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TAXE D’HABITATION

MAXIME GOURAUD maxime.gouraud@lemensuel.com

TAXE D’HABITATION Les ménages rient, les maires se crispent

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D’ici trois ans, 80% des foyers seront exonérés de taxe d’habitation. Une mesure qui réjouit les contribuables autant qu’elle inquiète dans les communes de Rennes métropole. Elles craignent notamment pour leur autonomie.

e 24 septembre, lors des L élections sénatoriales (dont l’Ille-et-Vilaine était exemptée), les élus locaux ont envoyé un signal. En votant majoritairement pour les partis de « l’ancien monde » (LR, PS, UDI...), les grands électeurs ont signifié à l’exécutif leur défiance vis-à-vis de la suppression de la taxe d’habitation (TH). Bien sûr, la mesure fiscale qui se profile ne saurait expliquer seule le revers de la République en marche. La suppression des contrats aidés et l’effort supplémentaire demandé aux collectivités territoriales de 13 milliards d’euros sur cinq ans auront aussi nourri le feu des critiques envers le duo Macron-Philippe. Mais plus que toute autre annonce, l’exonération de la taxe d’habitation pour 80% des ménages a braqué les élus. Et notamment les maires, premier contingent d’électeurs aux sénatoriales. Le candidat Emmanuel Macron l’avait promis. D’ici trois ans, quatre Français sur cinq ne devraient plus payer la TH. Seront concernés les contribuables dont le revenu annuel de référence ne dépasse pas un certain plafond, fixé selon leur situation : 27 000 € pour un célibataire, 43 000 € pour un couple, 49 000 € pour un couple avec enfant,

etc. Concrètement, la réforme s’appliquera à ceux qui perçoivent moins de 2500€ de revenus mensuels imposables, a fait savoir le ministère de l’Action et des Comptes publics dans les colonnes du Monde. Dès l’an prochain, la taxe baissera de 30% sur la feuille d’imposition de 17 millions de foyers. Coût pour l’Etat: 3 milliards d’euros. A terme, sa suppression représentera une économie de 10 milliards d’euros pour les ménages par an. Une manière simple de leur rendre du pouvoir d’achat.

LA TAXE FINANCE DES PROJETS LOCAUX. ETONNANT QU’ON N’AIT PLUS LA MAIN DESSUS MARC HERVÉ, adjoint aux finances de Rennes

La décision est aussi populaire auprès des contribuables qu’elle hérisse le poil des élus municipaux. « Ce n ’était pas le point de programme avec lequel j’étais le plus d’accord au moment de la campagne », reconnaît le maire de SaintGrégoire Pierre Breteau (UDI), qui a parrainé Emmanuel Macron. Tous pourtant l’accordent: la taxe d’habitation est un impôt devenu « injuste», « vétuste», «illisible», qu’il est grand temps de réformer (lire ci-contre). « Le problème, c’est qu’elle n’est pas calculée par rapport aux revenus du propriétaire ou du locataire mais à la valeur du logement », fait remarquer Marc Hervé (PS), adjoint aux finances à Rennes. S’ils logeaient dans le même bien, un couple de retraités aisés et une famille monoparentale avec cinq enfants paieraient la même somme. « Un bon impôt devrait être assis sur la capacité contributive de chacun. » « Le gouvernement fait un bon constat, celui d’une taxe inéquitable. Mais la mesure elle-même va générer de l’inégalité. Elle est très imparfaite », pointe la sénatrice Françoise Gatel (UDI), présidente de l’Association des maires d’Ille-et-Vilaine. Parmi les propriétaires ou locataires concernés par la réforme, tous ne gagneront pas la même chose, selon les taux en vigueur dans leurs communes. Pour un même bien, l’exonération ne représentera pas la même hausse du pouvoir d’achat qu’on se trouve à Rennes (35,63%) ou à Chartresde-Bretagne (24,71%). La mesure induit également des effets de seuil. A 26900€, un célibataire ne paiera pas. A 27100€, il devra mettre la main au porte-monnaie. C’est tout ou rien. Des élus vont même jusqu’à s’interroger sur la légalité d’un impôt qui ne serait payé que par 20% des Français. Autre source de défiance de la part des maires : la contrepartie. A l’heure où nous bouclons ces lignes, les mesures compensatoires n’étaient pas encore connues dans le détail. Plutôt que le versement d’une dotation supplémentaire, l’option du dégrèvement semblait tenir la corde. En clair, l’Etat se substituera aux contribuables et redistribuera, à l’euro près, ce que la collectivité devait toucher avant l’exonération. L’augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée) permettra de financer la mesure. Les communes et communautés de communes pourraient garder la maîtrise de leurs taux 1 .

Des élus échaudés

De nombreuses questions restent en suspens. Quelles seront les garanties apportées aux collectivités ? Le dégrèvement va-t-il être sanctuarisé quelques années? Sera-t-il dynamique ou figé, c’est-à-dire prendra-t-il en compte les évolutions démographiques ? Une certitude, la confiance n’est pas de mise. «On avait déjà bien des compensations. On sait ce qu’elles sont devenues», raille Philippe Bonnin, maire de Chartresde-Bretagne (PS), en référence à la baisse des dotations observées depuis 2014. L’exemple de la taxe professionnelle a

24,71%

C’est le taux de la taxe d’habitation à Chartres-de-Bretagne, le plus bas de Rennes métropole. La commune de 7 300 âmes de vance Cesson-Sévigné (24,87%). Sur l’ensemble de l’Ille-et-Vilaine, la palme revient à La Selle-en-Luitré (Fougères agglomération), avec une TH de 19,1%.

39,73%

SOIT LE TAUX DE TAXE D’HABITATION LE PLUS ÉLEVÉ DE RENNES MÉTROPLE (ET PAR LA MÊME OCCASION DE L’ILLEET-VILAINE). UNE PREMIÈRE PLACE QU’OCCUPE LA PETITE COMMUNE DE LE VERGER, DEVANT SA VOISINE CINTRÉ (36,1%). RENNES COMPLÈTE LE PODIUM (35,63%).

20%

C’est la part que représente la taxe d’habitation communale dans le budget de la Ville de Rennes. Schématiquement, un euro sur cinq que la collectivité dépense pour son fonctionnement ou ses investissements provient de cet impôt.

71MILLIONS D’€

Ou, à la louche, le produit de la TH communale à Rennes en 2017. L’équivalent de ce que la Ville dépense par an pour les solidarités, la culture, l’enfance et le sport. Sur l’ensemble de la France, les collectivités perçoivent environ 22 milliards d’euros au titre de la taxe d’habitation.

2003

Depuis quatorze ans, le taux de la taxe d’habitation n’a pas changé à Saint-Jacques-de-la-Lande (19,97%). Idem pour Betton (17,3%). Dans le même temps, celles de Bruz et Cesson-Sévigné ont gagné plus de deux points.

VILLE

RENNES BRUZ CESSON-SÉVIGNÉ SAINT-JACQUES-DE-LA-LANDE PACÉ BETTON CHANTEPIE SAINT-GRÉGOIRE LE RHEU THORIGNÉ-FOUILLARD VERN-SUR-SEICHE CHARTES-DE-BRETAGNE MORDELLES NOYAL-CHÂTILLON-SUR-SEICHE ACIGNÉ VEZIN-LE-COQUET GÉVEZÉ LAILLÉ LA CHAPELLE-DES-FOUGERETZ SAINT-GILLES

TAXE D’HABITATION 1

(EN %)

35,63 31,9 24,87 33,61 30

30,94 29,5 30,46 33,64 30,7 31,08 24,71 29,44 33,91 31,84 31,47 31,24 30,14 33,43 31,68

1. Parts communales et intercommunales cumulées 2. Impôt moyen payé en 2016 par les foyers imposés sur le revenu

TAXE SUR LE FONCIER BÂTI (EN %) 27,49 21,27 14,27 21,7 18,92 20,73 20,54 18,31 22,43 20,58 22,79 15,14 17,83 25,61 19,93 19,52 21,03 20,25 23,7 18,96

IMPÔT SUR LE REVENU 2 (EN €)

4 315 4 116 5 634 2 262

5 089 4 224 3 179 7 435 3 498 4 415 3 708 3 027 2 941 3 344 3 451 3 559 2 527 3 347 3 715 3 732

TAXE D’HABITATION

COMMENT ÇA MARCHE ?

Le montant de la taxe d’habitation repose sur la valeur locative d’un bien, c’est-à-dire son loyer théorique. Celui-ci est attribué par l’administration fiscale selon plusieurs paramètres (superficie, environnement, confort...). Problème soulevé par tous les élus : la valeur locative est encore calculée en fonction de l’immobilier tel qu’il était... en 1970. Depuis plus de quarante ans, les bases d’imposition n’ont jamais été révisées. Aucun gouvernement n’ayant osé s’attaquer à un chantier qui s’annonce immense. Ce qui induit aujourd’hui de fortes disparités, totalement décorrélées de la réalité du marché. Les logements en centre-ville étaient par exemple beaucoup moins valorisés par le passé, quand les HLM l’étaient davantage. A cette valeur locative est appliqué un taux fixé par les collectivités locales (communes et communautés de communes). Le produit des deux correspond au montant de la taxe d’habitation à payer.

échaudé les édiles. En 2010, l’Etat s’était engagé auprès des collectivités à pallier sa suppression. Une compensation qui s’est aujourd’hui érodée. « On ne donne que ce que l’on a », philosophe Grégoire Le Blond (UDI), premier magistrat de Chantepie, par ailleurs vice-président de l’association des petites villes de France. «Et on a vu que quand l’Etat est en déficit, il reprend aux communes. » Quelles que soient les modalités de compensation, les maires s’inquiètent pour leur autonomie. Leur crainte : devenir un simple organisme sous tutelle de l’Etat. « La fiscalité locale sert à financer des projets locaux », insiste Marc Hervé. « C’est étonnant qu’on n’ait plus la main dessus. » Avec l’exonération de la TH, les collectivités perdent la pleine maîtrise d’un levier de recettes qu’elles pouvaient actionner. Un paradoxe, alors que l’Etat leur demande toujours plus d’efforts et que leurs compétences se multiplient. L’expression aussi d’un retour à un système centralisé, déconnecté du terrain, augurent certains. « Le préfet n’aura bientôt plus qu’à gérer lui-même et à nommer de grands fonctionnaires à la place des maires », charge-t-on dans les communes.

Un message « populiste » et « dangereux»

L’exonération de la taxe d’habitation enverrait également un signal « dangereux » aux contribuables. Le message implicite -«et populiste»- que les services publics ne coûtent rien. « Dans l’imaginaire, l’impôt local est une confiscation. Alors que c’est un outil de cohésion et de redistribution du pouvoir d’achat », rappelle Marc Hervé. La taxe d’habitation finance les cantines, les centres de loisirs, la voirie, l’éclairage public... La supprimer, ce serait déresponsabiliser le citoyen sur sa contribution à la société. « On passe encore pour les méchants. Alors que les gens sont estomaqués quand ils se rendent comptent qu’ils coûtent plus à la commune qu’ils ne versent en impôt », ajoute Pierre Breteau, maire de Saint-Grégoire. Les maires défendent pour la plupart l’instauration d’une taxe basée sur les revenus et non plus sur la valeur locative. Un chantier énorme, qui pourrait bien être lancé d’ici la fin du quinquennat. « Le gouvernement est en train de vider la taxe d’habitation de sa substance. C’est un préambule. Emmanuel Macron fait d’une pierre deux coups », analyse Pierre Breteau. Tout en faisant un cadeau aux contribuables, l’exécutif chamboule totalement le dispositif de la fiscalité locale. Et rend par la même occasion indispensable une remise à plat complète du système.

1. A ce sujet, le professeur en sciences économiques Yann Le Meur (Rennes 1) expliquait dans Le Télégramme (18/07) : « La part d’impôt consécutive à l’augmentation du taux d’imposition restera à la charge du contribuable exempté. Exemple : monsieur X payait 1 000 € de taxe auparavant et se trouve exempté du fait de la réforme. Le maire décide d’augmenter le taux de la taxe de 10 % : monsieur X devra payer 100 € (mais pas les 1 100 € qu’il aurait payés sans réforme). »

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