Jean-François BRIOT
LE SOLEIL SE LÈVE A L'EST La correspondance éclairée de deux « amis de la vérité » Jan Ferdinand Opiz et Karel Killar (1793-1799)
Volume I
Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales » Mention : Histoire Spécialité : Recherche Parcours : Histoire des Relations Internationales et Culturelles de l'Antiquité à nos jours Sous la direction de M. Gilles BERTRAND Année universitaire 2015-2016
Jean-François BRIOT
LE SOLEIL SE LÈVE A L'EST La correspondance éclairée de deux « amis de la vérité » Jan Ferdinand Opiz et Karel Killar (1793-1799)
Volume I
Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales » Mention : Histoire Spécialité : Recherche Parcours : Histoire des Relations Internationales et Culturelles de l'Antiquité à nos jours Sous la direction de M. Gilles BERTRAND Année universitaire 2015-2016
Déclaration sur l’honneur de non-plagiat
Je soussigné(e)…………………………………………………………... déclare sur l’honneur : - être pleinement conscient(e) que le plagiat de documents ou d’une partie d’un document publiés sur toutes formes de support, y compris l’Internet, constitue une violation des droits d’auteur et un délit de contrefaçon, sanctionné, d’une part, par l’article L335-2 du Code de la Propriété intellectuelle et, d’autre part, par l’université ; - que ce mémoire est inédit et de ma composition, hormis les éléments utilisés pour illustrer mon propos (courtes citations, photographies, illustrations, etc.) pour lesquels je m’engage à citer la source ; - que mon texte ne viole aucun droit d’auteur, ni celui d’aucune personne et qu’il ne contient aucun propos diffamatoire ; - que les analyses et les conclusions de ce mémoire n'engagent pas la responsabilité de mon université de soutenance ;
Fait à : Le : Signature :
Ex praeterito spes in futurum 
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Remerciements Je remercie en premier lieu la femme qui partage ma vie et qui m'a aidé dans la rédaction de ce mémoire grâce à ses questions pertinentes et ses suggestions. Je remercie également l'ensemble de l'équipe de la Bibliothèque Universitaire DroitLettre de l'Université Grenoble-Alpes pour leur abnégation à nous fournir, nous étudiants, un service impeccable. Enfin, le dernier mais pas des moindres, je remercie M. Bertrand pour avoir accepté de suivre la rédaction de mon mémoire.
Sommaire Le 18e siècle, siècle des Lumières
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La Correspondance littéraire d'Opiz, une source très peu utilisée
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Partie 1 - De la structure de la source et de la manière dont les correspondants ont échangé. Analyse d'une construction réfléchie. 13 Chapitre 1 – La volonté de retranscrire les correspondances dans un carnet dédié. Le genre épistolaire au XVIIIe siècle
14
Limite d'un document retranscrit
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La première page, élément révélateur d'une correspondance éclairée et d'une construction pensée du carnet. 16 Chapitre 2 –Les éléments de la correspondance qui nous renseignent sur les protagonistes et leur manière d'échanger
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Qu'apprenons-nous sur la vie des correspondants Une correspondance parfois difficile
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Partie 2 - Une pensée développée qui est celle de l'ère des Lumières 27 Chapitre 3 – Les Lumières, filles du Voyage
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Le voyage permet le développement d'une nouvelle manière de penser Les échanges d'ouvrages dans la Correspondance
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Chapitre 4 - La vérité comme but de la réflexion 31 Une méthode pour répondre. Démarche scientifique pour question métaphysique. Expliquer la vérité : comment est-elle écartée et comment la dégager
31
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Chapitre 5 – Une critique de l’Église mais une pensée qui conserve une dimension chrétienne. L’Église, une institution qui contribue à l'obscurantisme Foi et Raison ne sont pas inconciliable
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Partie 3 - Un esprit révolutionnaire ?
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Chapitre 6 – Une Révolution qui va dans le sens du Progrès 39 La Révolution est soutenue par la Providence
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La république, forme idéal et parfaite, avenir politique de l'humanité
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Chapitre 7 – Opiz et Killar demeurent cependant loyalistes au régime des Habsbourg, non sans émettre des critiques.
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Des « fidèles serviteurs de sa majesté l'Empereur » 45 Un pouvoir qui surveille les libertés
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Introduction Encore aujourd'hui la Révolution Française ne cesse d'être rappelée dans l'imaginaire collectif. Elle cristallise les espérances de chacun quant à un avenir meilleur survenu grâce au dépassement de l'espoir en actes. Elle symbolise un moment de libération contre l'oppression monarchique, sans que les termes soient toujours bien expliqués ni même compris et en oubliant bien souvent de quoi fut composée la Révolution et qu'elle s'inscrit dans une durée de cent ans si l'on se réfère à François Furet. C'est aussi un moment qui concentre les idées qui ont pris de soin d'arriver à maturité depuis qu'elles ont été ensemencées au cours des siècles précédents et notamment durant le XVIIIe siècle. La période s'ouvre par une « crise de la conscience européenne » et se termine par la Révolution, ce qui illustre l'intense moment de réflexion que la période recouvre.
Le 18e siècle, siècle des Lumières La « crise de la conscience européenne » définit par Paul Hazard entre 1680 et 1715. C'est durant cet intervalle de trente-cinq ans que Louis XIV connaît une deuxième partie de règne compliqué car mis en difficulté par la Ligue d’Augsbourg et que la révocation de l'édit de Nantes provoque en 1685 une vague d'exil huguenots hors des frontières. Elle entraîne par la même la déstabilisation de l'édifice intellectuel des monarchies absolues, ouvrant la porte ainsi aux Lumières. Pierre Bayle, notamment , fait figure « d'étincelle des Lumières ». Exilé aux Provinces-Unies, il développe une pensée de tolérance envers toutes les confessions ainsi qu'une réflexion politique centrée autour d'un contrat engagé autour du roi et du peuple. Si la tradition contractuelle existait déjà, nous pouvons affirmer que, de part sa renommée intellectuelle européenne due à son périodique Nouvelles de la république des lettres, Bayle à contribué à sa diffusion. Formidable siècle intellectuel tant par le développement des idées politiques, sociales ou encore économiques que les découvertes scientifiques, le XVIIIe siècle est une mine d'or pour celui qui cherche à comprendre les ressorts des siècles suivants. Les profonds changements qui ont lieu ont marqué définitivement l'esprit européen et ont confronté le Vieux-Continent à l'inconnu provoqué par la rupture. Le Siècle des Lumières est traversé du désir de renouveau provoqué par l'angoisse de la décadence, thème qui surgit des entrailles archéologiques de la civilisation romaine dont les vestiges se font découvrir allègrement et nourrissent les voyageurs curieux. S'ensuit donc les !7
réflexions sur les travers de la société par les lettrés et autres savants qu'ils s'amusent à pointer à travers les yeux de civilisations extérieures à la leur. Le Siècle des Lumières est aussi celui des voyageurs et donc du savoir, car qui voyage apprend et sait. Les circulations se font de plus en plus habituelles dans la vie quotidienne et le monde rétrécit déjà un peu, les cartes sont plus précises. Le voyage permet la découverte, il stupéfait et permet un recul sur soi, replace les connaissances acquises pour les questionner. Le savoir envahit alors toutes les sphères, il devient un élément pour se rassurer de l'angoisse de décadence et déverrouille les carcans dogmatiques. Désormais, l'observation est maîtresse grâce aux nouveaux instruments scientifiques, elle permet de vérifier les hypothèses sans s'éloigner du fait. C'est ici le « désenchantement du monde » de Weber qui surgit, souligné par les diverses classifications dont la plus célèbre est celle de Linné. L'Europe des Lumières est donc parcourue par cet élan savant qui est relayé à travers l’Ancien continent. Les élites savantes 1 et lettrées se retrouvent dans différents lieux de sociabilité, à l'image du club de l'Entresol donc l'existence quelque peu éphémère – de 1723 à 1731 - ne suffit pas à occulter son importance ou encore à travers des instances telle la FrancMaçonnerie, en différents endroits d'Europe. Sociologiquement, c'est bien le développement de l'idéal cosmopolite qui se retrouve de même qu'il y a naissance et progression des nationalismes modernes surtout à la fin du siècle. L'union des savoirs dépasse les frontières et la langue de culture, le français, permet à chacun de se retrouver dans l'Europe cosmopolite des Lumières. En 1728 Montesquieu note qu'on parle français à la Cour de Vienne de même que l'anglais William Wraxall qui souligne que l'usage reste circonscrit « among the persons in upper life at Vienna » mais que « French is indispensable and far more useful as well necessary as for a stranger than German »2. Les figures savantes émergentes sont diffusées à travers l'Europe, à l'image de Grimm, cosmopolite affirmé. Formé à Leipzig, il rencontre au milieu du siècle les grands noms des Lumières françaises : Rousseau, Diderot, d'Holbach notamment dans les salons de Mme du Deffand. Il commence ses Correspondances littéraires en 1752, en français à partir de l'année suivante, qui sont diffusées parmi les Princes. Cependant, son esprit européen se désole du manque d'unité politique et culturelle de 1
René Pomeau, L’Europe des lumières. Cosmopolitisme et unité européenne au XVIIIe siècle, Stock, 1966
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Olivier Chaline (dir), Le rayonnement français en Europe centrale du XVIIe à nos jours, Pessac, MSHA 2009
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l'Allemagne morcelée. Cette division empêche une réunion des esprits qui pourraient alors se livrer à une émulation nécessaire. Stéphane Van Damme étudie d'ailleurs Paris, capitale des Lumières car elle s'est défaite de son caractère local. Pour avoir une audience internationale, les savants se doivent d'écrire en français. Nous assistons tout de même à une demande de revues en langues vernaculaires, d'abord dans l'espace germanique. Ici se pose la question de la géographie des Lumières. La disparité géographique des origines et de la diffusion des Lumières s'explique en partie par la nouvelle donne politique européenne de la fin du XVIIe-XVIIIe siècle et notamment à partir du traité d'Utrecht (1713) qui voit l'émergence confirmée de nouvelles 3 puissances à savoir l'Angleterre, la Prusse et la Russie en dépit de l'Espagne déclinante,
l'économie mondiale transférant son pôle de l'espace méditerranéen à l'Europe du Nord et d'une France quelque peu essoufflée du fait d'un règne louis-quatorzien onéreux. La modernisation et la centralisation opérées par les monarchies de Prusse et de Russie ont favorisé la diffusion de certaines idées des Lumières, toutes n'étant pas retenues. Ainsi en s'appuyant sur l'armée, la bureaucratie et une minorité au sein de l'élite, faute de bourgeoisie puissante, les réformes ont eu une portée limitée. La Prusse s'est imprégnée du modèle absolutiste dans les domaines militaires et administratifs mais le manque de Lumières allemandes avant 1760 contraint Frédéric II à importer la culture philosophique, politique et scientifique française pour justifier son règne éclairé et ses réformes ne concernent essentiellement que l'armée, l'administration et la justice. En Russie l'influence des Lumières, surtout françaises, après les échecs en terme de réformes sociales illustrées par la révolte de Pougatchev. Pierre Ier avait entrepris un processus de réformes accélérées dans son royaume mais ce n'est en effet qu'à partir du règne de Catherine II que les Lumières sont introduites auprès d'une plus large partie de la population, n'ayant touché qu'une faible partie de l'élite auparavant, c'est-à-dire seulement les francophones. Le problème paysan est largement évoqué par les Lumières russes qui ne trouve pas d'écho auprès de la tsarine qui se contente de réformes juridiques, poussée par le conservatisme de la classe nobiliaire. Le royaume des Habsbourg connaît quant à lui de premières transformations « éclairées » sous le règne de Marie-Thérèse mais c'est son fils Joseph II qui va véritablement 3
Kenneth Pomeranz, The Great Divergence : China, Europe and the Making of great economy, Princeton, Princeton University Press, 2000
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amorcer une transformation radicale de la société autrichienne,. Éduqué selon les principes intellectuels des réformes, il centralise la monarchie à Vienne sous bien des aspects – le transfert de la couronne hongroise de Saint-Étienne de Buda à Vienne en est un bon exemple – et il contribue également à séculariser la monarchie dans le sens où Rome est dépossédé des prérogatives de l'éducation et de la formation des prêtres. L'édit de tolérance proclamé en 1781 renforce cette idée puisque de part l’hétérogénéité des confessions qui s'en suit, l’État augmente son aspect rassembleur, son aspect d'identification collective pour la population.
La Correspondance littéraire d'Opiz, une source très peu utilisée Ce recueil de quatre volumes de lettres manuscrites a été recopié par Jan/Johann Ferdinand Opiz (les deux prénoms étant trouvés pour désigner la même personne). Il retranscrit seize années de correspondances avec un total de 176 lettres écrites par Opiz et 171 par Killar. Ces tomes se présentent sous la forme de carnets reliés dedans lesquels les lettres originales ont été recopiées par Opiz. Ils sont disponibles au Musée National de Prague à la référence VII_E_4. Notre propos est illustré dans l’Annexe 1. Les 4 tomes s'étalent d’Août 1793 à Mars 1809 de la façon suivante : - le tome 1 regroupe les lettres du 12 Aout 1793 au 13 Mars 1799 - le tome 2, les lettres du 18 Mars 1799 au 29 Mars 1801 - le tome 3, les lettres du 13 Avril 1801 au 15 Mars 18054 - le tome 4, les lettres du 29 Mars 1805 au 29 Mars 1809 Chacun des tomes est introduit par une première page de garde, comportant des éléments d'illustration, une citation savante ou encore des anagrammes. Excepté le tome 4. Ce dernier comporte plus d'une anomalie. En effet, outre qu'il ne présente aucun e« première page » il y a un changement de destinataire à l'issu de la lettre CLXXII de Opiz datant du 29 Mars 1809, la suite du recueil se poursuit avec la retranscription de lettres entre Opiz et un certain Potier.
Daniela Tinkova, « « La grande révolution de l'Europe et de l'Univers n'est pas encore achevée » . La Correspondance littéraire de deux « jacobins » francophones de province en Bohême » in O. Chaline (dir), Le rayonnement français en Europe centrale du XVIIe à nos jours, Pessac, MSHA, 2009 pp. 53-67 4
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Selon Daniela Tinkova, la seule autre historienne à avoir travaillé sur ces sources, la correspondance entre Opiz et Killar s'étend jusqu'à la mort de Killar soit en 1809. Elle indique que « les dernières lettres sont conservées par erreur dans un autre recueil de correspondance, celui entre Opiz et Potier, un autre correspondant francophone.5 ». Il semblerait donc que la lettre du 29 Mars 1809 ne serait pas la dernière mais que d'autres seraient présentes dans une autre archive. Alors pourquoi Opiz aurait-il retranscrit à la suite de la lettre du 29 Mars 1809 une autre correspondance si celle qu'il entretenait avec Killar continuait ? Pourquoi Opiz aurait-il changé de carnet et mélangé les deux correspondances ? D'autant que, à la différence de ce qu'affirme Tinkova, la correspondance entre Opiz et Potier est écrite en allemand. Notons que Tinkova commet également une erreur lorsqu'elle fait référence au numéro du fond d'archive : selon elle, il s'agirait du fond VIII_E_ 4 alors qu'il se trouve dans le fond VII. Pour notre part, l'accès à la source s'est fait de manière numérique : le Musée Nationale étant en travaux les archives n'étaient pas disponibles à la consultation, nous avons du faire une démarche auprès du Musée afin de les obtenir sous format numérique pour le prix de 500kcz, soit 20€. Nous le disions, très peu d'historiens ont utilisé cette source, probablement parce qu’elle est située en République Tchèque, écrite en français. C'est également une source conséquente de plus de 800 pages, comptant 200 pages par tomes. Le travail de Daniela Tinkova est publié dans l'ouvrage dirigé par Olivier Chaline, Le rayonnement français en Europe centrale du XVIIe siècle à nos jours. L'historienne tchèque a également travaillé sur trois curés francophiles qui ont tenté de mener à bien un soulèvement paysans en 1806 en Moravie dans la continuité des idées révolutionnaires6 . Tinkova s'est intéressée au corpus dans le but d'étudier l'utilisation du français chez les personnes non privilégiées d'Europe centrale et aussi parmi les sympathisants de la Révolution Française en Tchéquie. Elle développe ainsi l'idée selon laquelle la Révolution a modifié l'attitude des européens vis a vis de la langue française. Toutes les couches sociales étant touchées par la présence de partisans – haute noblesse, bas clergé, bourgeoisie, simples
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Ibid.
Daniela Tinkova, « Une espérance révolutionnaire en Moravie. L'imaginaire politique et philosophique de 3 curés francophiles (1790-1803) » in Annales Historiques de la Révolution Française, 2014/4 (n°370) 6
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sujets ruraux ou citadins – cela a induit un rapprochement voire un amalgame entre francophone et révolutionnaire. Du fait que Daniela Tinkova a déjà bien abordé la question de la place de la langue française dans cette correspondance et des enjeux y relevant, nous avons décidé de ne pas nous attacher à cette problématique. De plus, le mémoire ici présenté s’attelle uniquement à l'étude du tome 1 dont la correspondance couvre la période allant de 1793 à 1799. Pour nous, il s'agira de voir en quoi cette correspondance nous renseigne-t-elle sur les caractéristiques des Lumières d'Europe Centrale ainsi que sur l'environnement social et politique dans lequel elles évoluent ? Pour répondre, nous étudierons d'abord la structure de la source et la manière dont elle est composée. Opiz ayant retranscrit sa correspondance, nous posons ici l'hypothèse qu'il a agi d'une manière réfléchie et qu'il a construit le recueil avec une scénographie intentionnelle. De plus, l'échange fait avec Killar comporte des éléments de biographie des deux correspondants qu'il s'agira ici de déceler. Cette première partie doit être comprise comme une étude de la forme de la source, de la manière dont elle se structure dans sa forme – ce qui comprend aussi les aspects généraux de la correspondance. Ensuite nous nous attacherons à analyser les idées philosophiques qui sont développées par les deux correspondants. Comme le remarque D.Tinkova, les thèmes de prédilection de réflexion de Opiz sont le progrès des Lumières au sein de la société et le destin de l'Humanité. La correspondance littéraire qu'il entretient avec Killar n'échappe pas à ces sujets, Opiz orientant le débat dans ce sens en proposant des questions ou encore des axes de discussion. Cette partie s'attache au fond de la Correspondance. Nous terminerons notre étude en nous demandant dans quelle mesure la pensée développée se rapproche d'un esprit révolutionnaire ou du moins pro-français. Si cette dernière remarque semble évidente, il apparaît une certaine nuance dans le propos des deux « amis de la vérité », terme par lequel ils se désignent ainsi que tous ceux animés des mêmes principes qu'eux. Il est également question de leur admiration pour le jeune général « Buonaparte » dont les talents militaires donnent de l'espoir quant à la libération des peuples mais laissent également entrevoir un plus sombre avenir pour l'Europe.
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Partie 1 - De la structure de la source et de la manière dont les correspondants ont échangé. Analyse d'une construction réfléchie.
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Chapitre 1 – La volonté de retranscrire les correspondances dans un carnet dédié. La première observation que nous pouvons faire au sujet de Ma correspondance avec le curé Killar est qu'il s'agit en effet d'un échange de lettres entre Johann Ferdinand Opiz et le curé Karel Killar, ce dernier détenant l'initiative du projet. L'ensemble du corpus se compose de sept-cent quatre-vingt-six pages dont cent quatre-vingt-dix-neuf pour le premier tome, ici objet de notre étude.
Le genre épistolaire au XVIIIe siècle
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l est admis d'affirmer que le genre épistolaire est, au XVIIIe siècle, très apprécié des
érudits en raison de sa capacité à l'échange, à l'ouverture de l'âme et de l'esprit7. En outre, le document épistolaire comprend un aspect très personnel dans sa lecture en tant que source historique puisque nous sommes alors en face à face avec l'auteur, premièrement, qui peut laisser filtrer son tempérament, ses humeurs, et deuxièmement nous dévoiler le caractère d'une époque à travers les sujets évoqués pouvant traduire des préoccupations des contemporains. La relation épistolaire se caractérise également par un soucis de la régularité dans l'échange. A ce propos Roger Duchêne pose le rythme des réponses comme marqueur de qualité de la relation entre les deux correspondants8 . La forme ainsi faite de la relation épistolaire, s'articulant autour d'un axe Réception-Réponse, tend à se rapprocher d'un dialogue oral construit et réfléchi où la sincérité des propos peut se faire plus valoir car supposés moins spontanés tout en conservant l'aspect compétitif. Les deux correspondants cherchent à se mesurer dans leurs connaissances et dans la maîtrise de l'utilisation de la langue en se livrant à
Jean-Baptiste-Antoine Suard, Penser par lettre, actes du colloque d'Azay-le-Ferron, mai 1997, publiés sous la direction de Benoît Melançon, éditions Fides, Bibliothèque nationale de Québec, 1998. 7
Roger Duchêne, « Lettre de conversation », in Art de la lettre, art de la conversation à l’âge classique en France, actes du colloque de Wolfenbüttel, octobre 1991, textes réunis par Bernard Bray et Christoph Strosetzki, Paris, Klincksieck, 1995, pp. 93-102 8
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des jeux de l'esprit par exemple ou encore en faisant appel à des citations latines d'auteurs classiques ou autres maximes. Dans notre cas, l'utilisation de la langue française accentue cet aspect. En effet, J.F. Opiz et le curé Killar ne correspondent pas dans leur langue maternelle – à savoir l'allemand – mais bien en français ce qui place leurs correspondance dans un contexte particulier. Ce choix n'est pas anodin mais au contraire reflète une volonté particulière de se placer dans une situation d'érudition particulière. En faisant démonstration de son appartenance à une certaine élite cosmopolite — notamment à travers l’usage de la langue française — les deux correspondants n’en développe pas moins des divergences évidente avec les Lumières françaises qui tendent à caractériser les Lumières d'Europe Centrale.
Limite d'un document retranscrit Nous n'avons pas affaire à un document « brut » dans le sens où ce sont des lettres qui ont été recopiées. Cela présente donc un certain nombre de points à soulever. Des modifications possibles
Johann Ferdinand Opiz a sciemment retranscrit les lettres que lui et Killar s'envoyaient, nous avons donc ici un document non pas issu d'une écriture spontanée mais bien réfléchie. Cela pose un certain nombre de limites quant à l'étude du document puisque l'auteur est susceptible d'avoir modifié la tournure de certaines phrases ou du moins d'en avoir corrigé certaines fautes. Certains éléments d'écriture peuvent nous laisser supposer cette dernière hypothèse.
FIGURE 1: EXEMPLE DE RATURE PRÉSENTE DANS LE TOME 1
Le geste de reproduire son échange de lettres plutôt que de conserver ces dernières est un élément à prendre en compte si nous voulons saisir pleinement le fait historique étudié. De même, au cours de notre lecture nous n'avons pas remarqué de traces de pages arrachées, signes que l'auteur se serait trompé et aurait préféré retravailler ses lignes. Nous affirmons alors que l'acte de retranscription s'est déroulé sans précipitation.
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La datation de la retranscription.
Si nous connaissons la date de rédaction des différentes lettres, s'étalonnant d’Août 1793 à Mars 1799 pour le premier tome, il nous est cependant impossible de connaître la période durant laquelle J.F. Opiz s'est adonné à la retranscription desdites lettres. Daniela Tinkova suppose qu'il aurait attendu la mort de son correspondant survenue en 18099. Bien qu'aucun élément pouvant accréditer sa théorie ne nous soit explicitement donné, le fait que l'écriture garde un caractère régulier tout au long du corpus laisse penser à une retranscription unique. Les irrégularités dans l'écriture que nous pouvons relever ne font qu'accréditer la théorie de la copie effectuée en ayant l'ensemble des lettres comme support puisqu'en effet il est perceptible de remarquer une certaine accélération dans l'écriture, comme si l'auteur avait exprimé un sentiment d'exaspération de la retranscription.
FIGURE 2 : EXEMPLE DU CHANGEMENT D'ÉCRITURE FAISANT APPARAÎTRE UNE ACCÉLÉRATION DE LA GRAPHIE
La première page, élément révélateur d'une correspondance éclairée et d'une construction pensée du carnet. De par sa place importante, la première page est souvent l'occasion pour l'éditeur (ou ici l'auteur) de faire montre de scénographie quant à son ouvrage. La citation de Pope nous renseigne sur l'érudition de l'auteur.
Sous les éléments qui constituent le titre et sous-titre de la correspondance, nous pouvons lire une citation du philosophe anglais Alexander Pope écrite en version originale. « In erring reason's spite. On truth is clear. Whatever is, is right ».
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Daniela Tinkova « La grande révolution de l'Europe et de l'Univers n'est pas encore achevée », op.cit.
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Tirée de l'Essai sur l'Homme paru en 1734, cette citation peut être comprise comme une ode à l’optimisme – trait qui caractérise Opiz10- puisque le philosophe anglais invite à considérer tout ce qui est comme étant issu de la volonté divine et ainsi à ne pas s'inquiéter de ce qui advient, le dessein de Dieu pour l'Homme étant évidemment bon. De cette citation nous pouvons dès alors approcher le caractère érudit et cosmopolite d'Opiz. En effet, sa maîtrise de l'anglais traduit son goût à appréhender des lectures éminente de la pensée anglaise (rappelons que toutes les œuvres n'étaient pas traduites ni en français, ni en allemand). Il peut en outre apparaître comme un égal aux yeux du cercle de lettrés qu'il côtoie ou avec qui il correspond , la pratique multi-linguiste est en effet un élément caractéristique d'une élite qui se veut cosmopolite et dont l'éducation a permis de se familiariser avec les autres idiomes européens, comme l’illustre l'exemple de Franz Anton Hartig pris par Clair Madl11 . Une place pensée : un épitaphe placé à « l'entrée » de la correspondance.
Comme nous le voyons sur la Figure 3, la citation se situe dans un espace dégagé et clair, elle apparaît donc au centre de la moitié basse de la page de garde, elle relève donc du monde terrestre, en opposition avec le titre situé dans la moitié haute et relevant donc du monde céleste. Alors que l'annonce de la correspondance et de son interlocuteur, c’est-à-dire le titre, sont mis d'une manière à être le premier élément que le lecteur voit et ramène à une position élevée comme s'il s'agissait d'une manière d'illustrer la provenance de la pensée développée au cours des lettres. Il est clair ici que l'auteur s'appuie sur sa croyance en la Raison, faculté suprême de l'esprit humain s'il en est, pour échanger avec son ami Killar. La place basse de la citation révèle quant à elle un attachement aux réalités sensibles et à son application comme vérité. Opiz considère les réalités comme étant la seule chose vraie et il est donc naturel pour lui d'inscrire cette citation dans ce contexte de pensée. C'est donc un certain cartésianisme qui ressort de cette citation, un cogito ergo sum appliqué non pas à la pensée mais à l'observation des faits : cela existe, donc c'est ce qui est bon, vrai. Il est à noter que la traduction du mot right est difficile dans la mesure où elle prend deux sens dans la langue anglaise : cela peut aussi bien signifier bien que vrai. Opiz entretient la confusion en choisissant de ne pas traduire, et c'est peut-être un des arguments les plus forts en faveur du
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D. Tinkova, op.cit
Claire Madl, Pour une étude des choix de langue en milieu plurilingue : représentation et pratiques en Bohême à l'époque des Lumières, in Revue historique 2013/3 n°667, p: 637-659 11
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multi-linguisme : laisser la pensée dans sa forme telle qu'elle a été pensée et non pas vouloir traduire au risque de perdre en « qualité ».
FIGURE 3 : PREMIÈRE PAGE DU TOME 1
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Chapitre 2 –Les éléments de la correspondance qui nous renseignent sur les protagonistes et leur manière d'échanger Qu'apprenons-nous sur la vie des correspondants Killar, un curé de province à la recherche de « lumière »
C'est au cours du mois d'Août 1793 que le curé Killar envoie un courrier à l'attention de Opiz. Il justifie son entreprise avant tout pour un motif de rendu d'ouvrages.
« J'ai l'honneur de vous remettre ici vos livres » Killar, lettre I (12/08/1793)
Mais est-ce la seule raison ? En effet, il est légitime de se poser la question dans la mesure où Killar écrit en français ce qui constitue une surprise en soi dans un milieu germanique, à moins que la conversation se déroule dans un contexte international par exemple dans le cadre de la diplomatie ou encore entre érudits de salons parisiens. Ici, Killar semble d'emblée se positionner dans un mouvement d'érudition comme s'il invitait, implicitement par son utilisation du français, un échange qui se voudrait savant. Il confirme d'ailleurs très vite son souhait par une demande spécifique : « J'ose vous prier de me vouloir fournir de tems en tems d'une lecture selon votre choix ». Killar, lettre I (12/08/1793)
Killar demande des livres, des ouvrages d'auteurs connus et reconnus et ne semble pas avoir accès à un réseau aussi important qu’Opiz. Le curé se situe alors à Lofseniz, un village tchèque montagnard ce qui explique en partie sa difficulté à rentrer en contact avec le monde lettré urbain. En outre, sa demande laisse transparaître une forme de passivité face à Opiz, le curé voyant lui un genre de maître intellectuel. C'est d'ailleurs ce qu'il semble affirmer au moment des formules de politesse d'adieu. « Le plus humble et très obeïssant serviteur ». Killar, lettre I (12/08/1793)
En effet, à la lecture des différentes lettres, plusieurs éléments nous renseignent un peu plus sur la vie de ce curé et elle ne semble pas tant remplie de tâches savantes mais plutôt d’occupations rurales.
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« Votre dernière […] m'a trouvé au champ où il faut être auprès des laboureurs presque de jour en jour. Dissipé donc tant par les soins de mon économie rurale que par l'inspection dont je suis chargé pour le bâtiment de l'école et de l'église à Soppotte » Killar, lettre XIII (25/08/1797)
Le curé n'est pas simplement responsable des fidèles mais aussi du bon fonctionnement de la paroisse qui génère des revenus issus de l'exploitation des terres arables. Killar est un véritable administrateur éclairé. Nous l'imaginons aisément être à l'écoute des fidèles et leur dispenser des conseils chrétiens et des maximes philosophiques. Sa réputation est telle que le nouvel évêque le rencontre et aimerait s'entretenir avec lui : « Lundi passé, le 17 de ce mois, était nôtre nouvel évêque à Chlum […]. Je l'ai parlé y étant avec mon Michl. Il nous reçu fort poliment, nous parla plus de trois quarts d'heure […]. Il m'ordonna même de le venir voir à Chrast sitôt qu'il y serait retourné après sa consécration, la quelle se va faire le 8 Septembre. » Killar, lettre IX (19/08/1795)
Il semble se dévouer à sa tâche et parfois apparaît accablé sans être découragé. Il agit en véritable homme de foi. Son frère est décédé et nous apprenons plus tard qu'il a également une sœur. « Occupé que j'étais tous ces jours-ci, surtout par l'information des trois pauvres enfans (sic) que feu mon frère, mort le 29 Février, m'a laissé pour leur tenir d'un père, il ne me reste que la nuit pour satisfaire aux devoirs envers vous » Killar, lettre XII (10/03/1796)
Quelques traits de caractère sont donnés par lui-même, il se veut être une personne discrète et affable. « J'aime à penser beaucoup et à parler fort peu » Killar, lettre XXII (12/08/1798)
Le caractère introverti de Killar le pousse à adopter une attitude d'attente, il ne lance pas vraiment de sujets au cours de la correspondance du tome 1. Par Opiz, nous en apprenons un peu plus sur sa situation familiale, bien qu'il soit célibataire du fait de son statut de prêtre. « Etant donc à Potitschka j'ai cherché cette fois l'occasion d'y faire la visite à Mlle votre sœur, à qui j'ai témoigné la vénération duë à elle à cause de l'amitié qui existe entre vous et moi »
Opiz, lettre XXV (06/06/1798)
Opiz ne précise pas s'il a réussi à rentrer en contact avec elle ou pas. Le correspondant de Killar est tout en contraste face à lui.
!20
Opiz, un érudit parfois hautain
Opiz est un officier de banque et détient une notoriété d'homme de lettres. Il vit en Bohême de l'Est et est dans la cinquantaine – né en 1741 et mort en 181212. Il cultiva les rapports intellectuels en se livrant notamment à l'échange d'idées et de livres sur des thèmes d'actualité. Il s'intéresse notamment au progrès des Lumières et au destin de l'humanité13. Alors que nous venons de voir une personnalité quelque peu effacée derrière une image réfléchie et humble, J.F.Opiz semble quant à lui être beaucoup plus affirmé dans son caractère et n'hésite pas à être certain de son étiquette de savant. « Venant à Lofseniz je m'arrogerai point le droit d'y remplir la charge d'un soleil moral, droit uniquement du à vous […]. Je m'y arrêterai qu'en qualité de comète passant quelque fois au travers de cercles éclairés par leurs propres soleils. » Opiz, lettre VI (29/04/1794)
Si certes il n'en oublie pas moins la prééminence de son correspondant dans son territoire, la comparaison astrale s'avère d'autant plus flatteuse pour celui qui se définit comme une « comète ». L'image du corps spatial se mouvant dans l'espace intersidéral rappelle à n'en pas douter la figure du voyageur, source incommensurable de savoir depuis l'Antiquité si l'on en croit la figure d’Hermès dans la mythologie grecque. Le dieu aux sandales ailées est le messager des dieux, il en sait donc plus que le destinataire et se place ainsi dans une position avantageuse. De ce fait, « être de passage » prend une allure beaucoup plus importante que d'être un « soleil ». Opiz se targue de pouvoir « remplir la charge d'un soleil moral » mais se refuse ce droit au nom de son ami, affichant une fausse humilité puisqu'il ne doute pas d'égaler les « soleils ». De plus, lors de sa première réponse à Killar où Opiz émet le souhait d'entretenir une correspondance avec le curé, l'officier de banque de Kreuzberg utilise une rhétorique quelque peu singulière : « Depuis la mort de mon correspondant littéraire à Brünn, Mr le comte Max de Lamberg, […] je n'ai pas encore été si heureux de trouver un autre ami si fervent come (sic) lui, qui veuille le remplacer. C'est peut-être Mr le curé Killar qui va contenter ton désir. Il a lu trois petites pièces que tu lui a fournis. Il t'ouvre ses sentimens là dessus et te voilà mis dans la carrière d'une nouvelle correspondance » Opiz, lettre I (16/08/1793)
12
D. Tinkova, op.cit.
13
Ibid.
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Nous voyons ici en quoi la rhétorique utilisée est fortement insistante. Opiz place Killar devant une correspondance que ce dernier aurait déclenché. L'utilisation d'une forme extérieure de réflexion entraîne le destinataire à assimiler la pensée de l'expéditeur qui se livre en terme de confessions. Une technique de rhétorique connue est de placer son interlocuteur face à un choix qu’il aurait déjà fait. « Voici Raynal sur la révolution de l'amérique. Je ne vous envoïe que cet unique traité pour vous forcer doucement […] de m'écrire bientôt une lettre qui contienne des choses au lieu des complimens ». Killar, lettre I (16/08/1793)
Opiz cherche à amener Killar sur le terrain du partage de ses avis sur les différents livres ou traités qu'il lui envoi, c’est-à-dire une discussion où l'échange est centré sur la culture des lettres à l’image d’un salon parisien par correspondance. Homme de culture, il est un correspondant littéraire actif en entretenant un certain nombre de relation épistolaire où il se livre à des échanges savants 14. « Depuis le mois d'octobre de l'année passé j'ai acquis un nouveau très estimable correspondant littéraire dans la personne de Mr le Professeur Schmidt à Pilsen. » Opiz lettre XV (28/02/1796)
Non content d'entretenir des correspondances, Opiz saisit chaque opportunité pour satisfaire sa soif d'érudition et de discussion. « Le très estimable porteur de votre lettre a eu la bonté de passer hier une heure entière avec moi. Les grandes affaires du jour, les ruses de la politique prussienne, l'état actuël de l'Europe et de l'opinion public de ses diverses nations, les diverses relations assés dangereuses de notre cour, les attentes des Politiques et des amis de la vérité composèrent l'objet principal de notre entretien. » Opiz, lettre X (08/06/1795)
Le caractère pluridisciplinaire fait de Opiz un homme complet d'autant que les relations internationales représentent l'apanage de l'homme cultivé et occupent une des premières places dans les périodiques de l'époque15 , c'est un sujet qui intéresse autant qu'il montre la qualité savante de l'interlocuteur. Outre ses correspondances, Opiz entretient sa réputation d'homme éclairé par la production de traités.
14
F. Khol (dir), Johann Ferdinand Opiz, correspondance avec G. Casanova, Paris, Broché, 2010
Suzanne Dumouchel, Le journal littéraire au XVIIIe siècle : une nouvelle culture des textes et de la lecture (1711-1777), Paris, Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, 2012 pp:482-495 15
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« J'ai inventée (sic), il y a plus de vingt ans une manière singulière et en même temps très facile pour ce dessein. L'académie des arcades possède ma classification de physionomies humaines ; la Société roïale des Sciences à Londres celle des couleurs. » Opiz, lettre XVI (19/03/1796)
Comment ne pas penser à Rousseau et à sa nouvelle méthode pour noter les partitions de musique ? Ici nous voyons la dimension innovante de l'esprit des Lumières et comment nos correspondants en sont remplis. Déterminer une nouvelle façon de se représenter le monde afin de faire fi du passé, de la tradition est une caractéristique essentielle des Lumières.Voltaire et autres partisans de l'attachement à l'Histoire l'utilise afin d'étayer leur philosophie du progrès humain et de la Raison et mettent en exergue les excès et les erreurs du fanatisme, de la tradition et des préjugés16 . Dans l'optique de ternir les apports de l'Histoire – c'est-à-dire de la tradition – les philosophes se sont eux-mêmes désignés comme « Lumières » mettant fin à l'obscurantisme jusqu'alors régnant et ont créé ainsi leur propre mythe culturel, en opposition avec le modèle de la Renaissance qui cherchait à retrouver les traditions passées et perdues à l'image de Hamlet. Opiz s'inscrit pleinement dans son temps par sa réflexion et participe à l'ébullition intellectuelle. Cela est d’autant plus marqué que ses traités sont localisés dans différents endroits de l'Europe et recouvre en cela un caractère cosmopolite.
Une correspondance parfois difficile Les objectifs de la correspondance
Une correspondance littéraire est un concept aux normes définies. Il va de soi que chacun des protagonistes se doit de les respecter afin que la discussion écrite se déroule dans les meilleures conditions ; nous parlons ici d'un respect de rythme de fréquence et aussi du respect d'alimenter le débat en proposant de nouvelles idées ou encore des arguments pertinents, ce que Opiz appelle le « commerce d'esprit ». « Notre correspondance littéraire, mon très vénérable monsieur, ne doit don être (sic) qu'un vrai commerce d'esprit. Chacun de nous deux en devroit profiter le plus possible en nous communiquant réciproquement nos idées le plus intéressantes en demandant l'ouverture et en l'accordant tout sincèrement » Opiz, lettre IX (20/10/94)
Dans un contexte mercantile en plein développement globalisant, les échanges lettrés se dotent de la terminologie du « commerce d’esprit ». L'âge des Lumières s'accompagne KÖPECZI Béla, Début et fin des Lumières en Hongrie, Europe Centrale et Europe Orientale, Budapest, Akadémia Kiado, 1987 16
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d'une formidable expansion de l'économie de marché qui continue de se structurer aux grès des théories de Locke ou d'Adam Smith pour ne citer que les plus célèbres. Que Opiz utilise ce terme pour parler de l'esprit révèle la dimension prédominante que prend le commerce dans les vies des contemporains. Nous pouvons sentir que c'est toute la société qui se centre autour de l'échange. Les Découvertes ont amené ce phénomène du fait du nouveau rapport à l'Autre, aux mœurs inconnus et dont on ne connaît pas l'altérité. Les rapports avec l'Autre était connus puisque anciens, il y a une « habitude » qui n'existe pas dans la relation européoamérindienne. Opiz lie les termes de « commerce » avec la communication - « en nous communiquant » - et demande « l'ouverture ». A notre sens, Opiz met en avant ce que le commerce est, au moins théoriquement, censé amener dans la société et c'est ici l'écho de Montesquieu qui se fait entendre lorsqu'il évoque le « doux commerce » : « c’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces » écrit-il17. L'objectif que cherche Opiz dans son échange épistolaire avec le curé Killar est d'atteindre une amélioration dans le débat et d'aiguiser leurs idées, il y a une croyance dans la perfectibilité de l'esprit au contact, face à l'autre, grâce à l'échange des idées et de la communication de l'esprit. Ainsi, c'est se mettre à la place de l’autre qui est recommandé par Opiz. Cependant, il y a entre les deux lettrés une distance du fait des non-réponses de Killar principalement. La citation ci-dessus est prise au début de la correspondance, Opiz cherche à établir un cadre pas toujours respecté. Killar met du temps à répondre
En étudiant les dates d'envois des lettres qui composent notre corpus, il est possible de s'apercevoir que la correspondance connaît un rythme irrégulier imputable en grande partie à Killar. En effet à plusieurs reprises le curé est fautif du retard latent de la correspondance et de la fréquence peu soutenue. Grâce à l'Annexe n°3 nous établissons l'étude suivante : •
La correspondance du tome 1 s'étale sur 5 ans et 8 mois, soit 68 mois ;
•
La durée totale sans contact écrit de plus de 45 jours correspond à 1 364 jours soit environ 44 mois De là nous pouvons affirmer que Opiz et Killar ne se sont pas écrit pendant au moins
2/3 du temps de cette période de 5 ans. Une des plus grosses périodes sans correspondre est 17
Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XX, chapitre 1.
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égale à 519 jours, entre le 19 Mars 1796 et le 20 Août 1797. Entre ces deux dates, Opiz est allé visiter par deux fois son ami dont une fois en Mai 1796 – l'autre date n'est pas précisée – dans le but de lui délier la main, qu'il reprenne la correspondance. En effet, Killar a arrêté la correspondance car il craint d'être surveillé « ...tout cela vous faisant craindre que la continuation d'une correspondance littéraire avec moi pourroit occasionner le soupçon d'une correspondance défenduë par les loix » Opiz, lettre XVII (29/08/1797)
Cet extrait laisse à penser que Killar dut avoir été prévenu d'un quelconque danger autour de cette correspondance. Il se justifie plutôt de par sa qualité d'administrateur paroissial qui serait prenante. « Les soins continuels et divers besogne de mon économie rurale m'ont empêché jusqu'ici à satisfaire à mes devoirs que votre dernière conjointement avec celle du 20 octobre de l'année passé m'impose mais je m'en acquitterai le plutôt qu'il me sera possible ». Killar, lettre XI (19/08/1795)
Killar met parfois plusieurs mois à répondre aux lettres d'Opiz pendant plusieurs années ce qui apparaît excessif comme délai pour s'occuper de son économie rurale mais il ne s'agit pas ici de remettre en cause cet argument. Néanmoins notons que la correspondance gagne en qualité à partir de l'année 1798 (cf Annexe n°3) et la fréquence devient plus régulière ou du moins elle connaît une accélération certaine. Il arrive que le curé multiplie les excuses du fait de ce retard. « Votre amitié m'est le plus estimable […] et je le répète encore une fois que c'est moi qui perd le plus par la rareté de mes lettres, étant avec justice privé des vôtres. Après cette sincère confession, je me flatte et l'espère que votre bonté pardonnera plutôt ma faute que la justice ne châtiera pas. » Killar, lettre XII (10/03/1796)
S'il invoque la clémence de son ami, Killar n'en demeure pas moins sujet aux reproches de son correspondant de Czaslaw. Plusieurs fois au cours de la correspondance, Opiz émet des reproches à l'égard de son ami en raison de son aptitude à ne pas répondre.
« Que deviendroit cette correspondance littéraire entre nous deux si je ne la soutenois point » Opiz, lettre XXX (24/11/1798)
Nous voyons clairement que Opiz se place en garant de la correspondance, un véritable animateur : il vivifie, il donne de la vie à la correspondance. Killar lui explique ses !25
obligations, notamment de l'administration rurale mais nouvellement de ses neveux nouvellement arrivés dans sa vie en raison du décès de son frère. « Ne me dites pas, je vous en prie, que cette nouvelle charge d'un instructeur de vos neveux vous forcera toujours de n'emploïer que la nuit à notre correspondance. Vous ne m'en persuaderés jamais. Opiz, lettre XVI (19/03/1796)
Opiz met en doute la parole de son ami, il est vrai que le silence prolongé de plus de 10 mois paraît suspect mais nous pouvons souligner le caractère « exclusif » d'Opiz qui ne souffre pas de se voir reléguer en second rang en terme d'occupations. Il paraît vouloir établir une correspondance très régulière, voir quasi constante. Comprend-il que son ami n'est pas aussi libre que lui ? La charge épiscopale et paternelle occupant Killar de tout temps tandis que sa charge de banquier est peut-être moins lourde. En outre, Opiz est marié ce qui peut laisser penser que c'est sa femme qui s'occupe de son enfant ou peut-être ce dernier est-il instruit par un précepteur. De nos jours, nous appelons le phénomène de non-réponse le « ghosting », c'est-à-dire littéralement « celui qui fait le fantôme ». Bien que cette appellation s’attache à désigner un phénomène lié à l'internet et aux messageries instantanées, nous nous autorisons à l'appliquer ici dans notre étude en raison du parallèle existant entre les sociabilités virtuelles développées par la communication à distance. La thèse de Suzanne Dumouchel18 comprend cet enjeu de comparer les deux sphères que sont les périodiques du XVIIIe et l'internet d'aujourd'hui en tant que lieu de sociabilité. « Avés-vous donc cessé d'être mon ami ? » Opiz, lettre XV (28/02/1796)
A la suite d'un silence de plusieurs mois, Opiz en vient à se poser cette question. L'absence de réponse revient à Opiz à l'équivalent d'une séparation, la correspondance est le symbole voire le synonyme de leur amitié. La structure de la source ayant été posée, nous avons pu observer de quelle manière elle était construite et comment les protagonistes échangeaient entre eux, nous allons pouvoir nous attacher aux traits qu'ils développent.
18
Ibid.
!26
Partie 2 - Une pensée développée qui est celle de l'ère des Lumières
« Restons fidèles à la vérité commune à tous nos devoirs : S.A.L.O.M.O c'est-à-dire Sapere Aude ! Legibus Obedi ! Mendacia Odi ! » Opiz, lettre II (16/10/1793)
Chapitre 3 – Les Lumières, filles du Voyage Le voyage permet le développement d'une nouvelle manière de penser Notre correspondance s'inscrit dans un contexte d'échange des idées dans une Europe en pleine redéfinition. En effet, depuis ce que Paul Hazard a appelé « la crise de la conscience européenne » qu'il place entre 1680 et 1715, le Vieux-Continent connaît une vague de changement dans sa manière de se représenter et de de se penser due aux Découvertes [géographiques] et aux nouveaux rapports avec l'Autre ainsi qu'aux découvertes scientifiques. La nouvelle manière de percevoir le monde entraîne une nouvelle manière de penser. Ainsi selon Gilles Bertrand « Le voyage est un facteur de changement et de redistribution des hiérarchies entre les espaces et les peuples européens » Il transforme tant les sociétés « des pays d'accueil que celles des pays d'origine » lors des retours19. Lorsque les nouveautés sont rapportées des voyages, elles sont diffusées à travers différents réseaux d'échanges qu'ils soient issus des correspondances écrites ou par le biais de réseaux marchands. De plus, c'est au cours de la période qui encadre la « crise de conscience » que les huguenots sont exilés de France, fait jusqu'alors sans précédent dans un royaume : un roi renvoie de son royaume des sujets sous prétexte de religion. Bien que les Juifs aient déjà évidemment connu ce sort à de nombreuses reprises – mais considérés comme apatride donc pas véritablement des sujets – ici il s'agit de sujets chrétiens. Yardeni établit des comparaisons intéressantes entre les deux communautés20 . Bien que ce ne soit pas le thème de notre étude, les huguenots constituent un creuset véritable des Lumières et représentent pourquoi nous affirmons que les Lumières sont filles du voyage. Lorsque le voyageur se retrouve sur les routes, il ne lui reste que l'écrit pour communiquer avec ses amis, et de même il n'est plus soumis aux contraintes du quotidien sédentaire. Il découvre un horizon nouveau, celui de la
Gilles Bertrand, « La place du voyage dans les sociétés européennes (XVIe-XVIIIe siècle) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-3 | 2014, 7-26. 19
20
Myriam Yardeni, Huguenots et Juifs, Paris, Honoré Champon, 2008
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liberté. De son œil lointain, il peut regarder sa patrie qu'il vient de quitter et en reconnaître les travers. Ainsi l'exil des huguenots donne quantité d’œuvres et d'ouvrages critiquant la monarchie absolutiste de Louis XIV. « La critique de la France de Louis XIV est un des moteurs des philosophes des Lumières françaises qui y voient une raison de la décadence du XVIIIe siècle » affirme Myriam Yardeni dans son ouvrage Le Refuge huguenot : Assimilation et culture21 . Ils ouvrent par ce biais une brèche dans l'édifice idéologique et politique de la monarchie dans lequel la liberté s'engouffre. La tolérance due à la liberté de penser des individus en est la pierre angulaire et c'est par un effet d'inertie que les autres libertés suivent. Les libertés s'érigent en droits et bientôt c'est la forteresse même de l'oppression qui est attaquée de toutes pars, premièrement par les savants lettrés qui aiguisent leurs plumes contre les abus des souverains et du clergé avant que ce ne soit les peuples eux-même qui soient irrigués de cet esprit de liberté. Eux aussi ont voyagé et se sont pris à rêver de jours meilleurs.
Les échanges d'ouvrages dans la Correspondance Raison première de la correspondance, le curé Killar souhaite recevoir des ouvrages sélectionnés par Opiz, gage de leur qualité. Cela donnera également prétexte à correspondre puisqu’il s'agira par la suite de donner son avis, son point de vue quant à la pensée de l'auteur et ainsi échanger, partager, c'est-à-dire discuter. « Néanmoins si je ne vous ai pas donné mes sentimens par écrit depuis plusieurs semaines, je me suis entretenu avec votre esprit d'autant plus souvent en lisant les grandes vérités dépeintes […] dans ce volume-ci » Killar, lettre VIII (08/10/1794)
De ce fait, plusieurs grands noms de la pensée européenne de l'époque sont cités (Wolf, Raynal, Paine, Becker) ce qui montre le réseau conséquent auquel Opiz est relié dans la monarchie. Ses origines urbaines de Prague en sont probablement pour quelque chose, il a pu y nouer des relations plus facilement. Mais outre les retards dans la correspondance, Killar accumule parfois les retards dans le rendu d'ouvrage également. « Excusés de même, Monsieur, que je ne vous renvoïe pas encore le 1er tome de l'histoire écrite par Mr G.G. Wolf. Je l'ai prêté à Mr Wesely, ou pour dire la vérité, il s'en est saisi lui-même étant dernièrement chés moi, et il se trouve depuis ce tems là encore entre ses mains ». Killar, lettre X (12/07/1795)
21
Myriam Yardeni, Le Refuge huguenot : Assimilation et culture , Paris, Honoré Champion, 2002
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« Vous trouverés (sic), Monsieur, ci-jointes l'histoire par Mr P.P Wolf. Excusés qu'elle retourne si tard. Mr le Baillis du Saar l'a retenue auprès de lui trop long tems. » Killar lettre XII (10/03/1796)
Nous pouvons par ces extraits remarquer que les ouvrages ne connaissent pas un tracé rectiligne mais qu'ils passent de mains en mains, nous donnant une fois de plus l'occasion de souligner à quel point le savoir voyage et se transmet et que c'est donc la communication qui permet de faire éclater la vérité. « Communication ! Communication ! Et avant celle-ci Communicabilité , voilà le plus grand besoin des amis de la Vérité et de l'humanité. Certainement le tems arrivera où ce besoin sera satisfait » Opiz, lettre X (02/06/1795)
Cela nous met directement au contact de notre propre époque et nous rappelle, comme dirait P. Boucheron, « ce que peut l'Histoire ». Aujourd'hui ce besoin est en train d'être satisfait au moins en partie mais n'en exclut pas l'erreur pour autant. Il se vérifie que le savoir transmis par la communication – car la pensée se doit d'être exprimée si elle veut être, a répondu Kant à Herder, dans leur querelle à propos du sens de l'Histoire – est source d'accord entre les différentes vues, opinions qui se développent individuellement. « Depuis que les hommes se sont soustraits à leur état primitif, ils se fatiguent, s'égarent, s'égorgent et s'écrasent par une lutte continuelle entre l'erreur et la vérité. […] Oui c'est le seul combat des opinions qui cause tous les maux qu'il nous faut essuïer. » Killar, lettre X (12/07/1795)
La pensée ici exprimée est quelque peu dangereuse dans le sens où un seul point de vue serait à tolérer dans le but de ne pas créer une diversité d'opinion. De plus la référence à l'opinion est d'autant plus intéressante que les périodiques et gazettes sont en plein développement. L'opinion publique s'exprime au moins en partie de manière libre et de manière paradoxale c'est la volonté de communiquer la vérité au plus grand nombre qui fait naître une diversité d'opinions, chacun pouvant y aller de son avis et troubler de ce fait la vérité du fait. Il est intéressant de se pencher sur le concept d'opinion publique qui tente de substituer aux dogmes une raison collective qui définirait ce qui est juste. Mais pour décréter un avis, une vue correcte, il est nécessaire d'être informé de la manière la plus vraie qui soit22.
Bertrand Binoche, Alain Lemaître (dir), L'opinion publique dans l'Europe des Lumières. Stratégies et concepts, Paris, Armand Colin, 2013 22
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Chapitre 4 - La vérité comme but de la réflexion Une méthode pour répondre. Démarche scientifique pour question métaphysique. « Plus qu'un devoir, la vérité est une méthode » écrit Aurélien Barrau. Dans son livre De la vérité dans les sciences. C'est un des thèmes majeurs de cette correspondance, il apparaît comme le fil directeur de la réflexion des deux hommes lettrés autour du quel s'articule leur système de pensée. C'est également l’une des questions des plus vieilles de l'humanité et à jamais immortalisée dans la bouche de Ponce Pilate, « Qu'est-ce que la vérité ? » que se demandent également Opiz et Killar. La question peut apparaître surprenante pour ces adeptes de l’Évangile puisque qu'il est indiqué qu'à cette question Jésus ne répondit pas si ce n'est plus tôt dans son ministère lorsqu'il annonce qu'il est « la Vérité, le chemin, la vie »23 alors pourquoi s'y attacher ? De même nous pouvons déceler ici un marqueur de l'incrédulité des correspondants : « il nous faut de la vérité, qui d'elle-même […] opérera un meilleur sort pour l'humanité »24. En s'accordant avec une vision chrétienne tel qu'ils la revendiquent, cette vérité n'estelle pas déjà venu opérer un meilleur sort pour l'humanité à travers le Verbe-Jésus ? Notons que le doute relatif à cette question tend à nous faire penser que c'est d'une manière un peu naïve que Opiz alimente sa correspondance. Néanmoins il a le mérite d'établir une méthode pour s'atteler à la tâche, il agit en scientifique ou du moins de manière pragmatique ce qui révèle un esprit méthodique. Au cours de la correspondance, Opiz essaie très vite d'orienter l'échange épistolaire dans un sens philosophique à travers un dialogue savant. Dans le but de développer une pensée cohérente, Opiz est soucieux d'organiser la discussion à travers onze points. « 1) Qu'est ce que la vérité ? 2) Qu'est-ce qui forme l'objet de la vérité ? 3) Y-a-t-il plusieurs espaces de vérités et les quelles ? 4) La quelle de ces espèces est la plus intéressante pour l'humanité ? 5) Y-a-t-il des Vérités désavantageuses pour l'Humanité ou au moins à quelque société civile ? 6) Quelle méthode la plus sûre pour découvrir ou reconnaître des vérités ?
23
Jean 1:17 et Jean 14:6
24
Opiz, lettre II (16/10/1793)
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7) Quelle méthode la plus sûre ou la plus propre pour répandre la connaissance des vérités ? 8) Est-ce que l'homme est obligé à rendre ses connaissances justes ou (et c'est la même chose) à rechercher la Vérité ? 9) Est-on obligé à répandre la connaissance de la Vérité et à avancer son progrès ? 10) Y-a-t-il des hommes qui aient le droit d'empêcher le progrès ou de tromper les hommes en protégeant des Erreurs ? 11) Qui sont les savants les plus estimables de l'humanité ? Chacun de ces onze points, s'il vous plaît, sera traité séparément dans nos lettres. Chacun de nous aura la liberté d'y ajouter encore ceux qu'il trouvera à propos. » Opiz, lettre IX (20/10/ 1794)
Cette série de questions nous renseigne d'une part sur l'estimation de l'auteur quant à ce que sont les vérités – il en estime de plusieurs sortes – et d'autres part de l'utilisation qu'il estime pouvoir faire de la vérité. La question n°10 est très intéressante : il y a le postulat de savoir si faire le mal pour le bien est justifiable. Opiz se rapproche de Machiavel de part cette question, le penseur italien de la Renaissance affirmant que « la fin justifie les moyens ». Si aucun de des deux correspondants ne répond de manière explicite à toute la série de questions, il est certain que certaines réponses sont apportées au fil de la discussion.
Expliquer la vérité : comment est-elle écartée et comment la dégager La diversité des opinions
La diversité des opinions entraînent le débat voire le conflit. Cette diversité est due à l'erreur de perceptions, à la subjectivité de l'esprit individuel face à l'objectivité du fait. « Oui c'est le seul combat des opinions qui cause tous les maux qu'il nous faut essuïer. Et qu'est-ce qu'en la cause ? Me demanderés vous monsieur. Je ne sais nul autre que la diversité de nos vues de nos sentimens et de nos connaissances. De justes vues, de justes sentimens, des justes connaissances nous enseignent, dévoilent la vérité à nos yeux. » Killar, lettre X (12/07/1795)
Atteindre la vérité permettrait d'atteindre une unité dans les opinions puisque nulles autres vues ne seraient acceptables sinon l'unique vérité. C'est une préoccupation qui soustend quelques problèmes éthiques conduisant à une approche unilatérale et sans faire de place à la liberté d'opinion pourtant si chère aux Lumières. Du moins, si les correspondants sont attachés à une vision du progrès de l'esprit humain conduisant à cette vérité salvatrice, libératrice, ils ne font cependant pas mention des moyens nécessaires et à appliquer pour que
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l'humanité atteigne ce degré de civilisation. Ils affirment par la suite que tout le monde n'a pas accès à la vérité en raison d'une persistance dans l'aveuglement de certains et que découvrir ce qui se cache au-delà de la caverne – pour reprendre le mythe de Platon – serait insupportable voire même inconcevable. A ce titre, nous pouvons illustrer notre propos avec une scène du film Matrix (1999) des frères Wachorsky où le héros Néo, après avoir découvert que notre monde est une création virtuelle des Machines afin de nous maintenir en esclavage dans ce qui est alors considéré comme « monde réel », n'accepte dans un premier temps pas cette vérité et devient violent auprès des personnes autour de lui. De même il est certain que nous avons déjà récusé ce qui nous semblait invraisemblable comme par exemple lors d'un décès, en accord avec l'étude d’Elisabeth Kübler-Ross25 . Alors la question de savoir comment les protagonistes envisagent l'accès à la vérité pour l'humanité est problématique dans le sens où peut apparaître un certain élitisme concernant ce point puisque seuls les individus éduqués pourraient en bénéficier. Ainsi ils sous-tendent la question de l'accès à l'éducation pour le plus grand nombre et lorsqu'ils l'évoquent ils ne semblent pas certain que tous le monde soit égale face à cet éveil. L'empirisme permet de dégager la vérité
Contre la théorie cartésienne des idées innées, Locke (1632-1704) affirme que toutes nos connaissances viennent de l'expérience soit externe soit interne 26. Opiz fait démonstration de cette philosophie au cours de sa lettre XII. « L'homme n'est fait que pour la vérité. Il est bien vrai qu'il est sujet aux erreurs mais non moins est-il vrai qu'il est en même tems tout-à-fait susceptible de la vérité. Ni Dieu ni la nature ne nous trompe. C'est nous-même ou plutôt c'est nos passions débridée par lesquelles nous nous laissons aveugler, débaucher, tromper » Opiz, lettre XIII (20/07/1795)
Ainsi est mis en condition préalable à la vérité la capacité à se détacher de ses passions. C'est une opposition somme toute classique entre Raison et Passion que Opiz met en avant, cela rejoint le stoïcisme antique27 ou simplement le thème de la contemplation. A la Raison, Opiz attache l'empirisme, donc l'observation de l'environnement, comme méthode pour atteindre la vérité. Notons qu'il rejette la responsabilité de Dieu et la nature sur notre expérience mais place l'individu seul comme responsable de ses choix. L'individu doit 25
Elisabeth Kübler-Ross, Accueillir la mort, Paris, Pocket, 2002
26
John Locke, Essai concernant l'entendement humain, Paris, Poche, 2001 (1790)
27
Voir le recueil de l'empereur-philosophe Marc Aurèle, Pensées pour moi-même.
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pouvoir, par sa capacité à raisonner, prendre assez de recul sur ce qu'il observe afin d'en dégager l'essence. Le savoir devient de ce fait un élément central pour atteindre la vérité puisque l'observation sans savoir peut aboutir à des erreurs. - « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » prévenait déjà Rabelais. De ce fait la classification de la nature entre dans cette optique. Outre la formidable entreprise de Linnée, celle opérée par notre ami banquier n'est pas anodine pour notre étude28. « Oui les objets de la vérité sont innombrables et bien différents. Ils en forment donc aussi plusieurs espèces, lesquelles peuvent être partagées (selon mes pensées) en physique et morales. Et quoique les unes et les autres soient susceptibles de plusieurs divisions et subdivisions, je tiens que celles aux quelles l'ami de l'humanité doit appliquer tout son étude, ne consistent que dans la connaissance de ce qui est le plus intéressant pour l'humanité et de tout ce qui peut la rendre heureuse, comme aussi de ce qui la rend jusqu'à nos jours malheureuse. » Killar, lettre XII (10/03/1796)
La vérité est au service du Progrès c'est-à-dire de l'amélioration de la condition humaine, c'est en cela que les Lumières mènent un combat contre l'obscurantisme et les préjugés qui enferment les Hommes dans les traditions comme à l'image de Galilée qui s'était vu condamné par l'Inquisition car ses recherches étaient contraires aux dogmes catholiques.
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Opiz, lettre XVI (19/03/1796), passage déjà cité en Partie 1, Chapitre 2 « Opiz, un érudit parfois hautain ».
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Chapitre 5 – Une critique de l’Église mais une pensée qui conserve une dimension chrétienne. L’Église, une institution qui contribue à l'obscurantisme « Combattons l'infâme » lance Voltaire contre ceux qu'il désigne responsable de l'endormissement des peuples. Ce n'est pas encore « l'opium des peuples » chère à Marx mais c'est bien ce qui est dénoncé par le principal homme de lettres des Lumières. L’Église n'est plus cette bienveillante gardienne de la romanité et donc de la civilisation qu'elle fut depuis la chute de Romulus Augustule mais est bien celle qui contribue à maintenir l'humanité dans la barbarie, soumise à l'aveuglement de l'obscurité scripturale. Pour se libérer, les Lumières de l'esprit rationnel, nourries par le savoir en pleine ébullition de nouvelletés , irrigue les savants de l'Europe et plus particulièrement de la France, phare rayonnant du Vieux-Continent. La Révolution est l'expression même de cette libération contre le carcan des traditions et des « ennemis de la vérité » (et donc de l'humanité), c'est un combat de toutes heures et de tout bord qu'il faut mener. « La postérité pourra-t-elle bien croire que même dans la dernière décade du dix-huitième siècle le clergé de notre église ait tenté de bouleverser le monde pour consacrer ses intérêts, ses usurpations […], de rallumer les torches à peine éteintes de la guerre ? […] Tous ces plans contre révolutionnaires en France cent fois variés – l'essai répété d'une massacre générale des Français et de leurs amis à Rome et à Venise […] sont autant de preuve de la malice sacerdotale. Oh que cet esprit est contraire aux dogmes de Jésus-Christ ! » Opiz, lettre XXIV (09 04 1798)
Alors même que nos correspondants voient en la Révolution l’œuvre de la Providence servant au progrès du genre humain dans le bonheur , l’Église semble interpréter le contraire et préfère soutenir ce qui a été plutôt que ce qui est, la monarchie plutôt que la République, quand bien même il fallut soutenir la guerre plutôt que la paix. Erasme rappelait quelques siècles plus tôt que « la pire des paix est préférable à la plus juste des guerres ». Opiz et Killar stigmatisent par leurs écrits la manière dont l’Église s'est fourvoyé quant à sa mission initiale et insiste donc sur le besoin de renouvellement. « Jésus et la Furia (je voulais dire Curia) Romania se trouvent très souvent en contradiction par la grande différence de leurs principes, leurs buts et en conséquence aussi de leurs dogmes ». Opiz, lettre XVI (19/03/1796)
Par le jeu de mot auquel se livre Opiz, associant de fait la Curie romaine à la Furie, figure passionnelle s'il en est, livrée à la colère et donc à la passion destructrice , à Thanatos plutôt qu'à Eros, l'officier de banque cherche à mettre en avant le décalage existant entre le
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Royaume de Dieu et celui de l’Église. Il pointe également les dogmes contraires établis par l'institution ecclésiastique. « Tous ces efforts du despotisme et de la tyrannie ne feront qu'affermir d'autant plus les droits des hommes et d'autant mieux faire connoître leurs devoirs sociales que Jésus, le grand bienfaiteur des humains nous apprend si clairement par sa doctrine, quoique jusqu'ici tant méconnue, tant abusée par toutes les sectes du christianisme. » Killar, lettre XVIII (26/02/1798)
L'intérêt est alors de se débarrasser des « sectes du christianisme », ne pointant pas spécifiquement une institution plutôt qu'une autre, dans le but de retourner à un christianisme originel se fiant uniquement aux Évangiles mais dépourvus cependant d’Église afin que tous puissent se reconnaître sous les principes chrétiens. Cette pensée se rapproche d’un déisme chrétien. Les Lumières sont souvent envisagées dans une optique dénuée de christianisme voir même hostile à la religion chrétienne bien qu'il est pourtant vrai qu'un certain nombre de penseurs ont conservé un esprit chrétien, c'est-à-dire qui fait référence dans sa pensée aux Ecritures et plus encore à JésusChrist. Ainsi Rousseau reconnaît en lui une autorité qui dépasse celle de l'humain de même que sa vie reflète un ascétisme sentimental ou une intériorisation de son exaltation que nous pouvons associer à ses racines protestantes, mouvement qui prône ce retour sur soit, sa philosophie du Contrat social met en exergue une fraternité promut déjà dans l’Évangile. Cependant, il faut garder à l'esprit qu'être chrétien ne signifie pas toujours de soutenir les institutions y découlant, c'est-à-dire les Églises, catholique ou autres. Au contraire, l'homme rationnel et éclairé des Lumières tente d'approcher le divin par ce qu'il considère comme la seule ressource véritable, sa Raison, et ne reste pas dupe des abus ecclésiastiques.
Foi et Raison ne sont pas inconciliable Selon que les huguenots apparaissent comme les prémices des Lumières, comme pourrait en témoigner la philosophie de Pierre Bayle, la foi devait se penser comme liée à la Raison. Ainsi « Raison et utilité sont pour la plupart des prédicateurs les deux grands atouts de la religion à l'aube des Lumières »29. Et les grands principes de Bayle se retrouvent développés tout au long du XVIIIe siècle puisqu'il met en avant une primauté de la morases30.
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M. Yardeni, Op.cit.
30
Ibid.
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« Point de salut hors de l'église dont le chef n'est aucunement l'évêque de Rome ou d'un autre endroit du monde que ce soit mais uniquement le créateur de l'univers, la vérité essentiellement fondée dans lui et la raison des humains [divinae mentis particula] qui cherche, s'efforce à conserver, aime et professe cette vérité. » Opiz, lettre XXIV (09/04/1798)
Ici Killar s'exprime en grand déiste où il reconnaît une religion universelle réunie sous l'égide du divin et qui rassemblerait toute l'humanité en elle. La dernière partie de la citation est essentielle pour comprendre la dimension rationnelle et à la fois croyante de ces penseurs. La Raison est pour eux outil de la foi, outil qui amène à un jugement raisonnable et rationnel. L'individu peut donc suivre, percevoir, les chemins de Dieu par sa raison. C'est au contraire en se laissant induire par ses passions que l'individu se détourne d’eux. Les passions ne peuvent être le fruit de préjugés, de mauvais jugement, de fausses connaissances c'est pourquoi le coeur de l'édifice doit être celui de l'éducation dans le sens de la vérité, c'est-à-dire en détachant des traditions et appliquer un esprit neuf sur le monde à travers sa classification par exemple, par la recherche des connaissances. Le monde actuel est ce sens en ligne directe avec cette pensée, en est imprégné. La classification numérique des connaissances opérée par Google est un gigantisme éclairée, à première vue. Sa volonté de poursuivre cette classification dans le génome humain, toujours dans le but de tout connaître laisse apercevoir un danger d'éthique premièrement mais également un danger totalitaire dans le sens « huxleyien » du terme. Mais ce qui est surprenant de notre point de vue, c'est bien la mise en relation de Dieu avec la Raison, alors que cela même semble opposé dans la pensée des Lumières françaises. « Alors on ne verra sur notre globe que des familles paisibles gouvernées par Dieu uniquement au moïens de leur propre raison » Opiz, lettre XXVI (05/07/1798)
La divinité est accessible à l'homme à travers sa réflexion, à cette différence près qu'elle apparaît isoler dieu de l'homme dans la pensée rationnelle française. Nous pouvons bien parler ici de révolution dans la mesure où les penseurs cherchent un retour à l'état originel de l'homme, alors dépourvu de ses préjugés, de sa tradition mais aussi au risque de perdre son Histoire.
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Partie 3 - Un esprit rĂŠvolutionnaire ?
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« Vous voulés monsieur […] des remarques sur les traités de Paine, d'Euvald, de Raynal ? […],Quelle triste situation de nos terres ! Où l'esclave baise ses chaînes et ne souffre pas qu'on les brise, qu'on les lui ote ; où l'esclave chérit même son oppresseur ! »
Killar Lettre II 13/10/1796
Chapitre 6 – Une Révolution qui va dans le sens du Progrès Le goût pour les affaires internationales se retrouve dans la multiplication des articles consacrés dans les journaux ainsi que dans les correspondances. Les différents réseaux maillant l'Europe – huguenots, diplomatiques, journalistiques, franc-maçons, académiques – permettent une expression diversifiée sur les rapports internationaux. Opiz et Killar se livrent à l'analyse de l’événement qui bouleverse l'Europe moderne, la Révolution.
La Révolution est soutenue par la Providence « Réforme et Révolutions »
Nous l'avons vu au cours de notre Partie 2, Opiz et Killar sont convaincus de la vérité proclamée par le Messie et pour eux l'arrangement des événements qui leurs sont contemporains est indéniablement une marque d'intervention divine dans la libération de l'humanité. « S'il y a une providence éternelle dont je ne saurais jamais douter, avançons mon très cher et clairvoïant ami que toutes ces révolutions qui s'opèrent dans nos jours ne sont que des effet de sa sainte et bienveillante disposition. » Opiz, lettre XXII (31/01/1798)
Paul Viallaneix établit ainsi un parallèle entre la Réforme et les Révolutions du monde atlantique31 : selon lui, la Révolution est une conséquence lointaine de la Réforme pour plusieurs raisons. Premièrement, la Réforme contient l’idée de ne pas obéir aux tyrans et de préférer Dieu. Cette idée une fois sécularisée remplace la figure divine par un idéal type tel que la République ou encore l’État. Deuxièmement, l’Église Réformée se conçoit comme « une assemblée de tous les croyants » avec une participation égale à la vie religieuse au contraire des catholiques dominés par la figure papale. Le vote des représentants contient
Paul Viallaneix (dir), Réforme et Révolutions : Aux origines de la démocratie moderne Montpellier, Reforme / Presses du Languedoc, 1990 31
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ensuite un rappel formidable des procédés démocratiques modernes. Pour finir, le pouvoir temporel cesse d'être sacralisé dans le même temps que le pouvoir spirituel se voit contester son pouvoir séculier. « Ce que vous écrivés à l'égard des progrès étonnant de la liberté des peuples, les représentant comme des dispositions éternelles de la providence de celui qui, seul est le vrai seigneur des hommes est bien incontestable, s'accorde parfaitement avec les sublimes principes du christianisme, avec les dogmes d'une saine philosophie, avec les idées d'un esprit clairvoïant et conséquent » Opiz, lettre XXIII (10/08/1798)
Selon Opiz et Killar la Révolution sert à l'application des Évangiles dans la société, elle en comporte les principes de liberté, d'égalité et de fraternité. C'est une manière de régénérer le concept qui était corrompu par la monarchie inégalitaire ou du moins contribuer à une meilleure entente entre les Hommes. « Buonaparte » bras armé de la Providence
Le nom de Buonaparte apparaît au cours de la correspondance à partir de la lettre XXVI de Opiz, soit le 21 Juillet 1798. Il est évoqué en raison de la prise de Malte qui a eu lieu entre le 10 et le 11 de la même année, il semble qu’Opiz n’ait vent de la conquête qu'au moment où il en parle puisqu'il s'exprime en ces termes : « Que pensez-vous de la conquête de Malte par les Français ? Cette une (sic) acquisition de la première importance, une acquisition qui doit faciliter tous les grands et bienfaisans desseins de la Grande-République dont l'exécution fut confiée à ce véritable Héros de nos jours […]. C'est par la possession de cette île que les Français deviendront maîtres de la Méditerranée et du commerce du Levant si la Fortune (ou plutôt la providence éternelle) continue de favoriser les entreprises de Buonaparte ».
Nous sommes ici dans le début du mythe napoléonien en tant qu'agent de changement du monde guidé par la Fortune et accomplissant la destinée des peuples. Il se servira de cette image de libérateur pour consolider son image et ainsi cristalliser les espoirs des foules et renforcer son pouvoir. Par son génie militaire et son sens de la communication, le « Petit Caporal » a su s'ériger en véritable libérateur des peuples à l'issue de la campagne d'Italie (1796-1797) d'autant plus qu'il a défait l'Autriche de manière fulgurante. « Vous avés grandissime raison mon très aimé ami que le bras du Tout puissant assiste et protège Buonaparte […] Le voilà maintenant dans la carrière de ce grand Alexandre […] [qui] ne proposat rien de moins que de subjuguer tout le monde ; propos certainement bien fou, diamétralement opposé à celui de notre héros qu n'a d'autre but que de briser les chaînes de tous les peuples, d'écraser partout chaque despotisme et de rendre les nations autant libres qu'éclairées, autant éclairées que vertueuses. » Opiz, lettre XXX (24/11/1798)
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La figure de Bonaparte en tant que vecteur de libération des peuples émerge depuis sa victoire au siège de Toulon. Il apparaît comme le véritable homme providentiel d'autant que lors de sa campagne d'Italie c'est lui même qui s'est chargé de créer les « Républiques sœurs » dans le nord du pays. Les contemporains voient en lui une anti-thèse parfaite des monarques conquérant, quand bien même épique tel Alexandre décrit ici en despote. Mieux encore, il représente la République française à l'étranger et par ses victoires donne une aura immense à l’œuvre révolutionnaire. Le terme de « vertueuses » est intrinsèquement lié à celui de République. Déjà chez les Anciens, la forme républicaine conçoit une virtu garante de l'ordre morale où les lois sont respectées et les officiers de l’État non corrompus, maîtres de leurs passions afin d'exercer librement leur raison. Ici le terme est rattaché aux « nations autant libres qu'éclairées » ce qui permet de faire le lien entre la Révolution et son application républicaine avec la mission qu'elle s'est donnée de libérer les peuples par la guerre, depuis les tournures offensives et conquérantes des guerres révolutionnaires à partir des campagnes de 1794.
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La république, forme idéal et parfaite, avenir politique de l'humanité Un régime en opposition à la monarchie ?
L'idée républicaine est présente tout au long de l'époque moderne, elle représente pour les penseurs la forme de gouvernement qui assure la plus grande stabilité, conformément à la répartition des trois formes de pouvoirs en un seul. En effet, la théorie républicaine chercherait à équilibrer la monarchie, l'oligarchie et la démocratie dans une seule forme de gouvernement 32. Le terme reste peu utilisé en tant que tel mais est toujours associé à la gouvernance de la Cité en général, sans mettre en cause la suprématie du souverain, comme c'est le cas dans l'ouvrage de Jean Bodin, Les Six Livres de la République publiés en 1578. Une autre utilisation du terme est celle la plus souvent associée à de petites entités territoriales telle la Cité-Etat de l'Italie moderne. Cependant au cours de la guerre d'indépendance des Provinces-Unies commencée en 1568, la pensée républicaine développée par Pieter de la Court influence les huguenots dans leur quête de légitimité de leur lutte contre le souverain et la République est récupérée comme garante de la tyrannie. La Grande Révolution d'Angleterre proclame la République en 1649 à la suite de la mise à mort de Jacques Ier de même que les Provinces-Unies s'érigent en République lors de leur indépendance acquise en 1581 ce qui révèle la dimension de nouveauté que recouvre l'imaginaire républicain. Nous pouvons alors comprendre pourquoi c'est cette forme politique qui prend de l'importance tout au long de l'époque moderne en raison de son caractère neuf et savant mais aussi démocratique dans un certain sens, dans la mesure où il laisse s'exprimer les différentes parties. Ainsi, utilisé par les lettrés de la République des Lettres où chacun se voulait égal de l'autre sans aucune prééminence de situation si ce n'est celle reconnue par le talent littéraire, il devient sous la plume de Rousseau le système politique qui permettrait un contrat social juste dévoué à la réalisation de la volonté générale dans un milieu éclairée, l'idée républicaine en développement reflète la croissance de la politisation des peuples européens à travers les journaux d'opinions en plein essor. La volonté de participer aux débats publics s'est exprimée en une volonté d'une nouvelle forme de régime alors même que la monarchie connaît des échecs de réformation.
32
Cicéron, Pour Sestius, Paris, Les Belles Lettres, 1984 [136-138]
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La République promeut l'égalité contre les privilèges liés à la naissance.
La fin du XVIIIe siècle est marquée par les « Révolutions de l'Atlantique » partant des colonies britanniques d'Amérique jusqu'en France, en passant par les Provinces-Unies au moment de la Révolution des Patriotes (1781-1787). Ces soulèvements populaires mettent à mal les privilèges de la noblesse ainsi que l'organisation sociale féodale, remise en cause en divers endroits du Vieux-Continent. Opiz s'exprime ici après que Killar lui eut raconté que des émigrés français, nobles, aient logés chez lui. Ils ont pu converser en français avec lui et le curé à livré ses impressions à son ami par une lettre précédente où il dépeint un comportement hautain voire de conquérant. « Vos sentimens (sic) monsieur touchant les fugitifs François sont très justes et toute leur conduite ne prouvoit que trop que la noblesse héréditaire et tout partout ennemie de l'humanité » « Ce n'est pas du tout au seul profit d'un petit nombre des hommes que dieu a créé le monde. Il ne veut pas seulement que tous les hommes soïent bienheureux après leur mort, il veut aussi qu'ils soïent heureux pendant leur vie d'ici. » Opiz, lettre XXVIII (28/09/1798)
Par ces deux extraits de la même lettre, nous pouvons saisir en quoi la pensée d'Opiz se veut universelle et comment l'idée républicaine s'associe à une globalité puisque censé toucher l'ensemble de l'humanité. De plus nous touchons au vocabulaire du bonheur, nouvellement présent dans le discours politique au XVIIIe siècle comme l'atteste la Déclaration d'Indépendance des États-Unis proclamé en 1776 (cf : Annexe n°5) où il est question de ne pas attendre la mort pour être heureux mais de l'être sur Terre. Voltaire dira à ce propos « J'ai décidé d'être heureux, c'est bon pour la santé ». Pour ce faire il faut réformer la société « L'Amérique, la France, la Hollande, la Lombardie, Rome, la Suisse, toutes ces nouvelles républiques de nos jours […] nous offrent assés de la lumières pour pouvoir pronostiquer ce qui arrivera. Opiz, lettre XXVI (05/07/1798)
Opiz énumère ici différentes révolutions ou troubles révolutionnaires qui ont eu lieu au cours des dernières décennies. En effet, la Révolution américaine a eu un impact conséquent en Europe grâce à la diffusion de la Déclaration des Droits ou encore de la Déclaration d'Indépendance 33 et la Révolution française est suivie avec un certain
33 Annexe
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enthousiasme dans un premier temps par les élites européennes mais les violences qui s'ensuivent troubles l'opinion. Il n'empêche qu'à partir de la victoire de Fleurus par la Ire République Française, la guerre à outrance et la politique de conquête permettent la création de plusieurs « Républiques sœurs » telles que la République Batave en 1795 qui établit une Constitution qui prendra par la suite le modèle français en vigueur alors – celle de l'an III , bicamérale et un suffrage censitaire - de même que ce sera le cas pour la République Cisalpine en Juillet 1797, Ligure en Février 1798, de Lucques en 1799 etc. La Suisse connaît quant à elle des troubles révolutionnaires dès 1782 à Genève mais c'est l'invasion française au début de l'année 1798 qui permet la mise en place d'une République Helvétique, avec une Constitution écrite par le français Rapinat. La dernière partie de la citation - « nous offrent assés de la lumières pour pouvoir pronostiquer ce qui arrivera » - nous évoque l'engouement que l'Europe connaîtra au début du XIXe pour les indépendances des colonies espagnoles d'Amérique Latine et leurs établissements en République, inspirées indéniablement par les événements survenus sur le Vieux-Continent d'autant que plusieurs protagonistes de ces indépendances ont été au contact des événements révolutionnaires. L'imaginaire veut alors que l'humanité formera une République ou du moins que ce sera le seul régime alors en place autour du globe. Cela rejoint quelque peu la pensée de Opiz. « Que toutes les nations se réuniront un jour. Voilà une assertion bien consolante pour les philosophes philantropes (sic) qui aiment autant l'humanité, c'est-à-dire le genre humain tout entier que chaque home (sic) de ceux qui vivent en même tems avec eux. Opiz, lettre XXVI (05/07/1798)
Il veut que les Humains vivent ensemble sans injustice, sans oppression, sans misère, sans que le nécessaire manque à qui que ce soit. C'est une pensée philanthropique qui est ici exprimée. « Quiconque n'agit pas conformément à cette volonté divine est autant rebelle contre la majesté divine qu'ennemi de la société humaine, ennemie de ses frères. » s'exclame Killar 34. Nous pouvons encore retrouver l'image biblique de l'Apostasie qui prévoit une réunion des Humains
34
Killar, lettre XVIII (26/02/1798)
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Chapitre 7 – Opiz et Killar demeurent cependant loyalistes au régime des Habsbourg, non sans émettre des critiques. Des « fidèles serviteurs de sa majesté l'Empereur » Le mouvement jacobin en Autriche
Le royaume autrichien connaît des troubles révolutionnaires au cours des années 1794 et 1795 connut sous le nom de conjuration des jacobins. Il s'agissait d'un mouvement cherchant à retrouver certains acquis du joséphisme mis alors à mal par le nouveau souverain, François II35. Les idées jacobines se revendiquent de l'esprit français, tel que l'écrit Charles Kesckemeti, « L'esprit public européen était profondément marqué par la philosophie politique nouvelle et se réclamait des valeurs mises à l'honneur à Paris »36 et la constitution montagnarde est traduit en magyar. Certains essayèrent ainsi d'organiser un coup d’État tel Ignac Martinovics afin d'accomplir les desseins d'une république fédérale en Hongrie. Le terme de « jacobins » regroupent cependant une hétérogénéité de profils et de contestations. Ainsi sont également inclus des réformateurs modérés, partisans d'une monarchie constitutionnelle, comme par exemple le viennois Andreas Riedel. François II se sert des dangers menaçants pour mener à bien des arrestations plus largement que du cadre proprement jacobin 37. Par leur débat et leur idées, nos deux correspondants en viennent à se questionner sur la proximité qu'il existerai entre eux et ces mouvements. « Sommes nous des jacobins ? Sommes nous des traitres ? Travaillons nous pour renverser le trône ? Sommes nous complices d'une conspiration contre l'état ? Non ! Non ! Non ! Nous aimons la vérité, les hommes, les arts ; nous sommes de fidèles serviteurs de sa majesté l'Empereur. Comme tels nous aimons ardemment nos devoirs ; obéissons ponctuellement aux lois ; sommes incapables d'entrer jamais dans aucune liaison défendüe par les loix de notre monarchie. » Opiz, lettre XVII (20/08/1797)
Opiz met en avant leur amour pour la vérité pour justifier son attachement au trône et ne met pas en doute la légitimité des lois de son royaume. Il semble répondre à l'injonction de Paul en Romain 13:1-2 : « Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été Walter Consuelo Langsam, « Emperor Francis II and the Austrian "Jacobins," 1792-1796 » in The American Historical Review, Oxford University Press, Vol. 50, No. 3 (Apr., 1945), pp. 471-490 . 35
Charles Kecskemeti« Les Jacobins Hongrois (1494-1495) » in Historique de la Révolution Française, No. 212, La Hongrie des Lumières à 1848, (Avril-Juin 1973), pp :219-244 36
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David Tarot, Vienne et l'Europe Centrale, Paris, Puf, 2012, p:119.
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instituées par lui. Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par lui. ». Pour lui s'opposer au souverain reviendrait à corrompre l'état existant, mais pouvons nous parler d'une démission de l'esprit ? Est-ce à dire qu'il est surprenant de voir une telle passivité contre des lois qui peuvent être contraire à ses idéaux mais ce serait oublié l'essence même de la philosophie définie par Socrate lorsqu'il s'oppose à Criton qui lui propose de s'échapper avant son exécution : « mieux vaut affronter la mort plutôt que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi commettre l'injustice. […] il fallait que Socrate meure pour que vive la philosophie » peut-on lire sur la 4e de couverture de Apologie de Socrate. Criton édité chez GF Flammarion, paru en 1997. La volonté d'une évolution sans révolution : l'esprit du joséphisme « n'est pas encore tout à fait effacé »
Les noblesses européennes et notamment autrichienne sont d'autant plus effrayées que la Constituante a aboli le régime seigneuriale ce qui nourrissait des espoirs auprès des classes populaires. « Heureuse la cour, dans les états de la quelle cette révolution ne se faira ni brusquement ni violemment, où elle ne sera que l'ouvrage d'une politique autant prévoïante que clairvoïante, qui connoît autant et les vœux du peuple et la force de l'opinion publique que les vrais intérêts et de ceux qui obéissent jusqu'à présent et du gouvernement actuël sans s'embrouiller pour de petits égards de convenance ou de famille » Opiz, lettre XXIV (09/04/1798)
Si la Révolution française ou même des colonies britanniques suscitent l'engouement, les exactions choquent les élites surtout dans le cas de la France, un royaume beaucoup plus proche géographiquement et politiquement des autres puissances européennes que les Treize Colonies luttant pour leur indépendance. Il y a un désaveu de l’œuvre révolutionnaire en raison de cette violence présente tout au long des événements à partir de 1789 bien que le progrès des libertés soient dans un premier temps approuvées au moment de la monarchie constitutionnelle, Léopold II affirmant même « La régénération de la France sera un modèle que tous les souverains et gouvernements de l'Europe imiteront […]. Il en sortira un bonheur illimité ». L'esprit belliqueux renverse cependant l'opinion et plus encore après le 10 Août 1792 qui aboutit à la décapitation du roi en Janvier de l'année suivante. La « Seconde Révolution » marque le moment où les corps populaire de la Commune de Paris se soulève contre la monarchie de manière irrémédiable. Louis XVI !46
étant en déficit de popularité depuis son échec de fuite à Varennes dans la nuit du 20 Juin 1791, il tente de sauver son trône par la guerre qui est votée le 20 Avril 1792 mais les défaites successives contribuent à alimenter la méfiance et la haine contre la monarchie et ses défenseurs. L'été 1792 voit alors l'accélération du processus révolutionnaire : le 11 Juillet la patrie est déclarée « en danger » et plusieurs corps de gardes nationaux se mobilisent dans la capitale pour prévenir une attaque ennemis mais cela alimente d'autant plus la tension sur le roi qu'il est soumis à une pression plus importante issue de la rue. Le manifeste de Brunswick met le feu aux poudres, les députés et notamment Robespierre demandent la destitution du roi. Seulement, les sections de la Commune n'entendent pas attendre le délai indu à la législation et prennent d'assaut le palais des Tuileries le 10 Août. Cette insurrection illustre la prise de pouvoir du peuple face à ses représentants dans la violence des massacres des gardes suisses. Opiz ne cherche pas à cautionner ces exactions et justifie son intérêt pour une évolution plutôt qu'une véritable révolution. Les deux correspondants se placent en véritables disciples de Joseph II. Il apparaît certain pour Opiz qu'une révolution libérant de l'oppression et de l'erreur arrivera dans la logique que le Progrès est une marche inarrêtable pour l'humanité. Pour lui les réformes doivent être l'affaire du « haut » mais respectant la volonté du « bas ». L'esprit joséphiste se définissait comme étant « pour le peuple, rien par le peuple » d'où la nécessité de maîtriser les outils de l'opinion publique qui doit être l'expression de la volonté générale. Nous pensons ici bien évidemment en premier lieu aux périodiques et autres moyens de communication et d'expression de la sphère public. La « force de l'opinion » évoquée par Opiz est celle qui permet la mobilisation en faveur ou contre une cause, il est donc dans l'intérêt des souverains d'être en adéquation avec celle-ci. Cependant François II ne fais pas l'unanimité et sa politique est critiquée tant elle s'avère contraire aux Lumières. « L'esprit de Joseph ou au moins celui de sa réforme n'est pas encore tout-à-fait effacé et ne le sera jamais » Killar, lettre XXVI (31/12/1798)
Ainsi s'exprime Killar alors même que la Bohême avait nourri des contestations envers le « despote éclairé » autrichien au moment de sa mort38, l'époque n'est plus celle de Joseph. Déjà à la fin de son règne le souverain éclairé mesurait l'ampleur de son échec de réformes39 de manière telle qu'il pensa l'inscrire sur son épitaphe. Par cette phrase Killar 38
Jean Bérenger, Joseph II d'Autriche, Paris, Fayard, 2007
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David Tarot, Op.cit
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avoue que les lumières du temps passés sont désormais obscurcies et les effets des réformes du souverain éclairé, qui ont permis dans un premier temps d'amoindrir les espérances révolutionnaires, s'estompent peu à peu. Il paraît dangereux de s'exprimer sur un tel registre pour le curé puisqu'il désavoue la manière dont François II administre le royaume et favorise au contraire l'action de Joseph II, d'autant que le pouvoir est plutôt coercitif.
Un pouvoir qui surveille les libertés La censure, un outil de contrôle
En Autriche, la censure d’État est très dure40, le conservatisme est la base du pouvoir si l'on en croit la puissance de la reconquête catholique du XVIIe et XVIIIe siècle41. Les Lumières sont englobées dans l’État comme l'illustre le joséphisme qui demeure très conservateur sur de nombreux points. Les réformes entreprises par Joseph II avaient principalement pour but de limiter les privilèges de l’Église et de la noblesse mais il se s'agissait pas pour autant d'amorcer une totale liberté dans les domaines de la presse par exemple. Ce phénomène sera d'autant plus présent au moment de la Révolution où le pouvoir s'inquiète des idées qui peuvent se propager. Ainsi le 1er Septembre 1790 c'est l'archiduc François – le futur François II – qui fait édicter par décret impérial le retour de la censure. A partir de son avènement, les instances de contrôles sont affermies dans leurs prérogatives. « Les cahiers X et XI dans la cinquième section de l'ouvrage de Mr André, destinée (comme vous le savés) aux matières de religion, ont été proscrites par la censure roïale de Vienne, peut-être à cause de ce rapport que j'y donnois si franchement de l'état des protestants en Bohême » Opiz, lettre XXVI (05/07/1798)
Dans le livre de « Mr.André », Opiz a ajouté un rapport sur « l'état des protestants en Bohême » qu'il considère être à l'origine de la censure qui s'est alors abattue dessus. Les protestants dans le royaume d'Autriche ont connu une situation difficile à partir de la défaite des troupes hussites à la Montagne-Blanche en 1620 contre les armées catholiques autrichiennes. Cette bataille a sonné la fin d'une relative autonomie de la province de Bohême avec la véritable prise en main des affaires par les Habsbourg et une Béla Köpeczi, Les Lumières en Hongrie, en Europe Centrale et Orientale,t.2, Budapest, Akademiai Kiado, 1975 40
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Olivier Chaline, La reconquête catholique de l'Europe Centrale, Paris, Cerf, 1998
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centralisation accrue. En outre, la germanisation de la société tchèque qui suivit s'accompagna d'une « reconquête catholique » dans le but d'éradiquer les déviances religieuses désignées hérétiques par le Saint-Siège mais également de soumettre la population à la dynastie habsbourgeoise. L'alliance de Rome et de Vienne permettant un contrôle politique et spirituel des tchèques. En effet « l'hérésie hussite » avait eu pour conséquence de souder le peuple tchèque dans une revendication identitaire du fait que le culte utraquiste était pratiqué dans la langue vernaculaire tchèque et non pas en latin. Nous comprenons de ce fait l'enjeu d'une reconquête pour le pouvoir et ainsi l'application de la censure sur le traité de Mr André et de Opiz, les affaires religieuses relevant d'un « pomerium » d'expression, une limite à ne pas franchir. Il en est de même dans les salons parisiens. Dans celui de Mme Geoffrin, la maîtresse de salon avait pour habitude de clore les débats touchant à la religion par cette maxime célèbre « Voilà qui est bien, changeons de sujet ». Notons que Opiz semble assez fier d'être la cause de la censure du moins y croit-il alors même que c'est plus vraisemblablement le thème plus général d’ André qui en est la cause. « Les censeurs de l'ouvrage de Mr André lui font le plus grand honneur » Killar, lettre XXII (12/08/1798)
Killar paraît moins dupe que son ami concernant l'objet de la censure de l'ouvrage. Sa remarque souligne l'importance que donne la censure à un auteur ou à un ouvrage, une certaine aura car il se place alors en opposition à la tyrannie, à la suppression d'une liberté dont les contemporains ont conscience. Une des manières de contourner la censure était alors de faire imprimer les ouvrages à l'étranger mais la situation change du fait des succès révolutionnaires, il y a un durcissement de la législation. « L'austérité de la Censure dans notre monarchie, craintive, soupçonneuse, qu'elle est vient de metre (sic) un terrible obstacle à cette continuation en ordonnant que même ce que l'on veut faire imprimer dans des païs étrangers doive (sic) être soumis à son tribunal » Opiz, lettre XXXIII (26/02/1799)
François II, face à la République victorieuse et offensive tente de limiter les différentes oppositions intérieures qui peuvent entraîner des troubles dus aux idées séditieuses.
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L'arrestation de Wessely, une attaque anti-maçonnique ?
Au cours de la correspondance, il arrive à Opiz de s'exprimer en philanthrope mu par une fraternité sans bornes avec les humains, voulant le bien de chacun grâce au Progrès et où la société serait placée sous les auspices de l'Être suprême. Le vocabulaire employé rappelle pour beaucoup celui des loges maçonniques, dont nous savons que Killar était membre42. En outre, en Annexe n°2, la gravure représentant Opiz place sous son portrait un médaillon comportant des symboles maçonniques tels que le compas et l'Ourobos. « Mr Wessely est depuis le 12 du passé aux arrêts à Jglau. C'est un certain Benatsky, Justitiaire de Neustadt, qui l'a trahi ; se révoquant à 7 autres témoins ; et du nombre de ceux-là sera sûrement le curé de Wesely, Maresch, le Chyrurgien (sic) Sröcker de Saar[…]. On me dit que Mr le comte Mittrowsky et plusieurs autres de la connaissances de Mr Wesel seront de même arrêté. » Killar, lettre XV (02/10/1797)
Par le chapitre de Tinkova consacré à la Correspondance, nous savons que le comte de Mittrowsky est un frère. Nous pouvons supposer que cette arrestation touche plusieurs membres de la confrérie surtout que la politique contre-révolutionnaire de François II comportait un volet largement anti-maçonnique et qu'après la tentative de coup d’État des « jacobins » viennois en 1794, cette politique s'est d'autant accentuée que plusieurs membres de la conjuration étaient membres d'une loge43.
42
D. Tinkova, op.cit.
43
J. Bérenger, Histoire de l'Empire des Habsbourg, Paris, Fayard, 1997. p:634
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Conclusion Après plus de 5 ans de correspondance, le bilan est quelque peu mitigé quant à la qualité de la conversation. L'accélération de la fréquence de réponses laisse toutefois entrevoir une continuité propice à l'amitié attendue. Cette première série de lettres rassemblées dans le premier volume fait figure de fenêtre d'entrée à ce que sont les trois autres volumes, une compilation de lettres portant sur des sujets aussi larges que la Raison, la Vérité ou encore l'accomplissement de l'Humanité par le Progrès. Les événements politiques sont commentés de manière vivante, les protagonistes expriment leurs émotions face à ce qui se dessine et il faut parfois suivre les intrications de chacun quant à ce qu'il a reçu comme informations à travers la rumeur de l'opinion. Nous voyons ainsi se mettre en place une société de la communication avec ce qu'elle peut impliquer comme erreur mais aussi la vérité qui s'établit contre ses rumeurs grâce à l'essor des moyens de d'informations et de communications modernes, à savoir les médias, ici la presse. En plein essor au XVIIIe siècle, les manuscrits côtoient les imprimés et les connaissances se répandent quant à ce qu'ils se déroulent en termes de faits mais aussi en termes de connaissances scientifiques. L'accès au savoir est ainsi facilité. Cette correspondance illustre également la manière dont les individus se renseignaient et échangeaient au XVIIIe siècle. Ainsi grâce à quelques lignes minutieusement remarquées, nous arrivons à extraire le contour des mouvements de l'information que ce soit par la Gazette de Hambourg qui est reçue avec 10 jours de retard par rapport à sa date d'édition, il y a donc un décalage du fait de la distance d'où les erreurs d'opinion qui peuvent survenir. Conscient de cet état de fait, Opiz esquisse ce que sera le monde de demain où la communication entre les humains se fait instantanément, ce qui répondrait à un besoin premier de l'être humain et garantirait l'accès la vérité. De par leur échange d'ouvrages c'est le savoir en circulation qui est ici mis en scène, nous comprenons alors les réseaux qui émaille l'Europe des Lumières. La publication d'ouvrages savants inonde les réseaux savants et l'instruction éveille les esprits. « La Lumière luit de toute part » s'exclame Voltaire à l’orée de sa vie. Il est vrai que les idées développées ont permis une nouvelle manière de se représenter le monde, faisant fis des carcans traditionnels. Cette évolution a engendré la Révolution.
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Le terme de révolution fait état d'un retour à une situation antérieure, les sociétés faisant la recherche éternelle d'un Age d'Or perdu. Mais par cette recherche de l'Age d'Or perdu, les contemporains de la Révolution ont créé leur propre innovation et c'est le progrès en marche qui semble s'accomplir sous les yeux de Opiz et Killar. Ils expriment d'ailleurs leur croyance, leur conviction dans ce « mieux ». Le fait de voir une marche de l'Humanité vers un progrès les rapproche de la philosophie de Kant plutôt que de Herder, de même que leurs réflexions sur la Raison lorsqu'ils subordonnent la liberté de la raison (pure ou pratique) à une cause (divine ou morale). La question de la divinité reste très présente dans leur réflexion, ils ne sont pas matérialistes. C'est une divinité bienveillante qui guide l'Humanité et peut se révéler à travers des signes, ils ne sont donc pas déistes mais chrétien c'est-à-dire disciple des préceptes du Christ. Nous touchons un point essentiel de la pensée des correspondants celui de l'association des idées chrétiennes – égalité des Humains, fraternité avec son prochain – avec un sens du Progrès qui va dans la réalisation du message évangélique. Ils ne détachent pas les avancées humaines du chemin que la Providence trace. Cela conduit à une espérance dans l'homme providentiel qui « accélère l'Histoire » à l'image, dans un premier temps, de Bonaparte. J. Ferdinand Opiz et Karel Killar semblent représentatifs du contexte éclairé de leur zone géographique de part ces aspects croyants et soucieux d'une révolution sans effusion de sang – pour faire écho à Mirabeau et sa célèbre diatribe « Je n'ai jamais cru à une Révolution sans effusion de sang » - du fait d'une certaine puissance régalienne de l’État toute puissante et autoritaire. Les mouvements de pensée cherchant à s'émanciper ne trouvant pas d'assises sociales efficaces pour se mettre en place alors que le royaume de France pouvait compter sur une vaste bourgeoisie instruite et sur une politisation du peuple précoce comparé au royaume des Habsbourg. Quand nous prenons la pensée du comte de Sedlnitzki,
« un peuple entre en révolution à partir du moment où il commence à
s'instruire » il est faisable de comprendre l'environnement politique et social dans lequel les habitants du royaume évoluaient. Aucune liberté n'étant laissée à l'instruction, l'espérance que nourrit la Révolution Française est grande. Aujourd'hui les Lumières restent un sujet passionnant qui attire de nombreuses personnes à s'intéresser à cette période foisonnante et riches en idées, en découvertes et nouveautés. Plusieurs événements sont axés autour des Lumières de nos jours, en témoigne
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l'édition 2016 de la Fête des Bateaux de Douarnenez dans le Finistère par exemple ou encore le spectacle son et lumières de la ville de Rennes de l'édition 2016 également. Cela illustre cet intérêt pour une période de renouveau intellectuel où des idées nouvelles sont mises au goût du jour. Selon les mots de Idriss Aberkane, « une nouvelle Renaissance est 44 entrain de se jouer depuis quelques années, les conditions sont similaires. Il y a 500 ans
Gutemberg et son imprimerie, aujourd'hui Internet » . D'autant que le XXIe siècle surgit comme le siècle de la Transparence, tout est connu ou doit l'être. Le développement des réseaux de communications ont entraîné une inter-connexion planétaire jamais atteinte, il est désormais question de l'utilisation de ces données, comment s'en servir au mieux pour la Vérité, pour reprendre un thème cher à nos correspondants. Les mots d'Idriss Aberkanne apparaissent prophétiques : « Toute Révolution passe par trois stades : elle est d'abord considérée comme ridicule, ensuite comme dangereuse et finit par être évidente ». 45 Nous laisserons cependant le dernier mot à Opiz : « En vérité mon cher ami, la grande révolution de l'Europe n'est pas encore achevée ! ».
Audition de Idriss Aberkanne dans le cadre du Conseil Economique, Social et Environnemental, Novembre 2015. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=vi39Z0i0G1s 45
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Bibliographie BEAUREPAIRE Pierre-Yves, L’Europe au siècle des Lumières, Paris, Eclipses, 2011 BEAUREPAIRE Pierre-Yves, Le mythe de l’Europe française. Diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières, Paris, Autrement, collection « Mémoires », 2007 BEAUREPAIRE Pierre-Yves, Franc-maçonnerie et sociabilité au siècle des Lumières, Paris, Edimaf, 2013 BELINA Pavel, Histoire des Pays Tchèques, Paris, Points Histoire, 1995 BERENGER Jean, Histoire de l'Empire des Habsbourg, Paris, Fayard, 1991 BERENGER Jean, Joseph II d'Autriche, Paris, Fayard, 2007 BINOCHE Bertrand et LEMAITRE Alain (dir), Opinion publique dans l'Europe des Lumières. Stratégies et concept., Paris, Armand Colin, 2013 BOST Hubert, Ces Messieurs de la Religion Prétendument Réformée.Histoires et écritures de huguenots XVIIe-XVIIIe , Paris, Honoré Champion, 2001 CARILE Paolo, Huguenots sans frontières.Voyage et écriture à la Renaissance et à l'âge classique. Honoré Champion, Paris, 2001 CEVINS Marie-Madeleine (dir),L'Europe Centrale au seuil de la modernitéMutations sociales, Religieuses et culturelles (Autriche, Bohême, Hongrie, Pologne) Fin XIVe milieu XVIe, Rennes, PUR, 2010 CHALINE Olivier (dir), Le rayonnement français en Europe centrale du XVIIe à nos jours, Pessac, MSHA, 2009 CHALINE Olivier, La reconquête catholique dans l'Europe Centrale, Paris, Cerf, 1998 GUILHAUMOU Jacques, L'avènement des portes-paroles de la République (1789-1792), Paris, Presse universitaire du Septentrion, 1998 KECSKEMETI Charles, « Les Jacobins Hongrois (1494-1495) » in Historique de la Révolution Française, N°212 La Hongrie des Lumières à 1848, Avril-Juin 1973, pp :219-244
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Table des annexes Annexe n°1 Estampillage du Musée National de Prague 57 Annexe n°2 : Gravure représentant Opiz 58 Annexe n°3 Frise chronologique représentant les moments où les correspondants ne s'écrivent pas, dans une durée supérieur à 45 jours 59 Annexe n°4 Événements historiques survenus au cours de la correspondance (non exhaustif) 60 Annexe n°5 Événements qui ont traits à la vie de Opiz et Killar au cours de leur correspondance 61 Annexe n°6 Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis d'Amérique 62
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Annexe n°1 Estampillage du Musée National de Prague
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Annexe n°2 : Gravure représentant Opiz
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Annexe n°3 Frise chronologique représentant les moments où les correspondants ne s'écrivent pas, dans une durée supérieur à 45 jours
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Annexe n°4 Événements historiques survenus au cours de la correspondance (non exhaustif)
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Annexe n°5 Événements qui ont traits à la vie de Opiz et Killar au cours de leur correspondance
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Annexe n°6 Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis d'Amérique
« TOUS LES HOMMES SONT CRÉES ÉGAUX ; ILS SONT DOUÉS PAR LE CRÉATEUR DE CERTAINS DROITS INALIÉNABLES ; PARMI CES DROITS SE TROUVENT LA VIE, LA LIBERTÉ ET LA RECHERCHE DU BONHEUR. LES GOUVERNEMENTS SONT ÉTABLIS PARMI LES HOMMES POUR GARANTIR CES DROITS […]. TOUTES LES FOIS QU’UNE FORME DE GOUVERNEMENT DEVIENT DESTRUCTIVE DE CE BUT, LE PEUPLE A LE DROIT DE LA CHANGER OU DE L’ABOLIR ET D’ÉTABLIR UN NOUVEAU GOUVERNEMENT, EN LE FONDANT SUR LES PRINCIPES ET EN L’ORGANISANT EN LA FORME QUI LUI PARAÎTRONT LES PLUS PROPRES A LUI DONNER LA SÛRETÉ ET LE BONHEUR. » DÉCLARATION UNANIME DES TREIZE ÉTATS UNIS D’AMERIQUE RÉUNIS EN CONGRES LE 4 JUILLET 1776, DITE DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE, TRADUCTION DE THOMAS JEFFERSON.
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Table des matières Remerciements 5 Sommaire 6 Introduction 7 Le 18e siècle, siècle des Lumières 7 La Correspondance littéraire d'Opiz, une source très peu utilisée
Partie 1 - De la structure de la source et de la manière dont les correspondants ont échangé. Analyse d'une construction réfléchie. 13
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Chapitre 1 – La volonté de retranscrire les correspondances dans un carnet dédié. 14 Le genre épistolaire au XVIIIe siècle 14 Limite d'un document retranscrit 15 Des modifications possibles 15 La datation de la retranscription. 16 La première page, élément révélateur d'une correspondance éclairée et d'une construction pensée du carnet. 16 La citation de Pope nous renseigne sur l'érudition de l'auteur. 16 Une place pensée : un épitaphe placé à « l'entrée » de la correspondance. 17 Chapitre 2 –Les éléments de la correspondance qui nous renseignent sur les protagonistes et leur manière d'échanger 19 Qu'apprenons-nous sur la vie des correspondants 19 Killar, un curé de province à la recherche de « lumière » 19 Opiz, un érudit parfois hautain 21 Une correspondance parfois difficile 23 Les objectifs de la correspondance 23 Killar met du temps à répondre 24
Partie 2 - Une pensée développée qui est celle de l'ère des Lumières 27
Chapitre 3 – Les Lumières, filles du Voyage 28 Le voyage permet le développement d'une nouvelle manière de penser 28 Les échanges d'ouvrages dans la Correspondance 29 Chapitre 4 - La vérité comme but de la réflexion 31 Une méthode pour répondre. Démarche scientifique pour question métaphysique. 31 Expliquer la vérité : comment est-elle écartée et comment la dégager 32 La diversité des opinions 32 L'empirisme permet de dégager la vérité 33 Chapitre 5 – Une critique de l’Église mais une pensée qui conserve une dimension chrétienne. L’Église, une institution qui contribue à l'obscurantisme 35 Foi et Raison ne sont pas inconciliable 36
Partie 3 - Un esprit révolutionnaire ?
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Chapitre 6 – Une Révolution qui va dans le sens du Progrès 39 La Révolution est soutenue par la Providence 39 « Réforme et Révolutions » 39 « Buonaparte » bras armé de la Providence 40 La république, forme idéal et parfaite, avenir politique de l'humanité 42 Un régime en opposition à la monarchie ? 42 La République promeut l'égalité contre les privilèges liés à la naissance. 43 Chapitre 7 – Opiz et Killar demeurent cependant loyalistes au régime des Habsbourg, non sans émettre des critiques. 45 Des « fidèles serviteurs de sa majesté l'Empereur » 45 Le mouvement jacobin en Autriche 45 La volonté d'une évolution sans révolution : l'esprit du joséphisme « n'est pas encore tout à fait effacé » 46 Un pouvoir qui surveille les libertés 48 La censure, un outil de contrôle 48 L'arrestation de Wessely, une attaque anti-maçonnique ? 50 Conclusion 51 Bibliographie 54 Table des annexes 56 Table des matières 63
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RÉSUMÉ Entre 1793 et 1809, Jan Ferdinand Opiz et Karel Killar correspondent. Le premier vit à Czaslaw non loin de Prague et exerce la charge d'officier de banque tandis que le second est un prêtre du Nord de la Bohême, vivant dans une région montagneuse. Alors que rien ne semble rapprocher les deux hommes, ceux ci développent durant 16 ans une amitié épistolaire, dans une Europe déchirée par les guerres révolutionnaires puis napoléonienne. Ces deux tchèques s'écrivent en français dans une monarchie Habsbourgeoise en proie aux idées révolutionnaires qu'elle tente de combattre par tous les moyens, tant bellicistes que idéologiques. Ces deux « amis de la vérité » comme ils aiment à s'appeler, s'écrivent concernant les différents événements qui ont lieu alors en Europe mais également à propos d'idées philosophiques issues de la pensée des Lumières. Ainsi, des thèmes très larges sont traités - la Raison mais aussi la Vérité et le destin de l'Humanité – mais aussi des thèmes plus quotidiens tel la vie rurale du prêtre Killar ou encore les aléas de la correspondance comme les retards de réponses, très fréquents. Les événements liés à la Révolution sont habilement suivis grâce à des périodiques et sont profondément compris dans ce qu''ils bouleversent en raison de la solide culture des deux correspondants. A travers l'étude du Tome 1 des correspondances, qui en comporte 4, ce mémoire s'attache à découvrir les caractéristiques des Lumières de l'Europe Centrale. A travers cette étude, la spécificité qui apparaît est celle d'une réflexion fondée sur la conciliation Foi et Raison, l'aspect chrétien demeurant. De plus, l'intégration de la réforme joséphiste et le contrôle lié à la censure induit un comportement beaucoup plus révérant face au pouvoir que peuvent l'être les Lumières françaises.
SUMMARY Between 1793 and 1809, Jan Ferdinand Opiz and Karel Killar correspond. The first one lives in Czaslaw, close to Prague and perfoms the functions of banks officer while the second one is a priest of the northern part of Bohemia, living in a montanious region. Whereas nothing seems to link those men, thereof develop during 16 years an epistolarian friendship, in a Europe torn by revolutionnary wars and napoleonic wars. Those two czech are writing eachothers in french in Habsburgian monarchy beset by revolutionnarans ideas which try to fight through all means, warmonger or ideologic. Those « friends of Truth » - as they like to designate themself – deal with differents events which happend in Europe but also about some philosophical ideas from Enlightenment's thought. Thus, very large theme are treated – Reason, the Truth or Humankind destiny – as less large theme, more quotidians problems linked to the correspondance like late answer which happend really oftenly. Revolution events are skillfully followed thanks to periodic et are deeply understod in what they upsets in reason of the solid culture of both. Through the 1st book studies, this thesis try to discover Central European Enlightenment caracteristics. Specificity which appear is that of a reflexion founded on Faith and Reason conciliation, christian aspect still present. Moreover, josephist reformation integrated and coercitiv power related to the censorship induces a more reverent behavior to the State than French Enlightenment.
MOTS CLÉS :Lumières Europe Centrale, Correspondances, République Tchèque, Révolution, France, Raison, Vérité, Philosophy
KEYWORDS : Central European Enlightenment, Correspondence, Czech Reublic, Revolution, France, Reason, Truth, Philosophy
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