Kevin Guiri Couderc | 2021
LES VISITES CORPORELLES. Traduction d’une gestuelle
LES VISITES CORPORELLES. Traduction d’une gestuelle
Découverte et analyse des parloirs en milieu carcéral. L’objectif premier était de partir sur une nouvelle base par un projet complet, s’adaptant à une vision architecturale plus humaine que prend en compte les prisons dites modernes. Les parloirs visites regorgent de notions qui correspondaient à celles que je recherchais, comme l’intimité, le bien être, mais aussi la connexion avec le monde extérieur. Cette connexion détenus / visiteurs, répondait d’une manière évidente que ces lieux de visites éphémères et intimes devaient être pensés comme un espace en osmose avec ses usagés, de part les matières utilisées, l’agencement, la luminosité et bien évidement son mobilier.
Mes recherches m’ont amené à aborder la réfléxion de cet espace par une méthodologie en plusieurs points : l’ambiance, la lumière, la matière et l’usage. J’ai découvert que leurs agencements étaient souvent chargés de codes symbolisant l’institution pénitanciaire. La couleur des peintures utilisées, comme le bleu, rappelant la couleur des forces de l’ordre, ces espaces ne traitent ici aucune neutralité. On retrouve dans beaucoup de cas du mobilier issu du scolaire, issu du cadre disciplinaire, ne créant aucune rupture. Pour ce lieu dédié à la visite des personnes extérieurs, la surveillance constante des gardiens ne permet pas d’obtenir un échange intime optimal, d’une simple visite familiale, à celle d’un avocat, la visite reste sous contrôle.
Dans les prisons, le parloir est destiné à permettre aux détenus de communiquer avec des personnes extérieures. En dehors des parloirs ordinaires, certaines prisons possèdent également des parloirs spécifiques pour recevoir l’avocat ou destinés à permettre l’intimité familiale. En France, les visites sont soumises à l’obtention préalable d’un permis de visite qui peut être temporaire ou permanent. Des parloirs familiaux (salons fermés, d’une superficie variant de 12 à 15 m2) et des unités de vie familiale (appartements meublés de 2 ou 3 pièces, séparés de la détention, où la personne détenue peut recevoir sa famille dans l’intimité) doivent être proposés depuis la loi pénitentiaire de 2009 destinée à favoriser la réinsertion par le maintien du lien familial. Dans la pratique, seuls certains établissements en proposent : au 1er janvier 2015, ils existent 45 parloirs familiaux répartis dans 9 établissements pénitentiaires et 85 unités de vie familiale sont réparties au sein de 26 établissements pénitentiaires.
La visite de couple Lors de ces visites, les rapprochements physiques sont importants : embrassades, enlacements, même ébats sexuels. A l’inverse du mobilier dédié à l’usage individuel que l’on peut rencontrer dans les parloirs actuels, la réflexion d’un mobilier conçu pour deux personnes peut être envisagée.
La visite familiale Dans le cadre de cette visite beaucoup de postures sont rencontrées avec du contact physique comme lors des visites couple principalement : embrassades, enlacements, postures assises rapprochées en y ajoutant le comportement des enfants instables ou sur les genoux. Un mobilier pensé pour les multiples cas doit être envisagé, en comprenant les notions de modularité et de convivialité.
La visite administrative ou judiciaire Cette visite principalement convoque des personnes de l’extérieur chargées des démarches administratives du détenu, qu’elles soient judiciaires ou non. Les usagés se tiennent dans la majorité des cas face à face, dans le respect d’une certaine distance. C’est un rendez-vous important qui nécessite une écoute et une concentration particulière. L’ espace se transforme en bureau de travail pour quelques instants, le bruit se doit d’être pris en compte, comme la luminosité. Des objets peuvent être mis en évidence et posés sur un plan de travail : sacoche, papier, photos, stylos, enregistreur.
La majorité des établissements carcéraux que nous rencontrons aujourd’hui en France ont été conçus dans un objectif architectural primaire simple et à moindre coût. Le béton armé fut utilisé en grande quantité pour la réalisation de ces divers établissements. Pensés comme des endroits en rupture avec la société, ils se devaient d’être composés de grands murs infranchissables, démotivants les détenus à toute tentative d’évasion. Mais également composés de cours et de cellules quadrillées et bétonnées relevant d’une conception froide, sans émotion.
L’idée de vouloir utiliser la technique ancestrale du béton terrazzo n’est pas récente. En effet, comme je l’indique dans mon mémoire de licence «Béton et sensorialité», je recherchais un moyen de pouvoir réutiliser cette technique en lui apportant quelques innovations personnelles. Le terrazzo est une technique de béton coulé aves des incrustations d’éclats de verre de différentes couleurs, seulement ce rendu bien que purement décoratif ne permet pas de générer une interaction avec l’usagé. Pour adapter cette technique à mon concept, j’ai trouvé judicieux de remplacer le verre par des éclats de miroir. A partir de miroir de récupération, j’ai procédé au brisement de ce dernier pour la confection d’éclats, de fragments et de poudre. Après avoir trié et calibré ces morceaux de miroir, j’ai ensuite confectionné des coffrages en lambris pvc de récupération pour y couler le béton. Pour rester dans la rhétorique des phénomènes de nébuleuses.
Une 4e composition s’ajoute à la gamme. Dans une volonté de créer des puits de lumière naturelle, j’ai pour ce fait expérimenté le verre afin de pouvoir l’incruster dans la matière. J’ai coupé grossièrement des carreaux de verre, toujours issus de récupération, en bandeaux afin de recréer des entités imparfaites. En observant ces bandes par la tranche, on visualise que la découpe aléatoire produit des variations qui altèrent plus ou moins la lumière du jour. Ces morceaux de verre ont été collés ensemble afin de concevoir un pavé de verre venant créér une source de lumiére dans le béton.
Il m’a fallut oublier la mise en œuvre de mon espace sous forme de parois murales pleines. J’en suis venu à penser et à concevoir une fonction modulaire de briques pour bâtir des structures courbées en désaxant les orientations comme on le souhaite pendant la construction. L’avantage de ce principe de montée en brique, c’est qu’il n’est pas obligé d’être complètement fermé.
En ce qui concerne la manœuvre quand à l’import de briques, elle nécessite beaucoup moins d’outils de grande envergure donc beaucoup moins d’énergie. Des artisans maçons peuvent bâtir ces espaces avec des outils de leur quotidien. Le design de la brique que j’ai conçue reprend la forme géométrique d’un trapèze pour deux raisons. L’assemblage en quinconce permet d’obtenir à tout instant une visibilité du personnel pénitencier sur la visite afin de répondre à la notion de surveillance. Deuxièmement l’assemblage alterné pour la conception de séparateurs d’espaces répond à la question d’intimité des détenus et des visiteurs durant leurs échanges. Au nombre de 3, chaque parloir a son entrée orientée différemment. Depuis l’intérieur, le jeux des briques en quinconce alterne la vision sur les autres usagés et permet d’obtenir une total intimité les uns envers les autres.
Pour assurer un maintien de la structure, les briques sont conçues avec deux systèmes d’emboîtement bien spécifiques. Même s’il ne s’agit pas ici d’une structure destinée à la construction de gros œuvre, ces systèmes permettent à la fois d’éviter une utilisation excessive de ciment tout en obtenant des jointures légères afin d’apporter à l’ensemble une finesse esthétique.
Le mot «parloir» pour désigner les espaces de visites mérite que que l’on s’y intéresse un instant. «Parloir» venant du verbe «parler» signifie un acte oral, qui d’émetteur à récepteur engendre une discussion. Dans le contexte particulier d’une visite carcérale, ce n’est pas uniquement le verbe qui prime quand les visiteurs et détenus rentrent en connexion, mais aussi les corps qui, de part leurs gestuelles, entament et définissent une discussion corporelle. Figée dans la masse, la gestuelle de ces «visites corporelles» m’a permis d’être le fil conducteur de ma méthodologie de conception, le design découlant de la fonctionnalité, le mobilier joue le rôle de récepteur de ces diverses postures, entame un dialogue avec celui qui s’y installe.
Conçu en trois parties, cette composition 3 en 1 reprend le système d’emboîtement rappelant celui des parois de briques. Outre un rappel esthétique, ce principe fut adapter en fonction du poids afin de facilité sa mise en place. La forme des trois parties est également un clin d’oeil au design géométrique des briques, bien que les bordures soient davantage arrondies afin d’obtenir un aspect chaleureux et confortable.
La base de la structure constitue la premier partie, elle reprend le principe d’une banquette ou les personnes peuvent s’asseoir comme s’allonger. Son poids a pour principe d’obtenir un maintien considérable, mais aussi de contrer une certaine faille sécuritaire actuelle. Dans les parloirs visite conventionnels, il n’est pas rare que le mobilier n’étant pas scellé peut être pris comme un projectile, donc dangereux. Ici la structure ne peut être déplacée ou manipulée facilement au vue de son poids. La seconde partie est pensée comme un plan de travail. Son positionnement permet une utilisation multiple suivant ou l’on s’installe. Elle peut être utilisée comme une table à écrire durant les visites administratives par exemple, mais aussi comme dossier où l’on peut à la fois s’y accouder. La partie la plus haute s’emboîte dans la partie du milieu faisant office de tablette pour poser ces affaires personnelles. Elle fait également figure de socle disposant d’une emplacement pour la fixation d’un luminaire.
Ce luminaire puise son inspiration de l’image du feu de camp, du foyer autour duquel nous pouvons nous rassembler et passer un moment agréable. Elle reprend également l’image d’un astre que nous pouvons contempler.
Designer Kevin Guiri Couderc www.kevinguiricouderc.com