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JARDINS FAMILIAUX
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Jardins familiaux Un bouillon de cultures
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A la Prévalaye, 229 jardiniers cultivent leur parcelle sur l’un des plus imposants jardins familiaux rennais. A l’image d’un quartier métissé, les différences culturelles y cohabitent, sans vraiment se mélanger.
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NATHALIE MUSAC rennes@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
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l fait très chaud. En cette I fi n août, beaucoup de jardiniers sont partis en vacances. Dans les allées, quelques voix sont perceptibles. Les têtes de Maho et Thaiji dépassent de la végétation. Comme eux, 227 autres jardiniers disposent d’une parcelle au sein des jardins familiaux de la Prévalaye, à Rennes. Le deuxième en taille sur les onze sites que compte la ville. Plus vaste que le parc Oberthür, l’espace labyrinthique est constitué de
Laurent est un perfectionniste. Son jardin est un laboratoire d’expériences de semis mais aussi un observatoire de la vie des bêtes, où tout est prévu pour leur confort, de l’hôtel à insectes à l’abreuvoir aux abeilles.
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jardins en îlots -« en alvéoles » disent certains- tous mitoyens. Fleuri ou potager, aéré ou luxuriant, chacun d’eux est à l’image de celui qui l’occupe. « Je suis Hmong, on vient du Laos », annonce Thaiji, en s’excusant pour ses problèmes de maîtrise de la langue. Arrosoir à la main, chapeau de paille à franges vissé sur la tête, il se fraie un chemin sous les bananiers pour arroser les dizaines de dahlias rouge et blanc qui se dressent à hauteur de poitrine. Quelques plants ont été acquis en France. Mais la majorité d’entre eux a été ramenée par le couple lors de leurs rares voyages en Asie. Thaiji et Maho ont obtenu ce jardin un an après leur arrivée en France, il y a 29 ans. « J’habite à Villejean en HLM. A la maison, toute la journée, le temps est long. Ici, il n’y a pas de temps ! », explique Thaiji, 58 ans. Il y vient plusieurs fois par semaine, après son travail aux abattoirs. Le week-end, la famille prépare le repas à la maison, puis vient y manger avec les enfants sur la longue table en plastique, protégée du sol par une moquette bleue. A droite rampent de multiples plantes aromatiques, « pour la cuisine, avec le poulet, pour les médicaments aussi », indique Maho. Dans la serre, ce sont de hautes feuilles de citronnelle en touff e qui prédominent. Tout provient du Laos. Enfants, ils ont cultivé la terre avec leur famille. A Rennes, ils perpétuent leur savoir-faire. Jardiner est une manière de maintenir le lien avec leurs origines.
Montre moi ton jardin...
Deuxième plus grand jardin rennais, la Prévalaye accueille de multiples nationalités, réunies au fi l des années dans diff érents secteurs des jardins. A l’image d’un village ou d’un quartier, les cultures y cohabitent sans vraiment se mélanger. Les contacts entre voisins d’origines diff érentes ne sont pas courants. Et les pratiques jardinières de chacun méconnues. L’usage limité de la langue donne aussi des complexes. « Tout là-bas, c’est arabe », montre Maho en balayant de son bras le dessus de sa haie. « Là, derrière, il y a un Français. » Gérard Travert, président du bureau de ce secteur, confi rme cette méconnaissance des uns et des autres, en faisant référence aux plus importants îlots : « Je suis à peu près certain que de l’autre côté, les gens ne sont jamais rentrés dans le jardin de leur voisin turc. » « L’autre côté », c’est l’ensemble d’îlots majoritairement composés de jardiniers originaires de Turquie. Ces attributions, groupées en fonction des nationalités, ont une histoire. Lors de l’ouverture des jardins, en 1982, les demandes n’affl uaient pas. « Personne ne voulait de jardins. Et eux (les Turcs),
de la ZUP, étaient très demandeurs. Il y a même eu des familles qui en avaient deux, tellement il y avait de jardins disponibles dont personne ne voulait ! Donc ils se sont installés, le père, le fils, le neveu… Aujourd’hui, ils occupent autour de 75-80 jardins. » Au sein de cet îlot, qui accueille aussi quelques Asiatiques et des Tchétchènes, une animation particulière débute dès le vendredi après-midi lorsque le temps est beau. Des fumées se répandent avec des odeurs de grillades. Les enfants jouent dans les allées. Les femmes font du pain. Les hommes sont assis à l’ombre. Le jardin est une extension de la salle à manger, avec de grandes tables dressées sous la pergola. A proximité, Farouk, 56 ans, regarde placidement le feu sous le samovar. L’homme au physique imposant constate que le besoin entraîne l’échange. Avec jovialité, il explique que « la Française derrière, elle ne me parle pas. Jusqu’à la semaine dernière. Avec la sécheresse, elle a demandé le tuyau ». Certains viennent aux jardins pour chercher la tranquillité. André, 67 ans, profite de son espace aéré, son petit-fils Elliot, 6ans, à ses côtés, et sa compagne, Renée. « C’est notre résidence secondaire », lance-t-elle avec un large sourire. Le rectangle de pelouse est fraîchement
JARDINS FAMILIAUX Rennes compte 11 sites de jardins familiaux, nommés, jusqu’en 1952, « jardins ouvriers », ils permettent aux jardiniers de bénéficier d’un espace pour leurs loisirs et de cultiver pour leur propre consommation. Les jardiniers ne sont pas propriétaires de leur parcelle. Ils adhèrent à l’association des jardins familiaux de Rennes et s’acquittent d’une redevance en fonction de la taille de la parcelle, de 50 à 200 m². Il faut être patient : à la P révalaye, comptez un an et demi d’attente. Ces jardins sont à distinguer des jardins partagés, cogérés par des habitants d’un quartier.
tondu. Des chaises de jardin sont installées. André craint les taupes. « Le voisin marocain à côté, il a un carré entièrement parcouru de galeries », confirme Renée. Les relations avec les voisins, « c’est comme partout», énonce le jardinier. «Il y a des gens sympas, d’autres moins », ponctue Renée. « Les Turcs préfèrent être entre eux. Ils sont plus familiaux », indique Louis, voisin venu saluer André. Celui-ci, sagement assis, explique qu’«ils aiment se rassembler. Nous, on a perdu ça. Il faut remonter à nos parents ou grands-parents ». Ce qui n’empêche pas la cordialité. « On s’ échange du piment, dit Renée. On en a eu l’année dernière et cette année. »
Un peu plus loin, Laurent converse avec ses voisins. Il partage un souci esthétique de l’espace. Laurent est un perfectionniste. Comme son voisin Claude, la culture est méticuleusement menée en rectangles bien dressés et la mauvaise herbe est chassée. Le jardin de Laurent ressemble à un laboratoire d’expériences de semis mais aussi un observatoire de la vie des bêtes, où tout est prévu pour leur confort, de l’hôtel à insectes à l’abreuvoir aux abeilles. Lorsqu’on les écoute, on comprend que les relations entre jardiniers sont facilitées lorsqu’ils affichent la même manière de faire. Exemple entre le paillage et le bâchage. Les jardiniers sensibilisés à la biodiversité et à l’économie d’eau recourent au paillage et fuient les insecticides. Les Turcs ne connaissent pas le paillage et pratiquent le bâchage. La convivialité du lieu et la production priment sur l’écologie et le décor. Les jardins masqués par leurs hautes cultures peuvent aussi générer un peu de suspicion, face aux carrés qui offrent aux regards une ornementation travaillée. La densité des jardins et le regroupement de personnes aux mêmes origines avec les mêmes habitudes rendent les échanges et la compréhension des pratiques plus difficiles. L’absence de contact peut aussi générer de l’incompréhension. Ainsi, ceux qui recherchent la quiétude en solitaire ne comprennent pas toujours les rassemblements familiaux. L’utilisation de l’eau peut aussi constituer une source de tension. Elle peut être importante dans les serres et diffère selon la perpétuation des pratiques de chacun.
Partager… sans uniformiser
Cet été, les restrictions préfectorales ont amené les bénévoles du bureau de certains secteurs à couper l’eau en semaine. Les horaires d’accès aux robinets ont été affichés en français et en turc. Une plaquette a aussi été adressée à tous les jardiniers pour promouvoir la pratique du paillage, qui permet de conserver l’humidité. Sous forme de bande dessinée, elle est accessible quelle que soit la langue. Favoriser la culture potagère constitue un objectif des jardins familiaux. Leur rôle est aussi de développer les liens, pour que l’espace de cohabitation devienne lieu de sociabilité. Chaque année, une fête des jardins est organisée. Un moment convivial où les échanges restent pourtant limités. « Il y a quatre ans par exemple, on faisait nos galettes saucisses, raconte Gérard Travert. Et les Turcs étaient 50 m plus loin. Nous on était là, et eux ils étaient là-bas… C’était caricatural. Heureusement il y a une jardinière qui a pris l’initiative d’aller parler avec eux, et de les inviter à prendre le dessert. Ce groupe de Turcs a réagi en envoyant les enfants avec des desserts. Ce n’est pas allé plus loin que ça. C’est couillon. » Pour aller plus loin, justement, les membres du bureau souhaitent développer des animations, partager des savoir-faire de pratiques jardinières, s’affranchir des haies pour ouvrir les jardins… Autant de pistes énoncées pour transformer cette espace en lieu de sociabilité privilégié, comme le résume Gérard Travert : « L’idée serait de faire un espace à palabre, un préau, qui abrite de la pluie, avec une table, juste pour venir parler, manger, boire un coup… Faut que ça se mette en place ça ! »
Les jardins familiaux de la Prévalaye reflètent la vie d’une micro-société.
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