Université Paris IV – Sorbonne UFR d’Histoire
Histoire de la Shoah Nouvelles perspectives pour l’histoire du génocide juif
Fiche de lecture
Richard RHODES Extermination : la machine nazie Einsatzgruppen, à l’Est, 1941-1943 Paris, éditions Autrement, 2004.
Stanko JOSIMOV Mai 2009
2 Première partie : Le front de l’Est
Chapitre I. A l’est de Pretzch
Au printemps 1941, plusieurs milliers d’hommes de la Schutzstaffel sont arrivés dans une école de police à Pretzch, une ville située à quelque quatre-vingt kilomètres au sud-ouest de Berlin. Officiers de tous rangs de la Gestapo ou de la Kripo, Wafen SS, hautes fonctionnaires du RSHA dont Otto Ohlendorf, Paul Blobel, Arthur Neben ou Karl Jäger, et puis un bataillon de réserve des services de l’ordre allemands ont reçu l’ordre de se rendre à Pretzch pour se prépare à une mission, dont les détails leur n’étaient pas connus. Cependant ils ont appris vite qu’ils seraient affectés à un Einsatzgruppe, ces unités qui avaient pour objectifs de sécuriser les territoires occupés avant l’arrivé des administrateurs civiles. Dès printemps 1941, la Pologne a été décapitée. Hitler avait l’intention de la détruire en offrant une nouvelle frontière à l’Allemagne. Lors de l’invasion, cinq armées de la Wehrmacht étaient suivies de cinq Einsatzgruppen. La noblesse polonaise, l’intelligentsia et le clergé ont été désignés à la mort. Les Juifs, pour lesquels les « mesurés intérimaires » étaient prévues dans le cadre d’un plan à court terme, visant à les chasser des territoires de la Pologne occidentale et de les regrouper dans les ghettos, étaient massacrés aussi parce que politiquement suspects ou pour d’autres motifs. 714 exécutions avec 16 376 victimes ont eu lieu dans les premières semaines après l’attaque. Très vite, la Wehrmacht a refusé de continuer à assumer la responsabilité et a abandonné le terrain aux « spécialistes » de la SS. En octobre, les exécutions ont été élargies aux handicapés mentaux et physiques : c’étaient des Allemands qu’on avait fait venir de l’Allemagne, mais aussi les malades des régions de Pologne annexées au IIIe Reich, qui avaient eux presque tous fini dans des fosses communes. Sur énorme chéquier qui est devenu le Gouvernement général, Himmler déplaçait les Polonais, juifs ou chrétiens vers l’Est, afin de libérer la place pour les Allemands d’origine, rapatriés à l’Ouest hors des territoires occupés par l’Union soviétique, selon le pacte de nonagression germano-soviétique. Ils étaient nombreux à mourir de faim et de froid, débarqués au beau milieu de l’hiver polonais, sans nourriture ni abris. Si les commandants de la Wehrmacht se souciaient des effets que pourrait produire une telle violence envers la population, sur leurs soldats ou bien sur la résistance potentielle polonaise, ainsi que des arguments que la SS fournissait de telle manière à la propagande ennemie, Himmler passait les actions des SS pour
3 des mesures contre la résistance en invoquant une autorité supérieure. Un accord passé entre général Wagner et Heydrich le 26 mars 1941, a accordé aux tueurs de Himmler un pouvoir indépendant sur les civiles des territoires et a fait de la Wehrmacht le complice d’atrocités. Enfin, l’armée et Himmler avaient un ennemi commun : le judéo-bolchevisme. L’entrainement militaire pendant trois semaines à Pretzsch a été très bref et sommaire. On insistait surtout sur la force psychologique nécessaire pour accomplir les taches à venir. Les hommes ont appris leur vraie destination : la Russie. Lors d’une attaque surprise, le plan Barbarossa, quatre Einsatzgruppen devraient suivre les armées allemandes. Nommés Einsatzgruppe A, B, C et D, elles étaient commandées par, respectivement, Brigadeführer SS Stahlecker, Brigadeführer SS Arthur Nebe, Brigadeführer SS Otto Rasch, et Standartenführer SS Otto Ohlendorf. Chacun des Einsatzgruppen étaient chargés d’une région du territoire occupé. Estonie, Lettonie et Lituanie pour le groupe A, Biélorussie pour le groupe B, nord et le centre d’Ukraine pour le groupe C, et enfin, sud et sud-ouest de l’Ukraine, la Crimée et le Caucase pour le groupe D. Les quatre détachements spéciaux étaient divisés encore ne seize Sonderkommandos et Einsatzkommandos. L’Einsatzgruppe A est le plus important des quatre détachements. Il comptait 990 hommes. Le plus petit de quatre, le groupe D, avait un effectif d’environ 500 hommes. Les Einsatzgruppen étaient bien équipés, motorisés, logistiquement bien appuyés et donc très mobiles. Légèrement, mais bien armés, ces unités n’étaient visiblement pas destinés au combat, mais à la tuerie. En juin 1941, les Einsatzgruppen ont reçu un appui supplémentaire par la célèbre circulaire sur les commissaires politiques et deviennent, avec la Wehrmacht, un élément essentiel de la conduite de la guerre à l’Est. Le 17 juin 1941, lors d’une convocation des chefs des Einsatzgruppen dans le quartier général du RSHA à Berlin, Heydrich, en donnant les instructions sur les prochaines missions, a exprimé sa vision de la guerre : pour la première fois, c’étai u combat de deux idéologies, le judéo-bolchévisme d’un côté et le nationalsocialisme de l’autre. Heydrich a donné l’ordre d’exécuter plusieurs catégories d’ennemis dont les Juifs qui occupaient des fonctions au sein du Parti communiste. Il a demandé aussi d’encourager et de ne pas interférer les éléments antisémites ou anticommunistes dans les territoires occupés. S’ils abordaient la question d’exécutions de masse avec prudence vis-à-vis de Wehrmacht, les SS se prêtaient de s’attaquer aux Juifs une fois les dirigeants « judéo-bolchéviques » et l’intelligentsia éliminés. Dans un affrontement ultime entre deux idéologies et en vue de la conquête d’un espace vital (Lebensraum), vingt à trente millions de Slaves et de Juifs étaient voués à la disparition. Dans cette « lutte raciale sans pitié », les Einsatzgruppe ont joué un des rôles principaux.
4 Chapitre II. Les Cercles vicieux
Le IIIe Reiche était un régime extrêmement violent : il gouvernait par la violence, il a essayé de dominé l’Europe par la violence et il a été détruit par une réaction elle aussi violente. Chaque gouvernement contrôle la violence en la monopolisant. Il autorise l’armée et la police d’utiliser la violence tout en condamnent toute autre utilisation individuelle ou institutionnelle. La violence est un outil et un moyen, efficace surtout à court terme. Elle s’apprend, par l’expérience ou par une formation. Contrôlée par les gouvernements, la violence n’est permise que dans les circonstances spécifiques. Quand un soldat tue dans le combat, c’est son usage légal, quand il exécute un civil innocent, ce même soldat commet un crime condamnable. Comment expliquer un comportement violent ? Toute théorie doit prendre en compte les comportements violents ressortissant de la légalité, comme de la criminalité pour être complète. La théorie de « l’antisémitisme éliminationniste » de daniel Goldhagen dans ses Bourreaux volontaires d’Hitler, ne réussit pas à expliquer la motivation des Allemands pour commettre les crimes. Elle inclut l’effet dans la cause1, prend la violence pour un phénomène de trop-plein, et suppose que la motivation est la cause suffisante pour déboucher au comportement violent. Or, une expérience de la violence est aussi nécessaire : idéologie n’est là que pour la justifier. C’est la théorie de la socialisation par la violence d’un criminologue américain, Lonnie Athens, fondée sur des rapports de cause, qui pour expliquer le comportement violent, cherche l’unique point commun à un ensemble d’individus qui ont eu une expérience de violence. Il propose quatre étapes de ce processus : la « brutalisation », la belligérance, le comportement violent et la virulence. Puisque la violence, officielle ou individuelle, s’apprend par l’expérience, les parallèles peuvent être faites entre la violence des criminelles et celle des fonctionnaires. Les étapes peuvent être accomplies dans peu de temps ou s’étaler sur des années : si la brutalisation est involontaire, les trois autres demandent que le sujet prenne la décision de les franchir. La violence est un choix et par conséquent les personnes violentes sont responsables de leurs actes. Premier étape, la brutalisation, bouleverse l’individu. Elle est caractéristique des enfants maltraités ou à l’expérience des recrues de l’armée. Elle comprend la domination par violence, la terreur et l’incitation à la violence. L’armée allemande avait, par exemple, une 1
« la croyance que l’influence juive (cause), par nature destructive, doit être irrévocablement éliminée de la société (effet) », Goldhagen, 1996, page 48.
5 ancienne tradition de discipline militaire rigoureuse. Strict obéissance était exigée, le contraire puni par des punitions draconiennes. L’entrainement des SS en était un exemple radical. Dans l’étape de la belligérance, l’individu remet en cause les valeurs qui ont échoué à le protéger de la brutalisation. Le recours à la violence est parfois nécessaire dans ce monde, il conclut, en avant à l’esprit ses modèles en violence. Le sujet est prêt à recourir à la violence pour protéger soi-même et ses proches. L’étape suivante, le comportement violent, entraine le sujet à utiliser la violence. S’il réussi dans l’utilisation de la violence défensive, à part une satisfaction personnelle, ce nouveau tournant apporte aussi la réponse à la question de savoir comment se protéger. Après avoir accompli ce stade, l’individu est prêt de répondre par violence à tout moment de sa vie, lorsqu’il se sent menacé. La préparation institutionnelle à la violence s’arrête justement à ce stade-là mais c’est un terrain glissant et tout ce qui manque désormais et la volonté de recourir à la violence. Cela constitue l’ultime étape : la virulence. Le changement du comportement des autres à son égard change la façon dont le sujet se voit lui-même. La réputation de la violence encourage l’individu à penser qu’il a trouvé un moyen sûr de se protéger et de dominer les autres. L’individu passe d’une attitude défensive à un comportement radicalement offensif. Le processus de la socialisation par la violence est ainsi terminé. Le sujet est dangereux et son comportement est jugé criminel dans une société moderne, quel que soi son statut officiel. Le model d’Athes permettra peut-être d’éclairer l’histoire des Einsatzgruppen. Le gouvernement qu’Hitler met en place en janvier 1933 est un gouvernement des bandits et des militaires radicalisés. Malgré cela, est le fait qu’il a participé aux événements de 1921 et au putsch de 1924, il n’y a pas de preuve de violence personnelle d’Hitler. Il ne s’est jamais vanté non plus d’avoir tué qui que se soit dans la guerre de 1914. Il semble qu’Hitler n’a jamais atteint le stade du comportement violent. Il est resté toute sa vie dans une lutte personnelle contre la brutalisation vécue dans son enfance. Le père d’Hitler, Alois, était un homme autoritaire, dur, inaccessible, d’un « caractère très violent », selon les mots de la première épouse d’Alois fils, demi-frère d’Hitler. Et selon sa sœur, Paula, c’était surtout le jeune Adolf qui provoquait son père à la plus extrême sévérité. Il va se rebeller à l’âge de onze ans : il passe au stade de bellogérance. Son travaille scolaire se détériore, il devient solitaire et peu coopératif. De ses compagnons de classe, il exige une soumission inconditionnelle. Après la mort de sa mère, il s’installe à Vienne. Non admis à l’Académie des Beaux-arts, Hitler passe six ans vivant dans la pauvreté, dans un monde de l’envie, la malveillance et l’égotisme, et il en conçoit sa vision de l’homme et de la société. La grande guerre sera pour lui une libération, un moyen d’avancer par le service militaire. En tant que
6 courrier, Hitler s’identifie, par procuration, à l’autorité. Il voit comment la délégation de la violence offrait à la fois la puissance et le refuge. Mais vite l’horreur fait son apparition. Combat intérieur entre le sens du devoir et la lâcheté fait rage en lui. Après avoir été gazé en octobre 1918, il reste aveugle. L’Allemagne s’est effondrée au moment où il se trouve à l’hôpital de Pasewalk, au nord du Berlin. Hitler a pris cette « chose monstrueuse »2 qui arrivait de façon personnelle. C’étaient son histoire et son combat personnels qui ont marqués le parti et l’Etat nazi. A part le concept de la race, le concept du combat a déterminé aussi les débuts du IIIe Reich. Allemagne a subi d’immenses souffrances après la défaite : l’inflation, la famine, les maladies, le chômage. Cette humiliation ouvrait la voie à Hitler, qui a accueilli la misère les bras ouverts, soulignant le besoin de fierté, de volonté, et « de haine, de haine, et encore de haine ».3 Comme cible idéal, et afin de concentrer et rendre plus efficace cette haine immense, il se prend aux Juifs. A la place d’un ensemble chaotique des conflits particuliers, vient une simplicité d’un conflit unique : tous contre un. La communauté est de nouveau réunie contre une victime unique, un bouc émissaire, incapable de se défendre. On voit les Juifs partout, travaillant derrière la scène à leur œuvre démoniaque. Le bolchévisme est lui aussi assimilé à une « conspiration juive internationale ». Dans Mein Kampf, l’importance de l’antisémitisme accrut dans les yeux d’Hitler : une radicalisation des mesures prévues en est la conséquence. L’escalade meurtrière des années 1930 a mis à l’épreuve la tolérance de la société allemande et celle du monde entier. La violence engendra la violence.
Chapitre III. Le Plan Barbarossa
En juin 1941, lorsque l’offensive contre l’Union Soviétique est lancée, la Wehrmacht sera suivie dans quelques jours par les Einsatzgruppen. Dans le premier temps, les Allemands se contentaient d’organiser des attaques « spontanées » contre les Juifs. Afin de donner l’impression que la population elle-même est à l’origine des pogroms, Heydrich avait donné les instructions aux commandants des Einsatzgruppen de ne pas gêner et même d’encourager, sans laisser de traces, ses « tentatives de nettoyage de la part des éléments anticommunistes ou antisémites ».4 Le bon exemple en était le pogrom de juin 1941 à Kaunas (Kovno), lorsque les Juifs ont été battus à mort à l’aide des barres de fer par des civils, sous prétexte que ils
2
Hitler, Mein Kampf, 1971, p. 203 Bromberg, Hitler’s Psychopathology, 1983, p. 94 4 Longerich, From Mass Murder to the Final Solution, 1997, p. 263 3
7 avaient escroqué les Lituaniens avant l’arrivé des Allemands. La foule des spectateurs hurlaient son approbation et encourageaient les tueurs à continuer. Ce pogrom avait été en réalité organisé par les Allemands et effectué par les criminels libérés de prison et chargés de tuer les Juifs afin de donner l’impression de « pogrom » spontané. Entre-temps, l’avant-garde SS organisait les irréguliers lituaniens qui vont perpétuer les crimes, piller, assassiner et violes. En quelques jours ils ont tué déjà plusieurs milliers des Juifs, hommes, femmes, enfants. Pourquoi la population locale a accepté de faire le sale travail des SS ? A part de l’antisémitisme, des aspirations nationales et des comptes personnels à régler le facteur important en était aussi « la terreur exercée par les communistes ». Mais les Juifs étaient nettement minoritaire dans le NKVD lituanien, la conséquence de l’antisémitisme russe et l’hostilité du parti aux religions. En outre, parmi les trente-cinq mille de citoyens lituaniens déportés par les Russes, presque la moitié étaient juifs et polonais. Malgré ses déportations, les prisons étaient remplis de prisonniers politiques au moment de l’arrivé des Allemands. Au lieu de les libérer, la police secrète soviétique les avait massacrés. La faute en était rejetée sur les Juifs bolchéviques et les Allemands ont largement profité d’envie de vengeance. Mais ni Heydrich ni Himmler ne comptaient se fier qu’aux pogroms « spontanés ». Ils se sont rendus à l’Est, pour faire avancer les « opérations de nettoyage destinées à l’élimination la plus complète possible des Juifs ».5 Cette pression croissante de Berlin se confirme bien par le témoignage de Walter Blume, un colonel de police de trente-cinq ans, qui dirigeait le Sonderkommando 7a de l’Einsatzgruppe B de Nebe et qui au début faisait tout ce qu’il pouvait pour éviter de devoir procéder aux exécutions de masse. Mais son commando n’exécutait pas les Juifs, inadmissible selon Nebe. En ignorant la chaîne de commandement, Nebe ordonne à Voltis, le commandant du troisième détachement de commando de Blume, d’exécuter environ soixante Juifs à Minsk en guise de représailles. Cette fois Blume n’a fait qu’assister pendant un certain temps à cet événement. Plus tard cependant, à Vitebsk, Nebe a fait encore la pression sur Blume pour qu’il organise les exécutions des Juifs. Cette fois Blume a capitulé et a procédé à l’exécution de quatre-vingts hommes. Il est resté jusqu’à la fin avec ses hommes, complètement déchiré selon son témoignage, mais voulant leur montrer qu’il n’exigerait pas plus d’eux qu’il n’exigeait de lui-même et en leur expliquant qu’ils ne font que protéger leurs femmes et leurs enfants en tuant ces hommes qui pourraient représenter la menace potentielle pour leurs proches.
5
Gitelman, Bitter Legacy : Confronting Holocaust in the USSR, 1997, p. 265
8 Chapitre IV. La « Zone de résidence »
Les exécutions à Vilnius, cette ville qu’on appelait la « Jérusalem de Lituanie » par sa riche culture juive et le nombre importants d’institutions religieuses et séculaires juives, ne commenceront qu’après l’arrivé de l’Einsatzkommando 9, le 2 juillet 1941. Les nationalistes lituaniens étaient plus inquiétés de perdre le contrôle de la ville en faveur des Polonais qui étaient même plus nombreux que les Lituaniens. Mais les Allemands n’étaient de même avis et les opérations de nettoyage concerneront en premier lieu les Juifs et les bolchéviques. Dans un dépôt de carburant commencé par les Russes et abandonné en phase de construction, à huit kilomètres au sud-ouest de Vilnius, dans un endroit appelé Ponary, cinq cents Juifs vont être exécutés chaque jours. Les fosses inachevées deviendront les tombes des hommes juifs, âgés de vingt à cinquante ans, rassemblés sous le prétexte de départ pour le « travail obligatoire ». Dans les douze jours suivant le 8 juillet environ cinq mille Juifs de Vilnius sont assassinés de cette façon. Au sud de Vilnius, à quelque cinq cent cinquante kilomètres au sud, l’Einsatzgruppe C se jettera sur Galicie. A Loutsk, à cent trente kilomètres à l’est de Lublin, la Wehrmacht retrouve début juillet 1941 dix soldats allemands parmi les cadavres entassés de plus de mille Ukrainiens que le NKVD a exécutés avant de se retirer, dans un château du XIVe siècle, dans le centre-ville. L’ordre est donné de tuer autant de Juifs qu’il avait de morts ukrainiens alors que déjà plusieurs centaines de Juifs ont été fusillés. Officier Paul Blobel, dont le commando a été chargé d’exécuter cet ordre, déjà atteint d’un accès de fièvre typhoïde, en fait « une dépression nerveuse ». Il a craqué, il tenait des propos confus et menaçait de tirer sur des officiers de la Wehrmacht. Il est admis dans un hôpital « connu chez les soldats pour être un asile de fous ». Il ne rejoindra son commando qu’au mois d’août. Entre-temps, les dispositions ont déjà été prises pour que des unités spéciales ukrainiennes se chargent de fusiller 1160 Juifs de Loutsk, en « représailles ». Presque le même scénario s’est passé à partir de 1 juillet 1941 à Lvov, la vieille capitale de Galicie, où presque la moitié de population et juive. Là aussi, avant de partir, NKVD assassine une semaine avant trois mille partisans de Stepan Bandera, commandant de l’Organisation des nationalistes ukrainiens. Encore une fois, la faute en est attribuée aux Juifs. Environ sept mille on été fusillés par les forces de sécurité en représailles à « ces atrocités inhumaines ». Félix Landau, sergent dans l’un des Einsatzkommandos, raconte dans son journal les exécutions sans cesse, des cadavres en décomposition dans les maisons brûlées, des Juifs battus et couverts de sang qui se promenaient partout en recevant au passage les
9 coups de la part des Allemands. Quatre jours plus tard, les officiers de la division Viking de la Waffen SS, après avoir perdu le commandant d’une des divisions du régiment, ont organisé l’exécution d’environ cinquante ou soixante Juifs. Les Juifs étaient forcés de courir entre deux rangées de soldats, recevant au passage les coups de crosse et de baïonnette. Au bout du chemin, des SS et des officiers de la Wehrmacht les abattaient avec des mitraillettes. A Ternopil, occupé le 2 juillet 1941 et qui comptait 18 000 Juifs pour 40 000 habitants, la Wehrmacht s’est livré à des représailles disproportionnées. Elle « inspire » aussi des pogroms « spontanés » aux partisans de Bandera qui massacreront aux grenades les hommes, les femmes et les enfants. Selon les rapports, le nombre total de victimes se lève à 127 exécutions et 600 tués au cours de pogroms. Dans un mémoire après la guerre, Janett Margolies témoigne de sa perte. Elle a perdu son père, sa mère, son mari et son fils et d’autres proches de sa famille lors des massacres du début de juillet 1941. « Ma douleur n’avait pas de limites. Je voyais tout s’écrouler autour de moi », raconte-t-elle. « Des cadavres, des cadavres » répétait-elle désespérée à la fin de la journée où elle venait de perdre tous ses proches. La Wehrmacht arrive à Trebowla le 5 juillet 1941. La ville allait vite sombrer dans l’horreur, tout comme Loutsk, Lvov et Ternopil avant elle. Ces premières manifestations de brutalités criminelles n’étaient que le début de la campagne des Einsatzgruppen sur le front Est.
Chapitre V. Heinrich le loyal I
En élargissant les catégories de victimes dans les pays occupés de l’Est, Himmler s’est retrouvé confronté à un nouveau problème : il fallait trouver un moyen pour que les hommes qui accomplissaient les massacres puissent digérer cette expérience et essayer d’éviter qu’une « extraordinaire bestialité et une dépravation morale » se réponde « comme une épidémie dans les rangs allemands ». Himmler était-il l’homme qu’il fallait ? Il était considéré par certains comme « la caricature même de la médiocrité et de la vulgarité »6 et vu comme « l’archétype du maître de l’école allemande. […] De toute sa personne émanait minutie bureaucratique, assiduité et loyauté ».7 Mais en même temps ils sentaient bien la menace qu’il représentait.
6 7
Rauschning, Makers of Destruction : Meetings and Talks in Revolutionary Germany, 1942, p. 266-267 Schellenberg, The Labyrinth : Memoirs, 1956, p. 52
10 Le père de Himmler, Gebhard, était maître de l’école qui, issu de la paysannerie bavaroise, ne pensait qu’à s’élever dans l’échelle sociale. Himmler avait aussi deux frères. Le grand-père de Himmler était soldat et sergent de police. Grandes lignes de la vie de Himmler sont déjà là. A quinze ans, Himmler a commencé à avoir des problèmes dans l’école et des douleurs dans l’estomac. A travers la discipline rigoureuse qui régnait dans l’école allemande mais aussi à travers la discipline violente caractéristique de la famille allemande des classes aisées de cette époque, Himmler a très probablement subi le processus de brutalisation, quoiqu’il en existe peu de preuves directes. La première guerre mondiale s’est terminé avant que Himmler ne soit nommé officier. Il enviait son frère ainé, Gebhard, qui a vu le combat. Il est revenu à la vie civile sans avoir fait l’expérience de la simple violence défensive du soldat. S’il songe et fantasme sur la violence, en écrivant de la poésie, il manque aussi de participer aux actions des corps francs, arrivant trop tard pour le baptême du feu. Pendant l’été 1919, Himmler a décidé de devenir le pionnier du Lebensraum, et de se former à l’agriculture afin de partir coloniser l’Est en tant que guerrier-fermier. « Dans l’Est, nous devrons combattre et coloniser » disait Himmler dans son journal en 1921. Sa démarche s’inscrit dans l’idée de l’expansion vers l’est, une constante préoccupation de la politique allemande. Il a commencé par un apprentissage dans une ferme mais il a attrapé la paratyphoïde que quelques semaines après. C’est la fin de ce projet, mais il va continuer son rêve en s’inscrivant au Techinsche Hochschule à Munich. Une nouvelle occasion de faire l’expérience de la violence se présente lorsque Himmler a été accepté dans une fraternité de duellistes, le Bund Apollo. Cette pratique de duel sans violence excessive représentait une imitation de duel à mort qui ne comportait pas les mêmes risques mais emprunter le prestige de celui-ci. Et à l’époque, duel représentait une affirmation du statut de la noblesse. Ce combat réglementé s’est développé comme une sorte de protestation politique de la noblesse qui ne reconnaît pas à l’état le droit d’intervenir dans les questions d’honneur personnel. Le 17 juin 1922 Himmler a enfin eu son duel et il a prouvé son courage, sans tester sa violence. Après avoir eu son diplôme d’agronome en 1922, Himmler rejoint le groupe paramilitaire de Röhm, le Reichsflagge. Il rejont aussi le parti nazi et suit Röhm dans le Reichskriegsflagge. Lors de coup d’État à Munich, les 8 et 9 novembre 1923, il marche à côté de son frère Gebhard et quatre cents autres Reichskiegsflagge. Röhm sera arrêté. Sans chef et sans travail qu’il a quitté, Himmler trouve l’emploi comme secrétaire de Gauleiter nazi, Gregor Strasser, en juin 1924. Après avoir été relâché en 1924, Hitler a reconstitué le parti nazi. Il créera la SS et Himmler y adhéra. Dès 1925 il était le chef de la SS de Basse-Bavière. En 1926, il s’est installé à Munich pour y gérer le service de propagande du parti nazi. Pour
11 son sens d’organisation et sa loyauté, il est promu le chef adjoint de la SS. Le 6 janvier 1929, Hitler l’a nommé Reichsführer SS. En 1928, il épouse Margarete Concerzowo, infirmière d’origine polonaise. A partir de 1929, les anciens corps francs et d’autres jeunes rebelles affluaient en masse dans la SS. Himmler fera de ces hommes une nouvelle noblesse, une pseudo-espèce, une prétendu race nordique qui recevrait en héritage une supériorité morale et physique. Son devoir serait de conquérir le Lebensraum à l’Est et combattre le bolchévisme. Sous une vision quasi religieuse, d’une race supérieure destinée à coloniser l’Est et protéger l’Ouest des « hordes asiatiques », c’est-à-dire les Juifs et les slaves, l’antisémitisme nazi a été présenté sous une lumière favorable. Malgré cet élitisme, Himmler, acceptera dans la SS tous ceux qu’il pouvait trouver sans être sélectif. Au moment où Hitler devenait chancelier du Reich, le 30 janvier 1933, Himmler se trouvait à la tête de plus de cinquante mille hommes. Plus tard, entre 1933 et 1935, et selon les « principes de sélection de plantes », Himmler choisira ses hommes, « comme un pépiniériste qui essai de reproduire une bonne vielle souche qui a dégénéré et s’est dégradé ».8 Il appelait ça « balayer les matériaux inutiles ». Le discours nazi se résume sur un idéalisme pervers d’un côté et des ambitions territoriales et exterminatrices de l’autre. S’il tournait en ridicule parfois l’élitisme mystique de son Reichsführer, Hitler partageait avec lui le rêve d’un Lebenslaum. « Nous devons coloniser l’Est sans pitié »9, disait-il.
Chapitre VI. Heinrich le loyal II
Pour donner réponse à des troubles qui secouaient l’Allemagne en 1934, Hitler a décidé d’arrêter le pouvoir grandissant de la SA de Röhm en organisant une purge et il a confié cette tache aux SS. Sous prétexte que les SA préparaient un coup d’État, Himmler et Heydrich ont organisé les arrestations et les exécutions des chefs de la SA. Georg Strasser et Ernst Rhöm seront assassinés, parmi d’autres. SS a gagné son indépendance par rapport aux SA. Même s’il n’a pas lui-même tiré, pour Himmler, c’était le jour « le plus dur de toute une vie de soldat », devoir éliminer ses propres camarades. Le 17 juin 1936, Himmler est nommé chef de la police allemande et responsable de toutes les fonctions de police du IIIe Reich. Il réorganisera la police en deux divisions, la police de sécurité (Sicherheitspolizei), dirigée par Heydrich, et la police de l’ordre (Ordnungspolizei), sous les ordres de Daluege.
8 9
Höhne, The Order of the Death’s Head : the Story of Hitler’s SS, 1969, p. 52 Calic, 1971, Unmasked : Two Confidential Inerviews with hitler in 1931, p. 72-81
12 Si pour Himmler l’Est représente la vision mystique d’un nouveau paradis allemands, il représente pour Hitler l’équivalent des empires coloniaux français et britannique. Cette parallèle pendant longtemps négligée par les historiens, explique en grande partie le programme d’extermination de Hitler. La vision européenne de l’humanité à l’époque était la conviction qu’il existe des « races inférieurs » et qu’elles sont naturellement condamnées à la disparition. En 1904, le gouvernement colonial allemand du Sud-ouest africain condamne toute une population, celle des Hereros, à l’extermination par la soif dans le désert. Presque la totalité de ce peuple, environ quatre-vingt mille hommes, femmes et enfants, sont laissés mourir en représailles de leur insurrection. Quelques milliers de survivants sont envoyés dans les camps de concentration et condamnés au travail forcé. Pour Hitler, qui était au courant des massacres des indigènes par les Américains, en lisant les romans de Karl May, les Juifs et les indigènes de l’Est étaient comme des Peaux-Rouges. Des telles conquêtes étaient légitimées par les apologistes de l’impérialisme. Le géographe allemand Fridrich Ratzel, spécialiste de la colonisation, considère que les cultures « inférieures » possèdent des forces internes de destruction que la domination coloniale ne fait que libérer. Pour lui, les Juifs et les Gitans sont les peuples disséminés, sans territoire, et donc condamnés à l’extinction. Selon lui, pour Allemagne, qui a besoin de plus de terre parce que sa population augmente, la seule possibilité réside dans la conquête des territoires en Europe même. C’est Ratzel, dont l’influence était directe sur Hitler, qui a inventé le terme et le concept d’espace vitale dans un livre paru en 1904, qui porte le titre : Der Lebensraum. Dans le programme d’extermination de Hitler, les Juifs arrivaient en tête et étaient considérés comme l’ « ennemi le plus puissant des Aryens » et soumis à une destruction directe. Afin d’intégrer les massacres des civils dan s sa vision mystique de la SS, Himmler inverse la difficulté de cette expérience en vertu, « la fermeté ». Ces épreuves, « horrible et effroyable pour un Allemand » sont cependant caractérisées comme nécessaires : ou l’ennemi serait détruit ou le peuple allemand le serait. Les Juifs donc, qui sont pour Himmler « l’origine de tous ce qui s’oppose à nous »10, devront être anéantis. Depuis la « prophétie » de Hitler de 30 janvier 1939 sur l’extermination de la race juive en Europe, évolue la quête pour trouver une solution finale à la question juive. Expultion des Juifs et la création des colonies allemandes, le plan pour une réserve juive à l’Est de Lublin, le vaste plan de la construction des fosses antichar face à l’Armée rouge, jusqu’à « quelques pensées à propos du traitement des peuples étrangers de l’Est » que Himmler a
10
Padfield, Himmler : Reichführer SS, 1990, p.238
13 soumit à Hitler en mai 1940. Les peuples étrangers devraient être divisés en autant des groupes et sous-groupes possibles, afin de permettre « les éléments qui avaient une valeur raciale ». Ainsi, leur identité serait effacée en quatre ou cinq ans. Les Juifs, eux, devraient être déportés en Afrique, à Madagascar. Les Juifs, évidemment, n’avaient aucune valeur raciale. Pour les autres peuples, une éducation très élémentaire était prévue tandis que les Juifs devraient être « totalement effacés ». Mais en mai 1940, Himmler n’a pas encore le courage d’envisager le massacre de tout un peuple et ce fait est confirmé par ses efforts pour trouver un Endlösung, une solution finale, par la déportation et le travail forcé. En décembre 1940, c’était clair que le plan Madagascar ne marcherait pas. Fin janvier 1941, Eichmann annonce à Himmler qu’il faudrait évacuer les Juifs, dont ceux de Pologne aussi, vers « un territoire qui restait à déterminer ». Début 1941, Himmler a demandé à Victor Brack d’enquêter sur les méthodes de stérilisation de masse par l’utilisation de rayons X. Himmler avait toujours les maux d’estomac depuis qu’il avait quinze ans. En mars et en avril 1941, et donc au moment où Himmler a compris que tous ces plans et disputes autour la solution finale menaient à un programme de plus en plus radical, qu’il vivait ces crises abdominales les plus graves de toute la guerre. Comme le 30 juin 1934, au printemps 1941 Himmler frémissait de nouveau à la pensée de ce que Hitler allait exiger de lui et de ses SS. Il le ferait pourtant et à l’été 1941, les Einsatzgruppen ont fait un premier pas vers les nouveaux objectifs.
Chapitre VII. L’extermination
L’opération Barbarossa a pris Staline par surprise. Le 3 juillet, Stalin s’est adressé à la nation soviétique et a invité la population de résister et de pratiquer la politique de la terre brûlée : il ne faut rien laisser à l’ennemi qui doit être placé dans une situation insupportable dans les zones occupées. Ces ordres de Staline facilitaient la tâche à Hitler : « cela nous permet, disait-il, d’éliminer tous ce qui s’opposent à nous » et cela par « toutes les mesures nécessaires, exécutions, déportations, etc. ». L’ordre de Staline lui donnait le prétexte de massacrer les femmes et les enfants. Les ennemis à l’Est étaient d’abord les Juifs. Le 17 juillet 1941, Hitler a octroyé à Himmler les pouvoirs en matière de police identiques à ceux qu’il exerçait en Allemagne. Himmler a nommé tout de suite Odilo Globocnik son adjoint pour les colonies de Wehrbauern. Globocnik, que Himmler appelait Globus et qu’il aimait bien, était en train de préparer les régions aux environs de Lublin pour y installer des colonies pilotes. Il l’a autorisé Globocnik à crée le camp de concentration
14 Majdanek dans une banlieue du sud de Lublin afin de fournir les colonies en vêtement et en équipement. Pour Himmler, c’était « une importante zone colonisable » dans sa « quête pour le sang allemand ». Le territoire devrait été débarrassé des Juifs et des Polonais avant de coloniser l’Est. Quand est-ce que l’ordre de la solution finale a été donné ? La réponse est : progressivement. Premièrement, c’était l’ordre de priver les territoires occupés de nourriture et de détruire la population soviétique par la famine. Irréalisable, ce plan a été remplacé, à l’automne 1941, par les plans d’éliminer les groupes spécifiques d’individus. Le groupe le plus important était celui de Juifs. L’ordre a été donné de construire Auschwitz et Rudolf Höss a été choisi comme homme capable de « mener à bien une mission si difficile ». Deuxièmement, la décision a été prise d’assassiner aussi les Juifs d’Europe centrale. En juillet 1941, la décision a été prise que l’extermination de la Juiverie russe est une urgence. Les grands moyens ont été mobilisés pour intensifier le programme d’extermination. Himmler a placé les unités de son personnel Kommandistab qui comptaient environ trente-six mille hommes sous les ordres des responsables SS des territoires occupés, Erich von dem BachZelewski et Friedrich Jeckeln. Il fera pareil avec au moins onze bataillons de police de Kurt Daleuge, environ cinq mille cinq cents hommes. Ensuite, le 25 juillet 1941, il a également donné l’ordre de former des unités auxiliaires parmi les Ukrainiens, Estoniens, Lettons, Lituaniens et Biélorusses, plus de trente-trois milles hommes pour renforcer les effectives des Einsatzgruppen. De l’autre côté, fin juillet 1941, Heydrich et Göring préparaient la transplantation des Juifs d’Europe occidentale vers l’Est. Göring a rédigé un ordre afin d’obtenir la collaboration des services des finances, des chemins de fer et autres. Une solution finale ne signifiait que tuer les hommes, mais aussi les femmes et les enfants. L’argument de « vengeance » a été développé afin de justifier cette pratique : tuer les enfants pour les empêcher de se venger plus tard. Les Juifs de Chepetovka, une ville moyenne d’Ukraine occidentale, ont été assassinés selon ce nouvel ordre. A cette occasion, Friedrich Jeckeln, qui s’est mis à commander personnellement les exécutions en masse, a inventé une nouvelle méthode d’exécution : Sardinenpackung. Les victimes étaient obligées de s’allonger sur les corps des gens déjà exécutés, couche par couche, afin de remplir plus efficacement la fosse. Ces méthodes épouvantables utilisées contredisent les déclarations des SS d’après la guerre selon lesquelles les exécutions étaient « correctes » et selon les règles militaires. Entre 27 juillet et le 11 août 1941, deux régiments de la brigade de cavalerie de la SS ont exécuté l’ordre de Himmler de « nettoyer » le marais de Polésie. Ils vont tuer tous les Juifs, hommes, femmes et enfants de la région. Dans le rapport de Standartenführer Hermann Fegelein, le commandant de la cavalerie, a été résumée ainsi : la mission d’ « imposer une paix définitive
15 dans la région a été menée à bien ». Ses unités ont exécuté 1000 résistants, 699 soldats de l’Armée rouge et 14 178 pilleurs, euphémisme utilisé pour désigner les Juifs. A l’est, la réalisation de la « solution finale » pouvait commencer.
Deuxième partie : Les sept cercles de l’enfer
Chapitre VIII. Le Sale travail
Afin d’obéir à l’ordre de Hitler, Himmler devait éliminer 2 500 000 Juifs de l’Est. A Riga, Viktors Arajs, un Letton de trente et un an, dirigeait un Sonderkommando auxiliaire d’environ trois cents Lettons. Pendant l’été et l’automne 1941, ses soldats fusillaient les Juifs deux fois par semaine dans le fôret de Bikernieki, à six kilomètres de Riga. Les bus bleus qu’ils utilisaient, contenant environ quarante hommes et leurs fusils, parcouraient la campagne dans tous les coins de Lettonie. Ils ont assassiné plus de vingt-trois mille Juifs de province. Le 5 août 1941, à Tykocin, petite ville au nord-ouest de Varsovie, les bataillons 309 et 316 de la police ont tué deux mille Juifs, hommes, femmes et enfants, dans la fôret du village de Lopuchowo, à trois kilomètres vers le sud-ouest. A Daugavpils, l’Obersturmführer Joachim Hamann, de l’Einsatzkommando 3, assassinera plus de neuf mille Juifs en mois d’août 1941. Les auxiliaires Lettons et la police de Daugavpils se sont montrés à la hauteur de la tâche. La Wehrmacht avançait le plus rapidement en Ukraine. L’Armée rouge a subi de lourdes pertes. Il y avait partout de dizaines de milliers de morts russes, tués lors des contrattaques suicidaires de l’infanterie. A la fin du mois de juillet 1941, le Sonderkommando 4a de Paul Blobel avait abattu plusieurs centaines de juifs dans et autour de Jytomyr. A l’état majeur de docteur Rasch à Jytomyr, les chefs du commando ont été informés par Obergruppenführer Jeckeln, que Reichführer SS demande de prendre des mesures strictes contre les Juifs. Certains commandos, dont le Sonderkommando 4b de Günther Herrmann, a été jugés trop modérés : il fallait tuer plus de Juifs.
16 Ils se motteront vite au travail. A Rokiškis, une ville du nord de Lituanie, Obersturmfüher Joachim Hamann, aidé des auxiliaires lituaniens, exécuteront 3 207 Juifs. Dans son rapport, le Standartenführer SS Karl Jäger, le commandant de Hamann, n’éprouvait le besoin de justifier ces exécutions par les actes de résistance. C’était aussi la première fois qu’un rapport mentionne distinctement les enfants parmi les victimes. Deux jours plus tard, à Kaunas, sous prétexte d’un travail dans l’hôtel de ville de Kaunas, entre 500 et 700 intellectuels juifs seront emmenés du ghetto et assassinés le 18 août 1941. Encore mille Juifs, hommes et femmes, seront exécutés le même jour au fort n° 4. Les massacres s’amplifiaient. Le 22 août, un hôpital psychiatrique à Daugavpils est « nettoyé » : 544 hommes, femmes et enfants. Presque la moitié d’enfants assassinés étaient normaux, ayant été transférés d’un foyer pour enfants. Les rapports de Jäger font état, jusqu’à la fin de mois d’août, de près de vingt-cinq mille personnes assassinés dans la région, en un mois, par le même commando, avec l’aide de l’auxiliaires locaux. Vers la fin du mois d’août, à Kamenets-Podolsk, une ville dans le sud-oeust de l’Ukraine, un massacre d’un ampleur encore jamais atteint a été commis par les SS de Jackeln. En trois jours, 23 600 Juifs ont été fusillés. Parmi eux, 16 000 Juifs réfugies que le gouvernement hongrois venait d’expulser au-delà de la frontière. A Belaja Cerkov, une petite ville à quatre-vingts kilomètres au sud de Kiev, une partie de Sonderkommando 4a de Blobel, dirigé par Obersturmführer August Hâfner, exterminait la population juives pendant la seconde moitie du mois d’août. Häfner ne tuait pas encore des enfants, et il faisait les conduire dans une maison aux abords de la ville. Les enfants étaient enfermés sans eau ni la nourriture et souffraient de la chaleur. Le 19 août, un groupe d’enfants ont été exécutés par les auxiliaires ukrainiens. Quatre-vingt-dix autres enfants, jusqu’à l’âge de sept ans sont resté dans la maison sans personne pour s’occuper d’eux. Après plusieurs rapports sur les conditions atroces dans lesquelles souffraient les enfants, d’abord par les aumôniers de la Wehrmacht et ensuite par le lieutenant-colonel Groscurth, un officier de l’état-major de la 295e division d’infanterie, général d’armée von Reichnau a rejeté leurs objections et a confirmé les ordres que les SS ont reçues pour tuer ces enfants. Inquiétés pour l’aptitude de leurs propres soldats pour ce travail, Blobel et Häfner ont décidé alors que ce seront les auxiliaires ukrainiens qui s’occuperont de cette mission pénible.
17 Chapitre IX. « Tous les Juifs, de tous âges »
A l’Estonie, Lettonie, Lituanie et Biélorussie, l’administration civile a été dirigée par le Reichkommissar d’Ostland, Heinrich Lohse, un nazi fanatique. Pour les Juifs, il a conçu un programme sur le modèle nazi de Pologne : les ghettos et le travail forcé. Mais les Juifs n’étaient nullement protégés. Début septembre, la construction d’un ghetto a été prévue à Vilnius. Afin de réduire la population du vieux quartier juif qui a été choisi comme l’emplacement du futur ghetto, Lohse a organisé ce qu’on appelait « la grande provocation ». Après avoir mis en scène une fausse fusillade sur les soldats allemands, trois mille sept cents Juifs ont été tués à Ponary en représailles. L’opération de déplacement des Juifs dans le ghetto a été terminée dimanche soir, le 7 septembre 1941. Le 8 septembre, après avoir expédié les médecins, les ingénieurs et les travailleurs qualifiés de la prison de Lukiszki, ceux qui y sont resté, et parmi eux les femmes et les enfants, ont péri à Ponary, 3 334 personnes. Cinq jours après, un nouveau massacre aura lieu, cette fois 1 271 personnes ont été assassinées. La région de Jytomyr et Vinnytsia, en Ukraine occidentale, devait être rendue Judenfrei, en vue de l’installation du qaurtier général de Himmler à Jytomyr et d’un bunker avancé de Hitler, Werwolf, au nord de Vinnytsia. Les massacres ravageront la région pendant tout le mois de septembre 1941. A Berditchev, à vingt-cinq kilomètres de Jytomyr, la moitié de la population était juive. D’abord, le 4 septembre 1941, sous prétexte d’aller travailler dans les champs, mile cinq cents jeunes gens sont tués. Le massacre a été sans doute organisé par Jeckeln à l’honneur de Kurt Daleuge, qui venait d’arriver par avion le voir. Dix jours plus tard, avec l’aide du maire de Berditchev et le chef de police, Reder et Koroliuk, douze mille personnes seront assassinées aux alentours de l’aéroport, en dehors de la ville. A Ouman, le berceau du mouvement hassidique, le 16 septembre 1941, vingt-quatre mille hommes, femmes et enfants sont assassinés sur la place en face de l’aéroport en représailles de six officiers allemands assassinés dans la forêt de Vinnytsia. Le Sonderkommando 4a de Blobel se trouvait à Jytomyr. Le 18 septembre la liquidation totale de façon radicale de tous les Juifs de Jytomyr a été décidée. Pendant la nuit, le secteur où les Juif de Jytomyr étaient entassés a été encerclé : douze camions ont transporté les victimes, 5 145 hommes, femmes et enfants, sur le lieu du massacre, où ils seront déshabillés et tués. A Vinnytsia, centre administrative d’une vaste région, dont la population de soixante-dix mille habitants tait la moitié juive, déjà en septembre 1941, quelque deux mille quatre cents personnes ont été tuées dans une briqueterie à quarante kilomètres de la ville. Le 22 septembre, un massacre de grand ampleur a réduit la population juive de moitié. Peu de traces existent de ce carnage : le nombre de
18 victimes est estimé à environ dix mille par Faîna Vinokurova, historienne ukrainienne. Il y avait d’autres tueries dans la région : à Kikorino, dans la région de Mykolaïv, à Radomychl, à Kachovka, à Lahoysk, le petit ghetto de Nevel, à Janovichi, au ghetto de Minsk. En mois de septembre, le nombre total de victimes en Ukraine et d’environ quarante-deux mille personnes. En Lituanie, onze régions sont rapportées Judenfrei.
Chapitre X. « Les Seigneurs de la vie et de la mort »
Himmler a assisté en personne à une exécution en masse, organisée pour lui le 15 août à Minsk, lorsqu’une centaine de prisonniers ont été tués. Himmler a été secoué par ces meurtres et visiblement touché. Après l’exécution, il a donné un discours, au cours duquel il a souligné qu’on devait obéir et faire son devoir, que c’était une nécessité, bien qu’il était luimême conscient que tirer sur des victimes désarmées devrait être profondément répugnant à un soldat allemand. Himmler ne pouvait pas oublier le spectacle de la mort et il a chargé Nebe de chercher un moyen plus « humain » de tuer. Ils vont essayer de trouver une façon plus impersonnelle, qui épargnerait leurs hommes d’éventuel choc psychologique. Nebe, qui avait une expérience préalable avec T4, programme de gazage des gens handicapés, avec six centres de gazage en Allemagne et Autriche et deux fours crématoires pour détruire les corps, a poursuit les expériences à Moguilev. Etant donné que l’oxyde de carbone coutait cher, il a décide d’utiliser les gaz d’échappement d’un moteur automobile. En septembre 1941, Walter Rauff a té chargé d’étudier la possibilité de transformer un camion clos en chambre à gaz mobile. Chambres à gaz et les crématoires n’était pas un moyen plus efficace que les armes à feu et la famine, les principaux moyens de meurtre. Ils ont devenu les symboles de l’Holocauste mais ils n’étaient qu’un moyen dont l’apport principal était de rendre la tâche des exécuteurs moins pénible. Les armes à feu ont continué d’être utilisées jusqu’à la fin de la guerre et elles ont fait beaucoup plus de victimes si on compte les Slaves en plus de Juifs. Comment les bourreaux ont-ils étaient choisis, avaient-ils une expérience préalable de la violence ? Selon les recherches de Mann, dans 90% des cas les hommes étaient des nazis de longue date, des extrémistes, des fonctionnaires de la violence (police, armée). Dans les Einsatzgruppen, une majorité était membres du parti nazi ou de la SS, nazi et policiers, nazi et ayant servi dans un camp de concentration. Les bataillons de police de Daleuge comportaient eux aussi une grande proportion d’hommes au passé violent. Les hommes étaient instruits d’obéir aux ordres, même aux plus insensés. Cet endoctrinement les préparait à vaincre toutes les peurs qu’ils pouvaient ressentir. Au front de l’Est, loin de l’opinion publique allemande et
19 hors de contrainte de moralité, ils tuaient les hommes différents d’eux par leur culture, par leur langue. Malgré les préparations, bien les hommes éprouvaient des difficultés à commettre es massacres. Devant cette tâche pénible, ils réagissaient différemment : ils s’effondraient ou ils prenaient le plaisir à tuer. Les défaillances étaient tolérées plus facilement que les excès de violence. Le soldat devait « comprendre » la nécessité historique de massacre des Juifs et obéir aux ordres, mais devait également s’abstenir de tuer sans ordre, de façon spontanée, délibérée, parce qu’il avait envie de tuer. Dans le premier cas il était un bon soldat et nazi ; dans le deuxième, il représentait un danger pour sa communauté. Avec l’ordre de tuer les femmes et les enfants aussi, les formations d’auxiliaires locaux étaient crées, afin de soulager les Allemands de plus de sale travail. Les opérations de gazage étaient mises au point pour le même raison. Himmler était préoccupé par la question de savoir comment faire un génocide et rester « civilisé » ? Son idéal ne sera atteint : les hommes ont été corrompus par les crimes. Ils étaient même très heureux de prendre part dans les tueries : ils avaient une haine féroce des Juifs. Ila accomplissaient l’extermination par idéal, « sans schnaps ». Ils ont devenu des redoutables seigneurs de la vie et de la mort.
Chapitre XI. Babi Yar
La Wehrmacht, après avoir détruit les faubourgs, a pris la ville même de Kiev presque intacte, le 19 septembre 1941. Pour les explosions qui se sont déclenchées dans les jours qui suivront, Blobel a accusé les Juifs. Sous ce prétexte, l’exécution de 50 000 Juifs a été décidée. Tous les juifs de Kiev ont été appelés à se présenter le 29 septembre. Ils croyaient partir à la déportation. Mais le Sonderkommando 4a, deux commandos du régiment Sud de police et la milice ukrainienne les attendaient, sachant la vraie raison de ce rassemblement : leur exécution était prévue dans le ravin de Babi Yar, toute de suite derrière le cimetière juif. Par les corridors étroits de soldats, les gens étaient emmener à déposer leur papiers d’identité et de se déshabiller. Les coups pleuvaient de tous les côtés, les soldats hurlaient. Les gens étaient nus, couverts de sang. Ils criaient et pleuraient. Les gens étaient tués selon le sinistre principe de Sardinenpackung. Ils recevaient chacun une balle dans le cou. On tuaient ensemble les hommes, femmes et les enfants. La tuerie durait pendant deux jours. Le rapport de l’Einsatzgruppe du 2 octobre 1941, résumait l’action sans se soucier de la justifier comme une mesure de représailles : « le Sonderkomando 4a, avec la collaboration de l’état-major du groupe et de deux commandos du régiment Sud de police, a exécuté 33 771 Juifs à Kiev,les 29 et 30 septembre 1941 ». Les exécutions vont continuer tous les mardis et vendredis l’année
20 suivante. A l’Institut de pathologie de Kiev, un médecin allemand, Wilhelm Gustav Shüppe avec son commando d’une dizaine de médecins et de dix SS habillés comme médecins, tueront pendant six mois plus de cent mille personnes, handicapés, Juifs, gitans et les Turkmènes en utilisant des injections mortelles. Les corps étaient probablement jetés dans Babi Yar, ainsi devenu la plus grande charnière de la SS.
Chapitre XII. « Un meurtre pur et simple »
Alors qu’en octobre 1941 l’armée allemande était coincée dans la boue en sa route vers Moscou, Hitler pensait que la guerre serait bientôt finie, et dans la pleine euphorie la solution finale était à son ordre du jour. A Auschwitz, Höss expérimente avec Zyklon, et un camp destiné au meurtre de masse était prévu à Belzec. Un grand camp près de Riga devrait également être construit pour contenir les Juifs occidentaux. Une autre destination temporaire était Lodz, en Pologne centrale. Les trains partaient de partout en Allemagne et les personnes ainsi déportées perdaient leur nationalité allemande. La liquidation s’accélérait. Même les Juifs épargnés qui participaient dans l’économie de la guerre étaient maintenait destinés à l’extermination. La question juive avait la priorité absolue sur tout autre sujet, même si par exemple les « déportations de Juifs » gênaient le trafic ferroviaire militaire. Untersturmfüher SS Max Täubner était un antisémite juré, et en tant que simple commandant de Werkstattzug, une unité-atelier, qui a résolu de prendre l’initiative de « se débarrasser » de vingt mille Juifs. Le 17 septembre 1941 à Novograd-Volynskiy, son unité exécutera sauvagement 319 Juifs qui étaient enfermés dans une prison proche, hommes, femmes et enfants. Un mois plus tard, l’unité de Täubner rend Sholokhovo, un village à l’est de Jytomyr, Judenfrei en tuant 191 habitants juifs. Du 22 octobre à 12 novembre 1941, son unité est restée bloquée en raison du mauvais temps à Alexandria, au sud de Kiev. Pendant ce temps-là, les hommes de Tûbner s’amusaient à maltraiter les rares Juifs réquisitionnés pour travailler. Enfin il les a rassemblés et exécutés de façon particulièrement cruelle. Tübner sera jugé par une cour SS en 1941, pas pour avoir tué les Juifs, mais pour avoir utilisé « les méthodes bolchéviques » dans ces exécutions. Il sera pourtant vite pardonné. Neuf mille Juifs de Marioupol ont été enregistrés dès le 10 octobre 1941, après aue la Wehrmacht a pris la ville sans combat. Après pillages, le 18 octobre 1941, on a annoncé aux Juifs qu’ils seront déportés. Le témoignage bouleversant de Sarra Gleykh, une survivante d’Holocauste, nous apprend que le 20 octobre, après avoir attendu deux jours dans une ferme
21 collective proche, les Juifs de Marioupol seront tous massacrés. Sarra a survécu à la tuerie et fi novembre 1941 a pu traverser les lignes russes et se retrouver en sécurité. En octobre 1941, à Odessa, en représailles contre l’action des résistants russes, des milliers de Juifs ont été exécutés. Il y avait de potences partout dans la vile, Odessa a devenu la ville de pendus. A Dnipropetrovsk, un tiers de la population juive est assassiné le 13 octobre 1941. A la mi-octobre 1941, la petite population juive d’Estonie est réduite à six cents femmes et enfants. Tous les villages d’Estonie étaient Judenfrei. Dès octobre 1941, il n’y avait plus de « travail » pour le commando Arajs en Lettonie : plus de trente mille juifs assassinés, les petites villes déjà Judenfrei, et les Juifs de Riga, Daugavpils et Liepaja conduits dans les ghettos. A Kaunas, dans le quartier de Slobodka, il y avait deux ghettos, grand avec environ 27 500 personnes et un petit dans lequel étaient enfermés 2 500 autres personnes. Le petit ghetto sera liquidé le matin du 4 octobre 1941 : les gens sont chassés de leurs maisons, sélectionnés, et ensuite conduits vers le fort n° 9 pour être exécuter. Les infirmières et les enfants de l’orphelinat ont été envoyés aussi. 315 juifs, 1 107 Juives et 496 enfants juifs, c’est le bilan du rapport de Jäger. Le même matin, soixante-sept patients, médecins et infirmières seront brulés vifs lorsque l’hôpital a été incendié. En outre, en face de l’hôpital, les Allemands ont fait les Juifs creuser une fosse dans laquelle ils ont jeté les vieillards, les malades et les enfants et les y ont fusillés. A la fin du mis, le 28 octobre, est arrivé une autre « journée noire ». Une sélection sera faite sur tous les Juifs du ghetto par Hauptscharführer SS Helmut Rauca : elle durera toute la journée, et il faisait nuit quand elle était terminée. Une dizaine de milliers de personnes seront installées dans le petit ghetto où elles passeront la nuit. Le lendemain, elles seront transférées au fort n° 9 pour y être assassinées. Les autres retourneront chez-eux. Un tiers de la population du ghetto a été amputé. Les malades restés chez-eux ont été eux aussi transportés au fort n° 9 pendant cette journée terrible. 2 207 Juifs, 2 920 Juives et 4 273 enfants juifs sont assassinés ce 29 octobre 1941 pour la raison de « suppression du surplus de Juifs du ghetto ». Un meurtre pur et simple.
Chapitre XIII. Rumbula
Afin de pouvoir loger les Juifs d’Europe expédiés vers l’est et le personnel allemand des administrations SS et civiles, il fallait accélérer les massacres. A Slonim, une ville de Biélorussie centrale, le commissaire Gerhard Erren a fait exécuter, le 13 novembre 1941, au moins neuf mille, voire dix-huit mille Juifs, en épargnant « tous les artisans et ouvriers
22 qualifiés. Selon Erren, la situation du logement s’est « améliorée » après le massacre. Il avait déjà prévu une nouvelle sélection en vue d’extermination au début de l’année suivante. Au cours du massacre, les fouilles brutales des cavités corporelles ont été effectuées, ce qui n’était une pratique habituelle des Einsatzgruppen. Erren organisait également les fêtes après les massacres où il ventait les mérites de ses hommes qui s’étaient distingués. A peu près au même moment à Konin, une ville de Pologne occidentale, une nouvelle pratique sadique de meurtre a été appliquée. Déjà en octobre 1941, rois mille Juifs de Konin ont été assassinés dans des charniers de la forêt de Kazimierz, près de Konin. Mi-novembre 1941, huit mille Juifs ont été tués à Konin d’une façon particulièrement brutale. Les Juifs, hommes, femmes et enfants, étaient forcés de descendre nus dans une fosse creusée dans la forêt. Au fond de la fosse se trouvait déjà une couche de chaux. Dès que la fosse était pleine des gens qui se tenaient debout, les Allemands ont commencé d’arroser la fosse avec de l’eau, ce qui a provoqué la réaction chimique avec la chaux vive. Les victimes ont été chimiquement brûlées à mort et en partie dissoutes. Mieczyslav Sekiewicz, un vétérinaire polonais, témoin du massacre de mi-novembre à Konin, a raconté également qu’il a vu aussi des massacres par l’utilisation de camions e gaz en Pologne occidentale. A Minsk, pour le vingt-quatrième anniversaire de la révolution d’Octobre, les 6 et 7 octobre 1941, le Sonderkommando 1b de Ehringler a organisé un spectacle macabre. Il a fait pendu une centaine de Russes et de Biélorusses dans tout Minsk. Les Juifs de Minsk, douze mille d’hommes, femmes et enfants, ont été forcés de simuler une parade de célébration de l’anniversaire. Ils ont reçu les drapeaux et les banderoles, et le spectacle a été filmé par de grosses caméras de cinéma. Les Juifs ont été ensuite conduits dans les anciens dépôts de NKVD où ils passeront trois jours suivants en mourant des privations dans cette prison surpeuplée, avant d’être emmenés sur le lieu de leur exécution et tous abattus. Le but de cette action était de faire place pour les Juifs qui venaient d’Allemagne. L’action était répétée le 20 novembre 1941, afin de libérer davantage de place. Il y avait encore d’autres massacres. A Rivne, en Ukraine occidentale, 15 000 Juifs. A Kiev, 10 650 Juifs, quelques victimes de plus pour Babi Yar. En Lettonie, à Riga, Himmler a décidé de résoudre le problème des Juifs Letton en assignant la tâche de leur extermination à Jeckeln, tueur efficace de Kamenets-Podolsk et Babi Yar. Après s’avoir installé dans les quartiers de Prützmann, Jeckeln s’es mis au travail. Fort d’une expérience en Ukraine, Jeckeln a su organiser le massacre des Juifs à Rumbula, une petite gare desservie par les trains locaux à une dizaine de kilomètres au sud-est de Riga, avec une logistique parfaitement organisé. Il a préparé le site, prévu le personnel et les
23 moyens de transport nécessaires. Dix ou douze hommes pour les exécutions proprement dites, mille sept cents hommes pour contrôler tous le parcours, Allemands mais aussi Lettons, vingtcinq camions et des bus pour transporter le personnel, les jeunes enfants et les vieillards ainsi que les automobiles et les motos pour transporter les dignitaires et le peloton d’exécution. Il était prévu que les victimes fassent la dizaine de kilomètres jusqu’à Rumbula à pied. Dans le ghetto, une sélection de quatre mille hommes sains de corps entre seize et soixante ans a été effectuée. Cinq cents couturières et femmes qualifiées en couture ont été également séparées du reste de la population. Les autres se préparaient pour être déplacés. Le 29 novembre au soir, un tain en provenance de Berlin, transportant un millier d’hommes, de femmes et d’enfants juifs, est arrivé à Riga et est resté sur une voie toute la nuit, à cinq kilomètres de Rumbula. A six heurs du matin le 30 novembre 1941, les colonnes sont parties du ghetto. A huit heurs et quart, mille Juifs du train berlinois étaient déjà morts, premières victimes de Rumbula. Beaucoup sont morts sur le chemin, de l’épuisement ou sous les coups de grades brutaux. Le système utilisé était le même qu’à Babi Yar. Les couloirs de gardes, récupération des bagages, des objets de valeur, le déshabillement. Ensuite, le macabre Sardinenpackung, avec une balle dans la nuque pour chaque malheureuse victime. Treize mille Juifs de Riga ont été tués ce jour-là Rumbula, mille encore avec le train de Juifs de Berlin. L’opération a été répétée le 8 décembre 1941. Une semaine qui s’est écoulée entre deux massacres s’explique par une dispute entre Jeckeln et Himmler au sujet des Juifs de Berlin, dont l’exécution n’était pas autorisée par Himmler. Lors de la deuxième opération, dix mille juifs de Riga qui restaient ont été assassinés.
Chapitre XIV. Du sang-froid
Fin 1941 et début 1942, les rapports des Einsatzgruppen et de leurs commandos, font état du travail accompli. Début février 1942, Jäger dénombre 138 272 victimes dans son rapport de l’Einsatzkommando 3 : 48 252 hommes, 55 556 femmes et 34 464 enfants. Hormis 34 500 travailleurs juifs et leurs familles à Silauiai, Kaunas et à Vilnius, il n’y avait plus de Juifs en Lituanie. Dans un autre rapport, Stahlecker, commandant de l’Einsatzgruppe A, a conclus que sa mission était largement terminée dans les pays de Baltique et en Biélorussie. Englobant les chiffres de Jâger, il a donné un total de 229 052 Juifs tués pour la Lettonie et la Lituanie. Pour la liquidation d’environ 128 000 Juifs en Biélorussie, quelques problèmes se posaient : les besoins en travailleurs juifs, sol gelé, pénurie de carburant et de moyens de transport. L’hiver russe immobilisait aussi la Wehrmacht. Les hommes souffraient, les
24 voitures ne voulaient plus démarrer. Mais les assassins de Hitler, acharnés, trouvaient d’autres solutions. A Liepaja, sur la côte occidentale de Baltique en Lettonie, pendant trois jours à la mi-décembre 1941, ils ont organisé le massacre qui a éliminé la moitié de la population juive de la ville, en creusant les fosses dans les dunes de la plage de Skede, à seize kilomètres au nord de la ville. De la même façon « inventive », les SS ont assassiné 227 juifs qui travaillaient et vivaient dans le village le plus proche du site de construction du bunker Werwolf de Hitler, à Vinnytsia, en Ukraine, en janvier 1942. Ils les ont tués en les alignant contre un mur de la prison locale du NKVD et en faisant sauter le mur à la dynamite. Même si beaucoup d’homes des Einsatzgruppen ont développé fin 1941 des personnalités maléfiques et prenaient le plaisir à tuer, tous les tueurs ne s’étaient pas adaptés à la violence cependant. Cela ne représente pas en aucun cas une excuse pour leurs actes, mais les réactions très variées des bourreaux confirmaient le théorie de Lonnie Athens et le fait que l’idéologie n’était pas suffisante à la développement de la violence. Dans les lettres à sa femme, par exemple, l’Obersturmführer SS Karl Kretschmer, montre son approbation de la politique antisémite du IIIe Reich. Néanmoins, dans ces lignes on lit un processus difficile d’adaptation à ses massacres quotidiens. Troubles de sommeil au début, souci de na ne pas tuer « de façon excessive », il évoquait des « pensées idiotes » au sujet de ses actes qu’il interprétait comme la faiblesse de ne pouvoir supporter la vue des morts. « Le meilleur moyen de surmonter cela est de le faire plus souvent. Cela devient alors l’habitude », a-t-il conclu. Il justifiait les meurtres par la nécessité de protéger le peuple allemand et ainsi a-t-il estompé la différence entre violence défensive et violence offensive, et il interprétait son travail en tant que la protection de sa famille. Erich Naumann, le commandant de l’Einsatzgruppe B en Biélorussie à partir de novembre 1941, pendant son témoignage au procès de Nuremberg, justifiait ses actes par le fait que les ordres venaient du chef suprême d’État et qu’il devait obéir. Il ne se sentait en aucun cas coupable puisqu’il obéissait aux ordres. Mes les massacres répétés ont fait que certains tueurs trouvaient désormais difficile de les justifier. Alfred Filbert, commandant de l’Einsatzkommando 9, de juin à octobre 1941, a souffert d’un « effondrement nerveux ». Filbert est passé la phase de brutalisation dans son enfance et était totalement socialisé parla violence. Il s’est montré exécuteur zélé et féroce des politiques de Fûhrer, sans pitié pour ceux qui éprouvaient de la considération pour les victimes juives. Mais il a fini par ne plus supporter le carnage que Himmler exigeait et il a fait une dépression nerveuse. Nebe, Bach-Zelewski, et même Jäger, faisaient partie de ceux qui se sont effondrés. Nebe, ancien officier de police disait : « Je me suis occupé de tant de criminels et j’en suis devenu un moi-même, maintenant ». En février 1942, Bach-Zelewski se soignait des
25 hémorroïdes en Allemagne, lorsque son docteur a conclu qu’il souffrait « d’épuisement général et nerveux, en particulier ». Mais pour Himmler, tout ce qui comptait était les ordres, et son travail consistait en transformer le « souhait du Führer » en réalité monstrueuse qui était l’Holocauste. Enfin, les troubles psychiques n’excusaient en rien les crimes et en outre montraient que les criminels savaient que ce qu’ils faisaient était inhumain malgré les ordres venant de haut.
Chapitre XV. La Solution finale
En octobre 1941, après avoir été assuré que les Japonais resteraient neutres dans la guerre germano-soviétique, Staline a transféré la totalité de son armée extrême-orientale vers l’ouest, jusqu’au front de Moscou. Le contre-attaque russe a commencé dans la nuit du 4 au 5 décembre 1941. En Pacifique, les Japonais ont lancé une attaque aérienne au Pearl Harbor, dans la matinée du 7 décembre 1941, en infligeant des lourdes pertes à la flotte américaine. Le 11 décembre 1941, Hitler a déclaré la guerre aux Etats-Unis. Cette guerre, maintenant mondiale, allait être le déclencheur de sa prophétie de Reichstag, du 30 janvier 1939 : une guerre mondiale signifierait l’extermination de la race juive en Europe. La question que faire des Juifs en Europe et en Allemagne a été la question principale de plusieurs conférences et réunions organisés en décembre 1941. D’abord le 12 décembre 9141 dans la résidence de la chancellerie de Führer, Hitler a annoncé qu’il était déterminé à faire « le grand nettoyage ». Ensuite les 13 et 14 décembre 1941, Hitler a rencontré Bouhler, Rosenberg et Himmler. Le 18 décembre 1941, à Wolfshanze, la « question juive » était le premier sujet à l’ordre du jour dans le rencontre entre Hitler et Himmler. L’ordre qui suivait : exterminer les Juifs de l’Europe « comme résistants ». Le fantasme et la paranoïa de Hitler voyait les Juifs comme opposants, des saboteurs et espions, des résistants sur son propre terrain. Pour discuter « la solution finale à la question juive », Heydrich a convoqué une conférence qui a eu lieu le 20 décembre 1941, sur le Wannsse, un lac à l’extérieur de Berlin. Les fameux procès verbaux de la conférence montraient un tableau, préparé par les statisticiens de la SS, indiquant un total de « plus de onze millions » pour la population juive de l’Ouest et de l’Est, avec pour certains pays, non les chiffres d’origine mais celles des Einsatzgruppen. Encore onze millions Juifs à tuer. Mais pourquoi autant ? C’était l’expression démesurée des ambitions des nazis, avec des millions de Juifs encore hors de porté des SS, en Angleterre, en Suisse, en Espagne ou encore en Turquie et le reste de l’Union Soviétique.
26 Heydrich était soulagé : les grandes lignes de la mise en œuvre de la solution finale ont été désignées. A Belzec, Sobibor et Treblinka, cet hiver 1941-1942, on construisait les camps pour y exterminer les Juifs polonais et faire place nette pour que Himmler puisse élargir son programme de colonisation à l’Est, dont il a chargé Globocnik l’été précédent. En février 1942, Himmler s’occupait de résoudre des problèmes logistiques complexes posés par la germanisation des territoires occupés ainsi que de prévoir la sélection et les déportations de masse des peuples inaptes à la germanisation. En 27 avril 1942, Himmler a publié son plan directeur pour l’Est, le plan Ost. Dans ce plan, le meurtre systématique des Juifs d’Europe et de l’Union soviétique n’était que l’ouverture d’un vaste projet de mise en esclavage, meurtre de masse et colonisation. Après l’ordre de Hitler de commencé la deuxième phase de la solution finale, en décembre 1941, on a commencé à déporter et massacrer les Juifs occidentaux en nombre toujours plus grand.
Chapitre XVI. Judenfrei
Pendant que se décidait la solution finale, fin 1941 et début 1942, les Roumains assassinaient les Juifs sur leur territoire, à la préfecture de Golta, où trois camps rudimentaires ont été créés. A Bogdanovca, le camp le plus grand, entre quatre et cinq mille malades sont brûlés dans des étables. Environ quarante-trois mille on été ensuite abattus dans les bois. En janvier et février 1942, encore environ dix-huit mille Juifs on été tués dans le camp le plus petit. En janvier 1942 également, quelque deux millions de prisonniers de guerre russes étaient déjà morts. Le gazage des trains en provenance de Pologne, d’Allemagne, de Grèce et du PaysBas a commencé à la fin du mois de janvier 1942. A cette époque-là Himmler a mis des camions à gaz à la disposition des Einsatzgruppen. Pourtant, ces camions n’étaient pas volontairement utilisés par les Einsatzgruppen dont les soldats supportaient nerveusement mal le déchargement et l’enterrement des cadavres. Ils préféraient les installations fixes, où ils pouvaient superviser les exécutions de loin. En janvier 1942, les déportations de Juifs du Reich ont été repoussées en raison de la priorité des ravitaillements de la Wehrmacht. Mais les massacres ont continué à l’Est. Une action contre le ghetto du Minsk était prévue pour les 2 et 3 mars 1942, les jours de Pourim, par l’Einsatzkommando 1b d’Obersturmbannführer SS Edouard Strauch. L’assassinat de cinq mille Juifs étaient ordonné. En empêchant les Juifs qui travaillaient pour lui de rentrer dans le ghetto la veille de l’action, Gauleiter Wilhelm Kube a
27 provoqué la colère de Strauch. En raison d’absence de cinq mille Juifs qui devaient se présenter, les Allemands ont pris les victimes par force et ont commis un massacre auquel ont assisté aussi Kube accompagné d’Eichmann. Ce soir-là, Strauch a fait arrêter aussi les Juifs qui rentraient du travail. Le massacre a fait 3 412 victimes. Dès le début 1942, après avoir chassé les Juifs qui se cachaient dans les campagnes fouillant les ghettos, les Einsatzgruppen se sont consacré essentiellement à la lutte contre la résistance soviétique en menant des opérations d’envergure, avec les unités de la Wehrmacht, Wafen SS et ls unités spéciales telles que le Sonderkommando Dirlewanger, commandé par Oskar Dirlewanger, ancien braconnier, condamné aussi en 1934 pour une affaire de pédophilie. Cette unité constituée des criminels, au sein de laquelle régnait une discipline de fer, était une création personnelle de Hitler et Himmler. Dirlewanger et ses hommes étaient d’abord chargés de garder le ghetto de Lublin et de traquer les résistants polonais. Les méthodes de Dirlewanger étaient si brutales que même Globocnik préférait éloigner l’unité de son territoire et il a fait transférer l’unité combattre la résistance en Biélorussie en février 1942. Là-bas, la mission principale du commando était de seconder les Einsatzgruppen dans leurs actions contre les Juifs en Biélorussie. En avril 1942, ce qui restait des Juifs de Vinnytsia a été rassemblé dans le stade de la ville pour une sélection. Les gens qui possédaient les permis de travail ont été retournés dans les usines. Les autres, les vieillards, les femmes et les enfants ont été tués dans une crèche au nord de la ville, les adultes dans une grande fosse et les enfants dans une autre, plus petite. La question se pose de savoir pourquoi les Juifs n’ont jamais résisté aux massacres ? Une des réponses pourrait être que devant les charniers, entourés des soldats armés, nus, sans savoir se servir des armes, les gens étaient paralysés et incapables de résister. D’autres réponses mettent en lumière un fait évident : les Juifs, étant toujours plus civilisés que leur entourage, réglaient les conflits de façon civilisée et étaient la plupart des individus non violents. Cette tradition non violente des Juifs était selon Hilberg une faiblesse. Historiquement, c’était une force. Dans les ghettos pourtant, les exemples d’opposition étaient rares, limités et très tardifs, toujours des actions du dernier recours. Mais la domination allemande par la violence a préparé peu à peu la population Juifs à une résistance et ils ont organisés les révoltes et se sont enfuis dans les forêts pour combattre. L’extermination des Juifs polonais a commencé, à un rythme quotidien, à Belzec, le 17 mars 1941. Les Juifs du Reich ont été déplacés, début mai 1942, de Lodz à Chelmno. La construction du camp de Sobirbor a débuté en mars 1942. A Minsk, un camp de mort est installé dans une ancienne ferme collective. Suite à une embuscade organisée par quatre
28 patriotes tchèques, Heydrich est mort le 4 juin 1942. Les funérailles nationales sont organisées à Berlin, le 8 juin 1942. « Les autres mourront plus vite que nous », a-t-il dit Himmler dans un discours. Pour lui, trois grandes tâches restaient à accomplir : fusion de la SS et de la police en un même corps après la guerre, de réunir d’autres peuples au peuple germaniques et la troisième, la migration de certains peuples d’Europe, déjà en cours. « La migration des Juifs sera réglée dans un an à coup sûr », a-t-il déclaré. A la mi-juillet 1942, il a ordonné la « transplantation » des Juifs du Gouvernement général, c’est-à-dire leur extermination, jusqu’à la fin de l’année, l’opération nommée Reinhard, à l’honneur de Heydrich. Treblinka, avec ses installations fonctionnant à l’oxyde de carbone, a été construite et a commencé à recevoir des trains le 22 juillet 1942. Les opérations de gazage ont été étendues sur tous les camps sous l’ordre de Globocnik. A Belzec, Treblinka et Sobibor, on tuait à l’oxyde de carbone, tandis que Höss utilisait Zyklon B à Auschwitz. On gazait des victimes aussi à Majdanek. Les ghettos d’Ostland et d’Ukraine ont été nettoyés. En Biélorussie, 8 600 Juifs restaient dans la ville de Minsk et environ 7000 dans la région. Le 27 octobre 1942, le dernier ghetto de Biélorussie, celui de Pinsk a été détruit. 26 200 Juifs ont perdu la vie dans cette action. La guerre a commencé à tourner mal pour l’Allemagne fin 1942, et la destruction des juifs est devenue le don du national-socialisme au monde. Les Einsatzgruppen ont largement rempli leur mission. Le nombre de victimes s’élève à plusieurs centaines de milliers pou chacune des Einsatzgruppen. Ces unités d’intervention, avec d’autres facteurs, la SS, la police, la Wehrmacht, le Sonderkommando Dirlewanger, l’armée et la gendarmerie roumaines et les unités auxiliaires lituaniennes et ukrainiennes, ont assassiné pendant toute la période de la guerre plus de 1 300 000 hommes, femmes et enfants juifs à l’Est, au cours de l’opération Barbarossa. Avec les victimes non-juives, le total s’élève à plus de deux millions de victimes innocentes.
Chapitre XVII. « Des cendres qui volent au vent »
Mi-mai 1942, Blobel se plaignait à Heydrich, peu avant son assassinat, de ne plus pouvoir supporter la vue des morts. Heydrich l’insultait et lui a promis une mission particulière. Après le mort de Heydrich, Heinrich Müller, le chef du gestapo, a confié à la fin du mois de juin 1942 à Blobel la tâche d’effacer les traces des exécutions effectuées par les Einsatzgruppen. Cet ordre était secret et aucune correspondance écrite n’était pas autorisée.
29 Après avoir passé tout l’été à mettre au point un système de crémation à ciel ouvert efficace, la pénurie de carburant ainsi que le sol gelé ont permis à Blobel de repousser l’opération pendant tout l’hiver et le printemps 1943. Mais après la défaite des Allemands à Stalingrad, Himmler voulait que Blobel se dépêche d’exhumer et de brûler les restes des victimes de la boucherie. Les cendres devaient être disposées de façon à ce que personne ne puisse savoir le nombre exact des victimes. Un commando nommé Sonderkommando 1005 a été créé. Le travail était effectué par les Juifs d’Auschwitz, abattus à la fin de leur tâche. Les ordres de Müller, Blobel les a transmis à Max Thomas à Kiev et à Jeckeln à Riga. Ils se sont mis à brûler dans leurs secteurs. Blobel n’a pas entièrement réussi dans sa tâche, en raison de la retraite allemande de Russie. Pendant l’été 1942, Himmler était en pleine euphorie, enthousiaste de son projet de colonisation à l’Est. Hitler avait enfin approuvé, sans aucune remarque, son plan détaillé : le Generalplan Ost.Il était convaincu que son rêve des villages germaniques, habités par une paysannerie militaire vont devenir réalité. Ce projet, grandiose mais réel, était déjà en cours de réalisation. A petite échelle, Himmler a commencé par la colonie allemande de Zamosc et l’extermination des Juifs de Pologne et de l’Est. A grande échelle, c’était un plan sur une période de trente-cinq ans, plan qui prévoyait le déplacement et la déportation des millions de personnes, mais tout d’abord l’extermination d’un peuple entier, les Juifs. L’ordre de massacrer tous les Juifs du Gouvernement général avant la fin de l’année 1942, était la conséquence directe du rencontre avec Hitler. Sûr de l’approbation de Hitler, Himmler assistait aux exécutions par gazage à Auschwitz et prenait plaisir en regardant torturer et gazer des femmes juives à Sobibor. Dans ce camp, lors d’une visite de Himmler, on a gaze trois cents jeunes et jolies femmes juives, en offrande spéciale au Reichführer. Après la capitulation à Stalingrad pourtant, le Generalplan Ost est suspendu, bien qu’on a continué déplacer les Polonais et de tuer les Juifs. Massacrer les Juifs est devenu plus important que gagner la guerre. Mais pour Hitler, cela signifiait justement la gagner. Le soulèvement du ghetto de Varsovie, révoltes de Treblinka et Sobibor ont décidé Himmler à exterminer les quarante-cinq mille Juifs qui restaient dans les camps de travail autour de Lublin, à Poniatowa, Trawniki et Majdanek. A Lublin, l’opération Erntefest, fête des moissons a été lancée. Les dernières victimes sont traquées et massacrées, les camps encerclés et les Juifs abattus. Nelzec, Treblinka et Sobibor avaient terminé leur mission et sont fermés et démontés. Le 4 octobre 1943, à Poznan, a lieu la conférence annuelle des dirigeants SS. Himmler a parlé longuement à ses Gruppenführer de la résistance, de la psychologie des Slaves, des
30 vertus du SS, de la mort des prisonniers russes, de son mépris envers ses compatriotes défaitistes, et bien sûr de l’extermination du peuple juif. Si les Allemands se sont montré durs, dit-il, c’était par nécessité. « La plupart d’entre vous savent, disait Himmler, ce que c’est que voir cent cadavres allongés côte à côte, d’en voir cinq cents, d’en voir mille ». C’était difficile mais cela a rendu les Allemands plus fort. « Ceci est une page glorieuse de notre histoire, qui n’a pas encore été écrite et ne pourra jamais l’être », disait Himmler devant ses généraux. Dans son discours, Himmler se donne un rôle de spectateur passif et élude ainsi toute responsabilité, en oubliant de mentionner son rôle actif dans les massacres, a conclu l’historien Peter Haidu en analysant le discours de Poznan. Himmler envoyait tuer à sa place, en observant de loin. Deux jours plus tard, devant les Reichleiter et les Gauleiter, Himmler a évoqué le massacre des femmes et des enfants, en les justifiant par le besoin de prévoir d’éventuels actes de vengeance dans le futur. Dans les derniers jours de la guerre, après le débarquement en Normandie, Himmler rêvait d’un accord entre Angleterre et Allemagne. Il était convaincu du rôle irremplaçable qu’il avait dans l’avenier de l’Europe en tant que ministre de la police, quelqu’un qui devrait, avec ses SS, remettre de l’ordre dans l’Europe. « Quand j’aurais passé une heure avec Eisenhower, il comprendra cela », disait-il. Il évoluait dans un monde de rêve : « Je dois préparer mon nouveau gouvernement ». Quand Hitler a appris que Himmler négociait avec les alliées, il l’a arrêté pour trahison et l’a démis de ses fonctions. Le 30 avril 1945, Hitler s’est suicidé. Son corps et celui d’Eva Braun, sa maitresse, sont brûlés par les SS. L’Allemagne a capitulé sans condition le 7 mai 1945. Arrêté par les alliées, Himmler est mort le 23 mai 1945, après avoir écrasé la capsule de cyanure qu’il cachait dans sa bouche. Trois jours après, après une autopsie, le corps de Himmler a été enterré dans une tombe anonyme à Lunebourg.
Epilogue
Dans le neuvième de douze procès pour crimes de guerre de Nuremberg, on a jugé vingt-quatre généraux et officiers d’Einsatzgruppen. Présidé par Michael Musmanno, avec Benjamin Ferenz comme procureur général, le procès a été entendu par trois juges, du 15 septembre 1947 au 10 avril 1948. Le procès, non prévu au début, a utilisé les rapports des Einsatzgruppen comme preuve. Le résultat en était la condamnation de vingt-deux des accusés (Otto Rasch était gravement atteint de Parkinson et Emil Haussmann s’est suicidé) pour au moins un chef d’accusation sur trois : crimes contre l’humanité, crimes de guerre et
31 participation à une organisation illégale. Quatorze condamnations à mort, deux à la prison à vie et six autres peines plus légères. Les condamnations, d’abord validées en 1949, sont réduites en janvier 1951, et notamment dix de quatorze condamnations à mort. Enfin, le 7 juin 1951, quatre condamnés sont pendus à la prison de Landsberg : Blobel, Werner Braune, Erich Naumann et Ohlendorf. Quatre autres sont exécutés suite à des procès menés dans d’autres pays. Entre 1945 et 1992, les tribunaux ouest-allemands ont condamnés 472 personnes pour leur participation aux persécutions et aux massacres de Juifs. Cela signifie que la plupart des membres des Einsatzgruppen n’ont jamais été ni accusés ni condamnés pour leurs crimes. Le destin des autres dirigeants SS impliqués dans les crimes était différent : les uns étaient condamnés à mort, comme Daluege, Eichmann, Hans Frank, Rudolf Höss, Jeckeln, Rosenberg, les autres ont préféré se suicider, parmi eux Globocnik, Jäger, Max Thomas. Il y avait ceux qui sont morts pendant la guerre, de la main des résistants, comme Heydrich, Kube ou Franz Walther Stahlecker ou même de la min des SS, accusés pour la trahison comme Arthur Nebe. Puis quelques peines de prison : August Häfner, le meurtrier des enfants à Bielaja Cerkov, n’a été condamné qu’à huit ans de réclusion en 1973 et Heinrich Lohse à dix ans, relâché pour des raisons de santé en 1951. Il y avait encore ceux qui sont morts de mort naturelle, après la guerre, tôt ou tard : Joachim Hamann en juillet 1945, Bruno Streckenbach, prisonnier russe jusqu’à 1955, mort en 1977. Et enfin, un nombre des nazis à réussi à disparaître ou de se cacher pendant un certain temps, comme Heinrich Müller, ou Erich von dem Bach-Zelewski, qui n’a été condamné qu’en 1961 pour avoir participé à la purge des SA et en 1962 pour avoir tué six communistes en 1933. Il a été condamné à perpétuité et est mort à la prison en 1972. Si l’Holocauste a été possible, la raison en était l’effondrement social, économique et politique qui a entamé une période des troubles, qui a permis aux criminels de s’approprier du pouvoir. Le contrôle externe d’autres pays a échoué aussi. Aussi, la réponse des victimes était non violente, ce qui a encouragé les agresseurs. L’antisémitisme était le principe fondamental du nazisme, et les Juifs, du point de vue de nazis, leur principal ennemi. Pourtant, le quotidien des massacres était difficilement supportable même pour les nazis convaincus. La mise au point des techniques d’exécutions qui ressemble étrangement aux système d’abattage des animaux pour l’alimentation a permis aux tueurs de diluer les responsabilités et tout sentiment de culpabilité. Par le retrait hors de la vue du public, par l’ »industrialisation » de meurtre, par des tâches bien partagées et réduites, Himmler voulait que les SS tuent les Juifs sans bain de sang, qu’ils soient les travailleurs comme les autres, comme les employés des abattoirs justement.
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Première partie : Le front de l’Est Chapitre I. A l’est de Pretzch ................................................................................................. 2 Chapitre II. Les Cercles vicieux ............................................................................................. 4 Chapitre III. Le Plan Barbarossa .......................................................................................... 6 Chapitre IV. La « Zone de résidence »................................................................................... 8 Chapitre V. Heinrich le loyal I............................................................................................... 9 Chapitre VI. Heinrich le loyal II .......................................................................................... 11 Chapitre VII. L’extermination.............................................................................................. 13 Deuxième partie : Les sept cercles de l’enfer Chapitre VIII. Le Sale travail............................................................................................... 15 Chapitre IX. « Tous les Juifs, de tous âges » ....................................................................... 17 Chapitre X. « Les Seigneurs de la vie et de la mort » .......................................................... 18 Chapitre XI. Babi Yar........................................................................................................... 19 Chapitre XII. « Un meurtre pur et simple » ......................................................................... 20 Chapitre XIII. Rumbula........................................................................................................ 21 Chapitre XIV. Du sang-froid................................................................................................ 23 Chapitre XV. La Solution finale ........................................................................................... 25 Chapitre XVI. Judenfrei ....................................................................................................... 26 Chapitre XVII. « Des cendres qui volent au vent » .............................................................. 28 Epilogue ............................................................................................................................... 30