2018
MARS- AVRIL
Numéro
1
ARTICLE INVITÉ La distribution d’électricité et la transition énergétique Jean-Baptiste Galland
LIBRES PROPOS Un mix gazier 100 % renouvelable en 2050 : peut-on y croire ? Jean-Pierre Hauet
ÉNERGIE
TELECOMMUNICATIONS
DOSSIERS
SIGNAL
COMPOSANTS
AUTOMATIQUE
INFORMATIQUE
Cet aperçu gratuit permet aux lecteurs ou aux futurs lecteurs de la REE de découvrir le sommaire et les principaux articles du numéro 2018-1 de la revue, publié en janvier 2018. Pour acheter le numéro ou s'abonner, se rendre à la dernière page.
ISSN 1265-6534
EDITORIAL
Vers un nouveau modèle énergétique, dans l’intérêt des consommateurs Jean-François Carenco
www.see.asso.fr
EDITORIAL
Vers un nouveau modèle énergétique, dans l’intérêt des consommateurs
P
arce qu’il est de coutume de dire que l’énergie est le monde du temps long, nous devons, dès aujourd’hui, tous travailler ensemble et nous atteler à la construction du monde de l’énergie de demain. Jamais depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le secteur énergétique n’a eu affaire à des défis aussi immenses : dans un monde incertain en total et rapide changement (puissance de calcul, numérisation, internationalisation, nouvelles technologies, aspiration à de nouvelles gouvernances, changement climatique) le système énergétique n’échappe pas à la règle : il faut lui donner les moyens d’être agile, de se réinventer ! Le temps du débat réservé à quelques spécialistes n’a plus sa place. Tout le monde se sent désormais concerné : des consommateurs aux industriels en passant par le monde académique, la communauté scientifique et les pouvoirs publics. À l’heure d’élaborer la politique énergétique de demain, il faudra savoir impulser une moindre consommation d’énergie fossile, conjuguer action efficace pour la diminution des gaz à effets de serre et réduction de l’empreinte énergétique de nos moyens de production d’électricité et encourager le secteur électrique français à remplacer progressivement – à un rythme qu’il reste encore au gouvernement à définir – une part importante de sa production d’électricité d’origine nucléaire par de l’électricité d’origine renouvelable : s LA BAISSE DU COßT DES BATTERIES DEVRAIT PERmettre au véhicule électrique de se développer massivement dans les années à venir ; s LE COßT DES ÏNERGIES RENOUVELABLES DIMINUE rapidement et durablement. Que ce soit pour le solaire ou l’éolien offshore et terrestre, il est
essentiel de soutenir le développement des filières compétitives et de raccourcir les délais de leur mise en œuvre ; s ON PEUT REGRETTER QUE POUR L ÏOLIEN OFFSHORE LES COßTS DE PRODUCTION SOIENT ENCORE TROP ÏLEvés en France comparés aux pays d’Europe du Nord. Toutes ces transformations de notre modèle énergétique impliquent non seulement de doubler le rythme actuel de 2 GW de capacité d’énergies renouvelables installés par an, pour atteindre rapidement les objectifs fixés par le gouvernement (jusqu’à 4 à 5 GW) mais aussi d’accompagner les nouvelles consommations énergétiques, d’un mouvement de fond de décentralisation de notre système énergétique et d’une volonté d’une proportion croissante de la population de favoriser les circuits courts. De plus en plus de consommateurs auront à cœur à l’avenir de prendre en main leur consommation énergétique, de modifier leur comportement et de jouer un rôle actif dans le système électrique. Ces évolutions seront rendues possibles par les progrès technologiques, qui ouvrent la voie à une infinité d’applications numériques. La brique essentielle de ce monde numérique est bien entendu le compteur évolué Linky. Mais il faut aussi souligner les progrès observés dans le domaine du stockage d’électricité et de la mobilité électrique. À ce titre, il me semble essentiel de rappeler que c’est en premier lieu la concurrence qui encourage l’innovation. Plus qu’un enjeu pour le prix de fourniture de l’électricité, la concurrence est un enjeu pour l’innovation. Dans ce contexte, l’essor de l’autoconsommation est un fait auquel il faut se préparer afin de permettre son développement selon des modalités
REE N°1/2018 Z 1
EDITORIAL
bénéfiques pour l’ensemble du système électrique. En effet, il est nécessaire de s’assurer que le développement de l’autoconsommation ne rime pas avec une forme de communautarisme énergétique qui pourrait porter atteinte à la solidarité nationale sur laquelle est fondé le système électrique français depuis 1946 et qui est incarné par notre réseau. Les principes de péréquation et de timbre-poste garanTISSENT UNE ALIMENTATION EN ÏLECTRICITÏ SßRE ET DE qualité, sans différence de traitement, à l’ensemble des consommateurs sur le territoire national qu’ils soient en ville ou à la campagne, proches ou éloignés des moyens de production.
2017 et qu’elle a récemment publié une consultation publique sur les sujets tarifaires qui relèvent de sa propre compétence et une série d’orientations et de recommandations sur l’ensemble du cadre de développement de l’autoconsommation.
C’est dans ce contexte que la Commission de régulation de l’énergie a décidé de mener une large concertation sur l’autoconsommation au 2e semestre
Jean-François Carenco Président de la Commission de régulation de l'énergie
2 Z REE N°1/2018
La CRE s’efforcera aussi, d’accompagner les réflexions sur l’ensemble des sujets clés pour la construction du monde énergétique de demain et veillera à ce que les évolutions apportées à notre modèle énergétique se fassent toujours dans l’intérêt des consommateurs finals. Q
sommaire Numéro 1
1
EDITORIAL Vers un nouveau modèle énergétique, dans l’intérêt des consommateurs Jean-François Carenco
p. 1
4
SOMMAIRE
6
FLASH INFOS
7 9 10 12
IBM : un nouveau processeur à 50 qubits Le principe d’équivalence à nouveau validé Une clé de stockage sûre et à faible coût Des capteurs d’humidité sans fil au graphène pour l’IoT Tri-Gen : une preuve de concept vers la mobilité à zéro-émission
14 ACTUALITÉS La chronique de la 5G : de la 4G à la 5G Patrice Collet
18
Stratégie nationale bas carbone : les premiers indicateurs de résultats interpellent Jean-Pierre Hauet
19
La fiscalité du carbone se renforce Jean-Pierre Hauet
21
Patrice Collet
p. 40
22
p. 81
Blockchain et gestion des fréquences Les constellations de satellites André Deschamps
30 A RETENIR Congrès et manifestations
32 ARTICLE INVITÉ La distribution d’électricité et la transition énergétique Jean-Baptiste Galland
40 VIENT DE PARAÎTRE La REE vous recommande
42 LES GRANDS DOSSSIERS L’autoconsommation Introduction : Autoconsommation : le débat ne fait que commencer Jean-Pierre Hauet
45
L’autoconsommation, moteur de la transition énergétique Yves Barlier & Laurent Gilotte
54
L’autoconsommation : un nouveau modèle énergétique en devenir ? Didier Lafaille
p. 32 Photo de couverture : arsdigital - AdobeStock
4 Z REE N°1/2018
p. 119
61
L’autoconsommation d’électricité en France Vrai débat ou faux-fuyant de la transition énergétique ? Marc Jedliczka
(Communiqué)
68
La flexibilité énergétique et la donnée au cœur des développements sur l’autoconsommation Nadi Assaf, Philippe Jan
76
83
L’autoconsommation photovoltaïque transforme notre rapport à l’électricité Jicable HVDC’17 (sélection d’articles) Introduction : Systèmes de câbles HT à courant continu Lucien Deschamps & Paul Penserini
86
Challenges and opportunities with interfaces and materials for HVDC cable systems Gian Carlo Montanari, Alun S. Vaughan, Peter Morshuis, Gary C. Stevens
94
Surge and extended overvoltage testing of HVDC cable systems Markus Saltzer, Minh Nguyen-Tuan, Alessandro Crippa, Simon Wenig, Max Goertz, Hani Saad, Carsten Bartzsch, Pritam Chakraborty, Luigi Colla, Yujun Fan, Mingli Fu, Vincent Joubert, Jon Ivar Juvik, Tanumar Karmokar, Bahram Khodabakchian, Amit Khotari, Willem Letertre, Jérôme Mathot, Sören Nyberg, Amit Kumar Saha, Antonios Tsimas, Roland D. Zhang
102 Reliability on existing HVDC links feedback Patrik Lindblad
109 Asset management of submarine cables and lessons learned from a repair Jean Charvet
114 Fault Location on Land and Submarine Links (AC & DC) Robert Donaghy
120 GROS PLAN SUR … Protection des données personnelles : un premier pas vers la confiance numérique
L’équipement de test et calibrateur le plus léger du marché
Jean-Pierre Quemard
124 CHRONIQUE Le paradoxe de Fermi : où sont les extra-terrestres ? Bruno Meyer
126 RETOUR SUR ... Les femmes et la science Marc Leconte
135 ENSEIGNEMENT & RECHERCHE « Former des ingénieurs sur leurs bases techniques » Entretien avec Véronique Bonnet
Echos de l’enseignement supérieur Bernard Ayrault & Alain Brenac
141 LIBRES PROPOS Un mix gazier 100 % renouvelable en 2050 : peut-on y croire ?
Notre équipement de test triphasé CMC 430 est le petit dernier de la famille CMC. Il est à la fois un équipement de test de relais, un dispositif d’étalonnage et un appareil de mesure et d’enregistrement hybrides aux performances exceptionnelles. Son poids léger et sa conception robuste assurent une excellente transportabilité. Des outils logiciels appropriés permettent de nombreuses applications, ce qui fait du CMC 430 une solution hautement flexible. Pour tout savoir sur le petit dernier de la famille CMC: www.omicronenergy.com/fr/newCMC430
Jean-Pierre Hauet
145 SEE EN DIRECT La vie de l'association
REE N°1/2018 Z 5
FLASHINFOS
que quelques autres grands acteurs (Google, Microsoft)
IBM : un nouveau processeur à 50 qubits
développent depuis quelques années des recherches au-
L’informatique quantique est devenu en quelques
tour des différentes solutions de qubits que la physique
années un domaine de recherche dont le périmètre des
peut proposer.
acteurs s’élargit de mois en mois. Rappelons que l’inforr matique quantique née dans l’imagination de Richard
Les solutions d’IBM
Feynman au début des années 80 a vu son intérêt émerr
IBM depuis plusieurs années poursuit la voie de l’uti-
ger à partir de 1994 quand Peter Shor a développé un
lisation de supraconducteurs associés à des jonctions
algorithme quantique capable de casser le code RSA plus
Josephson. De tels qubits présentent quelques avan-
rapidement en termes de temps de calcul qu’un ordina-
tages, il est possible de bien maîtriser leurs propriétés
teur classique. Depuis, les recherches se focalisent sur
à la conception et de les produire en masse avec les
la construction d’un ordinateur capable de résoudre des
techniques de fabrication conventionnelles. La superr
problèmes par un algorithme quantique. Les classes de
position d’états dure assez longtemps à condition qu’ils
problèmes qui peuvent être résolus aujourd’hui sont très
fonctionnent à des températures proches du zéro absolu.
spécifiques et en général concernent, avec quelques
Ces dispositifs supraconducteurs se prêtent également
qubits, la théorie des nombres ou les simulations de
facilement à une architecture modulaire. Il est possible
processus physiques ou chimiques mais le nombre de
de relier des modules dans un gros dispositif cryogé-
qubits nécessaire pour casser le cryptage RSA utilisé
nique avec des fils supraconducteurs en réduisant le plus
dans les communications est encore hors d’atteinte des
possible les interactions entre modules. L’inconvénient
expérimentations les plus en pointe aujourd’hui. La dif-
majeur de cette solution déjà implicitement évoqué plus
ficulté majeure de l’ordinateur quantique est de mainte-
haut est la température de bon fonctionnement proche
nir les états des bits quantiques à l’écart de toutes les
du zéro absolu qui impose de gros dispositifs de refroi-
interactions qui ne feraient pas partie du processus de
dissement. IBM a lancé en mars 2017 une boîte à outils
calcul. Ces interactions parasites s’appellent la décohé-
disponible sur le net pour la simulation d’algorithme
rence et changent l’état des qubits de manière irréverr
appelé Q Network qui utilise un calculateur à 20 qubits
sible. Les constructeurs de matériel informatique ainsi
et qui met à disposition une plate-forme de simulation
Figure 1 : Vue basse du cryostat de l’ordinateur à 50 qubits d’IBM – Source IBM.
6 Z REE N°1/2018
FLASHINFOS
d’algorithmes quantiques sur son cloud. IBM indique que
ment accéléré dans l’espace ou à un champ de gravii
près de 60 000 utilisateurs ont expérimenté des manipu-
tation ».
lations de qubits sur ces machines virtuelles. Une autre
Déjà du temps de Newton, les mécaniciens classiques
annonce d’IBM a retenu l’attention avec la mise au point
avaient remarqué l’identité numérique entre la masse des
d’un prototype de processeur opérationnel d à 50 qubits.
graves et celle associée à l’inertie. Galilée avait découvert,
Le chiffre de 50 qubits n’est pas innocent si on songe aux
quelques années auparavant, que les corps en chute libre
recherches de Google qui revendiquait une suprématie
étaient soumis à une accélération qui ne dépendait pas
avec un ordinateur à 49 qubits. Le nombre de qubits an-
de leur masse. C’était la loi de la chute des graves. Eins-
noncé se comprend comme étant des qubits physiques
tein, avec le principe de relativité générale, franchissait le
et non comme des qubits logiques ; en effet dans beau-
pas en affirmant l’équivalence fondamentale entre masse
coup de portes quantiques un qubit, dit de contrôle, est
inertielle et masse gravifique. L’inertie et la gravitation
indispensable au calcul effectué par la porte.
étaient unifiées dans une structure d’espace-temps universelle d’où le principe d’équivalence.
Conclusion
Les principes physiques, tels que le principe d’équiva-
IBM continue donc de progresser dans le développe-
lence, ne sont pas démontrables théoriquement mais il
ment de l’ordinateur quantique et promet de commercia-
peut être possible de les vérifier ou de les réfuter expé-
liser des applications. Big Blue en outre permet aux déve-
rimentalement. Pour invalider le principe d’équivalence,
loppeurs du web de tester des algorithmes quantiques
il faudrait effectuer des mesures montrant que l’égalité
sur sa plate-forme. Mais les problèmes posés par la déco-
entre masse gravitationnelle et masse inertielle n’est pas
hérence ne sont pas encore résolus dès qu’il s’agirait de
toujours vraie. En 1908, le physicien Lorand Eötvös a me-
traiter de véritables problèmes comme la factorisation de
suré cette équivalence grâce à un pendule de torsion. On
grands nombres premiers. Cependant les acteurs du do-
a ensuite défini le paramètre d’Eötvös noté d, pour carac-
maine soulignent les énormes avancées de ce domaine
tériser la violation éventuelle du principe, en le prenant
depuis une quinzaine d’années et il est permis de penser
égal à la différence entre les masses gravitationnelle et
que cela va continuer. ■
inertielle divisées par leurs valeurs moyennes. En 1908,
ML
Eötvös a pu établir avec sa balance que d était inférieur à 10 -8. En 2013, une série d’expériences menées par un la-
Le principe d’équivalence à nouveau validé
boratoire spécialisé dans les mesures de gravitation, l’EötWash Group, a porté la précision de la mesure à 10 -13
En 1907, Einstein formulait la proposition suivante qui sera appelée plus tard principe d’équivalence : « Aucune
Le satellite Microscope
expérience effectuée dans une enceinte close ne peut
Ce satellite du CNES a été lancé le 25 avril 2016 sur
déterminer si cette enceinte est soumise à un mouve-
une orbite circulaire héliosynchrone. Son nom Micros-
Figure 1 : Principe de la trainée compensée – Source CNES.
REE N°1/2018 Z 7
FLASHINFOS
Figure 2 : Bloc T-sage dans lequel les deux cylindres, l’un en titane et l’autre en platine sont testés – Source ONERA. cope signifie « micro satellite à trainée compensée pour
Aucune brèche n’a donc été détectée dans la théorie de
l’observation du principe d’équivalence ». Le satellite est
la relativité générale avec un paramètre d’Eötvös ramené
équipé d’un dispositif de contrôle continu des accéléra-
à 10 -15, ce qui correspond à un gain de deux ordres de
tions linéaires lui permettant d’acquérir et de conserver
grandeur par rapport aux mesures précédentes.
l’orientation angulaire appelée Attitude. Cette fonction est nommée SCA. Les satellites normaux peuvent être corrigés de temps en temps par un jet de gaz mais, la ma-
Pourquoi chercher une violation du principe d’équivalence
jeure partie du temps, le mouvement est libre. Le satellite
Cette démarche de validation ou d’invalidation du
Microscope est différent car son mouvement est contrôlé
principe fondamental de la relativité générale par un
en permanence, les perturbations les plus faibles, telles
satellite, au prix d’expériences coûteuses, n’est pas une
que celles résultant des quelques molécules d’atmos-
lubie de physiciens. Une telle expérimentation trouve sa
phère subsistant à 710 km d’altitude ou bien encore des
justification dans une réflexion générale sur les sciences
photons du Soleil, sont compensées sur les trois axes, de
physiques et dans les problèmes nouveaux posés par les
façon que le mouvement soit purement gravitationnel,
théories actuelles post-relativistes.
ce qui explicite l’expression satellite à trainée compen-
Les sciences physiques nécessitent, de manière cons-
sée. Un tel contrôle du mouvement satellitaire est une
tamment renouvelée, des validations de leurs principes.
première mondiale.
Karl Popper avait énoncé qu’une proposition théorique,
Le principe de l’expérience consiste à mesurer les
pour être classée comme relevant de la science et non
positions de deux masses différentes placées dans le
de la non-science, devait être falsifiable, c’est-à-dire qu’il
cocon protecteur du satellite débarrassé de toutes les
fallait pouvoir concevoir des expérimentations suscep-
perturbations et soumises par conséquent au seul effet
tibles d’invalider ses principes. Une théorie physique doit
de la gravitation terrestre. L’une de ces masses est en
donc s’exposer à être vérifiée et il est arrivé que les résul-
titane (0,5 kg) et l’autre en alliage de platine et de rho-
tats négatifs d’une expérience invalident effectivement
dium (1,4 kg). L’appareil de mesure réalisé par l’ONERA
une telle théorie. Le cas le plus célèbre est l’échec de la
T-sage permet d’obtenir des précisions jamais atteintes,
mise en évidence du mouvement de la Terre dans l’éther
en décelant des décalages infimes des deux masses au
avec l’expérience de Michelson et Morley.
bout d’un très grand nombre d’orbites.
Dans le cas particulier du satellite Microscope, la
Les premiers résultats de Microscope concluent à
démarche est identique car la mise en évidence d’une
l’absence de violation statistiquement significative par
violation du principe d’équivalence aurait permis de vali-
rapport aux erreurs résiduelles du dispositif expérimental.
der certaines conséquences de la théorie des cordes.
8 Z REE N°1/2018
ACTUALITÉS
Chronique de la 5G De la 4G à la 5G Le calendrier de la 5G Patrice Collet poursuit sa chronique sur les technologies qui vont sous-tendre la 5e génération de communications mobiles. Dans ce numéro, il nous parle du calendrier de déploiement de cette nouvelle technologie.
En mai 2015, l’Union internationale des télécommunications (UIT) a créé un groupe de travail chargé de définir les objectifs auxquels devraient satisfaire les systèmes de 5e génération sous le nom d’IMT-2020 (International Mobile Telecommunications). Dès le lancement des travaux sur la 5G au sein du 3GPP, il a été prévu d’en soumettre les résultats à l’UIT pour obtenir la reconnaissance IMT-2020, comme cela avait été fait avec LTE-A pour IMT Advanced. Les travaux de définition de la 5G au sein du 3GPP devaient donc se syn-
Les premières spécifications des systèmes de 5 générae
chroniser avec ceux d’IMT-2020 (figure 1).
tion ont été approuvées le 21 décembre 2017 par le 3GPP :
Au démarrage des travaux du 3GPP, en 2015, étaient
elles couvrent, en particulier, l’architecture du système et la
prévues deux étapes dans la définition des systèmes de 5e
première version de l’accès radio 5G (NR). Elles constituent
génération : la première, incluant les fonctions jugées priori-
une première partie de ce que doivent être les spécifications
taires, était envisagée pour la mi-2018 et la deuxième pour la
de la 5G prévues par l’édition 15 des spécifications du 3GPP.
fin de 2019. Ces deux étapes devaient respectivement faire
Une étape très importante vient donc d’être franchie : il est
partie des éditions 15 et 16 des spécifications du 3GPP. Mais
possible, pour les besoins les plus précoces, d’envisager des
en mars 2017, à la demande d’opérateurs, essentiellement
déploiements du nouvel accès radio en 2018 ou 2019. A
nord-américains et asiatiques, et de leurs fournisseurs, le
cette occasion, il nous a paru intéressant de revenir sur le
calendrier a été accéléré pour disposer de façon anticipée
déroulement global du processus de normalisation et sur les
d’une première version des spécifications de la seule partie
possibilités d’introduction de la nouvelle radio.
radio de la 5G dite « nouvelle radio » (NR). L’objectif était pour
Figure 1 : Processus de définition d’IMT 2020 – Source : UIT.
14 Z REE N°1/2018
ACTUALITÉS
Figure 2 : Calendrier des spécifications et des possibilités de déploiement 5G. Révision de mars 2017 – Source 3GPP. les demandeurs de pouvoir déployer dès 2019 des équipe-
sur le cœur de réseau LTE-A qui doit fournir les fonctions de
ments radio conformes à la nouvelle norme pour des besoins
commande nécessaires : ils pourront seulement tirer béné-
spécifiques ou bien lors de grands évènements mondiaux et,
fice des services offerts par le cœur de réseau de LTE-A et de
pour tous les membres du 3GPP, d’éviter la multiplication de
ses évolutions ainsi que de la croissance des débits et de la
mises en œuvre de systèmes pré-5G qu’un certain nombre
réduction de la latence qu’apporte le réseau d’accès NR-NSA.
de groupes d’opérateurs et d’industriels envisageaient de
La version 15 des spécifications de la 5G, ne comporte
lancer. Cette version de la NR devait être compatible avec
qu’une première partie des fonctionnalités prévues dans la 5G,
le futur cœur de réseau 5G dont les spécifications ne seront
la version 16 apportera un grand nombre de compléments.
disponibles qu’à la mi-2018. On l’appelle NR NSA1 car elle ne permet pas un déploiement purement 5G et doit s’appuyer
Comment la NR NSA pourra être déployée ?
sur le cœur de réseau LTE-A. Le calendrier résultant de cette
En l’absence du cœur 5G et de son plan de commande, pour déployer la NR NSA il a été prévu d’utiliser la fonction de
décision est présenté figure 2. L’approbation des premières spécifications de NR-NSA
double connectivité (DC) introduite dans LTE-A dans l’édition
en décembre dernier montre que le nouveau calendrier est
133. Elle permet à un terminal de nouvelle génération (à la
pour l’instant respecté. Les spécifications complètes de la
fois 4G et 5G) de disposer simultanément de deux canaux
2
première version de la 5G dite SA constitueront une partie
de transport de données, l’un via le réseau 4G, l’autre via
de l’édition 15 des spécifications et seront publiées normale-
la NR. La commande de la double connectivité est assurée
ment à la mi-2018. Faute de disposer d’un nouveau cœur de
via le plan de commande de LTE-A. Ainsi NR permet d’aug-
réseau, les déploiements de NR-NSA devront donc s’appuyer
menter le débit offert par la seule interface radio de LTE-A,
1
Non Stand Alone : non autonome. 2 Stand Alone : autonome.
d’autant plus qu’elle permet d’accéder à des bandes de fré3
Voir Chronique 5G REE 2017-05.
La nouvelle radio NR La nouvelle radio est la nouvelle interface radio définie pour les systèmes de 5e génération. Elle peut utiliser des bandes de fréquences qui peuvent atteindre 30 GHz puis plus tard jusqu’à 60 GHz. Elle s’appuie sur des formes d’ondes OFDM qui sont aussi utilisées par LTE et le Wi-Fi. Mais pour satisfaire aux exigences des différents services que doit offrir la 5G et tirer profit des nouvelles gammes de fréquences utilisées par rapport à l’usage qui en est fait dans LTE, des évolutions importantes y ont été apportées. On peut citer par exemple un espacement des sous-porteuses paramétrable, une structure de trame flexible pour permettre de réduire la latence. Le MIMO massif multi-utilisateur qui permet d’augmenter l’efficacité spectrale est également utilisé.
REE N°1/2018 Z 15
ACTUALITÉS
Variante 3
Variante 3 a
Figure 3 : La nouvelle radio NR en mode non stand alone (NSA) – Source : DT quences complĂŠmentaires Ă celles de LTE et de tirer proďŹ t
s Ă?VOLUTION VERS LE -)-/ MASSIF s Ă?VOLUTION VERS LE -)-/ MASSIF
des nouvelles fonctionnalitĂŠs de LTE-A. Cette architecture de
s PRISE EN CHARGE DE L )NTERNET DES /BJETS )O4 AVEC ." )O4 s PRISE EN CHARGE DE L )NTERNET DES /BJETS )O4 AVEC ." )O4
commande est connue sous le nom d’option 3 et comporte
et eMTC (R13 et R14) ;
deux possibilitĂŠs (ďŹ gure 3) : dans la variante 3 ce sont les
s COMMUNICATIONS AVEC LES VĂ?HICULES 2 ET 2 s COMMUNICATIONS AVEC LES VĂ?HICULES 2 ET 2
stations de base eNB de LTE-A et gNB de la 5G qui sont
s RĂ?DUCTION DE LA LATENCE s RĂ?DUCTION DE LA LATENCE
connectÊes via une interface Xn permettant d’Êcouler les ux
s ETC s ETC
de donnĂŠes en provenance et Ă destination de la NR sur les
Par ailleurs, dans l’Êdition 14 des spĂŠciďŹ cations de LTE-A,
liens de backhaul de l’eNB vers le cœur de rÊseau 4G. Dans
a ÊtÊ introduite la possibilitÊ de sÊparer complètement les
la variante 3a le gNodeB est connectÊ directement au cœur
fonctions de commande du rĂŠseau, celles qui permettent par
de rÊseau LTE-A par l’interface IA.
exemple d’Êtablir des sessions de communication, des fonc-
Le processus de dĂŠploiement de la 5G va donc, pour les
tions de transport qui permettent de transporter les donnĂŠes
opĂŠrateurs voulant dĂŠployer la NR en mode NSA, ĂŞtre assez
en provenance et Ă destination des utilisateurs. La sĂŠparation
diffÊrent de celui qu’ils avaient connu pour le dÊploiement de
r de ces deux types de fonction a ĂŠtĂŠ une ligne directrice per-
LTE : il n’y aura pas de nouveau cœur de rÊseau à dÊployer
manente dans la conception des cœurs de rÊseau mobile
avant de pouvoir utiliser la nouvelle radio. Une autre diffĂŠ-
mais dans le cœur paquets de LTE (ePC4) Êdition 13 elle n’est
rence rÊside aussi dans le fait que LTE-A Êvolue en parallèle
pas complète : les ÊlÊments de rÊseau comportent encore
avec la dĂŠďŹ nition de la 5G tant au plan fonctionnel qu’au plan
des fonctions de commande. Avec l’Êdition 14, sous le nom
de l’architecture.
de CUPS5 elle est complètement atteinte : les fonctions des nœuds du cœur de rÊseau sont sÊparÊes en deux groupes,
Les ĂŠvolutions de LTE-A
celui des fonctions de transport et celui des fonctions de com-
Depuis sa dĂŠďŹ nition dans l’Êdition 8 des spĂŠciďŹ cations
mande et de nouvelles interfaces Sx (a b et c) sont dĂŠďŹ nies
du 3GPP en 2008, LTE a ĂŠtĂŠ largement dĂŠployĂŠ Ă travers le
entre eux. Une ĂŠtape signiďŹ cative est atteinte : il devient pos-
monde : en octobre 2017, un quart des clients mobiles utili-
sible au plan de commande de sÊlectionner les nœuds de
saient LTE. En parallèle LTE a Êgalement beaucoup ÊvoluÊ, tout
rĂŠseaux optimaux pour fournir le service demandĂŠ par un terr
d’abord via LTE-Advanced qui permet de satisfaire complète-
minal, par exemple pour rĂŠduire la latence ou bien optimiser
ment aux exigences des spĂŠciďŹ cations de l’UIT (IMT-Advanced).
la charge des diffÊrents nœuds‌ Ainsi, les principes de l’archi-
Il introduit entre autres l’agrÊgation de porteuses et augmente le
tecture du cœur d’ePC se rapprochent de ceux qui sont prÊvus
nombre d’antennes MIMO. Avec les Êvolutions de l’Êdition 13 et
pour le cœur 5G. Pour les opÊrateurs, cette Êvolution permet
des ĂŠditons ultĂŠrieures, LTE-Advanced est dĂŠnommĂŠe LTE-Ad-
d’optimiser l’utilisation du cœur de rÊseau LTE et aussi d’envi-
vanced Pro. Les ĂŠvolutions concernent de nombreux domaines
sager à terme des cœurs de rÊseau communs entre LTE et NR.
et anticipent des Êvolutions prÊvues pour la 5G : s POURSUITE DE LA CROISSANCE DES D�BITS OFFERTS NOTAMMENT s POURSUITE grâce à l’utilisation de l’agrÊgation de porteuses appartenant à des bandes rÊglementÊes et non rÊglementÊes ;
16 Z REE N°1/2018
Les ĂŠvolutions dĂŠďŹ nies dans LTE-Avanced Pro rĂŠduisent ainsi l’Êcart fonctionnel entre les rĂŠseaux 4G et ceux prĂŠ4 5
Enhanced Packet Core: le Coeur paquets de LTE Control and User Plane Separation
ACTUALITÉS
Stratégie nationale bas carbone : les premiers indicateurs de résultats interpellent La loi relative à la transition énergétique pour la croissance
Les premiers indicateurs de résultats ont été publiés en
verte (LTECV) a prévu en son article 173 l’établissement par
janvier 2018 par le ministère de la Transition écologique et
le gouvernement d’une « stratégie bas carbone » définissant
solidaire1. Ces résultats sont préoccupants. Bien qu’encore
la marche à suivre pour conduire la politique d’atténuation
provisoires, ils font apparaître une remontée des émissions
des émissions de gaz à effet de serre et fixant pour la période
à partir de 2015 qui conduit à un volume total d’émissions
2015-2018, puis pour chaque période consécutive de cinq
excédant en 2016 de 3,6 % le budget annuel correspondant
ans, un plafond national des émissions dénommé “budget
à la trajectoire de la SNBC (figure 2). Cette situation, assez alarmante au regard des engage-
carbone”. Cette Stratégie nationale bas carbone a été approuvée par
ments pris par la France, a conduit le ministre Nicolas Hulot à
le décret du 18 novembre 2015 et correspond à la trajec-
déclarer : « Certains indicateurs sectoriels s’écartent dès 2015
toire illustrée par la figure 1, exprimée en Mt de CO2eq. Elle
de la trajectoire… Un renforcement des actions apparaît donc
est déclinée à titre indicatif par grands secteurs, en tenant
nécessaire pour rester en phase avec nos objectifs ».
compte de l’objectif général du « facteur quatre » visant à
Il est de fait que la situation dans le domaine des trans-
réduire par un facteur 4 les émissions en 2050 par rapport
ports et des bâtiments – c’est-à-dire dans les deux principaux
à celles de 2013.
secteurs émetteurs de gaz à effet de serre en France (30 % pour le premier, 27 % pour le deuxième) – n’est pas bonne. Dans le secteur des transports, les émissions excèdent de 6 % l’objectif et dans le secteur du bâtiment de 11 %. Dans ce secteur, la situation est franchement alarmante comme le traduit la figure 3. Beaucoup d’experts se penchent actuellement sur cette évolution pour essayer d’en comprendre l’origine qui cadre très mal avec les efforts déployés par les pouvoirs publics en faveur de la transition énergétique. L’une des explications avancées réside dans le fait que la quasi-totalité des mécanismes incitatifs ou réglementaires mis en place depuis plus de 10 ans, à commencer par le diagnostic
Figure 1 : Les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone pour les périodes allant de 2015 à 2028, comparés aux réalisations de 1990 à 2013 (en Mt de CO2eq) – Source : LTECV (2015).
1
Voir https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/suivi-strategienationale-bas-carbone
Figure 2 : Evolution des émissions totales de gaz à effet de serre en France – Source : Indicateurs de résultats de la SNBC (janvier 2018).
18 Z REE N°1/2018
ACTUALITÉS
Figure 3 : Evolution des émissions de gaz à effet de serre du secteur résidentiel et tertiaire. Comparaison entre les émissions réelles et les émissions prévues par la SNBC – Source : Indicateurs de résultats de la SNBC (janvier 2018). de performance énergétique des bâtiments (DPE) institué en
serre qui ont été fixés par la LTECV. En particulier, il est possible
en 2006, repose sur la notion d’énergie primaire. Or cette no-
par un simple passage de l’électricité au gaz, pour le chauffage
tion – qui affecte le kWh électrique d’un coefficient de conver-
des locaux et la production d’eau chaude sanitaire, de réaliser
sion de 2,58 – est devenue purement conventionnelle et ne
des économies d’énergie primaire, sans réduire voire en aug-
correspond pas aux objectifs de réduction des consommations
mentant les émissions de CO2. Q
Jean-Pierre Hauet
d’énergie finale et de réduction des émissions de gaz à effet de
La fiscalité du carbone se renforce Les taxes intérieures Depuis 2014, les taxes intérieures sur la consommation
remontée significative du prix du pétrole et du gaz, modifient sensiblement la donne.
d’énergies fossiles – qu’il s’agisse de la TICPE1 (ex TIPP) qui
En effet, les parts « carbone » de la fiscalité sur les produits
porte essentiellement sur les produits pétroliers, de la TICGN
énergétiques se trouvent à présent calculées en fonction
portant sur le gaz et de la TICC portant sur le charbon – com-
d’une valeur « carbone » de 44,60 F/t de CO2 en 2018, va-
prennent toutes une part « carbone » fonction du contenu
leur qui s’élèvera progressivement jusqu’à 86,20 F en 2022
en carbone desdits produits énergétiques. Cette part « carr
(figure 1). La taxe carbone se rapprochera alors de celle exis-
bone » est fonction d’une trajectoire de la valeur « carbone »,
tant en Suède (120 F/t) et qui est souvent prise comme
adoptée à l’issue des travaux du Comité pour la fiscalité éco-
référence.
logique présidé en 2013 par Christian de Perthuis. Cet élément de fiscalité était resté jusqu’à une date récente sans incidence forte, car les montants considérés
Sur les produits pétroliers, la taxe carbone est insérée au sein de la TICPE de façon que la fiscalité sur le gas-oil se retrouve à parité avec celle de l’essence en 2021.
étaient faibles et de plus compensés par la baisse du prix des
Sur le gaz, l’incidence est forte et, de 5,88 F/MWh en
hydrocarbures amorcée à la mi-2014. Les dispositions adop-
2017, la TICGN passe en 2018 à 8,45 F/MWh et s’élève-
tées dans la loi de finances pour 2018, dans un contexte de
ra progressivement jusqu’à 14,13 F/MWh ce qui n’est loin
1
d’équivaloir au prix de gros du gaz sur les marchés internatio-
TICPE : Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICGN : Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel –
naux, en début d’année 2018.
REE N°1/2018 Z 19
L'ARTICLE INVITÉ
JEAN-BAPTISTE GALLAND Directeur Stratégie Enedis
La distribution d’électricité et la transition énergétique
C
Introduction es dernières années ont été marquées par une
L’électricité, vecteur de la transition énergétique
nouvelle dynamique environnementale et so-
L’électricité est devenue un produit de consommation ba-
ciétale, avec notamment la conclusion de l’Ac-
nal. Disponible à tout instant et en tout lieu ; certains en ou-
cord de Paris, le 12 décembre 20151. Le climat
blient même la chaine de distribution qui se situe en amont
est devenu une priorité mondiale absolue. C’est maintenant
de leur installation domestique. Pourtant, l’électricité est un
au tour des collectivités, des entreprises et des consomma-
vecteur énergétique d’une importance stratégique. Avec
teurs de prendre le relais. C’est pourquoi la France s’est dotée
483 TWh d’énergie consommée en 2016, elle représente
en quelques années de la loi de transition énergétique2, des
24 % de la consommation d’énergie finale française (figure
lois NOTRe et MAPTAM plaçant, en subsidiarité, les régions
1). Toute rupture dans l’approvisionnement serait considérée
et métropoles au centre de nombreuses décisions écono-
comme une crise.
3
4
miques et énergétiques. La société civile se voit ainsi confier la réalisation concrète de la transition énergétique dans toutes ses dimensions : efficacité énergétique, développement de la production décentralisée faiblement carbonée et de la mobilité électrique, mise à disposition des données énergétiques pertinentes pour chacun des acteurs... Il s’agit d’un mouvement de décentralisation des choix énergétiques et des usages sans précédent. Dans ce contexte, les réseaux électriques apparaissent comme de formidables « facilitateurs » pour réussir cette transition, marquée, en parallèle, par la révolution numérique. Pour cela et pour prendre en compte les nouvelles attentes des clients et des territoires, les distributeurs deviennent de véritables opérateurs du système de distribution (DSO). Ce nouveau rôle est
Figure 1 : Consommation finale d’électricité par secteur. Source : Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer – Chiffres clés de l’énergie – Edition 2016, février 2017.
aujourd’hui reconnu par le paquet « Une énergie propre pour tous les citoyens européens »5 de la Commission européenne.
De fait, l’électricité a de multiples fonctions et usages dont le nombre ne cesse de croître au fur et à mesure des
1
L’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 dans le cadre de la COP 21, signé le 22 avril 2016 à New York, est entré en vigueur le 4 novembre 2016, 30 jours après sa ratification par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), dont l’Union européenne le 5 octobre 2016. 2 Loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV). 3 Loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. 4 Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. 5 Publié le 30 novembre 2016. Vingt ans après l’adoption des premières mesures relatives à l’ouverture des marchés en Europe, cette série de propositions législatives dans le cadre de l’Union de l’énergie, vise à préserver la compétitivité de l’Union européenne en prenant en compte tous les aspects de la transition d’énergétique.
32 Z REE N°1/2018
années. Elle est sans substitut pour de multiples besoins de la vie quotidienne : éclairage, électroménager, télécommunications, informatique, Hi-Fi, etc. Elle contribue, en concurrence avec d’autres énergies, à la fonction de chauffage, qu’il s’agisse de l’espace, de l’eau ou des aliments. L’électricité joue enfin un rôle important dans de nombreux processus industriels. Le secteur de l’énergie contribue à 2 % de la valeur ajoutée en France en 2015 avec 138 900 emplois et un rôle prépondérant de l’industrie électrique. Cette dernière fournit en outre un apport positif à la balance commerciale française grâce à près de 50 TWh d’exportations.
L'ARTICLE INVITÉ
La transition énergétique prévoit d’amplifier cet apport bénéfique de l’industrie électrique à l’économie du pays. En
conseil de surveillance par un représentant des collectivités territoriales (article 153).
effet, dans les années à venir, l’impératif de la lutte contre le
35 millions de consommateurs et 350 000 installations
réchauffement climatique conduira l’électricité, du fait de son
renouvelables étant raccordés au réseau de distribution
mix de production quasiment décarboné, à accroître encore
d’Enedis, ces évolutions placent le distributeur au centre
davantage son rôle en se substituant encore plus largement
des évolutions. Comme a pu le dire Klaus-Dieter Borchardt,
aux énergies fossiles. Dans la pratique, cela passera, dans un
directeur du marché intérieur de l’énergie à la Commission
contexte d’amplification des efforts d’efficacité énergétique,
européenne : « Ce siècle sera celui du DSO ».
par le développement de la mobilité électrique. Le « moins d’électricité par usage et plus d’usages de l’électricité », cher à Marcel Boiteux, prendra alors tout son sens.
Principales conséquences de ces évolutions pour le distributeur La responsabilité environnementale et énergétique des territoires
Formellement, l’ensemble de ces enjeux est développé dans la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) : intégration des
Les collectivités territoriales ont un rôle déterminant à
énergies renouvelables (article 105) ; raccordement de sept
jouer dans la mise en œuvre de la politique climatique. Ce
millions de bornes de recharge de VE ; appropriation par
rôle vient naturellement compléter leurs responsabilités dans
les usagers de leur consommation d’électricité avec mise
les domaines du transport, de l’urbanisme ou du développe-
à disposition des données de consommation et transmis-
ment économique. La LTECV pose un principe de contribu-
sion aux fournisseurs des données en aval du compteur
tion décentralisée à la transition énergétique : les territoires
Linky (article 28) ; émergence des nouvelles filières dans
devront améliorer leurs empreintes environnementale et
le cadre des smart grids avec un rôle essentiel de la dis-
énergétique.
tribution pour la définition des périmètres d’effacement et
Pour cela, les établissements publics de coopération inter-
la transmission des informations nécessaires à la sécurité
communale (EPCI) de plus de 20 000 habitants ont cha-
du réseau (article 168) ; expérimentations territoriales de
cun la charge d’élaborer un Plan climat air énergie territorial
flexibilités et de réseaux électriques intelligents (articles 199
(PCAET) d’ici la fin 2018. Quelque 700 EPCI sont concernés
& 200) ; projets des territoires avec un rôle essentiel dans
par cette échéance. C’est également le sens à donner aux
l’émergence des « territoires à énergie positive » (article 1)
« territoires à énergie positive » ou TEPOS qui, selon la loi,
et mission de service public de la donnée à destination des
« s’engagent dans une démarche permettant d’atteindre
collectivités et de leurs projets (article 179) ; enfin, interac-
l’équilibre entre la consommation et la production d’éner-
tion avec les collectivités pour l’optimisation de l’investis-
gie à l’échelle locale en réduisant autant que possible les
sement avec création d’un comité du système de la distri-
besoins énergétiques et dans le respect des équilibres des
bution publique d’électricité examinant les investissements
systèmes énergétiques nationaux ».
des autorités concédantes et du concessionnaire (article
Du point de vue des distributeurs, les données de con-
153) et remplacement d’un des représentants de l’Etat au
sommation et de production dont ils disposent pourront être
Emissions de gaz à effet de serre
Divisées par 4 de 1990 à 2050
Consommation d’énergie finale
Divisée par 2 de 2012 à 2050
Consommation d’énergies fossiles
Réduite de 30 % de 2012 à 2030
Part des énergies renouvelables
32 % de la consommation finale brute d’électricité en 2030 et 40 % de la production d’électricité
Part du nucléaire
Max 50 % de la production d’électricité en 2025 mais avec une capacité de production d’électricité d’origine nucléaire plafonnée à 63,2 GW
Parc immobilier
100 % rénové aux normes « bâtiment basse consommation » en 2050
Véhicules électriques
7 millions de points de charge en 2030
Tableau 1 : Cibles et échéances françaises de la transition énergétique. Emissions de gaz à effet de serre
Réduction de 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 (objectif contraignant)
Part des renouvelables
27 % de la consommation d’énergie (objectif contraignant)
Efficacité énergétique
27 % d’ici 2030 (objectif indicatif)
Tableau 2 : Cibles et échéances européennes.
REE N°1/2018 Z 33
L'ARTICLE INVITÉ
utiles aux études d’efficacité et de planification énergétiques.
S’agissant des cellules photovoltaïques dont la compétiti-
Pour ce faire, certaines données se verront conférer le statut
vité progresse rapidement, la technologie leader est celle du
de données de référence (utilisation fréquente et niveau de
silicium polycristallin. L’effet de série a déjà beaucoup joué
qualité essentiel pour un bon usage) et la standardisation
et le recul de la demande mondiale conduit aujourd’hui à un
des flux ainsi que la collecte des données sera encouragée.
excès d’offre. Dans les pays de la « Sun Belt8 », on observe
Par ailleurs, la mise en œuvre des TEPCV6 et des TEPOS
des prix très bas (appel d’offre Arabie Saoudite à 17 F/MWh
présente l’opportunité de rechercher les meilleures solutions
en novembre 2017). Le photovoltaïque au sol ou sur grande
réseau (minimiser le coût du système électrique pour la col-
toiture reste beaucoup plus compétitif que sur petites toi-
lectivité). Ces solutions pourraient notamment passer par
tures car la part dans le coût hors cellule (cadre, onduleur,
l’optimisation des coûts de raccordement au réseau public et
pose…) est désormais prépondérante.
par l’accompagnement du développement de la mobilité élec-
Pour l’avenir, l’évolution des prix dépendra de la saturation
trique [gestion de la recharge couplée au réseau (smart-charr
ou non des capacités de production asiatiques (une remontée
ging)], parkings relais (lieux de covoiturage ou d’auto-partage
est possible), des progrès techniques et des effets de série
permettant d’utiliser les VE comme instruments de stockage).
sans qu’il soit possible d’établir avec certitude un prix marginal de développement à horizon 2035. Néanmoins l’atteinte des
Les bâtiments à énergie positive (BEPOS)
objectifs de la transition énergétique apparaît réaliste.
La notion de bâtiment à énergie positive (BEPOS) intro-
Les ENR intermittentes renforcent la valeur du réseau, car
duite par la LETCV n’a pas encore été précisée par décret. On
celui-ci permet le « foisonnement » de la production et de la
peut néanmoins se référer au référentiel « Energie-carbone »
demande. Néanmoins, en France, du fait de l’ensoleillement et
pour les bâtiments neufs qui précise les notions de bilan
de la structure des consommations, le photovoltaïque introduit
BEPOS et de critères BEPOS. Ces critères correspondent à
une problématique particulière : en effet, il peut conduire à
des standards de bâtiments au regard de l’efficacité énerr
des injections très importantes en milieu de journée sur un
gétique (kWh/m²), des émissions de gaz à effet de serre
élément de réseau BT alors que la demande sur ce même
(kg CO²/m²) et du recours aux EnR locales.
réseau est faible ; et inversement ne pas répondre en hiver au
Vis-à-vis du réseau, il conviendra que le bâtiment s’insère
besoin de chauffage nocturne. Outre le besoin de flexibilité sur
au mieux dans l’existant. Au premier ordre, cela signifie que
le système électrique national, se pose alors une probléma-
le BEPOS devra, à la fois, être sobre en énergie mais aussi
tique d’équilibrage du réseau local de distribution.
en appel de puissance aux périodes les plus chargées. On
L’autoconsommation
peut espérer aller au-delà, si certains usages du bâtiment par nature potentiellement flexibles (eau chaude sanitaire,
L’autoconsommation rapproche la production de la
consommation de chaleur-froid, véhicule électrique) pou-
consommation dans un cadre législatif aujourd’hui clarifié par
vaient être sollicités pour répondre aux enjeux de synchro-
la loi du 24 février 2017 et son décret d’application du 28 avril9.
nisation production-consommation et être intégrés à la ges-
Elle présente des opportunités de réduction des coûts
tion de l’équilibre du système électrique, soit localement soit
du réseau électrique par une amélioration de l’intégra-
nationalement. Il semble donc important que les grands pro-
tion des énergies renouvelables décentralisées. Mais, à y
jets d’aménagement de BEPOS prévoient une concertation
regarder de plus près, certains profils de producteurs et de
avec les distributeurs afin de convenir, dès leur conception,
consommateurs sont plus adaptés à l’autoconsommation
de leur meilleure intégration aux problématiques du système
que d’autres du fait d’une bonne synchronisation de leurs
électrique.
courbes de consommation et de production. Pour le photovoltaïque, ces profils sont notamment ceux des secteurs
Les énergies renouvelables Les LCOE7 (coûts complets de production) des énergies renouvelables (EnR) ont beaucoup baissé ces dernières an-
tertiaires et industriels, dont la consommation est plutôt régulière, continue et concomitante avec les périodes diurnes de production.
nées, portés par des politiques volontaristes et les effets de série. Dans certains cas, ils atteignent aujourd’hui celui des centrales conventionnelles 6
TEPCV : Territoires à énergie positive pour la croissance verte, notion introduite en 2014 (avant la LTECV) visant des territoires d’excellence de la transition énergétique et écologique, bénéficiant d’une convention de soutien à leurs actions avec le ministère chargé de l’écologie. 7 LCOE : Levelized Cost of Energy.
34 Z REE N°1/2018
8
États du Sud et de l’Ouest des États-Unis et par extension les pays situés sous la même latitude de part et d’autre de l’équateur. 9 Autoconsommation Individuelle : « Fait pour un producteur … de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’énergie produite par son installation » Autoconsommation Collective : « Fourniture d’électricité effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés en aval d’un même poste de distribution d’électricité ».
LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
Autoconsommation : le débat ne fait que commencer L’autoconsommation est un phéno-
l’électricité que l’on consomme, en uti-
mène encore marginal puisqu’il n’inté-
lisant des ressources renouvelables,
resse aujourd’hui que 0,05 % des clients
solaire photovoltaïque pour l’essentiel.
raccordés aux réseaux publics d’électri-
L’autoconsommation peut être indi-
cité. Toutefois, c’est un phénomène en
viduelle, elle peut aussi être collective
forte croissance qui pourrait prendre
et il est désormais possible en France,
l’allure d’une lame de fond et modifier
depuis la promulgation de la loi du
fondamentalement dans les années à
24 février 2017 et la publication du
venir la façon dont fonctionnent les systèmes de production et de distribution de l’énergie électrique (figure 1).
Jean-Pierre Hauet Rédacteur en chef de la REE
décret du 28 avril, de constituer sous certaines conditions des pools de consommateurs qui vont se partager
la production d’une installation commune, le tout
Autoconsommation et mise en valeur des ressources locales
sous l’autorité d’une même personne morale. Ces dispositions fixent, par exemple, les conditions
L‘autoconsommation renvoie aux notions de
dans lesquelles la production de panneaux solaires
production locale, de circuit court d’approvisionne-
situés sur la terrasse d’un immeuble peut être ré-
ment et d’autonomie. D’un point de vue formel, il y
partie au bénéfice de ses occupants.
a cependant plusieurs facettes à ce concept : s le taux d’autoconsommation, qui se mesure en
Les raisons d’un succès grandissant
rapportant l’électricité produite et consommée
Beaucoup s’enthousiasment pour ces formules
sur place à l’ensemble de la production locale, le
nouvelles d’approvisionnement en électricité, rendues
solde non consommé pouvant être réinjecté sur
possibles par la baisse considérable des panneaux
le réseau ;
photovoltaïques, et mettent en avant la reconquête
s le taux d’autoproduction qui correspond au ra-
d’une plus grande autonomie, l’avantage économique
tio entre l’électricité produite et consommée sur
potentiel, les bienfaits de l’économie de partage…
place et l’ensemble de l’électricité consommée.
Certains vont même jusqu’à comparer l’autoconsom-
Les deux se rejoignent autour d’un marqueur commun qui est la volonté de produire sur place
mation à l’économie « potagère » où chacun cultive dans son jardin les légumes qu’il consomme.
Figure 1 : Evolution du nombre d’installations fonctionnant en autoconsommation – Source : Enedis(2018).
42 Z REE N°1/2018
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Ces comparaisons ont leur limite car les élec-
d’électricité et des toitures photovoltaïques en en-
trons n’ont pas la saveur des produits du terroir et
sembles pavillonnaires peuvent à cet égard apparaître
s’échangent librement sur les réseaux où productions
préférables. Mais il faut tenir compte du supplément
et consommations sont mutualisées sans que des
de dépenses qu’elles entraînent et de de la nécessité
appellations d’origine contrôlée puissent être physi-
qui subsiste de compenser l’intermittence.
quement décernées. Les autoconsommateurs ne doivent pas devenir les D’un point de vue électrotechnique, l’autoconsom-
passagers clandestins du réseau électrique, bénéfi-
mation n’apporte rien de nouveau car les individus ou
ciant, sans en supporter les coûts, des services offerts
les communautés qui la pratiquent ne brisent que très
par le réseau : complément de fourniture, secours,
rarement le lien avec le réseau de distribution qui leur
équilibre du réseau et stabilisation de la fréquence,
assure complément et continuité d’approvisionnement.
accueil des surplus de production.
L’autoconsommation est avant tout une formule
On notera également que si l’autoconsommation
commerciale et fiscale qui permet de traiter les kWh
collective se développe massivement, dans le cadre
produits et consommés sur place de façon distincte
notamment de communautés locales d’énergie telles
de ceux fournis par le réseau. La bidirectionnalité du
que proposées par la Commission européenne, le foi-
compteur Linky permet de comptabiliser, sans sup-
sonnement entre consommateurs – qui permet de
plément de coût, ceux qui sont réinjectés en cas de
ramener la capacité des infrastructures électriques
surplus. L’autoconsommation est donc perçue par le
aux environs du cinquième des puissances consom-
consommateur comme un moyen légitime et attractif
matrices installées – sera capté par les structures lo-
de se soustraire aux taxes et aux coûts attachés aux
cales et entraînera un renchérissement du prix de la
fournitures du réseau et donc d’accéder, sous réserve
puissance garantie assurée par le réseau.
de la compétitivité des moyens locaux de production, à une électricité moins chère.
Un tarif d’accès au réseau (TURPE) spécifique aux autoconsommateurs est en cours d’étude par la CRE. Il fau-
Les partisans de l’autoconsommation y voient un
dra qu’il prenne en compte de façon aussi objective que
moyen d’encourager l’émergence des productions
possible tous ces éléments, afin d’éviter des transferts
décentralisées et de faire encore mieux accepter par
de charge des autoconsommateurs vers le reste de la
l’opinion le développement des énergies nouvelles. Ils
population. L’une des voies les mieux appropriées réside
soulignent également la possibilité de limiter les in-
dans une tarification correcte de la puissance souscrite
vestissements dans les réseaux puisqu’il y aura moins
auprès du réseau de distribution de façon à refléter les
d’électricité à acheminer.
coûts fixes supportés par ce réseau et ce faisant d’encourager le développement des systèmes de stockage,
Tout cela, joint à des dispositions fiscales favorables, décidées par les pouvoirs publics (exonéra-
notamment par batteries, y compris, à l’avenir, en tirant parti de celles équipant les véhicules électriques.
tion de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), TVA à taux réduit, prime à l’inves-
Sur le plan fiscal, il n’y a aucune raison pour que
tissement) conduit à un climat très favorable à l’auto-
l’électricité autoconsommée soit durablement dispen-
consommation qui ira probablement en s’amplifiant.
sée de la TICFE (ex CSPE) comme la loi l’a prévu pour les installations de moins de 1 MW. Cette taxe inté-
Optimum local et optimum national
rieure est désormais un droit d’accise et n’alimente
Toutefois, le débat n’est pas aussi limpide car l’opti-
plus le compte d’affectation spéciale « transition éner-
mum local ne correspond pas forcément à l’optimum
gétique ». L’argument selon lequel les EnR ne doivent
national et c’est là un aspect très important à considérer.
pas payer pour les EnR a donc disparu.
Il est de fait que rapprocher la production photovol-
Si l’on estime souhaitable, pour quelque raison que
taïque du lieu de consommation a une certaine valeur
ce soit, d’encourager par des subventions l’autoconsom-
économique. Des panneaux sur des hangars agricoles
mation, celles-ci doivent être explicites et ne pas géné-
posent le problème de l’évacuation de la production
rer de bénéfice injustifié. Il n’y a pas lieu de créer une
REE N°1/2018 Z 43
LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
aubaine ou une rente au profit de ceux qui ont un toit au moment où tant de personnes n’en ont pas...
Or il est difficile d’imaginer que se développent des entités locales de production et de distribution d’électricité sans que soient répercutés sur les
Décentralisation et péréquation
acteurs de ces entités – les consom’acteurs – les
La définition de tarifs et d’une fiscalité équitable
résultats, positifs ou négatifs, associés à cette dé-
n’est pas un exercice simple mais il est incontour-
centralisation des structures d’approvisionnement.
nable si l’on veut organiser sur des bases saines le développement de l’autoconsommation. Mais en
Ce débat est aujourd’hui à peine entr’ouvert mais
supposant cet objectif atteint, se pose alors un pro-
il prendra à coup sûr une importance croissante au
blème encore plus difficile à résoudre et de nature
fur et à mesure que l’autoconsommation prendra
plus politique que technique : celui de la péréquation et de l’égalité de traitement. Aujourd’hui, les tarifs d’accès au réseau sont régis par le principe du timbre-poste et de l’égalité de traitement. Il en va de même des tarifs réglementés de fourniture d’électricité qui sont péréqués au niveau national. Ces dispositions auxquelles les Français semblent très attachés, relèvent d’un principe de solidarité affirmé aux lendemains de la guerre et confirmé, au nom de la cohésion sociale et de la lutte contre les exclusions, par la loi du 10 février 2000 et l’article L121-1 du code de l’énergie.
son essor. La législation franJean-Pierre Hauet est ancien élève de l’Ecole polytechnique et ingénieur au corps des Mines. Au cours de sa carrière, il a été adjoint au délégué général à l’Energie et rapporteur général de la Commission de l’énergie du 7e Plan. Entré dans le groupe de Compagnie générale d’électricité (CGE), il a occupé différents postes de responsabilité dont la présidence du centre de recherches de Marcoussis, la direction de la branche Produits et Techniques de Cegelec et a été Chief Technology Officer du groupe ALSTOM. Il est à présent Associate Partner de KB Intelligence. Il préside l’association ISA-France ainsi que le comité scientifique de l’association Equi-i libre des Energies. Il est membre émérite de la SEE et rédacteur en chef de la REE.
çaise, avec la création de l’autoconsommation collective, des réseaux privés et des réseaux intérieurs de bâtiment, va dans cette direction, de même que la Commission européenne avec son projet de communautés locales d’énergies. Ce dossier n’a pas pour ambition de trancher un débat qui sera complexe et probablement passionné. Il vise simplement, en
rassemblant
des
points
de vue divers, à donner à nos lecteurs des repères qui leur permettront de le suivre, de le comprendre et, le cas échéant, d’y participer. Q
LES ARTICLES
L’autoconsommation, moteur de la transition énergétique Yves Barlier et Laurent Gilotte ................................................................................................................................. p. 45 L’autoconsommation : un nouveau modèle énergétique en devenir ? Didier Laffaille ................................................................................................................................................................ p. 54 L’autoconsommation d’électricité en France Vrai débat ou faux-fuyant de la transition énergétique ? Marc Jedliczka .................................................................................................................................................................. p. 61 La flexibilité énergétique et la donnée au cœur des développements sur l’autoconsommation Nadi Assaf, Philippe Jan ................................................................................................................................................. p. 68 L’autoconsommation photovoltaïque transforme notre rapport à l’électricité Appropriation citoyenne de la transition énergétique et liberté d’écomobilité Richard Loyen .................................................................................................................................................................. p. 76
44 Z REE N°1/2018
L'AUTOCONSOMMATION
Installation photovoltaïque sur maison individuelle
DOSSIER 1
Installation photovoltaïque sur bâtiment tertiaire.
L’autoconsommation, moteur de la transition énergétique Yves Barlier et Laurent Gilotte Directeur du pôle régulation et économiste à la direction de la stratégie -Enedis Electricity self-generation is a societal evolution. The public network provides the necessary services for the development of self-generation with guaranteed power permanently compensating for variations in local generation or its lack, a standard-quality electric wave, a pooling of consumption needs and local generation, data supply especially for collective self-generation, different contractual modes between stakeholders. From an electrotechnical point of view, there is no difference between a local production for self-consumption and the same for direct injection on the network. Its impact on the network can be negative if the injection peaks create new constraints. It can be positive if the sizing of the production is adapted to the needs and if the self-consumer adapts its behavior to reduce the peaks of extract energy from the grid. With current pricing in France, individual self-consumers benefit from a reduction in their bills greater than earnings created for the network. The good sharing of network costs between users becomes an equity issue in the energy transition. A solution chosen by some countries is to increase the price of the subscription, depending on the power, in return for a lower price for the energy.
ABSTRACT
L’autoconsommation d’électricité est une évolution sociétale. Le réseau public apporte les services nécessaires au développement de l’autoconsommation avec une puissance garantie compensant en permanence les variations de la production locale ou son absence, une onde électrique de qualité normée, une mutualisation des besoins de consommation et des productions locales, la fourniture des données nécessaires notamment pour l’autoconsommation collective, différents modes possibles de contractualisation entre acteurs. D’un point de vue électrotechnique, il n’y a pas de différence entre une production locale en autoconsommation et une équivalente en injection directe sur le réseau. Son impact sur le réseau peut être négatif si les pointes d’injection créent de nouvelles contraintes. Il peut être positif si le dimensionnement de la production est adapté aux besoins et que l’autoconsommateur adapte son comportement pour réduire les pointes de soutirage. Avec la tarification actuelle en France, les autoconsommateurs individuels bénéficient d’une réduction de leurs factures supérieure aux gains générés pour le réseau. Le bon partage des coûts de réseau entre utilisateurs devient un enjeu d’équité dans la transition énergétique. Une solution retenue par certains pays est d’augmenter le prix de l’abonnement, dépendant de la puissance, en contrepartie d’une baisse du prix de la part en énergie. RÉSUMÉ
REE N°1/2018 Z 45
L'AUTOCONSOMMATION
DOSSIER 1
Introduction : l’autoconsommation, une évolution sociétale
s DES TAXES ET CONTRIBUTIONS SUR L ÏNERGIE
Par simplification, l’expression « auto-
achetée via le réseau, faisant apparaître
consommation » est souvent utilisée indif-
l’autoconsommation individuelle plus
féremment pour l’autoconsommation et
attractive financièrement pour le con-
l’autoproduction. Il en sera ainsi dans la
e
sommateur qui ne paiera pas de taxes et
suite du texte.
siècle, des usines se sont installées au
en particulier pas de CSPE sur l’énergie
bord de cours d’eau et ont créé leur
autoconsommée ;
L’autoconsommation d’électricité est une histoire ancienne : dès la fin du 19
Plusieurs typologies d’autoconsommateurs peuvent être distinguées :
propre unité de production hydraulique
s UNE POLITIQUE INCITATIVE DES POUVOIRS
s les sites tertiaires/industriels (au
afin de bénéficier de la « houille
publics : l’arrêté du 9 mai 2017 pré-
sens large : industrie, agroalimentaire,
blanche », alternative au charbon. Puis
voit, pour les installations en auto-
logistique, agriculture, etc.) avec des
les unités de production ont grossi, des
consommation individuelle, le bénéfice
consommations importantes et perma-
réseaux électriques ont été tirés vers les
d’une prime à l’investissement et d’un
nentes pendant la journée (climatisa-
villes, se sont progressivement étendus
tarif d’achat de l’énergie injectée en
tion, bureautique, groupes froids, etc.) ;
puis interconnectés, sous l’incitation des
surplus.
ils peuvent atteindre facilement des
gains économiques apportés par l’effet
L’autoconsommation a ainsi déjà sé-
taux d’autoconsommation importants ;
de la taille et de la mutualisation de la
duit près de 20 000 foyers et en 2017,
s les clients résidentiels, qui pré-
production et de la consommation.
plus de 50 % des nouveaux raccorde-
sentent des taux d’autoconsommation
L’autoconsommation revient au début
ments de production photovoltaïque
moindres : ils ont une consommation en
du 21e siècle, portée par plusieurs
concernent des autoconsommateurs.
journée très variable et pour une bonne
facteurs favorables : s L APPÏTENCE DES FRAN¥AIS POUR LES énergies renouvelables : parmi les
Qu’est-ce que l’autoconsommation ?
part en dehors des heures d’ensoleillement ; ils injectent une puissance maximale qui atteint parfois celle de leur
production
L’autoconsommation peut être définie
installation photovoltaïque ce qui peut
d’électricité, l’origine renouvelable est
comme le fait de consommer tout ou
engendrer des contraintes sur le réseau ;
essentielle pour 57 % des personnes
partie de l’énergie que l’on produit,
s les bâtiments collectifs, groupes de
interrogées (étude IFOP pour Synopia
et l’autoproduction comme le fait de
bâtiments ou quartiers, qualifiés sous la
janvier 2017) ;
produire tout ou partie de l’énergie que
notion « d’îlots urbains » : un déficit de
l’on consomme.
production d’un bâtiment à un instant
caractéristiques
de
la
s L APPÏTENCE DES FRAN¥AIS POUR LE « consommer local » et « le consommer
Pour caractériser l’autoconsommation
donné peut être compensé par un ex-
mieux » : les circuits courts et/ou bio
et l'autoproduction d’un site, plusieurs
cédent de production d’un bâtiment
se sont fortement développés ces
indicateurs en énergie et en puissance
situé à proximité ce qui permet la valo-
dernières années dans les secteurs
sont intéressants :
risation de production à proximité.
agricoles et agroalimentaires ;
s taux d’autoconsommation : part de
s EN COHÏRENCE AVEC CETTE DOUBLE
la production autoconsommée, égal au
tendance, 87 % des personnes in-
rapport entre la production consommée
Le réseau public au service de l’autoconsommation
terrogées se disent prêtes à faire évoluer
sur site et la production totale du site ;
leurs habitudes de consommation pour
s taux d’autoproduction : part de la
les adapter à la production locale :
consommation autoproduite, égal au rap-
vent, soleil… (étude IFOP pour Synopia
port entre la production consommée sur
Les clients raccordés au réseau de
Le réseau public apporte une puissance garantie
le site et la consommation totale du site ;
distribution ont l’assurance d’obtenir,
s LA BAISSE DES COßTS ET LES INNOVATIONS
s puissance maximale injectée : lorsque
chaque fois qu’ils en ont besoin, la puis-
technologiques : simultanément à une
la production excède la consommation
sance qu’ils ont souscrite auprès du ges-
demande mondiale en croissance, le
s puissance maximale soutirée : lorsque
tionnaire de réseau, avec une garantie
COßT DES ÏQUIPEMENTS A ÏTÏ DIVISÏ PAR
la production ne permet pas de couvrir
cinq depuis 2007 et l’ADEME estime
la consommation.
janvier 2017) ;
qu’ils baisseront encore de 35 % d’ici 2025 ; s UN TARIF DE RÏSEAU QUI SURVALORISE L Ï nergie soutirée ;
46 Z REE N°1/2018
de disponibilité supérieure à 99,9 %. Pour les autoconsommateurs, ce
Ces indicateurs permettent d’évaluer
service leur permet en outre de faire
la capacité du site à produire pour ses
face aux variations de leur production
propres besoins et à consommer sa
locale. Le réseau public permet en effet
propre production.
d’accéder aux moyens de réglage de la
L’autoconsommation, moteur de la transition énergétique
Figure 1 : Exemple de production photovoltaïque sur trois journées.
Le réseau public permet de mutualiser les besoins de consommation et la production locale Un consommateur a des besoins de consommation qui varient selon l’heure de la journée, les jours de la semaine, la saison, le climat. La production locale dépend quant à elle, de la source d’énergie, qu’il s’agisse du soleil, du vent, de l’hydraulique, de la biomasse ou encore de la géothermie. En partant de l’exemple d’une production photovoltaïque, source d’énergie renouvelable facilement accessible, on constate qu’un des enjeux techniques, Figure 2 : Exemple sur une semaine d’un immeuble de bureaux
indépendamment des enjeux commerr ciaux entre acteurs, porte sur l’adéqua-
fréquence du système électrique pour
en chaque point de livraison du réseau
tion entre les besoins de consommation
compenser instantanément les varia-
public : fréquence, amplitude, forme de
et la production photovoltaïque.
tions de production locale dues, pour le
r l’onde (creux et surtensions, flicker, har-
photovoltaïque, aux passages de nuages
moniques), asymétrie entre phases.
et à l’alternance jour/nuit (figure 1).
Le réseau public apporte une onde électrique de qualité normée
Un bâtiment à usage tertiaire ou commercial va consommer les jours
Ils sont donc protecteurs pour le
de semaine essentiellement dans la
consommateur comme pour l’autocon-
journée (figure 2). La production pho-
sommateur.
tovoltaïque
est donc en phase avec
Cette qualité est maintenue grâce à la
ses besoins de consommation. Si la
conception du système électrique qui lui
puissance maximale du photovoltaïque
Les gestionnaires de réseau s’en-
permet d’absorber automatiquement les
est adaptée à la consommation du bâti-
gagent contractuellement avec les uti-
variations rapides de consommation et de
ment dans la journée, l’autoconsomma-
lisateurs du réseau et les fournisseurs
production locale. Les journées de pas-
tion sera maximale et l’injection sur le
d’électricité sur une qualité définie par
sages nuageux sont les plus délicates car
réseau minimale. Le week-end et les
la réglementation et les normes en
la production photovoltaïque est alors très
jours fériés, par contre, la consomma-
vigueur. Les fournisseurs d’électricité
variable. Le réseau maintient l’équilibre
tion sera faible alors que l’injection sur
reprennent cet engagement dans leurs
électrique chez le client en permanence
le réseau sera forte.
conditions générales de vente.
en acheminant sa production excéden-
S’agissant en revanche d’un bâti-
Ces engagements portent sur les li-
taire vers d’autres clients ou en couvrant
ment à usage résidentiel (figure 3), la
mites ou les valeurs des caractéristiques
ses besoins grâce à l’acheminement
pointe de consommation se situe en
de la tension qui peuvent être attendues
d’énergie d’autres sources de production.
soirée, donc hors période de production
REE N°1/2018 Z 47
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Systèmes de câbles HT à courant continu Sélection d’articles présentés au symposium Jicable HVDC’17 Les systèmes à courant
et les réparations des câbles
continu sont des précurseurs
sous-marins, ainsi que leurs
des
recommandations.
solutions
qui
seront
apportées aux défis énergétiques rencontrés par les
Ce
symposium
Jicable
grands projets de réseaux.
HVDC’17 s’est tenu à Dun-
Il y aura de plus en plus de
kerque, là où la première liai-
connexions, à la fois terrestres et
maritimes,
notamment
pour les liaisons à longue distance et le raccordement
Lucien Deschamps, Président du comité d’organisation de HVDC'17
Paul Penserini Asset manager, RTE
réalisée en 1961. Cette liaison historique était limitée à 100 kV DC et à une capacité
des parcs éoliens en mer. Les systèmes de câbles à courant continu sont donc
son France-Angleterre a été
de 160 MW ; une réussite pour cette époque.
désormais des éléments clés de la transition énergétique vers les énergies renouvelables. Les progrès
Cette connexion a été remplacée en 1986 par
techniques récents dans les systèmes de câbles et
une liaison 270 kV DC de 2 000 MW appelée
les convertisseurs intéressent tout particulièrement
“HVDC Cross Channel - IFA 2000”. Depuis 2012,
les connexions de 400 à 700 kV, jusqu’à des puis-
une partie des anciens câbles souterrains à huile
sances de 3 GW.
fluide a été remplacée par des câbles extrudés à isolation synthétique.
C’est pourquoi, en plus des conférences Jicable qui se tiennent tous les quatre ans en étroite col-
En 2017, une nouvelle liaison à courant continu
laboration avec le CIGRE, un premier colloque
est en construction : “Eleclink” ; elle utilisera des
Jicable HVDC a été réalisé à Perpignan en 2013
câbles à isolation synthétique posés dans le tun-
pour traiter spécifiquement des systèmes à cou-
nel sous la Manche. Cette liaison de 1 000 MW
rant continu. Puis un atelier Jicable HVDC’16 a été
sera mise en service en 2020. Il convient de men-
organisé à Paris en 2016 ; il a permis de préparer
tionner aussi le projet d’interconnexion IFA2 de
le symposium 2017 Jicable HVDC’17 qui vient de
1 000 MW entre la France et l’Angleterre qui por-
rassembler près de 250 experts de 25 pays. Ce
tera à 4 000 MW la capacité totale d’échange en
symposium a notamment traité :
2020. La liaison IFA2 est constituée de deux câbles
s DES INNOVATIONS CONCERNANT LES MATÏRIAUX ET LES
320 kV DC à isolation synthétique et de convertis-
systèmes haute tension de pointe ; s DE LA COORDINATION ENTRE LES SYSTÒMES DE CÊBLES et les convertisseurs ; s DE LA lABILITÏ DES LIAISONS TERRESTRES ET MARITIMES
seurs de technologie VSC. Elle relie par un tracé de 200 km en sous-marin et de 25 km sur terre deux postes 400 kV, l’un près de Caen en Normandie et l’autre près de Southampton en Angleterre.
longue distance ; des problèmes d’installation et de maintenance.
Avant d’en venir aux articles rassemblés dans ce dossier, nous voudrions souligner quelques conclu-
Une table ronde a permis aux exploitants de présenter leurs retours d’expérience sur les défauts
sions qui se sont dégagées du symposium Jicable HVDC’17 :
REE N°1/2018 Z 83
LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
s technologies extrudĂŠes : les travaux se pour-
ĂŠvaluer la faisabilitĂŠ de tensions encore plus ĂŠle-
suivent sur de nouveaux matĂŠriaux, maĂŽtrise
vĂŠes, ouvrant la voie vers une nouvelle gĂŠnĂŠration
nÊcessaire de la conduction, de l’Êvolution des
de systèmes d’isolation des câbles.
charges d’espace et des interfaces avec les accessoires ; s d de nouveaux systèmes tè d de câbles âbl à d des ttensions de 400 à 640 kV DC sont en cours de qua-
Surge and extended overvoltage testing of HVDC cable systems Cette communication prÊsente un point d’avancement des travaux du groupe CIGRE JWG B4/B1/
liďŹ cation ; s coordination d’isolement : de nouveaux phĂŠ-
C4.73, qui ĂŠtudie les essais de choc et de surtension
nomènes transitoires sont liÊs aux nouvelles
de longue durÊe des systèmes de câbles HVDC :
technologies de convertisseurs. Quelle stratĂŠgie
s APERÂĽU HISTORIQUE DE L Ă?TAT DE NORMALISATION DES
d’Êlimination des dĂŠfauts ? Quels essais de qualiďŹ cation ?
systèmes de câbles HVDC ; s R�CAPITULATIF DES RETOURS D EXP�RIENCE
s ďŹ abilitĂŠ et disponibilitĂŠ des liaisons HVDC de
s RĂ?SULTATS PRĂ?LIMINAIRES DE SIMULATIONS
grande longueur. Les exploitants de rĂŠseaux s’interrogent sur les actions Ă mettre en place : essais de conformitĂŠ ; essais de routine : Ă quelle frĂŠquence ? ContrĂ´les de production et d’installation, etc. Des rĂŠalisations innovantes en termes d’installation de câbles sous-marins HVDC, notamment en milieux hostiles, ont ĂŠtĂŠ ĂŠvoquĂŠes. De nombreux retours d’expĂŠrience sur des dĂŠfauts ainsi que sur les mĂŠthodes pour les localiser et les rĂŠparer efďŹ cacement ont ĂŠtĂŠ partagĂŠs. Cinq communications ont ĂŠtĂŠ sĂŠlectionnĂŠes pour le prĂŠsent dossier :
Challenges and opportunities with interfaces and materials for HVDC cable systems Cet article rappelle les progrès rÊalisÊs sur les systèmes d isolation extrudÊs, d’isolation extrudÊs qui ont notamment permis une spectaculaire augmentation des niveaux de tension (jusqu’à 640 kV). Il dÊcrit ensuite une mÊthode par simulation pour
84 Z REE N°1/2018
Reliability on existing HVDC links feedback
Lucien Deschamps a ĂŠtĂŠ conseiller scientiďŹ que Ă ElectricitĂŠ de France. Ses travaux ont portĂŠ sur les matĂŠriaux pour l’Êlectrotechnique, les câbles de transport d’Ênergie, les ĂŠnergies nouvelles et la prospective technologique. Il a ĂŠgalement travaillĂŠ sur l’ÊnergĂŠtique spatiale et le concept de centrale solaire spatiale. Lucien Deschamps a crĂŠĂŠ et organisĂŠ de nombreux ĂŠvĂŠnements internationaux dont les congrès Jicable, Espace, Mer, Agriculture, Énergie, Foudre... Il est aujourd’hui prĂŠsident de l’association Grands projets 21, AGP 21, et prĂŠsident de la commission Astronautique de l’AĂŠro-club de France. Paul Penserini a rejoint EDF R&D en 1990, après une agrĂŠgation en gĂŠnie civil et une thèse en calcul des structures. Ses travaux ont portĂŠ sur l’Êvolution des matĂŠriels de rĂŠseaux ĂŠlectriques de distri-i bution et de transport par l’intĂŠgration de nouvelles technologies. Il a dirigĂŠ les laboratoires d’Êtudes et d’essais ĂŠlectriques d’EDF aux Renardières jusqu’en 2007. A RTE, il a dirigĂŠ le dĂŠpartement d’expertise et de recherche dans le domaine des liaisons de puissance et Ă ďŹ bres optiques. Il est actuellement en charge d’une mission de coordination des activitĂŠs de gestion des actifs de RTE. Paul Penserini est membre ĂŠmĂŠrite de la SEE.
Cette communication prĂŠsente les travaux d’un groupe crĂŠĂŠ au sein d’ENTSO-E Ă la demande des GRT europĂŠens, ayant pour objectif d’amĂŠliorer la ďŹ abilitĂŠ et la disponibilitĂŠ des systèmes HVDC. Elle ĂŠvalue les solutions permettant de rĂŠduire la frĂŠquence et la durĂŠe des dĂŠclenchements de liaisons, qui sont des ĂŠvĂŠnements graves nĂŠcessitant la mise en Ĺ“uvre de moyens très lourds.
Asset management of submarine cables and lessons learned from a repair Cette communication traite de l’amĂŠlioration de la ďŹ abilitĂŠ de câbles sous-marins. On y dĂŠcrit et on y discute, du point de vue d’un GRT, les politiques de gestion des actifs y compris la maintenance prĂŠventive, prĂŠventive la prĂŠparation des chantiers de rĂŠparation et la gestion des pièces de rechange. Celle-ci s’appuie notamment sur les enseignements tirĂŠs par RTE
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
des réparations des câbles sous-marins HTCC de
localisation des défauts sur les liaisons terrestres
l’interconnexion IFA2000 (FR-UK) durant l’hiver
et sous-marines (CA et CC). Il présente des recom-
2016-2017.
mandations sur la mise en œuvre des différentes techniques disponibles. Q
Fault Location on Land and Submarine Links (AC & DC) Cet article est issu des travaux entrepris par le groupe de travail B1.52 du CIGRE sur le sujet de la
Figure 1 : Liaisons existantes et en projet entre le Royaume Uni et le continent. en projet existantes
LES ARTICLES
Challenges and opportunities with interfaces and materials for HVDC cable systems Gian Carlo Montanari, University of Bologna (Italie), Alun S. Vaughan, University of Southampton (UK), Peter Morshuis, Solid Dielectric Solutions (Pays-Bas), Gary C. Stevens, Gnosys Global (UK) .............................................................................................................. p. 86 Surge and extended overvoltage testing of HVDC cable systems Markus Saltzer, ABB Switzerland Ltd. (Suisse), Minh Nguyen-Tuan, SuperGrid Institute (France), Alessandro Crippa, CESI S.p.A. (Italie), Simon Wenig, Max Goertz, Karlsruhe Institute of Technology (Allemagne) & Hani Saad, RTE (France) ........................................................................... p. 94 Reliability on existing HVDC links feedback Patrik Lindblad, ENTSO-E Task Force HVDC Reliability (Finlande) .................................................... p. 102 Asset management of submarine cables and lessons learned from a repair Jean Charvet, RTE (France) .................................................................................................................................. p. 109 Fault Location on Land and Submarine Links (AC & DC) Robert Donaghy, ESB International (Irlande) ............................................................................................. p. 114
REE N°1/2018 Z 85
DOSSIER 2
JICABLE HVDC'17
Challenges and opportunities with interfaces and materials for HVDC cable systems Gian Carlo Montanari; University of Bologna, (Italy), giancarlo.montanari@unibo.it Alun S. Vaughan; University of Southampton, (UK), asv@ecs.soton.ac.uk Peter Morshuis, Solid Dielectric Solutions, (The Netherlands), peter.morshuis@dielectrics.nl Gary C. Stevens, Gnosys Global, (UK), g.stevens@gnosysgroup.com HVDC cable technologies will play a critical part in integrating renewable generation sources into the electrical power systems of the future. Here, we first consider how HVDC cables have evolved to the present time, with reference to the adoption of extruded insulation systems. In particular, we discuss the advances by which recently reported dramatic increases in rated voltage (up to 640 kV) have come about. We then describe a simulation approach for assessing the feasibility of developing cable systems for use at even higher voltages; this suggests that existing insulation materials may be approaching their performance limit, when both the internal electric field and thermal factors associated with heat dissipation in the conductor are jointly considered. Finally, some potential next-generation cable insulation systems are described, which address the performance gaps identified in the simulation.
ABSTRACT
KEYWORDS : Materials design; crosslinked polyethylene; numerical simulation; thermoplastic insulation.
introduction
circumstances, such a solution is impractical where connections
It is now widely accepted that the combustion of fossil
involve crossing the sea or where the perceived environmental
fuels results in changes in atmospheric chemistry that are
impact of overhead lines is unacceptable. This problem is
having an increasing impact on the climate of our planet.
well illustrated in Germany, where low public acceptance
Nevertheless, the demand from both developed and
of overhead power lines means that the Südlink project will
developing economies for energy continues to grow, with
require the installation of a 700 km, 500 kV underground
the U.S. Energy Information Administration’s International
HVDC link from the northern seaboard to demand centers
Energy Outlook 2016 (IEO2016) reference case projecting
in the center and south of the country, in order to integrate
that global generation of electricity will increase from
offshore wind generation. Indeed, in total, TransnetBW
2.2x1013 kWh in 2012 to 3.7x1013 kWh in 2040 [1]. While
GmbH has estimated that Germany will require new HVDC
fossil fuels will, for the foreseeable future, continue to make
transmission corridors with a total length of between 2600
a major contribution to meeting this demand, the role played
and 3100 km and with a total transmission capacity 12 GW
by renewable sources will grow, which will require electrical
[2]. While many HVDC subsea systems have been installed
power systems to evolve to accommodate them.
successfully, such underground systems on land pose many
Increased reliance on renewable sources of electricity generation will, for a number of reasons, require the adoption of new power transmission technologies. First, renewable generation will in general need to be located at sites that are
challenges, many of which relate to the design of the cable and the choice of the insulation system.
Evolution of HVDC cables
remote from major centers of demand (e.g. off-shore wind
Many different HVDC cable technologies have been
farms; hydro-generation in mountainous areas). Second, many
developed in preceding decades and have been successfully
renewable sources of generation (e.g. wind and solar) are
deployed around the world. Although the majority of well-
intrinsically intermittent, which will lead to the interconnection
established HVDC cable systems currently in service are
of national power systems to form international supergrids,
based on paper/oil or mass impregnated insulation systems,
whereby massive power flows over long distances will
the complexity of manufacture, weight and limited operating
become, increasingly, the norm. High voltage direct current
temperature of such systems are contributory factors in
(HVDC) transmission will be essential in facilitating this and,
driving the current interest in HVDC cables based upon
while overhead lines have much to recommend them in many
extruded polymeric insulation.
86 Z REE N°1/2018
Challenges and opportunities with interfaces and materials for HVDC cable systems
Table 1: Extruded DC (HVDC Light) cable systems from ABB submarine and land based installed cables [km] and country and year of installation (adapted from [3]). It is generally acknowledged that the world's first HVDC transmission system using cable designs based on
properties, with ABB highlighting high breakdown strength and very low DC conductivity as being key characteristics.
extruded polymeric insulation (crosslinked polyethylene – XLPE) was used to connect the Swedish island of Gotland
Space Charge and Impurities
(50 MW; 80 kV; 70 km) in 1999. Incremental advances
XLPE has been widely used for many decades as the
in the following years led to incremental increases in both
insulation in high voltage cables, because of the thermo-
the rating and operating voltage of such systems. Table 1
mechanical benefits that result from crosslinking. Crosslinking of
illustrates this progressive evolution in terms of ABB’s HVDC
low density polyethylene (LDPE) with dicumyl peroxide (DCP)
Light technology [3]. However, recent years have witnessed a
has been studied for many years [5], as having the impact to
remarkable acceleration in the development of such systems,
retain crosslinking by-products on key electrical characteristics.
with companies such as ABB, and latterly NKT, reporting
For example, Hirai et al. [6] considered the impact of a number
major advances in HVDC XLPE technology. In 2014, ABB
of DCP decomposition products on charge transport dynamics
reported on a new 525 kV HVDC extruded cable system
in PE and concluded that cumylalcohol acts as a trap for charge
with a power rating range of up to 2.6 GW for use in both
carriers while acetophenone and _-methylstyrene act to assist
subsea and underground applications [3]. In 2017, the same
carrier transport. Conversely, a complementary theoretical
basic material technology was used by NKT to produce a
study of the effect of such impurities on charge trapping in
640 kV XLPE-insulated HVDC cable which, NKT indicates,
PE suggested that _-methylstyrene should be most strongly
differs from its 525 kV ABB predecessor only in terms of
related to trapping phenomena. While the detailed results of
design optimization, process parameters and through the
such studies may differ, the key conclusion is nevertheless
implementation of more sophisticated quality assurance
equivalent: retention of the small molecular by-products of
measures [4].
DCP decomposition will affect space charge formation which,
From materials to cables
in turn, must increase the local field and thereby reduce service life.
The radical advances in XLPE-insulated HVDC cable
While the crosslinking process itself is a source of impurities,
designs introduced above that have emerged in recent years
it is not alone in this regard and a number of studies have
are based upon novel material systems, which include both
considered the influence that changes in semicon formulation
insulation and complementary semiconducting (semicon)
exert on electrical characteristics of the neighboring insulation.
screen systems. As such, it is worth posing the question: what
In 2010, Nilsson and Boström [7] described an important
is innovative about these systems that has led to such rapid
study of the influence of semicon formulation on space charge
progress? A key factor appears to be Borealis’ development of
accumulation. Specifically, this work involved formulations that
their BorlinkTM materials, which are described as exhibiting an
differed with respect to both the base polymer used and the
optimized combination of chemical, mechanical and electrical
cleanliness of the carbon black. Elemental analysis indicated
REE N°1/2018 Z 87
GROS PLAN SUR
Protection des donnÊes personnelles : Jean-Pierre Quemard PrÊsident de l’Alliance pour la confiance numÊrique (ACN)
le complĂŠment indispensable Ă l’acceptation par le citoyen des nouvelles technologies numĂŠriques, c’est la notion de “Privacy by Designâ€?. En effet, la protection des donnĂŠes personnelles se conçoit comme un ĂŠlĂŠment particulièrement
Confiance numĂŠrique et protection des donnĂŠes personnelles : une dĂŠmarche by design
important de la conďŹ ance numĂŠrique, en tant que sentiment ressenti par les utilisateurs du numĂŠrique, mais aussi en tant que facteur structurant d’un secteur ĂŠconomique homogène et moderne.
La sĂŠcuritĂŠ et la conďŹ ance numĂŠrique sont des sujets dont
C’est pourquoi l’ACN (Alliance pour la conďŹ ance numĂŠ-
l’apprÊhension est particulièrement dÊlicate tant ils sont Êtroite-
rique) a entrepris de fĂŠdĂŠrer largement autour de son action
ment imbriquÊs avec l’ensemble des dÊveloppements induits
l’ensemble des acteurs du domaine de la conďŹ ance et de
par la transformation numĂŠrique. Dans tous les domaines, les
la sĂŠcuritĂŠ numĂŠrique (grands groupes, ETI, PME, labora-
outils et techniques de la conďŹ ance numĂŠrique doivent impĂŠ-
toires, ...). En effet, au-delĂ des questions de structures, il
rativement être pris en compte dès la conception c’est la no-
s’agit dĂŠsormais de dĂŠďŹ nir ensemble une ambition commune
tion de “Security by Designâ€?. La sĂŠcuritĂŠ de l’ensemble repose
pour notre industrie. Dans le domaine de la cybersĂŠcuritĂŠ
en premier lieu sur l’assurance de pouvoir compter sur des
par exemple, notre ambition est de parvenir Ă hisser notre
identitĂŠs numĂŠriques ďŹ ables. En ce sens, le sujet de l’iden-
pays parmi les trois ou quatre leaders mondiaux du secteur,
titĂŠ numĂŠrique constitue le cĹ“ur de la conďŹ ance numĂŠrique
en crÊant les conditions propices à l’Êpanouissement et au
car c’est le point de dÊpart indispensable de toute dÊmarche
dĂŠveloppement de nos entreprises.
de sĂŠcurisation. Nos industries apportent sur chacun de ces
Cette ambition passe ĂŠgalement par un ĂŠchange renforcĂŠ
sujets des rĂŠponses adaptĂŠes Ă travers les produits, services et
entre les offreurs de solutions de conďŹ ance numĂŠrique et
solutions dÊveloppÊes par un Êcosystème performant d’entre-
les intĂŠgrateurs de ces solutions dans leurs propres solu-
prises et de laboratoires de toutes tailles. La France dispose
tions smart (smart industrie, smart building, smart health,
d’une excellence reconnue au niveau international dans ce
smart mobility, smart city‌). En effet, les technologies de
domaine et cela constitue un atout majeur pour l’Êconomie de
sĂŠcuritĂŠ et de conďŹ ance de pointe dĂŠveloppĂŠes par les uns
notre pays mais ĂŠgalement pour garantir sa souverainetĂŠ en
doivent se nourrir des exigences mĂŠtier des autres pour
constituant Êgalement le socle pour la mise en œuvre d’une
ĂŞtre parfaitement adaptĂŠes aux besoins sociĂŠtaux forts, qui
politique europĂŠenne ambitieuse.
sont autant de marchÊs mondiaux en très forte croissance
Au-delĂ de cette rĂŠponse opĂŠrationnelle, les dĂŠďŹ s aux-
à deux chiffres. L’ensemble de ces solutions doit permettre
quels sont confrontĂŠes collectivement nos entreprises sont
de mieux sÊcuriser les ux numÊriques, parmi lesquels les
ĂŠgalement lĂŠgislatifs et rĂŠglementaires. Les initiatives dans ce
donnÊes personnelles doivent faire l’objet d’une attention
domaine sont foisonnantes, tant en France qu’en Europe, et il
particulière. La FIEEC (FÊdÊration des industries Êlectriques,
est capital que le secteur structure et organise sa reprĂŠsenta-
ĂŠlectroniques et de communication) rĂŠunit ces diffĂŠrentes
tion institutionnelle pour que nos messages soient entendus.
catÊgories d’acteurs et est donc pour nous le creuset perti-
De mĂŞme la prise en compte des libertĂŠs individuelles est
nent et incontournable pour dĂŠvelopper ces actions.
La numĂŠrisation croissante de l’ensemble des activitĂŠs de notre sociĂŠtĂŠ bouleverse les paradigmes ĂŠtablis et impose un besoin accru de protection et de conďŹ ance. Cette conďŹ ance repose sur deux piliers, intrinsèquement liĂŠs, que sont la protection des donnĂŠes personnelles et la sĂŠcuritĂŠ numĂŠrique. Conscients de l’enjeu, les lĂŠgislateurs français et europĂŠens tentent d’Êlaborer un cadre juridique dont l’ambition est Ă la fois pĂŠdagogique et coercitive, aďŹ n d’orienter le comportement des utilisateurs. C’est notamment la vocation du projet de règlement sur les donnĂŠes personnelles. L’Alliance pour la ConďŹ ance NumĂŠrique (ACN) salue cette ambition et considère qu’une meilleure comprĂŠhension, notamment par les entreprises, de la valeur des donnĂŠes et de la nĂŠcessitĂŠ de les protĂŠger est un premier pas vers une dĂŠmarche plus globale mais tout aussi nĂŠcessaire de sĂŠcuritĂŠ numĂŠrique. Toutefois, l’ACN souligne que les diverses rĂŠglementations existantes ou en projet doivent impĂŠrativement ĂŞtre apprĂŠhendĂŠes de manière holistique et faire preuve d’une cohĂŠrence irrĂŠprochable, au risque, sinon, de crĂŠer un ĂŠdiďŹ ce rĂŠglementaire illisible et contreproductif. RÉSUMÉ
120 Z REE N°1/2018
Protection des données personnelles : un premier pas vers la confiance numérique
Nous avons désormais toutes les cartes en main pour
permettra une harmonisation de la législation européenne,
mettre nos atouts nombreux au service d’une ambition forte.
est double : redonner aux citoyens le contrôle de leurs don-
Nos entreprises et notre pays ont un rôle de premier plan
nées personnelles et simplifier l’environnement règlemen-
à jouer dans le domaine de la confiance et de la sécurité
taire des entreprises et des organismes.
numérique. L’action collective et une structuration forte du secteur seront la clé de nos succès futurs.
Un cadre réglementaire en cours de définition
En revanche, beaucoup d’entreprises, dont notamment les plus petites, s’inquiètent vivement des contraintes nées de ce règlement. Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL qui s’exprimait à l’occasion des 40 ans de son institution le 25 janvier 2018, se voulait rassurante : « Il y a un phénomène
Conscient du besoin fondamental de protection et de
de rattrapage à l’occasion de ce règlement européen. Au-
confiance vis-à-vis du numérique, qui est désormais au
jourd’hui, beaucoup d’entreprises réalisent qu’elles ne sont
cœur de toutes les activités des citoyens, des entreprises, et
même pas conformes à la loi Informatique et Libertés de
des administrations, les législateurs, français et européens,
1978. Les niveaux de sanction du RGPD font qu’elles se dis-
s’efforcent d’adapter le cadre légal et réglementaire à ce
ent : mon Dieu, il faut que je prenne de vraies mesures pour
nouveau paradigme. En matière de confiance et de sécurité
traiter de la question des données personnelles ! Ce que je
numérique, les réglementations proposées par le législateur
leur dis est qu’il n’y aura pas un couperet le 25 mai 2018. En
affichent souvent une ambition pédagogique autant que
réalité, on mise sur une stratégie d’accompagnement de ces
coercitive.
acteurs pour faire en sorte que ces entreprises comprennent
Le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) s’inscrit dans ce contexte avec l’idée
les nouvelles obligations, les nouveaux outils qu’elles doivent déployer ».
d’amener l’ensemble des utilisateurs du numérique à s’interr
Le règlement européen s’articule autour de plusieurs axes,
roger, au-delà des obligations formulées par le texte, sur la
dont voici les points principaux :
nécessité pour tous les utilisateurs de prendre en compte la
s Le consentement : Les entreprises devront permettre aux s Le
donnée en tant que telle, de comprendre son cheminement
citoyens d’accéder à un réel contrôle de leurs données
dans les réseaux, son stockage, et la nécessité de la protéger
privées. Le texte, prévoit que « le traitement de données
et de rendre compte de son utilisation lorsque celle-ci est
à caractère personnel n’est licite que si (…) la personne
considérée comme personnelle. Dans ce domaine, et sans
concernée a consenti au traitement de ses données à
entrer dans des débats philosophiques d’actualité, notamment sur la propriété des données, la conscience même de
caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques1 »
l’existence de ces données est une première étape imporr
s Un accès aux données simplifié et un droit d’effacement : Les responsables du traitement devront offrir une
tante pour tous les utilisateurs du numérique. Depuis 1995, la protection des données personnelles au
plus grande transparence concernant le traitement des
sein de l’Union européenne est régie par la directive 95/46/
données personnelles récoltées. Par ailleurs, les citoyens
CE, qui prévoit la protection des personnes physiques à
seront en droit de demander au responsable du traitement,
l’égard du traitement des données à caractère personnel
l’effacement pur et simple de leurs données personnelles2.
et à la libre circulation de celles-ci. Cette directive, devenue
s Droit s Droit à la portabilité : C’est un droit nouveau qui permet
caduque aujourd’hui, à l’heure du « tout numérique », a été
à une personne de récupérer assez facilement les données
abrogée puis remplacée par le RGPD. En effet, il paraissait
qu’elle a préalablement fournies et de les transférer d’un
primordial de mettre à jour cette ancienne législation, aux
service à l’autre.
vues de l’utilisation de plus en plus fréquente des données
Un des objectifs de ce texte est de rééquilibrer le rapport
via notamment les nouveaux modèles économiques comme
de force, aujourd’hui défavorable, entre le citoyen et le res-
l’open data ou les différents objets connectés.
ponsable de traitement, quel qu’il soit.
En 2012 déjà, la Commission européenne avait proposé
s Harmonisation des règles : L’application directe et obligas Harmonisation
de réformer les textes existants en matière de protection
toire de la directive dans l’ensemble de l’Union européenne,
des données au sein de l’Union européenne, mais ce n’est
et également applicable aux autres entreprises offrant leurs
qu’après plusieurs années que le nouveau texte fut publié au
services en ligne dans l’Union3, atténuera la concurrence
journal officiel de l’Union européenne, le 4 mai 2016. Ce règlement sera directement applicable et obligatoire dans tous les Etats membres, le 25 mai 2018. L’objectif de ce texte, qui
1
Article 6 Article 17 3 Article 3 2
REE N°1/2018 Z 121
Le paradoxe de Fermi : oĂš sont les extra-terrestres ?
L
e lecteur attentif de la REE aura lu dans la rubrique Vient de paraĂŽtre du numĂŠro 2017-5 la notice concernant l’ouvrage collectif OĂš sont-ils ? Les extraterrestres et le paradoxe de Fermi1. Après avoir dĂŠcidĂŠ d’approfondir le sujet, la rĂŠdaction de la REE s’est demandĂŠ oĂš insĂŠrer le prĂŠsent article. Une ActualitĂŠ ? Un Flash Info ? Finalement, pour ne pas paniquer le lecteur inutilement comme l’avait fait avec talent Orson Welles dans son programme radio sur la Guerre des mondes, il ĂŠtĂŠ dĂŠcidĂŠ d’en faire une chronique, ce qui laisse tout loisir de revenir sur le sujet, notamment si d’aventure on venait Ă signaler l’arrivĂŠe d’extraterrestres dans les faubourgs de la Terre‌ Fermi a ĂŠtĂŠ l’un des maĂŽtres de la physique du XXe siècle. Sans dĂŠcrire les principales contributions du père de la première rĂŠaction nuclĂŠaire en chaĂŽne, rappelons que la communautĂŠ scientiďŹ que lui a rendu hommage, au-delĂ du prix Nobel, en donnant son nom aux fermions, qui composent, avec les bosons, la totalitĂŠ des particules ĂŠlĂŠmentaires observĂŠes dans l’Univers, et celui de Fermi Ă une unitĂŠ de longueur correspondant au rayon du noyau nuclĂŠaire et dont la dĂŠnomination moderne est le femtomètre . Il ĂŠtait aussi connu pour son goĂťt du calcul en ordres de grandeur pour les problèmes les plus divers, aimant surprendre et dĂŠďŹ er ses amis. Ainsi, par exemple, pour estimer le nombre d’accordeurs de pianos Ă Chicago. Sur un plan moins ludique, il estima la puissance du premier test d’une bombe atomique en mesurant la distance parcourue par des morceaux de papier qu’il ďŹ t tomber de sa main durant une explosion. Sa mĂŠthode s’avĂŠra efďŹ cace, l’estimant Ă 10 kilotonnes de TNT pour 20 en rĂŠalitĂŠ.
1
ÂŤ OĂš sont-ils ? Les extraterrestres et le paradoxe de Fermi Âť, M. Agelou, G. Chardin, J. Duprat, A. Delaigue, R. Lehoucq. CNRS Editions 2017
124 Z REE N°1/2018
Source Atomic Heritage (https://www.atomicheritage.org/proďŹ le/enrico-fermi)
CHRONIQUE
Le paradoxe qui porte son nom correspond Ă un tel calcul. Il l’exposa lors d’un repas avec des collègues (dont le père de la bombe H, Edward Teller) Ă la cantine du centre de recherche de Los Alamos en 1950. Combien de civilisations extraterrestres auraient-elles dĂť nous ĂŞtre apparues ? Il est important de souligner que l’on n’Êvoque ici pas nĂŠcessairement la visite de nos amis ET, comme dans le ďŹ lm de Steven Spielberg, mais l’existence de signaux de vie extraterrestres, y compris par ondes ĂŠlectromagnĂŠtiques. Fermi estima le nombre d’Êtoiles de notre galaxie, puis successivement le pourcentage d’entre elles ayant un système planĂŠtaire, la probabilitĂŠ qu’une de ces planètes puisse accueillir de la vie, la probabilitĂŠ d’avoir une civilisation intelligente, puis le nombre de telles civilisations ayant des moyens technologiques et une volontĂŠ d’exploration. Ce dernier point n’Êtant pas neutre, car il peut ĂŞtre prudent, comme dit l’adage, de vivre cachĂŠ. La valeur Ă laquelle Fermi arriva n’a pas ĂŠtĂŠ consignĂŠe, mais le nombre obtenu Ă l’issue du calcul ĂŠtait important. Comment expliquer alors qu’aucune civilisation extraterrestre n’ait ĂŠtĂŠ jusqu’à ce jour dĂŠtectĂŠe ? Tel est le fameux paradoxe. A partir de ces considĂŠrations, l’astronome Frank Drake ĂŠtablit en 1961 une formule pour estimer le nombre N de civilisations intelligentes dĂŠtectables Ă un moment donnĂŠ dans notre galaxie. La formule de Drake prend l’expression suivante : N = R x fp x ne x fl x fi x fc x L oĂš s 2 EST LE NOMBRE D Ă?TOILES DE NOTRE GALAXIE s Fp EST LA FRACTION DE CES Ă?TOILES AVEC UN SYSTĂ’ME PLANĂ?TAIRE s Ne est la fraction de ces planètes susceptibles d’accueillir LA VIE
CHRONIQUE
200 ans rapportĂŠs Ă 3,5 milliards d’annĂŠes de vie sur Terre, cela reprĂŠsente une fenĂŞtre de tir bien faible pour que les Terriens eux-mĂŞmes s’essayent Ă ĂŠmettre des signaux pour signaler leur prĂŠsence au reste de l’univers ! EnďŹ n le dernier terme L qui reprĂŠsente la durĂŠe de vie en annĂŠes durant laquelle une civilisation est capable de communiquer Ă travers l’Univers est sans doute le ďŹ ltre le plus sĂŠvère expliquant le paradoxe de Fermi. Si dans ses premières estimations, Drake l’Êvaluait Ă 10 000 ans, ce nombre est bien supĂŠrieur aux durĂŠes des civilisations terrestres connues qui nous ont prĂŠcĂŠdĂŠes. Et vu que homo sapiens a connu seulement 200 ans durant lesquels il pouvait ĂŠmettre des signes de vie dĂŠtectables, certains chercheurs estiment que 500 ans est une valeur moyenne raisonnable. D’ailleurs, concernant l’effondrement d’une civilisation, un calcul aussi simple que stupĂŠďŹ ant et glaçant est donnĂŠ par un des auteurs de l’ouvrage. Avec une croissance annuelle de 2 %, il nous faudrait 5 000 ans pour consommer la totalitĂŠ de la matière de l’univers observable ! Ces ĂŠlĂŠments expliqueraient ainsi l’absence ou la raretĂŠ de civilisations en mesure de communiquer avec la nĂ´tre. Ceci ĂŠtant, cela soulève des questions presque philosophiques : quel orgueil que de penser, comme tant d’autres sur Terre l’ont dĂŠjĂ fait, que notre vie intelligente est unique dans l’Univers. D’autres thĂŠories sont aussi avancĂŠes, comme celle de la panspermie. Selon elle, la vie sur Terre aurait ĂŠtĂŠ apportĂŠe par des comètes depuis d’autres planètes et d’autres ĂŠtoiles. Des initiatives et programmes scientiďŹ ques variĂŠs, dont le SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), fondĂŠ par Frank Drake lui-mĂŞme, ont ĂŠtĂŠ lancĂŠs et se poursuivent Ă la recherche d’une vie extraterrestre. La modestie s’impose donc avant des conclusions dĂŠďŹ nitives. Les ĂŠlĂŠments qui s’offrent Ă notre analyse offrent cependant une explication sur l’absence de nos amis (ou pas‌) les extraterrestres, malgrĂŠ toute la fascination qu’ils exercent sur nous. Si l’on ĂŠtait dans la dĂŠmonstration d’une ĂŠquation, l’on serait tentĂŠ de terminer par CQFD. Si tel n’Êtait pas le cas, et que des preuves de leur existence voyaient le jour, la REE ne manquerait pas d’en informer immĂŠdiatement ses lecteurs‌ Q Source : Wikipedia en anglais : AfďŹ che du ďŹ lm ET de Steven Spielberg
s Fl est la fraction de ces planètes habitables qui ont vu la VIE SE DĂ?VELOPPER s Fi EST LA FRACTION DE CES PLANĂ’TES AVEC VIE i INTELLIGENTE w s Fc est la fraction de celles ĂŠmettant des signaux sur de LONGUES DISTANCES s , EST LA DURĂ?E MOYENNE D UNE CIVILISATION CAPABLE DE communiquer Ă travers l’univers. Comme le souligne l’ouvrage, chacun des termes de cette expression – qui n’est pas une ĂŠquation au sens formel – reprĂŠsente des degrĂŠs de complexitĂŠ bien diffĂŠrents et surtout relève de domaines diffĂŠrents. R, le nombre d’Êtoiles de la Voie lactĂŠe, est aujourd’hui estimĂŠ Ă quelque 240 milliards. Après les observations des premières exoplanètes dans les annĂŠes 1990, fp peut ĂŞtre dĂŠsormais estimĂŠ Ă 1, soit une moyenne d’une par ĂŠtoile. La part des planètes pouvant accueillir la vie, ne, est moins connue, mais sa valeur devrait ĂŞtre sufďŹ samment ĂŠlevĂŠe pour considĂŠrer qu’il n’est pas nul, et donc ce n’est pas la raison expliquant la non dĂŠtection d’extraterrestres. La fraction de ces planètes habitables, fl, est mal connue, mais une estimation plausible serait de l’ordre de l’unitĂŠ. Les quatre premiers termes de la formule de Drake sont donc non-nuls. Penchons-nous sur les trois derniers termes. Pour de nombreux chercheurs, une des principales raisons de l’absence de signaux de vie extra-terrestres serait que la fraction fi des planètes avec une vie intelligente serait nulle. En effet les conditions pour rĂŠunir une intelligence telle que la nĂ´tre sont exceptionnelles Ă rĂŠunir. Des chercheurs prĂŠtendent l’avoir dĂŠmontrĂŠ. Il s’agit au passage d’une conclusion qui dĂŠtonne, eu ĂŠgard Ă notre dĂŠtachement au cours des prĂŠcĂŠdents siècles d’une vision anthropocentrique de l’Univers. Comment accepter que nous soyons la seule espèce dans l’histoire de la galaxie Ă avoir connu un tel niveau d’intelligence ? Le sixième terme, fc, dĂŠsigne la part des planètes avec un haut niveau technologique, capable d’Êmettre des signaux ou d’envoyer des objets dans l’espace. En analysant le cas de la terre et ses quelque 4,5 milliards d’annĂŠes, la vie y est apparue il y a 3,5 milliards d’annĂŠes, les dinosaures il y a 250 millions d’annĂŠes puis ont disparu après 160 millions d’annĂŠes, et durant leur existence, les dinosaures n’ont guère fait preuve d’intelligence technologique. Homo sapiens est apparu il y a 300 000 ans, mais la technologie nĂŠcessaire Ă la production de signaux pouvant voyager dans l’espace n’est apparue qu’il y a deux siècles.
Bruno Meyer
REE N°1/2018 Z 125
❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱ RETOUR SUR
Les femmes et la science Marc Leconte Membre émérite de la SEE
de science remarquables, de l’Antiquité à nos jours, avant de nous intéresser à l’évolution fondamentale de l’éducation intervenue à la fin du XIXe siècle.
Depuis les débuts de l’histoire humaine, les femmes ont eu trop souvent un rôle social secondaire. En effet, dans la littérature anthropologique, elles ont été long-
La scientifique de l’Antiquité tardive : Hypatie (370-415)
temps confinées à la maternité et aux activités domes-
Fille du philosophe Théon, conservateur du musée
tiques. L’influence des religions a souvent accentué
d’Alexandrie, Hypatie est reconnue comme la pre-
cet effacement. L’histoire politique, de l’Antiquité à nos
mière femme de science. Son père assure lui-même
jours, a cependant gardé quelques noms de femmes
son éducation et elle se montre d’une grande intel-
influentes sinon dirigeantes qui ont pu exercer une ac-
ligence. Après un séjour à Athènes pour compléter
tion remarquable lié à un contexte particulier. De tout
sa formation philosophique, elle revient à Alexandrie
temps, certaines ont également exercé leurs talents de
et écrit plusieurs ouvrages d’astronomie et construit
conseillères, inspiratrices de philosophes, artistes ou
plusieurs appareils scientifiques dont un astrolabe.
savants mais généralement bridées dans leurs activi-
Elle devient célèbre et donne des cours et beaucoup
tés, reléguées dans l’ombre des hommes et exclues
viennent de loin pour l’écouter. Tout cela finira mal
des milieux intellectuels et politiques.
en vertu de ce que nous avons exposé plus haut.
Cet ostracisme a été longtemps alimenté par les
L’évêque local entrera en conflit avec le préfet païen et
intellectuels et philosophes. Aristote indiquait par
sa conseillère Hypatie sera horriblement assassinée
exemple, que les femmes étaient des êtres infé-
par une bande de chrétiens fanatiques, meurtre qui
rieurs, sans logique ni intelligence. Cette opinion
demeurera impuni.
était généralement répandue et ne changea guère au Moyen Age et à la Renaissance. Quand les universités naissent en Europe, comme la Sorbonne en 1257, les
Le temps difficile des pionnières jusqu’au milieu du XIXe siècle
femmes en sont exclues. Celles qui acquièrent par
C’est d’abord Laura Bassi, qui enseigne la pre-
elles-mêmes quelques connaissances sont souvent
mière la physique à l’université de Bologne en Italie
pourchassées et traitées de sorcières.
en 1733 puis Emilie du Chatelet qui traduit en fran-
S’agissant du cas des femmes de science, il semble
çais les Principia de Newton en 1756 et puis encore
qu’elles étaient jadis très peu nombreuses et il est bien
Caroline Herschel, sœur de William, qui devint, dans
difficile de citer de nombreux exemples de femmes
les années 1820, la première astronome profession-
ayant marqué l’histoire des sciences. Les femmes pou-
nelle et reçut la médaille d’or de la Royal Astrono-
vaient tout au plus, avec de la chance, être proches
mical Society. En France, à la même époque, l’Aca-
d’un homme de science, père, frère ou mari (voir plus
démie des sciences récompense la mathématicienne
loin Ada Lovelace et Caroline Herschel) et c’est ainsi
Sophie Germain.
que, jusqu’au XVIIIe siècle, certaines femmes sont par-
Mais, selon les pays et les disciplines, il existe en
venues à laisser des travaux parfois importants. Mais
Europe des situations très différentes. Au début du
bien souvent, les femmes qui tentent l’aventure de
XIXe siècle, la science se professionnalise, la physique
la science sont moquées par les moralistes, comme
est encore la philosophie naturelle dont Newton a
Boileau qui raille Madame de la Sablière au XVII siècle,
écrit les principes mathématiques et en Angleterre
première femme à animer un salon scientifique, pré-
se développe une culture scientifique qui n’est pas
tendant qu’elle a ruiné son teint en suivant Jupiter avec
seulement académique mais qui touche la société
un astrolabe. Ces préjugés et clichés perdureront tout
sous la forme d’académies dissidentes. Les grandes
au long des siècles qui suivront.
universités, comme Cambridge ou Oxford, sont angli-
e
Faisant fi de ces difficultés et de ces préjugés,
canes, elles ne sont pas ouvertes à tout le monde et
nous allons cependant évoquer quelques femmes
diffusent un enseignement traditionnel fondé sur la
126 Z REE N°1/2018
Les femmes et la science
logique d’Aristote et la géométrie euclidienne. C’est une pé-
Ada Lovelace
riode particulière, marquée par la révolution industrielle (17801850) qui n’est pas suivie par les institutions universitaires et un risque de rupture apparaît entre le monde industriel et académique. Les mathématiciens dits algébristes, comme Babbage, auront à cœur de réconcilier les académiques et les ingénieurs. Mary Somerville et surtout Ada Lovelace vont exercer leurs facultés exceptionnelles au service des sciences et des techniques dans ces deux mondes.
Mary Somerville (1780-1872)
Illustration 2 : Ada Lovelace avec en arrière plan, le tableau algorithme qui décrit les opérations à effectuer par la machine analytique de Charles Babbage. La fille de Lord Byron et d’Annabelle Milbanke, une intellectuelle qui s’intéressait aux mathématiques, est née le 10 décembre 1815. Ada Byron fut élevée par sa mère qui s’était séparée de son père car elle ne voulait pas qu’elle suive son exemple déplorable à ses yeux. Elle donna à sa fille un enseignement très approfondi en sciences, ce qui était inhabituel pour une fille de la noblesse. En 1835, Ada épouse William Illustration 1 : Mary Somerville - Source newscientist.com
King qui devient trois ans plus tard comte de Lovelace. En
Fille d’un amiral écossais, Mary Somerville reste illettrée
1839, Ada, après trois grossesses difficiles, décida de se
jusqu’à l’âge de 10 ans car sa mère lui a simplement appris
consacrer aux mathématiques. Ada, qui a rencontré Charles
à lire mais pas à écrire. Un peu plus tard, elle lit un article sur
Babbage chez Mary Somerville en 1833, lui demanda un
l’algèbre et se découvre alors un intérêt pour les sciences.
tuteur en mathématiques qui sera Auguste de Morgan.
Elle apprend le latin en cachette pour pouvoir lire Euclide
Charles Babbage, considéré aujourd’hui comme le père
dont elle a entendu le nom. Ses connaissances se renforcent
des ordinateurs était un mathématicien formé à Cambridge
par la découverte des livres de son père sur la trigonomé-
également en quête d’innovations techniques et de machines
trie et l’astronomie. Sa famille s’inquiète pour sa santé et la
qui réduisaient les opérations humaines. Ces machines pou-
force à se marier avec un cousin, Samuel Grieg, capitaine de
vaient servir à automatiser des calculs pour la navigation et
marine russe misogyne qui aura le bon goût de décéder rapi-
l’astronomie. Ada, passionnée par les machines de Babbage,
dement en 1807 en laissant un héritage conséquent.
devint son amie et après son enseignement de l’algèbre par de
Mary épouse un autre cousin, William Somerville, qui,
Morgan, participa à son grand projet de « machine analytique ».
lui, reconnaît les grandes qualités de sa femme. Le couple
Au début du XIXe siècle, l’algèbre n’est pas une science, n’étant
s’installe à Londres et fait bientôt parti des milieux intellec-
pas construite de manière déductive comme la géométrie. Les
tuels de l’époque. Mary va traduire la mécanique céleste de
algébristes veulent lui donner une structure sans renoncer à
Pierre Simon Laplace, elle vérifie les calculs et ajoute des
l’expérience. La machine analytique de Babbage est la maté-
schémas explicatifs. Après quatre années de travail, l’ouvrage
rialisation de l’analyse algébrique dans son ensemble.
est publié et connaît un immense succès. Mary a rédigé une
Ada commença à travailler sur la machine analytique par
préface remarquable qui sera éditée séparément et inspi-
l’intermédiaire de Charles Wheatstone qui supervisa durant
rera John Couch Adams, le découvreur de Neptune avec Le
neuf mois entre 1842 et 1843 la traduction du français en
Verrier. Mary terminera sa vie en étudiant la géophysique et
anglais de l’article d’un jeune chercheur qui la décrivait. Ada
en se joignant aux premiers combats des femmes. Elle sera
ajouta au document originel plusieurs notes importantes
l’une des toutes premières vulgarisatrices des sciences. C’est
qui donnèrent au texte une profondeur supplémentaire qui
par son intermédiaire qu’Ada Lovelace va rencontrer Charles
impressionna Babbage. Dans l’étude détaillée de la machine,
Babbage.
Ada avait inventé la démarche algorithmique avec des cartes
REE N°1/2018 Z 127
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
« Former des ingénieurs solides sur leurs bases techniques » Entretien avec Véronique Bonnet Directrice générale, ESME Sudria
REE : Vous dirigez l’ESME Sudria depuis trois ans. C’est une école qu’en tant qu’ingénieurs du secteur de l’énergie, nous avons l’impression d’avoir toujours connue. Pouvez-vous nous parler un peu de son histoire ? Véronique Bonnet : l’ESME Sudria est effectivement une très ancienne école. Elle a une histoire parallèle à celle de la révolution industrielle induite par le développement de l’électricité depuis le début du XXe siècle. Fondée en 1905 par Joachim Sudria, elle s’est appelée Ecole supérieure de mécanique et d’électricité, nom qu’elle a gardé même si, aujourd’hui, on n’y fait plus guère de mécanique, mais bien davantage de l’électronique, de l’informatique et des réseaux de télécommunication. Ce nom traduit la priorité apportée à la technologie et l’envie d’aller sur toutes les innovations technologiques, en gardant toujours l’électricité comme fil conducteur de notre évolution. Créée à Paris, elle y est restée concentrée jusqu’au début des années 2000. Elle est demeurée pendant trois générations dans le giron de la famille Sudria, allant jusqu’à diplômer 200 ingénieurs par an à la fin des années 80. REE : Mais, comme les histoires d’amour selon les Rita Mitsouko, les belles sagas familiales ne finissent pas toujours bien… V. B. : Oui. La situation s’est ensuite dégradée. Le nombre de diplômés est descendu aux environs de 100 au début des années 2000. En 2006, un entrepreneur, lui-même diplômé de Sudria, Marc Sellam, a racheté son ancienne école et l’a intégrée au groupe Ionis1, qu’il présidait. Nous sommes depuis lors intégrés dans ce groupe, mais, en tant qu’école d’ingénieurs, nous y avons un statut associatif et une très grande indépendance, tant au niveau de la gestion que de la stratégie et du contenu de la formation. Le groupe Ionis nous apporte principalement son appui en matière de communication et de logistique. Nous sommes maintenant montés à environ 250 diplômés annuels, avec une ambition plus forte pour les prochaines années, en liaison avec notre développement en régions : 300 dans deux ans, 350 dans les quatre ans à venir. Cela répond réellement à une demande fortement croissante, en particulier dans le domaine de l’énergie. REE : Croissance forte, mais ambition inchangée ? Comment caractériseriez-vous votre école et le type d’ingénieurs que vous formez ? V. B. : Notre ambition est toujours de former des ingénieurs solides sur leurs bases techniques, ce qui implique, tout au long du cursus, un fort 1
Créé en 1980 par Marc Sellam, IONIS Education Group est aujourd’hui le premier groupe de l’enseignement supérieur privé en France. 24 écoles rassemblent dans 14 villes de France près de 27 000 étudiants en commerce, marketing et communication, gestion, finance, informatique, numérique, aéronautique, énergie, transport, biotechnologie et création...
accent mis sur les applications techniques et les projets concrets. Le champ d’activité a bien sûr évolué, l’école se caractérisant aujourd’hui par un équilibre entre le secteur de l’énergie et celui du numérique. Dans les différents domaines, les ingénieurs que nous formons sont majoritairement orientés vers les activités de développement : recherche et développement, gestion de projets, chargés d’affaires, etc. Cette orientation majeure se retrouve dans la diversité des débouchés à la sortie de l’école, que ce soit au sein des départements de R&D des entreprises, dans des startups ou des sociétés de services et de conseil qui gèrent des projets de développement. REE : Parlons du recrutement dans votre école. Comment sélectionnez-vous les candidats ? V. B. : L’ESME Sudria a toujours été une école à prépa intégrée, recrutant majoritairement au niveau du bac. Le sens en a toutefois un peu changé : initialement, c’était des classes préparatoires, hébergées par l’école, où l’on préparait des concours ouvrant vers Sudria ou vers d’autres écoles. Aujourd’hui, quand on rentre en cycle préparatoire à Sudria, c’est, sauf incident de parcours ou réorientation, pour y rester, et cela n’est pas sans conséquences sur le contenu de l’enseignement en cycle préparatoire. Nous y reviendrons. REE : Mais cette volonté de garder les élèves pendant cinq ans rend encore plus cruciale la qualité de la sélection des candidats… V. B. : La sélection se fait dans le cadre du concours « ADVANCE », commun aux quatre écoles d’ingénieurs du groupe Ionis (EPITA, ESME Sudria, IPSA et SUP Biotec ). En 2017, il y avait 5 000 candidats pour 1 250 places offertes par ces quatre écoles. Trois étapes dans le processus : s 0REMIÒRE ÏTAPE UN RECRUTEMENT DIRECT SUR DOSSIERS QUI CONCERNE environ 4 à 5 % des candidats ; s $EUXIÒME ÏTAPE POUR LES RESTANTS TROIS ÏPREUVES ORALES (mathématiques, anglais et un entretien dit de « synthèse et motivation », qui permet de mettre en perspective le livret scolaire et les résultats des deux autres épreuves). La procédure, qui implique de recevoir plus de 4 000 candidats, est lourde, mais nous en sommes fiers, car elle marque la priorité donnée à la motivation des candidats ; s %NlN LES RESTANTS SONT APPELÏS Ì PASSER LES ÏPREUVES ÏCRITES quatre épreuves sur une journée (mathématiques, physique, français, anglais). La synthèse des résultats est ensuite intégrée au dispositif national « APB » (maintenant « ParcourSup »). 80 % des candidats retenus seront, cinq ou six ans plus tard, diplômés de l’ESME Sudria.
REE N°1/2018 Z 135
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
EnďŹ n les promotions sont complĂŠtĂŠes, en cours de cursus, par l’admission sur dossier d’une trentaine de titulaires de DUT ou BTS et l’admission sur concours d’une cinquantaine d’Êtudiants venant de classes prĂŠparatoires (concours commun EPITA, IPSA, ESME Sudria). REE : L’Êcole est privĂŠe, ce qui veut dire aussi payante‌ V. B. : 8 000 Ă 9 000 euros par an, c’est effectivement important et on ne peut pas nier que cela soit un frein pour des familles modestes mĂŞme si on est loin du niveau des universitĂŠs amĂŠricaines. Nous avons toutefois le souci de garder une certaine mixitĂŠ sociale, notamment grâce Ă des bourses du CROUS ou de la Fondation ESME, qui a ĂŠtĂŠ crĂŠĂŠe par quatre grandes entreprises (Eiffage Energie, Engie, Technip, Alstom Transport) et par l’association des diplĂ´mĂŠs, et qui Ĺ“uvre sous l’Êgide de la Fondation de France. En outre, de l’ordre de 40 % des ĂŠlèves travaillent pour contribuer au ďŹ nancement de leurs ĂŠtudes. REE : L’apprentissage est-il aussi une rĂŠponse Ă ce problème du coĂťt de la scolaritĂŠ ? V. B. : Nous proposons une formation par apprentissage, pour une cinquantaine d’Êtudiants par promotion : s 5NE CYCLE s 5NE DIZAINE DE PLACES RĂ?SERVĂ?ES ĂŒ DES Ă?TUDIANTS ISSUS DU CYCLE prĂŠparatoire ; 5NE QUARANTAINE POUR DES Ă?TUDIANTS VENUS D AUTRES lLIĂ’RES ss 5NE notamment des IUT, ainsi que quelques très bons BTS ou exprĂŠpas. La question ďŹ nancière n’est toutefois pas prĂŠpondĂŠrante dans le choix de l’apprentissage. C’est davantage la diversitĂŠ des proďŹ ls qui est dĂŠterminante. La maturitĂŠ professionnelle est un critère important, notamment pour une entreprise qui s’engage dans une dĂŠmarche de ÂŤ prĂŠ-recrutement Âť. Nous sĂŠlectionnons donc les candidats Ă l’apprentissage Ă la fois sur leurs compĂŠtences acadĂŠmiques et sur notre estimation de leur capacitĂŠ Ă trouver une entreprise qui les accepte, principalement dans le secteur de l’Ênergie, puis nous les aidons Ă trouver cette entreprise, notamment en organisant des forums au sein de l’Êcole.
REE : Venons-en maintenant au contenu de l’enseignement. Vous ĂŠvoquiez un cycle prĂŠparatoire intĂŠgrĂŠ dans le cursus global de l’Êcole, donc avec un programme diffĂŠrent. V. B. : C’est exact. Certes les disciplines fondamentales (mathĂŠmatiques, physique, technologie, français, anglais, LV2, communication, dĂŠcouverte de l’entreprise), qui constituent le tronc commun de la formation, reprĂŠsentent 80 % de la formation, mais elles sont centrĂŠes sur les connaissances dont on aura besoin dans la suite du cursus. Cela signiďŹ e, par exemple, que l’on n’y fait pas de chimie et ASSEZ PEU DE MĂ?CANIQUE -AIS LE TEMPS AINSI LIBĂ?RĂ? ENVIRON du temps) est consacrĂŠ Ă des parcours d’ouverture que l’Êtudiant choisit, Ă chaque semestre, parmi cinq offres qui lui sont faites : s PARCOURS INGĂ?NIEUR MANAGER Ă?CONOMIE lNANCE ET GESTION DROIT s PARCOURS DROIT marketing et communication) ; s PARCOURS BIOTECH ET SANTĂ? BIOLOGIE MOLĂ?CULAIRE BIOCHIMIE TECHNOs PARCOURS BIOTECH ET SANTĂ? BIOLOGIE MOLĂ?CULAIRE BIOCHIMIE TECHNOlogies pour la santÊ‌) ; s PARCOURS INTERNATIONAL OĂĄ LES COURS SONT FAITS EXCLUSIVEMENT EN EN s PARCOURS anglais ; s PARCOURS INNOVATION CRĂ?ATIVITĂ? DANS LES FABLABS DE L Ă?COLE INITIATION s PARCOURS INNOVATION CRĂ?ATIVITĂ? DANS LES FABLABS DE L Ă?COLE INITIATION Ă la recherche, ateliers collaboratifs) ; s PARCOURS Ă?NERGIE ET ENVIRONNEMENT Ă?NERGIES NOUVELLES POLITIQUES s PARCOURS Ă?NERGIE ET ENVIRONNEMENT Ă?NERGIES NOUVELLES POLITIQUES ĂŠnergĂŠtiques, bâtiments Ă ĂŠnergie positive, etc.). Les diffĂŠrents parcours impliquent souvent des collaborations inter-ĂŠcoles. Cette personnalisation de la formation joue un rĂ´le important dans la motivation de l’Êtudiant et l’aide Ă commencer Ă construire son projet professionnel. REE : Et on en arrive au cycle ingĂŠnieur‌ V. B. : A son entrĂŠe en cycle ingĂŠnieur, l’Êtudiant choisit un ÂŤ parr cours d’excellence Âť parmi les cinq proposĂŠs qui sont ceux du cycle prĂŠparatoire. Il s’oriente ainsi soit vers un secteur d’activitĂŠ (santĂŠ, ĂŠnergie et environnement), soit vers un type de mission (innovation, international, management). A chaque parcours correspond un choix de ÂŤ majeures Âť ou de doubles diplĂ´mes que l’Êtudiant peut obtenir : master de recherche universitaire, master of science Ă l’international, diplĂ´me grande ĂŠcole ou master of science de l’ISG, titre d’expert en ingĂŠnieries des biotechnologies de l’Êcole d’ingĂŠnieur Sup’Biotech.
Figure 1 : Fablab sur le campus de Lille.
136 Z REE N°1/2018
LIBRES PROPOS
JEAN-PIERRE HAUET Rédacteur en chef de la REE
Un mix gazier 100 % renouvelable en 2050 : peut-on y croire ?
L
’ADEME a présenté à la fin janvier 2018 une
qu’elle apporte, ne laisse aucun doute : toute l’étude
étude exploratoire intitulée « Un mix de gaz
tend à prouver que, grâce à la combinaison de trois
renouvelable 2050 ? » réalisée en collabora-
techniques différentes, il sera possible d’atteindre cet
tion avec GRDF et GRTgaz. Cette étude a été
objectif de 100 %, tout en restant dans des limites de
assez largement reprise par la presse et a fait l’objet tout
coût acceptables. Les apports respectifs de ces trois
au long du mois de février, de la part des organismes
techniques se décomposeraient en 30 % pour la filière
gaziers, d’intenses campagnes de promotion dans les
de méthanisation évoquée ci-dessus, 40 % par celle de
grands médias et dans les rues de la capitale.
la pyrogazéification des matières sèches et 30 % par le “power-to-gas” basé sur l’hydrogène.
Attention à ne pas induire le public en erreur
Un tel sujet est très difficile à expliquer au grand public et les Français font confiance à l’ADEME, comme
Du gaz renouvelable ? Pourquoi pas. Il y a bien long-
aux organismes publics régulés que sont les réseaux de
temps que l’on utilise le phénomène de la fermentation
transport (GRTgaz) et de distribution (GRDF), pour leur
méthanique pour transformer en biogaz, à l’aide de mi-
apporter une information objective et fiable. Beaucoup
cro-organismes, de la matière organique venant de l’agri-
de décisions se prennent quotidiennement qui engagent
culture, de l’industrie ou des déchets ménagers. La tech-
l’avenir pour des décennies. Tel est le cas en particulier
nologie est connue et était pratiquée en France en 2017
du bâtiment où le renouvellement des logements se fait
par 519 installations de production, représentant une
selon un rythme de 100 ans. Des choix malencontreux,
puissance électrique de 400 MW pour une production
influencés par des prises de position officielles censées
d’environ 2 TWh d’électricité. 35 stations réinjectaient
refléter l’intérêt général, peuvent se payer très cher, sur
du biométhane dans le réseau public de gaz à hauteur
le plan des émissions de CO2 notamment, s’il s’avère,
de 315 GWh/an soit 0, 05 % de la consommation fran-
plus tard, que ces prises de position étaient infondées
çaise de gaz naturel1. Mais vouloir passer de 0,05 % à
ou biaisées.
100 % interpelle, alors que la loi sur la transition éner-
L’ADEME a bien évidemment le droit d’explorer des
gétique pour la croissance verte, à laquelle on ne peut
voies novatrices pour tenter de limiter nos émissions
pas reprocher d’avoir eu des visions conservatrices sur
de CO2 qui dérivent dangereusement, ceci est même
le développement des énergies renouvelables, ne pré-
l’une de ses missions. Mais le problème en la circons-
voit qu’une part de 10 % d’énergies renouvelables dans
tance est qu’une étude exploratoire se trouve promue
la consommation de gaz en 2030. De 10 à 100 %, la
auprès du public à des fins manifestement commer-
route est longue…
ciales. Ceci nous amène en conséquence à la ques-
L’ADEME a pris soin d’accompagner le titre de son
tion « Un mix gazier 100 % renouvelable : peut-on y
étude d’un point d’interrogation ; cependant la réponse
croire ? » et notre réponse est «… bien difficilement ». Et ceci pour toute une série de raisons que nous allons
1
Source : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ publicationweb/41
141 Z REE N°1/2018
tenter de résumer.
LIBRES PROPOS
Quatre catégories d’obstacles à surmonter
voie électrolytique l’hydrogène nécessaire à la filière
La demande en énergie à satisfaire
“power-to-gas”,
hydrogène
réinjecté
directement
Tout d’abord l’étude de l’ADEME, dans ses scénarios
dans le réseau ou reconverti en méthane. L’étude de
énergie-climat 2035-2050 fait l’hypothèse que, tout en
l’ADEME évoque une ressource primaire d’électricité
maintenant la croissance économique aux environs de
de 205 TWh d’origine renouvelable pouvant conduire
1 ,4 à 1,7 %, il sera possible de réduire fortement les
à la production de 140 TWh de gaz. Ces chiffres sont
consommations d’électricité et de gaz, ramenant ces
considérables, d’autant plus que l’ADEME se place
dernières de 460 TWh à 300 TWh environ. Les partisans
dans le contexte d’un mix électrique 100 % renouve-
de la décroissance s’en réjouiront mais rien n’est moins
lable. Malgré la réduction de la consommation finale
sûr car une élasticité négative n’a jamais été observée de
d’électricité qu’elle prévoit, on mesure l’étendue des
façon durable dans les décennies passées et nous paraît
surfaces et les moyens qu’il faudrait pour parvenir à
« thermodynamiquement » irréaliste.
de tels résultats. On peut s’étonner en outre qu’au lieu d’une utilisation directe de l’électricité permettant d’en
Disposer de ressources suffisantes
tirer le meilleur parti, on envisage des circuits com-
Il faut ensuite évoquer la question des ressources :
plexes de production d’hydrogène puis de gaz de syn-
s ,ES MATIÒRES ORGANIQUES SONT CENSÏES NE PAS PORTER
thèse dont la combinaison conduit à une dégradation
atteinte aux cultures alimentaires au-delà de ce que le
cumulative des rendements.
décret du 7 juillet 2016 autorise en France (15 % de la ressource). En Allemagne, souvent citée en exemple, où l’on compte 9 000 installations de biogaz produi-
Disposer de technologies matures et performantes
sant 4,1 GW électriques, le développement du biogaz
Notre troisième réserve porte sur les technologies.
s’est trouvé confronté à un problème de surfaces,
La méthanisation est une technologie éprouvée qui
avec, en 2015, 22 000 km2 consacrés aux cultures
offre peu de gains de productivité, comme l’exemple
énergétiques. Espérer pouvoir collecter en France des
allemand le démontre. Elle présente par contre certains
ressources organiques alternatives sans se heurter au
risques qui ne devraient pas être passés sous silence : le
même syndrome, semble bien incertain. On notera en
méthane est un puissant gaz à effet de serre, les fuites
outre que le biométhane n’est pas réinjecté en Alle-
de méthane doivent être soigneusement évitées et le
magne dans le réseau de gaz mais utilisé sur place
traitement des digestats doit être maîtrisé sous peine
pour produire de l’électricité (5 à 6 % de la consom-
d’entrainer des émissions très nocives sur le plan de
mation). Ceci veut dire qu’il ne faut pas compter la
l’environnement.
ressource deux fois et qu’il faut choisir : soit on utilise
A contrario, les techniques de pyrogazéification et
la ressource de produits organiques pour produire du
de power-to-gas sont loin d’être matures mais l’ADEME
biométhane et le réinjecter dans le réseau, soit on pro-
estime qu’elles le seront en 2050 avec des hypothèses
duit du biogaz converti en électricité et en chaleur mais
de gain sur les rendements. C’est un pari mais on peut
ce biogaz n’est alors plus disponible pour la réinjection.
remarquer que la gazéification et la production de gaz
s ,A SITUATION NE SE PRÏSENTE PAS DE FA¥ON PLUS SIMPLE DU
de synthèse sont des technologies à l’étude depuis des
côté de la pyrogazéification qui pourrait utiliser jusqu’à
décennies sans qu’elles ne soient jamais parvenues à
20 Mtep de bois et de ses dérivés afin de produire
atteindre le seuil de la compétitivité.
jusqu’à 180 TWh de gaz. Or la production de la forêt française stagne aux environs de 9 Mtep depuis des
Parvenir à la compétitivité
années. Les problèmes de collecte sont dirimants,
Sur le plan économique, l’étude de l’ADEME estime
malgré les plans bois successifs, et l’accroissement des
qu’il sera possible de produire le gaz 100 % renouvelable
surfaces tout à fait problématique.
à des coûts allant de 116 à 153 F/MWh. Pour fixer les
s 1UANT Ì LA TROISIÒME VOIE ELLE REPOSE SUR L HYPOTHÒSE
idées, on rappellera que le gaz à un an se traite actuel-
qu’il sera possible de dégager des quantités très im-
lement sur les places européennes aux environs de 17 à
portantes d’électricité renouvelable pour produire par
18 F/MWh. C’est donc à une multiplication par 7 à 8 du
142 Z REE N°1/2018
LIBRES PROPOS
coÝt d’approvisionnement auquel il faut s’attendre. Certes,
s LA COMMERCIALISATION DU GAZ VERT COMME CELLE DE L Ă?LEC-
l’usage du gaz fossile viendra sans doute à être grevÊ
tricitĂŠ verte et leur rĂŠinjection sur le rĂŠseau devrait se
d’une taxe carbone de plus en plus importante : la contri-
faire sous le couvert de certiďŹ cats d’origine. Un registre
bution climat-Ênergie est aujourd’hui fondÊe sur un prix de
des garanties d’origine biomÊthane existe, mais il est
rÊfÊrence du CO2 de 44,6 F/t et l’on prÊvoit que ce prix de
encore peu utilisĂŠ ;
rĂŠfĂŠrence passera Ă 86,2 F en 2022. Mais, en admettant
s ENlN L HYDROGĂ’NE DĂ?CARBONĂ? CONSTITUE TRĂ’S PROBA-
une hausse du prix du gaz de 3 % par an jusqu’en 2050,
blement l’une des Ênergies de l’avenir mais, avant
c’est un prix du carbone de 370 à 570 F/t de CO2 en
même de parler d’utilisation, il est clair aujourd’hui
2050 qu’il faudrait pour rentabiliser la ďŹ lière. On notera
que son coÝt de production par Êlectrolyse de l’eau
au demeurant qu’en 2017, malgrÊ des prix de rachat très
est excessif. Il faut faire baisser le coÝt d’investis-
attractifs allant jusqu’à 195 F/MWh, la ďŹ lière biomĂŠthane
sement des ĂŠlectrolyseurs et les utiliser tout au
ne parvient pas Ă se dĂŠvelopper au rythme escomptĂŠ.
long de l’annÊe. Vouloir les amortir en les alimentant seulement lorsque des Ênergies renouvelables
Trois voies d’action pour progresser
seront disponibles voire excĂŠdentaires, conduit Ă
Il y a donc de gros obstacles Ă surmonter aďŹ n de
une impasse. Pourquoi dans ces conditions ne pas
parvenir Ă une ďŹ lière gaz 100 % renouvelable et il nous
revenir à l’une des idÊes qui Êtait investiguÊe lors du
paraĂŽt imprudent de laisser croire que cela est possible.
lancement du programme nuclĂŠaire et, au lieu de
Cela ne signiďŹ e pas que des efforts ne doivent pas ĂŞtre
fermer prÊmaturÊment des centrales, utiliser l’Êlec-
faits dans cette direction pour tirer le maximum de la
tricitÊ qu’elles peuvent produire pour fabriquer de
ďŹ lière dans des limites ĂŠconomiquement acceptables.
l’hydrogène ? Cette ÊlectricitÊ, combinÊe à celle pro-
Nous prĂŠconisons pour cela trois mesures :
venant des ĂŠnergies renouvelables, permettrait de
s LES Ă?NERGIES RENOUVELABLES DE RĂ?SEAU DEVRAIENT Ă?TRE
faire baisser drastiquement le prix de revient de l’hy-
traitÊes sur un pied d’ÊgalitÊ et à paritÊ avec les Êner-
drogène et les Êlectrolyseurs, effaçables à la pointe,
gies renouvelables locales, comme le prĂŠconise la
deviendraient un ÊlÊment de exibilitÊ essentiel
Commission europĂŠenne. Cela veut dire que, dans
DANS LA CONDUITE DES RĂ?SEAUX 1UANT ĂŒ L HYDROGĂ’NE IL
les règlements de construction, la boniďŹ cation ÂŤ car-
pourrait être utilisÊ par l’industrie ou injectÊ dans les
bone Âť dont bĂŠnĂŠďŹ cient les rĂŠseaux de chaleur doit
rĂŠseaux de gaz qui se trouverait ainsi valorisĂŠ. Rap-
être Êtendue aux rÊseaux de gaz et d’ÊlectricitÊ, mais
pelons que le gaz de ville de jadis, outre l’oxyde de
sur la base de donnĂŠes auditables de leurs contenus
carbone dont la toxicitĂŠ est bien connue, contenait
respectifs en ĂŠnergies renouvelables ;
jusqu’à 50 % d’hydrogène ! Q
REE N°1/2018 Z 143
Entre science et vie sociĂŠtale,
les ÊlÊments du futur Une publication de la Edition/Administration : SEE - 17, rue de l’Amiral Hamelin - 75783 Paris cedex 16 TÊl. : 01 5690 37009/17 Site Web : www.sssee.asso.fr
La SEE, sociÊtÊ savante française fondÊe en 1883, forte de 2 000 membres, couvre les secteurs de l’ÉlectricitÊ, de l’Électronique et des Technologies de l’Information et de la Communication. Elle a pour vocation de favoriser et de promouvoir le progrès è dans les domaines : Énergie, TÊlÊcom, Signal, Composants, Automatique, Informatique.
Vous voulez... Vous abonner à la REE ? ComitÊ de rÊdaaaction : Bernard Ayrault, Alain Brenac, La SEE fÊdère un vaste rÊseau d’experts d Patrice Collet, AnnddrÊ Deschamps, Jean-Pierre Hauet, Acheter un numÊro ? Cliquer ICI et industriels en faveur des universitaires favv Jacques Horvilleuuur, Marc Leconte, Bruno Meyer SecrÊtariat de rÊ rÊdaction : Alainbien Brenac, MÊlisande de Lassence Ou tÊlÊphoner au 01 56 90 37 04 Directeur de la publication : François Gerin
TĂŠl. : 01 5690 37117
Partenariats Preeesse & Annonces : Mellyha Bahous - TĂŠl. : 01 5690 3711 RĂŠgie publicitaire i : FFE - Cyril ire C il Monod M d TTell : 01 5336 3787 Port : 06 7969 6892 cyril.monod@revue-ree.fr et Philippe Sabban philippe.sabban@ffe.fr et Anne Girard anne.girard@revue-ree.fr TĂŠl : 01 4805 2871 Promotion et abonnements : 5 numĂŠros : mars, mai, juillet, octobre, dĂŠcembre. MĂŠlisande de Lassence - TĂŠl. : 01 5690 3717 - www.see.asso.fr/ree Prix de l’abonnement 2018 : France & UE : 120 F - Etranger (hors UE) : 140 F Tarif spĂŠcial adhĂŠrent SEE : France & UE : 60 F - Etranger : 70 F Vente au numĂŠro : France & UE : 28 F - Etranger : 30 F Conception & rĂŠalisation graphique JC. Malaterre - TĂŠl. : 06 7471 0709 Impression : Jouve - 53100 Mayenne. Siège social : 11 Bd de SĂŠbastopol - 75027 Paris cedex 1 TĂŠl. : 01 4476 5440 Origine du papier : Belgique - Taux de ďŹ bres recyclĂŠes : 0 CertiďŹ cation : PEFC - Ptot : 0,023
CPPAP : 1022 G 82069 Copyright : Toute reproduction ou reprĂŠsentation intĂŠgrale ou partielle, par quelque procĂŠdĂŠ que ce soit, des prĂŠsentes pages publiĂŠes faite sans l’autorisation de l’Êditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Toutefois les copies peuvent ĂŞtre utilisĂŠes après autorisation obtenue auprès du CFC - 20 rue des Grands Augustins, 75006 Paris (TĂŠl. : 01 4404 4770) auquel la SEE a donnĂŠ mandat pour la reprĂŠsenter auprès des utilisateurs (loi du 11 mars 1957, art. 40 & 41 et Code PĂŠnal art. 425). La revue REE est lue par plus de 10 000 ingĂŠnieurs et cadres de l’industrie, dirigeants d’entreprises, directeurs des ressources humaines, formateurs... ProďŹ tez de ce lectorat ciblĂŠ et de qualitĂŠ pour publier vos annonces. RĂŠpertoire des annonceurs REE Abonnement ............................................................................... C2 Salon IoT World ............................................................................... p. 3 OMICRON.......................................................................................... p. 5 Sycabel ............................................................................................ p. 29 AdhĂŠsion SEE ............................................................................... p. 144 Souscription Etude IoT 2018 ............................................................ C3 RF Microwave .................................................................................... C4 Prochains Grands Dossiers Dossier 1 : Les technologies quantiques Dossier 2 : Les applications industrielles du laser
s 6 CLUBS TECHNIQUES Q Automatique, Informatique et Systèmes Q IngÊnierie des Systèmes d’Information et de Comm munication m QC CybersÊcuritÊ b Ê itÊ ett RÊ RÊseaux iintelligents t lli t Q Radar, Sonar et Systèmes RadioÊlectriques Q Stockage et nouveaux Moyens de Production Q Systèmes Electriques s 11 GROUPES RÉGIONAUX s 1 CERCLE DES ENTREPRISES s 1 CERCLE HISTOIRE
La SEE contribue Ă l’organisation et ses Groupes rĂŠgionaux s ConfĂŠrences nationales et internationales s JournĂŠes d’Êtudes thĂŠmatiques s ConfĂŠrences-DĂŠbat s Congrès internationaux, en partenariat ou non, avec d’autres sociĂŠtĂŠs scientiďŹ ques La SEE favorise le partage du savoir, et contribue aux dĂŠbats sur des problèmes de sociĂŠtĂŠ en ĂŠditant des revues s Revue de l’ÉlectricitĂŠ et de l’Électronique (REE) s Revue 3EI s Publications ĂŠlectroniques : SEE ActualitĂŠs
La SEE rÊcompense les contributeurs Êminents au progrès des sciences et technologies dans ses domaines s EmÊrite SEE s Prix : Brillouin-Glavieux, GÊnÊral FerriÊ, AndrÊ Blanc-Lapierre, ThÊvenin s MÊdailles : Ampère, Blondel
SOCIÉTÉ DE L’ÉLECTRICITÉ, DE L’ÉLECTRONIQUE ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION 17, rue de l’Amiral Hamelin - 75783 Paris cedex 16 TÊl. : 01 56 90 37 09/17 - www.see.asso.fr
Impression : Jouve - 53100 Mayenne
148 Z REE N°1/2018
DĂŠpĂ´t lĂŠgal : mars 2018