Julien Morice
Enseignante : Magali Moisy
Master 1 TEF N° d’étudiant : 20504026
Approche psychanalytique de l’image
Basée sur les travaux de Serge Tisseron :
Y a-t-il un pilote dans l’image ? Enfants sous influence
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Introduction Héritiers des frères lumières, plus que jamais nous sommes assaillis par l’image, et cette dernière, que ce soit par le biais des écrans ou du papier ne cesse de prendre de l’importance dans notre vie. On dit de Dieu qu’il a fait l’homme à son image, si cela est difficile à vérifier, je m’amuserai volontiers à dire qu’en tout les cas, l’homme a fait « l’image à son image ». Entendons par image, la télévision, les jeux vidéo, ou encore les images papier. En effet, il semble qu’il ait mis tout ce qu’il sait faire de meilleurs et de plus doux mais aussi, tout ce qu’il fait de pire et de plus violent. C’est de cette violence qu’il va être ici question, de ses effets sur l’angoisse mais aussi sur les comportements.
Pour ce faire, j’emprunterai à Serge Tisseron, grand spécialiste de la psychologie de l’image, deux chapitres, tirés de ces ouvrages, que je considère complémentaires. L’un intitulé : six propositions pour prévenir les dangers de l’image1, qui apporte quelques réponses sur les manières de lutter contre les effets indésirables de l’image, et le second intitulé : quand les images menacent la pensée 2 , dans lequel l’auteur s’interroge sur les effets des images violentes sur nos actes, la question étant de savoir si la violence des images appelle la violence dans la réalité.
J’analyserai et discuterai ces deux chapitres indépendamment en confrontant mes observations et mes opinions à celles de l’auteur, puis j’élaborerai une conclusion commune pour analyser en quoi ces derniers peuvent être complémentaires.
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Y a-t-il un pilote dans l’image ? 1998 Enfant sous influence, 2000
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Six propositions pour prévenir les dangers de l’image
Que faire pour lutter contre les effets indésirables des images sur le mental ? C’est à cette question que Serge Tisseron tente d’apporter quelques réponses. Partant du postulat initial que les images en elles même ne traumatisent pas, il étayera dans un premier temps sa théorie avant de faire des propositions d’ordre politique et pédagogique pertinentes. Enfin, il s’intéresse aux parents en leur donnant de précieux conseils pour la santé mentale de leurs enfants. L’enjeu de la question étant de lutter contre l’angoisse et contre la fuite dans les mondes virtuels.
L’image : une expérience traumatisante ?
En notre qualité de spectateur nous nous sommes tous, pour la plupart d’entre nous, sentis un jour agressés par des images, que ce soit devant la télévision, au cinéma ou dans un journal. Si dans la plupart des cas, nos défenses mentales nous on permis de digérer, en quelques sortes, ces images, certaines personnes plus fragiles se voient assaillies par des angoisses profondes qui remettent en cause leur intégrité mentale. La question qui se pose est de savoir si les images sont les causes de ses troubles ou si elles ne font que réveiller des traumatismes passés.
Mettre des mots : la symbolisation
Pour Serge Tisseron, ce ne sont pas les images qu’il faut montrer du doigt car elles n’ont d’effets indésirables que si l’individu souffre de maux qu’il n’a pas symbolisé. La symbolisation, qui consiste à traduire et à donner un nom aux traumatismes et aux angoisses, est la clef de la santé mentale. Cette dernière peut s’effectuer avec l’écoute et la compréhension d’un proche, voir par une psychothérapie. Ainsi, l’image semble totalement disculpée, Tisseron la transcende même au stade médicinal en abordant les effets positifs de la création d’image sur la guérison des troubles.
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Eteins moi cette console !
Voulant préserver leur enfant de certaines images, programme ou jeux vidéo considérés peu adaptés ou ayant un caractère violent, les parents font trop souvent usage de l’interdiction qui produit inexorablement son lot de frustrations et d’incompréhensions. L’auteur met en garde contre ce type de comportement qui est un frein à la communication entre parents et enfants. Selon Serge Tisseron, en effet, mieux vaut limiter la censure et augmenter le partage des émotions. Pour résumer son idée, je paraphraserai volontiers le conseil valable pour les bibliothèques familiales qu’il cite : « Je ne t’interdis de prendre ici aucun livre, mais si tu es choqué ou gêné par ta lecture, parle m’en »3.
La pédagogie au service de la prévention
Deux adolescents font la conversation par une après-midi ensoleillée : -
« Qu’est ce que tu as fais hier ? » demande le plus jeune.
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« J’ai tué 15 personnes avant de tout exploser avec une bombe. Et toi ? »….
Voilà le type de conversation qui, il y a 50 ans, aurait affolé les passants mais qui aujourd’hui est monnaie courante sur les bancs des écoles et ailleurs. Car les victimes dont il est question ne sont pas réelles mais virtuelles, et évoluent dans un jeu vidéo.
Cependant, si tout n’est qu’illusion, là encore, dans le camps des parents c’est souvent la panique et certains s’inquiètent de ses jeux qui transforment en un instant les plus sages écoliers en tueur de sang froid. Selon Serge Tisseron, il convient de relativiser ce phénomène des jeux vidéo de plus en plus important, et de rappeler que justement, ce ne sont que des jeux. D’ailleurs il convient d’ajouter que les jeux n’ont pas changé outre mesure, ce sont leurs formes qui ont évolué. Si autrefois, les enfants simulaient la guerre avec des bouts de bois, aujourd’hui c’est avec les jeux vidéo, mais le but reste le même : se distraire et se socialiser.
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Y a t’il un pilote dans l’image ? p : 121
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Les gardes fous
Nous venons de relativiser l’impact des jeux vidéo, cependant, il convient d’aborder certains travers, auxquels l’auteur fait allusion, et notamment, le risque pour le joueur de confondre les deux mondes. Pour ce faire il existe plusieurs solutions que j’énumérerai brièvement : -
Prévenir de ce risque les consommateurs au lieu de n’aborder que les problèmes d’épilepsie, qui ne semblent présenter qu’un risque mineur.
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Mettre en place une procédure d’entrée et de sortie de jeux en évitant par exemple les sauvegardes automatiques.
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Limiter la durée de chaque partie à deux heures
Instaurer le doute : une nécessité
Après avoir aborder les mesures pédagogiques, l’auteur s’intéresse ensuite à l’axe politique et notamment l’urgence qu’il y a de développer chez les individus la culture du doute généralisé. En effet, si certaines images choques ou sont mal interprétées c’est souvent parce que le spectateur croit qu’elles sont le reflet exact de la réalité. Hors toutes les images ne sont que des mises en scène, et ce qu’il est urgent d’inculquer à tout apprenant c’est à « contextualiser ». La contextualisation consistant à tenir compte de l’environnement dans lequel ont été réalisées les images ainsi que des intentions de l’auteur. Pour les films à risque l’auteur préconiserait d’ailleurs d’imposer une première partie explicative, car savoir de quelle manière sont fabriquées les images évite le risque d’être envahie par des émotions. Enfin, comme nous l’avons déjà abordé au préalable, c’est en particulier en apprenant à manipuler l’image que l’on peut prendre du recul sur ces dernières, de plus, travailler l’image objet peut être une façon de travailler l’angoisse qui y est associée.
Je reste si on ne me ment pas
Il existe, en particulier chez les plus jeunes, une tendance à abuser des images et à s’enfermer dans un monde virtuel. Cependant, au lieu d’incriminer les images, ne convient il pas de connaître les raisons d’une telle attitude ? 5
Car en effet, comme l’affirme Serge Tisseron, cela n’est souvent que la conséquence d’un manque de communication et d’une certaine hypocrisie à mettre à la solde des parents. En effet, pour que les enfants préfèrent la réalité aux images, les parents se doivent d’abord de préférer cette réalité, nous explique l’auteur.
Ainsi, en réponse à notre introduction, c’est bien en effectuant un travail sur soi et notamment en symbolisant que l’on peut sortir des angoisses réveillées par les images, ces dernières d’ailleurs, bien souvent peuvent nous servir de thérapie. Enfin, c’est en contextualisant ces images mais aussi en les manipulant qu’elles perdent leur caractère dangereux. Cependant, en prenant l’exemple de films, ces derniers ne risquent ils pas de perdre un peu de leur magie si on connaît systématiquement l’envers du décor ? De plus, n’est ce pas en partie le rôle des images de nous malmener quelque peu et de réveiller en nous les émotions nécessaires à notre construction ?
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Quand les images menacent la pensée
Dans ce chapitre, l’auteur s’intéresse à l’influence des images et cherche à savoir si ces dernières lorsqu’elles présentent un caractère violent poussent à accomplir des actes d’une telle nature. Cette question est déjà au centre de nombreuses polémiques et les exemples ne manquent guère à l’instar de ce jeune criminel qui aurait pris modèle sur le film « Scream ». Cependant ici encore, était ce les images qui ont déclenché cette violence où n’était t’elle pas imminente avant le visionnage du film ? Pour étudier toutes ces questions, l’auteur va procéder à une enquête auprès d’enfants de jeunes âges, basée sur une méthodologie expérimentale. En effet, il va soumettre un grand nombre de ces enfants à des tests, matérialisés par le visionnage d’images violentes et neutres, de phases d’entretien et des phases d’observation afin de faire d’éventuels constat sur l’effet de ces images.
La violence : à priori, ils n’aiment pas
En tout état de cause, il semble que la violence ne procure que peu de plaisir aux enfants. A la vision de cette dernière, l’angoisse, la peur et le dégoût s’imposent, mais aussi la honte. Cependant ce n’est pas le cas de tous. De plus, Comme l’étude de Tisseron porte sur des enfants, il est important de préciser qu’elle n’est pas pertinente dans sa totalité pour des enfants de plus de 8 ans et des adultes. En effet, nous en avons fait l’expérience à maintes reprises, les films qui nous plaisent ne sont pas toujours les plus tendres et souvent, l’adulte ne rechigne pas à un peu de violence qui suscite en lui les émotions dont il est parfois demandeur.
Besoin d’en parler
Une observation, particulièrement intéressante concerne le temps de parole durant les entretiens des enfants ayant visionné des images violentes. Ils ressentent en effet plus le besoin d’extérioriser leur ressenti que les enfants spectateurs d’images neutres. Cela s’explique, selon Serge Tisseron, par le fait qu’ils cherchent à sortir du mal être dans lequel les ont plongées les images violentes.
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Tisseron introduit alors la notion d’association qui mesure en fait l’aspect quantitatif des réactions par la parole. En l’état nous pouvons constater que les enfants extériorisent plus lorsque qu’ils ont visionné des images violentes.
Moi si j’étais lui …
L’auteur introduit aussi la notion de représentation d’action que l’on peut définir comme une projection mentale réalisée par l’enfant qui s’imagine être l’un des protagonistes de la séquence. Ces représentations d’action sont de quatre grandes familles : -
la lutte
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la fuite
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la pacification
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la passivité et la soumission
Dans ce cas une fois encore, les images violentes induisent plus de mécanisme de représentations que les images neutres.
L’une des réflexions qu’inspire ce constat et qu’en tout état de cause, la violence induit plus d’imagination que les images neutres. A l’extrême, et avec quelque peu d’ironie, dans nos écoles dont le développement de l’imagination des enfants est l’une des missions, on devrait prévoir le visionnage de documents violents dans les programmes scolaires… et troquer « Bambi » contre des mangas japonais … Le lecteur me pardonnera cette réflexion pour le moins fantaisiste et qui n’a pas ici valeur d’opinion.
Revenons à la notion de représentation présentée par l’auteur. Car leurs natures même, diffèrent selon qu’il s’agisse de réactions postérieures au visionnage d’actions violentes où d’images neutres. En effet, les représentations seront majoritairement de l’ordre de la lutte pour les premières, et de l’ordre de la pacification pour les secondes.
Nous pouvons illustrer ce constat en associant ses recherches aux sciences cognitives. Ainsi, il semblerai que les images violentes sollicitent notre archi cortex, que l’on peut vulgariser comme notre cerveau préhistorique ou animal, alors que les images neutres sollicitent semblent-ils d’avantage notre néo cortex bien plus évolué.
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Un point pour les images neutres dirons nous. Même s’il est important de repréciser que l’objet de ce chapitres n’est pas de faire l’apologie de tel ou tel type d’image mais bien, je le rappelle, d’étudier l’impact des images violentes sur les actes. Nous y venons sans plus tarder, et c’est dans l’analyse des expressions corporelles qu’est la clef.
La voie du corps
Jusque là, ce que nous a appris de l’enquête de Serge Tisseron et que les images violentes stimulent l’extériorisation qui s’explique par la nécessité d’exorciser l’angoisse et qu’elles en appellent à des représentations de types plus primaires et instinctives que les images neutres. Quand est il cependant de l’impact sur notre comportement ?
En étudiant la parole du corps, l’auteur s’est rendu compte que dans le cas des images violentes les enfants s’expriment physiquement davantage. Ici encore, faisons appelle à nos expériences personnelles que ce soit dans les films où les jeux vidéo. Nous sursautons, nous haussons le ton, nous sommes parfois si absorbés que sous les feux ennemis on évite les balles… en bougeant la tête sur notre canapé. Les enfants réagissent avec encore moins de retenu aux sensations que leur donne la violence, d’autant que dans les travaux de Serge Tisseron les films présentés aux enfants ne sont pas que de l’ordre de l’action, mais plus de la violence avec ce qu’elle a de plus sombre et de réaliste, telle que des tortures infligées à des Marines Américains nouvellement recrues. D’un point de vue purement analytique, nous serions donc tenter de dire que les images à caractère violent poussent les enfants à s’exprimer avec leur corps qui parfois, selon l’auteur semble s’exprimer de manière involontaire, on pourrait ainsi conclure que parmi ses actes involontaires certains pourraient s’avérer violents et néfastes aux comportements prescris en société, cependant la question nécessite une analyse plus fine.
Deux hypothèses contradictoires
Suite au constat de l’expérience menée par Tisseron, deux hypothèses sont à formuler. La première consisterait à affirmer que la conséquence des images violentes, c'est-à-dire, plus d’actes involontaires et plus de représentations, témoigne d’un échec du langage pour maîtriser les sensations ressenties par l’enfant.
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Cette hypothèse peut paraître pertinente sur bien des aspects. J’évoquerai notamment ce constat effectué dans les milieux carcéraux témoignant d’une déficience importante de cette population au niveau linguistique. Les conclusions de ces observations font le parallèle entre le nombre de mots disponibles dans le dictionnaire lexical d’un individu et ses rapports à la violence et à l’agressivité. Moins les connaissances d’un individu dans ce domaine seraient étendues et plus ce dernier serait susceptible d’avoir un comportement violent. A l’instar de cette première hypothèse, c’est souvent la frustration générée par l’impossibilité d’exprimer ce que l’on ressent où tout simplement ce que l’on veut dire, qui serait à l’origine d’actes incontrôlés. Ainsi, les images violentes qui rendent caduques toutes tentatives de symbolisation ou d’intégration mentale par la pensée et par les mots favoriseraient des comportements violents au détriment des actes plus réfléchis.
Cependant, à cette hypothèse fort attrayante de part sa logique quasi mathématique, Serge Tisseron en préfère une autre, qui lui est contradictoire et beaucoup moins alarmante. L’auteur évoque l’existence d’une communication bimodale qui se traduirait par un mode d’expression sensoriel et émotif, pour le premier, et moteur pour le second. Ces deux modes seraient en fait complémentaires et la prééminence de l’un ne signifierait pas l’échec de l’autre. Pour en arriver à cette conclusion plus rassurante l’auteur s’appuie sur deux constats : -
Le discours des enfants qui extériorisent le plus est cohérant et réfléchi, sous entendu, il est efficace en terme de symbolisation.
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Les enfants qui extériorisent le plus, donc qui ont une meilleure capacité de symbolisation d’images violentes, ne s’expriment pas moins avec le corps. Ils ressentent le besoin d’exprimer leurs sentiments par ce biais tout autant qu’ils s’expriment avec des mots.
L’auteur précise bien que la manière de s’exprimer est totalement subjective, et que certains utilisent aussi bien avec les mots que le corps, alors que d’autres possèdent des facilités dans un des deux domaines, enfin il en existent, hélas, qui ne s’expriment que peu dans tous les domaines confondus. C’est d’ailleurs, selon Serge Tisseron, ces derniers qui sont susceptibles d’être, de manière imprévisible, violents.
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Nous venons de disculper quelque peu les images violentes et leurs conséquences sur les actes de même nature, il va maintenant être intéressant de mettre en parallèle ce constat avec notre premier chapitre.
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Conclusion générale Comme je l’ai précisé précédemment, j’ai choisi les deux chapitres que nous venons d’étudier pour leur complémentarité. En effet, ces textes s’intéressent tous les deux aux dangers de l’image mais sous des aspects quelque peu différents. L’un, six propositions pour lutter contre les dangers de l’image, traite les problèmes liés aux angoisses face à l’image. L’autre, quand les images menacent la pensée, s’intéresse à l’impact de ces dernières sur le comportement. Dans les deux cas, le moyen d’action est de limiter l’impact émotionnel et de parvenir au processus de symbolisation. Pour ce faire, il faut prendre des mesures pédagogiques et politiques visant notamment à contextualiser les images, et à comprendre la manière dont elles sont fabriquées4. Mais cette symbolisation passe surtout par l’extériorisation, qu’elle soit verbale ou physique5.
Nous en venons à l’aspect essentiel de toutes ces réflexions qui concerne la communication. En effet, c’est toujours de cette manière que l’individu parviendra à gérer les chocs émotionnels auxquels il sera soumis, et ce, même en dehors de ses rapports à l’image. C’est d’ailleurs en particulier au niveau de l’éducation que ce travail doit ce faire, dans l’entourage proche des individus, car si on ne remarque pas de différence en terme de capacité d’association des enfants quel que soit le milieux socioculturel d’origine, cette capacité doit être sans cesse sollicitée sinon elle risque de devenir inopérante.
Ainsi je pense que l’image en soi n’est qu’une donnée de plus de notre environnement, comme le fût à son origine l’écrit, et les manières de se protéger des dangers liés à l’une et à l’autre, sont les mêmes : de la communication et surtout beaucoup de bon sens dans l’utilisation des ces outils à penser et à « ressentir ».
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