Lumières
sur la Paracha Volume :
DEVARIM Commentaires & conseils pratiques sur la paracha de la semaine
• Rav Emmanuel Bensimon
AUTEUR Rav Emmanuel BENSIMON • RELECTURE Ilana BENSIMON Jean BENSIMON Raphaël ATTIAS Leslie ASSOULINE • COUVERTURE Zelda LEOTARDI
Publié et distribué par les
EDITIONS TORAH-BOX France Tél.: 01.80.91.62.91 Fax : 01.72.70.33.84 Israël Tél.: 077.466.03.32 Email : contact@torah-box.com Site Web : www.torah-box.com
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• Imprimé en Israël
Ce livre comporte des textes saints, veuillez ne pas le jeter n’importe où, ni le transporter d’un domaine public à un domaine privé pendant Chabbat.
Approbation du Rav Yossef ‘Haïm SITRUK Joseph ‘Haïm Sitruk Grand Rabbin
Neuilly sur Seine, le 3 juin 2013
RECOMMANDATION Il est un phénomène dont on ne peut que se réjouir, c’est l’abondance de livres écrits ou traduits en français notamment sur la Thora, sur la Parachat Hachavoua. Écrire un nouveau livre sur ce sujet pouvait apparaître comme « un de plus » et nous interroger sur son utilité réelle. La lecture du livre de Rav Bensimon a prouvé qu’il n’en était rien et qu’il était possible d’innover en écrivant un livre comme le sien, clair, systématique, basé sur des sources anciennes et d’autres plus récentes comme des Rabanim contemporains, Rav Bensimon a réussi le pari de « faire sa place au soleil ». Ces « Lumières sur la Paracha » sont tout simplement lumineuses. De surcroît il a eu à cœur de terminer chaque commentaire par des conseils pratiques rendant cette Thora encore plus vivante et plus proche de nous. Je l’en félicite sincèrement et on sent que dans chaque mot il a été guidé que par un but; sanctifier le Nom de D. et montrer la beauté et la grandeur de notre Thora éternelle. Je lui souhaite tout le succès. Amen. ברכה והצלחה J. SITRUK
Approbation du Rav Ron CHAYA
Approbation du Approbation duRav RavDaniel DanielABDELHAK ABDELHAK
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Approbation du Rav David YOSSEF
Approbation du Rav David YOSSEF LETTRE D’APPROBATION RAV DAVID YOSSEF Rabbin de Har Nof et Directeur du centre d’étude « Yé’havé Daat », Jérusalem.
Jérusalem, le 3 Eloul 5772
Voici que, notre excellent ami qui étudie la Torah de jour comme de nuit, qui écarte l’obscurité par la lumière, dévoile des outils de compréhension agréables, la crainte de D.ieu étant son trésor, paré de qualités exceptionnelles, réfléchi, intelligent et sage, le Rav Emmanuel BENSIMON chlita, m’a fait part de ses découvertes sur les parachiot de la semaine avec lesquelles il émet également des décisions de halakha en français. Bien que je ne puisse pas travailler sur ses écrits du fait que je ne maîtrise pas la langue française, je viens apporter mes encouragements à notre grand ami Rav Emmanuel BENSIMON que je connais et apprécie depuis longtemps. Depuis de nombreuses années, assidu, il accéda aux portes de la sainte Torah et passa avec succès les épreuves de connaissance sur les lois de Issour véHéter ainsi que sur les lois de pureté familiale (nida) ; puis fut apte à enseigner. Ces dernières années, il dirige en tant que Rav une communauté de Paris où il accomplit un grand travail en terme de rapprochement des cœurs d’Israël vers notre Père Qui est dans les cieux ; tous mes vœux de réussite ! C’est pourquoi, c’est sans mesure que je le bénis et lui souhaite d’avoir le mérite de faire sortir au grand jour un tel ouvrage. Qu’il émette encore de nombreux enseignements pour donner le privilège aux autres de propager et de mettre en valeur la Torah, en augmentant le bien, tout cela dans la sérénité et la paix, la longévité, retirant joie et satisfaction de tous ses descendants ; amen. Avec la bénédiction de la Torah, David YOSSEF.
Approbation du Rav Yossef ELIAHOU Approbation du Rav Yossef ELIAHOU
Approbation du Rav Yossef ELIAHOU
Jérusalem, le 23 Adar I 5771 Lettre de recommandation « Il célébrait un jour de fête pour ses proches à sa sortie en paix du Saint des saints. » Nous sommes heureux de découvrir le livre réunissant de nouveaux enseignements sur les parachiot de Béréchit de notre cher ami le Rav Emmanuel Bensimon chlita, qui a étudié au sein de notre centre d’étude, et qui a grandi, s’est élevé, et s’est paré de la couronne des rabanim et de celle d’un bon renom. Lors de la fin de sa formation, il prit sur lui la responsabilité de fidèles en tant que Rav d’une communauté de Paris, et nous fit parvenir ses beaux et clairs enseignements. Il est évident qu’il y a en cela un grand intérêt pour le lecteur ; et nous le bénissons de pouvoir diffuser son savoir et rayonner sur son entourage. Que l’œuvre de ses mains ne connaisse pas d’échec et qu’il ait le mérite d’écrire sur tous les ‘houmachim. Très respectueusement, Rav Yossef Eliahou, Directeur du beth hamidrach. Darké Oraha Larabanim à Jérusalem
u A mes enfants
Yaïr Nissim et Raphaël
Puissent-ils, avec l’aide de D., devenir des Sages qui illumineront le peuple juif par leur étude de la Torah
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SOMMAIRE • AVANT-PROPOS
p. 13
• DÉVARIM La « fête » de Ticha Béav En pratique : Les lois de Ticha Béav
p. 15 p. 25
• VAET’HANANE Le secret des 10 commandements p. 29 En pratique : L’interdiction de l’idolâtrie aujourd’hui : la colère p. 37 • ÉKEV La mitsva d’habiter la terre d’Israël En pratique : Lois des prélèvements agricoles de nos jours
p. 41 p. 52
• RÉÉ La nature véritable de la Torah En pratique : La préparation du Chabbat avec joie
p. 57 p. 65
• CHOFTIM L’essence du mois d’Eloul En pratique : Les téfiline de Rabbénou Tam
p. 69 p. 77
• KI TETSÉ Eloul : la force du chofar En pratique : Les lois du chofar
p. 81 p. 89
• KI TAVO Sur quoi porte le jugement de Roch Hachana ? En pratique : Les lois de Roch Hachana
p. 93 p. 101
• NITSAVIM - VAYÉLEKH Les trois alliances du peuple d’Israël En pratique : Les trois dimensions de l’être humain
p. 105 p. 112
• HAAZINOU Le secret du pardon de Yom Kippour En pratique : Les lois de Yom Kippour
p. 117 p. 127
• VÉZOT HABERAKHA Qui est le Machia’h ben Yossef ? En pratique : Les lois du Machia’h
p. 131 p. 145
• GLOSSAIRE
p. 147
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PARACHA
DÉVARIM
u
Offert par
Noham et Rivka SCETBON pour la réussite matérielle de spirituelle de leur famille
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La « fête » de Ticha Béav
yz Lors de la destruction du Temple le jour de Ticha Béav, le Talmud (Méguila, 5a) enseigne que D. « pleurait ». Cette tragédie provoqua le retrait du monde de la royauté Divine, tandis que D. Se lamentait. On ne peut que s’interroger : D. étant totalement dépourvu de corps, de sentiments, comment peut-on Lui attribuer une fonction physique comme celle de pleurer ? De plus, sachant que rien ne peut advenir au monde sans la volonté Divine, comment comprendre l’idée de D. en pleurs comme s’Il assistait passivement à un événement sur lequel Il n’aurait aucune prise ? Aussi, dans le verset d’Eikha (Lamentations 1,15) qu’on lit le jour de Ticha Béav, cette journée est appelée un jour de fête (Moéd) : « Il a convoqué sur moi une fête (Moéd) »! Le Choul’han Aroukh (Ohr Ha’haïm 552, 12) stipule également qu’on ne dit pas de supplications (ta’hanounim) la veille de Ticha Béav (comme c’est le cas les veilles de fêtes), ni le jour même, car ce jour est considéré comme une fête ! Ce jour est le plus triste de l’année, il rappelle la destruction des deux Temples avec les exils qui s’en sont suivis, s’il y a bien un jour où l’on devrait abonder en supplications et en excuses pour nos fautes, c’est à Ticha Béav ! Pourtant, cela est interdit. Pourquoi ? Pour répondre à ces questions, faisons un petit retour en arrière au quatrième jour de la création du monde lorsque D. créa le soleil et la lune :
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ֹלהים אֶ ת ְׁשנֵי הַ ְּמאֹר ֹת הַ ּגְ ד ֹלִ ים אֶ ת הַ ּמָ או ֹר הַ ָּגד ֹל לְ מֶ ְמ ֶׁשלֶ ת הַ ּיו ֹם וְ אֶ ת ִ ֱַוּיַעַ ׂש א :הַ ּמָ או ֹר הַ ּקָ ט ֹן לְ מֶ ְמ ֶׁשלֶ ת הַ ּלַ יְ לָ ה וְ אֵ ת הַ ּכו ֹכָ בִ ים « D. fit deux grands astres, le grand luminaire pour le jour, et le petit pour la nuit ainsi que les étoiles » (Béréchit 1, 16). Le début du verset mentionne deux grands luminaires tandis que la fin du verset fait état d’un grand et d’un petit. Pourquoi ? Rachi enseigne que la lune s’est plainte à D., arguant que deux rois ne peuvent régner ensemble sur un même royaume. D. rétrécit alors la lune et la consola en lui annonçant qu’elle recevrait une offrande chaque Roch ‘hodech. L’enseignement que renferme ce Midrash, a priori enfantin, est plus profond qu’il le laisse entendre. En général, on comprend le texte au premier degré, à savoir que D. a puni la lune pour son orgueil et l’a donc rapetissée ! Mais cette compréhension s’arrête au premier degré. En effet, comment peut-on reprocher un défaut à un astre ! Par définition, aucun être ou élément de la nature, a fortiori en dehors de l’être humain, ne possède de libre arbitre. Dans quelle mesure la lune a-t-elle donc pu commettre une faute ? En réalité, elle n’a pas fauté, et ce qu’elle exprima était totalement vrai : deux rois ne peuvent se partager une seule couronne. Pourtant, D. créa le monde sur le modèle de la dualité, c’est pourquoi la première lettre de la Torah est beth, qui a comme valeur numérique le chiffre deux. Le Zohar enseigne que la création est divisée en deux groupes d’acteurs : ceux qui reçoivent (les mékablim) et ceux qui donnent (les machpiim). Le soleil représente un donneur (élément masculin de la création) ; quant à la lune (élément féminin), elle symbolise le receveur. En effet, le soleil transmet la lumière à la lune qui la reçoit. La lune n’éclaire pas par elle-même, elle ne fait que refléter la lumière qu’elle reçoit du soleil. Par ailleurs, le Talmud (Méguila 31 b) enseigne que le livre de Dévarim a été écrit par Moché lui-même. Or toute la Torah ne vient-elle pas de D.
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uniquement ? Les Tossefot répondent que Moché a exprimé le contenu du livre de Dévarim sous roua’h hakodech, esprit saint, ses paroles n’étant en réalité rien d’autre que l’expression de la volonté Divine. Pourquoi la Torah changea-t-elle de mode de transmission pour le cinquième livre de la Torah ? Le Maharal (Tiférét Israël 43) révèle que l’alliance entre Hachem et son peuple est le résultat de deux implications : l’une de la part de D. et l’autre de la part d’Israël. Les quatre premiers livres de la Torah, dictés par D. à Moché, constituent l’alliance contractée par D., tandis que le livre de Dévarim, émis par Moché sous inspiration Divine, scelle l’alliance acceptée par le peuple juif. C’est la raison pour laquelle tout le livre est écrit au style indirect, Moché se plaçant comme narrateur. Pour qu’il y ait alliance, ces deux implications sont indispensables. Les quatre premiers livres de la Torah représentent donc le soleil, symbole de l’alliance de D. Qui influence le monde ; et le livre de Dévarim correspond à la lune, symbole de l’acceptation de l’alliance par le peuple juif. De même que la lune reçoit toute sa lumière du soleil, Dévarim marque l’acceptation de la Torah par Israël. On retrouve donc cette dualité dans les cinq livres de la Torah. Très souvent, le peuple juif est comparé à la lune. Le Talmud (Kétouvot 66b) enseigne que Rabbi Yohanan Ben Zakaï, un de nos grands maîtres, aperçut la fille d’un riche marchand juif (Nakdimon Ben Gourion), tandis qu’elle cherchait de quoi se nourrir dans des excréments d’animaux appartenant à des Arabes. Rabbi Yohanan s’étonna devant le niveau de pauvreté qu’avait atteint la fille d’une telle famille ! Puis il dit : « Heureux sois-tu Israël : lorsque vous montez, vous le faites jusqu’au ciel, mais lorsque vous tombez, vous descendez jusqu’à terre ; et pas seulement jusqu’à terre, mais jusqu’aux animaux des Arabes ! » Réaction fort étonnante. Telle fut sa remarque, « Heureux sois-tu Israël » ? Dépourvu de Temple, le peuple juif n’est plus que déchéance. Une
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des familles les plus riches de Jérusalem voit sa fille sombrer dans la misère, et cela suscite en Rabbi Yohanan de la joie ! Difficile d’accepter une telle observation face à tant de souffrances… En réalité, Rabbi Yohanan compare le peuple juif à la lune : soit elle grandit jusqu’à atteindre son sommet, le quinzième jour, soit elle diminue jusqu’à ce qu’on ne la voie plus, avant de renaître à nouveau... Le peuple juif suit le même fonctionnement : il peut soit atteindre des sommets extraordinaires dans toutes ses entreprises, aussi bien spirituelles que matérielles, comme ce fut le cas à l’époque du premier Temple sous le règne du Roi Chlomo ; soit chuter si bas qu’il en est réduit à fouiller pour sa subsistance, non pas parmi les nations, mais dans les déchets de leurs animaux... Nous voyons donc le potentiel infini du peuple juif, dans un cas extrême comme dans l’autre. C’est face à cette dimension infinie du peuple d’Israël que Rabbi Yohanan s’exclama : « Heureux sois-tu Israël », capable du meilleur, comme du pire. Une autre raison explique la réaction de Rabbi Yohanan. Après la déchéance, vient la renaissance. Le fait que la situation du peuple juif ne pouvait pas être au plus bas prouvait bien qu’il allait bientôt remonter, comme le cycle de la lune. En effet, à la fin du mois, le croissant de lune diminue au point de presque disparaître pendant un ou deux jours. Toutefois, elle renaît, et grandit jusqu’au quinzième jour. Tout le cycle lunaire est en fait basé sur la diminution et le renouvellement. Plus encore : c’est sa diminution elle-même qui entraîne sa renaissance. Aussi, de sa déchéance, le peuple juif entame sa renaissance. Rabbi Yohanan Ben Zakaï, face à la situation extrêmement dégradante de cette jeune fille, comprend dans une vision d’ensemble que si le peuple est descendu si bas, il est également proche de sa renaissance et ne peut que se relever. D’où sa réaction : « Heureux sois-tu Israël... »
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C’est ainsi que toute notre histoire est calquée sur le fonctionnement de la lune. D’ailleurs, quinze générations séparent Avraham, racine du peuple juif, et le Roi Chlomo (Salomon), correspondant aux quinze jours de croissance de la lune (quatre générations d’Avraham à Peretz ; dix de Peretz à David ; une génération de David à Chlomo). La quinzième génération, l’époque de Chlomo Hamélekh, correspond au quinzième jour du mois, lorsque la lune est à son plus haut niveau. Et pour cause, la période du règne du Roi Chlomo a été la plus belle de notre histoire. Une époque où s’épanouissaient la prophétie, la paix (les rois des autres nations venaient même demander conseil au Roi Chlomo !), la sagesse de la Torah, ainsi que la richesse matérielle. Comme la lune, le peuple juif bénéficiait à l’époque de la lumière Divine illuminant toutes les facettes de son existence. Cette période ressemble à celle que nous vivrons lors de l’avènement messianique. Puis s’ensuit la descente : après la mort de Chlomo, débutera l’ère du schisme séparant Israël en deux royaumes : d’un côté, celui de Yéhouda (avec la tribu de Binyamin) dirigée par Roboam le fils de Chlomo, et de l’autre, le royaume d’Israël composé des dix autres tribus dirigées par Yéroboam ben Nevat. De manière totalement irrationnelle, entre le Roi Chlomo et le dernier roi de Yéhouda, Tsidkiyahou, qui vécut la destruction du premier Temple, on compte également quinze générations, faisant de nouveau référence aux quinze jours de diminution de la lune (voir Béné Issakhar Nissan 2). Le trentième jour, la lune disparaît totalement, nous laissant l’impression qu’elle n’existe plus ; de même, lors de la destruction du Temple, le monde pensait que le peuple juif était définitivement perdu ! D’ailleurs, le roi Nabuchodonosor, qui détruisit le Temple, rendit le roi Tsidkiyahou aveugle, symbolisant le fait qu’on ne voit plus la continuité de l’existence du peuple juif, à l’image de la lune qui devient invisible. Puis, contre toute attente, la lune naît de nouveau et redémarre un nouveau cycle ; ainsi, après 70 ans d’exil à Babylone, le peuple juif se relève et rebâtit son Temple. Le schéma se reproduit continuellement ; il suffit de réfléchir aux événements du dernier siècle, oscillant entre destruction et reconstruction…
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À ce propos, le jour de Ticha Béav représente le niveau le plus bas de notre chute. Nous avons en effet perdu la Terre d’Israël par la faute des explorateurs qui dissuadèrent le peuple d’y monter, les deux Temples, et avec eux, l’ère de la prophétie. Le Talmud enseigne qu’il n’y a pas de Torah en exil (c’est-à-dire que la profondeur réelle de la Torah ne peut alors se dévoiler). Autrement dit, nous avons tout perdu, la Torah, la prophétie, le Temple, la Terre d’Israël, alors, comment peut-on qualifier ce jour de « fête » ? La réponse à cette question se trouve dans le mot דעומmoed, ou « fête », qui vient de דעיyaad, le « but ». La fête est en réalité une manière d’atteindre une certaine finalité. Par exemple, la fête de Pessa’h a pour but la libération, Souccot, la joie, etc. D’ailleurs, on fait référence aux fêtes également par le terme םילגרrégalim, dont la racine est לגרréguel, le pied. Là encore, les pieds mènent l’Homme vers sa finalité, son but. Le fait que Ticha Béav soit appelé une fête signifie que ce jour nous indique la direction que nous devons emprunter. Mais il existe évidemment une différence fondamentale avec les autres fêtes de la Torah : toutes tendent vers un but spécifique à atteindre par la joie, d’où la mitsva de se réjouir lors de toute fête ; à Ticha Béav en revanche, nous atteignons notre but au creux du voilement de la Présence Divine, au sein des malheurs. Nous pouvons distinguer notre chemin soit en l’éclairant, comme le font les fêtes par le dévoilement divin, soit en se détournant des autres chemins. C’est cela la fête de Ticha Béav : en nous faisant prendre conscience de la dangerosité des mauvais chemins, l’obscurité spirituelle de ce jour dessine le bon itinéraire. Cet éclairage nouveau, étant donné qu’il provient de l’obscurité, est d’autant plus puissant, comme une bougie qui éclaire davantage dans la nuit. Nous comprenons mieux à présent le parallèle de notre histoire avec le cycle de la lune : paradoxalement, c’est lorsque nous ne voyons plus la lune qu’elle s’apprête à renaître et à redémarrer un nouveau cycle. Aussi, Ticha Béav, bien qu’incarnation du malheur du peuple juif, invite en réalité à sa renaissance.
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Dans la amida, la prière des 18 bénédictions, D. est appelé « grand, puissant et redoutable ». Le Talmud (Yoma 68 b) enseigne que le prophète Jérémie, ayant vécu la destruction du Temple, supprima le qualificatif « redoutable ». Il appela D. « grand et puissant », mais cessa de dire redoutable (nora) ! Il explique : si les nations parviennent à détruire le Temple, c’est le signe que D. n’est plus redoutable ! Comment un prophète peut-il se permettre de telles paroles ? En réalité, il refuse de louer D. pour une qualité qui n’est pas dévoilée. Si D. a décidé de ne pas mettre en action cette qualité de « redoutable », et donc de laisser les nations détruire le Temple, le prophète ne veut pas mentir en louant une qualité qui n’est pas évidente dans la réalité. Le Talmud enseigne ensuite que Daniel enleva le qualificatif de puissant (guibor), car les juifs étaient exilés à Babylone. Si D. avait dévoilé Sa puissance, aucune nation n’aurait pu nous asservir ! La puissance de D. n’étant plus dévoilée dans le monde, Daniel refusa de la mentionner. Plus tard, la Grande Assemblée rétablit les trois qualificatifs : « grand, puissant et redoutable », car selon elle, naturellement, une brebis ne peut résider parmi 70 loups et survivre ! Le fait que le peuple juif existe encore malgré les ennemis qui l’assaillent de toutes parts est la preuve de la toute-puissance de son protecteur. Le changement de la Grande Assemblée fut plus grand que celui des prophètes. À cause des malheurs que le peuple juif endura, même des prophètes tels que Jérémie n’ont pas été capables de percevoir pleinement la puissance et le caractère redoutable d’Hachem. Seuls les sages de la Torah orale de la Grande Assemblée ont pu les dévoiler en rétablissant les trois attributs du nom d’Hachem. Le Midrach (Tanhouma Noah 3) attribue aux sages qui étudient la Torah orale le verset : « Ce peuple qui va dans l’obscurité, et voit une grande lumière ».
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En effet, les sages au début de leur étude sont dans l’obscurité car ils ne comprennent pas pleinement la Torah. Mais par la suite, D. les éclaire pour leur permettre d’en avoir une compréhension totale. C’est cette lumière accordée aux sages de la Torah orale qui permit à la Grande Assemblée de dévoiler pleinement la Providence d’Hachem en rétablissant les qualificatifs du Nom Divin. Cette force ne se trouve que dans la Torah orale, tant et si bien que les prophètes dont les écrits font partie intégrante du Tanakh n’ont pas eux-mêmes été capables de la dévoiler. Hormis la destruction du Temple, Ticha Béav marque également la fin de la prophétie. Lorsque cette dernière disparaît, aucun moyen ne permet au peuple de prendre connaissance de la parole divine. Seule la Bat kol, la voix Céleste, laisse encore entendre la volonté et la conduite de D. Par exemple, le Talmud (Berakhot 3) enseigne que lorsqu’on répond au kadich, une voix Céleste proclame : « Malheur à Moi, J’ai détruit Mon sanctuaire, brûlé Mon Temple, exilé Mes enfants... » La souffrance est insoutenable même pour D. Comment le monde peut-il perdurer ainsi ! En réalité, l’intérêt de ces épreuves réside dans le renouvellement qui va en sortir. De cette non-existence, de ces souffrances précisément va germer une nouvelle réalité, à l’image de la lune qui redémarre un nouveau cycle après sa disparition. Durant les autres fêtes, le dévoilement se réalise à travers la joie, alors qu’à Ticha Béav, il se fait par la souffrance, par les pleurs. De même que dans l’étude de la Torah orale, nous ne pouvons arriver à une réelle compréhension sans effort, la renaissance du peuple juif ne peut se faire qu’à partir de la destruction ; or quel jour incarne autant la destruction que celui de Ticha Béav ! Tant pour la Torah orale que pour Ticha Béav, c’est de l’obscurité que jaillit la lumière. Le Talmud (Ménahot 53 a) enseigne qu’à la suite de la destruction du Temple, D. vint parler à Avraham. Le symbole est très fort, on se serait attendu à ce qu’Il vienne voir Itshak, symbole de l’attribut de justice. Or, le fait que D.
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choisisse de parler à Avraham révèle que la justice n’est pas le but, mais seulement un moyen d’atteindre la bonté, sa qualité première. Après la destruction du Temple, Avraham, symbole de la bonté, défend le peuple juif contre les accusations qui lui sont portées. Il dit à D. : - Peut-être les juifs fautent-ils involontairement, ce qui serait beaucoup moins grave ? Mais D. lui répond qu’ils fautent en connaissance de cause ! - Peut-être les juifs ne fautent-ils qu’en privé, mais se conduisent bien en public ? Mais D. répond qu’ils fautent même en public, et profanent donc Son Nom aux yeux de tous. - Peut-être les juifs respectent-ils la brit-mila, autrement dit, ils ne tombent pas dans la débauche ? Mais D. répond qu’ils ne préservent pas leurs valeurs. Avraham utilise alors son dernier argument : - Peut-être les juifs feront-ils téchouva, et qu’à ce titre, Tu peux attendre avant de les punir si durement ? Mais D. lui répond qu’ils ne peuvent pas se repentir, car ils prennent plaisir à fauter ! Seuls les remords auraient pu les amener au repentir, mais ils n’éprouvent même plus de regrets. Il est rapporté dans le Talmud qu’à ce moment Avraham pleura. Il n’y avait plus selon lui de réparation possible pour le peuple d’Israël ! C’est alors qu’une voix Céleste (Bat kol) retentit : « De même que l’on presse les olives pour en obtenir l’huile, Israël ne grandit que par les souffrances ». De ses souffrances germera la racine de son repentir. Pourquoi D. n’a-t-Il pas fait part de cette notion à Avraham précédemment au cours de leur dialogue ? Lorsque D. S’adresse à Avraham, il s’agit de prophétie, tandis que la voix Céleste est une révélation dont bénéficie celui qui s’efforce de comprendre la Torah orale. De même qu’en rétablissant les attributs du Nom Divin que les prophètes avaient retirés,
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la Grande Assemblée a su démontrer la supériorité des sages de la Torah orale. Ainsi, la voix Céleste, expression de la volonté Divine, révèle la raison des souffrances d’Israël seulement à celui qui y réfléchit profondément. C’est la raison pour laquelle le dernier verset des Lamentations (Eikha 5, 22) nous rappelle la réponse désespérée d’Avraham à D. : « Se peut-il que Tu nous aies complètement rejetés et que Tu nourrisses contre nous une colère inexorable ? ». Pourtant, ce n’est pas sur ce verset que nous finissons la lecture d’Eikha. En effet, les sages de la Torah orale nous ont enjoints de répéter à la fin le verset (Eikha 5, 21) : « Ramène-nous vers Toi, ô Eternel, nous voulons revenir à Toi ; renouvelle pour nous les jours d’autrefois ». Dans quel but ? Eh bien, justement de nous montrer que la perception de la Torah orale est plus profonde. Les prophètes restèrent sur un constat négatif (comme Jérémie et Daniel), tandis que les sages de la Torah orale furent capables de percevoir la Bat kol. Autrement dit, ils saisirent le but de ces souffrances à travers une analyse profonde de la Providence Divine. Voici pourquoi nous répétons ce verset nous invitant à la téchouva. Pour les prophètes (Torah écrite), il est impossible de conclure le livre des Lamentations sur un point fondamentalement positif, à l’image de Jérémie et de Daniel qui enlevèrent un des attributs Divins. Mais les sages de la Torah orale considèrent quant à eux que ces souffrances permettront au peuple juif de se repentir sincèrement et de se renouveler, comme les olives, ou comme la lune… Ticha Béav est bel et bien une fête. Les malheurs qui la caractérisent ne demandent qu’à être changés en source de lumière.
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En pratique : Les lois de TICHA BÉAV 1-
Il est interdit de manger et de boire, de se laver, de s’enduire d’huile, de mettre des chaussures en cuir et de pratiquer l’intimité conjugale. La nuit est soumise absolument aux mêmes règles que le jour.
2-
La veille du jeûne, on ne mange que pendant le jour. C’est interdit ensuite, à partir du coucher du soleil (chkia), comme à Yom Kippour.
3-
Tous ont l’obligation de jeûner à Ticha Béav. Les femmes enceintes et celles qui allaitent, qui sont pourtant dispensées d’observer les autres jeûnes imposés par nos Sages, sont également astreintes au jeûne de Ticha Béav. Mais si une femme enceinte ou qui allaite est malade (ou ressent une grande faiblesse), elle ne jeûnera pas. On peut également permettre à une accouchée de moins de 30 jours de ne pas jeûner.
4-
Un malade, même si ses jours ne sont pas en danger, est dispensé de jeûner à Ticha Béav. Un convalescent qui est encore faible et a beaucoup de mal à jeûner, a le droit de manger également.
5-
Il est défendu de se laver à Ticha Béav, aussi bien à l’eau chaude qu’à l’eau froide, et on n’a même pas le droit de tremper son doigt dans l’eau. Le matin, on ne se lave que jusqu’au bout des phalanges. Lorsqu’on les a essuyées et qu’elles sont encore un peu humides, on peut les passer sur les yeux. Par contre, un Cohen qui se lave les mains pour la birkat kohanim se lave entièrement les mains (jusqu’au poignet) comme le reste du temps car il ne le fait que pour la mitsva, et non pour son profit personnel.
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6-
Le port des chaussures en cuir est interdit à Ticha Béav, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Cette interdiction ne concerne que les chaussures de cuir, mais il est permis de porter des sandales de toile, de bois ou de caoutchouc, parce qu’on sent la dureté du sol à travers leurs semelles. Par contre, il n’y a aucun problème à porter une ceinture en cuir.
7-
Il est interdit d’étudier la Torah (orale ou écrite) à Ticha Béav car il est dit : « Les lois de D. sont justes, elles réjouissent le cœur » (Téhilim 19,9). Mais on peut lire le livre de Iyov ainsi que les passages tristes du livre de Yirmeyahou, en sautant les versets de consolation qui s’y trouvent. Il est également permis d’étudier les livres de moussar qui appellent au repentir. Mais en dehors des textes cités interdits, nous avons tout de même l’obligation d’étudier la Torah à Ticha Béav.
8-
On ne salue pas son prochain à Ticha Béav. Si quelqu’un qui ne le sait pas vous salue, on lui répond gravement et avec sérieux. On ne doit pas se promener à Ticha Béav.
9-
Il est permis de travailler à Ticha Béav dans les communautés où l’on en a l’habitude, mais c’est défendu là où l’on n’en a pas l’habitude. Cependant, l’auteur du Choulhan Aroukh (Beith Yossef) écrit que l’usage est de ne pas travailler.
10 - Le soir et le matin de Ticha Béav (jusqu’au milieu de la journée : Hatsot), on s’assied à même le sol à la synagogue, comme des endeuillés qui doivent d’asseoir par terre. On peut autoriser une personne âgée à s’asseoir sur un tabouret dont la hauteur ne dépasse pas 24 centimètres.
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11 - Les Séfarades ont le droit de se laver et de laver le linge dès la fin de Ticha Béav, sans avoir besoin d’attendre le lendemain. Les Ashkénazes ont l’habitude de l’interdire. Mais il est évident que le jour même de Ticha Béav, avant la tombée de la nuit, il est absolument interdit de se raser et de laver le linge, même après Minha. 12 - L’habitude est de s’abstenir de manger de la viande et de boire du vin à la fin de Ticha Béav, la nuit du 10, même lorsque ce jour est un vendredi. 13 - Le 15 Av (Tou Béav) est un jour de fête, et on ne dit ni le viddoui ni ta’hanoun. Il faut étudier la Torah plus longtemps le soir, parce que les nuits commencent à devenir plus longues à partir de cette date et que c’est l’étude de la Torah qui nous fera mériter le Délivrance finale.