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PATRICK CHAUDET

« Ce n’est pas un mouvement d’ampleur mais il se développe » , constate Patrick Chaudet, directeur départemental de la sécurité publique d’Ille-et-Vilaine.

PATRICK CHAUDET Directeur de la sécurité publique «LE PHÉNOMÈNE DES MINEURS ÉTRANGERS DÉLINQUANTS S’EST ACCRU »

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L’Ille-et-Vilaine fait face à une augmentation des arrivées de mineurs étrangers isolés. Une minorité est impliquée dans de récents faits divers. Patrick Chaudet,directeur départemental de la sécurité publique, tente de quantifier et d’expliquer ce phénomène.

Le Mensuel : De plus en plus de mineurs étrangers isolés s’installent en Ille-et-Vilaine. Certains sont bien connus des services de police. Distinguez-vous des mineurs qui sombrent dans la délinquance devant la difficulté à survivre seuls en France ou est-ce des jeunes qui viennent ici pour vivre de la délinquance ?

PATRICK CHAUDET: Clairement, les jeunes auxquels la police rennaise à affaire viennent pour vivre de la délinquance. Ils refusent l’aide du conseil départemental. Ils ne restent pas dans les foyers. Au premier feu rouge, ils descendent de voiture ! De temps en temps, ils profitent de nuits d’hôtel ou de bons pour manger. Ils ne veulent pas se faire assister. Ils logent dans des squats ou chez des amis. La voie royale pour eux est de séduire une jeune femme, de lui faire un enfant, et d’habiter chez elle. Ces jeunes sont très souvent violents. Leurs interpellations sont souvent agitées. Ils ne respectent ni la police, ni la justice.

A Rennes et plus généralement dans l’ouest de la France, quelle est l’ampleur du phénomène ?

En ce moment, à Rennes, une petite centaine de mineurs étrangers isolés posent problème. Ils sont probablement entre 80 et 100. Ce sont des jeunes très mobiles. Après des démêlés avec la justice, ils quittent la ville. On les retrouve ensuite à Nantes, Bordeaux, Quimper… Dans l’ouest de la France, fin décembre 2015, il y avait 90 mineurs isolés étrangers qui posaient problème en Maine-et-Loire, 90 en Vendée, 71 en Finistère, 250 en Loire-Atlantique, 80 en Ille-et-Vilaine et 22 dans le Calvados. Cela fait près de 600.

Fin 2015, 80 mineurs étrangers isolés étaient connus des services de police en Ille-et-Vilaine. Dans le même temps, ils étaient 250 en LoireAtlantique… Pourquoi le phénomène est moindre, ici ?

Ce sont les chiffres de fin 2015… Mais le phénomène s’est accru. Nous sommes davantage touchés depuis quelques mois. Rien que sur le premier trimestre 2017, nous avons procédé à 63

CLAIRE STAES claire.staes@lemensuel.com

interpellations. Nous allons refaire un recensement prochainement. Nous sommes touchés par des mineurs ou des faux mineurs qui veulent profiter de l’excuse de minorité. Il y en a certains pour qui nous arrivons à prouver la majorité grâce aux relevés d’empreintes papillaires ou génétiques. Car ils ont déjà été l’objet de signale ment et leur âge a été enregistré. On peut aussi prouver un âge par des radiographies osseuses qui peuvent se faire avec l’accord du juge des liber tés et de la détention.

Dans quels types de délinquance s’illustrent les mineurs isolés à problèmes ?

La journée, ils font du trafic de drogues, notamment place de la République à Rennes. Ils ont tenté de s’imposer dans le deal à Villejean en 2016 mais les dealers historiques n’ont pas laissé faire. Ça s’est fini à coups de battes de baseball. La nuit, on les retrouve beaucoup sur des vols avec violences. A la sortie des bars et des boîtes de nuit, ils profitent de l’alcoolisation des noctambules pour les détrousser violemment. Ils volent les téléphones, l’argent. On retrouve aussi ces mineurs étrangers isolés impliqués dans des cambriolages. On parle de délinquance d’opportunité. L’ été dernier, par exemple, ils ont fait des raids sur les plages de Saint-Malo. Ils volaient les effets personnels des baigneurs qui avaient quitté leur ser viette quelques minutes.

Quelle part de la délinquance générale relevée à Rennes leur est imputable ?

Impossible à dire. Ils sont dans les stupéfiants, les cambriolages, les vols avec violences, les agressions… Nous pouvons leur imputer quelques faits en flagrant délit mais pour le reste, ils ne reconnaissent rien. A Rennes, cette délinquance se voit beaucoup car ils agissent principalement en centre-ville.

A Rennes, ces mineurs étrangers isolés viennent souvent de la région d’Oujda, une ville marocaine située à la frontière algérienne, pourquoi ?

Il existe sûrement une filière. Ils arrivent par contingent de 50 ou 60. L’été de préférence. Puis, ils disparaissent deux ou trois mois. D’autres prennent leur suite. Je conclus qu’il existe une filière.

Vous dites : «Je conclus. » Pourquoi n’y a-t-il pas d’enquête poussée ?

Nous avons réalisé une enquête en 2015 pour connaître l’ampleur du phénomène. Un peu plus tard, le procureur a mis en place un groupe local de traitement de la délinquance. La police aux frontières et la police judiciaire ont été saisies pour identifier une filière. Cependant, pour le moment, ça n’a pas avancé. Pour dire avec assurance que c’est une filière, il faut le prouver. Or nous ne pouvons pas le prouver. Les mineurs étrangers isolés ne s’expriment pas du tout sur leur identité. Ils ne disent rien. Ils nient même leur implication quand ils sont pris en flagrant délit ! Et les recherches à l’étranger sont très difficiles.

Comment arrivent-ils en France ?

D’après ce que nous avons pu savoir: ils arrivent le dimanche matin par car, via l’Espagne.

Pourquoi viennent-ils à Rennes ?

Il faut croire que la ville leur plaît. Le caractère festif de la ville joue sûrement. Après, ils communiquent avec ceux restés là-bas.

Est-ce un phénomène propre au grand Ouest ?

Je ne sais pas. Ce n’est pas un mouvement d’ampleur mais il se développe. Il y a aussi des mineurs étrangers isolés dans la région parisienne. Pour le reste de la France, je ne sais pas.

Quelles sont les poursuites pénales applicables ?

S’ils ont moins de 13 ans, âge de la majorité pénale, nous pouvons les entendre sur les faits mais ils ne sont pas poursuivis. Comme ils n’ont personne sur le territoire français qui répond de leur responsabilité, nous ne pouvons rien faire. Entre 13 et 16 ans, le tribunal pour enfants peut les juger. La peine de prison est exceptionnelle. Mais les jeunes que nous avons à Rennes depuis quelques années ont rarement moins de 16 ans. Ici, on observe surtout des gens âgés de 16 à 30 ans. On a eu des adultes de 29 ans

IL EXISTE UNE FILIÈRE PATRICK CHAUDET

qui prétendaient en avoir 17! Depuis quatre ans, nous avons interpellé 180 personnes dites « mineurs étrangers isolés ». 127 ont été présentées au juge pour enfants, qui en a envoyé 50 en prison. 45 ont tenté de se faire passer pour des mineurs mais elles étaient en réalité majeurs. Jugés en comparution immédiate, ils ont quasiment tous été écroués.

Des reconduites à la frontière ont-elles été ordonnées ?

Non, quasiment jamais. C’est très compliqué. Pour reconduire des mineurs à la frontière, il faut établir une identité et identifier les parents. Or ces jeunes ne donnent pas leur vrai nom. Les autorités marocaines ne répondent que très tardiv ement. Vous envoyez des empreintes au Maroc, vous allez peut-être avoir la réponse au bout d’un an et demi. Entre temps, ils sont partis ailleurs. Il faudrait faire évoluer la loi française.

440 JEUNES PRIS EN CHARGE PAR LE DÉPARTEMENT Evalués à une centaine, les mineurs étrangers délinquants représentent une minorité des mineurs isolés accueillis en Ille-et-Vilaine. En septembre, le Département prenait en charge 440 mineurs étrangers isolés. Pour faire face à l’arrivée accrue de ces derniers depuis quelques mois, le Département a ouvert, fin août, un nouveau lieu d’hébergement au sein de l’ancienne caserne Guillaudot, près du Thabor à Rennes. Un lieu désaffecté de ses gendarmes depuis 2013. 78 mineurs non accompagnés y sont hébergés depuis. Ce centre fonctionne comme un internat avec un gardiennage et des travailleurs sociaux en lien avec l’association Coallia. Le Département a aussi voté un plan d’actions pour développer les dispositifs d’accueil individualisés et collectifs. L’objectif est de créer 210 places supplémentaires avec un budget de trois millions d’euros. Trois communes se sont proposées pour accueillir des centres pouvant héberger une quinzaine de jeunes.

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