2014
EDITORIAL Les matériaux stratégiques : un enjeu pour la France Luc Rousseau
Numéro
5
ÉNERGIE
ENTRETIEN AVEC Christian Bataille La transition énergétique
TELECOMMUNICATIONS
DOSSIERS
SIGNAL
COMPOSANTS
AUTOMATIQUE
INFORMATIQUE
Cette aperçu gratuit permet aux lecteurs ou aux futurs lecteurs de la REE de découvrir le sommaire et les principaux articles du numéro 2014-5 de la revue, publié en décembre 2014. Pour acheter le numéro ou s'abonner, se rendre à la dernière page.
ISSN 1265-6534
L'ARTICLE INVITÉ
Réseaux interconnectés : une optimisation technique et économique au service des transitions énergétiques en France et en Europe Par Dominique Maillard
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EDITORIAL
L
LUC ROUSSEAU
Les matériaux stratégiques : un enjeu pour la France
a compétitivité de l’industrie française est un déterminant majeur de l’économie nationale ; dans un contexte de concurrence mondialisée, elle seule peut assurer à nos concitoyens de disposer des progrès et du confort permis par le développement des technologies. La compétitivité industrielle se joue sur de nombreux champs de contraintes ; parmi ceux-ci, celui des matières premières non énergétiques est peu connu mais représente une complexité stratégique majeure. L’essor de notre industrie s’est fondé sur l’existence de matières de base au moment de la Révolution industrielle. Son développement se poursuit maintenant dans un contexte où les matières premières minérales nécessaires aux multiples objets technologiques ne sont pas ou sont peu présentes sur le territoire national. Dans la maîtrise de sources extérieures, l’industrie doit aussi tenir compte de la capacité croissante des économies des pays émergents, souvent fournisseurs de matières premières, à transformer ces matières et à élaborer des produits de l’aval industriel. La Chine joue en la matière un rôle de premier plan. Tous les secteurs industriels sont concernés : la production de biens matériels, les développements en matière de santé, les services de télécommunication, mais aussi la transition énergétique vers un mix nouveau dépendent de l’utilisation de propriétés originales de matières premières minérales dont la production minière ou métallurgique est contrôlée par un nombre très réduit de pays ou d’acteurs concurrents. De la même manière que la France a su gérer la dépendance de son économie aux
producteurs de pétrole et de gaz, il est essentiel que nous apprenions à gérer la dépendance aux pays producteurs de terres rares ou de lithium. Conscient de l’importance et de la complexité des enjeux, le Gouvernement encourage les échanges permettant de constituer une « Equipe de France » dans laquelle l’Etat et le monde économique ont des rôles complémentaires à jouer, et développe des actions d’accompagnement stratégiques : création du COMES, puis du Comité stratégique de filière « Industries extractives et première transformation », développement d’une diplomatie économique intégrant les enjeux des matières premières minérales, soutien d’une recherche scientifique et technique permettant à l’industrie française de conserver une place de pointe technologique, diffusion d’une information aux entreprises, réflexions sur l’attractivité minérale du pays… Les grands acteurs industriels du pays ont pris les moyens depuis longtemps de développer une stratégie d’approvisionnement, qui leur a permis de conserver ou de gagner des parts de marché ; il importe de partager cette stratégie très largement dans le tissu français de PME, essentiel à notre compétitivité ; il nous appartient, ensemble, de diffuser le message ; je salue l’initiative de la REE qui contribue à cet enjeu national de premier plan.
Luc Rousseau, Vice-Président du Conseil Général de l’Economie Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique
REE N°5/2014 1
sommaire Numéro 5
1
EDITORIAL Les matériaux stratégiques : un enjeu pour la France Par Luc Rousseau
2 4 5 6 8
p. 1
9 11 13
SOMMAIRE FLASH INFOS L’ARCEP autorise VDSL2 dans les répartiteurs du réseau d’Orange Nouveaux fermions pour le calcul quantique On a marché sur Agilkia Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les teneurs en gaz à effet de serre dans l'atmosphère ont atteint en 2013 des niveaux records Eoliennes offshore : la course au gigantisme se poursuit Lignine et bactéries Une belle cuvée de prix Nobel. Le Nobel de physique 2014, un prix très « éclairant ». Les prix Nobel de chimie 2014 ouvrent la voie à la « nanoscopie optique »
16 A RETENIR Congrès et manifestations p. 27
18 VIENT DE PARAÎTRE La REE vous recommande
21 ARTICLE INVITÉ Réseaux interconnectés : une optimisation technique et économique au service des transitions énergétiques en France et en Europe Par Dominique Maillard
27 LES GRANDS DOSSSIERS
30 p. 77 37 50
58 67 p. 21
p. 123
p. 141 68
Photos de couverture © Ints - Fotolia.com © JCMa
2
REE N°5/2014
Les matériaux stratégiques Introduction : Haute technologie et matériaux stratégiques Par Alain Liger Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industrielle Par Alain Liger Terres rares : enjeux et perspectives 2014 Par Patrice Christmann Le béryllium : un enjeu pour la qualité de la connectique. Besoins, ressources et risques Par Christophe Le Port-Samzun, Caroline Calvez Les DEEE et le recyclage des métaux stratégiques en France Par Erwann Fangeat, Alain Geldron DEEE : Orange veut favoriser l’émergence de nouveaux modèles d’économie circulaire favorisant le ré-emploi et les économies de ressources Par Gilles Dretsch Devenir recycleur, la stratégie d’un groupe producteur de produits minéraux stratégiques Par Alain Rollat
Quelques approches innovantes dans la prévention et la gestion des risques Introduction : Prévention et gestion du risque. Quelques approches novatrices Par Tullio Joseph Tanzi, Jean Isnard 83 Huit idées reçues sur le(s) modèle(s) de l’erreur humaine de James Reason Par Justin Larouzée, Franck Guarnieri 91 Améliorer la sécurité et la sûreté de fonctionnement par l’ingénierie de système dirigée par les modèles Par Ludovic Apvrille, Yves Roudier 100 L’analyse du risque criminel : l’émergence d’une nouvelle approche Par Patrick Perrot 108 Réduction des risques de catastrophes naturelles. Impact des phénomènes de météorologie spatiale sur la gestion des tremblements de terre Par François Lefeuvre, Tullio Joseph Tanzi 115 Prévention des risques et gestion des crises. Opportunités et défis de l’utilisation des réseaux sociaux Par Caroline Rizza
123 GROS PLAN SUR … Le kWh mal traité - Deuxième partie : le contenu en CO2 du kWh Par Jean-Pierre Hauet
134 RETOUR SUR ... La brillante histoire du laboratoire de physique des solides d’Orsay Par Denis Jerome
141 ENTRETIEN AVEC... Christian Bataille, Député du Nord La transition énergétique
144 ENSEIGNEMENT & RECHERCHE Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif ! Par Maud Olivier 148 Echos de l’enseignement supérieur Par Bernard Ayrault
151 CHRONIQUE
MEA 2015
77
MEA'2015
MORE ELECTRIC AIRCRAFT
4-5 February, 2015 Toulouse - France
Organized by:
Du bon usage des controverses scientifiques… Par Bernard Ayrault
152 LIBRES PROPOS Énergie et civilisation Par Emile H. Malet
154 SEE EN DIRECT La vie de l'association
www.see.asso.fr/mea2015 REE N°5/2014 3
FLASHINFOS
émetteur qui injecte les signaux dans toutes les paires d’un
L’ARCEP autorise VDSL2 dans les répartiteurs du réseau d’Orange
même câble ou d’un même toron du câble. Jusqu’à présent, en France, le développement du très
Le développement de services d’accès à Internet à
haut débit ne se faisait qu’avec le déploiement de fibres
très haut débit, c’est-à-dire à plus de 30 Mbit/s selon
en mode FTTH (en plus des infrastructures des réseaux
les standards européens, requiert soit le déploiement
câblés). D’autres pays européens ont fait des choix diffé-
de fibres optiques jusqu’au domicile du client (FTTH1),
rents. En Belgique et en Allemagne où les réseaux câblés
soit au moins la substitution d’une partie de la ligne de
ont une couverture nationale, les opérateurs historiques
cuivre par de la fibre optique et le recours aux techniques
ont lancé un large déploiement de VDSL2 sur la sous-
VDSL, VDSL2 en particulier, sur le tronçon cuivre résiduel
boucle locale. Ainsi en Allemagne DT annonçait à la
(FTTN2).
fin 2013 que 13,4 millions de foyers allemands étaient
VDSL2 est une technique de transmission sur paire mé-
connectables à son offre VDSL2. Néanmoins en France
tallique voisine d’ADSL. Toutes les deux exploitent une tech-
depuis plusieurs années les conditions de déploiement
nique de multiplexage fréquentiel mais VDSL2 utilise une
du VDSL2 étaient en discussion sous l’égide de l’ARCEP.
bande beaucoup plus large (25 kHz – 12 à 30 MHz selon
En effet le contexte français est complexe et caractérisé
les profils) qu’ADSL2+ (25 kHz – 2,2 MHz) : l’augmentation
par :
de la bande de fréquences permet théoriquement d’aug-
s UNE SOUS BOUCLE LOCALE EN MOYENNE ASSEZ LONGUE M
menter le débit transmis pour atteindre 100 Mbit/s dans le
contre 300 m en Allemagne, rendant moins performant
sens descendant, débit voisin de celui qu’offre une infras-
l’usage du VDSL2 ;
tructure en fibre optique.
s LA MULTIPLICATION DES OPÏRATEURS D ACCÒS RENDUE POSSIBLE
Mais cette performance ne peut être atteinte que sur
par l’attractivité des conditions de dégroupage de la ligne
des lignes courtes car l’affaiblissement d’une paire de cuivre
de cuivre ; l’emploi du vectoring s’en trouve rendu difficile.
croît comme la racine carrée de la longueur : pour des tron-
L’Autorité de régulation des communications électro-
çons de cuivre d’une longueur supérieure à 1,5 km (affai-
niques et de la poste (ARCEP) vient par deux décisions
blissement supérieur à 23 dB), ADSL2+ offre un meilleur
successives d’autoriser l’installation de systèmes VDSL2
débit que VDSL2. Cette technologie n’apporte donc une
sur les lignes de cuivre du réseau fixe d’Orange. La pre-
croissance potentielle du débit qu’à une petite partie des
mière de 2013 autorise l’utilisation de VDSL2 dans les
lignes de cuivre en France. De plus les techniques DSL et
répartiteurs de lignes (NRA3) sur les lignes directes, la
VDSL2 en particulier sont sensibles aux perturbations qui
deuxième de juin 2014 étend cette autorisation à toutes
affectent les paires de cuivre, notamment celles résultant
les lignes des NRAs. Ces décisions définissent le profil
de la diaphonie entre les paires d’un même câble et le débit
VDSL2 à appliquer par les opérateurs. Selon l’ARCEP, avec
transmis peut s’en trouver réduit. En VDSL2, la technique
l’autorisation générale de VDSL2 à partir du NRA, ce sont
dite de vectoring permet de réduire l’effet de ces perturba-
14,5 % des lignes de cuivre dont le débit pourrait dépas-
teurs en tentant de les compenser : mais pour cela il faut
ser 30 Mbit/s. Elles ne semblent donc pas remettre en
les connaître et cela impose que ce soit le même organe
cause la politique de déploiement de la fibre en mode FTTH, qui a fait consensus jusqu’à présent, au profit d’un
1
FTTH : Fiber To The Home. La fibre arrive jusqu’au domicile du client.
2
FTTN : Fiber To The Node. La fibre arrive jusqu’à un nœud intermédiaire du réseau, le client reste desservi par une paire de cuivre.
3
NRA : Nœud de raccordement d’abonnés. Point où se terminent les lignes d’abonnés en cuivre.
Figure 1: Spectre de fréquences de VDSL2 - Source Wikipédia.
4
REE N°5/2014
FLASHINFOS
mode FTTN. Pour que VDSL2 devienne un vĂŠritable
Les progrès et la maÎtrise actuelle de la matière
concurrent de FTTH, il faudrait poursuivre la conversion
condensÊe permettent d’Êtudier des ensembles de parti-
de sous-rĂŠpartiteurs (SR) en NRA et les connecter en
cules dÊcrites par des modèles thÊoriques comme celui
fibre optique. Des opĂŠrations de ce type ont dĂŠjĂ ĂŠtĂŠ
de Majorana. Ce sont des comportements phĂŠnomĂŠno-
faites pour faire disparaĂŽtre des zones desservies par des
logiques qui peuvent permettre de mettre en ĂŠvidence
lignes très longues et amÊliorer la desserte ADSL. Mais
des propriÊtÊs du modèle sans recourir à la physique
les amĂŠnagements Ă faire dans ces sites sont coĂťteux :
des hautes ĂŠnergies car ce ne sont pas des particules
crÊation d’espaces oÚ les opÊrateurs peuvent placer leurs
ĂŠlĂŠmentaires qui sont en jeu. Ainsi des physiciens ont
ĂŠquipements, raccordement optique de ceux-ci, raccor-
reproduit le comportement de fermions de Majorana
dement Êlectrique‌ en gÊnÊral pour un petit nombre de
à partir du mouvement coordonnÊ d’un grand nombre
clients Ă desservir. Il est donc peu probable que le FTTN
d’Êlectrons dans des solides supraconducteurs. Ces mou-
se substitue ainsi au FTTH pour la fourniture de services
vements compte tenu de leurs propriĂŠtĂŠs sont appelĂŠs
à très haut dÊbit en France.
quasi-particules de Majorana et ils possèdent des carac-
Toutefois, l’ARCEP, considÊrant que l’installation de
tĂŠristiques de non-localitĂŠ qui prĂŠsentent un grand intĂŠrĂŞt
VDSL2 Ă la sous-rĂŠpartition en mono-injection constitue,
pour le calcul quantique. Ces deux aspects de ces quasi-
sous certaines conditions, une ÂŤ demande raisonnable Âť
particules sont dÊcrits ci-après par deux expÊrimenta-
d’accès à la sous-boucle locale, impose à Orange d’y
tions très rÊcentes.
rÊpondre en y offrant la possibilitÊ d’hÊberger des Êquipements d’autres opÊrateurs et en offrant des liens op-
Les fermions de Majorana
tiques entre NRA et SR. Le dĂŠgroupage Ă la sous-boucle
dans des chaines magnĂŠtiques
n’est en gÊnÊral pas imposÊ par les rÊgulateurs des pays
Ali Yazdani et ses collègues de l’UniversitÊ de Prince-
qui s’appuient sur le VDSL2 pour assurer l’Êvolution vers
ton et de l’UniversitÊ du Texas à Austin ont dÊcrit dans
le très haut dÊbit. La concurrence y est assurÊe par des
un papier4 publiĂŠ en octobre 2014 dans la revue Science,
offres de gros dites ÂŤ offres de bitstream Âť. â–
l’Êtude d’un dispositif qui peut sous certaines conditions
PC
gÊnÊrer des fermions de Majorana à l’interface d’un supraconducteur et d’un aimant. Les supraconducteurs
Nouveaux fermions pour le calcul quantique
reprÊsentent un substrat possible pour que des Êtats superposÊs d’Êlectrons et de trous conduisent à la for-
)L Y A ANS %TTORE -AJORANA VOIR LE 2ETOUR SURx DANS
mation de fermions de Majorana. L’Êquipe de Yazdani
la REE 2014-4) postulait l’existence dans la physique thÊo-
s’est intÊressÊe à la chaine magnÊtique d’atomes de fer
rique de fermions appelĂŠs ÂŤ fermions de Majorana Âť, par-
se trouvant sur un supraconducteur en plomb refroidi Ă
ticules qui, à l’inverse des Êlectrons et des positrons, sont
1,4 °K. En utilisant la pointe polarisĂŠe d’un microscope Ă
leurs propres antiparticules. PrĂŠsentĂŠe dans son ultime pa-
effet tunnel (STM) Ă balayage elle a dĂŠmontrĂŠ alors que
PIER LA SIGNIlCATION D UNE TELLE PROPOSITION FAITE EN
la chaine ĂŠtait ferromagnĂŠtique.
a pris beaucoup de temps pour ĂŞtre pleinement apprĂŠciĂŠe
Utilisant le STM pour mesurer le spectre d’Ênergie des
par la communautÊ des physiciens. Au lieu d’être demeu-
ĂŠlectrons dans la chaine, elle a montrĂŠ ĂŠgalement que le
rÊe une vielle idÊe, l’existence de ces fermions s’avère
fer se conduit comme un supraconducteur, phÊnomène
centrale dans quelques grands problèmes posÊs par la
connu comme ÂŤ effet de proximitĂŠ Âť. La supraconductivitĂŠ
physique actuelle. Dans le contexte de la physique des
des chaines de fer inclut des paires d’Êlectrons Êvoluant
hautes Ênergies, l’idÊe que les neutrinos puissent être des
sur des orbites hÊlicoïdales. Ce type d’appairage consti-
fermions de Majorana constitue une proposition dont la
tue un supraconducteur topologique et la thĂŠorie indique
pertinence est très actuelle. Dans un domaine plus spÊ-
que des fermions de Majorana apparaissent Ă la fin de
culatif, les thĂŠories super-symĂŠtriques postulent que les
la chaine.
bosons ont un super-partenaire de Majorana qui pourrait fournir une solution à l’Ênigme posÊe par la matière noire. Quelques expÊriences pour tester ces hypothèses sont en cours au grand collisionneur d’hadrons du CERN et pourront conduire à des rÊsultats à plus ou moins long terme.
4
Observation of Majorana fermions in ferromagnetic atomic chains on a superconductor – Stevan Nadj-Perge, Ilya K. Drozdov, Jian Li, Hua Chen, Sangjun Jeon, Jungpil Seo, Allan H. MacDonald, B. Andrei Bernevig, Ali Yazdani – Science (2014).
REE N°5/2014 5
FLASHINFOS
Pour les localiser Yazdani et ses collègues ont cherché
caractériser certains processus comme les transitions
un pic de polarisation nulle dans le spectre d’énergie des
quantiques de phase. La non-localité intrinsèque des
électrons de la chaine de fer. Le STM mesure la facilité
fermions de Majorana est précisément caractérisée par
avec laquelle un électron peut être ajouté ou enlevé de
des corrélations de type discorde quantique. Le dispositif
la chaine par application d’une barrière de potentiel entre
utilise un nanofil supraconducteur avec un couplage par
la pointe et la chaine. Les fermions de Majorana étant
spin, associé à un substrat supraconducteur. Une paire
une combinaison d’une particule négative et une anti-
de fermions de Majorana
particule positive, ils ne peuvent se déplacer dans et hors
apparaître aux deux extrémités du nanofil et on mesure
de la chaine que quand un potentiel nul est appliqué à la
les corrélations dans les boites quantiques QD1 et QD2
pointe. Le balayage du STM sur la chaine a bien montré
(figure 2). Quand les paires de fermions sont complète-
qu’il existait un pic de polarisation à chaque extrémité de
ment séparées et non intriquées, ils peuvent présenter
chaine. L’expérience de Ali Yazdani a été saluée comme
une discorde quantique persistante due à la corrélation
étant une contribution majeure à la mise en évidence de
non locale des fermions de Majorana ce que l’expérimen-
fermions de Majorana.
tation a démontré.
Figure 1 : Supraconductivité topologique et fermions de Majorana dans des chaines atomiques ferromagnétique sur un supraconducteur. Schéma de réalisation et de détection de la proposition de quasi-particule de Majorana : une chaine atomique ferromagnétique est placée sur la surface d’un supraconducteur et scannée par un microscopie à effet tunnel - Source : Ali Yazdani & Al.
1 et 2 sont prévus pour
Figure 2 : Montage expérimental utilisé pour démontrer la corrélation quantique entre une paire de boîtes quantiques (quantum dots : QD) intermédiées par une paire de fermions de Majorana. Ces travaux, dont nous présentons seulement quelques aspects mais qui sont aujourd’hui très nombreux, montrent que les quasi-particules de Majorana peuvent apparaître dans des dispositifs supraconducteurs placés dans des champs magnétiques et que leur non-localité
Des quasi-particules non locales
semble démontrée par l’expérience du laboratoire chinois
Deux fermions de Majorana séparés spatialement
et américain. Cela permet de penser que ces quasi-parti-
occupent un niveau d’énergie fermionique et peuvent
cules pourraient constituer de nouveaux candidats qubits
représenter un qubit non local qui est « résistant à la dé-
très intéressants car la non-localité des états superposés
cohérence ». En septembre 2014, un papier5 de centres
électron-trou semble beaucoup moins sensible au pro-
de recherche chinois et américain décrivait un dispositif
cessus de décohérence qui demeure l’une des difficultés
de test de la non-localité des fermions de Majorana par
majeures pour la construction d’ordinateurs quantiques. ■
des corrélations quantiques. Nous connaissons depuis
ML
longtemps l’intrication qui est une corrélation quantique forte démontrée expérimentalement dans les années 80.
On a marché sur Agilkia
Il existe une un autre type de corrélation quantique dé-
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, ce
couverte en 2001 appelé la discorde quantique qui peut
12 novembre 2014 à 16 h 34 m 54 s heure de Paris, un engin construit par l’homme s’est posé sur une comète
5
6
Probing the non-locality of Majorana fermions via quantum correlations – Jun Li, Ting Yu, Hai-Qing Lin & J. Q. You – Beijing Computational Science Research Center, Beijing, China – Center for Controlled Quantum Systems and Department of Physics and Engineering Physics, Stevens Institute of Technology, Hoboken, New Jersey 07030, USA (2014).
REE N°5/2014
qui évoluait à plus de 600 millions de kilomètres de la terre. C’est une grande victoire pour l’Agence Spatiale Européenne. Mais l’histoire avait commencé bien avant. Cet été, la sonde Rosetta a été placée en orbite à une dizaine de kilomètres de la comète Churyumov-
L'ARTICLE INVITÉ
DOMINIQUE MAILLARD Président du directoire de RTE Pilote du plan « Réseaux électriques intelligents » de la « Nouvelle France industrielle »
Réseaux interconnectés : une optimisation technique et économique au service des transitions énergétiques en France et en Europe
L
Introduction e réseau de transport d’électricité est essentiel
Solidarité électrique : l’optimisation technique
pour l’optimisation technique et économique
Tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne.
du système électrique. Son rôle dépasse le seul
Côté production, certains disposent naturellement de condi-
cadre du transport de l’énergie électrique. Outil
tions géographiques et climatiques favorables à l’installation
de mutualisation tant des moyens de production que des
d’énergie éolienne, solaire ou hydraulique. Ailleurs, une forte
profils de consommation, il permet d’utiliser au mieux la com-
augmentation de la consommation a justifié l’installation de
plémentarité des différentes sources d’énergie et de limiter
moyens thermiques, par exemple nucléaire. Enfin, historique-
le recours à des capacités supplémentaires de production. Il
ment des centrales à gaz ou à charbon se sont construites
constitue un vecteur essentiel de la sécurité de l’alimentation
près des endroits où ces ressources étaient disponibles.
électrique. RTE, par la mise en œuvre de mécanismes de
De son côté, la consommation d’électricité dépend de
marché et par la disponibilité de ses infrastructures, permet
nombreux facteurs : habitudes de vie, tissu industriel ou dy-
un accès aux sources d’énergie les plus performantes, en
namique de la démographie, etc.
France et en Europe, un atout pour préserver l’activité écono-
Les équilibres entre zones productrices et zones consom-
mique française. Enfin, en l’absence de capacités de stockage
matrices d’électricité peuvent s’inverser au cours d’une jour-
disponibles à la bonne hauteur – pour l’heure circonscrites
née, des saisons ou de l’année. Par exemple, les panneaux
au pompage hydraulique, le réseau de transport d’électricité
photovoltaïques installés sur les toits des pavillons dans les
est le meilleur instrument de flexibilité aujourd’hui disponible
quartiers résidentiels produisent, en journée, une électricité
pour la valorisation des énergies renouvelables (ENR), éo-
qui pourra être exportée et utilisée là et au moment où elle
lienne et photovoltaïque.
est nécessaire, dans les bureaux et les principaux centres de
ABSTRACT The roles and missions of TSOs go way beyond the implicit meaning of the term "power transmission". At the heart of the power system, we are responsible to keep the balance between supply and demand. By ensuring that we have the ability to fulfill this role on a daily basis, we provide our customers with economical, reliable and clean access to power supply. Operating the power system is all about optimization. Firstly, by mutualizing energy sources at the European level, RTE insures “power” solidarity between regions and enhance renewable energy sources contribution. Secondly, the market mechanisms that we are developing make it possible to use the most competitive energy sources in France and in Europe. This optimal use of resources call for close cooperation with our European counterparts. These mechanisms support security of supply and economic optimization of the system, while also facilitating other ways to consume power. Overall, we promote solutions to help making decisions based on physical and economic parameters, always seeking the most advantageous solution and ensuring grid operability. RTE is constantly seeking ways of remaining a step ahead of changes within the power system. In the energy transition context, French economic competitiveness also relies on optimal efficiency of the power system. Our ambition is to developing a smart transmission system to support tomorrow’s economy and energy landscape, in conjunction with our partners.
REE N°5/2014 21
L'ARTICLE INVITÉ
consommation. En retour, ces zones résidentielles resteront alimentées la nuit tombée, grâce à une électricité provenant de zones plus éloignées. De même, une centrale thermique doit être régulièrement arrêtée pour des raisons de maintenance, modifiant le trajet des flux d’électricité autour d’elle. Le niveau des barrages évolue également au cours des saisons, ce qui modifie leur capacité à produire. On comprend donc que les équilibres entre production et consommation d’électricité ne sont ni figés dans le temps, ni dans l’espace. C’est bien la mutualisation des moyens de production et la complémentarité des sources d’énergie à l’échelle d’un territoire, d’un pays et d’un continent qui permettent d’assurer la livraison à tout instant et en tout point d’une électricité sûre et fiable. Madrid, Paris, Berlin sont trois villes européennes qui témoignent à la fois de conditions climatiques et de modes de vie différents. Solaire du Sud, vent du Nord, dîners à 22 h, 20 h ou 18 h, sont autant de facteurs qui permettent de gérer intelligemment la courbe de consommation.
Solidarité électrique et développement des ENR Aujourd’hui, en modifiant la carte de la production d’électricité, le développement des énergies renouvelables accentue la nécessité d'une meilleure solidarité électrique. Ainsi, le pourtour méditerranéen est propice au développement du photovoltaïque alors que les conditions de vent favorisent l’implantation de parcs éoliens terrestres dans le nord-est,
Figure 1 : Les échanges commerciaux d’électricité entre la France et les pays frontaliers le 1er décembre 2014 - Source : RTE. La France exportatrice en moyenne annuelle, importe régulièrement de ses voisins.
le centre, la vallée du Rhône, et offshore au large des côtes normandes ou de la côte atlantique. Les zones de dévelop-
leurs, comme indiqué précédemment, leur production ne
pement des énergies renouvelables sont souvent éloignées
peut pas coïncider avec les besoins locaux de consomma-
du réseau existant et des centres de consommation. Par ail-
tion. Le réseau de transport d’électricité permet d’acheminer
Figure 2 : Les échanges commerciaux avec l’Allemagne du 27 novembre au 1er décembre 2014 - Source : RTE. Les échanges commerciaux sont très variables au cours d’une même journée.
22
REE N°5/2014
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Haute technologie et matériaux stratégiques L’histoire de l’humanité est jalonnée
complexifiés avec les téléphones intel-
par la découverte des propriétés et par
ligents, les écrans tactiles, les écrans à
l’utilisation successive de nouveaux
diodes.
produits minéraux : la taille du silex au
En matière de transports, l’aviation a
paléolithique a permis la fabrication
innové pour alléger ses structures et ses
d’outils multipliant la capacité humaine
réacteurs ; le développement de gros
et a été suivie de développements de
porteurs ayant une autonomie de plus
plus en plus importants. Plus récem-
en plus grande a amené les ingénieurs
ment, le développement de nouvelles technologies a permis au consommateur d’accéder à de nombreux outils et à de nombreux savoirs nouveaux. La mise au point de ces technologies a été
Alain Liger ingénieur général des mines, secrétaire général du COMES
rendue possible par le recours à un nombre d’éléments chimiques de plus en plus important.
à trouver des solutions sans cesse plus innovantes ; la chimie du carbone y joue un rôle, mais aussi des alliages faisant appel à de nouveaux composants. Les secteurs de l’automobile et du ferro-
viaire ont vu une explosion similaire. Le monde de l’énergie et singulièrement des
De l’usage de quelques métaux principaux
énergies nouvelles est un autre exemple : les pan-
comme le fer, l’aluminium, le zinc, le plomb, le cuivre,
neaux solaires, les éoliennes, le stockage de l’élec-
le nickel (dont certains n’avaient pas d’usages 100
tricité, les piles à combustible, le nucléaire.
ans auparavant) dans les années 1950 voire 1970,
L’industrie, et l’industrie française en particulier,
le monde est passé à l’usage de presque tout le
se trouve donc dépendante d’un certain nombre de
tableau de Mendeleïev : une véritable explosion !
métaux souvent peu connus du grand public que l’on
Non seulement les terres rares (cérium, lanthane,
nomme « matériaux stratégiques » ou « matériaux
néodyme, terbium, europium, yttrium, terbium, lu-
critiques ». Encore faut-il savoir ce que recouvre cet
tétium…), non seulement les éléments du groupe
adjectif : un métal stratégique pour l’industrie élec-
du platine (platine, palladium, rhodium, rhénium)
tronique peut ne pas l’être pour une autres industrie
sont venus s’insérer en quantités croissantes dans
(à ceci près que l’électronique est présente dans un
les produits technologiques que nous utilisons
nombre d’équipements et d’appareils croissant) ; la
tous les jours, mais aussi le tantale, le tungstène,
notion est éminemment dépendante du périmètre
le lithium, le béryllium, l’antimoine, le germanium,
considéré – ce qui ne facilite pas l’action collective.
le cobalt, le gallium, le graphite, l’indium, le ma-
L’Europe a développé le concept et finalisé une liste
gnésium, le niobium, le tellure, sont entrés dans la
de 20 matières premières minérales « critiques »
danse.
qui, en première approximation, peut s’appliquer
Les usages concernés sont de plus en plus nom-
aux enjeux de l’industrie française : antimoine,
breux ; un téléphone portable contient une cin-
béryllium, borates, charbon à coke, chrome, cobalt,
quantaine de produits minéraux différents, certains
fluor, gallium, germanium, graphite naturel, indium,
en très petite quantité, mais avec une fonctionna-
magnésite, magnésium, niobium, phosphates, pla-
lité difficilement remplaçable ; il en va de même
tinoïdes, terres rares légères, terres rares lourdes,
pour les automobiles, pour les installations de pro-
silicium, tungstène.
duction d’énergie, et pour pratiquement tous les objets technologiques.
La France n’a rien d’un eldorado minier mais elle possède néanmoins un réel potentiel pour plusieurs
L’industrie des semi-conducteurs a très tôt uti-
substances stratégiques pouvant contribuer au dé-
lisé des éléments exotiques comme le germanium.
veloppement de son industrie et éviter de trouver
Ses besoins se sont développés avec la miniaturi-
dans une situation de dépendance préjudiciable à
sation des ordinateurs, avec les diodes électrolumi-
ses intérêts économiques et stratégiques. Elle a au
nescentes ou les puces électroniques ; ils se sont
demeurant un passé minier et fut un producteur
REE N°5/2014 27
LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
métallique depuis les antiquités celtes et romaines.
pas à proprement parler rare mais qui n’en est
Les traces laissées par les anciennes exploitations
pas moins stratégique : le béryllium. Le béryllium
et les indices superficiels connus témoignent du
est largement utilisé en alliage avec le cuivre car
potentiel physique du territoire. La variation des
il confère à ce dernier des propriétés mécaniques,
conditions de prix depuis l’arrêt de certaines mines
électriques et thermique qui font du Cu-Be un al-
récentes laisse penser qu’il existe un potentiel éco-
liage aujourd’hui sans égal pour les applications en
nomique sous nos pieds et le développement des
connectique dans tous les domaines de la vie cou-
techniques de reconnaissance minérale permet
rante ou professionnelle. Le béryllium pose un pro-
d’identifier et éventuellement d’en exploiter de
blème stratégique d’approvisionnement mais aussi
nouvelles.
de santé publique dans la mesure où il est classé
Le présent dossier de la REE vise à dresser un pa-
cancérigène de catégorie 1B par le règlement euro-
norama de l’enjeu pour la France de ces matériaux
péen sur la classification, l’étiquetage et l’emballage.
stratégiques en le déclinant selon plusieurs aspects.
Les auteurs expliquent comment gérer ce risque et
Un premier article, rédigé par l’auteur de ces
faire en sorte que le béryllium puisse continuer à
lignes, vise à préciser la stratégie minérale arrêtée par le Gouvernement français en avril 2010 et
Bien entendu, on imagine facilement qu’en ma-
concrétisée par la mise en place en janvier 2011 du
tière de matériaux stratégiques le recyclage consti-
COMES (Comité pour les matériaux stratégiques),
tue un axe d’action fondamental. Erwann Fangeat
présidé par le Ministre de l’économie, de l’indus-
et Alain Geldron de l’Agence de l’Environnement
trie et du numérique. Cet organe de dialogue et de
et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) exposent les
proposition permet de réunir les différentes parties
politiques mises en œuvre sous l’égide des pou-
prenantes : administrations et organismes publics,
voirs publics en France pour assurer la collecte et
utilisateurs, entreprises spécialisées dans l’exploi-
le recyclage des déchets d’équipements électriques
tation, le traitement ou la récupération des métaux.
et électroniques (DEEE). C’est ainsi que près de
Patrice Christmann, du BRGM, aborde ensuite
500 000 t de DEEE ont été collectées et traitées en
le problème spécifique des « terres rares », de la
2013 dans 200 centres habilités. Le taux de collecte
famille du lanthane, qui jouent un rôle essentiel
(31 % en 2013) est appelé à croître et une attention
dans beaucoup de technologies nouvelles des sec-
particulière est portée à certains segments de mar-
teurs de l’énergie, des télécommunications ou de
chés en forte croissance tels que les lampes à LED
l’information. Toutes ces « terres rares » ne sont
et les véhicules électriques.
pas à proprement parler « rares » mais beaucoup
Gilles Dretsch, d’Orange, apporte le témoignage
jouent un rôle stratégique dans un nombre consi-
de ce que peut faire un grand intervenant national
dérable d’applications, telles que les aimants per-
en appui de cette politique publique.
manents au néodyme-bore dopés au dysprosium,
Enfin Alain Rollat décrit le métier de recycleur,
les ampoules basse consommation ou les écrans
tel que le pratique à présent le groupe Solvay,
lumineux dopés à l’europium. En 2010-2011, de
notamment dans son usine de La Rochelle vers la-
fortes tensions sont survenues sur le marché des
quelle sont acheminés des tonnages considérables
terres rares dominé par la Chine et le monde a pris
de lampes à économie d’énergie, de batteries en
conscience de la nécessité de ne pas se placer dans
fin de vie ou d’aimants permanents. Les techniques
une situation de dépendance excessive vis-à-vis de
mises en œuvre sont des techniques de pointe afin
ce pays où les problèmes d’environnement liés à
de permettre notamment la discrimination des
l’exploitation des terres rares sont au demeurant
terres rares dont les propriétés physiques sont très
préoccupants. En France, le Gouvernement est
voisines. En l’absence de ressources minières sur
soucieux que la transition énergétique ne nous
le territoire, de telles stratégies industrielles consti-
conduise pas d’une situation de dépendance vis-
tuent un atout important et une matérialisation des
à-vis des pays pétroliers vers une autre forme de
concepts de l’économie circulaire.
dépendance vis-à-vis de fournisseurs de certains matériaux.
28
être utilisé sans risque pour la santé publique.
Ce panorama n’a pas l’ambition d’être exhaustif. Il faudrait notamment y ajouter les différents
Christophe Le Port-Samzun et Caroline Calvez
métaux utilisés dans les semi-conducteurs et l’élec-
de NGK Berylco France traitent d’un métal qui n’est
tronique (gallium, germanium, indium, etc.) et, in
REE N°5/2014
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
fine, à toutes les applications digitales. Il faudrait
et la Chine, la mise en valeur de sources nouvelles,
surtout y ajouter le lithium qui, dans l’état actuel
par exemple les ressources connues en Bolivie, est
des technologies, joue un rôle essentiel dans les batteries des véhicules électriques mais aussi dans les solutions de stockage qui sont une clé de la viabilité de la production d’énergies électriques intermittentes comme le solaire et l’éolien (batteries d’accumulateurs de type lithium-ion ou lithium-
un enjeu industriel mondial. Alain Liger est ancien élève de Mines ParisTech et ingénieur général des mines. Il a tenu pendant 20 ans des positions opérationnelles et de responsabilité stratégique d’explorationdéveloppement dans les groupes miniers BRGM et Billiton PLC.
Il faudrait y ajouter également des enjeux dans le domaine de la santé, qui, compte tenu de l’allongement de la durée de vie, devient un enjeu majeur de l’industrie mondiale ; le secteur de la défense est également dépendant de solu-
Depuis 2002, il a été successive-
tions technologiques centrées sur
métal-polymère). Le lithium est
ment directeur régional de DRIRE
certains métaux stratégiques. Les
produit dans un nombre limité de
(ministère de l’industrie) et de
matières premières sont au cœur
pays, le Chili, l’Australie, l’Argentine
DREAL (ministère du développe-
de nos activités.
ment durable). Alain Liger a été nommé secrétaire général du COMES – Comité pour les métaux stratégiques – en février 2013. Il est également membre du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies.
LES ARTICLES
Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industrielle Par Alain Liger ................................................................................................................................................................ Terres rares : enjeux et perspectives 2014 Par Patrice Christmann .............................................................................................................................................. Le béryllium : un enjeu pour la qualité de la connectique Besoins, ressources et risques Par Christophe Le Port-Samzun, Caroline Calvez ........................................................................................... Les DEEE et le recyclage des métaux stratégiques en France Par Erwann Fangeat, Alain Geldron ....................................................................................................................... DEEE : Orange veut favoriser l’émergence de nouveaux modèles d’économie circulaire favorisant le ré-emploi et les économies de ressources Par Gilles Dretsch ........................................................................................................................................................ Devenir recycleur, la stratégie d’un groupe producteur de produits minéraux stratégiques Par Alain Rollat .............................................................................................................................................................
p. 30 p. 37
p. 50 p. 58
p. 67
p. 68
REE N°5/2014 29
DOSSIER 1
LES MATÉRIAUX STRATÉGIQUES
Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industrielle Par Alain Liger Ingénieur général des mines, secrétaire général du COMES In 2010, an analysis of the economic risk of the reliance of industry upon outside mineral sources led the French Government to set up a mineral strategy; the Committee for strategic metals – COMES – was subsequently created at the beginning of 2011. Within the COMES, a strategic dialogue takes place between the representatives of the many industry branches that are concerned by minerals and the various Ministries in charge; technical experts from Government agencies also participate in the debates. COMES workgroups discuss issues concerning industry needs and exposure, e.g. primary or secondary resources, circular economy targets or strategic metals substitution. The COMES debates inspired new Government actions such as creating a digital tool to help small and medium enterprises diagnose the strategic metals risks they are exposed to, reinterpreting exploration data of France towards strategic metals targets and setting a French language Internet portal describing mineral issues and data.
ABSTRACT
Introduction Les années 2000 ont vu, au moins
l’élaboration de produits plus vertueux
tique des métaux stratégiques. Le
et plus compétitifs ».
Comité stratégique de filière des indus-
en Europe, une prise de conscience de
L’Etat arrêtait alors une stratégie
tries extractives et de première transfor-
la fragilité de l’économie induite par la
minérale c’est-à-dire un plan d’action de
mation, créé en 2013, prend en charge
très grande dépendance des industries
long terme, portant sur :
les larges enjeux de la filière elle-même.
manufacturières à des sources d’approvi-
(I) le besoin de cerner la vulnérabilité
sionnement étrangères. La concentration
des différentes filières considérées ;
Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES)
de la production de plusieurs métaux et
(II) l’extension de la connaissance géo-
minéraux dans un nombre limité de pays
logique du territoire et de la mer de
Le COMES est présidé par le ministre
et la croissance fulgurante des consom-
la zone économique exclusive fran-
chargé des matières premières, à la
mations et importations chinoises, liée à
çaise (deuxième au monde) et le
date de cet article le Ministre de l’éco-
son essor industriel et technologique, ont
développement de nouveaux outils
nomie, de l’industrie et du numérique,
aidé cette prise de conscience.
d’exploration ;
M. Emmanuel Macron.
C’est particulièrement le cas en France.
(III) une politique de recyclage des
Ses membres sont répartis en trois
La production minérale française, hors
métaux stratégiques de la « mine
collèges : celui des administrations, celui
urbaine » ;
des fédérations professionnelles et indus-
produits pour l’industrie de la construction, est devenue très limitée au cours
(IV) enfin l’instauration d’un dialogue
trielles et celui des organismes techniques.
du vingtième siècle. L’industrie française
organisé entre l’Etat et les indus-
La composition du collège des admi-
importe donc la quasi-totalité de ses
triels concernés par la sécurité
nistrations illustre la diversité des minis-
approvisionnements minéraux.
d’approvisionnement.
tères concernés par la problématique des
Les enjeux industriels et technolo-
A la suite du Conseil des ministres
métaux stratégiques : outre le ministre
giques des métaux stratégiques, sou-
du 24 avril 2010, le Premier ministre, la
chargé des matières premières, déjà
vent peu connus du grand public ont fait
ministre de l’économie et le ministre de
cité, ce collège comprend les ministres
l’objet d’une réflexion de l’Etat, présen-
l’industrie signaient le 24 janvier 2011
chargés respectivement de l’économie,
tée au Conseil des ministres du 27 avril
le décret n° 2011-100 créant le Comité
de l’industrie, de l’environnement, des
2010. Le communiqué indiquait que
pour les métaux stratégiques (COMES).
affaires étrangères, de la recherche et
« l’accès à ces métaux dans de bonnes
Le COMES est un lieu de dialogue pri-
de la défense ; il comprend en outre le
conditions est nécessaire pour assu-
vilégié entre les nombreuses branches
secrétaire général de la défense et de
rer à l’industrie française les conditions
industrielles et les nombreuses admi-
la sécurité nationale, le vice-président
de son développement et lui permettre
nistrations concernées par la théma-
du conseil général de l’économie et le
30
REE N°5/2014
Le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), élément de politique industrielle
délégué interministériel à l’intelligence économique.
A partir de leur propre expérience et
(secteur d’activité, application, chaîne
de ces contributions, les membres des
de production, produit spécifique, com-
De manière symétrique, la composi-
groupes de travail peuvent être amenés
posant…) adaptés à l’activité. La liste
tion des représentants des fédérations
à faire des recommandations d’actions
des matières qui approvisionnent le sys-
professionnelles et industrielles est co-
publiques ou privées ; dans la plupart
tème choisi a été discutée par les partici-
hérente avec le fait que les enjeux des
des cas, ces actions sont simplement
pants d’un groupe de travail du COMES
métaux stratégiques concernent, bien
intégrées, quelquefois sans référence
afin d’assurer un compromis entre la
sûr, les industries extractives et métal-
au COMES, par les administrations par-
couverture des besoins industriels et la
lurgiques, mais aussi, plus largement,
ticipantes à leur programme d’action.
difficulté de construire un modèle qui
tous les secteurs industriels français ; ce
Ni le COMES, ni son secrétaire général
couvre toutes les situations ; elle com-
collège comprend bien sûr la Fédération
ne disposent en effet de budget d’in-
prend les matières premières miné-
des minerais, minéraux industriels et
tervention ni d’autorité sur les services
rales suivantes : aluminium, béryllium,
métaux non ferreux (FEDEM) – mainte-
de l’Etat, ni bien entendu sur les stra-
chrome, cobalt, cuivre, fer, lithium, nic-
nant l’Alliance des minerais, minéraux et
tégies industrielles ; cette caractéris-
kel, niobium, platine, palladium, rho-
métaux (A3M) – et l’Union des indus-
tique essentielle renforce le besoin de
dium, néodyme, dysprosium, tantale et
tries chimiques (UIC) ; les fédérations
consensus, de conviction, qui doit éma-
titane.
représentant les « consommateurs »
ner des groupes de travail.
sont plus nombreuses : le Groupement
L’outil travaille à partir de données synthétiques portant sur les substances
français d’automobiles
La sensibilisation des entreprises aux fragilités de leur outil industriel
(CCFA), la Fédération des entreprises
Un des premiers outils mis en place
concentration de la production et des
du recyclage (FEDEREC), la Chambre
à la suite de la création du COMES est
producteurs, l’existence d’entraves au
syndicale des producteurs d’aciers fins
un outil d’analyse de la vulnérabilité
libre commerce, la volatilité historique
et spéciaux (SPAS), la Fédération des
des entreprises aux matières premières
des prix et la part de production issue,
industries électriques et électroniques
minérales stratégiques.
en tant que sous-produits, d’autres pro-
des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), le Comité des constructeurs
de cette liste, analysées à l’aune de variables comme la stabilité politique des pays producteurs, le niveau de
et de communication (FIEEC), le Grou-
L’objectif de cet outil est de per-
ductions minérales. La plupart des don-
pement des industries de construction
mettre, à chaque entreprise qui le sou-
nées sont issues de tables de références
et activités navales (GICAN) et la Fédé-
haite, de déterminer les métaux pour
internationales.
ration des industries mécaniques (FIM).
lesquels elle est exposée, de com-
Pour chacun des « systèmes » défi-
Enfin, le collège des organismes tech-
prendre les raisons de cette exposition
nis par l’utilisateur, un graphique per-
niques comprend les organismes de
pour développer des stratégies de sécu-
met de visualiser les résultats sur deux
l’Etat concernés : Agence de l’environ-
risation concertées, entre secteurs et
axes : un axe « Risque d’approvisionne-
nement et de la maîtrise de l’énergie
entre industries de taille très différente.
ment » (indépendant de l’entreprise) de
(ADEME), Agence française de dévelop-
Il a été développé par la Direction
chaque matière présente dans le sys-
pement (AFD), BRGM, et Institut fran-
générale de la compétitivité, de l’in-
tème et un axe « Vulnérabilité de l’entre-
çais de recherche pour l’exploitation de
dustrie et des services – DGCIS - (qui
prise par rapport à ce risque (dépendant
la mer (IFREMER).
a pris le nom de « Direction générale
de l’entreprise). Un graphique global
Les travaux du COMES se déroulent
des entreprises – DGE » en septembre
reprend les résultats des systèmes et
essentiellement dans le cadre de plu-
2014) en collaboration avec les fédé-
les pondère avec le chiffre d’affaires de
sieurs
théma-
rations professionnelles participant au
chaque système pour l’entreprise.
tiques ; en tant que de besoin, les
COMES. L’outil a été mis au point avec le
Le site internet de la DGE met
groupes de travail invitent ponctuelle-
conseil en environnement et développe-
cet outil d’autodiagnostic à disposi-
ment des représentants des ministres
ment durable BIO Intelligence Service. Il
tion des entreprises désireuses d’éva-
non membres du comité, des person-
a été conçu et a été testé par des entre-
luer le niveau de vulnérabilité de leurs
nalités qualifiées ou des représentants
prises (grands groupes et PME).
approvisionnements en métaux straté-
groupes
de
travail
des entreprises du secteur à présenter
L’outil est très modulable : il permet
giques. Les fédérations professionnelles
leurs travaux ou leurs actions relatifs aux
de définir librement le périmètre de
membres du COMES ont sensibilisé
métaux stratégiques.
l’analyse en définissant des systèmes
leurs adhérents à l’existence de l’outil.
REE N°5/2014 31
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
PrĂŠvention et gestion du risque Quelques approches novatrices Le risque nous accompagne dans notre vie de tous les jours
ration actuelle Ă mettre en Ĺ“uvre un dĂŠveloppement ÂŤ durable Âť. Qu'il s'agisse de ressources naturelles non re-
Toute l’histoire de l’huma-
nouvelables ou d'atteintes Ă
nitÊ n’est faite que de risques,
l'environnement sous forme
risques acceptĂŠs, risques prĂŠ-
de pollutions, le dĂŠbat se
vus, risques refusĂŠs, risques surmontĂŠs, risques inconnus. Notre ĂŠpoque se caractĂŠrise par un fantastique dĂŠveloppement du savoir et de sa transmission sous toutes ses
Tullio Joseph Tanzi Institut Mines-Telecom Telecom ParisTech. LTCI UMR 5141 CNRS URSI commission F
Jean Isnard URSI commission F
structure dÊsormais autour de quatre questions-clÊs : s LE CARACTÒRE MULTIDIMENsionnel des problèmes, qui ne permet plus d'isoler la sphère Êconomique et la
formes. Plus nous ĂŠtendons notre savoir, plus ses fron-
sphère naturelle et s'inscrit dans le phÊnomène
tières s’Êloignent, plus il devient incommensurable et
gĂŠnĂŠral de la mondialisation ;
plus le risque inhĂŠrent Ă toute activitĂŠ, Ă toute mise en
s LE SOUCI DE RĂ?PARTIR AVEC Ă?QUITĂ? LE BIEN Ă?TRE NON
œuvre de notre savoir s’Êtend. ... la sociÊtÊ moderne est devenue une sociÊtÊ du risque, dans le sens oÚ elle s'emploie toujours plus à dÊbattre des risques qu'elle a elle-même engendrÊs, à les prÊvenir et à y faire face ... (Ulrich Beck) [1]. MaÎtriser les risques, disposer d’outils pour avancer dans l’innovation sans trop de crainte et avec des
seulement entre les individus actuels mais aussi, ce qui est plus difficile encore, sans pĂŠnaliser les gĂŠnĂŠrations futures ; s LE CARACTĂ’RE APPAREMMENT IRRĂ?VERSIBLE DES CONSĂ?quences de comportements ou de choix actuels ; s LgINCERTITUDE TRĂ’S LARGE CONCERNANT LA GRAVITĂ? RĂ?ELLE de ces choix ou comportements mais aussi les prĂŠfĂŠrences des gĂŠnĂŠrations futures.
mĂŠthodes, voilĂ un des dĂŠfis de notre temps. Mesu-
Ces quatre aspects, et notamment les deux der-
rer la part des processus, la part des machines, la
niers citĂŠs, se sont rejoints pour donner naissance
part de l’homme, la part du hasard dans la gestion
au principe de prĂŠcaution. Notion relativement rĂŠ-
du quotidien et la prĂŠparation du futur pour agir avec
cente, il s’est d’abord dÊveloppÊ en matière d'envi-
confiance, est une aspiration de tous.
ronnement. La DÊclaration de Rio, en 1992 [3], l’a
... notre sociĂŠtĂŠ aspire Ă une diminution des
en effet dĂŠfini ainsi :
risques parce que nous devons protĂŠger notre
 Pour protÊger l’environnement, des mesures
planète, nos enfants, les gÊnÊrations futures. Le
de prĂŠcaution doivent ĂŞtre largement appli-
risque est indissociablement liĂŠ Ă l'entreprise
quĂŠes par les Etats selon leurs capacitĂŠs. En
humaine et aux progrès technologiques, sani-
cas de risque de dommages graves ou irrĂŠ-
taires, sociaux. La meilleure manière de se
versibles, l’absence de certitude scientifique
protĂŠger c'est regarder le risque en face et se
absolue ne doit pas servir de prĂŠtexte pour
demander ... comment la science peut aider Ă la
remettre à plus tard l’adoption de mesures
minimiser ... (Claude Allègre) [2].
effectives visant Ă prĂŠvenir la dĂŠgradation de
On trouvera dans la littĂŠrature maintes expli-
l’environnement .
cations de la non existence du ÂŤ risque zĂŠro Âť. Se
Le traitĂŠ de MontrĂŠal, en 2000, traitant notam-
pose alors la question de l’Êvaluation de l’incertain.
ment de la circulation des produits gĂŠnĂŠtiquement
Les dernières dÊcennies du XXe siècle sont en effet
modifiĂŠs, a ouvert le champ d'application du prin-
traversĂŠes par une prise de conscience accrue de
cipe de prĂŠcaution Ă tous les risques induits par
la fragilitÊ de la biosphère face à l'activitÊ humaine
cette catĂŠgorie de produits (risque sanitaire, social,
et par une interrogation sur la capacitĂŠ de la gĂŠnĂŠ-
Ă?CONOMIQUE ET MĂ?ME CULTUREL
REE N°5/2014 77
LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
Le principe de prĂŠcaution s'applique lorsque les
de risque, de l'ĂŠvaluer et de mettre en place les
experts n'ont pas trouvĂŠ de consensus quant Ă l'inno-
moyens Ă mettre en Ĺ“uvre pour sa prĂŠvention et la
cuitĂŠ d'une activitĂŠ ou d'une technologie. Cela signifie
gestion des pĂŠriodes de crise.
que les autoritĂŠs publiques ne doivent pas attendre
Toutes les techniques de la communication et de
de disposer de certitude scientifique pour prendre
l'information modernes telles que la localisation, la
une dĂŠcision. L'application tantĂ´t trop rigide tantĂ´t
tĂŠlĂŠdĂŠtection, les communications, les terminaux
trop systĂŠmatique de ce principe ne permet pas de
Ă technologie ĂŠvoluĂŠe, le multimĂŠdia, la vidĂŠo, les
dÊgager des critères gÊnÊraux d'application. La di-
techniques avancĂŠes de l'informatique et des bases
mension du cas par cas tient donc une place centrale,
de donnĂŠes, les protocoles de sĂŠcuritĂŠ, le traite-
et l'ĂŠvaluation d'une situation restera toujours sou-
ment du signal, les protocoles de communication
mise Ă une apprĂŠciation subjective, confirmant ainsi
et de rĂŠseaux ... constituent une magnifique boĂŽte
que le risque zĂŠro n'existe pas.
Ă outils au service de l'ingĂŠnieur moderne [6] en
Cette notion Ă double tranchant, - mais dĂŠfinitivement nĂŠcessaire dans le cadre de notre sociĂŠtĂŠ
gĂŠnĂŠral et plus spĂŠcialement pour celui qui ĂŠvolue dans le domaine du risque.
Ă modernisation rapide -, a fait son entrĂŠe au plus
Les tĂŠlĂŠcommunications reprĂŠsentent un apport
haut rang de l'ordre juridique français puisqu'elle a
incontestable pour ceux qui ont en charge la ges-
ĂŠtĂŠ introduite dans la Charte de l'environnement de
tion du risque. Elles autorisent la constitution de
2004 et que celle-ci a ĂŠtĂŠ adossĂŠe Ă la Constitution
système de gestion en temps rÊel en favorisant
en 2005. Et si, dans un premier temps, la règle Êtait
l'Êchange d'information tant du point de vue de l’ac-
de le dÊcrier en l'opposant fermement au progrès
quisition que de celui de la diffusion. Les rĂŠseaux
technique et Ă l'innovation, un rĂŠcent rapport du
de sĂŠcuritĂŠ utilisĂŠs pour la protection du public et
SĂŠnat de 2014 [4] vient, au contraire, adoucir les
les secours en cas de catastrophes (PPDR) en sont
prĂŠjugĂŠs pour en faire justement, le principe du
un bon exemple. Le sujet de la mise en place de
progrès. En effet, alors que  la France a peur de
rĂŠseaux Ă large bande et Ă couverture nationale
prendre des risques Âť, il semble dĂŠsormais nĂŠces-
et internationale est en chantier pour longtemps
saire de dĂŠpasser ce stade sclĂŠrosant pour rĂŠaliser
encore. Il comporte plusieurs aspects et d'abord
que la mise en place de mesures de prĂŠcaution pro-
techniques, car l'accès au spectre de frÊquences
portionnelles aux risques engagĂŠs permet de faire
et l'interopĂŠrabilitĂŠ des rĂŠseaux sont essentiels. Il
redĂŠmarrer la recherche et l'innovation.
y a ensuite l'aspect gestion des opĂŠrations et des
Après tant d'ardeur et de ferveur autour de la lÊgi-
moyens. Certains existent dĂŠjĂ qui fonctionnent et
timitĂŠ de son application, le principe de prĂŠcaution
qu'il faut prendre en compte : salles de comman-
semble vivre un retour aux sources en reprenant
dement (C4), interconnexion de ces moyens, etc.
finalement le sens que semblait vouloir lui attribuer
... ne pas prĂŠvoir, c'est dĂŠjĂ gĂŠmir ...
l'un de ses premiers parents Hans Jonas qui parlait
LĂŠonard de Vinci
à l'Êpoque de  Progrès avec prÊcaution  dans son
Les techniques de l'analyse spatiale constituent
ouvrage [5] publiĂŠ en 1979.
un apport puissant pour l'aide Ă la dĂŠcision en situation critique dont un des attendus est la constitu-
L’impact du progrès
78
tion de tableaux de bord basĂŠs sur le raisonnement
Les mĂŠdias nous le rappellent quotidiennement,
spatial [7] afin de permettre un raisonnement. La
nous vivons dans un monde oĂš le risque est conti-
problĂŠmatique porte Ă la fois sur la collecte des
nuellement prĂŠsent. Aux risques de catastrophes
informations et leur distribution vers les hommes
naturelles (ouragans, cyclones, sĂŠismes, tsunamis,
sur le terrain.
glissements de terrain, inondations, incendies de
Les contraintes rencontrĂŠes sont importantes.
FORĂ?T ETC SgAJOUTENT LES RISQUES GĂ?NĂ?RĂ?S PAR LgACTI-
Elles sont principalement dues au fait que l'on
vitĂŠ humaine (conflits armĂŠs, accidents industriels,
constitue des systèmes critiques utilisant une mul-
accidents de transport, etc.) et, ce qui est relati-
tiplicitÊ de sources de donnÊes hÊtÊrogènes issues
vement nouveau, les risques de modification et
de divers capteurs gĂŠographiquement rĂŠpartis et
de falsification d'informations liĂŠes aux nouvelles
intensivement distribuĂŠs. La spatialisation de l'in-
technologies censĂŠes nous protĂŠger. Toute sociĂŠtĂŠ
formation et le suivi dynamique de la spatialisation
qui veut perdurer se doit d'identifier chaque type
des sources mobiles, ainsi que le gigantisme des
REE N°5/2014
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
données à traiter représentent aussi une source de
décision » et ensuite autoriser la redistribution in-
problème conséquent. Enfin la multidisciplinarité
telligente des diverses informations vers le terrain.
nécessaire à ce type d'approche constitue une dif-
De ce point de vue la gestion du risque devient un
ficulté non négligeable.
domaine particulier du système d'information où
L’objectif est d'obtenir des synthèses perfor-
l’apport des TIC est primordial.
mantes et précises de la situation observée. La
... les gens n’ont pas besoin de conseils, ils ont
fusion de données permet de constituer des méta-
besoin de compréhension ... (H. Jackson Brown).
indicateurs qualifiant l'évolution du phénomène observé. La fouille de données spatiales et les
Présentation du dossier
capacités de classification permettent d'extraire de
Le risque est un objet polysémique. Il présente
l'information pertinente et utile pour l'aide à la dé-
une série d’enjeux à la fois pour le scientifique et
cision. Dans un environnement souvent dépourvu
l’ingénieur. Il constitue un sujet complexe sur lequel
d'infrastructures et parfois hostile, un réseau fiable
il serait imprudent d’intervenir sans avoir la maîtrise
ET SÏCURISÏ DOIT ÐTRE CON¥U POUR DISTRIBUER L INFOR-
des concepts sous-jacents : le danger serait alors de
mation et pallier une éventuelle défaillance des
gérer les manifestations de façon superficielle sans
moyens existants. Ce réseau devra disposer d'une
vraiment influer sur les causes profondes. Il est
grande souplesse pour supporter tous types de
donc très difficile de traiter du risque dans toutes
données (y compris vidéo), de capacités d'auto-
ses représentations et ce dossier n’a pas la préten-
configuration en fonction des besoins, d’une qua-
tion de réaliser une couverture exhaustive.
lité de service adaptée à la demande et d'un haut
L’article de Justin Larouzée et de Franck
niveau de sécurité. Il doit donc avoir des capacités
Guarnieri présente le risque vu du côté des
de reconfiguration dynamique prenant en compte
sciences humaines. Il traite du facteur humain et
les informations de localisation des équipements.
de la sociologie du risque, à travers les travaux de
Il est enfin nécessaire de créer, au-dessus de
James Reason sur l’erreur humaine. Cette approche
cette infrastructure ad hoc, une architecture lo-
s’inscrit dans une tendance qui a vu entre les an-
gique de transport, de traitement et d'affichage de
nées 1950 et 1970 l’effort de gestion de sécurité
l'information, et de redistribution des directives.
d’abord se focaliser sur les facteurs techniques puis
Ces problématiques sont proches de celles déve-
entre les années 1970 et 1990 sur les facteurs hu-
loppées en administration de réseau. La problé-
mains (importance de l’erreur humaine dans les
matique porte sur le transport de l'information :
accidents) et enfin depuis les années 1990 sur les
les protocoles d'administration de réseau sont-ils
facteurs d'organisation.
adaptés à cette utilisation ? Quelles sont les carac-
La contribution de Ludovic Apvrille et d’Yves
téristiques de réseaux nécessaires, comment repré-
Roudier analyse les apports des techniques de
senter l'information (tableaux de bord, synthèse,
preuve pour la prise en compte du risque dès la
utilisation d'avatars, intégration au sein de support
conception de systèmes critiques. Les auteurs
cartographiques 2D, et 3D…) ?
montrent comment des exigences de sûreté et de
Le traitement de l'information présente-lui aussi
SÏCURITÏ PEUVENT ÐTRE PRISES EN COMPTE DANS UN EN-
ses classes de problèmes. En premier lieu la distri-
vironnement permettant l’analyse de leur influence
bution de l'intelligence entre les sites et les équipe-
réciproque. L’article illustre ces différents points par
ments mobiles, en gardant à l'esprit l'optimisation
des exemples relevant d’applications des domaines
des temps de réponse, ou encore la réduction de
de l’automobile et des systèmes d’information.
la quantité d'information à transmettre. Le tri et
L’analyse des risques trouve dans la lutte contre
le filtrage de l'information en fonction de sa per-
la criminalité un nouveau champ d’application. Cela
tinence et des utilisateurs visés, l'utilisation de
nécessite non seulement de comprendre le phéno-
bases de données d'historiques ou encore de mo-
mène criminel au travers de variables explicatives
dèles dynamiques de comportement, le couplage
mais aussi de l’anticiper dans un futur plus ou
avec des modèles en général. En résumé, la mise
moins lointain. Patrick Perrot présente l’approche
en place de ce type de système doit permettre de
aujourd’hui développée en matière d’anticipation
« procurer la bonne information, au bon moment,
en combinant à la fois des méthodes de prédiction
au bon endroit, à la bonne personne, pour la bonne
et de prospective. En effet, alors que la première
REE N°5/2014 79
QUELQUES APPROCHES INNOVANTES DANS LA PRÉVENTION ET LA GESTION DES RISQUES
DOSSIER 2
Figure 1 : Version populaire du modèle d’accident de Reason ou “Swiss Cheese Model”.
Huit idées reçues sur le(s) modèle(s) de l’erreur humaine de James Reason Par Justin Larouzée, Franck Guarnieri MINES ParisTech, PSL Research University, Centre de recherche sur les Risques et les Crises This paper directed to engineers, researchers and PhD students concerned one way or another by the issues of industrial safety and needing to use the theories or work of the English psychologist James Reason, theorist and practitioner of the global concept of human error. This paper, which requires additional reading of James Reason’s essential works, intends to provide evidence to exceed eight preconceived ideas about the work of the latter, mainly directed to the etiological model of accidents known as "Swiss cheese model".
ABSTRACT
Introduction
une action humaine qualifiée d'« erreur
en discutant ce qu'il n'est pas. Pour ce
James Reason est un psychologue an-
active »). Ce modèle a contribué à une
faire, nous avons choisi de discuter huit
glais essentiellement connu pour la pater-
nouvelle compréhension des accidents
« idées reçues ». Il fait suite à une analyse
nité du modèle d'accidents dit « modèle
(ou paradigme) dans le domaine des
systématique des travaux de Reason
du fromage suisse ». Ce modèle porte la
Safety Sciences [1]. En 2014, il est tou-
(au nombre de 149), des publications
thèse selon laquelle un accident dans un
jours cité et utilisé dans de nombreux
d'autres chercheurs en lien direct avec
système sociotechnique découle de la
domaines industriels. Pourtant, le de-
le « modèle du fromage suisse » et de
combinaison malheureuse de conditions
gré de connaissance et de maîtrise du
deux précieux entretiens avec James
présentes dans l'organisation en amont
modèle par ses utilisateurs pose ques-
Reason, le 7 janvier 2014 et son prin-
de l'accident (dites « latentes ») et d'une
tion [2,3,4]. Cet article aborde d'une
cipal collaborateur, James Wreathall, le
situation dangereuse (souvent initiée par
manière originale ce fameux modèle
10 octobre 2014. Nous espérons fournir
REE N°5/2014 83
DOSSIER 2
QUELQUES APPROCHES INNOVANTES DANS LA PRÉVENTION ET LA GESTION DES RISQUES
des axes de réflexions qui permettraient
nisation, technique et opérateurs). Rea-
et le monde de l'ingénierie. Nous affir-
une utilisation plus éclairée des travaux
son adosse sa classification des erreurs
mons que c'est cette alliance qui est à
de cet auteur incontournable des Safety
aux différentes « couches » du système
l'origine d'une représentation graphique
Sciences.
pour expliquer les accidents industriels. A
(modèle) pragmatique et fonctionnelle,
Après une brève présentation de l'au-
cette époque, les enquêtes sur les grands
à même d'expliquer la popularité du
teur et de ses travaux, nous aborderons
accidents, font émerger l'idée que l'acci-
modèle et des théories qu'il supporte.
des idées reçues concernant les ori-
dent n'est pas uniquement imputable à
gines du modèle « du fromage suisse »
l'erreur d'un opérateur (facteur humain).
(au nombre de trois), ses fondements
Ses origines remontent aux rouages des
théoriques (au nombre de trois) et ses
systèmes. James Reason fait alors évo-
usages possibles (au nombre de deux).
luer son modèle d'accident au gré de dif-
S'il est essentiellement connu pour
férentes collaborations (et toujours avec
ses travaux sur les accidents industriels
John Wreathall) et participe à différents
(notamment dans les domaines du nu-
programmes industriels de recherche sur
cléaire et de la sécurité aérienne) ou
James Reason, ses travaux et ses modèles
Idée reçue n°1 : les travaux de Reason se limitent à la sécurité industrielle
James Reason est né en Angleterre
les erreurs, les accidents et leurs préven-
dans le milieu hospitalier, James Rea-
en 1938. En 1967 il soutient sa thèse
tion. Ses travaux rencontrent un succès
son a traité de nombreux sujets durant
puis conduit de nombreuses recherches
grandissant dans divers milieux indus-
sa carrière de psychologue [1]. Il rédige
sur la désorientation sensorielle et le
triels de 1990 à 2000.
en 1967 une thèse sur la désorientation
mal des transports. En 1977 il rejoint
En 2000, James Reason débute des
sensorielle et le mal des transports, elle
l'université de Manchester en tant que
travaux sur la réduction du risque en mi-
sera suivie de la publication de nom-
professeur de psychologie. La carrière
lieu hospitalier. Il publie dans le pres-
breux articles et deux livres sur le sujet.
scientifique de Reason (1967-2013) lui
tigieux journal British Medical Journal
Au début des années 1970, il s'intéresse
a valu de nombreuses reconnaissances
(BMJ) une nouvelle représentation de
aux erreurs du quotidien (oublis, ratés
(il est notamment Commandeur de
son modèle [6]. Simplifié, celui repré-
dans la réalisation des actions, lapsus).
l'ordre de l'Empire britannique).
sente les défenses alignées d'un sys-
Durant cette nouvelle période de re-
James Reason est l'auteur de 128 ar-
tème comme des tranches de fromage
cherche, Reason entreprend une taxino-
ticles et chapitres d'ouvrages collectifs
suisse (figure 1). Chaque défense pré-
mie des erreurs humaines. C'est la série
et 21 livres (contribution quantitative-
sente des lacunes (trous du fromage)
d'accidents industriels de 1980 à 1990
ment significative dans le champ des
qui peuvent être le fait d'erreurs hu-
qui l'amène à travailler sur les implica-
sciences du risque). Durant sa carrière,
maines, de problèmes techniques, de
tions des erreurs humaines dans la sé-
Reason a exploré cinq grands champs
mauvaise maintenance ou de décisions
curité industrielle. Jusqu'à la publication,
de recherche. Il consacre 15 années
managériales. Si les lacunes se com-
en 2013, de son dernier livre, Reason
au phénomène du mal des transports
binent (alignement des trous) un danger
a également travaillé sur les notions de
avant de s'intéresser aux erreurs du quo-
potentiel peut porter atteinte à l'intégrité
culture, de rapport à la règle et de travail
tidien. Après 10 années d'observation, il
(physique, économique ou structurelle)
en équipe.
propose un classement de ces erreurs
du système. C'est l'accident.
(ex : erreurs d'action ou de réflexion). La fin des années 1980 et la publication du livre l'Erreur Humaine [5] sont
Idées reçues sur les origines du modèle
Idée reçue n°2 : il (n') y a (qu') un modèle de Reason Il est courant de se référer au « modèle
marquées par des accidents tels que
Cette section revient sur la genèse
du fromage suisse » ou au « modèle de
l'explosion de la centrale nucléaire de
du modèle, ce qui a motivé sa création,
Reason » pour qualifier le modèle éti-
Tchernobyl. Les travaux de Reason ren-
les formes successives qu'il a connu
ologique d'accidents organisationnels
contrent ceux d'un ingénieur nucléaire
dans son évolution (et dans le temps)
publié par Reason. Parler du « modèle
américain (John Wreathall) et s'orientent
mais aussi sur les différents acteurs de
de Reason » occulte cependant le fait
vers la sécurité des systèmes industriels.
sa création. Si Reason a parsemé ses
qu'il existe, en réalité, des modèles de
La collaboration du psychologue et de
publications d'éléments de genèse,
Reason. Cette pluralité s'exprime à deux
l'ingénieur produit un modèle normatif
cette section se veut novatrice en sou-
niveaux, (1) James Reason a publié de
d'un système productif générique basé
lignant une dimension fondamentale et
nombreux modèles normatifs de l'er-
sur ses composantes principales (orga-
négligée : l'alliance entre le psychologue
reur humaine ne portant pas sur les
84
REE N°5/2014
GROS PLAN SUR ...
Le kWh mal traité
Deuxième partie : le contenu en CO2 du kWh Introduction
une méthode de calcul conventionnel ainsi qu’une évaluation des dépenses annuelles ré-
Dans une première partie, publiée dans le numéro 2014-4 de la REE, nous avons traité du « Syn-
sultant de ces consommations ;
drome de l’énergie primaire », mode d’agrégation
s l’évaluation de la quantité d’émissions de gaz
statistique de différentes formes d’énergie (fos-
à effet de serre liée à la quantité annuelle
siles, renouvelables, nucléaire) qui, s’il est détourné
d’énergie consommée ou estimée.
de sa finalité initiale, peut conduire à des conclu-
Or la méthode de calcul des consommations
sions abusives. Ce critère est aujourd’hui fréquem-
est celle de l’énergie primaire. Il s’ensuit que
ment utilisé pour « démontrer » que les usages de
Jean-Pierre Hauet
l’électricité conduisent à une surconsommation
des logements chauffés aux énergies fossiles, le gaz en particulier, apparaissent plus perfor-
d’énergie alors que le développement de l’utilisation de l’élec-
mants que les logements chauffés à l’électricité, même si
tricité va, en général et tout particulièrement dans notre pays,
les émissions en CO2 qu’ils occasionnent sont notablement
dans le sens d’une réduction des émissions de CO2 et de la
supérieures (figure 1). Compte tenu de la primauté donnée
dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles, d’une meilleure
au critère « énergie primaire », les logements chauffés au gaz,
efficacité économique, d’une réduction du déficit commercial
dont la durée de vie pourra atteindre 100 ans, se trouvent
et d’une amélioration du confort et de la finesse de régulation.
promus aux yeux du public aux dépens de solutions élec-
A titre d’exemple, on peut rappeler que les diagnostics de performance énergétique des bâtiments (DPE), institués par
triques tout aussi respectables. Bien évidemment, si l’on veut faire du critère « émissions
le décret du 14 septembre 2006 et à présent rendus obliga-
en CO2 » le critère principal, il faut s’entendre sur les mé-
toires dans la plupart des transactions, doivent aujourd’hui
thodes utilisées pour le calculer et ne pas retomber dans
comporter :
les errements des calculs en énergie primaire. C’est là que
s l’indication, pour chaque catégorie d’équipements, de la
les difficultés commencent et c’est l’objet de ce deuxième
quantité annuelle d’énergie consommée ou estimée selon
chapitre.
Figure 1 : Exemple de diagnostic de performance énergétique (DPE) réalisé sur un logement RT 2012 chauffé au gaz. La performance affichée en termes d’énergie primaire est optimale mais les émissions de CO2 se situent à un niveau assez moyen. Nota : On rappelle cependant que le DPE produit des données normatives et non des consommations réelles.
REE N°5/2014 123
GROS PLAN SUR
La problĂŠmatique du contenu en CO2 du kWh Bilans, budgets et tableaux de bord
A la production, on sait que les centrales ĂŠlectriques sont plus ou moins ĂŠmettrices de CO2 par kWh produit. Les
En France, comme dans bien d’autres pays, la rÊduction
facteurs d’Êmission couramment admis sont de 740 g/kWh
des Êmissions de CO2 est devenue l’une des composantes
pour les centrales Ă charbon les plus modernes, Ă technolo-
essentielles des politiques ĂŠnergĂŠtiques et environnemen-
gie dite ultra-supercritique, et de 370 g/kWh pour les cen-
tales. Les consommations d’ÊlectricitÊ entraÎnent en effet
trales Ă gaz Ă cycle combinĂŠ les plus performantes. Pour le
des ĂŠmissions de CO2 qui sont essentiellement fonctions
nuclĂŠaire et pour la plupart des ĂŠnergies renouvelables, le
du mode de production de l’ÊlectricitÊ. Il est essentiel de
facteur d’Êmission est pris Êgal à zÊro.
savoir quelle est et quelle sera la responsabilitÊ des diffÊrents usages de l’ÊlectricitÊ dans le bilan en CO2 de la nation.
Cependant, lorsqu’on raisonne en ACV (analyse en cycle de vie), on est conduit à majorer les facteurs d’Êmission di-
L’Êvaluation des contenus en CO2 des usages de l’Êlec-
recte du montant des ĂŠmissions imputables au moyen de
tricitĂŠ est nĂŠcessaire pour dresser les bilans des ĂŠmissions
production considĂŠrĂŠ tout au long de son cycle de vie, de
de gaz à effet de serre prÊvus par l’article L229-25 du Code
l’extraction des matières premières jusqu’au traitement de fin
de l’environnement. Elle intervient Êgalement, comme nous
de vie (dÊmantèlement, recyclage...).
l’avons vu, dans l’Êtablissement des diagnostics de perfor-
La Base Carbone maintenue par l’ADEME2 propose en
mance ÊnergÊtique des bâtiments. Elle pourrait Êgalement
dĂŠcembre 2014 les valeurs suivantes pour les contenus ACV
ĂŞtre prise en compte dans la fixation des coefficients de
en France continentale :
modulation rentrant dans le calcul de la consommation
s (YDRAULIQUE G K7H
conventionnelle en Ênergie primaire des bâtiments nou-
s .UCLĂ?AIRE G K7H
veaux qui est à la base de la RT 2012 (article 12 de l’arrêtÊ
s %OLIEN G K7H
du 26 octobre 2010).
s 0HOTOVOLTAĂ•QUE G K7H Les analyses ACV sont reconnues dans leur principe mais
A l’avenir, le projet de loi relatif à la transition ÊnergÊtique pour la croissance verte prÊvoit l’Êtablissement d’une stratÊ1
donnent parfois lieu Ă contestation.
gie nationale de dĂŠveloppement Ă faible intensitĂŠ de carbone
Plus compliquÊ est le problème de la production combi-
s’appuyant sur la notion de  budget carbone . Ce texte sti-
nĂŠe chaleur et ĂŠlectricitĂŠ : quelle part des ĂŠmissions rattacher
pule notamment que :
à l’ÊlectricitÊ et quelle part à la chaleur ? Le problème est as-
ÂŤ Le dĂŠcret fixant la stratĂŠgie bas-carbone rĂŠpartit le bud-
sez marginal en France car la production combinĂŠe y est peu
get carbone de chacune des pÊriodes mentionnÊes à l’ar-
dĂŠveloppĂŠe mais des ĂŠtudes faites dans les pays ĂŠtrangers
ticle L.222-0-1 par grands secteurs, notamment ceux pour
montrent que, selon les conventions adoptĂŠes, les rĂŠsultats
lesquels la France a pris des engagements communautaires
relatifs au facteur d’Êmission à la production peuvent varier
ou internationaux.
considĂŠrablement. En appliquant quatre mĂŠthodes diffĂŠ-
La stratĂŠgie bas-carbone dĂŠcrit les orientations et les dis-
RENTES AU RĂ?SEAU HOLLANDAIS 2OBERT (ARMSEN ET 7INA 'RAUS3
positions d’ordre sectoriel ou transversal qui doivent être Êta-
sont parvenus à des rÊsultants variant de 367 à 708 g/kWh. Le problème est encore plus complexe au niveau de
blies pour respecter le budget carbone Âť. La dĂŠfinition de contenus en CO2 du kWh par usage prend
l’utilisation, lorsqu’on cherche à dÊfinir le contenu en CO2
donc une importance accrue, non plus seulement pour ĂŠta-
d’un usage de l’ÊlectricitÊ. En effet la mutualisation des res-
blir des bilans mais aussi pour arrĂŞter des budgets ou des ob-
sources induite par le raccordement au rĂŠseau de la quasi-
jectifs annuels, par pĂŠriodes successives, et par consĂŠquent
totalitÊ des consommateurs d’Ênergie Êlectrique fait qu’à un
pour ĂŠtablir des feuilles de route et des tableaux de bord.
instant donnĂŠ, un certain nombre de moyens de production
Un problème simple en apparence mais difficile à traiter La question du contenu en CO2 du kWh est d’apparence simple et semble relever du bon sens, mais il n’en est rien. On peut envisager la question à la production ou à la
sont mobilisÊs pour assurer l’Êquilibre du rÊseau en fournissant la puissance nÊcessaire à la satisfaction des besoins. Sous les rÊserves qui prÊcèdent, les facteurs d’Êmission des moyens de production sont connus. Par contre, ces moyens de production se mÊlangent entre eux pour satisfaire les diverses utilisations de l’ÊlectricitÊ. En se plaçant du côtÊ des utilisateurs, il devient
consommation. A prÊsent  Centre de ressources sur les bilans de gaz à effet de serre  – http://bilans-ges.ademe.fr 3 Robert Harmsen and Wina Graus – How much CO2 emissions do we reduce by saving electricity? A focus on methods - Elsevier 2013. 2 1
Le  projet  citÊ ici est le texte disponible à la date de rÊdaction du prÊsent article, à savoir le texte du projet de loi tel qu'adoptÊ en première lecture par l'Assemble nationale.
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REE N°5/2014
❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱ RETOUR SUR
La brillante histoire du laboratoire de physique des solides d’Orsay Denis Jerome Membre de l’Académie des sciences
Ils ont également chacun présidé la Société française de physique (SFP) et multiplié les prix et récompenses scientifiques.
La création du Laboratoire de physique des solides et le contexte scientifique
Introduction Jacques Friedel, né en 1921, nous a quittés au mois d’août
Les premières réflexions sur la création d’un laboratoire
2014. Avec lui a disparu, au terme d’une longue et brillante
de physique des solides à Orsay remontent à 1958, à l’occa-
carrière scientifique, le dernier survivant des scientifiques
sion d’une réunion regroupant le « père Rocard », comme
éminents qui ont créé, il y a plus de 50 ans, le prestigieux
on appelait affectueusement le directeur du Laboratoire de
Laboratoire de physique des solides (LPS) d’Orsay. C’est en
physique de l’ENS, Maurice Lévy qui y dirigeait le Labora-
effet en 1959 qu’André Guinier, Jacques Frie-
toire de physique théorique, ainsi qu’André Gui-
del et Raimond Castaing ont uni leurs efforts et
nier et Jacques Friedel. Yves Rocard souhaitait la
équipes de recherche pour bâtir un laboratoire
construction d’un bâtiment pour l’ENS, proche
qui a profondément marqué le renouveau de la
de l’accélérateur linéaire d’Orsay alors en plein
recherche française dans l’après-guerre et dont
chantier. Dans ce bâtiment, une place serait af-
nous souhaitons retracer brièvement l’histoire à
fectée aux activités de recherche de trois profes-
l’occasion du décès de Jacques Friedel
seurs de physique des solides venant d’horizons
Avant d’évoquer les conditions de la créa-
différents, André Guinier, déjà senior à l’époque
tion puis de la réussite du LPS, rappelons qui
et deux juniors, Raimond Castaing et Jacques
étaient ses trois créateurs, dont les carrières
Friedel.
scientifiques avaient suivi des voies originales et
Dans les années 50, l’activité scientifique
déjà prometteuses. André Guinier, le doyen de
reprenait après les années de guerre et ne pou-
André Guinier.
l’équipe (1911-2000), s’était engagé dans l’étude
vait tenir dans un Paris limité à la Montagne
des rayons X à sa sortie de l’ENS et avait sou-
Sainte Geneviève, avec l’ENS, Polytechnique
tenu sa thèse juste avant la guerre ; il animait
et le Collège de France : comme l’exprimait
une équipe au sein du CNAM et la confiance de
Hubert Curien1, on devait faire respirer la phy-
ses pairs au sein de l’Université lui valait d’être,
sique parisienne sans toutefois la faire éclater.
à la Faculté des sciences, le vice-doyen, chargé
L’extension des bâtiments de l’ENS sur le
du nouveau campus d’Orsay. Raimond Castaing
campus d’Orsay fut décidée, comme annexe
(1921-1998), après l’ENS et l’agrégation en 1946,
du Laboratoire de physique nucléaire et de phy-
avait fait sa thèse à l’ONERA sous la direction de
sique théorique de l’ENS, et c’est en son sein
Guinier ; après avoir mis au point la microsonde
que fut créé le Laboratoire de physique des so-
Castaing, il y pilotait un groupe de recherche.
lides. Les trois fondateurs, dont les compétences
Jacques Friedel, qui avait « fait Polytechnique »
étaient complémentaires, avaient bien compris
comme ses prestigieux ancêtres et commencé
Raimond Castaing en 1994.
l’intérêt de coopérer pour réussir, en évitant les disputes et en maintenant la cohésion, avec
sa recherche dans le laboratoire du professeur Sir Nevill Mott (PhD à Bristol en 1952, prolongé par la thèse d’état
mise en commun de l’ensemble des crédits universitaires au
en 1954), animait à l’Ecole des mines de Paris une équipe
sein d’un laboratoire unique. On en était encore à la création
surtout dédiée aux propriétés mécaniques des cristaux et aux
du campus et il y avait fort à faire : ce n’était qu’un chantier
propriétés électroniques des impuretés dans les métaux.
boueux et Orsay était la seule Université de France non reliée
Mentionnons ici, en les associant dans notre souvenir, que ces trois pionniers obtinrent tous les trois la médaille d’or du CNRS. Tous trois furent membres à l’Académie des sciences.
134
REE N°5/2014
1
Discours d’Hubert Curien à l’Académie des sciences le 4 décembre 2001 prononcé lors de la célébration des 80 ans de Jacques Friedel.
La brillante histoire du laboratoire de physique des solides d’Orsay
Le rayonnement de Jacques Friedel Ce retour sur… le LPS évoque largement mais succinctement les contributions scientifiques de Jacques Friedel tout au long de sa longue et brillante carrière. Les lecteurs intéressés par des développements plus précis et complets se reporteront avec intérêt aux témoignages et explications disponibles sur le site de la Société française de physique (www.sfpnet.fr ) qu’il présida en 1970. Nous voudrions ici souligner l’importance des diverses responsabilités que Jacques Friedel exerça, en plus de la direction du LPS, et qui contribuèrent à son large et exceptionnel rayonnement. Nombreux sont ceux qui se souviennent de Jacques Friedel en 2013.
son enseignement, de ses conseils (combien de jurys de thèses ne présida-t-il pas !), toujours exercés avec une bienveillance et où la forte autorité morale
accompagnait l’impressionnante envergure scientifique. Directeur du LPS, Jacques Friedel présida aussi pendant un temps l’UER 3e cycle d’Orsay (où à la différence des autres universités le découpage suivait les ordres d’enseignement et non pas le découpage disciplinaire). Membre éminent de la SFP, Jacques Friedel, fut à ses débuts (1982-1984) président de la Société européenne de physique (SEP/EPS), qu’il avait contribué à créer quand les blocs divisaient encore l’Europe. Membre de l’Académie des sciences, il en fut élu Président par ses pairs pour la période de 1992 à 1994 puis présida l’Institut. Jacques Friedel appartenait à une famille de tradition protestante d’où est issue une longue lignée de scientifiques polytechniciens ; ceux-ci ont marqué la chimie, la cristallographie, la minéralogie et la géologie françaises : son arrièregrand-père Charles, son grand-père Georges et son père Edmond dirigèrent d’importants laboratoires et écoles ; cette histoire familiale, associant le cousin Charles Crussard, a fait en avril dernier l’objet d’un colloque sur Les Friedel, la chimie et les cristaux. Le 12 juillet 2013, François Hollande avait remis à Jacques Friedel les insignes de Grand-Croix de la Légion d’Honneur ; aucun physicien depuis Branly, Langevin et de Broglie n’avait reçu cette très rare reconnaissance de la République envers ses savants.
à Paris par une route carrossable, selon André Guinier qui en
après avoir quitté les thèmes sur lesquels il travaillait à Saclay
sera le premier doyen !
(antiferromagnétisme et diffraction de neutrons).
Le laboratoire du 210, dont André Guinier fut le premier directeur, regroupait les activités d’imagerie et de rayons X, la
Le laboratoire associé au CNRS.
physique des propriétés électroniques, magnétiques, méca-
En 1966, le laboratoire formait déjà un tout pour l’univer-
niques et plastiques des métaux et alliages. L’un des grands
sité, mais vis-à-vis du CNRS chacune de ses composantes
atouts du 210 fut de s’adosser dès ses débuts à un ensei-
dépendait de commissions différentes du comité national,
gnement de DEA de haut niveau en physique des solides :
sans réelle harmonisation entre elles. Sur la suggestion de
Guinier enseignait les structures cristallines, Lévy la méca-
Guinier et Friedel2, Pierre Jacquinot, alors directeur du CNRS,
nique quantique, Aigrain les phénomènes de transport et
accepta que le Laboratoire de physique des solides soit
Friedel la structure électronique. Ce fut le début d’un DEA
considéré comme une seule entité par le CNRS, à l’image
moderne dont les cours, d’abord répartis entre Paris et Orsay,
de ce qu’il était à l’université : cette décision conduisit au
furent regroupés à Orsay dès 1960
laboratoire associé N° 2 (ou LA2) – le premier pour la phy-
Cet enseignement de DEA a joué un rôle fondamental dans
sique, et elle contribua à lancer en France la formule des
les succès scientifiques du laboratoire. De nombreux étudiants
laboratoires associés Université-CNRS, devenus plus tard uni-
pouvaient effectuer sur place le stage obligatoire d’un mois et
tés mixtes de recherche (UMR). Cette formule inaugurée à
il constituait un vivier d’étudiants de très haut niveau pour des
Orsay en 1966 ne se généralisa pas sans réticence dans le
thèses dans ses propres murs. Avec celui dispensé au CEA
pays, les doyens des universités n’étant pas ravis de voir le
Saclay, Orsay fut alors, dans le cadre de l’université, le pre-
CNRS entrer dans le jeu de la recherche universitaire. C’était
mier enseignement de haut niveau en mécanique quantique
cependant une formule particulièrement bien adaptée à la
et c’est Pierre-Gilles de Gennes qui l’assura à partir de 1961,
2
J. Friedel, Graine de Mandarin, Editions Odile Jacob, p 226.
REE N°5/2014 135
ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN BATAILLE
Député du Nord
La transition énergétique REE : Monsieur le Député, quels sont
sures que l’on voudrait d’envergure et de
ment réduire, et de façon draconienne,
selon vous les points forts du texte
propositions anodines.
la production nucléaire.
sur la transition énergétique que
Mais la vraie question reste celle-ci :
l’Assemblée nationale vient
sait-on où l’on veut aller ? La France, après
REE : Mais si l’on veut donner leur
d’approuver en première lecture ?
les deux premiers chocs pétroliers, s’était
chance aux énergies alternatives,
Christian Bataille : Cette loi est une loi
donnée pour objectif de s’affranchir de sa
il faut bien leur réserver une place
de synthèse mais nous en avons connu
dépendance énergétique et de trouver un
dans le mix électrique ? C. B. : C’est la théorie ! Aucune énergie
d’autres qui étaient au moins aussi importantes. Je pense en particulier à la loi NOME du 7 décembre 2010 dont Jean-Claude Lenoir était le rapporteur. La présente
…mais le texte cède à des effets de mode
loi sur la transition énergétique se fo-
de substitution n’est aujourd’hui mise en œuvre de façon convaincante en France. Regardez aussi le cas de l’Allemagne : les Allemands ont dépensé des sommes
calise en fait sur l’électricité et donc,
équilibre raisonnable entre formes d’éner-
considérables sur l’éolien et le photovol-
par ricochet, sur l’énergie nucléaire. Elle
gie. On a rompu cet équilibre en mettant
taïque avec comme résultat un retour
permet au passage de faire le point sur
en cause la production d’électricité d’ori-
du charbon et une augmentation des
ce que l’on peut attendre des énergies
gine nucléaire mais on se contente à pré-
émissions de CO2. Aujourd’hui, on ne les
sent d’objectifs très généraux concernant
entend plus sur le sujet et ils cherchent
les énergies renouvelables dont on sait
une porte de sortie. Mais nous, nous
qu’elles ne pourront pas prendre la relève
continuons comme si de rien n’était.
Une approche nouvelle de la rénovation thermique des bâtiments
au niveau escompté. REE : On sent bien que le nucléaire
alternatives. Mais je crois que son ap-
REE : Comment on est-on arrivé là ?
est pour vous un point bloquant ?
port principal réside dans une approche
C. B. : Le texte part malheureusement
Pourquoi vous semble-t-il aussi crucial ?
nouvelle sur les bâtiments et sur leur
de prémisses qui sont fausses en tablant
C. B. : Ce que prévoit la loi est grave
rénovation thermique qu’il est urgent
sur une baisse de la consommation élec-
pour l’avenir. En n’autorisant pas la con-
d’organiser. C’est un domaine où nous
trique dans les 10 ans à venir alors que
struction de tranches supplémentaires,
avons un retard considérable et la loi
tout indique qu’elle va augmenter du fait
on va bloquer notre industrie nucléaire,
contribuera à le combler.
des usages nouveaux tels que le véhicule
et notamment AREVA, au moment où le
Cependant, cela ne suffit pas à faire
électrique, les transports urbains, l’électro-
marché mondial des centrales va con-
de la loi un bon texte et je ne l’ai pas
nique, les consommations domestiques.
naître un progrès spectaculaire. Nous
voté.
L’électricité est une forme d’énergie com-
sommes parvenus jusqu’à présent à
mode, souple et porteuse d’avenir. C’est
rester dans ce marché, et à un très bon
REE : Pourquoi avez-vous décidé
un contresens total de penser que cette
niveau, mais au moment où il s’apprête
de ne pas voter ce texte ?
énergie a un avenir révolu.
à redécoller, on empêche notre indus-
C. B. : Je ne suis pas un député frondeur : sur les actes essentiels, je soutiens sans hésiter le Gouvernement. Mais ce texte cède à des effets de mode et on y remplace des analyses techniques par du vocabulaire. La « transition » est un
trie d’en tirer bénéfice. Si la France n’est
La consommation d’électricité va augmenter, nous aurons besoin des centrales nucléaires
pas un terrain de démonstration, nous aurons du mal à nous maintenir. Par ailleurs, on veut lutter contre l’effet de serre mais on arrête le meilleur outil dont nous disposons. On n’a pas aujourd’hui de solution de substitution
mot qui ne blesse personne mais dire que nous vivons une période de tran-
Nous avons donc besoin des sources
à la hauteur du problème posé. A nou-
sition fait partie des « idées reçues »
d’approvisionnement performantes que
veau, regardez les Allemands qui avaient
décrites par Flaubert. Ce texte manque
sont les centrales nucléaires et c’est une
l’intention de développer une vaste in-
de fond et c’est une compilation de me-
erreur grave que de vouloir délibéré-
dustrie des renouvelables mais qui sont
REE N°5/2014 141
On risque de bloquer notre industrie nucléaire au moment où le marché redémarre
60 % de nucléaire en 2035 seraient un objectif raisonnable
d’électricité en 2035 me semblerait raicontraints de revenir à des solutions du
sonnable. Il pourrait s’accompagner d’un
siècle passé.
programme d’engagement mesuré de
Sur le long terme, nous avons le pro-
nouveaux réacteurs nucléaires consis-
gramme de génération IV et le projet de
tant à lancer de façon progressive de
réacteur ASTRID. Nous sommes encore
nouveaux EPR à partir d’une certaine
bien placés sur ce terrain et ASTRID reste
date, avec un rythme de croisière cor-
financé pour quelques années. Nous bénéficions de l’antériorité mais les Chinois ont la puissance et si ASTRID doit être freiné, les efforts du CEA devien-
La recherche sur l’exploitation des gaz de schiste doit être poursuivie
respondant approximativement à un réacteur nouveau pour deux arrêtés. C’est évidemment un programme qu’il faudrait étudier et affiner.
dront inutiles ou profiteront aux concurrents étrangers.
serves, dans le Bassin parisien profond
REE : Vous êtes donc hostile
Donc il faut continuer à donner toutes
notamment, des études américaines
à la fermeture de Fessenheim ?
ses chances au nucléaire, tout en re-
l’ont montré. La France ne doit pas res-
C. B. : L’autorité de sûreté a la capacité
connaissant qu’on ne pourra pas faire
ter, comme elle l’est actuellement, dé-
d’arrêter toute centrale si sa dangerosité
l’économie des énergies fossiles pour
pendante du gaz russe. On peut certes
venait être avérée. Cela n’est pas le cas,
beaucoup d’usages.
regretter que l’on n’ait pas été capable
que je sache, pour Fessenheim et je
de bâtir une coopération constructive
vous renvoie au rapport parlementaire
REE : Cela nous amène au pétrole et
avec la Russie mais c’est aujourd’hui un
du sénateur Bruno Sido de juin 2011.
au gaz de schiste. Quelle est votre
fait. L’Allemagne s’est mise en situation
position à leur sujet ?
de dépendance vis-à-vis à de la Russie,
C. B. : C’est un sujet où l’information a
sur ce point nous ne devons pas cher-
été manipulée et contrefaite, dans le
cher à l’imiter.
Fessenheim sera très utile dans les années qui viennent
trop fameux film Gasland en particulier. Je considère qu’il n’y a aujourd’hui au-
REE : Revenons au projet de loi
Fessenheim fonctionne bien, il n’y a pas
cun argument convaincant qui permette
et aux grands objectifs qu’il comporte.
de raison de l’arrêter et son apport en
d’écarter la fracturation hydraulique. Mais
Vous ne les partagez pas mais seront-
puissance garantie va être très utile dans
les propriétés du gisement et les carac-
ils atteints ?
les années qui viennent.
téristiques de l’environnement en sur-
C. B. : Très franchement, je trouve que
face peuvent conduire au choix d’autres
tous ces objectifs sont des mots et ils ne
REE : Vous avez été à l’origine de la
technologies. Il faut donc autoriser les
seront pas atteints en effet car les énergies
loi Bataille2 sur les déchets d’origine
recherches sur de nouvelles technologies
alternatives n’apporteront pas la contribu-
nucléaire. Où en est-on aujourd’hui ?
telles que la fracturation par arc électrique,
tion espérée. Le dossier Energie est en
C. B. : Je suis assez fier de cette méca-
la stimulation à partir de gaz liquéfiés ou
passe de devenir le plus mauvais dossier
nique mise en place à partir de 1991
gélifiés ou la stimulation au propane. Tout
du Gouvernement. Le chômage ne peut
pour traiter de façon rationnelle le pro-
cela est expliqué dans le rapport que j’ai
être endigué mais dans l’énergie le Gou-
blème essentiel des déchets. Les choses
publié avec Jean-Claude Lenoir .
vernement peut agir. Il devrait le faire de
avancent et je suis confiant que le pro-
Nos besoins en hydrocarbures pour-
façon plus raisonnable et plus réaliste.
jet de stockage géologique CIGEO3 se
raient être partiellement satisfaits à partir
REE : Quels seraient des objectifs
fera et que d’ici une dizaine d’années,
de notre sous-sol. La France a des ré-
raisonnables ?
les premiers colis commenceront à y
C. B. : On pourrait sans doute ralentir
être stockés. C’est un très gros inves-
1
1
NDLR : Les techniques alternatives à la facturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels – Christian Bataille, député et Jean-Claude Lenoir, sénateur – Les Rapports de l’OPECST – 27 novembre 2013.
142
REE N°5/2014
le nucléaire à la fin de la durée de vie des centrales actuelles, c’est-à-dire sans
2
Loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs.
3
Centre industriel de stockage géologique.
anticiper sur leur fermeture. Un objectif de 60 % de nucléaire dans la production
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Faire connaître et partager les cultures un impératif !
L
Entretien avec Maud Olivier - Députée de l’Essonne
e titre de cet entretien est celui d’un rapport parlementaire de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), établi à la demande du président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée Nationale, Patrick BLOCHE. Comme il est d’usage, le président de l’OPECST d’alors, Bruno SIDO, a chargé de cette étude deux membres de l’Office, Maud OLIVIER, députée, et Jean-Pierre LELEUX, sénateur, appartenant respectivement au groupe socialiste et au groupe UMP. Enregistré sous le N° 1690 à l’Assemblée Nationale et le N° 274 au Sénat, leur rapport est disponible auprès des librairies des deux assemblées au prix de 9,50 (402 p, y compris les annexes) ou en accès libre sur leurs sites Internet. REE remercie Madame Maud OLIVIER d’avoir accepté de répondre à ses questions sur ce thème des cultures scientifique, technique et industrielle (CSTI) qui lui tient à cœur comme très certainement aux lecteurs de la revue.
REE : Pourriez-vous rappeler brièvement pour nos lecteurs la genèse de cette mission parlementaire que vous avez coprésidée avec le sénateur Jean-Pierre LELEUX. Maud Olivier : Patrick Bloche, a demandé à l’OPECST de réaliser une étude sur la culture scientifique et technique, jugeant que l’Office pourrait utilement poursuivre les réflexions déjà engagées, afin d’évaluer l’adéquation des dispositifs de diffusion de la culture scientifique aux objectifs qui lui sont donnés : accès de tous à la science et à la technologie, notamment pour susciter le plus grand nombre de vocations de chercheurs et d’ingénieurs chez les jeunes, établissement d’une confiance durable entre la communauté scientifique et les pouvoirs publics d’une part, avec la société civile d’autre part, pour favoriser une approche apaisée et efficace de questions controversées, comme les nanotechnologies et les OGM.
L’OPECST regroupe des parlementaires chargés d’éclairer l’action du Parlement en matière scientifique et technologique REE : Votre rapport est particulièrement étoffé : il analyse la richesse et la variété, mais aussi la complexité, les défauts et insuffisances des actions entreprises, avant de formuler des recommandations. Pouvez-vous nous préciser vos impressions globales sur les atouts de notre pays face aux enjeux sociétaux des CSTI ? M. O. : En France, les cultures scientifique et technique, mais aussi industrielle occupent une place importante. Elles concernent de nombreux domaines d’emplois avec de grandes et belles industries ; nous avons des écoles de grande renommée, de nombreux prix Nobel et des chercheur-e-s reconnu-e-s ; les Françaises et les Français sont souvent au rendez-vous des débats contemporains, de façon parfois très controversée d’ailleurs.
144
REE N°5/2014
Nous avons également la chance d’avoir en France, pour la diffusion de la culture scientifique, des acteurs, tout à la fois experts et militants. A travers les musées comme le Palais de la Découverte, les nombreux centres de cultures scientifique, technologique et industrielle (CCSTI), et les associations d’éducation populaire, nous disposons d’une multitude d’acteurs, ayant des techniques d’interventions diverses et complémentaires. REE : La mission que vous avez conduite a tenu à s’informer directement sur ce qui se passe dans plusieurs pays voisins. Quelles sont les expériences et réalisations qui vous ont marquée et qui seraient susceptibles d’inspirer en France les actions des pouvoirs publics ? M. O. : Dans tous les domaines, et quand nous rencontrons depuis de trop nombreuses années des résistances importantes, il est fondamental d’aller voir les expériences qui marchent à l’étranger. C’est pourquoi nous sommes allés en Allemagne et que nous avons échangé avec des acteurs en Angleterre et au Québec.
Dans des pays comparables au nôtre comme l’Angleterre ou l’Allemagne, le journalisme scientifique est nettement plus développé En Allemagne comme en Angleterre, j’ai été frappée du développement du journalisme scientifique, vecteur fondamental de diffusion de la culture scientifique au grand public. En Allemagne, l’offre est importante et diversifiée. On compte par exemple huit journaux scientifiques destinés aux enfants et des chroniques courtes et ludiques qui sont diffusées dans les grands journaux. Nous avons par ailleurs découvert le Science Media center anglais qui joue le rôle d’interface entre les chercheur-e-s et les journalistes. Grâce à une très importante base de données et de
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Un établissement emblématique des CSTI : le Palais de le Découverte, créé en 1937 par Jean Perrin (www.palais-decouverte.fr). contacts, il se charge d’apporter aux journalistes, de façon réactive, les informations ou les contacts liés à l’actualité. Si ce dispositif pèche par différents aspects, nous nous sommes inspirés de certains points pour recommander que soit créé un centre de communication scientifique au sein de l’Institut des Hautes études pour la science et la technologie. REE : Vous formulez des recommandations précises afin que le corps enseignant puisse jouer, de la maternelle à l’université, un rôle décisif pour « faire connaître et partager les CSTI ». Quelles sont les plus importantes, à la fois réalistes et de mise en œuvre potentiellement rapide ? M. O. : Dans le domaine de l’éducation, et pour favoriser la démocratisation des cultures scientifique, technologique et industrielle, il faut que l’école en soit le vecteur principal. Pour cela, il faut mieux former les enseignants aux cultures scientifiques et à leur diffusion. Ainsi, nous proposons d’intégrer un enseignement spécifique des CSTI dans le cursus des étudiants des ESPE (et de le promouvoir dans la formation continue) : il faut faire intervenir la Fondation La main à la pâte, ou un acteur similaire, au moins une fois dans le cursus. Il faut également, et c’est en très bonne voie, que les compétences pédagogiques des futurs enseignants prennent une plus grande place dans les évaluations ; en particulier la pédagogie par l’expérimentation doit être renforcée. Les établissements associés aux CSTI sont nombreux sur tous les territoires. Nous proposons de développer leurs liens avec les établissements scolaires, en nommant dans chaque établissement un référent pour les CSTI : celui-ci aurait en charge de coordonner les actions de partage des CSTI au sein de l’établissement et à l’extérieur, avec les autres acteurs (universités, associations, organismes de recherches, acteurs industriels).
Le corps enseignant, de la maternelle à l’université, est appelé à jouer un rôle essentiel, mais non exclusif Pour inciter les enfants et leurs parents à participer aux débats sur les enjeux scientifiques, nous proposons que soit organisé chaque année dans les établissements primaires et secondaires, un débat, fil rouge de l’année, sur le modèle des conférences de citoyens. Ce dispositif aurait plusieurs objectifs : s D IMPLIQUER LES PARENTS DANS LE SYSTÒME ÏDUCATIF ET LEUR TRANSmettre, en tant qu’éducateur, la connaissance de certains sujets scientifiques ; s DE SENSIBILISER PARENTS ET ÏLÒVES Ì LEUR PARTICIPATION EN TANT QUE citoyens aux débats scientifiques ; s DE FAIRE INTERVENIR DANS LES ÏTABLISSEMENTS DES ACTEURS LOCAUX ET nationaux émanant des mondes de la recherche et de l’entreprise. Autre exemple, au lycée, nous proposons qu’une initiation à la recherche soit proposée aux élèves, en lien avec leur cursus (technologique, scientifique, littéraire ou économique et social). REE : A propos de la réforme des rythmes scolaires, on a bien peu parlé des CSTI … Ne serait-ce pas là une excellente occasion de stimuler les actions de terrain, telles celles menées avec « Les petits débrouillards » et/ou « La main à la pâte » ? M. O. : De fait, notre rapport évoque cette question et rappelle que les élus, dans le cadre de l’organisation des activités périscolaires liées à la réforme des rythmes scolaires, ont besoin très rapidement de disposer des informations nécessaires pour choisir les acteurs de terrain compétents. Pour ces raisons – et compte tenu du travail de cartographie des acteurs de terrain déjà entamé – il nous a paru opportun d’inclure les CSTI dans les attributions de l’OCIM (Office de coopération
REE N°5/2014 145
CHRONIQUE
Du bon usage des controverses scientifiques…
L
es controverses et polémiques sont évidemment consubstantielles à la science qui se construit et s’élabore : l’un des mérites du premier ouvrage qui inspire notre chronique est d’en dresser une liste fort éloquente. Aline Richard, directrice de la rédaction du mensuel La Recherche a eu raison de mobiliser une solide équipe de journalistes scientifiques et de spécialistes de sciences humaines (histoire ou sociologie essentiellement) pour évoquer quelques controverses, historiques ou peu connues, jalonnant depuis Galilée l’histoire des grandes découvertes. On retrouve avec grand plaisir des débats, dont certains perdurent, comme l’origine – Newton ou Leibnitz ? – du calcul différentiel, mais dont beaucoup ont été tranchés définitivement comme la génération spontanée, la vitesse de la lumière ou la dérive des continents. Ce recueil s’abstient à juste titre d’évoquer plusieurs séries de phénomènes qui sont à la marge des controverses : ainsi il n’est pas question des canulars tel le crâne de Piltdown ou le fameux article de Alain Sokal, ni des négationnismes scientifiques, qui à l’image de ce qui se passe en histoire, rassemblent encore quelques opposants sectaires à la théorie de la relativité (pourtant sans doute utilisateurs de portables !) ou aux vertus des pratiques vaccinales. Il n’évoque pas non plus les supercheries, volontaires ou non, qui jalonnent l’histoire des sciences ; ainsi il ne parle pas des rayons N, artefact que le nationalisme des lorrains (N comme Nancy !) entretint à l’époque où Roentgen découvrait les rayons X de l’autre côté du Rhin, mais l’évocation de la mémoire de l’eau fait l’objet d’un exposé fort éloquent sur une aventure analogue. Ces phénomènes ont d’ailleurs été analysés avec brio par Alexandre Moatti dans ALTERSCIENCES (voir par exemple la REE 2013-2). Pour le plaisir du lecteur il reste heureusement bien des questions pour lesquelles la science n’a pas ou pas encore tranché de façon indiscutable et convaincante : ainsi en est-il des dangers de la radioactivité (effet de seuil ou proportionnel ?), ou encore du réchauffement de la planète, avéré mais qui n’a pas encore désarmé tous les climato-sceptiques. Nicolas Chevassus-au-Louis rassemble d’ailleurs dans un ultime chapitre huit affaires à suivre, qui
sont autant de polémiques dans l’air du temps (par exemple les dangers possibles liés aux OGM, à l’exploitation des gaz de schiste, aux ondes électromagnétiques ou aux nanotechnologies). On songe à Pasteur évoquant la génération spontanée : ce n’est pas parce qu’elle est envisageable, qu’elle existe… Le point commun à ces polémiques contemporaines est inséparable de la perception sociétale de la science, laquelle a largement cessé d’être, pour le grand public, associée au
Ouvrage collectif sous la direction d’Aline Richard et d’Hélène Le Meur Les grandes controverses scientifiques Éditions Dunod et La Recherche mars 2014 - 166 p. - 14,50
Ouvrage collectif sous la direction de Pierre Rosanvallon, avec une introduction de Serge Haroche Science et démocratie Éditions Odile Jacob Collection Collège de France octobre 2014 - 330 p. - 25,90
progrès. Ce n’est pas un hasard si force débats tournent autour de deux questions d’ailleurs corrélées : risque et danger d’une part, principe de précaution d’autre part, largement invoqué par les profanes. Ce sont précisément ces thèmes qu’aborde sous le titre à la fois ambitieux et mystérieux de Science et démocratie le second ouvrage aux sources de cette chronique. Habituées à publier les travaux du Collège de France, les éditions Odile Jacob viennent de rassembler les conférences prononcées à l’automne 2013 au colloque dans lequel, chaque
année, des professeurs en activité ou émérites de cette vénérable institution confrontent leurs réflexions avec d’éminents invités. Il y a donc une grande différence de ton entre les deux ouvrages : aux présentations essentiellement journalistiques de l’un correspondent des exposés satisfaisant avec brio aux critères usuels des universitaires. Dans son introduction Serge Haroche, administrateur du Collège, pointe les relations de plus en plus conflictuelles entre science et société ; ensuite des spécialistes divers, scientifiques mais aussi historiens, juristes ou économistes, s’efforcent d’éclairer plusieurs thématiques concernant à la fois le savant et la cité. L’enjeu, comme le souligne Pierre Rosanvallon dans une synthèse conclusive pénétrante, concerne bien la gestion, démocratique et de long terme, de questions essentielles dans des économies avancées comme celle de notre pays. Le rôle de l’expertise et les voies par lesquelles elle peut – et doit – inspirer les décisions de la puissance publique sont analysés de divers points de vue ; il s’agit in fine de convaincre l’opinion pour que celle-ci accepte, sans réticence, des évolutions globalement bénéfiques. L’horizon temporel, auquel les hommes politiques sont particulièrement sensibles, est toujours prégnant dès qu’il s’agit de mettre en œuvre à l’échelle d’un pays des orientations à fort contenu capitalistique et l’analyse économique bute sur les taux d’actualisation à prendre en compte dès lors que les équipements ou les effets s’étalent sur des décennies ; ainsi en est-il de la transition énergétique, ou encore de la politique climatique ou de la politique de santé. Au total nous avons 15 exposés, dont les termes mesurés et les argumentaires nuancés tranchent avec les slogans simplificateurs et irrationnels, contre lesquels s’élevaient déjà en 1992 les prestigieux signataires de l’appel d’Heidelberg. La variété des thèmes abordés, – des cellules souche au gaz de schiste –, comme la diversité des points de vue exprimés, – du juriste à l’homme de laboratoire –, rend vaine toute présentation de détail : le mieux est évidemment d’aller aux sources et de se précipiter sur Science et démocratie ! B. Ay.
REE N°5/2014 151
PROPOS
LIBRES
Emile H. Malet Directeur de la revue Passages
solidarité et la sobriété en permettant l’accès à l’énergie
E
pour ce faire, une nouvelle grille d’approche doit mettre
pour le plus grand nombre d’individus. Naturellement, et
ntre mondialisation et civilisation, nous vi-
l’accent sur l’énergie comme facteur de croissance et de
vons un malaise social grandissant (chômage
développement, sans négliger la préservation de l’envi-
de masse parmi les jeunes générations),
ronnement. Le challenge est immense, car il vient im-
une économie déboussolée par l’anarchie
pacter tous les interstices de la mondialisation, tant dans
des flux financiers, la discordance entre le temps long
ses asymétries économiques constatées entre pays
de l’histoire – qui permet de prévoir et d’encadrer les
émergents et économies stagnantes, voire en récession,
grandes évolutions – et le temps court des jouissances
que dans l’accentuation des inégalités et des pollutions
consuméristes et, last but not least, le triomphe de la
qui viennent précariser la planète. Mais c’est aussi un
compassion des opinions publiques au détriment des
challenge culturel qui s’appuie sur des acquis de civili-
valeurs universelles fondatrices de notre civilisation.
sation pour inscrire les innovations dans une filiation et
Comment s’étonner dès lors de la redistribution des
une perspective de progrès.
cartes en faveur d’une Chine conjuguant les risques sous
Chaque pays est doté d’une situation particulière
toutes les formes et se saisissant de toutes les opportuni-
quant à la composition de son mix énergétique. Cette
tés de développement et de son corollaire géopolitique :
diversité dans la ressource implique une diversité équi-
un Occident pâle et pétri de doute, se cherchant entre un
valente quant à la transition énergétique qu’il va s’agir de
principe de précaution qui neutralise l’innovation et une
promouvoir aux couleurs nationales. Au sein de l’Union européenne et du fait que les systèmes
culture du zéro (pollution, responsabilité, engagement) et du parfait (santé, transparence, performance sexuelle, propreté). Parmi les rares sujets permettant une possible remise à niveau de nos économies bêlantes, il y a l’énergie comme facteur
Énergie et civilisation
de croissance et la transition énergétique
152
nationaux ne sont pas juridiquement et physiquement comptables, la transition énergétique empruntera des voies singulières. Mais cette singularité doit s’accommoder de règles communes et d’une interdépendance à travers les réseaux
pour gagner un pari de transformation industrielle et
de transport des énergies. Qu’il s’agisse de la protection
(peut-être) renouer avec une société de progrès.
de l’environnement sous toutes ses formes, de la taxe
La transition énergétique s’avère comme une étape
carbone, de l’exploitation du gaz de schiste comme des
nécessaire de transformation socio-économique et
réserves d’hydrocarbures off-shore, des interconnexions
culturelle en vue d’améliorer l’état du monde et éviter
terrestres et maritimes, de la géothermie (à fort poten-
les catastrophes écologiques. Dans ce registre modéré-
tiel dans nos îles d’outre-mer) au solaire photovoltaïque
ment optimiste, on peut penser qu’une transition éner-
si prometteur, bref de tout ce qui a trait à l’énergie dans
gétique raisonnée et raisonnable, où les besoins des
le monde, la transition énergétique est une aubaine de
hommes et les contraintes naturelles et technologiques
développement si nous savons privilégier la coopération
seraient correctement objectivés, peut aider à mettre en
aux dépens des égoïsmes nationaux, la complémenta-
route une nouvelle économie, industrielle et numérique,
rité des ressources à des rivalités marchandes, les régu-
sociale et politique. À l’instar du développement durable
lations climatiques à la recherche de la rente maximale.
qui, avant de devenir un concept galvaudé par la mode
Avec la transition énergétique, la mondialisation dispose
environnementale et instrumentalisé par le politique, a
d’une capacité d’agir contre le sous-développement,
émergé comme un antidote écologique aux excès né-
l’exclusion et la précarité. L’énergie est une ressource à
fastes d’un capitalisme financier sans foi ni loi et d’un
potentialité politique et stratégique, elle est connectée
consumérisme illimité.
à la richesse (et la pauvreté) des nations et aux évo-
Dans ce contexte, la transition énergétique peut favo-
lutions des modes de vie et des comportements. Par
riser l’amorce d’un nouveau modèle de développement,
sa diversité, c’est une ressource cosmopolite ! Si l’eau
promouvant autant la croissance et la prospérité que la
est une source naturelle de vie, l’énergie vient assurer
REE N°5/2014
LIBRES
PROPOS
le bien-être et pérenniser durablement une croissance
à mal toute dynamique de croissance en évitant les
soutenable avec l’équilibre des écosystèmes.
risques, notamment industriel et technologique. C’est
L’énergie est l’une des forces motrices de la mon-
tout l’avantage des énergies nouvelles, y compris du nu-
dialisation et, parmi ces forces, elle en est probable-
cléaire du futur, d’assumer concomitamment le risque
ment l’expression la plus vitale dans la mesure où les
et la croissance dans une démarche de transition. La
incidences énergétiques sont dupliquées sur les batte-
transition énergétique participe d’une dynamique nou-
ments du monde. Les lois de l’énergie sont pluridiscipli-
velle et pourrait – avec le concours d’autres facteurs –
naires par essence et par structure, leurs applications se
contribuer à embellir la croissance sans nécessairement
retrouvent dans l’ensemble des sciences (biologie, éco-
porter atteinte au paysage environnemental. L’énergie
logie, urbanisme, chimie, mathématiques et psycholo-
est un facteur de croissance au propre comme au figuré,
gie). Les énergies nouvelles ont pour point d’application
comme ressource et comme transition. Par l’intercon-
la nature sous toutes ses formes et visent à plus d’inclu-
nexion entre l’économie, le social, l’environnement et la
sion au sein des relations sociales et d’interdépendance
sécurité, le bien-être et les modes de vie, l’énergie est à
dans les échanges commerciaux. Énergie, climat et rela-
même de mobiliser des rouages économiques vétustes
tions internationales dictent le tempo contemporain du
en les adaptant au service de la croissance. L’énergie est
développement durable.
un antidote au vieillissement de nos sociétés et un fac-
La COP21 se tient à Paris en décembre 2015. L’énergie
teur d’irrigation planétaire du circuit économique. Sans
est une chance pour la France, un levier pour l’Europe et
jeu de mots, pourrait-on dire, parce qu’on n’a jamais fait
une stratégie de développement durable pour le monde
avancer un corps sans énergie. Et notre chance, ce qui
dès lors qu’elle est modulée comme facteur de crois-
pourrait prévenir la mondialisation d’un naufrage socio-
sance et de bien-être. Ces trois perspectives peuvent se
économique, tient à cette simple observation : le che-
conjuguer et leur mise en œuvre s’avère synchronique
min de l’énergie est inépuisable et toujours à frayer pour
d’une mondialisation qui n’irait pas à contretemps. Ce
favoriser l’accessibilité du plus grand nombre au circuit
point est essentiel au regard de l’état de déconstruction
économique.
socioculturelle du monde, notamment de l’étiolement
Face aux dérégulations économiques et à la paupé-
des valeurs, des progrès de la spiritualité contrecarrée
risation sociale, l’énergie peut aider à une résilience de
par une culture du pareil au même et de l’émergence
la France et de l’Europe vers une voie de croissance. Elle permettra, si cette grande trans-
abrupte de certains pays d’Asie et d’Amérique latine. Désormais, il fau-
Emile H. Malet est docteur en
formation énergétique est conduite
drait agir français en pensant monde
sciences économiques, journaliste
dans une perspective équitable et
et vice versa, car toute mise en acte
et essayiste, auteur de plusieurs
durable, de rééquilibrer d’un point de
implique une interconnexion de res-
ouvrages sur la mondialisation,
vue économique une situation mon-
sources et de territoires, de réseaux
directeur de la revue Passages et du
diale pétrie d’inégalités et d’injustice.
sociaux et d’impacts sécuritaires
think tank ADAPes, Il est fondateur
Elle pourrait en outre avoir un effet ré-
et stratégiques, de technologies et
du Forum Mondial du Développe-
ducteur sur les tensions et les conflits
de contraintes environnementales, d’égoïsme et d’altruisme. L’écologie comme science environnementale est une absolue nécessité. Sa contrepartie, que l’on pourrait qualifier d’ambiguïté écologique, met
ment Durable et éditorialiste de politiques étrangères sur les radios chrétiennes de France (RCF). Il vient de publier « Défendre la civilisation face à la mondialisation – Editions du Moment. »
internationaux. Naturellement, c’est d’une énergie plus universelle qui requiert de la cohésion sociale, de l’innovation et une coopération internationale, que le monde a besoin pour assurer une transition vers le futur.
REE N°5/2014 153
Entre science et vie sociétale,
les éléments du futur Une publication de la
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REE N°5/2014
Dépôt légal : décembre 2014
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