter leur
des assemblées. Mais, lorsqu'à l'automne
On attend les oies du Capitole...
primer ou réduire sensiblement le crédit impôt-recherche, ils auraient dû se mouvoir pour défendre l'outil sans doute le plus
développement par tous les moyens disponibles : la commande publique, le financement de la recherche
pertinent pour relancer la croissance industrielle française. On
en cohérence avec les établissements publics et les universités,
devrait les entendre pour stimuler les actionnaires en faveur
le renouvellement des compétences via le système éducatif. En
de l'investissement, pour presser et convaincre les financiers
Europe, les pays scandinaves, l'Allemagne, la Suisse, le Piémont,
qui gèrent l'énorme épargne d'assurance-vie des français, plus
la Catalogne, offrent de bons exemples de cette mobilisation.
de 1 400 milliards d’euros, dont une très modeste proportion
En Allemagne, par exemple, les entreprises du Mittels-
finance l’entreprise, pour ouvrir leurs laboratoires et leurs
tand, de taille moyenne, ciblée sur des secteurs techniques
usines aux élèves des écoles, qui considèrent toujours avec
à haute valeur ajoutée, génèrent des excédents commerciaux
méfiance une orientation professionnelle vers l'industrie.
indécents ; de tradition, les actionnaires, souvent familiaux, et
Nous attendons de nos ingénieurs, de leurs associations, de
les représentants des salariés, qui participent à la cogestion de
leurs réseaux – n’est-ce pas, mesdames et messieurs les lec-
l'entreprise, surveillent ensemble les conditions de sa compé-
teurs de la REE – un enthousiasme communicatif, une ambition
titivité, considérée comme un pré-requis.
convaincante pour bâtir une vision, des projets multiples, struc-
En France, selon une tradition tenace, remontant à Colbert et riche du souvenir de nos glorieuses révolutions, les enjeux
turés et probants qui génèreront la dynamique nouvelle de notre industrie, avec la confiance rétablie de tous les acteurs. Telles les oies du Capitole, nos
économiques sont d'abord l'affaire de l'Etat, et de la politique. Selon une
Jean-Loup Picard est ancien directeur
ingénieurs doivent s'exprimer forte-
liturgie consacrée, le Gouvernement,
général adjoint du groupe Thales, en
ment pour alerter et mobiliser la France
de droite ou de gauche, proclame de
charge de la stratégie et de la technolo-
entière. Ainsi firent les Romains, qui se
grandes ambitions et, pétri d'embar-
gie, administrateur de sociétés et conseil
cotisèrent pour verser une rançon à l’en-
ras, réunit les représentants des entre-
en stratégie industrielle, membre du
vahisseur Gaulois, puis rétablir les forces
prises, réputés « de droite », et les syndicats de salariés, réputés « de gauche »
92
dernier, les attaques revinrent pour sup-
REE N°2/2014
Conseil d'orientation de la Fabrique de l’industrie.
vives de leur Etat, et, un peu plus tard, créer l'Empire…
Entre science et vie sociétale,
les éléments du futur Une publication de la
Edition/Administration : SEE 17, rue de l’Amiral Hamelin - 75783 Paris cedex 16 Tél. : 01 5690 3709 - Fax : 01 5690 3719 Site Web : www.see.asso.fr Directeur de la publication : François Gerin Comité éditorial : Jean-Pierre Hauet (Président) Alain Appriou, Christian Aucourt, Bernard Ayrault, Frédéric Barbaresco, Pierre Borne, Henri Boyé, Alain Brenac, Agusti Canals, Patrice Collet, André Deschamps, Lucien Deschamps, Bernard Dubuisson, François Gerin, Jean-Pierre Gex, Jacques Girard, Alain Jaafari, Karama Kanoun, Philippe Lacomme, Hervé Laffaye, Marc Leconte, Jean-Luc Leray, Pierre-Yves Madignier, Patrick Moro, Annick Pellan, Isabelle Perseil, Pierre Rolin, Michel Terré, Jean Vieille Comité de rédaction : Bernard Ayrault, Alain Brenac, Patrice Collet, André Deschamps, Jean-Pierre Hauet, Marc Leconte Rédaction : Catherine Vannier - Tél. 01 5690 3704
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Dépôt légal : mai 2014
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