2015
EDITORIAL Pour une approche pragmatique de la transition énergétique Olivier Appert
Numéro
2
ENTRETIEN AVEC Serge Lepeltier Regard sur la transition énergétique
ÉNERGIE
TELECOMMUNICATIONS
SIGNAL
COMPOSANTS
AUTOMATIQUE
INFORMATIQUE
Cet aperçu gratuit permet aux lecteurs ou aux futurs lecteurs de la REE de découvrir le sommaire et les principaux articles du numéro 2015-2 de la revue, publié en mai 2015. Pour acheter le numéro ou s'abonner, se rendre à la dernière page.
DOSSIER
ISSN 1265-6534
L'ARTICLE INVITÉ
Retour sur… Le radar MIMO Par Jean-Paul Guyvarch
www.see.asso.fr
EDITORIAL
OLIVIER APPERT
Pour une approche pragmatique de la transition énergétique
L
a nécessité de s’engager dans la transition énergétique fait consensus. Mais que recouvre le terme de transition qui est à la mode et est souvent utilisé à tort et à travers ? Ainsi, on parle de transition démographique, numérique, démocratique, etc. Il est indispensable de préciser les enjeux de la transition énergétique et d’examiner comment elle se décline dans les différents pays. Il faut d’abord rappeler que le secteur énergétique est en perpétuelle transition comme tout secteur industriel. Le bois et le vent ont été les sources d’énergie dominantes jusqu’au XVIIIe siècle. L’invention de la machine à vapeur a permis l’émergence du charbon au XIXe siècle. Ultérieurement, le gaz et le nucléaire ont pris une part croissante dans le mix énergétique. Aujourd’hui, le secteur énergétique est confronté à un triple défi : fournir une énergie fiable, à un coût maîtrisé et respectueuse de l’environnement. Les trois dimensions de ce « trilemme énergétique » sont essentielles pour le développement économique et social d’un pays. Mais comment résoudre cette équation ? La transition énergétique est une réponse mais elle impose un compromis entre ces trois dimensions qui varie selon les pays. Il n’y a pas de panacée et il faut adopter une approche pragmatique. L’efficacité énergétique est un moyen puissant mais c’est seulement un moyen. Elle passe par des changements de comportement des consommateurs, mais aussi et surtout par le renouvellement des équipements. Or les changements de comportement des consommateurs ne sont pas immédiats. Et la durée de vie des équipements de production ou de consommation d’énergie est élevée. Confrontés aux mêmes défis énergétiques et environnementaux, tous les pays se sont engagés dans une transition vers un système énergétique durable. Mais les réponses concrètes qui sont apportées varient beaucoup d’un pays à l’autre suivant son niveau de développement économique ou ses ressources énergétiques. L’analyse des politiques énergétiques des pays leaders mondiaux
est indispensable pour appréhender le nouvel ordre économique mondial qui se dessine. Les politiques mises en œuvre pour assurer la transition énergétiques sont donc très diverses car adaptées au contexte économique, énergétique et social de chaque pays. On peut cependant en tirer des enseignements généraux. s ,A TRANSITION DOIT S APPUYER SUR UNE GOUVERNANCE NAtionale et internationale, forte avec la recherche d’un consensus aux niveaux nationaux, régionaux et locaux. s %LLE DOIT TENIR COMPTE DES i TIMINGS w INHÏRENTS AU SECteur (temps longs de construction et déploiement, durées de vie longue des équipements, évolution lente des comportements, etc.). s )L EST NÏCESSAIRE AUSSI DE TENIR COMPTE DES CHOIX POLItiques et priorités nationales (notamment la sortie de crise, les grands équilibres macroéconomiques nationaux). L’énergie doit être au service de la croissance économique. s )L EST IMPÏRATIF DE VISER DES PRIX REmÏTANT LES COßTS COMplets pour envoyer le bon signal prix aux investisseurs et aux consommateurs, tout en protégeant spécifiquement les plus vulnérables. s $ANS LE CONTEXTE ACTUEL DE CRISE ÏCONOMIQUE LE lNANCEment de ces politiques de transition est un défi majeur. Il faut imaginer des solutions innovantes basées sur les ressources locales, nationales, internationales. Les défis pour assurer un système énergétique durable dans ses trois dimensions économique, sociale et environnementale sont considérables. Cela prendra du temps et il n’y a pas de panacée. Les politiques adaptées aux contextes nationaux doivent être mises en place dès maintenant avec pragmatisme en tirant les enseignements des succès et des échecs des démarches adoptées de par le monde. Olivier Appert Président d’IFP Energies nouvelles Président du Conseil Français de l’Energie
REE N°2/2015 1
sommaire Numéro 2
1
EDITORIAL Pour une approche pragmatique de la transition énergétique Par Olivier Appert
p. 1
2
SOMMAIRE
4
FLASH INFOS
7 9 12 13 15 16 16
Vers la 5e génération de téléphonie mobile La technologie LoRa dans la voie du succès Le méthane : un gaz à effet de serre dont on parle trop peu Intégration de sources à photon unique dans une nanofibre optique Le centre coloré azote-lacune du diamant : un candidat à la fabrication des qbits Les réseaux à courant continu étendent leur toile en mer du Nord Les pneus pourraient contribuer à la recharge des batteries Les déinocoques ouvrent la voie aux carburants de 2e génération
18 A RETENIR Congrès et manifestations p. 29
20 VIENT DE PARAÎTRE La REE vous recommande
23 ARTICLE INVITÉ Retour sur... Le radar MIMO Par Jean-Paul Guyvarch
29 LES GRANDS DOSSIERS p. 23
L’hydrogène Introduction : L’hydrogène : le grand débat
p. 85
Par Jean-Pierre Hauet
32
Le “Power to Gas” - Comment relever le défi du stockage de l’électricité ? Par Philippe Boucly
39
L’hydrogène dans la transition énergétique : quels défis à relever ? Par Etienne Beeker
46 p. 101
Crédit photo de couverture : Haver - Fotolia.com
2
REE N°2/2015
L’hydrogène, essentiel aujourd’hui, indispensable demain Par Pascal Mauberger, Philippe Boucly, Aliette Quint, Hélène Pierre, Paul Lucchese, Valérie Bouillon-Delporte, Bertrand Chauvet
L’hydrogène électrolytique, une solution de la transition énergétique ? Par Annabelle Brisse, Ludmila Gautier, Sylvain Hercberg
58
Développement de systèmes d’électrolyse de forte puissance : nécessité et approche
67
L’hydrogène vecteur énergétique. Potentiel et enjeux : une mise en perspective
Par Marc De Volder
Par Jean-François Gruson, Pierre Marion
72
Toyota Fuel Cell System : une nouvelle ère pour l’automobile Par Sébastien Grellier
76
L’hydrogène dans la transition énergétique. Trois facteurs clés : la production, les applications à la mobilité et l’acceptation par le public Par Jean-Guy Devezeaux, Christine Mansilla, Elisabeth Le Net, Alain Le Duigou
81
L’hydrogène, fée bienveillante ou démon tentateur Par Jacques Maire
85 GROS PLAN SUR … La redéfinition du kilogramme et des unités électriques Par Pierre Cladé, Lucile Julien
92 RETOUR SUR ... Les étalons de mesure - Du mètre méridien au mètre lumière Par Marc Leconte
101 ENTRETIEN AVEC... Serge Lepeltier,
Ancien ministre de l’Écologie et du Développement durable, Président de l’association Equilibre des Energies Regard sur la transition énergétique
105 ENSEIGNEMENT & RECHERCHE Grenoble INP : ancrage dauphinois et grand rayonnement ! Par Brigitte Plateau
111 Echos de l’enseignement supérieur Par Bernard Ayrault
113 CHRONIQUE Sur le rôle des chroniqueurs et journalistes scientifiques… Par Bernard Ayrault
ETTC’2015 EUROPEAN TEST & TELEMETRY CONFERENCE
ETTC’2015
53
9-11 June 2015 Toulouse - France Organized by:
115 LIBRES PROPOS Pour un développement numérique durable Par Nicolas Curien
119 SEE EN DIRECT La vie de l'association
www.see.asso.fr/ettc2015
REE N°2/2015 3
FLASHINFOS
réseaux 5G. D’autres accords ont été annoncés autour de
Vers la 5 génération de téléphonie mobile e
la 5G : on peut citer l’alliance 5G World Alliance et l’accord entre Ericsson, Nokia et Korea Telekom.
La mise en place de nouvelles techniques de ré-
Les documents publiés donnent une première image
seau mobile implique une très forte coordination entre
des besoins que l’on entend couvrir par les systèmes 5G
de nombreux acteurs : l’industrie des équipements de
et présentent un certain nombre de pistes sur les techno-
réseau, celle des terminaux mobiles et aussi les orga-
logies qui pourraient être utilisées. En termes de calen-
nismes de normalisation. Leurs actions doivent être
drier, l’objectif affiché est d’installer des systèmes 5G à
mises en phase pour assurer une disponibilité synchro-
partir de 2020. D’ores et déjà, le Japon a annoncé son
nisée des éléments de réseau, des terminaux mobiles et
intention d’installer des équipements de 5e génération
des bandes de fréquences nécessaires à une nouvelle
pour les jeux olympiques d’été de Tokyo.
génération de système mobile. Les systèmes de 4 gé-
Les évolutions identifiées pour la 5e génération sont
nération ont commencé à être déployés en 2009-2010
nombreuses. Un certain nombre d’entre elles relèvent de
au Japon et aux États-Unis. A la fin de l’année 2014,
l’amélioration des performances. On vise, par exemple, à
il y avait dans le monde environ 500 millions d’abon-
garantir un débit de 50 Mbit/s sur 95 % de la surface de
nés mobiles ayant un abonnement aux services de
la cellule pendant 95 % du temps, les débits-crête pou-
la 4e génération (LTE) c’est-à-dire 7 % des cartes SIM
vant dépasser le Gbit/s, notamment à l’intérieur de cer-
(source Idate). Des améliorations de cette technologie
tains immeubles. La fourniture d’un service satisfaisant
ont été normalisées sous le nom de LTE-Advanced :
dans des zones à très forte densité d’utilisateurs, jusqu’à
grâce en particulier à l’agrégation de porteuses, elles per-
100 000 connexions actives par km², comme les stades
mettent d’atteindre des débits de l’ordre de 300 Mbit/s
voire dans des zones momentanément surchargées par
et commencent à être déployées en France bien que
un évènement inattendu est également un objectif. Cette
les terminaux compatibles soient encore peu nombreux.
nouvelle génération de systèmes mobiles devrait pouvoir
Des évolutions des performances de LTE-Advanced sont
fournir à très bas coût des accès radio à large bande pour
programmées et au dire des experts les marges de pro-
pouvoir équiper les pays en développement d’accès à
grès sont significatives.
haut débit. Les accès fixes y sont en effet rarement dis-
e
Néanmoins l’industrie des télécommunications a com-
ponibles sur l’ensemble de leur territoire. La possibilité
mencé très activement les travaux de définition de la
d’offrir des temps de latence2 très bas (moins de 1 ms) à
génération suivante de systèmes mobiles, la « 5 G », et
certaines applications très critiques fait également partie
a esquissé publiquement ce qu’elle devrait être. L’Union
des objectifs. Enfin, il devrait être possible de fournir un
européenne, dès 2013, avait appelé les acteurs européens
service de communication à des mobiles terrestres ayant
à se grouper dans un partenariat public-privé pour « re-
une vitesse atteignant 500 km/h.
prendre le leadership technologique ». C’est ainsi qu’à la
La 5e génération devrait permettre de connecter des
fin 2013 a été créé le 5G-PPP (5G Infrastructure Public
capteurs, des systèmes de télésurveillance et d’autres
Private Partnership), association liée contractuellement à la
objets dans le cadre du développement de l’Internet des
Commission européenne qui la soutient dans ses projets
Objets (IoT3) : le réseau leur fournirait aussi bien des
de recherche-développement. Le 5G-PPP réunit la plupart
connexions à très bas débit, longue distance et basse
des acteurs des télécommunications d’Europe, industriels
consommation que des connexions à large bande.
et opérateurs, ainsi que des laboratoires de recherche ; il
L’extension du service de communication mobile
associe aussi des acteurs non européens actifs en Europe.
vers les mobiles aériens est aussi évoquée : la prise en
A l’occasion de la conférence mondiale mobile de Bar-
compte de la 3e dimension aura certainement un impact
celone en mars, le 5G-PPP a publié sa vision de ce que
important sur le système. Des services de communica-
devrait être la 5e génération de réseaux mobiles. De son
tion à très haute fiabilité utilisables par des applications
côté, l’alliance NGMN qui associe 24 des principaux opé-
liées à la gestion du trafic automobile ou certaines appli-
rateurs de réseaux mobiles d’Europe, d’Asie et d’Amérique
cations de télémédecine sont aussi envisagés.
1
du nord a publié un livre blanc présentant sa vision sur les 2 1
4
Next Generation Mobile Network.
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3
Temps de transfert des données en boucle. Internet of Things.
FLASHINFOS
Au plan technique, la réduction de l’énergie consom-
plusieurs RAT, un accès 4G (ou son évolution) et un accès
mée par les réseaux et les terminaux est un objectif impor-
5G grâce à l’agrégation de porteuses ou de l’agrégation
tant. Pour le réseau, on envisage de réduire la consomma-
de bandes au niveau 2. Ce fonctionnement multi-RAT
tion d’un facteur 2 pour un trafic écoulé (mesuré en bits)
pourrait également prendre en compte des accès de type
multiplié par 1 000. Pour les smartphones l’objectif serait
Wi-Fi évolués. Il faut noter qu’en plus du raccordement des
d’atteindre une autonomie de trois jours.
accès radio, il est demandé aux systèmes 5G de pouvoir
On propose, pour la 5G, de pouvoir utiliser des bandes
raccorder des accès fixes : ainsi serait finalement réalisée
de fréquences allouées aux opérateurs et également des
la convergence des réseaux fixes et mobiles, objectif qui
bandes de fréquences d’usage libre comme celles utili-
reste encore celui de nombreux opérateurs de réseau.
sées par le Wi-Fi. Concernant les bandes de fréquences
En matière de performances radio, un objectif impor-
allouées aux opérateurs, les conférences mondiales des
tant est celui de l’amélioration de l’efficacité spectrale
radiocommunications (CMR) de 2015 et 2019 définiront
(mesurée en bit/s/Hz) par rapport à celle de la 4G. Des
les bandes de fréquences utilisables par la 5G. D’ores et
progrès sont également souhaités en matière d’efficacité
déjà des travaux sont en cours au niveau international
de la signalisation sur l’interface radio pour, en particulier,
pour allouer de nouvelles bandes de fréquences au ser-
pouvoir faire face à la charge que pourraient provoquer
vice mobile 4G. Les opérateurs demandent de pouvoir
de très nombreux capteurs connectés.
utiliser pour la 5G des bandes allouées aux générations
Face à ces objectifs souvent difficiles à concilier, les
antérieures et demandent aussi de nouvelles bandes de
solutions techniques ne sont évidemment pas arrêtées
fréquences en deçà de 1 GHz et au-delà des 6 GHz. Il est
mais certaines orientations sont évoquées. Pour le seg-
probable que les réglementeurs des différentes régions
ment radio, l’application de techniques avancées d’atté-
mondiales appliqueront de nouveaux schémas de par-
nuation des interférences et de coordination est mise en
tage de bande comme LSA aux bandes allouées à la 5G.
avant. Le recours au MIMO massif et aux techniques de
Pour bien exploiter les différentes bandes, la 5G de-
micro-synchronisation entre cellules, du type CoMP utili-
vrait pouvoir combiner plusieurs technologies d’accès
sées dans LTE-Advanced, devrait permettre d’obtenir une
radio (RAT5) : un terminal 5G pourrait être connecté à
bonne efficacité spectrale. La topologie du réseau radio
4
4 5
Licensed Shared Access. Radio Access Technology.
pourrait devenir dynamique : des techniques de réseau maillé pourraient y être appliquées et la communication
Figure 1 : Architecture 5G proposée par l’alliance NGMN.
REE N°2/2015 5
FLASHINFOS
L’alliance NGMN introduit dans l’architecture le
de terminal à terminal pourrait être utilisée, dans certains
concept de « tranche de réseau » : une tranche de ré-
cas, pour décharger le réseau. La satisfaction de besoins très divers par un même
seau est constituée de toutes les fonctions du réseau et
réseau conduit à envisager une architecture dont la confi-
des paramétrages de RAT nécessaires à la fourniture d’un
guration soit adaptable dynamiquement aux besoins :
service de communication (figure 2). Il traduit le carac-
les blocs fonctionnels constituant le réseau devraient
tère « adaptable » de l’architecture mais sa faisabilité à
pouvoir être combinés de façon souple en fonction du
grande échelle reste à démontrer. Ce concept permettrait
besoin à satisfaire. Cette approche pose la question de la
aussi d’envisager la création de nouveaux revenus pour
granularité de ces blocs : elle devrait être fine si l’on veut
les opérateurs en ouvrant, via des interfaces de program-
avoir des blocs sans aucune fonction commune mais il
mation d’applications (API8) le réseau à des acteurs tiers
en résulterait une explosion du nombre des interfaces à
pour offrir de nouveaux services. En particulier, au-delà
définir entre eux. Pour atteindre les objectifs d’adaptabi-
des services fournis par l’opérateur de réseau on pourrait
lité et de flexibilité, on envisage le recours à la virtualisa-
imaginer des tranches de réseaux spécifiquement adap-
tion des fonctions de réseau (NFV ) et aux architectures
tées aux besoins d’acteurs tiers.
6
dites SDN7 qui sont en cours de définition et d’évaluation.
Les objectifs poursuivis dans la définition de la 5G
Un défi important dans le cadre de NFV est celui de la ca-
sont donc particulièrement ambitieux, même s’il y a des
pacité à maintenir des interfaces ouvertes entre les blocs
incertitudes sur les cas d’usage qui seront finalement
fonctionnels et leur interopérabilité dans l’hypothèse de
retenus et les technologies qui seront appliquées. C’est
fournisseurs multiples sans faire exploser les efforts de
un programme de travail très important pour l’ensemble
test d’interopérabilité. Le cœur de réseau deviendrait
des acteurs de l’industrie mondiale des télécommuni-
ainsi « agnostique » et intégrerait les services fixe et mo-
cations qui devront se mettre d’accord sur la liste des
bile : la séparation des plans de transport et commande
besoins à satisfaire, sur les priorités à leur attribuer et des
serait poursuivie. La figure 1 montre la proposition d’ar-
architectures et des technologies communes. Ce travail
chitecture mise en avant par l’alliance NGMN.
délicat sera à conduire dans un contexte de forte concur-
Network Function Virtualization (voir REE 2014-03). 7 Software Defined Network. 6
rence entre les industriels et dans celui de la défense 8
Application Programming Interface
Figure 2 : Exemples de structuration en tranches - Source : NGMN Alliance.
6
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FLASHINFOS
investissement majeur et les trames LoRa peuvent uti-
sont à l’origine de l’essentiel de l’effet de serre addition-
liser les liens de backhaul du réseau de l’opérateur. Il
nel d’origine anthropique et que l’encadrement de ces
sera donc très intéressant de suivre, dans les mois qui
émissions constitue un défi majeur auquel tous les pays doivent à présent faire face. Mais la priorité donnée au CO2
viennent, les expériences engagées. Cependant, l’avenir de LoRa est déjà contesté par cer-
réside aussi dans le fait que les données le concernant
tains. Il faudrait évidemment que la solution soit norma-
sont beaucoup plus nombreuses que celles relatives à
lisée et ne soit pas dépendante d’un seul fournisseur. Il
d’autres gaz à effet de serre, au méthane en particulier,
faut s’assurer également que la mise en œuvre pratique
et qu’il est par conséquent plus facile d’en parler et de
de LoRa peut se contenter des supports d’antennes exis-
légiférer à son propos.
tants et n’impliquera pas, pour atteindre une bonne qua-
Pourtant les émissions de méthane jouent un rôle très
lité de service, l’implantation d’une myriade d’antennes,
significatif dans l’équilibre climatique et l’on considère
coûteuses et difficiles à faire admettre.
que l’accroissement des teneurs en méthane de l’atmos-
Il existe en France une société en développement,
phère depuis l’ère préindustrielle est à l’origine de 20 %
SigFox, implantée à Toulouse qui promeut une autre
de l’effet de serre additionnel et donc, en première ap-
solution à bande de fréquences ultra-étroite (typique-
proximation, de l’élévation constatée des températures.
ment 100 Hz) en cours de déploiement en France et
Plusieurs facteurs conduisent à porter aujourd’hui au
dans d’autres pays (Portugal notamment). Cette solution,
méthane une attention accrue :
fondée sur un système d’agilité en fréquences, autorise
s ,E MÏTHANE EST LE GAZ Ì EFFET DE SERRE DONT LA CONCENTRA-
des débits de 10 bit/s à 10 kbit/s. Selon ses promoteurs,
tion dans l’atmosphère a augmenté le plus depuis l’air
elle permet de couvrir le territoire national avec 1 000
préindustrielle (Source : GIEC AR5 - 2014) :
antennes au plus.
- CO2 : + 40 %
La compétition est donc engagée… ■
JPH
- CH4 : + 150 % [722 ppb en1750]
[1 803 ppb en
2011] - N2O : + 20 %
Le méthane : un gaz à effet de serre dont on parle trop peu
s ,A CONCENTRATION EN MÏTHANE DANS L ATMOSPHÒRE A RE-
Les débats sur le changement climatique se résument
d’accalmie d’environ 10 ans, encore mal expliquée
souvent à une analyse des émissions de CO2 et de la façon de les réduire, notamment par des efforts accrus
commencé à croître depuis 2007 après une période (figure 1) ; s )L S AGIT D UN GAZ Ì EFFET DE SERRE PUISSANT DONT LE POU-
d’efficacité énergétique et de développement des éner-
voir de réchauffement global par rapport au CO2 (nous
gies décarbonées. Il est vrai que les émissions de CO2
discuterons plus loin cette notion) a été à plusieurs
Figure 1 : Evolution de la concentration de méthane dans l’atmosphère (en ppb) – Source : Données GIEC AR5 (2013).
REE N°2/2015 9
FLASHINFOS
Figure 2 : Origine des émissions de méthane dans le monde – Total estimé : 574 Mt dont sources naturelles : 238 Mt(41.5 %) et sources humaines : 336 Mt (58.5 %) - Source : Académie des technologies (Op. cit.). reprises revu à la hausse par le GIEC : 21 dans le 2e
radicaux hydroxyles OH résultant de la photolyse de l’ozone.
rapport d’évaluation du GIEC (1995) – valeur reprise
Ce « puits » est responsable de 94 % du méthane détruit
dans le protocole Kyoto en 1997, 23 dans le 3e rapport
chaque année, les 6 % restant correspondant à une décom-
(2001), 25 dans le 4 (2007) et, tout récemment, 28
position par les microorganismes des sols.
e
dans le 5e (2014) et même 34 si l’on tient compte de certaines rétroactions.
Cette décomposition du méthane n’est cependant que partielle et, au stade actuel, on estime que sur les
Il est donc utile de se pencher sur les dernières études
574 Mt émis chaque année, 536 Mt seulement sont
publiées et en particulier sur le 5 rapport du GIEC (2014)
détruits, ce qui explique l’augmentation de la teneur en
et sur l’étude réalisée en 2013 par l’Académie des tech-
méthane de l’atmosphère, augmentation rapide depuis le
nologies .
début de l’ère industrielle.
D’où proviennent les émissions de méthane ?
Comment comparer le CH4 au CO2 ?
e
1
Le monde du méthane est mal connu. On estime, de
La comparaison du CH4 au CO2, en termes d’effet sur
façon très approximative que 500 à 600 Mt de CH4 sont
le climat, pose des problèmes méthodologiques difficiles
rejetés chaque année dans l’atmosphère, se répartissant
que la notion sommaire de « pouvoir de réchauffement
entre sources naturelles (42 %) et sources humaines
global » ou “Global Warming Potential” (PRG en français,
(58 %). Les sources associées à la production et à l’utili-
GWP en anglais) tend à masquer. Le GWP d’un gaz est
sation de l’énergie ont pris une importance significative au
une mesure du forçage radiatif intégré (Absolute GWP ou
point de représenter environ 25 % des émissions totales,
AGWP) généré sur une période donnée T par une émis-
soit 42 % des émissions d’origine humaine (figure 2) .
sion ponctuelle de ce gaz, rapporté au forçage radiatif
2
induit par une masse équivalente de CO2, soit : Que devient le méthane ? A la différence du CO2 qui n’est pas détruit dans l’atmosphère mais est très progressivement absorbé par les océans et la biomasse terrestre, le CH4 est assez rapidement décomposé dans la troposphère et dans la stratosphère par les
La période de référence T retenue dans le protocole de Kyoto a été fixée en 1997 à 100 ans mais, comme le
10
1
Le méthane : d’où vient-il et quel est son impact sur le climat ? (9 janvier 2013).
souligne le dernier rapport du GIEC, “There is no scientific
2
A ces sources « traditionnelles » pourraient s’ajouter un jour, des émissions résultant de la décomposition des hydrates de méthane (clathrates) actuellement stockés en quantités très importantes dans les profondeurs du pergélisol et des fonds marins.
choices” (GIEC AR5 p. 711 – 2013).
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argument for selecting 100 years compared with other Le problème est que le CH4 et le CO2 diffèrent profondément quant aux deux paramètres essentiels qui condi-
FLASHINFOS
Figure 3 : Evolution avec le temps des pouvoirs de réchauffement cumulé (AGWP) du méthane et du gaz carbonique. On voit que le pouvoir de réchauffement cumulé du CH4 atteint une asymptote après 50 ans environs alors que celui du CO2 continue à croître. La courbe noire donne le pouvoir de réchauffement relatif du CH4 par rapport au CO2 qui résulte du quotient entre les deux grandeurs. Source : GIEC AR5 (2013). tionnent le PRG : l’efficacité radiative et la durée de vie
que l’émission d’un gramme de méthane aujourd’hui a, en
moyenne dans l’atmosphère.
effet cumulé sur la période 2015-2050, un poids équiva-
Le CH4 a une efficacité radiative très forte comparée
lent à 60 fois celui d’un gramme de CO2.
à celle du CO2. Par contre, les phénomènes de décom-
L’horizon sur lequel on raisonne est donc primordial
position du CH4 étant rapides, sa durée de vie moyenne
pour décider si la priorité doit être donnée au méthane
est courte et le GIEC l’évalue actuellement à 12,4 années.
ou au CO2 dans la lutte contre l’effet de serre. La période
Le GIEC ne donne pas de durée de vie pour le CO2 mais
d’intégration T est la variable duale d’un taux d’actualisa-
comme il n’est pas décomposé mais absorbé et pour
tion. Une période longue correspond à un taux d’actuali-
partie seulement, une fraction des émissions peut res-
sation faible donnant du poids aux considérations à long
ter pendant des centaines d’années voire des millénaires
terme ; une période courte correspond à un taux plus
dans l’atmosphère.
important privilégiant les actions à court et moyen terme.
On a donc affaire à des comportements radicalement
Mais un autre facteur doit également être pris en
différents :
considération. Le calcul du pouvoir de réchauffement
s LE #/2 a un effet instantané modéré mais qui persiste
correspond à l’évaluation de l’effet d’une émission ponc-
pendant de très nombreuses années et donc un effet
tuelle (c’est-à-dire d’un "pulse" à l’instant t = 0). Cette
cumulé (AGWP) qui ne cesse de s’accroître ;
approche est appropriée pour agréger ou comparer entre
s LE #(4 a un effet puissant mais relativement bref et
eux des quotas d’émission provenant de différents GES,
donc un effet cumulé qui atteint une asymptote assez
comme dans le protocole de Kyoto. Mais elle ne l’est pas
rapidement.
lorsque l’on considère des émissions « pérennes », c’est-
Cette différence fondamentale est illustrée par la figure 3.
à-dire des émissions continues correspondant à l’émis-
Le pouvoir de réchauffement du méthane varie forte-
sion ininterrompue de pulses aux instant t = 0, t = 1,
ment de l’horizon considéré : le dernier rapport du GIEC
t = 2… dont l’effet sur une période donnée doit être inté-
l’évalue (hors contreréactions) à 28 sur 100 ans et à 84
gré sur l’ensemble de cette période. Le méthane ayant
sur 20 ans. Si on se place à l’horizon 2050, horizon de
un effet fortement centré sur les premières décennies
la Loi sur la transition énergétique, on voit sur la figure 3
suivant son émission, on montre que ce calcul en
REE N°2/2015 11
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L'ARTICLE INVITÉ
JEAN-PAUL GUYVARCH Thales Senior radar expert
Figure 1 : RIAS (Radar Ă impulsion et antenne synthĂŠtiques).
Retour sur‌ Le radar MIMO ABSTRACT Taking benefit of new AESA (Active Electronically Scanned Array) radar architecture, the MIMO (Multiple Input Multiple Output) radar concept aims at improving radar performances and in particular its ability to achieve simultaneous surveillance over a wide domain while optimizing the resolution in the angular, range and Doppler dimensions. In this presentation, the main characteristics and challenges of MIMO radar are described: s BASIC PRINCIPLES TRANSMISSION WAVEFORMS AND PROCESSING s IMPACT ON RADAR OPERATIONAL PERFORMANCES s NUMERICAL SIMULATIONS AND lRST EXPERIMENTAL RESULTS s PERSPECTIVES
,ES TRAVAUX PRĂ?SENTĂ?S DANS CET ARTICLE ONT Ă?TĂ? RĂ?ALISĂ?S EN COOPĂ?RATION ENTRE LA SOCIĂ?TĂ? 4HALES !IR 3YSTEMS ET L /.%2!
L
Introduction ’acronyme anglo-saxon “MIMO� (Multiple Input
formances, notamment le dÊbit, tout en n’augmentant pas la largeur spectrale globale utilisÊe. Les performances sont optimales quand le codage des diffÊrentes voies MIMO est orthogonal et que le nombre de voies de rÊception est au moins Êgal au nombre de voies d’Êmission.
Multiple Output) a pour origine le domaine
Ce concept MIMO appliquĂŠ au radar (antenne, co-loca-
des communications hertziennes. Par opposi-
lisÊe ou non, comportant plusieurs voies d’Êmission et de
tion aux systèmes “SISOâ€? (Single Input Single
rÊception) n’est pas rÊellement nouveau, les premiers tra-
Output), le signal Ă transmettre est ĂŠmis par plusieurs voies
vaux thÊoriques sur ce thème remontant à la fin des annÊes
d’Êmission et reçu en parallèle par plusieurs voies de rÊcep-
60 [1]. La dÊnomination du concept n’Êtait alors pas le terme
tion (antennes et rÊcepteurs). Le but est d’amÊliorer les per-
“MIMOâ€?mais plutĂ´t ÂŤ antenne Ă codage spatio-temporel Âť, ou
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L'ARTICLE INVITÉ
encore à « émission colorée ». Il faudra attendre une dizaine d’années pour qu’un prototype d’un tel radar soit expérimenté (le radar RIAS [2] (figure 1) réalisé en coopération par Thomson CSF – aujourd’hui la société Thales – et l’ONERA). Les réseaux d’émission et de réception sont circulaires et concentriques. Le réseau d’émission comporte 25 émetteurs en bande VHF qui apparaissent sous forme de pylônes verticaux dans l’image (figure 1). Ensuite, dans les années 1990 et 2000, les innovations des radars terrestres se situeront davantage dans des domaines de fréquence plus élevés (en particulier la bande S aux environs de 3 GHz), avec des antennes à balayage élecFigure 2 : Radar Thales à AESA.
tronique intégrant de façon co-localisée émission et réception. La dernière évolution en la matière est le concept AESA (Active Electronically Scanned Array) où l’émetteur de forte puissance est remplacé par une pluralité de modules actifs état solide. C’est cette architecture à voies d’émission multiples (et indépendantes) qui permet de s’intéresser de nouveau au radar MIMO, mais cette fois en longueurs d’onde déci ou centimétriques, avec des antennes émission/réception compactes. Il faut par ailleurs noter que ce nouveau concept demande une puissance de calcul temps réel qui n’est accessible à des coûts raisonnables que seulement depuis peu. Comme dans le domaine des télécommunications, le but est d’améliorer les performances du radar, et en parti-
Figure 3 : Modes air-air et SAR simultanés.
culier sa capacité à assurer simultanément plusieurs fonctions (ou mesures) tout en garantissant des caractéristiques optimales du point de vue de la résolution (angles, distance et Doppler). On verra par contre que la notion de codes orthogonaux des télécommunications n’est pas directement transposable au radar et que le concept mathématique fondamental qui sous-tend le radar MIMO est celui de fonction d’ambiguïté généralisée. L’un des challenges est notamment de s’affranchir des problèmes de lobes secondaires, a priori plus critiques que pour les formes d’onde
Figure 4 : Principe du MIMO radar.
radar classiques.
Applications Les bénéfices apportés par le MIMO concernent plusieurs
Citons enfin des avantages concernant la résistance à des conditions de propagation difficiles (notamment le multi-trajet) et la résistance au brouillage.
catégories de radar, en permettant notamment une meil-
Principe de base
leure prise en compte de modes multiples simultanés (par exemple modes air-air et imagerie terrestre pour les radars aéroportés ou encore les multi-missions des radars terrestres et de surface – figure 3).
Le principe du radar MIMO est décrit par le schéma de la figure 4. Chaque élément du réseau d’émission T rayonne sur un
Pour des radars devant effectuer des missions de sur-
large domaine angulaire un signal distinct (représenté par
veillance sur de grands domaines, la nécessité d’augmenter
les couleurs violet, bleu vert et orange). Du fait des recom-
les temps d’analyse pour mieux rejeter le fouillis, demande
binaisons en phases différentes de ces signaux suivant les
d’élargir le faisceau d’émission. L’élargissement par émission
directions, les signaux émis en champ lointain dépendent
colorée (ou MIMO) a pour avantage d’ajouter une informa-
de l’angle (représenté en rose pour la direction du premier
tion spatiale dans le signal émis.
avion et en vert clair pour le second). Autrement dit, les deux
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REE N°2/2015
L'ARTICLE INVITÉ
avions représentés sur la figure reçoivent des signaux diffé-
tion d’appliquer autant de filtres adaptés différents qu’il y a
rents : l’espace est donc « codé » (différents signaux dans
de directions d’intérêt dans l’espace de recherche des cibles
les différentes directions). A la réception le réseau R effectue
(caractérisé dans le cas général par deux angles, comme par
une « formation de faisceau par le calcul » (ou DBF : Digi-
exemple gisement et élévation).
tal Beam Forming) dans chaque direction, comme dans les
La généralisation de la fonction d’ambiguïté classique
radars de type AESA déjà existants. Par rapport à ces derniers
pour le radar MIMO est très complexe car aux dimensions
qui doivent émettre un faisceau large pour éclairer simultané-
distance et Doppler vont s’ajouter des dimensions angulaires
ment les deux avions, l’intérêt est immédiat : avec le MIMO
(quatre dimensions supplémentaires en l’occurrence car en
on a ajouté une capacité de directivité angulaire à l’émission,
plus des écarts angulaires relatifs entre cible recherchée et
en plus de la directivité angulaire à la réception (DBF), tout en
échos parasites, il faut en général tenir compte également
conservant l’analyse simultanée de tout le domaine angulaire.
de la direction absolue de la cible recherchée). Pour une for-
Remarques : pour des raisons de clarté, les réseaux T et
malisation mathématique de cette fonction d’ambiguïté à six
R sont représentés non co-localisés, mais le concept MIMO
dimensions, on pourra se référer à [3].
se généralise sans difficulté particulière à des réseaux co-
Afin de bien mettre en évidence cet aspect nouveau des
localisés (avec des modules émission réception T/R intégrés).
radars MIMO, à savoir le couplage angle-distance, nous nous
De même une seule direction angulaire est représentée,
limiterons dans la suite de cet article à la présentation de
mais le concept MIMO est parfaitement compatible avec des
coupes 2D de cette fonction d’ambiguïté suivant l’axe dis-
réseaux 2D.
tance et suivant une direction angulaire relative, et en suppo-
La remarque en introduction sur l’utilisation de codes
sant de surcroît que l’effet Doppler est négligeable (ce qui est
orthogonaux se justifie également très simplement : comme
ici légitime car on se limitera à un traitement dans une seule
on s’intéresse à des cibles qui peuvent être situées à des dis-
impulsion radar de courte durée).
tances différentes, il ne suffit pas que les codes (vert, bleu…)
Tout l’enjeu des travaux en cours est de définir des codes
soient orthogonaux pour garantir une bonne séparation à la
MIMO (formes d’onde envoyées sur les différents éléments
réception. Il faudrait qu’ils le soient également pour tous les
de l’antenne) qui présentent un bon compromis entre per-
décalages temporels, ce qui en pratique n’est pas réalisable.
formances de résolution du radar (en particulier distance
Dans un radar classique, le traitement en réception s’ap-
et angles) et niveau des lobes secondaires de la fonction
puie principalement sur le concept de « filtrage adapté » qui
d’ambiguïté (représentatifs des perturbations apportées par
consiste à effectuer une corrélation entre le signal reçu et
des échos parasites sur la mesure de la cible recherchée).
une réplique du signal émis. Ce calcul permet de détecter
Pour cela, deux approches complémentaires sont possibles :
la présence de cibles et de déterminer leur distance. Quand
approche analytique ou approche par techniques d’optimisa-
le radar et/ou les cibles sont mobiles, la fréquence du signal
tion numérique.
reçu est modifiée par effet Doppler. La mesure de ce déca-
Dans un deuxième temps, il sera nécessaire de vérifier
lage de fréquence permet également de déterminer la vitesse
la robustesse des solutions trouvées au regard des défauts
relative entre radar et cible. Une forme d’onde idéale devrait
du matériel (couplage entre éléments rayonnants, défauts
permettre d’effectuer ces mesures distance et vitesse sans
des chaînes de transmission…). Afin d’optimiser les per-
aucune ambiguïté, ce qui dans un espace à deux dimensions
formances globales du radar, il sera également souhaitable
(distance-vitesse) serait représenté par une fonction de type
de redéfinir les traitements à la réception pour s’adapter au
« Dirac » (un pic central, et un niveau nul partout ailleurs). Il
mieux aux défauts résiduels. Des techniques spécifiques et
n’est malheureusement pas possible de concevoir une telle
prometteuses sont étudiées dans ce cadre : filtrage désa-
forme d’onde idéale (impossibilité mathématique) et chaque
dapté, adaptatif, compressed sensing… Enfin il semble éga-
forme d’onde réelle peut être caractérisée par une fonction
lement intéressant d’adapter les codes émis, en fonction du
dite « d’ambiguïté » qui montre comment les mesures ef-
contexte (concept d’adaptativité à l’émission).
fectuées sur une cible donnée peuvent être perturbées par la présence d’autres échos situés dans le domaine de recherche, en particulier si leur niveau est fort en comparaison du niveau de la cible recherchée. Pour un radar MIMO, les traitements effectués en récep-
Exemples de codes MIMO En reprenant les conventions de [3], les codes appliqués sur le réseau d’antenne peuvent être représentés par le schéma de la figure 5.
tion peuvent être considérés comme une généralisation de
Chaque élément Wnm représente l’élément de code (en
cette notion de filtrage adapté. Comme représenté figure 4,
phase, en amplitude, en fréquence…) appliqué au signal
les signaux reçus par des cibles situées dans des directions
radiofréquence de base (la porteuse) à l’instant m sur l’élé-
distinctes sont différents : il sera donc nécessaire en récep-
ment rayonnant ou sous-réseau (subarray) n. Un radar émet
REE N°2/2015 25
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
L’hydrogène : le grand débat Tout d’abord, sur le plan technique,
« – Et qu’est-ce qu’on brûlera à la place du charbon ?
des progrès importants ont été accom-
– L’eau, répondit Cyrus Smith.
plis dans le domaine des piles à com-
– L’eau, s’écria Pencroff, l’eau pour
bustible fondées sur la technologie
chauffer les bateaux à vapeur et les
PEM qui se sont très significativement
locomotives, l’eau pour chauffer l’eau !
développées au Japon, sous l’égide de
– Oui, mais l’eau décomposée en ses éléments constitutifs, répondit Cyrus Smith, et décomposée, sans doute, par l’électricité, qui sera devenue alors une
Jean-Pierre Hauet Président ISA-France
Tokyo Gas et d’un consortium de grands industriels dont Panasonic, sous forme de systèmes domestiques de microcogénération dont 100 000 exemplaires
force puissante et maniable, car toutes les grandes
ont été installés à ce jour. Ce succès a conduit le
découvertes, par une loi inexplicable, semblent
METI a publié, en juin 2014, une feuille de route
concorder et se compléter au même moment. Oui,
stratégique pour le développement de l’hydrogène
mes amis, Je crois que l’eau sera un jour employée
avec un objectif de plus de cinq millions de piles à
comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène,
combustible installées dans le secteur domestique
qui la constituent, utilisés isolément ou simultané-
en 2030.
ment, fourniront une source de chaleur et de lu-
Ces progrès ouvrent la voie non seulement à une
mière Inépuisables et d’une intensité que la houille
démocratisation et à une fiabilisation des piles à
ne saurait avoir. »
combustible à hydrogène mais aussi à des électro-
Ainsi Jules Verne, au travers de ses personnages
lyseurs à membranes de bien plus grande capacité
de l’Ile mystérieuse, exprimait-il sa foi dans l’avenir
que ceux que l’on sait construire aujourd’hui. De
de l’hydrogène, il y a maintenant 140 ans.
tels électrolyseurs pourraient produire de l’hydro-
Plus récemment, Jeremy Rifkin publiait en 2002
gène par une voie décarbonée à un prix de revient
“The Hydrogen economy”, ouvrage dans lequel le
pouvant, à terme, concurrencer celui du vapo-re-
célèbre prospectiviste préconisait de suivre la route
formage.
de l’hydrogène pour se libérer de la dépendance
Dans le même temps, du fait du nouveau
du Moyen-Orient et pour assurer à chacun un libre
contexte climatique et énergétique, de nouveaux
accès à l’énergie.
domaines d’application de l’hydrogène sont appa-
Mais pendant longtemps l’avènement de la civi-
rus dans le secteur de l’énergie. Ces domaines sont
lisation de l’hydrogène n’a été perçu que comme
schématiquement au nombre de deux :
une perspective lointaine associée à la disponibilité
s D UNE PART DANS LE DOMAINE DE LA MOBILITÏ L HY-
massive d’électricité, en provenance par exemple
drogène apparaît comme l’un des moyens pos-
de la fusion thermonucléaire. L’usage de l’hydro-
sibles pour se libérer de la dépendance vis-à-vis
gène est d’ailleurs encore aujourd’hui essentielle-
des hydrocarbures. L’annonce par Toyota de la
ment centré sur les applications industrielles, telles
commercialisation d’une berline, la Mirai, fonc-
que le raffinage, la fabrication du méthanol et de
tionnant à l’hydrogène, est venue conforter la cré-
l’ammoniac ou le traitement anti-oxydation des
dibilité d’une telle filière ;
métaux. A l’heure actuelle, l’hydrogène reste en
s D AUTRE PART DANS LE DOMAINE DU STOCKAGE IL EST
outre fabriqué à 95 % à partir de combustibles fos-
apparu que l’électrolyse pouvait être un moyen
siles par des réactions de reformage à la vapeur, ou
de convertir en hydrogène l’électricité qui devient
vapo-reformage, qui sont connues depuis la fin du
excédentaire à certaines périodes et de facili-
XVIIIe siècle et qui sont voisines de celles utilisées
ter ainsi l’accroissement de la part accordée aux
jadis pour la production du gaz de ville à partir de la
énergies renouvelables dans les mix électriques.
houille. Un tel procédé a un impact fortement néga-
L’hydrogène ainsi produit peut être injecté en
tif sur le plan de l’émission de gaz à effet de serre.
proportion limitée (quelques %) dans les réseaux
Plusieurs facteurs amènent aujourd’hui à reconsidérer la situation.
de gaz naturel : c’est le “Power to Gas”. Mais certains envisagent d’aller plus loin et de convertir
REE N°2/2015 29
LES GRANDS DOSSIERS
Introduction
un jour en méthane l’hydrogène, par réaction de
nouvelles de mobilité et de stockage de l’énergie.
méthanation, c’est-à-dire par réduction du CO2
Selon les évaluations, les écarts à résorber se situe-
par l’hydrogène, afin de rendre possible des injec-
raient dans des rapports allant de trois à dix, voire
tions beaucoup plus massives sur le réseau d’un
davantage si l’on considère la méthanation envisa-
méthane devenu propre.
gée pour retransformer l’hydrogène en électricité.
Il existe évidemment diverses variantes à ces
L’instauration d’un prix du CO2 « correct » serait très
filières dont chacune a aujourd’hui ses supporters.
insuffisante pour combler de tels écarts sauf à envi-
Un débat s’est donc engagé sur la place qui peut
sager des montants exorbitants.
ou qui doit être réservée à l’hydrogène dans la
Il est vrai que la filière hydrogène souffre dans
transition énergétique. Ce débat est passionné et
la plupart de ses acceptions de la multiplication
rappelle celui que l’on a connu, il y a 30 ou 40 ans
des rendements. Dans la chaîne « mobilité » par
sur l’avenir des filières électrosolaires. Le Gouverne-
exemple, qui n’est pas la moins bien placée, il faut
ment en a pris conscience en confiant le 12 février
d’abord produire l’électricité, la transformer en hy-
2015 une mission de réflexion au Conseil général
drogène dans un électrolyseur puis retransformer
de l’économie et au Conseil général de l’environne-
l’hydrogène en électricité dans la pile à combus-
ment et du développement durable sur les enjeux
tible : pertes de rendement et surcroît d’investisse-
de l’hydrogène et sur les mesures propres à lever
ment. Mais l’hydrogène peut apporter l’autonomie
les freins au développement de cette filière.
qui fait aujourd’hui défaut aux véhicules électriques.
La REE a souhaité s’inviter dans le débat et publie
Certains accusent aussi l’hydrogène d’être le
dans ce dossier les contributions d’un panel d’ex-
passager clandestin des filières établies. Il est vrai
perts de l’industrie et des grands établissements
que prendre comme nul, voire négatif, l’excédent
publics concernés par l’hydrogène. On le verra im-
de production d’électricité d’origine renouvelable
médiatement à la lecture de ces différents articles,
relève d’un calcul marginal de court terme et n’a
les positions ne sont pas concordantes sur l’effort à
pas de sens en développement. De même, consi-
engager. Il est vrai que, si tout le monde s’accorde à
dérer comme gratuite l’injection de l’hydrogène
reconnaître que l’hydrogène est une filière d’avenir
dans les réseaux de gaz, n’a pas de fondement si
qu’il faut encourager au niveau de la recherche, les
l’on doit renforcer les réseaux pour transporter des
avis divergent sur son degré de maturité technique
quantités accrues. L’évaluation du contenu en CO2 de l’hydrogène
et économique. Sur le plan technique, beaucoup d’étapes restent
et de ses usages deviendra également un épineux
à franchir pour parvenir à des modes de produc-
problème comme l’est aujourd’hui celui du contenu
tion, de transport, de stockage et d’utilisation qui
en CO2 du kWh électrique1, car l’électricité décarbo-
soient performants, fiables et sûrs. Entre les élec-
née, sauf à provenir du nucléaire, ne sera disponible
trolyseurs à membrane de quelques centaines de
que de façon intermittente. Or l’amortissement des
kW aujourd’hui disponibles et ceux de 50 MW et
investissements de la chaîne hydrogène se fera
plus qu’il faudrait construire pour absorber des ex-
d’autant mieux que la durée de fonctionnement
cédents éventuels d’électricité de plusieurs dizaines
sera longue. Mais revenir à la technique du refor-
de TWh, il existe une marge considérable. Mention-
mage pour saturer les investissements relèverait de
nons aussi que le stockage de l’hydrogène, sur les
la politique de Gribouille.
véhicules par exemple, se fait à une pression attei-
Tous ces arguments ne doivent pas pour autant
gnant 700 bars. Les problèmes de sécurité sont évi-
inhiber l’action. Le problème fondamental est de
demment essentiels pour permettre l’acceptabilité
bien ajuster la position du curseur, entre l’immobi-
sociétale de la filière. Le souvenir de l’accident du
lisme et le soutien prématuré à des solutions non
Zeppelin Hindenburg en 1937 s’est estompé dans
matures qui, comme on l’a vu à plusieurs reprises
les mémoires mais la prudence reste de rigueur.
dans le passé, peut s’avérer extraordinairement
Cependant, c’est sur le plan économique que la controverse semble la plus vive. D’aucuns estiment
dispendieux pour les finances publiques et pour le consommateur.
que, dans l’état actuel de la technique et des marchés, la filière hydrogène est encore très éloignée de la compétitivité, surtout pour les applications
30
REE N°2/2015
Le lecteur pourra se reporter au « Gros Plan sur… » publié dans la revue REE 2014-5.
1
Introduction
Une indication importante est que, pour les applications industrielles, la demande en hydrogène
LES GRANDS DOSSIERS
peuvent servir de marchepieds à des usages plus massifs de l’hydrogène.
restera forte. Par conséquent, l’approvisionne-
Au-delà et en ce qui concerne les débouchés
ment de ces marchés par un hydrogène décarboné
vraiment nouveaux de l’hydrogène, la question
constitue à la fois un débouché et une priorité, dès
posée est de savoir s’il faut rester au stade de la re-
lors que l’on cherche à réduire les émissions de CO2 et la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles. Cette seule considération justifie l’intérêt porté aujourd’hui aux nouveaux électrolyseurs à membranes voire à oxydes céramiques. En complément à ces débouchés traditionnels, il existe des
cherche ou bien passer à celui des démonstrateurs à grande échelle Jean-Pierre Hauet est membre émérite de la SEE et rédacteur en chef de la REE. Il est Président de l’ISA-France. Ingénieur au Corps des mines, il a dirigé les Laboratoires de Marcoussis du groupe AlcatelAlsthom et a été Chief Technology Officer du Groupe ALSTOM. Il est
voire à celui du soutien à grande échelle de la filière. Il est essentiel de suivre très attentivement la situation au Japon et en Corée qui semblent aujourd’hui mener le peloton de la course à l’hydrogène. Il est heureux enfin que nos
l’auteur du livre « Comprendre
ministres chargés de l’industrie et
marchés de niches (alimenta-
l’énergie – Pour une transition
l’énergie aient décidé de se saisir
tions de secours ou de relais iso-
énergétique responsable » paru aux
du problème afin d’élaborer une
lés, chariots élévateurs, etc.) qui
éditions L’Harmattan en avril 2014.
politique publique qui soit à la fois
sont décrits dans le dossier et qui
constructive et raisonnable.
LES ARTICLES
Le “Power to Gas” - Comment relever le défi du stockage de l’électricité ? Par Philippe Boucly ........................................................................................................................................................ p. 32 L’hydrogène dans la transition énergétique : quels défis à relever ? Par Etienne Beeker ........................................................................................................................................................ p. 39 L’hydrogène, essentiel aujourd’hui, indispensable demain Par Pascal Mauberger, Philippe Boucly, Aliette Quint, Hélène Pierre, Paul Lucchese, Valérie Bouillon-Delporte, Bertrand Chauvet ................................................................................................. p. 46 L’hydrogène électrolytique, une solution de la transition énergétique ? Par Annabelle Brisse, Ludmila Gautier & Sylvain Hercberg .......................................................................... p. 53 Développement de systèmes d'électrolyse de forte puissance : nécessité et approche Par Marc De Volder ..................................................................................................................................................... p. 58 L’hydrogène vecteur énergétique Potentiel et enjeux : une mise en perspective Par Jean-François Gruson, Pierre Marion ........................................................................................................... p. 67 Toyota Fuel Cell System : une nouvelle ère pour l’automobile Par Sébastien Grellier ................................................................................................................................................. p. 72 L’hydrogène dans la transition énergétique. Trois facteurs clés : la production, les applications à la mobilité et l’acceptation par le public Par Jean-Guy Devezeaux, Christine Mansilla, Elisabeth Le Net, Alain Le Duigou ............................... p. 76 L’hydrogène, fée bienveillante ou démon tentateur Par Jacques Maire ........................................................................................................................................................... p. 81
REE N°2/2015 31
DOSSIER 1
L'HYDROGÈNE
Le “Power to Gas” Par Philippe Boucly Conseiller spécial de GRTgaz In the general context of energy transition, in order to keep climate change below 2°C, the power sector will experience strong changes. In the future, more and more electricity will be produced from renewable sources, mainly PV and wind, whose production is subject to great variability. Consequently, the power system will have to adapt and cope with the challenge of electricity storage. All the traditional means (supercapacitors, batteries, compressed air energy storages, heat, pumped hydro energy storages) are not convenient to store big quantities of power on a seasonal basis. Only “Power to Gas”, which consists in the conversion of electricity into hydrogen through electrolysis, is able to bring the required flexibility to the system and is the right answer to such challenge. Power to Gas brings a lot of benefits: to make value out of existing infrastructures, i.e. natural gas transmission network, to bring ancillary services to the power system, to integrate variable renewable energies to the energetic system and therefore to produce local energy and improve the commercial balance of the country. Power to Gas is a mature technology. To bring it on stream it is important to develop pilot projects with the aim to establish a favorable and stable regulatory and legal framework, to improve business models, to decrease cost through standardization and industrialization of the production processes of the components.
ABSTRACT
Un défi : l’intégration des énergies renouvelables Dans un contexte général de tran-
poétiques, pour reprendre une expres-
s hydrogène pour la mobilité (Power
sion de Joël de Rosnay, « Comment
to Mobility) : l’hydrogène est utilisé
mettre le soleil en conserve ? ».
dans des piles à combustibles pour
sition énergétique, les marchés de
Ainsi, est apparu dans la littérature
alimenter des véhicules électriques ou
l’électricité et de gaz sont en pleine
consacrée à la transition énergétique le
en mélange avec du gaz naturel pour
mutation.
concept de “Power to Gas”.
alimenter des moteurs à combustion
Avec
l’introduction
pro-
gressive des énergies renouvelables
Le “Power to Gas” consiste en la
(éolienne, solaire) dans les systèmes
transformation en hydrogène par élec-
énergétiques, les économies sont en
trolyse de l’eau des excédents d’électri-
d’électricité "Power to Power” pour
train de changer de paradigme. Dans
cité (d’origine renouvelable), l’excédent
des systèmes isolés (off grid) ou des
le monde actuel, la production s’adapte
étant par définition la production pos-
à la consommation : l’opérateur du ré-
sible au-delà de la quantité nécessaire
seau électrique appelle ou arrête des
à la consommation.
interne ; s hydrogène
pour
la
production
systèmes insulaires ; s l’hydrogène peut également être injecté dans les réseaux de gaz na-
moyens de production en fonction
L’hydrogène produit peut alimenter
turel, directement ou sous forme de
des besoins de consommation qu’il
toutes les applications habituelles de
méthane de synthèse après métha-
anticipe. Dans le futur, avec une élec-
l’hydrogène :
nation, c’est-à-dire recombinaison de
tricité produite essentiellement avec
s hydrogène industriel : comme ma-
l’hydrogène avec du gaz carbonique
des moyens renouvelables – produc-
tière première “Power to Chemical”
(issu d’installations de capture de CO2
tion par essence aléatoire, variable et
ou pour créer des atmosphères ré-
ou d’installations de méthanisation par
intermittente – l’adaptation de la pro-
ductrices, ou améliorer les échanges
exemple) selon la réaction de Sabatier
duction à la consommation sera plus
thermiques dans certains procédés.
(c’est parfois cette seule application
complexe compte tenu de la nature
Actuellement, l’hydrogène utilisé dans
que certains appellent “Power to Gas”).
de cette production renouvelable. On
l’industrie
essentiellement
Permettant de transformer en gaz les
comprend ainsi que la question-clé,
à 95 % du réformage du gaz naturel
surplus d’électricité, le Power to Gas per-
« le Graal de la transition énergétique »
avec pour conséquence un très mau-
met ainsi de créer des passerelles entre
est la question du stockage de l’électri-
vais bilan carbone (10 kg de CO2 par
les réseaux électriques et gaziers. Sur un
cité. En d’autres termes, en termes plus
kg d’H2 produit !) ;
plan historique, il faut se souvenir que
32
REE N°2/2015
provient
Le “Power to Gas” Comment relever le défi du stockage de l’électricité ?
le concept de “Power to Gas” était déjà apparu en France dans les années 70, au moment du lancement du programme nucléaire français où l’on pensait utiliser l’électricité nucléaire des heures creuses pour produire de l’hydrogène. Puis le concept a disparu pour ne réapparaître que très récemment en 2009 (une modélisation allemande d’un approvisionnement électrique 100 % renouvelable présentée en 2008 à la chancelière allemande Angela Merkel ne mentionnait Figure 1 : Capacité énergétique et constante de temps des différentes solutions de stockage d’électricité - Source : GRTgaz.
pas ce concept !).
Le “Power to Gas” : un moyen de stocker massivement l’électricité
Nota : La constante de temps d’un stockage est égale au ratio « Capacité énergétique/Puissance maximale » du stockage. Elle caractérise le temps mis par un stockage pour se vider (ou se charger) entièrement lors d’un fonctionnement à puissance maximale. Son unité est une unité de temps (le plus souvent, l’heure).
GRTgaz a commencé à étudier ces questions dès 2011 confiant une première
tant puisque cette répartition conditionne
super-condensateurs et les batteries,
étude au consultant E-cube . L’étude a
le mode de traitement des excédents.
ainsi que les cavités de stockage d’air
consisté en la modélisation heure par
Ainsi, 80 % de ces surplus, soit 60 TWh,
comprimé (CAES : Compressed Air
heure
offre/demande
proviennent de périodes supérieures à
Energy Storage).
d’électricité, en simulant la variabilité des
12 heures et 1/3 des surplus environ de
La technologie du CAES est aujourd’hui
différents facteurs (production éolienne,
périodes de 3 jours à 1 semaine.
encore au stade du développement.
1
de
l’équilibre
photovoltaïque, demande d’électricité)
Différentes solutions sont en effet
Deux cavités sont en service actuel-
envisageables pour valoriser ces surplus
lement dans le monde : Huntorf
d’électricité :
(Allemagne), créée en 1978 (290 MW
solument ambitieux pour le développe-
s maîtrise de la demande de l’énergie
– 8 h de stockage) et Mac Intosh (USA)
ment des renouvelables en France, celui
(MDE ou “demand response manage-
créée en 1991 (110 MW – 26 h de
du scénario 2050 de l’ADEME , (puis-
ment”).
stockage). Des projets seraient à l’étude
sances en éolien et en photovoltaïque :
C’est tout l’enjeu des « smart grids ».
dans différents pays.
70 000 MW et 60 000 MW respecti-
Avec
croissant
Le stockage d’énergie par pompage
vement). L’étude évalue les surplus de
de l’interaction avec le client à l’aide
hydraulique grâce aux STEP (Stations
production d’électricité, le surplus étant
de moyens informatiques – le client
de Transfert d’Energie par Pompage)
défini comme :
lui-même souhaitant être plus actif
est une technologie mature. En France,
Surplus = Nucléaire + Eolien + Photo-
(consom-acteur ou « prosumer ») –
la puissance installée totale est de
voltaïque + Hydraulique fatal (i.e.au fil de
il sera possible d’adapter jusqu’à un
4 200 MW avec en particulier deux
l’eau) – Consommation intérieure.
sur la base de données historiques. L’étude se place dans un scénario ré-
2
le
développement
certain point la consommation à la
grosses unités : Montezic (870 MW
L’étude met ainsi en évidence un
production. Pour les clients indus-
– 40 h et Grandmaison (1 160 MW –
surplus de 75 TWh (à comparer à une
triels, il est également envisageable de
30 h). Les quantités d’énergie stockables
consommation actuelle d’électricité de
moduler la consommation en agissant
dans ces installations sont de l’ordre
485 TWh) mais surtout étudie la réparti-
sur le processus industriel. Dès à pré-
de 35 GWh à chaque cycle pompage/
tion de ces surplus d’électricité au cours de
sent, des « agrégateurs » apparaissent
turbinage. Leur développement reste
l’année. Ceci est particulièrement impor-
et proposent des offres de délestage
cependant soumis à l’acceptation des
pour des ensembles de clients ;
populations concernées. Des exemples
http://www.grtgaz.com/fileadmin/ transition_energetique /documents / hydrogene_et_reseau_e-cube_GRTgaz.pdf 2 Agence française pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie.
s stockages traditionnels : ce sont
1
essentiellement des moyens tels les
récents en France montrent leur extrême sensibilité à cette question ;
STEP (Stations de Transfert d’Energie
s exportations : les surplus de produc-
par Pompage), les volants d’inertie, les
tion peuvent être exportés vers les
REE N°2/2015 33
L'HYDROGÈNE
DOSSIER 1
L'hydrogène dans la transition énergétique : Par Etienne Beeker Chargé de mission énergies à France Stratégie
Since Jules Verne and the 19th century, hydrogen continues to be held in exceptional esteem and projects using this gas surface regularly, usually triggered by oil crises. It could indeed replace hydrocarbons for applications such as power generation, mobility and heating if resources become exhausted or in the fight against climate change. In addition, hydrogen's ability to be produced locally by wind or solar farms has given rise to numerous experiments, particularly in Germany both for energy storage and for "carbon-free" mobility. However, before being able to be developed at a large scale, hydrogen solutions still face big challenges. Today, hydrogen is only produced for industrial purposes using a process that emits CO2. It is possible to avoid it by electrolyzing water, but the efficiency is poor and the costs are high. The hydrogen produced will be in economic competition with gas, for which reserves have been multiplied by the discovery of unconventional resources. Hydrogen powered vehicles seem unable to compete with combustion or electric powered vehicles for a long time because fuel cell technology is not yet economically mature. Additionally, the deployment of a distribution infrastructure would be quite costly. Safety issues are of first importance in the use of this gas particularly volatile and inflammable.
ABSTRACT
L’hydrogène, un vecteur énergétique qui devra se faire une place dans un paysage énergétique en pleine mutation
celui-ci est un vecteur énergétique qui
Outre-Rhin, c’est pour stocker les
nécessite une énergie primaire pour le
quantités massives d’énergies renou-
produire :
velables (EnR) intermittentes de son
s SOIT DU GAZ S IL EST OBTENU PAR VAPO
“Energiewende” que l’Allemagne mise
reformage du méthane. Aujourd’hui,
sur l’hydrogène. Ce pays a connu l’éclo-
Au XIXe siècle, Jules Verne faisait
le marché industriel de l’hydrogène,
sion de nombreuses expérimentations,
déjà rêver avec les propriétés de l’élec-
déjà opérationnel (chimie et raffinage
tant dans le stockage d’énergie que dans
tricité et de l’hydrogène. Aujourd’hui
avancé) utilise presque exclusivement
la mobilité « décarbonée ». Sa capacité
ce gaz continue de bénéficier d’une
cette technique qui n’a pas un grand
à être produit et consommé localement
aura exceptionnelle. Sa combustion ne
intérêt énergétique (voir le paragraphe
grâce à des parcs éoliens ou solaires
générant que de l’eau pure, il est perçu
2 de cet article) ;
favoriserait une nouvelle gouvernance
comme « propre » et des projets repo-
s SOIT L ÏLECTRICITÏ VIA L ÏLECTROLYSE DE
sant sur l’utilisation de l’hydrogène font
l’eau. Son coût dépend alors des prix
La question de la transposition de
régulièrement surface, généralement
du kWh, qui se sont récemment écrou-
l’approche allemande à la France est
suscités par les crises pétrolières. En
lés sur les marchés de gros (alors que
posée explicitement dans le projet de
effet, il pourra remplacer les hydrocar-
les prix pour le consommateur final
loi sur la transition énergétique et la
bures (production d’électricité, mobilité,
augmentent) et semblent offrir des
croissance verte débattu au Parlement
chauffage, etc.) quand les ressources
espaces de rentabilité à certaines
au moment de la rédaction de ces
seront épuisées ou s’il s’impose écono-
nouvelles applications, dont la produc-
lignes. Les deux grandes applications
miquement pour lutter contre le chan-
tion d’hydrogène. De grands acteurs
aujourd’hui envisagées sont :
gement climatique.
comme Air Liquide, GDF Suez, le CEA
s le stockage d’électricité, en injectant
Même si l’existence de réserves d’hy-
ou Areva, en quête de relais de crois-
directement dans les infrastructures
drogène naturel a été mise en évidence
sance, ou des start-up comme McPhy
gazières de l’hydrogène produit avec
dans certaines formations géologiques,
cherchent déjà à se positionner.
de l’énergie renouvelable excédentaire
territoriale de l’énergie.
REE N°2/2015 39
L'HYDROGÈNE
DOSSIER 1
(“Power to Gas”). Il se retrouvera en
Tout d’abord des défis techniques,
compétition économique avec d’autres
l’hydrogène est un gaz difficile à mani-
techniques de stockage et avec le gaz
puler, transporter et à stocker en raison
Autrement dit, pour que l’hydrogène
naturel dont les réserves ont explosé à
de sa faible densité, de sa forte volati-
soit plus efficace dans une utilisation
la suite de la découverte de ressources
lité et de sa capacité à s’échapper par
comme combustible automobile, il faut
non conventionnelles, modifiant l’équa-
les moindres fissures (c’est la plus pe-
que le rendement global de la chaîne
tion économique des solutions alterna-
tite molécule existant dans la nature).
de traction (en particulier de la PAC qui
tives ;
l’hydrogène produit par vapo-reformage (SMR 2), de cette même quantité3.
L’acceptation sociale de l’hydrogène
« brûle » l’hydrogène) soit 2,5 fois celui
s la mobilité hydrogène via le véhicule à
dépend de la confiance du public en sa
d’une chaîne de traction classique (il
hydrogène (« VH2 »), un véhicule élec-
sûreté : plus que tout autre combustible,
est au mieux aujourd’hui de 1,5 fois).
trique qui tire son énergie de l’hydro-
c’est un concentré d’énergie qui pré-
Cette condition remplie, deux questions
gène transformé en électricité grâce à
sente des risques de feu et d’explosion ;
restent cependant non résolues :
une pile à combustible. Une hybrida-
il a la caractéristique d’exploser très faci-
s LA PRODUCTION D HYDROGÒNE Ì PARTIR DE
tion des deux est aisée, une réserve
lement et violemment s’il est mélangé
méthane n’évite pas les émissions de
d’hydrogène et une pile à combustible
à de l’air.
CO2. Des expériences comme celle
(PAC) permettant d’augmenter l’auto-
Des défis économiques ensuite, car
menée à Port-Jérôme cherchent à le
nomie des véhicules électriques. Le
si l’électrolyse est un procédé déjà très
capter et la diffusion d’un tel procédé
VH2 se retrouvera en concurrence avec
ancien et techniquement bien maîtrisé
pour produire de l’hydrogène dédié à
ses équivalents thermiques ou élec-
et si les piles à combustible ont progres-
la mobilité permettrait effectivement
triques, le moteur à explosion disposant
sé techniquement, leur coût reste élevé
de réduire très sensiblement les émis-
encore de marges de progrès impor-
et nécessite encore des évolutions pour
sions de CO2 du transport. Cette expé-
tantes et les batteries électrochimiques
accéder à la maturité économique. D’un
rimentation a néanmoins un coût qu’il
voyant leurs performances s’améliorer
point de vue systémique, l’utilisation
convient d’estimer en incluant le stoc-
et leurs coûts baisser régulièrement.
de l’hydrogène nécessite de prouver
kage du CO2 ainsi capturé, qui pose
Afin d’être décarboné, l’hydrogène
la faisabilité technico-économique de
aussi des problèmes d’acceptabilité ;
doit être produit par électrolyse, ce qui
la chaîne et de déterminer la manière
s ELLE NE RÏSOUT PAS LA QUESTION DU CA-
fait dépendre son coût de production
dont celle-ci peut s’intégrer dans le sys-
ractère renouvelable de la ressource.
des prix de l’électricité (ou par vapo-refor-
tème existant alors que des alternatives
L’utilisation de biométhane (qui n’est
mage du biométhane, mais l’intérêt éner-
moins coûteuses existent. Dans le cas
que du méthane d’origine biologique)
gétique reste à démontrer). S’ils sont très
d’un développement de la mobilité hy-
permet de résoudre en partie les
bas aujourd’hui, il est souhaitable qu’ils
drogène par exemple, la mise en place
questions de limitation des ressources,
ne restent pas à des niveaux aussi bas
des infrastructures de production décar-
voire d’émissions de CO2 s’il est capté
de manière pérenne, car ceci est dû à un
bonée et de distribution d’hydrogène
à la production. Il convient néanmoins
contexte de profond dysfonctionnement
à un coût raisonnable semble difficile-
d’en évaluer le coût et l’intérêt de le
des marchés de l’électricité qui menace
ment envisageable aujourd’hui.
vapo-reformer à un endroit du réseau
la situation financière des grands opérateurs européens et avec eux la sécurité d’approvisionnement . 1
Des défis, parfois de taille, se dressent
Un peu de technique : intérêt comparé des molécules de CH4 et d’H2
ainsi devant les promoteurs de ce nou-
Ces deux molécules peuvent toutes
veau vecteur énergétique, laissant pla-
les deux réagir avec l’oxygène et donner
ner un doute sur la capacité de la filière
lieu à une libération d’énergie. Pour pro-
à trouver sa place dès aujourd’hui dans
duire de l’énergie, la même molécule
la transition énergétique.
de CH4 peut être brûlée directement ou être utilisée pour produire de l’hydro-
1
Voir par exemple le rapport de janvier 2014 de France Stratégie « La crise du système électrique européen » : http://www.strategie.gouv. fr/blog/2014/01/rapport-la-crise-du-systemeelectrique-europeen/
40
REE N°2/2015
gène qui est ensuite brûlé mais avec un rendement global diminué : la combustion directe d’une quantité de CH4 génère 2,5 plus d’énergie que celle de
de gaz. Avec l’exploitation de leurs ressources non conventionnelles, les Etats-Unis “Steam Methane Reforming” ou vaporeformage du méthane qui consiste à « cracker » la molécule CH4 en H2 et CO2 en présence d’eau (H2O). 1 kg de CH4 génère 13,9 kWh. Vaporeformé, il génère environ 0,16 kg d’H2 soit une valeur énergétique de 5,4 kWh. 3 Pour être exact, l’H2 est souvent un coproduit d’une autre activité, généralement de raffinage, et la chaleur générée par la réaction est souvent récupérée en partie. Ce pourrait ne plus être le cas si la production d’H2 était dédiée. 2
DOSSIER 1
L'HYDROGÈNE
Développement de systèmes d’électrolyse de forte puissance : nécessité et approche Par Marc De Volder Siemens SAS The extension of power generation from renewable sources, such as wind power and photovoltaic is a major lever to achieve the ambitious targets to reduce the emission of carbon dioxide. Those sources are extremely volatile. Therefore systems are needed to stabilize the grids and furthermore help to avoid excess generation and supply bottlenecks. Large-scale electrolysis systems convert water into hydrogen using for instance renewable energy. Thereby huge amounts of energy may become storable for long periods. Such PEM electrolysis systems must have a power of at least 50 megawatt and must technically also be able to operate highly efficiently in such an extreme dynamic environment. Siemens is pushing the upscaling and the production of such largescale PEM electrolysis systems.
ABSTRACT
Introduction
sont perçus dans la façon de produire
Il existe également des situations où
Cet article montre la nécessité de
l’énergie électrique à partir d’énergies
la consommation d’électricité réelle est
disposer de systèmes d’électrolyse PEM
renouvelables telles que les énergies
plus importante que la capacité de pro-
de forte puissance, contrastant avec les
hydraulique, éolienne et solaire. La no-
duction par les énergies renouvelables
installations existant actuellement sur
tion de production durable d’électricité
pour des raisons de période d’assom-
sites industriels. En outre, il décrit les
devient par ailleurs un thème central au
brissement ou de calme éolien. Pour
défis tant techniques que logistiques
vu des annonces récurrentes de pénu-
couvrir ces pics de demande à court
de l’industrialisation de tels systèmes
rie des ressources naturelles, qu’elles
terme, les centrales électriques à gaz
ainsi que la nécessaire prise en compte
soient fossiles ou autres.
et à charbon sont à disposition mais
des concepts de service et de sécurité.
A l’inverse de l’énergie hydraulique, du
la motivation de leurs opérateurs a été
Pour terminer, quelques aperçus sur
fait de leurs caractéristiques fluctuantes,
fortement diminuée par les directives
l’approche de Siemens sont donnés en
les énergies du vent et du soleil posent
donnant la priorité aux énergies renou-
termes de perspectives sur les plans
des problématiques prévisionnelles nou-
velables. En effet, à côté de l’investis-
d’action et sur les applications [1].
velles aux producteurs d’électricité qui
sement, l’un des paramètres majeurs
n’apparaissaient pas de manière aussi
conditionnant la rentabilité d’une cen-
nette dans les modes conventionnels de
trale, est son taux d’utilisation c’est-à-
production d’électricité à l’aide de cen-
dire le nombre d’heures d’exploitation.
Avantages des systèmes d’électrolyse de forte puissance La réduction des émissions de gaz
trales nucléaires, de turbines à gaz ou de centrales à charbon.
D’une manière générale, on constate un changement de paradigme chez les
à effet de serre n’est plus seulement
L’équilibre sur le réseau électrique entre
producteurs d’électricité qui, jusqu’à pré-
une manifestation d’intérêt collectif de
la production et la consommation d’élec-
sent, organisaient leur production autour
pure forme mais une réalité quantifiée
tricité doit être assuré à tout moment [3].
de la demande. Un autre phénomène, le
et chiffrée. L’objectif de réduction des
Des créneaux horaires d’énergie excéden-
prix de l’électricité négatif, fait son appa-
émissions de dioxyde de carbone a été
taire apparaissent lorsque la demande est
rition de plus en plus fréquemment. La
fixé par l’Union européenne à 80 %
trop faible et que les besoins en énergie
gestion du mécanisme de l’offre et de
pour l’horizon 2050 (base des chiffres
sont satisfaits. Les éoliennes au Nord ou
la demande d’électricité est assurée par
de 1990) [2].
à l’Est de l’Allemagne sont très souvent
la Bourse de l’énergie de Leipzig (EEX :
Des actions appropriées sont donc
affectées par ce phénomène. Selon des
European Energy Exchange AG) et les
nécessaires dans tous les domaines
études, plus de 400 GWh d’énergie éo-
périodes de temps durant lesquelles les
constitutifs de l’économie nationale :
lienne ont été perdus en 2011. Environ
consommateurs peuvent être rétribués
production industrielle, transport, pro-
116 000 ménages auraient pu être ali-
pour leur consommation d’électricité ne
duction d’énergie et secteur domes-
mentés pendant une année entière avec
sont plus rares. En 2011, cette situation
tique. Les potentiels les plus prometteurs
une telle quantité d’électricité [4].
s’est présentée pendant 2 % du temps.
58
REE N°2/2015
Développement de systèmes d’électrolyse de forte puissance : nécessité et approche
Le paragraphe précédent montre deux choses : tout d’abord que la réduction continue du dioxyde de carbone nécessite non seulement des solutions non carbonées ou, a minima, moins carbonées pour la production de l’énergie électrique, mais aussi que l’expansion des énergies renouvelables nécessite qu’elles soient utilisées ou stockées, sans être forcément immédiatement injectées dans le réseau électrique, afin d’éviter d’avoir à compenser les différences entre production et consommation. Il ne s’agit pas là de stockage de faibles quantités d’énergie pendant de courtes durées. Les études actuelles montrent que la demande de stockage pourrait aller jusqu’à 40 TWh en 2040, répartis
Figure 1 : PEM et électrolyse alcaline : principe de base et différences. Source : Siemens AG.
sur des semaines voire des mois [5]. Dans cette perspective, d’intenses
technologie présente des avantages
les systèmes PEM peuvent être utilisés
discussions ont lieu, non seulement sur
spécifiques en fonction du domaine
pour l’équilibrage du réseau électrique
les solutions à utiliser mais aussi sur la
d’application et du mode d’opération.
en assurant des connexions/décon-
possibilité de recourir à des modes de
Dans le passé, les électrolyseurs al-
stockage nouveaux. Les critères d’éva-
calins ont été utilisés en continu, sans
A l’inverse des systèmes alcalins, utili-
luation et de comparaison sont la quan-
fluctuation d’énergie ou d’alimentation
sant des solutions potassiques, l’électro-
tité d’énergie à stocker, la durée ainsi
en eau, pour produire de l’hydrogène
lyseur PEM est équipé d’une membrane
que la faisabilité technique et l’accepta-
principalement à pression atmosphé-
conductrice électrique qui permet des
bilité sur le plan politique.
nexions rapides de la charge.
rique. Aucune flexibilité dans la pro-
performances élevées en termes de pas-
Les stations de transfert d’énergie par
duction n’était alors demandée. De nos
sage de densité de courant (figure 1).
pompage (STEP) sont incontestable-
jours les exigences relatives aux carac-
Cette membrane constitue en outre une
ment les plus efficaces, mais elles sont
téristiques techniques des systèmes
séparation étanche entre les gaz (l’oxygène
sujettes à des restrictions géologiques.
d’électrolyse ont changé énormément.
et l’hydrogène) pouvant supporter des ni-
Les stockages d’énergie par air compri-
Un comportement dynamique avec une
veaux de pression de 100 bars et plus.
mé et naturellement sur batteries sont
dégradation minimale des matériaux est
Les électrolyseurs PEM, contraire-
des solutions en cours d’évaluation.
souvent préféré à la recherche de l’effi-
ment aux systèmes alcalins, n’ont pas be-
L’utilisation de l’hydrogène en tant
cacité optimale : le vent arrive en bour-
soin d’être maintenus en température et
que vecteur de transformation d’énergie
rasques, le soleil disparaît derrière les
peuvent être complètement arrêtés, ce
via le processus d’électrolyse fait partie
nuages, le tout dans un laps de temps
qui élimine les coûts de fonctionnement
aujourd’hui de la réalité. De grandes
de l’ordre de quelques secondes. Un
à l’arrêt. Les purges du système à l’aide de
quantités d’énergie allant jusqu’à plu-
système d’électrolyse doit en consé-
gaz inerte ou l’application de tension pro-
sieurs TWh peuvent être stockées pen-
quence pouvoir maîtriser des gradients
tectrice pour empêcher les électrodes de
dant des mois pratiquement sans perte.
d’énergie positifs ou négatifs abrupts
se décomposer ne sont pas nécessaires.
Le principe de l’électrolyse scindant la
de quelques secondes ou être arrêté
Dès la mise sous tension, l’électrolyseur
molécule d’eau en hydrogène et oxy-
durant des heures avant de supporter
PEM commence à produire, sans aucune
gène est connu depuis le début du 19
des situations de surcharges soudaines.
phase de préchauffage, ce qui favorise sa
e
siècle suite aux expériences de Johann
L’électrolyseur
absorbe
l’énergie
haute dynamique.
Wilhelm Ritter. Tous les systèmes d’élec-
excédentaire ou non ré-injectable dans
Jusqu’à présent les électrolyseurs
trolyse ne sont cependant pas basés sur
le réseau et la convertit en hydrogène.
PEM n’étaient disponibles que dans une
le même fonctionnement et chaque
En raison de leur grande dynamique,
gamme de puissance au-dessous d’un
REE N°2/2015 59
L'HYDROGÈNE
DOSSIER 1
L’hydrogène, fée bienveillante ou démon tentateur Par Jacques Maire Directeur général honoraire de Gaz de France L’énergie est vitale pour la société mais ce n’est
Des recherches ont été menées par EDF et par GDF
qu’une utilité qui assure des services ; nous n’avons pas
autour des années 70-80 essentiellement pour dimi-
envie de gaz ou de fuel ou… mais nous voulons être
nuer le coût des électrolyseurs. L’idée de base partait du
chauffés. C’est donc un domaine où le rationnel devrait
programme nucléaire susceptible de fournir de grandes
s’imposer et, devant un besoin, il faudrait simplement
quantités d’électricité et des inquiétudes sur les res-
chercher la meilleure solution en fonction du coût, des
sources possibles en gaz naturel. Ce schéma n’est plus
risques, des objectifs, etc. Et pourtant l’opinion s’em-
d’actualité compte tenu des idées présentes sur le nu-
balle parfois en imaginant que telle solution technique
cléaire et sur les réserves de gaz.
conduira à une société meilleure où tous les problèmes trouveront leurs solutions.
Mais si un jour, comme l’imaginent certains, un réseau d’hydrogène était construit, il faudrait des installa-
C’est le cas de l’hydrogène, certains ont pu parler
tions de grande taille avec une production assurée. La
de civilisation de l’hydrogène. C’est propre, c’est abon-
production à partir des hydrocarbures devrait bien sûr
dant, c’est souple etc. Cela fait rêver les citoyens et les
inclure la capture du CO2 si l’on voulait éviter l’intensi-
hommes politiques.
fication de l’effet de serre conduisant au changement
Malheureusement ce n’est pas une énergie pri-
climatique.
maire car l’hydrogène n’est présent qu’en combinaison
La voie hydrogène a repris de l’intérêt avec les éner-
(même si l’on connaît quelques émanations naturelles).
gies nouvelles dont le caractère intermittent conduit à la
Pour qu’il devienne un produit énergétique, il faut déjà
recherche de modes de stockage. Mais les problèmes
l’isoler en consommant de l’énergie ; ce n’est qu’un vec-
à résoudre sont forts différents suivant les situations et
teur énergétique permettant de passer d’une énergie
les objectifs.
primaire à l’usage. C’est donc aux autres vecteurs qu’il faut la comparer et non aux énergies primaires.
On peut vouloir simplement tirer parti d’une énergie excédentaire ou faire face aux variations de charge, soit
C’est un produit qui a des qualités, il a un pouvoir
sur l’instant, soit d’une saison à l’autre ; on peut aussi
calorifique élevé, 1 kg de H2 contient une énergie plus
chercher un carburant propre avec un réseau de dis-
de deux fois supérieure à celle du kg de méthane, il
tribution, etc. Faire fonctionner une borne d’autoroute
est très réactif mais il est très léger. C’est même le plus
avec des cellules solaires n’est pas le même problème
léger des gaz ; le kg d’H2 occupe un volume huit fois
que remplacer un parc éolien offshore quand il n’y a
supérieur à celui du méthane. Il est donc assez difficile
pas de vent.
à manipuler, sans parler des risques de fuites.
C’est aussi différent suivant la position de l’unité par rap-
L’hydrogène peut être obtenu soit à partir des hy-
port à l’ensemble du système électrique : Hydro-Québec
drocarbures par vapocraquage soit par électrolyse mais
a une bonne complémentarité éolien-hydraulique. Le pro-
cette deuxième voie est dans l’état des techniques bien
blème d’une île n’est pas celui d’un réseau continental.
plus coûteuse, même avec de l’électricité gratuite. Elle
La question est donc de savoir si face aux difficultés
est réservée aux usages qui nécessitent une grande
de stockage et au coût de transport de l’électricité, passer
pureté.
par l’hydrogène apporte une solution. Techniquement
C’est un corps chimiquement intéressant, largement utilisé en chimie et en raffinage. La production mondiale
tout est faisable mais l’efficacité économique est fort différente suivant les cheminements.
est de l’ordre de 60 Mt. L’une des utilisations qui pour-
La première remarque est que vu du producteur,
rait prendre de l’importance dans l’avenir, semble être
éolien ou solaire, il n’y a pas de problème d’écoulement
l’exploitation des bruts extra lourds.
s’il est relié au réseau. Actuellement, il a un débouché
REE N°2/2015 81
DOSSIER 1
L'HYDROGÈNE
garanti en prix et en quantité. Même le jour où il vendra
L’hydrogène apporte-t-il des avantages sur le plan
l’électricité sur le marché, comme son coût marginal est
du transport car le gaz est réputé moins cher à trans-
quasi nul il pourra toujours écouler sa production. Mais
porter que l’électricité mais on parle habituellement du
avant de se lancer dans des installations lourdes, il faut
gaz naturel et non de l’hydrogène. En fait la légèreté de
regarder la capacité du réseau et son éventuel renfor-
l’hydrogène rend son transport assez coûteux. Comme
cement.
le coût de transport d’un gaz dépend de son volume
Il peut par contre se dire que, s’il pouvait stocker
et des pressions (et non pas de la masse) le kWh est
quand les prix sont bas, il pourrait vendre plus tard
en première approximation quatre fois plus coûteux à
quand les prix seront hauts, (c’est ce que fait une usine
transporter que celui du méthane, sans parler des diffi-
hydraulique). Tout dépend du coût du stockage.
cultés techniques.
Pour le responsable de l’équilibre général du ré-
Pour comparer à l’électricité, il faudrait un schéma
seau, il peut chercher un arbitrage entre des produc-
complet mais on peut avoir une idée en constatant que,
tions de secours, des stockages, des renforcements
pour des quantités comparables de kWh, les dépenses
de réseaux etc., mais qui est responsable de cet équi-
du RTE sont de l’ordre du double de celles du GRTGaz
libre général ?
transportant du méthane, mais si ce dernier transportait
L’électricité n’est pas facilement stockable et relative-
de l’hydrogène dans les mêmes conditions il transporte-
ment chère à transporter, il y a beaucoup de recherche
rait quatre fois moins de kWh dont le coût de transport
à tous les stades mais on est loin de savoir ce qui sera
serait ainsi d’environ le double de celui du kWh élec-
possible et à quel prix ? D’où l’idée de regarder l’hydro-
trique. L’avantage transport est donc plus que douteux,
gène, un gaz étant a priori moins difficile à stocker mais
d’ailleurs personne n’a émis l’idée de passer par l’hydro-
quel avantage cela présente-t-il ? Il ne peut être qu’éco-
gène pour le transport à longue distance d’électricité
nomique.
(éolien offshore, Afrique…).
En effet au niveau de l’utilisation, l’hydrogène n’ap-
Le cas relativement favorable est le cas où l’on est
porte aucun avantage par rapport à l’utilisation directe
proche d’un réseau de gaz, il n’y a qu’un problème de
de l’électricité qui est généralement plus simple et qui
compression (sauf si l’électrolyseur est sous pression)
évite des étapes compliquées, surtout si, après l’électro-
et il n’y a pas besoin de stockage. La seule question est
lyse, l’on veut revenir à l’électricité par une pile à com-
de savoir si, même en prenant l’électricité pour un prix
bustibles. Ces deux étapes font perdre environ la moitié
nul, on peut parvenir à un prix du kWh inférieur à celui
de l’électricité.
du gaz naturel, même en ne prenant pas en compte la
La première étape est l’électrolyse. De nombreuses voies sont explorées mais, comparé au gaz naturel, le
82
différence de coût marginal de transport. C’est actuellement loin d’être le cas.
coût de l’hydrogène est élevé. Toutes les techniques ne
La question du stockage est encore plus difficile à
sont pas non plus adaptées aux régimes de marche irré-
trancher car les techniques pour l’hydrogène et pour
guliers inhérents aux énergies intermittentes.
l’électricité sont encore loin d’être complètement explo-
Un ordre de grandeur de 7 USD/MBtu hors électri-
rées et articuler des ordres de grandeur de ce qui sera
cité est, semble-t-il, une estimation acceptable mais les
possible à l’avenir équivaut à avancer dans l’inconnu.
cas où l’on peut compter pour 0 l’électricité ne peuvent
Tout dépend au demeurant de savoir si l’on parle de
être que des cas très rares et sur des périodes courtes.
stockages fixes ou mobiles.
Or le chiffre précèdent correspond à des coûts fixes et à
Pour un stockage fixe pour absorber destiné à
une utilisation continue ; dans la réalité il faut le corriger
absorber des productions excédentaires, les conditions
par l’utilisation, c’est-à-dire par exemple en multipliant
locales sont déterminantes. Un stockage souterrain est
par quatre si on tourne le quart du temps. L’hydrogène
éventuellement possible, même si la légèreté pose des
est alors beaucoup plus cher que le gaz naturel.
problèmes spécifiques, mais les coûts seront au moins
Peut-être que sur une île où l’approvisionnement
quatre fois plus élevés au kWh que pour le gaz naturel
énergétique est cher, avec beaucoup de solaire et de
et encore faut-il que la géologie s’y prête. De toute façon
vent, si l’on a résolu le stockage, cela sera concevable
il faudra faire les comparaisons avec les autres options
dans l’avenir.
possibles, y compris de perdre les excédents.
REE N°2/2015
L’hydrogène, fée bienveillante ou démon tentateur
Pour le stockage sur les véhicules, les prototypes et les premières séries sont conçus avec des réservoirs a très haute pression (700 bars) en utilisant des techniques du spatial. Seront-elles adaptées à un usage grand public ? Les grandes inconnues sont pour l’hydrogène les stockages solides et pour l’électricité les batteries. Comment se
avantage compensera-il les coûts d’électrolyse et de pile à combustible ? La décarbonatation étant l’objectif, il faut surtout comparer la voie de l’hydrogène avec toutes les autres voies possibles. Les calculs économiques seraient plus
L'AU T E U R
faciles et cohérents si l’on disposait d’une valeur du carbone : espérons
compareront dans l’avenir les deux
qu’on finira par sortir du désordre
voies ?
actuel.
Si l’on regarde les densités de stockage,
l’hydrogène
Les quelques réflexions ci-des-
semble
sus montrent les défis à relever pour
stockable dans de beaucoup plus
faire arriver à des techniques maî-
grandes quantités par masse ou par
trisées techniquement et économi-
volume et cet avantage devrait se
quement. Il est difficile de conclure
traduire économiquement. 30 kWh
sur l’avenir de la voie hydrogène
par kg de stockage est un ordre de grandeur pour l’hydrogène même les spéculations les plus optimistes donnent 5 à 10 fois moins pour l’électricité. Pour les véhicules l’autonomie est un critère fort : on parle de 400 km pour l’hydrogène et de 150 pour l’électricité directe. Mais que deviendra cette différence dans l’avenir, la distance est-elle toujours un critère (livraisons en ville) ? Cet
Jacques Maire est ancien élève de l’Ecole polytechnique et ingénieur au Corps des mines. Il a été notamment directeur général de Gaz de France et a occupé plusieurs postes dans la haute fonction publique. Jusque en janvier 2013, il était président du conseil scientifique du Conseil Français de l’Energie, dont il reste membre.
sinon de dire que l’on est au stade de la R&D et non à celui de l’exploitation, compte tenu des incertitudes techniques et économiques. Actuellement cette voie semble encore loin de la compétitivité et même de la faisabilité. Il ne faut sans doute pas en attendre un bouleversement du paysage énergétique mais peut être des solutions dans des configurations spécifiques.
REE N°2/2015 83
GROS PLAN SUR ...
transition de l’atome de césium.
Le système international d’unités aujourd’hui
L
Le mètre, fixé à la fin du 18e siècle à partir de la longueur d’un arc de
e système international
méridien terrestre, est défini depuis
d’unités (SI) est mainte-
1983 comme la distance parcourue
nant adopté par presque
par la lumière dans le vide en 1/299
tous les pays au monde.
792 458e de seconde. La définition
Né en 1960, il est issu du système métrique adopté par la France en 1795, puis au 19e siècle par des
pays de plus en plus nombreux. Il consiste en un ensemble d’unités
du kilogramme, basée à l’origine sur
Pierre Cladé Laboratoire Kastler Brossel
de base, parmi lesquelles le mètre la seconde, le kilogramme et l’ampère, et les unités qui en dérivent. Ces unités sont définies par convention internationale, mais leur définition précise a évolué au cours du temps. Ainsi, la seconde définie initialement par rapport à la durée du jour moyen1, est depuis 1967 définie en fixant la fréquence d’une 1
Le lecteur pourra se reporter à l’article « Retour sur… les étalons de mesure » publié par Marc Leconte dans le présent numéro de la REE.
Lucile Julien Laboratoire Kastler Brossel
le poids d’un litre d’eau, est restée inchangée depuis la fin du 19e siècle : le kilogramme est la masse du prototype international du kilogramme
(IPK) déposé en 1889 au Bureau international des poids et mesures (encadré 1). Cette définition basée sur un artefact matériel pose au moins deux problèmes : cet artefact est unique, ce qui fait que tous les laboratoires de métrologie dans le monde dépendent d’IPK. Ils ne peuvent donc pas réaliser indépendamment leurs propres étalons et doivent travailler avec des copies plus ou moins parfaites. Le deuxième problème lié
Le BIPM, les unités, leur mise en pratique et les étalons Le Bureau international des poids et mesures (BIPM) est une organisation intergouvernementale créée en 1875 et dont le siège est à Sèvres (Hauts-de-Seine). Il est placé sous l’autorité de la Conférence générale des poids et mesures (CGPM) qui réunit tous les quatre ans environ les représentants des 55 états membres et des 41 états associés. C’est elle qui fixe par convention la définition des unités du système international (SI). Ce système évolue pour suivre les besoins croissants des utilisateurs en matière de mesures. Les propositions d’évolution sont élaborées par le Comité international des poids et mesures (CIPM) et par les divers Comités consultatifs associés aux différentes unités. La « mise en pratique » de la définition d’une unité est une série d’instructions qui permettent de réaliser la définition en pratique, au plus haut niveau métrologique. Chaque mise en pratique est rédigée par le Comité consultatif concerné puis, après avoir été approuvée par le CIPM, est publiée par le BIPM. Les étalons matérialisent la grandeur considérée avec une valeur connue et une exactitude plus ou moins grande. Il peut s’agit de dispositifs expérimentaux (voir l'encadré concernant l’effet Hall quantique et l’effet Josephson) ou d’artefacts matériels comme pour le kilogramme étalon. Dans ce dernier cas, un prototype (IPK) joue le rôle d’étalon international et est accompagné de diverses copies pour les étalons nationaux et les étalons de travail. On parle alors d’étalon primaire et d’étalons secondaires. Encadré 1. The kilogram, unit of mass in the International System of Units (SI), is still defined in terms of a material artefact. In the near future, it is planned to revise its definition as the one of several base units of the SI. The new definition of the kilogram and the ampere will be based of explicitly fixed numerical values of the Planck constant and the elementary charge. We discussed here the various methods which are presently used to precisely measure these two constants and the implication of the new definitions on the electrical units.
ABSTRACT
REE N°2/2015 85
GROS PLAN SUR
à cette définition du kilogramme est le caractère macrosco-
Redéfinir l’ampère et le kilogramme
pique du prototype ; en effet la masse d’un tel système peut
Les unités électriques dépendent du kilogramme, du mètre
évoluer (ce n’est pas une quantité fixée par la physique). Et
et de la seconde : en effet l’ampère est défini à partir de la force
même, le prototype international pourrait être détérioré ou
de Laplace, s’exerçant entre deux conducteurs rectilignes infinis
détruit. Que se passerait-il alors ? Tous ces problèmes n’exis-
distants de un mètre (et la force est le produit d’une masse par
teraient pas si la définition du kilogramme était basée, de
une accélération). Une fois l’ampère défini, les autres unités
façon analogue à ce qui est fait pour la seconde, sur une
(volt, coulomb ou ohm) en découlent, de façon que le système
propriété microscopique universelle comme la masse d’un
soit consistant, c’est-à-dire que l’énergie mécanique et l’énergie
atome ou d’une particule.
électrique s’expriment dans la même unité (kg·m2·s-2).
L’effet Hall quantique L’effet Hall quantique a été mis en évidence en 1980 par Klaus von Klitzing. Il est utilisé actuellement pour réaliser des étalons très stables de résistance. Lorsqu’un courant électrique traverse un matériau soumis à un champ magnétique B, une tension perpendiculaire au courant et au champ magnétique apparaît. Cette tension, qui compense la force de Lorentz, est proportionnelle au champ magnétique et à la vitesse des électrons, c’est-à-dire au rapport entre l’intensité du courant et la densité n des électrons libres. La résistance de Hall est donnée par le rapport entre cette tension transverse et l’intensité du courant ; elle vaut simplement B/ne. Cet effet Hall « classique » est utilisé usuellement pour mesurer un champ magnétique. Lorsque l’on contraint un gaz électronique à être à deux dimensions et qu’on le soumet à un champ magnétique, les niveaux d’énergie des électrons dans le champ sont quantifiés : ils sont des multiples de h
c
où
c
= eB/me est la fré-
quence cyclotron. La densité n0 de chaque niveau d’énergie est proportionnelle au champ magnétique : n0 = eB/h. Lorsque le gaz est à très basse température seul un nombre restreint de niveaux sont excités thermiquement et la densité électronique est un multiple entier de n0. La résistance Hall devient alors indépendante du champ magnétique et vaut RK = h/e2. C’est l’effet Hall quantique.
L’effet Josephson
Nous avons représenté ici un schéma d’une jonction Josephson : il s’agit de deux supraconducteurs séparés par une barrière (un isolant ou un métal non supraconducteur). L’effet tunnel permet aux électrons de passer d’un conducteur à l’autre. Lorsque l’on utilise des conducteurs ordinaires, l’intensité du courant dépend de la différence de tension entre les conducteurs. Lorsqu’ils sont supraconducteurs, un mécanisme cohérent apparaît et le courant dépend alors de la différence de phase entre les deux supraconducteurs. C’est le cas lorsque deux systèmes oscillants, électriques ou mécaniques sont couplés : l’énergie transmise (ou reçue) dépend de la phase relative entre les deux systèmes. Pour une jonction Josephson, la différence de phase évolue selon les lois de la mécanique quantique et dépend de la différence de tension entre les deux supraconducteurs. On observe alors un courant périodique à travers la barrière dont la fréquence est donnée par
= 2eV/h. Le facteur 2 provient du fait que les porteurs de charges dans un supraconducteur sont des
paires d’électrons (paires de Cooper). La constante de Josephson K J = 2e/h permet donc de convertir une tension en fréquence et vaut environ 4,8 x 1014 Hz/V. Encadré 2.
86
REE N°2/2015
❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱ RETOUR SUR
Les étalons de mesure Du mètre méridien au mètre lumière Marc Leconte Membre émérite de la SEE
histoire commence donc là et traitera surtout du mètre qui a connu en deux siècles quatre définitions et beaucoup de péripéties.
Introduction
Les prémisses
Les plus anciennes traces d’écriture en Mésopotamie
Il y avait en France au XVIIe siècle beaucoup de
en 3300 av. J.-C. révèlent déjà des transactions écono-
désordre et d’incohérence dans le système des poids
miques et juridiques qui quantifient par des mesures
et mesures. Selon les endroits, le pied, la livre, la
des objets aussi bien que des terrains. Il est donc pro-
toise, l’aune, le boisseau, la pinte, l’arpent n’ont pas
bable que dès avant l’écriture, les hommes ont mesuré
la même valeur et le système de numération était
pour commercer dans la société de leur temps. Au cours
différent pour chacune de ces unités. L’aune et la toise
de l’histoire, les hommes ont ainsi élaboré des systèmes
étaient incommensurables, les mesures de capacité
de mesure pour servir de support aux transactions com-
n’avaient aucun lien avec celles de la longueur. Mais
merciales.
le commerce, l’industrie et les sciences se dévelop-
Mesurer, c’est déterminer par rapport à un étalon un nombre caractéristique d’une grandeur. Pour cela,
paient et il devenait indispensable de parler le même langage partout.
il faut un système d’unités cohérent, car certaines
A la fin du XVIIe siècle, les lois naturelles (phy-
grandeurs sont reliées entre elles par des relations
siques) ont permis de définir les premiers étalons de
mathématiques que l’on matérialise par l’analyse di-
mesure. Pour les distances, on hésita pendant long-
mensionnelle. L’histoire des étalons et des systèmes
temps entre la longueur d’un arc tracé sur la terre et
d’unité est longue et nous allons dans ce qui suit évo-
celle d’un pendule battant à une fréquence donnée
quer l’histoire des étalons du système MKS (mètre-
en un lieu bien défini, car depuis 1673 les savants
kilogramme-seconde) qui sont les unités de base du
savaient que la terre n’était pas parfaitement sphé-
système international encore aujourd’hui en vigueur.
rique. En 1669, l’abbé Picard énonça l’idée d’un réfé-
Or les unités de base, de manière logique, sont aussi
rent naturel pour les unités de longueur et proposa
les plus anciennes. C’est pourquoi, dès les premiers
d’utiliser la longueur du pendule battant la seconde.
progrès liés à la connaissance de la nature écrite en
Il fallait en effet que la longueur de la toise soit rat-
langage mathématique comme l’affirmait Galilée, la
tachée à la nature et de ce fait réputée universelle et
recherche de cohérence et d’universalité des étalons
invariable. La même année, l’Académie des sciences
des unités de base s’est révélée indispensable. Notre
chargea Picard de mesurer un arc de méridien
ABSTRACT In old ages, standards for distance, weight and time were in France parts of very confusing measurement systems because of plurality of units. The French Revolution initiated a fundamental reform of units which led to the decimal system. As a consequence, new standards had to be defined by new prototypes. It was a long work during the troubled time of the Revolution, in the last decade of the 18th century, until new prototypes for length and weight were designed and deposed in the French Archives in 1799. It was the beginning of the “meter” which was originally defined as one ten-millionth of a quarter of the Earth meridian and of the “kilogram” which was defined as the weight of a cubic decimeter of water. About 70 years later, decimal system was accepted in France and in many other countries. News prototypes of the meter and kilogram were designed and deposed in Pavillon de Breteuil in Sèvres, near Paris. The “Metre Convention” was signed same years later and it was the beginning of the scientific metrology with conferences regularly held every 6 years (now 4) to enhance measurement systems according with sciences progress. Recently, in 1960, meter definition and, in 1968, time second definition were fundamentally changed because of properties of quantum physics and relativity. Only kilogram standard is not (yet) changed.
92
REE N°2/2015
Les étalons de mesure
terrestre par triangulation, mesure qu’il effectua en 1671.
mer qui passe près de Bordeaux. En 1775, un astronome
Picard fit le choix à partir de ces deux expériences de la lon-
y fut envoyé pour effectuer des mesures sur place et des
gueur du pendule simple battant la seconde dont le tiers
tables d’équivalences entre les mesures existantes furent
était le pied universel. Deux ans après Buriattini appela “me-
préparées. Le système métrique était en bonne voie de réa-
tro cattolico” cette longueur.
lisation mais, le 12 mai 1776, Turgot tombait en disgrâce et
Les scientifiques se sont ensuite orientés vers un système
était renvoyé pour être remplacé par Necker ; la réforme des
d’unités basé sur des caractéristiques objectives et univer-
mesures était alors abandonnée. Dupond de Nemours fera
selles dépendant de notre planète que l’on découvrait de
remarquer quelques années après que si Turgot était resté
façon de plus en plus approfondie et que l’on essayait de me-
six mois de plus le système métrique aurait été adopté 30
surer. Au cours du XVIII siècle, plusieurs expéditions de sa-
ans plus tôt.
e
vants académiciens, dont certaines
Les étalons de l’époque pré-révolutionnaire
aventureuses, ont ainsi mesuré la longueur d’un arc de méridien par triangulation à partir de la référence
Avant le système métrique, qui
du pendule, en Laponie avec l’expé-
sera établi sous la Révolution, on
dition de Maupertuis (1736-1737)
utilisait des étalons qui serviront à la
et au Pérou (plus précisément à
détermination du système métrique.
Quito, capitale de l’Equateur deve-
Longueurs
nu indépendant à partir de 1831)
L’unité était la toise correspon-
avec La Condamine, Bouguer et
dant à l’envergure d’un homme bras
Godin (1735-1745).
étendus (à peu près deux mètres),
Tentative de réforme : Turgot et Condorcet
qui se divisait en six « pieds de roi ». Chaque pied était divisé en
En 1774, Turgot prenait la fonction
12
pouces
eux-mêmes
divisés
de contrôleur général des finances
en 12 lignes de 12 points cha-
et proposait la place d’inspecteur
cune. L’étalon officiel de la toise
des Monnaies à Condorcet. Turgot
était une règle, munie d’un talon à
voulait que Condorcet s’attaque au
chaque extrémité, scellée au pied
problème crucial de l’unification des poids et mesures. Leur multiplicité était un obstacle au commerce, au
Figure 1 : Expédition de La Condamine au Pérou (Equateur) – Mesure des trois premiers degrés dans l’hémisphère austral – Source : Gallica.
développement scientifique et à
de l’escalier du Grand Chatelet de Paris. Sa dernière détermination datait de 1667. Avant l’expédition au Pérou, (voir encadré 1), Bouguer, La
la communication, elle causait de fréquentes confusions et
Condamine et Godin avait fait fabriquer par Langlois, ingé-
la situation avait été maintes fois dénoncée. Les Etats géné-
nieur du Roi pour les instruments d’astronomie, une copie de
raux de 1576 avaient demandé qu’il n’y ait en France qu’une
l’étalon du Chatelet, c’est-à-dire une règle en fer forgé et poli,
seule aune, qu’un seul pied, qu’un seul poids et qu’une seule
entaillée à ses extrémités de manière à laisser sur une moitié
longueur. Condorcet se donna comme objectif d’imposer
de sa largeur deux talons pour sa protection. A son retour de
pour la première fois un véritable système de mesure uni-
l’expédition au Pérou, La Condamine constata que la toise
ficateur. L’idée en avait déjà été avancée par La Condamine
du Chatelet qui était censée être l’étalon de référence, avait
dont Condorcet avait prononcé l’éloge funèbre en 1774.
été faussée par des travaux de maçonnerie sur le pilier qui
Dès son arrivée à la Monnaie, Condorcet se mit au tra-
la portait. Il s’avisa que la toise qu’il avait rapportée du
vail avec l’aide d’un agronome de l’Académie des sciences,
Pérou était alors un bien meilleur étalon qui sera connu
Tillet, qui connaissait le sujet pour avoir comparé les mesures
comme la toise de l'académie ou toise du Pérou. Elle
locales en 1765. Des courriers furent envoyés partout en
deviendra un étalon national le 16 mai 1766 et quatre-vingts
France pour avoir les détails sur les mesures spécifiques à
copies seront distribuées dans les provinces. C’est par rap-
chaque province. En accord avec Turgot, Condorcet choisit
port à la longueur de la toise du Pérou que sera définie celle
d’adopter pour unité de mesure la longueur du pendule bat-
du mètre (voir plus loin). La toise du Pérou est actuellement
tant la seconde à la latitude du 45e parallèle au niveau de la
conservée à l’Observatoire de Paris.
REE N°2/2015 93
ENTRETIEN AVEC SERGE LEPELTIER
Ancien ministre Président de l’association Equilibre des énergies
Regard sur la transition énergétique REE : Vous avez accepté de prendre
S’imaginer que l’on puisse construire
REE : Pensez-vous que la loi sur
la présidence de l’Association
un futur en se reposant sur une seule
la transition énergétique apporte
« Equilibre des Energies » en succes-
énergie serait une grossière erreur. Nous
une réponse suffisante et appropriée ?
sion de Jean Bergougnoux. Quelle
savons que, dans les 30 ou 50 ans qui
S. L. : Au départ la « Loi sur la transi-
est la vocation de cette association ?
viennent, il y aura des changements mais
tion énergétique et la croissance verte »
Serge Lepeltier : Laissez-moi tout
nous sommes aujourd’hui incapables de
– appelons-la la LTE – devait être une
d’abord vous expliquer pourquoi j’ai
les décrire. Il faut cependant s’y préparer.
loi-cadre fixant des orientations et des-
accepté cette responsabilité. L’énergie
Lorsque j’étais ministre, j’avais dit que le
tinée à être précisée par d’autres lois.
est comme vous le savez à la base de
prix du pétrole viendrait à dépasser les
Aujourd’hui la LTE reste une loi-cadre
toute activité économique. Il est donc
100 $/bbl. C’est arrivé plus vite qu’on
mais on lui a adjoint un grand nombre
indispensable d’en disposer pour permettre la poursuite de la croissance. Mais l’énergie est à l’origine de la majeure partie des gaz à effet de serre. C’est donc par l’énergie que l’on peut le
de dispositions ponctuelles qui rendent
Un équilibre des énergies au sein d’un mix énergétique facilitant la relance tout en sauvegardant le climat
plus rapidement et le plus efficacement
sa lecture plus difficile. Ceci dit, les objectifs définis par la LTE vont dans le bon sens mais on ne trouve pas toujours dans la loi les moyens permettant de les atteindre. Par exemple, la règle de
obtenir des résultats quant à la limitation
ne l’imaginait. Mais a contrario et plus
50 % de nucléaire dans le mix électrique
du changement climatique. Il y a un lien
récemment, personne n’avait sérieuse-
devrait s’accompagner d’une obligation
très fort entre économie et écologie et
ment anticipé la chute brutale des prix
de recourir à des énergies décarbonées
lorsqu’on m’a proposé de conseiller Jean
du brut que nous avons observée à par-
pour le solde. A défaut, il pourrait en
Bergougnoux, puis d’assurer sa suc-
tir de septembre 2014. De même, le prix
cession à la présidence d’Equilibre des
du gaz dépend beaucoup de l’état des
Energies (en abrégé EDEN), cela m’a
relations internationales et peut osciller
paru d’emblée très important.
dans des plages très larges. Il faut donc
Le nom même de cette association
se donner les moyens d’un reploiement
correspond à ce qu’il faut rechercher : un
et trouver un bon équilibre entre les so-
équilibre des énergies au sein d’un mix
lutions qui s’offrent à nous.
énergétique facilitant la relance tout en sauvegardant le climat. Mon engagement dans le monde
La loi sur la transition énergétique va dans le bon sens mais la limitation à 50 % du nucléaire doit s’accompagner d’un objectif de 40 % pour la production d’électricité d’origine renouvelable
REE : Il y aurait donc des déséquilibres dans le monde énergétique français
résulter un accroissement des émissions
écologique est ancien. En 1999, j’étais
actuel auxquels il faudrait remédier ?
de CO2 totalement contraire à l’objectif
sénateur du Cher et j’ai présenté au
S. L. : Je ne suis pas certain qu’il y ait
recherché. Fort heureusement, le débat
Sénat un rapport sur « Les instruments
aujourd’hui des déséquilibres. Nous
parlementaire a permis, lors de l’examen
économiques et fiscaux visant à limiter
avons hérité d’une situation qui avait
de la loi par le Sénat, de spécifier que
les émissions de gaz à effet de serre »,
été correctement préparée par ceux
les 50 % restant devraient être couverts
rapport dans lequel je plaidais en faveur
qui nous ont précédés. La France n’a
à hauteur de 40 % à partir d’énergies
d’une taxation des émissions de CO2
pas commis d’erreur et nous sommes
renouvelables et de 10 % seulement à
conforme au principe pollueur-payeur
aujourd’hui dans une situation favorable
partir d’énergies fossiles. La ministre en
qui soit simple, lisible, souple et efficace.
avec des émissions de GES qui sont très
charge de l’écologie et de l’énergie, elle-
Et donc ce lien entre écologie et éco-
inférieures à celles de nos principaux voi-
même, a salué cette avancée.
nomie est pour moi une question pré-
sins. Mais il nous faut préparer le futur
L’aspect réglementaire va être essen-
gnante qui touche à l’avenir de l’homme
et c’est à la préparation de l’avenir que
tiel et l’association Equilibre des Energies,
et de nos civilisations.
l’association s’emploie.
va s’investir fortement dans ce domaine,
REE N°2/2015 101
avec le handicap que nos lois vont
s GESTION DES MOYENS DE PRODUCTION
aujourd’hui beaucoup trop loin dans le
conventionnelle (nuclĂŠaire, thermique,
règlement des dÊtails, ce qui entraÎne
hydraulique) pour rĂŠpondre aux alĂŠas ;
des rigiditĂŠs auxquelles il est difficile de
s DĂ?VELOPPEMENT DES 34%0 RĂ?SERVES
remÊdier dès lors que des dispositions
d’eau rÊalimentÊes pour la production
sont inscrites dans la Loi.
d’ÊlectricitÊ et donc pour le stockage d’Ênergie) ;
REE : Beaucoup trouvent que la LTE
s Ă?CRĂ?TEMENT DES Ă?NERGIES RENOUVELABLES
consacre une place excessive aux
qui, Ă certains moments, peuvent ĂŞtre
problèmes du bâtiment aux dÊpens
trop productrices ;
d’autres sujets tout aussi importants.
s SYSTĂ’MES DE mEXIBILITĂ? ĂŒ DĂ?VELOPPER ET
S. L. : On a souvent considĂŠrer, mais cela
Le vrai problème posÊ par les Ênergies renouvelables est celui de la gestion du rÊseau Êlectrique
ne date pas d’hier, que le problème des bâtiments Êtait le plus simple à traiter alors qu’il y en a trois à aborder de front : l’industrie, les transports et le bâtiment.
Ă mettre en place chez les consommateurs. De quoi travailler dans les annĂŠes Ă venir avec un rythme de dĂŠveloppement des ĂŠnergies renouvelables qui soit opti-
On a constatÊ au cours des dernières
impression de saturation car le syndrome
misĂŠ, ce qui pose bien ĂŠvidemment la
annÊes que l’industrie accomplissait par
NIMBY1 est vivace, en France comme ail-
question du 2025‌
elle-mĂŞme un gros effort de modernisa-
leurs. Bien sĂťr, il faut faire attention et je
tion et de rĂŠduction de ses ĂŠmissions de
suis le premier Ă dĂŠfendre nos paysages.
REE : Nous en venons donc
GES, indĂŠpendamment des effets de la
Mais la règle des 1 000 m, si elle devait
au nuclÊaire‌
dĂŠlocalisation de certaines productions.
ĂŞtre votĂŠe, annulerait une grande partie
S. L. : Je ne regrette absolument pas
Le coÝt de l’Ênergie est en effet un para-
du gisement sans rĂŠpondre Ă des prĂŠoc-
l’ampleur qu’a prise la filière nuclÊaire
mètre essentiel de compÊtitivitÊ. Dans
cupations rĂŠelles.
française mais, pour l’avenir, on peut
les transports, l’action a ÊtÊ essentielle-
Progressivement, l’Ênergie photovol-
comprendre la volontÊ politique d’at-
ment normative avec des initiatives prises
taïque s’affirme par ailleurs comme la
teindre un ĂŠquilibre 50-40-10. Cela me
au niveau europĂŠen qui se sont rĂŠvĂŠlĂŠes
plus performante des ĂŠnergies renouve-
paraÎt correspondre à ce qu’il faut faire.
très efficaces. La France est au demeurant
lables. Elle sera à terme l’une des plus
La vraie question est celle du rythme.
bien placĂŠe dans la compĂŠtition vers des
rentables et il faut laisser s’opÊrer ces
Nos centrales nuclĂŠaires ont une cer-
vĂŠhicules toujours plus propres mĂŞme si
mutations techniques et ĂŠconomiques.
taine durÊe de vie et l’AutoritÊ de sÝretÊ
La vraie question est celle de la ges-
nuclÊaire (l’ASN) veille à ce que le niveau
tion du système Êlectrique. L’Êolien et le
de sĂŠcuritĂŠ indispensable soit maintenu.
la question du transport de marchandises reste insuffisamment traitÊe. Dans ce contexte, il ne faut pas s’Êton-
photovoltaĂŻque ont des caractĂŠristiques
L’ASN remplit sa mission de façon indÊ-
ner de la propension Ă donner la prioritĂŠ
communes ; leur production est totale-
pendante et est respectĂŠe sur le plan
aux questions du bâtiment. Mais notre in-
ment dĂŠpendante de donnĂŠes mĂŠtĂŠo-
international. C’est à elle de dire si la
tention, au niveau d’EDEN, est d’Êtendre
rologiques sur lesquelles le gestionnaire
durĂŠe de vie des centrales peut ĂŞtre pro-
notre action au domaine des transports
de rÊseau n’a pas de prise. Les variabilitÊs
longĂŠe et Ă quelles conditions. Partant
oĂš il reste beaucoup Ă faire.
sont très fortes. Plus de vent l’hiver que
de là , l’opÊrateur doit être à même de
l’ÊtÊ. Le photovoltaïque est produit sur-
conduire un calcul ĂŠconomique permet-
REE : N’en a-t-on pas trop fait en France
tout l’ÊtĂŠ et seulement la journĂŠe. Au-delĂ
tant de dÊterminer s’il est opportun ou
comme en Europe au profit des ĂŠner-
des saisons, les alÊas sont très forts selon
non de procĂŠder aux remises Ă niveau
gies renouvelables, au risque de mettre
le climat du jour. Ceci ne correspond pas
qui peuvent ĂŞtre nĂŠcessaires.
en pÊril la filière nuclÊaire française ?
le plus souvent aux besoins immĂŠdiats.
S. L. : Il y a ici deux questions qui ap-
C’est pourquoi des solutions doivent être
pellent des rĂŠponses distinctes.
trouvĂŠes mais les recherches et analyses
Je ne crois pas car la proportion d’Êner-
nĂŠcessaires sont en cours :
gies renouvelables dans notre bilan ĂŠner-
s MUTUALISATION DE LA PRODUCTION
gĂŠtique reste modeste. On aurait pu aller
s INTERCONNEXIONS INTERNATIONALES RENFORcĂŠes ;
plus vite, sur l’Êolien en particulier pour
102
REE N°2/2015
Il ne s’agit en aucune façon de dÊtruire de la valeur et ce sont là de vraies
lequel de nombreux sites restent disponibles. Aujourd’hui, on peut avoir une
L’objectif de 50 % de nuclÊaire ne doit en aucune façon conduire à dÊtruire de la valeur
1
NDLR : NIMBY = Not In My Back Yard.
questions qui viendront, Ă coup sĂťr, au
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Grenoble INP : ancrage dauphinois et grand rayonnement ! Entretien avec Brigitte Plateau Administrateur général - Présidente du Groupe INP REE : Les écoles d’ingénieurs ont à Grenoble une histoire plus que centenaire et l’INP les regroupe depuis plusieurs décennies ; pouvez-vous préciser quelques étapes importantes de cette histoire et présenter les composantes de l’institution que vous présidez ? Brigitte Plateau : La création des premières formations d’ingénieurs de Grenoble remonte effectivement à plus d’un siècle : c’est en effet le 12 janvier 1893 que Paul Janet inaugura un cours d’électricité industrielle à la demande des industriels dauphinois ; on venait alors de vivre l’exposition internationale dédiée à la « Fée électricité », dont la SEE est contemporaine ! Ajoutons que Supélec n’existait pas encore… puisqu’elle fut créée et longtemps dirigée par Paul Janet lui-même, qui poursuivit à Paris la brillante carrière inaugurée à Grenoble.
Grenoble - INP : une tradition centenaire ! Pendant près de 70 ans, les formations se déroulent au sein de l’Institut d’électrotechnique de Grenoble, qui était associé à la Faculté des sciences et dont Louis Néel, prix Nobel de physique pour ses travaux sur le magnétisme, fut le plus célèbre directeur. La loi à laquelle le nom d’Edgar Faure reste attaché réorganisa, après mai 68, l’enseignement supérieur et créa les trois instituts nationaux polytechniques (INP) de Grenoble, Toulouse et Nancy : ce sont alors des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), ayant rang d’université, et dont le président siège à la Conférence des présidents d’université (CPU) ; c’est d’ailleurs Louis Néel qui présida l’INP Grenoble à sa création. Intitulé exact
Nous avions alors six écoles différentes, chacune étant centrée sur l’une des spécialités de l’ancien institut d’électrotechnique et des grands secteurs industriels du Dauphiné : c’étaient des écoles nationales supérieures d’électrotechnique, d’hydraulique, de génie physique, d’électrochimie et d’électrométallurgie, d’électronique et de radioélectricité, de mathématiques appliquées. A l’époque, l’INP Toulouse regroupa dans un établissement unique, organisé en râteau, la plupart de ces disciplines pour créer l’ENSEEIHT (où le T final, après avoir fait référence à Toulouse concerne maintenant les Télécoms !). En 2007, à sa transformation en grand établissement, Grenoble INP comprenait, en plus des écoles déjà citées, qui se sont regroupées et ont changé de noms, trois autres écoles d’ingénieurs : l’école française de papeterie et des industries graphiques, l’école nationale supérieure du Génie industriel, toutes deux également grenobloises, et l’école nationale supérieure en systèmes avancés et réseaux, implantée à Valence. A ces écoles, il convient d’ajouter Nanotech, formation en anglais dédiée aux micro- et nano- technologies, que nous avions créée en 2004 avec le Politecnico di Torino et l’EPF de Lausanne. Cette transformation en grand établissement a été l’occasion d’une évolution importante des programmes, des missions et des structures : nous avons désormais six écoles dont le tableau ci-dessous rassemble les noms qui ont été modernisés et actualisés en même temps qu’on restructurait ou réaffectait certains domaines techniques, tels celui des télécommunications relevant désormais de l’Ensimag. Au total Grenoble INP, puisque tel est notre nom officiel, compte sur ses campus de Grenoble, Saint-Martin-d’Hères et de
Nom développé / Site web
Grenoble INP - Ense3
Ecole nationale supérieure de l’énergie, l’eau et l’environnement. http://ense3.grenoble-inp.fr/
s ÏTUDIANTS s DIPLÙMÏS
Grenoble INP - Ensimag
Ecole nationale supérieure d’informatique et de mathématiques appliquées. http://ensimag.grenoble-inp.fr/
s ÏTUDIANTS s DIPLÙMÏS
Grenoble INP - Esisar
Ecole nationale supérieure en systèmes avancés et réseaux http://esisar.grenoble-inp.fr/
s ÏTUDIANTS SUR ANS s DIPLÙMÏS
Grenoble INP - Génie industriel
Ecole nationale supérieure de génie industriel http://genie-industriel.grenoble-inp.fr/
s ÏTUDIANTS s DIPLÙMÏS
Grenoble INP - Pagora
Ecole internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux.http://pagora.grenoble-inp.fr/
s ÏTUDIANTS s DIPLÙMÏS DONT PAR APPRENTISSAGE
Grenoble INP - Phelma
Ecole nationale supérieure de physique, électronique, maté- s ÏTUDIANTS riaux. http://phelma.grenoble-inp.fr/ s DIPLÙMÏS Tableau 1 : Les six écoles de Grenoble INP.
REE N°2/2015 105
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Valence, près de 5 500 étudiants ; chaque année nous diplômons près de 1 200 ingénieurs et nos thésards soutiennent presque 200 thèses. Mais notre rôle ne se limite pas à ces seuls chiffres, si importants soient-ils, et notre entretien sera l’occasion de vous donner bien des précisions, en particulier sur la recherche ou sur nos liens structurels avec notre riche environnement comme avec les trois autres INP. REE : Comment est organisée la gouvernance de Grenoble INP et comment s’articule-t-elle avec les évolutions de l’enseignement supérieur ? B. P. : Les deux grandes missions d’un organisme comme le nôtre sont bien sûr l’enseignement et la recherche et il revient à l’équipe que j’anime d’en organiser la mise en œuvre, avec cohérence et dynamisme. Ces deux aspects, qui sont l’un et l’autre au cœur du quotidien des enseignants-chercheurs, sont régulés d’une façon très largement décentralisée et chacune des écoles bénéficie d’une large autonomie pédagogique et de relations spécifiques avec son environnement industriel et professionnel naturel compte tenu de son domaine. En revanche, la recherche est organisée en laboratoires centrés sur des thématiques spécifiques et chacun a sa vie propre, en particulier en relation avec les grands organismes de recherche ou pour la gestion de ses contrats de recherche.
Une intrication originale de l’enseignement et de la recherche Ce double aspect impose une souplesse et une concertation permanentes : par exemple la gestion financière est centralisée, dans le respect des règles d’autonomie des uns et des autres. C’est d’ailleurs Grenoble INP lui-même qui a une existence juridique et administrative comme établissement public : en particulier quand il s’agit de négocier les orientations stratégiques ou le budget avec les tutelles, de mettre en œuvre les grandes actions de coopération ou les grandes décisions en matière d’investissement. C’est autour de la présidence de l’institution que nous agissons ; je précise à cet égard que la fonction de direction s’incarne dans un ou une administrateur(trice) général(e), et non plus de président(e) comme dans les universités. Les conseils d’administration ont également des compositions assez différentes et il est bien connu que le poids et le rôle des acteurs économiques y sont bien différents : quand il s’agit de former des ingénieurs, les avis et suggestions des entreprises méritent d’être écoutés avec soin ! Tout n’est pas simple : par exemple quand il s’agit de recruter un enseignement-chercheur, après avoir arbitré entre les demandes des écoles et celles des laboratoires. Il s’agit de sélectionner parmi les nombreux candidats celui qui s’intégrera le mieux dans une équipe pédagogique ET dans un laboratoire... Assurer le dynamisme et le développement d’un organisme d’enseignement supérieur, à une période où le gouvernement arbitre au mieux le maintien des budgets, est une réelle difficulté quand il s’agit de créer une nouvelle thématique de recherche ou un nouveau cursus ! La volonté, en particulier pour améliorer les positions françaises dans la compétitivité mondiale et les classements internationaux,
106
REE N°2/2015
de regrouper les universités d’un même site ou géographiquement voisines, conduit actuellement à la constitution de communautés d’universités et d’établissements. Ce processus, entamé dès 2005 par la création d’un groupement d’intérêt public (GIP) Grenoble universités entre les quatre universités de Grenoble, s’est poursuivi sous forme d’un pôle d’enseignement supérieur (PRES), université de Grenoble, qui a accueilli l’université de Savoie. Depuis la loi de 2013, nous avons une communauté d’universités et établissements (ComUE) baptisé Université Grenoble Alpes, qui regroupe également Sciences Po Grenoble et les grands organismes de recherche tels que le CNRS, le CEA et l’Inria. Notre contribution à la vie de la ComUE est évidemment importante puisqu’il s’agit en particulier d’établir une stratégie partagée en matière de recherche et d’écoles doctorales – et nous avons plus de 800 thésards ainsi que de nombreux contrats ! –, comme en matière d’actions internationales. Nous avons évidemment des relations spécifiques avec l’université Joseph Fourier, qui est l’université scientifique et je vous précise qu’il n’y a pas concurrence entre nous et son école polytechnique universitaire, dont les conditions de recrutement sont d’ailleurs fort différentes des nôtres. C’est à l’échelle de l’agglomération grenobloise qu’un incubateur accueille les jeunes pousses (startups) et qu’une Société d’accélération du transfert de technologie (SATT) organise tout ce qui touche au transfert de technologie ou à la propriété intellectuelle. Dernière précision : pour des questions d’efficacité, nous avons en interne des filiales pour gérer l’ensemble des contrats de recherche de tous les laboratoires, et pour optimiser les investissements dans les startups qui en sont issues.
Groupe INP : le premier réseau d’écoles d’ingénieurs en France REE : Les divers INP (Grenoble, Toulouse et Nancy, ainsi que Bordeaux qui est de création nettement plus récente), se sont récemment structurés en réseau, et vos collègues vous ont élue à la présidence de l’association. Quels sont les modalités et les objectifs de cette coopération ? B. P. : Les INP se connaissent évidemment de longue date car ils ont des structures, des méthodes et des objectifs voisins, même si l’histoire a façonné pour chacun des composantes originales. Je crois que des quatre INP, celui de Grenoble est le plus homogène. Nos collègues de Toulouse, Nancy, et Bordeaux qui en temps qu’INP est beaucoup plus récent, ont fédéré des établissements divers, parfois anciens et/ou relevant d’autres ministères que celui de l’Enseignement supérieur : je pense en particulier aux deux établissements de Toulouse orientés vers l’aéronautique ou à l’Ecole des Mines de Nancy, qui a intégré Lorraine INP. Le spectre scientifique et technique des trois autres INP est aussi plus large que le nôtre comme le montre le tableau 2 qui affiche l’ensemble de leurs composantes : on constate en effet une présence systématique de la chimie ou du génie chimique (fort modestes chez nous !), et souvent des établissements orientés vers les sciences de la nature (la géologie ou le bois) ou celles du vivant (agriculture, agronomie ou art vétérinaire).
CHRONIQUE
D
Sur le rôle des chroniqueurs et journalistes scientifiques…
epuis quelques décennies la confrérie
Presque tout les oppose, dans les apparences du
de l’humanité, l’exploitation des gaz de schiste et
des chroniqueurs et journalistes scien-
moins car l’un et l’autre s’appuient sur une rigueur
l’économie des ressources hydriques ressortent
tifiques s’est très largement enrichie et
difficile à contester : d’un côté un ouvrage collectif,
bien d’une approche à la fois globale et délicate.
diversifiée. Ses représentants dirigent
issu d’un colloque du CNRS, et de l’autre le recueil
Deux spécialistes, Gérard Arnold du CNRS
des revues de culture scientifique, plus nom-
d’un blogueur blagueur ; aux doctes interrogations
et Sylvestre Huet président de l’Association des
breuses et de bien meilleure qualité qu'autrefois
sur des sujets de controverses publiques s’opposent
journalistes scientifiques de presse d’information
car la science et la technique ont pris une grande
les thèmes les plus futiles auxquels des universitaires
(APJSPI), ont coordonné des débats riches et
importance dans un pays comme le nôtre, qui
ont consacré des recherches inattendues !
toniques où sont intervenus des parlementaires
diplôme environ 10 fois plus de scientifiques qu’il y
membres de l’OPESCT comme des spécialistes
a 50 ans ! Les grands quotidiens ont désormais des
de la communication ; trois thèmes avaient été
rubriques régulières, ou des suppléments dédiés.
choisis pour leur pertinence pédagogique, et
La compétence scientifique des divers auteurs s’y
aussi parce que la presse d’information encou-
est largement amplifiée, sans doute tirée vers le
rait potentiellement à leur sujet de très vives cri-
haut par le nombre croissant d’enseignants et/ou
tiques. Qu’il s’agisse du changement climatique,
de chercheurs qui s’essaient, avec bonheur, à une
des perturbateurs endocriniens ou de « l’affaire
vulgarisation de qualité. Le secteur audiovisuel,
Séralini » à propos des OGM, les analyses présen-
même dans sa composante de service public, reste toutefois frileux sur ces questions, en dépit de quelques émissions de qualité. Même si un – modeste – salon leur est consacré au début du printemps, les ouvrages de culture et de vulgarisation scientifiques sont rare-
Ouvrage collectif sous la direction de Gérard Arnold & Sylvestre Huet
tées illustrent bien le risque de dérive quand on présente sous un jour volontairement égalitaire
Le journalisme scientifique dans les controverses
partisans et adversaires. Peut-on renvoyer dos à
CNRS Éditions - décembre 2014 154 p. 22
en leur donnant égale surface de papier ou même
dos climato-sceptiques et responsables du GIEC temps d’antenne ? Sans revenir sur la mémoire de
ment mis en valeur… sauf s’ils surfent quelque
l’eau qui fit scandale, l’ouvrage illustre quelques
peu sur l’engouement médiatique pour tel ou tel
dérapages ou embardées médiatiques ; il dégage
problème. Les excellents livres ne sont pourtant
des analogies fortes dans les controverses et
pas rares et la chronique « Vient de paraitre » de
met en évidence un trépied rhétorique : d’abord
notre revue en recommande plusieurs à chacune
le phénomène lui-même est nié, puis considéré
de ses parutions. Mais le contexte médiatique
comme indépendant de l’homme (ou ne s’appli-
impose trop souvent un traitement tapageur de
quant pas à lui), enfin de faible gravité ; le lecteur
questions, certes importantes mais aussi souvent
Pierre Barthélémy
retrouvera sans peine le comportement de ceux
complexes, qui méritent mieux que les préjugés
Passeur de sciences. Le dico des nouvelles découvertes étonnantes, originales, curieuses…
qui minimisent les évolutions climatiques ou nient
teintés d’idéologie ou les formulations racoleuses ! Comment le grand public pourrait-il se faire une opinion éclairée si le traitement des questions mettant en jeu science et technique n'émerge
Éditions Hugo & Cie - août 2014 284 p. 17,50
les dangers des perturbateurs endocriniens… Loin de ces sujets sérieux, qui conduisent même à la disjonction ente science officielle (dont il faut se méfier) et science dissidente (qu’il faudrait
pas du tapage médiatique ? Le monde où nous
Le journalisme scientifique dans les contro-
encourager !), la lecture gourmande de Passeur de
vivons est marqué par la prégnance du progrès,
verses rend compte d’un colloque sur le rôle des
sciences, constitué de 78 blogs, remplira de joie ;
mais l’envie de comprendre et la faculté d’admirer
médias dans des débats concernant essentielle-
on admirera la fructueuse persévérance de Pierre
semblent s'émousser : la perception de la chro-
ment la communauté scientifique mais où intérêts
Barthélémy à traquer les résultats étonnants, origi-
nologie s’estompe et les collégiens de maintenant
économiques, questions éthiques, problématiques
naux ou curieux de chercheurs méconnus ! Le sé-
n’imaginent guère que leurs grands parents aient
sociales et politiques s’entrecroisent et s’entre-
rieux et facétieux auteur des Chroniques d’Impro-
pu vivre à une époque où le téléphone, la télévi-
choquent, parfois avec quelque fracas. Le journa-
bablologie, qui paraissent chaque semaine dans
sion, l’automobile étaient encore des marqueurs
liste scientifique ne peut, ni assumer ces aspects où
« Le Monde » doit être loué et remercié pour avoir
sociaux et où, bien sûr, l’ordinateur comme le
son expertise n’est pas avérée, ni les occulter, tant
braqué sur eux un projecteur éphémère : aucun sans
satellite étaient des objets futuristes…
leur prégnance est forte dans la société : il y a toute
doute ne deviendra célèbre mais le lecteur réjoui
Les deux ouvrages que nous avons sélectionnés
une « chaîne » d’information, en particulier dans les
saura enfin presque tout sur le pouvoir calculatoire
pour nous interroger sur la place de nos maitres-
quotidiens, tenus d’assurer une cohérence d’en-
des spermatozoïdes, sur l’influence du chocolat sur le
chroniqueurs, experts ou vulgarisateurs scientifiques,
semble. Les prises de position concernant le prin-
serial killer, sur la flore ombilicale et sur bien d’autres
sont en tous points forts dissemblables, et pas seule-
cipe de précaution, le réchauffement climatique,
domaines dont l’importance lui avait échappé !
ment par le format ou l’importance de la pagination !
l’usage éventuel des OGM pour assurer la nutrition
B. Ay.
REE N°2/2015 113
PROPOS
LIBRES
Nicolas Curien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel
L
l’exploration visuelle en ligne vient compléter, voire remplacer, l’exploration physique. Enfin, des biens matériels, comme aujourd’hui l’automobile, demain le réfrigérateur ou la machine à laver, s’enrichissent d’une électronique
a grappe des technologies numériques – micro-
leur permettant, non seulement de mieux fonction-
électronique, informatique et logiciel – nous
ner localement, mais encore de recevoir, de traiter et
fait vivre une troisième révolution industrielle.
d’émettre des informations en réseau. Ces machines se
Quels sont les principaux ressorts de cette
transforment en terminaux communicants et l’Internet
transformation en profondeur des rouages de l’économie
des ordinateurs est en passe de se commuer en Internet
et de la société, quels impacts la « révolution numérique »
des objets.
porte-t-elle sur le fonctionnement des entreprises et la
S’agissant enfin du fonctionnement et de l’organisa-
vie des citoyens, quelles sont les conditions d’un déve-
tion des entreprises, la numérisation, alliée à la roboti-
loppement numérique durable ?
sation, est source de profonds changements. Dans les
Numérisation et dématérialisation
usines, certaines taches opérationnelles de production peuvent désormais être confiées à des machines, l’inter-
La numérisation, c’est-à-dire la transcription de don-
vention humaine se déplaçant vers les taches de pilo-
nées de toute nature sous la forme de séquences de
tage et de supervision : peu à peu, la main d’œuvre
bits d’information, reconnaissables, stockables et trai-
cède la place au « cerveau d’œuvre ». Par ailleurs, l’infor-
tables par des machines informatiques, transportables et distribuables par des réseaux de communication électronique, entraîne deux conséquences majeures : d’une part, une gestion homogène des données tout au long de la chaîne qui conduit de
matisation permet la décentralisation,
Pour un développement numérique durable
leur création à leur livraison ; d’autre
voire l’externalisation de nombreuses fonctions
de
gestion
auparavant
concentrées, ainsi qu’une reconfiguration des rapports entre l’entreprise et ses partenaires, donnant naissance au modèle de « l’entreprise-réseau ». Enfin, la pénétration croissante des
part, une dématérialisation des contenus, désormais
nouveaux outils de la bureautique, relayée par l’usage
accessibles à « l’état libre », c’est-à-dire sans inscription
des réseaux sociaux, transforme les modes de travail et
sur un support physique. Telle est la dernière étape
de management, qu’il s’agisse du télétravail, des outils
d’un progrès technique multiséculaire qui, de Johannes
de partage collaboratif, ou encore des logiciels permet-
Gutenberg à Bill Gates, a rendu de plus en plus ténu
tant de personnaliser et adapter en temps réel la relation
le lien entre l’information et ses « marqueurs » maté-
avec la clientèle (CRM).
riels, abaissant les coûts de réplication de ces derniers, jusqu’à finalement permettre leur effacement.
Abondance et gratuité à l’acte
La numérisation bouleverse notamment le modèle
Dans la transition menant de l’économie pré-numé-
économique traditionnel de la fourniture et de la com-
rique à l’économie numérique, les coûts de production
mercialisation des biens culturels – œuvres littéraires,
et les utilités de consommation se déforment : leur part
musicales, audiovisuelles ou cinématographiques – qui
variable en fonction des quantités s’abaisse, tandis que
reposait auparavant sur la vente à l’unité de marchan-
leur part fixe augmente. S’agissant des coûts, les réseaux
dises supports : livres, CD ou DVD. Lorsqu’un contenu
électroniques de nouvelle génération engendrent des
est numérisé, sa valeur ne disparaît pas, mais elle n’est
frais très importants d’installation des capacités, mais
plus attachée à un objet et elle doit donc être recueillie
une fois consentis ces investissements initiaux, des
autrement, par exemple à travers une facturation forfai-
volumes de trafic considérables peuvent être écou-
taire de l’accès à Internet ou par la publicité.
lés presque sans coût supplémentaire. De même, les
La numérisation conduit aussi à prolonger certains
contenus véhiculés sur les réseaux électroniques sont
services de l’économie réelle dans l’univers virtuel,
onéreux à créer, mais la réplication et la distribution
comme dans le cas du tourisme ou de l’immobilier, où
numériques des « moules » originels s’opèrent à coût
REE N°2/2015 115
PROPOS
LIBRES
variable négligeable. Et, s’agissant des utilités, la satisfac-
aide précieuse. Les « pionniers » ayant fait en premier
tion d’un consommateur réside moins désormais dans
l’expérience d’un bien postent en effet en ligne des avis
le nombre de ses minutes de communication, de ses
et critiques, propres à éclairer les « suiveurs ». Symétrique-
écoutes ou de ses visionnages, que dans la variété des
ment, après l’achat, certains biens complexes, comme
services, applications et contenus auxquels il peut accé-
un logiciel ou une chaîne HiFi, nécessitent un paramé-
der via son abonnement à un réseau : le bien acheté
trage personnalisé ; là encore, des communautés en
n’est plus un volume d’usage téléphonique monoservice
ligne aident chaque utilisateur à mieux configurer le bien
mais une option d’usage multiservice et multimédia.
acquis, compte tenu de ses besoins particuliers.
L’environnement pré-numérique, dans lequel les
Ce phénomène de bouche à oreille électronique, par
coûts et les utilités dépendaient fortement des quantités,
lequel des échanges d’information entre consommateurs
était un monde de rareté, dans lequel il était pertinent de
éclairent ex ante leurs décisions d’achat et facilitent ex
contenir le volume du trafic en deçà du seuil de satura-
post leurs pratiques d’usage, relève de « l’infomédiation ».
tion du réseau, par le biais d’une tarification au volume.
Dans une économie où foisonnent biens d’expérience et
L’environnement numérique est au contraire un monde
biens complexes et où le rythme soutenu de l’innovation
d’abondance. Le volume du trafic y est potentiellement
renouvelle en permanence les caractéristiques de ces
illimité, et la tarification pertinente devient forfaitaire,
biens, l’infomédiation est l’auxiliaire essentiel du fonction-
revêtant logiquement la même structure fixe que celle
nement du marché, une sorte de « méta-marché » où
des coûts et des utilités. On entre dans une économie
les interactions, pour être non marchandes, n’en sont pas
de « l’attraction », analogue à celle d'un parc de loisirs où,
moins indispensables au bon déroulement des transac-
une fois l’entrée payée, les manèges sont gratuitement
tions… un peu à la manière dont, dans certaines sociétés
accessibles. En France, les abonnements proposés par
primitives, l’échange gracieux d’objets rituels entre tribus
les plates-formes de distribution légale de musique en
est l’utile complément des relations commerciales, qu’il
ligne correspondent à ce modèle économique.
prépare et rend possibles.
En outre, de même que gratuité à l’acte n’est pas sy-
Le modèle d’un marché assisté par un méta-marché
nonyme de gratuité absolue, de même une facturation
informationnel contraste avec celui du marché parfait
forfaitaire des internautes n’est pas exclusive d’une ré-
des économistes néoclassiques : ici, le marché n’est
munération des créateurs de contenus proportionnelle
pas un mécanisme déterministe par lequel des produc-
à leurs audiences respectives : les réseaux électroniques
teurs, sachant par avance ce qu’ils doivent fournir, ven-
permettent en effet des comptages beaucoup plus pré-
draient de manière anonyme à des acheteurs sachant
cis que les estimations statistiques pratiquées pour les
par avance ce qu’ils désirent consommer. Il s’agit plutôt
médias traditionnels.
d’un processus aléatoire et auto-organisé, par lequel
Infomédiation et méta-marché Les biens et services « numérisables » dépassent largement le seul secteur de la culture et des médias, pour
116
acheteurs et vendeurs, ignorant initialement les caractéristiques des biens qu’ils échangeront en définitive, les co-inventent et les co-adaptent, au gré d’interactions ciblées et informatives.
s’étendre rapidement à tous les secteurs de l’économie.
Dans l’économie numérique, les producteurs et les
Ces biens sont généralement des biens dits « d’expé-
consommateurs participent en symbiose à un même
rience », dont l’utilité n’est que très imparfaitement
algorithme social : les seconds s’émulent en « consom-
connaissable avant leur consommation et n’est révélée
macteurs », en agissant comme testeurs, voire comme
qu’à travers leur usage ; par exemple, la qualité d’un livre
coproducteurs, tandis que les premiers définissent leurs
ou d’un film n’est perçue qu’après l’avoir lu ou vu, celle
produits et les différencient à la carte, analysant fine-
d’un jeu vidéo, qu’après l’avoir pratiqué, celle d’un appar-
ment les requêtes de la demande, telles que révélées
tement qu’après avoir fréquenté l’environnement dans
par le méta-marché. La collecte massive de données, ou
lequel il est situé. Dans un tel contexte, le consommateur
Big Data, ainsi que les nouveaux outils associés d’ana-
doit monter en compétences afin d’acheter au mieux et,
lyse statistique et de traitement informatique, sont les
à cet égard, le corpus des informations disponibles sur la
puissants vecteurs de ce couplage en temps réel entre
toile, notamment via les réseaux sociaux, lui fournit une
l’offre et la demande.
REE N°2/2015
Entre science et vie sociétale,
les éléments du futur Une publication de la Edition/Administration : SEE - 17, rue de l’Amiral Hamelin - 75783 Paris cedex 16 Tél. : 01 5690 3709 - Fax : 01 5690 3719 Site Web : www.see.asso.fr
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