Les fondements de la philosophie africaine

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LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE


DÉJÀ PARUS CHEZ KIYIKAAT ÉDITIONS [1] [2] [3] [4]

[5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13]

LE DIEU NOIR : L’ANTHOLOGIE INTERDITE AU MOINS DE 50.000 ANS, Dibombari MBOCK, Février 2010 DÉCOLONISER LA FRANCE, Charly Gabriel MBOCK, Juillet 2010 AU-DELÀ DE MA NÉGRITUDE, S. NDEDI MOUSSINGA, Décembre 2010 L’OPÉRATION ÉPERVIER AU CAMEROUN : UN DEVOIR D’INJUSTICE ?, Ouvrage collectif, Coordination scientifique de Charly Gabriel MBOCK, Octobre 2011 HAÏTI EN SIX LEÇONS, OPINIONS ET IDÉES, Jean-Claude MARTINEAU, Février 2012 LA PENSÉE AFRICAINE : ESSAI SUR L’UNIVERSISME PHILOSOPHIQUE, MBOG BASSONG, MARS 2012 AVANTI NANOU AK TI KO - LES AVENTURES DE NANOU ET TI KO, Arcelle APPOLON, Octobre 2012 THE ARADA PLEGE, JEAN-CLAUDE MARTINEAU, FÉVRIER 2013 OUSIRÉ, LE DIEU ENTRE NOS MAINS, TOME I, DIBOMBARI MBOCK, FÉVRIER 2013 HÉRITAGE VOLÉ : LA PHILOSOPHIE GRECQUE EST VOLÉE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE, GEORGE G.M. JAMES, MAI 2013 L’ENJEU DE DIEU, SIEGFRIED R. DIBONG, AOÛT 2013 LE SAVOIR AFRICAIN : ESSAI SUR LA THÉORIE AVANCÉE DE LA CONNAISSANCE, MBOG BASSONG, OCTOBRE 2013 VOYAGES AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ AFRICAINE GLOBALE, RUNOKO RASHIDI, OCTOBRE 2013

[14] LA THÉORIE ÉCONOMIQUE AFRICAINE : L’ALTERNATIVE À LA CRISE DU CAPITALISME MONDIAL, MBOG BASSONG, DÉCEMBRE 2013 [15] LA RELIGION AFRICAINE : DE LA COSMOLOGIE QUANTIQUE À LA SYMBOLIQUE DE DIEU, MBOG BASSONG, DÉCEMBRE 2013 [16] HISTOIRE POLITIQUE DE L’AFRIQUE, L’EXIGENCE DE LEADERSHIP, UPAHOTEP, OCTOBRE 2014 [17] LA FRANCE D'AFRIQUE, LE SYNDROME COLONIAL, CHARLY GABRIEL MBOCK, NOVEMBRE 2014 [18] PEAU NOIRE, MASQUES BLANCS, FRANTZ FANON, DÉCEMBRE 2014 [19] LES DAMNÉS DE LA TERRE, FRANTZ FANON, DÉCEMBRE 2014 [20] POUR LA RÉVOLUTION AFRICAINE, FRANTZ FANON, DÉCEMBRE 2014


MBOG BASSONG

LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

© KIYIKAAT EDITIONS, 2014 www.kiyikaat.com ISBN : 978-2-923821-29-0 Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Décembre 2014 Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales Canada, Décembre 2014 Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.


DU MÊME AUTEUR PUBLIÉS CHEZ KIYIKAAT ÉDITIONS [1] LA PENSÉE AFRICAINE : Essai Sur l’Universisme Philosophique, Mars 2012 [2] LE SAVOIR AFRICAIN : Essai sur la théorie avancée de la connaissance, Octobre 2013 [3] LA THÉORIE ÉCONOMIQUE AFRICAINE : L’alternative à la crise du capitalisme mondial, Décembre 2013 [4] LA RELIGION AFRICAINE : De la cosmologie quantique à la symbolique de Dieu, Décembre 2013

AUTRES [5] Les fondements de l’État de Droit en Afrique précoloniale, 2007. [6] Esthétique de l’art africain. Symbolique et complexité, 2007. [7] La méthode de la philosophie africaine, De la pensée complexe en Afrique noire, 2007. [8] L’impactisme météoritique : Concepts, méthodes et enjeux théoriques.

LIVRES ÉLECTRONIQUES [9] Les impacts de météorites au Cameroun - Concept, méthode et enjeux de l’Impactisme, 2011. [10] Sociologie africaine. Paradigme, Valeur et Communication. [11] Adna ni mahol má Mbog liáá - Pek inyuú yaní. Manifeste pour l’édification d’une communauté Mbog liáá forte et prospère, en traduction française. [12] ŋkwεl ú bayímâm.

A consulter sur le site internet www.mbogyes.com


TABLE DES MATIÈRES POINT DE DÉPART : LA PROBLÉMATIQUE PHILOSOPHIQUE ............... 7 CHAPITRE 1

LA COSMOLOGIE AFRICAINE A DEUX DIMENSIONS : PHYSIQUE ET METAPHYSIQUE ................................................... 15

1.1 L’UNIVERS MIS EN ÉQUATION .......................................... 16 1.1.1 Le brouillard philosophique de l’Occident .............................. 17 1.1.2 Des limites de la science classique à la complexité ................ 22 1.2 LES PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES .................................... 26 1.2.1 La recherche des principes unificateurs ................................... 26 1.2.2 L’enjeu d’un plancher métaphysique ........................................ 30 CHAPITRE 2

LES MYTHES COSMOLOGIQUES ONT UNE PORTEE PHILOSOPHIQUE .................... 33

2.1 LE STATUT DE LA VÉRITÉ ................................................... 34 2.1.1 Les frontières entre la science et la philosophie ..................... 34 2.1.2 Les conditions d’accès à la Vérité éternelle ............................. 35 2.1.3 La vérité à l’échelle de l’homme ................................................ 37 2.2 LA VÉRITÉ GÉNÉRALE DES MYTHES............................. 37 2.2.1 La théorie de l’évolution............................................................. 38 2.2.2 Les principes organisateurs ........................................................ 42 2.3 MYTHES ET PHILOSOPHIES ................................................ 45 2.3.1 La nature religieuse de la cosmologie ....................................... 46 2.3.2 Mythologies et philosophies comparées .................................. 51 CHAPITRE 3

L’UNIVERSISME EST UNE PHILOSOPHIE ET UN DISCOURS DE LA METHODE ........... 57

3.1 DU CHAOS SENSIBLE A LA LOI.......................................... 58 3.1.1 Comment entrevoir l’ordre de la nature ? ............................... 59 3.1.2 La forme spiralée dans les mythes africains ............................ 62 3.2 LE DISCOURS DE LA MÉTHODE ....................................... 63 3.2.1 La puissance de la forme spiralée ............................................. 64


3.2.2 3.2.3

L’approche mathématique de l’Être ......................................... 65 La révolution épistémologique africaine .................................. 69

POINT D’ARRIVÉE : LA PHILOSOPHIE AFRICAINE COMME VOIE POUR L’AVENIR DE L’HUMANITÉ............................ 75 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE .................................................................... 79


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POINT DE DÉPART : LA PROBLÉMATIQUE PHILOSOPHIQUE « L’impérialisme culturel est une invasion qui asphyxie et détruit la culture réceptive. Ce processus aboutit à une dépossession : la culture envahie ne se saisit plus elle-même à travers ses propres catégories, mais à travers celles de l’autre. » Serge Latouche, « L’approche culturelle : le site et la niche » in Critique de la raison économique. Paris, L’Harmattan, 1999, p. 66. Pour philosopher, il faut être capable de dire une vérité, en conceptualiser l’élémentarité du sens et la portée de la valeur. Mieux, il est souhaitable de savoir ce qu’est la Vérité générale inscrite dans l’ordre dynamique de l’Univers, somme toute indépassable par la rationalité humaine. Comment peut-il en être autrement puisque l’homme est le produit de cet Univers et, de surcroît, partie prenante d’une forme d’organisation qui transcende son Être et sa nature intervenue uniquement au bout de 13,7 milliards d’années ? Pour une fois, n’oublions pas que les ordres, physique, chimique et biologique ont préexisté et que l’Univers représente, en fin de compte, une chaîne d’alliances génésiaques ayant préfiguré l’enjeu d’un ordre universel, à la fois participation et complémentarité. Il s’agit, par conséquent, d’organiser cette rationalité humaine en la rendant conforme à cette Vérité, si faire se peut. Aussi l’éternité cosmique se prolonge-t-elle, sur le plan culturel, par l’éternité sociale et écologique. Ainsi pourrait-on résumer l’expérience de connaissance de la sagesse africaine, perçue ici comme le résultat des efforts méthodiques et patients des initiés et sages Kamit en vue de l’appréhension consciente des lois


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d’évolution de l’Univers dont la philosophie, la science et la religion ne sont, finalement, que des expressions spécialisées. La sagesse africaine dépasse, tout naturellement, la philosophie. Nous savons que celle-ci recherche les voies d’accession à l’Être (l’ontologie), à la vérité rationnelle (épistémologie) et à la norme d’action (éthique). Au vrai, la philosophie aboutit, le plus souvent, à la conclusion prévisible que la logique discursive ne peut épuiser l’Être (l’idée, le noumène…), la vérité, la morale. Aussi la sagesse prend-t-elle une forme symbolique, métaphysique, avec cette ambition « cachée » de pénétrer l’essence de la réalité et de dépasser, ce faisant, l’énoncé rationnelle souvent insatisfaisante, car linéaire. Pour cette raison, on peut dire, sans exagération, que la sagesse formalise un Universisme philosophique en raison de cette prétention mentale qui veut qu’on approche de très près la Vérité générale de l’Univers par la voie épistolaire si délicate1. L’Universisme est donc adossé, sur le plan philosophique, à l’intentionnalité projetée par la Vérité générale que dessine l’histoire dynamique de notre Univers en fin de compte connaissable et analysable aux diverses échelles de la matière, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. La philosophie africaine est bloquée. Elle n’est plus capable de répondre à ses préoccupations traditionnelles : comment accroître le progrès rationnel en se rapprochant le plus près possible de la Vérité générale inscrite dans la nature ? Comment envisager, dans cette même optique, l’évolution des techniques en pacifiant l’existence et en y consolidant les liens sociétaux, sans oublier les équilibres environnementaux dont l’homme a besoin pour assurer sa survie et son bonheur ? Très peu sont les professionnels africains de la philosophie préoccupés par la question des fondements de toute forme de ratioEn général, le risque est grand de déboucher sur la durabilité des dogmes et paradigmes, ou encore le caractère idéologique, intéressé et souvent malveillant de l’écrit. 1


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nalité. En général, ils se servent de la philosophie comme un poisson se sert de l’eau pour nager, vivre et se reproduire. Aussi ces professionnels sont-ils davantage soucieux d’encadrer le prestige de la discipline et ce faisant, de protéger leur propre image de marque ; le cas échéant, ils communiquent leurs articles pour avancer dans leur carrière ou encore, développent tout simplement les chances d’obtenir un financement, s’il en est. Ce que nous affirmons ne tient pas d’une simple caricature. De fait, tous ceux qui veulent savoir à quoi sert la philosophie sont ceux qui, ne s’y intéressant vraiment pas, manquent d’éléments pour en parler et y répondre tant elle apparait si éloignée du quotidien. Ceux qui, en revanche, peuvent répondre à cette question sont les professionnels eux-mêmes que la philosophie fait vivre ou intéresse. A ce titre, la question « à quoi sert la philosophie ?» est sans grand intérêt. A leur corps défendant, ils font valoir la carte d’un réalisme pratique. Ce qui est donc en cause, c’est l’adoption des référents cartésiens que l’on sait pertinemment étrangers à la pensée africaine et son corollaire, la lente dilution des ressorts cognitifs2 propres à la pensée africaine. Il y a là, une sorte de décor qui sert de masque à une forme pernicieuse d’aliénation. Nous devons nous interroger sur la nature de ce que furent les ressorts cognitifs de cette philosophie dont la portée rationnelle véhicule l’humanisme ancestral au cœur d’une hospitalité légendaire restée, contre toute attente, inégalée dans l’histoire des civilisations dominantes. Au nom de quelles valeurs et de quel socle théorique3 cette philosophie a-t-elle donc su et pu pacifier l’existence en conjurant les risques de violence entre et dans les nations ? Comment a-t-elle assuré, ce faisant, la prospérité de tous ? Quels types d’institutions sociales, politiques et économiNous entendons par ressorts cognitifs les fondements normatifs de la pensée qui donnent sens à la connaissance rationnelle (philosophie, science) selon des procédures méthodologiques identifiables. 3 Cette question a été largement abordée dans notre livre Le savoir africain. Essai sur la théorie avancée de la connaissance, Montréal, éditions Kiyikaat, 2013. 2


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ques ont permis de favoriser la mise en commun des ressources ainsi qu’une répartition équitable des biens aux fins d’assurer le bien-être de tous ? Notons qu’au sein des cultures initiatiques plus ou moins conservées, la philosophie africaine continue de consolider les liens affinitaires, de solidarité familiale et communautaire, malgré la phase actuelle de régression que nous déplorons ; elle assure encore la convivialité entre les individus et les différents clans, organise les productions domestiques, de subsistance (agriculture, élevage, pêche) ; elle lutte ardemment contre la pauvreté structurelle que diffusent le capitalisme et l’individualisme dominants. Ce n’est pas tout : elle fait partager, à tous, les grands moments de souffrance, de santé, de joie, d’amour, de don, de partage, d’entraide, de communion fraternelle, etc. En un mot, elle prépare le salut de toute la collectivité et se soucie du bonheur partagé, si caractéristique des liens communautaires de vie. Sans doute cette philosophie a-t-elle réussi de telles prouesses pour avoir conjuré la dérive capitalistique des avoirs et surtout, la menace autoritariste des chefs, rois et empereurs. Jamais les cultures africaines n’ont promu autant d’indigence spirituelle, de mendiants, de désœuvrés, de pauvreté, d’enfants abandonnés, de fous, de déviants sexuels et de délinquants sociaux comme cela se donne en spectacle aujourd’hui. Qui peut récuser un tel effort philosophique de promotion et de maîtrise d’une vision du monde perçue par tous les clans et royaumes comme légitime ? Faut-il le rappeler, la parole avait suffi à réglementer tous les actes, y compris ceux de la vie publique. Elle a été comprise comme une tâche intersubjective et collective qui a fini par irriguer le sens commun. Il y a eu dans tout cela, un peu de maîtrise de l’Être, de l’histoire et des mythes fondateurs, un peu d’intégrité individuelle et d’idéal pacificateur. Des institutions dignes de la sagesse des initiés ont, pour ainsi dire, existé ; leur rôle a été de réguler la société politique, en vue d’assurer toujours plus de vie, de bonheur et de prospérité pour tous. Telles sont les conclusions aux-


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quelles notre analyse des traditions africaines nous conduit4. Ne nous voilons plus la face : si nos prouesses philosophiques s’amoindrissent à mesure que les moyens d’éducation, de communication et les techniques dont nous nous servons deviennent plus puissants, il y a lieu de nous interroger sur l’indispensable refondation du sens et de la valeur. C’est dire que le temps viendra où le plus brillant de nos professionnels de la philosophie moderne sera considéré comme un parfait ignorant promoteur de l’aliénation culturelle, en comparaison du plus rustre des sages de nos villages. Nous touchons là à un problème philosophique fondamental lié à une allégeance au modèle cartésien et au postulat déterministe qui veut que notre chemin spirituel et intellectuel soit celui de l’universalisme européen, en raison de la supériorité technologique acquise par le biais de la science. Cette conviction qu’il existe une nécessité ordonnée de l’histoire s’explique par le fait colonial. Nous tenons ceci pour vrai, venant d’un des plus grands astronomes de notre temps : « L’histoire des sciences montre que le principal n’est pas de convaincre à tout prix les mandarins de l’époque, quand on défend une théorie résolument nouvelle et forcément dérangeante. Ces mandarins, imbus de leur autorité arbitraire et très souvent provisoire, sont maîtres pour snober ou pour étouffer ce qui risque de les faire passer de mode (…) Les mandarins passent, la science évolue, les théories nouvelles apparaissent. »5 Ce qui est valable pour la science l’est aussi pour la philosophie qui celle-ci tient en estime comme une liturgie de chapelle. Pour cette raison, nous aimerions réapprendre à tout Africain, tout Kamit, ce que fut la véritable nature de la philosophie africaine. Disons, en quelques mots, que cette philosophie procède d’une quête de la Vérité générale de la nature dont le socle rationnel Le chapitre III en reprend les principaux aspects et débouche sur la théorie de l’Universisme qui serait, quand au fond, le sens le plus profond à donner à la philosophie africaine. 5 Michel-Alain Combes, La Terre bombardée. La théorie de l’impactisme terrestre, éditions France-empire, 1982, pp. 250 - 251. 4


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repose sur la cosmologie, laquelle cosmologie explique, en bien de points, l’émergence des divers ordres physique, chimique, biologique et humain qui en résultent. Ces ordres se superposent et s’harmonisent par le biais d’un Principe fondamental, d’une loi6. Au vrai, cette loi représente le flot d’écoulement de l’énergie universelle, à savoir Maât, du nom de la double déesse de la VéritéJustice assurant l’ordre social. Maât formalise ainsi une forme génésiaque, essentielle pour comprendre sur le plan de la géométrie, les phénomènes régissant l’ordre du monde repris dans les mythes Kamit. Dans tous les cas, la science rejoint le mythe dans la quête de la vérité. Si, en effet, la physique renvoie aux lois de la nature, et donc à ce qu’il y a, le mythe lui rend compte, en dernière analyse, de l’arrière-plan de toutes nos croyances communes et, par conséquent, de notre langage qui les exprime. Nous sommes en métaphysique, « à côté » ou « au-delà » de la physique. Ici, c’est l’esprit qui raisonne avec son expérience de la connaissance. Or nous le savons tous, cette expérience dépasse notre entendement sensible et son énonciation linéaire. Aussi s’agit-il, dans le présent essai, d’expliquer ce passage « tranquille » de la physique (cosmologie) à la métaphysique (mythes) ; en d’autres termes, nous devons saisir la relation qui existe entre le pouvoir humain de connaître et l’absoluité du cosmos. Dans cette optique, l’herméneutique, en tant que science de l’interprétation, peut nous permettre de dévoiler le sens, la valeur et la portée rationnelle des mythes cosmologiques ancestraux. L’objectif, c’est bien de déterminer si « ce qu’il y a », en physique quantique, a son prolongement dans le mode d’être métaphysique, et donc ce qui est. Vue sous cet angle, la métaphysique est assimilable à une recherche des causes et des principes premiers. On pourrait même argumenter en faveur d’une quête ultime du savoir dont la forme essentielle aurait quelque chose d’essentiel à voir avec la métaphysique. Nous sommes donc fondés à penser 6

Nous pensons que cette loi représente la théorie du Tout.


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une philosophie africaine digne d’intérêt scientifique, surtout que la cosmologie moderne nous invite à appréhender la métaphysique comme une dimension de la science. A peine croyable, quand on y songe, est la somme des trésors qui nous attendent dans cette quête de la vérité. Le géochimiste français Claude Allègre confirme pour notre gouverne : « Après ces joutes violentes, la géologie s’était éloignée des sujets à trop grandes implications métaphysiques. Elle y revient aujourd’hui. »7 A présent, nous sommes tous fixés : les mythes et les intuitions métaphysiques et religieuses ne s’opposent pas forcément à la science, en particulier, à la cosmologie que maîtrisaient les Kamit Négro-égyptiens ou Négro-africains, si l’on s’en tient aux fragments de mythes en notre possession. De ce point de vue, l’astronome Michel-Alain Combes nous rassure : « La leçon que j’ai tirée de toutes ces années, écrit-il, c’est qu’il est impératif de faire la jonction entre le mythe et la science, ce qui pour beaucoup apparaît comme une gageure et même un non-sens. »8 Avec la question des origines de la terre (Claude Allègre), nous allons reconsidérer l’exercice de liaison entre le mythe et la science (Michel-Alain Combes). Ce qui sera ainsi en procès, c’est la jonction que nous pensons établir entre le mythe, la religion et la science. En fin de compte, il y a lieu de préciser que le sacré et le profane se côtoient dans la manifestation de la vérité, si bien qu’il faut y entrevoir le statut du symbole dans la manifestation de la vérité rationnelle, en science et en philosophie. Le rôle du savoir théorique est désormais déterminant. Nous avons l’avantage de combler les affirmations de ces deux premiers savants par cette autre considération venue d’Alexandre Piankoff qui écrit à juste titre : Claude Allègre, « Les premiers jours de la Terre » in Le Système solaire, Recueil de textes édité sous la direction de Jean-François Minster, Bibliothèque pour la science, 1982, p.97. 8 Idem. Note de renseignements sur l’auteur, Michel-Alain Combes. URL du site : http://www.astrosurf.com/macombes/chapitre%2011-me.htm 7


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« On ne peut guère alors parler de religion au sens moderne du mot, mais bien plutôt d’une cosmologie, d’une physique véritable, à laquelle personne n’échappait ni ne pouvait échapper, pas plus qu’on échappe de nos jours aux lois de la thermodynamique. »9 Toutes ces considérations prises ensemble mènent tout droit à l’assurance reçue par ce tour de force de la métaphysique (les mythes et les traditions religieuses) : s’imposer sur le devant de la scène scientifique. A présent, nous pouvons envisager sereinement un plan d’organisation de nos Chapitres. Le Chapitre I doit nous permettre d’entrevoir la dimension métaphysique (philosophique) de la physique (science) dans la quête de la vérité ; la cosmologie quantique, Kamit, est concernée par cette version de l’histoire des sciences de l’Univers. Le Chapitre II mettra davantage l’accent sur la portée rationnelle des mythes cosmologiques afin de permettre une meilleure exposition des analyses, concepts et présupposés épistémologiques qui fondent le modèle de l’Universisme philosophique africain, objet du Chapitre III.

Alexandre Piankoff, La création du disque solaire, IFAO, bibli. 2, tome 19, p. 7, cité par Anna Mancini, La sagesse de l’ancienne Egypte pour l’Internet, L’Harmattan, Paris, 2002. 9


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CHAPITRE 1 LA COSMOLOGIE AFRICAINE A DEUX DIMENSIONS : PHYSIQUE ET METAPHYSIQUE « Plus exactement, il faut accepter un "dédoublement" de la cosmologie, à la fois science et métaphysique. Le plus important étant de ne nier ni un aspect ni l’autre…ni la coexistence des deux (…) Un accord qui conduit à un enrichissement mutuel plutôt qu’à une supériorité de l’une sur l’autre. » Jean-François Robredo, « Univers : peut-on vraiment le penser ? » in Sciences & Vie, Hors-série n°242, mars 2008, p.150. Que faisons-nous dans ce monde à la fois si beau et si violent ? D’où venons-nous et pourquoi sommes-nous, en fin de compte, condamnés à mourir sans que nous sachions quelle est notre prochaine destination dans ce cosmos si vaste10 ? S’il se manifeste une ivresse des sens chez tout homme émerveillé par son Univers étoilé, n’oublions pas que tout cela s’est accompagné, en bien de circonstances, d’une certaine angoisse existentielle devant la mort. Les Kamit de l’époque antique la plus lointaine ont apaisé leur Du grec Kosmos, il s’agit en premier de l’idée d’ordre, de logique, de bien, de beau, d’harmonie, à l’instar de Maât en Egypte. Ce qui se dégage de cette approche, c’est la possibilité d’en tirer un ordre du tout étendu au concept d’Univers. 10


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vertige de l’infini en sondant les galaxies et les étoiles cosmiques pour y découvrir les ressorts intérieurs de la matière, aux confins des strates les plus profondes de la psyché humaine. Et ils y sont arrivés. Prise comme une fin, la connaissance rationnelle (science et philosophie) s’est aussi imposée comme un moyen éthique d’élévation spirituelle. Il y a dans cette rétrospective que nous amorçons, un objectif d’unité de la nature et des sciences que nous entendons dévoiler. L’idée générale qui émerge de nos analyses, c’est bien que la connaissance rationnelle des initiés et sages a eu pour objectif de relier les interactions fondamentales en jeu dans l’Univers et, ce faisant, de formaliser une théorie unifiée de l’Univers, de l’infiniment petit à l’infiniment grand (I). Pour rencontrer un tel objectif, la science a eu recours à des principes métaphysiques qui ont permis de sonder efficacement l’Univers. La philosophie africaine est née de cette approche ouverte à l’expérience de liberté de l’esprit en quête de savoir (II). 1.1

L’UNIVERS MIS EN ÉQUATION

Le problème est le suivant : comment les Noirs, les Kamit, ont-ils pu parvenir à une unité de sens de la création ? L’enjeu, on le mesure bien, c’est l’entreprise de construction de la science par le biais d’une philosophie qui accepte l’unité de sens de la nature et la diversité des connaissances. Ce sont les données mêmes de la science et des faits historiques en notre possession qui font que, de fait, nous soyons à même de répondre, aujourd’hui seulement, à cette interpellation de la cosmologie négro-égyptienne fondatrice. Cette cosmologie a allée à la recherche de l’ordre du tout par le biais des principes essentiels qui ont gouverné l’évolution de l’Univers. Pour toutes ces raisons, il nous faut regarder avec d’autres yeux (autrement !), la direction prise sur le plan métaphysique (philosophique) par la science elle-même puis, envisager les limites de la


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science classique qui en brouillait le regard. Il se dessine, dans ce brouillard des idées premières, une Vérité générale de l’Univers qui a donné sens à la nécessité d’introduire, en mathématiques, des principes métaphysiques pour en saisir la complexité. Un tel recours a été facteur de progrès rationnel et la philosophie africaine en a largement tiré bénéfice. 1.1.1

Le brouillard philosophique de l’Occident

En Afrique noire, l’astronomie et la physique ont contribué à développer la cosmologie quantique. A la question d’ordre métaphysique : « pourquoi les choses que nous observons dans la réalité physique (les minéraux, les végétaux, les animaux et le monde qui nous entoure) sont-elles "comme elles sont"? », il y a cette autre question qui se situe dans le même prolongement : « Quelle explication donner à tout cela ? ». Bien plus : que faire de ce qu’on n’a pas encore observé (qu’on ne connaît pas encore !), mais qu’on connaîtra probablement plus tard avec les avancées de la physique (science) ? Aussi curieuses que cela puisse paraître, telles ont été les préoccupations intellectuelles des Homo sapiens sapiens affranchis des questions de lutte pour la survie et par conséquent, prêts à concentrer tous leurs efforts pour observer la nature et, à partit de là, philosopher. La diffusion culturelle de la cosmologie africaine Les premiers hommes modernes, disons de façon plus précise, les premiers Noirs apparus en terre africaine il y a près de 170. 000 ans apparaissent comme les ascendants des peuples Nordiques et les Asiatiques. C’est dire que les civilisations africaines ont eu le temps de grandir, de prospérer, de produire et de diffuser leurs cultures et leurs connaissances aux seconds venus. Avant toute autre présence humaine, les civilisations africaines ont occupé tout le pourtour de la Méditerranée voisine, jusqu’aux confins de la civilisation occidentale dite classique11 et asiatique12. Elles y ont 11

Lire surtout Martin Bernal, Black Athena. Les racines afro-asiatiques de la civilisa-


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laissé les vestiges les plus anciennes d’une occupation culturelle rationalisée, spiritualisée et surtout, civilisée. De ce seul point de vue, les travaux des savants égyptologues prolongés par les savants Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga parlent d’eux-mêmes. La religion, la philosophie et la science solaires, reprises par les autres civilisations naissantes, ont bénéficié de ces considérations d’ascendance patrimoniale et culturelle de l’Afrique noire. Il va de soi que l’énergie solaire ait occupé une grande place dans la pensée des Négro-égyptiens. Ce n’est pas sans raison que les prêtres savants, initiés aux connaissances astronomiques, ont fait preuve d’une grande maîtrise des traditions monumentales en rapport avec les mouvements de l’astre. Théophile Obenga précise : « C’est effectivement le rayonnement solaire qui apporte à la terre tout ce dont elle a besoin pour vivre, pour faire vivre ses produits, y compris les êtres humains (...) Une mythologie rationnelle devait en naître ; la mythologie solaire pharaonique, fondement de la religion et de la philosophie égyptienne.13 » L’observation cède le pas à la compréhension, puis à la rationalisation philosophique et scientifique. Anna Mancini renchérit : « Nous ne pouvons nier l’évidence de l’intérêt manifesté par l’Égypte antique pour l’aspect énergétique du cosmos et du groupe humain, essentiellement sous forme d’énergie solaire (Maat). »14 Les Bâtisseurs du Moyen âge héritiers de la science sacrée des anciens Égyptiens orientaient aussi les temples en fonction du Soleil. Le culte solaire, très ancien, ne peut donc pas être un fait tion classique, traduit de l’américain par Nicole Genaille, PUF, 1999, p. 408. 12 Lire surtout Runoko Rashidi, Histoire millénaire des Africains en Asie, éditions Monde Global, 2005. 13 Théophile Obenga, La philosophie africaine de la période pharaonique. 2780-330 avant notre ère, Paris, L’Harmattan, 1990, p.116. 14 Anna Mancini, La sagesse de l’ancienne Egypte pour l’Internet, L’Harmattan, Paris, 2002, pp. 104-105.


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rationnel cartésien. Il faut admettre que le mythe cosmologique grec, qui entrevoit la genèse au sein d’un chaos primitif sans en tirer toutes les conclusions sur le plan cognitif, apparaît comme une copie du mythe négro-égyptien. Celui-ci l’a inspiré en partie, à tout le moins, à un certain moment de l’histoire de la religion crétoise (XV e siècle av. J.-C.) devenue mycénienne (XVe au XIIe siècle av. J.-C.). Les Achéens, premiers indo-européens devenus les Grecs et établis à Mycènes ont, de toute évidence, subi l’influence culturelle égyptienne (l’écriture) via l’alphabet phénicien et religieuse, par le biais des cultes de divinités féminines liées à la fécondité (Isis l’Égyptienne, Ishtar la Babylonienne, Astarté la Phénicienne, Vénus la Romaine, Aphrodite la Grecque). Cette influence s’est renouvelée après les siècles obscurs ; elle est perceptible dès le VIIIe siècle av. J.-C. dans les récits du poète Hésiode (la Théogonie) et Homère (l’Iliade et l’Odyssée). Râ dans la conception négro-égyptienne, Shamash assyrobabylonien, Surya chez les Hindous, Mithra perse (iranien), tous célèbrent la fête du Soleil le 25 décembre après le solstice d’hiver lorsque les jours recommencent à croître. Ils ont adapté, puis adopté les mythes païens. Le 22 décembre en effet, la mort du Soleil est achevée et pendant 3 jours, il monte en puissance. Les civilisations nordiques ont pu se désolidariser de ces considérations au cours d’une longue période de mise en œuvre de leurs paradigmes recomposés15. Nous comprenons pourquoi l’histoire de l’Univers, celle de la cosmologie moderne en particulier, apparaît si fortement marquée par le paradigme cartésien ; cependant, on peut le dire pour le regretter, cette histoire ne date que du début du XXe siècle, alors que la cosmologie négro-égyptienne séduit par des connaissances et pratiques scientifiques millénaires dont le cumul serait d’au moins 10.000 ans, à en juger le niveau de performance atteint. Le paradigme, au sens de Thomas Kuhn, est un système de valeurs et de préjugés qui agissent durablement sur les idées et les théories à un moment donné du développement d’une société. 15


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Le présent essai ne traite pas, cela va de soi, de cette dernière approche dans les détails. Cela dit, l’idée d’une antériorité de la cosmologie négro-égyptienne et négro-africaine apparait comme un truisme qui pourrait se passer de commentaires. Les mythes cosmologiques de l’Afrique sont connus et témoignent d’une profondeur historique indéniable, même si leur portée rationnelle continue de rencontrer des préjugés tenaces liés à l’entière dominance de la pensée cartésienne. Mais de tels préjugés s’expliquent surtout par le caractère réductionniste que cette pensée cartésienne véhicule, certes en marge de son efficacité, de son action opératoire avec des applications technologiques incontestables. Le rejet de la cosmologie en Occident En revanche, on doit s’interroger sur les raisons du retard scientifique consommé par la cosmologie moderne et surtout, revenir sur cet oubli ontologique des origines cosmiques de l’homme. La pensée cartésienne ne pouvait concevoir une telle singularité, à savoir un début de l’Univers et des étapes d’évolution couronnées par un développement de la complexité. De fait, la pensée de l’Occident cartésien a entrevu un ordre immuable et éternel. Là où l’Afrique a établi un Principe organisant le processus historique d’évolution du cosmos jusqu’à l’avènement de l’homme, la rationalité cartésienne a penché pour une Univers stable et une arrivée ex nihilo de l’homme (le 7e jour de la genèse), coupé pour cette raison de ses racines cosmiques, minérales, végétales et animales. L’astrophysicien Hubert Reeves explique : « Il n’était pas de bon ton pour un physicien de parler de "cosmologie". Avant le XXe siècle, la "vision" du monde, la "Weltanschauung", était réservée aux philosophes, aux poètes, aux gens "pas sérieux". La voilà aujourd’hui qui revient en force, en physique et en astronomie. »16 Si l’on cherche à comprendre cette intuition qui a privé le bon sens d’une réflexion bien posée, on ne peut que s’en remettre à Hubert Reeves, interrogé par Mounier-Kuhn dans le livre écrit par Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne, L’intelligence de la complexité Paris, L’Harmattan, 1999, p. 195. 16


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l’esprit cartésien qui a animé la science en s’orientant, de façon résolue, vers la connaissance de la matière. En laissant de côté tout ce qui a eu trait aux vérités immatérielles sur les origines de notre monde, en réalité difficiles à concevoir et à approcher d’un point de vue analytique, l’esprit scientifique s’est confiné à la seule volonté de manipulation et de domination de la matière, des animaux et des hommes. On le sait, l’esprit scientifique cartésien y a engagé sa propre nature et son expérience du nomadisme ancestral et anthropologique, en cristallisant dans cette épreuve de la rationalité, un gauchissement amplifié de la raison et une cohérence faible, relativement à ces idées générales qui le préoccupaient beaucoup moins. C’est là que réside la grande distanciation rationnelle de l’Afrique noire face aux vérités immatérielles que le modèle social sédentaire et communautariste impulsait à souhait. Epargnonsnous des possibles désillusions dans cette visée de cohérence des idées en donnant la parole à Edgar Morin. Il précise davantage cette tâche aveugle de l’esprit scientifique occidental : « On s’est dit : "tous ces problèmes, l’être, le néant, le vide, le tout, le commencement, l’origine, la fin…cela n’a aucun intérêt. Ce sont des réflexions pour philosophes. Nous, ce qu’on veut savoir, c’est comment ça fonctionne, ce sont des règles, ce sont des lois…". »17 On se souvient alors que la cosmologie avait été exclue de la science. Auguste Comte, le fondateur du positivisme, l’avait interdite en 1852, dans son Catéchisme positiviste. La raison scientifique en était simple : on ne peut pas parler des choses qu’on ne voit pas et qu’on ne peut pas contrôler par le biais de la science qui seule, fixe le cap de vérité. La grande erreur a été de considérer que ce qu’on ne voit pas « n’existe pas » et que tout, en fin de compte, devrait être contrôlable par le seul fait d’un déterminisme mathématisable et mécanique. De fait, Galilée, Descartes, Leibniz et Newton conçoivent, à partir du XVIIe siècle, que l’Univers découle des formules mathéma17

Edgar Morin, op. cit., p. 34.


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tiques divines. En cela, la pensée scientifique n’est pas détachée du providentialisme de la théologie chrétienne qui prescrit l’ordo de Saint Augustin, puis l’ordre immanent (celui de la raison). L’Univers a une essence mathématique et un ordre éternel : tel a été le leitmotiv de la rationalité cartésienne. Simon Laplace enfonce le clou : Dieu n’a plus de place dans le système monde, la science pouvant refaire le chemin prométhéen de la conquête du feu « sacré », cette fois-ci par le déploiement de la science. Ainsi donc, le providentialisme chrétien est simplement remplacé par le providentialisme scientifique. D’un côté, on s’éloigne progressivement des actes barbares naguère posés par l’église chrétienne : la condamnation de Giordano Bruno (1548-1600) brûlé pour ses pensées philosophiques, ou encore l’abjuration de Galilée face à la même menace de mort. De l’autre, on est aussi bien loin des mathématiques du chaos pressenties par Poincaré (1852-1912) très en avance sur son temps, dont l’enjeu de la complexité a mis fin au déterminisme. 1.1.2

Des limites de la science classique à la complexité

En marquant ainsi son territoire et les limites de la science classique, la complexité dessine les contours de notre ignorance face à la dynamique complexe du Réel. En somme, la philosophie occidentale entre dans la phase de maturation possible de la raison. Elle doit pouvoir y rejoindre, à terme, la pensée africaine dont le statut de la cosmologie quantique a permis d’implémenter un dialogue fécond entre la science et la philosophie, aux confins de la frontière entre la matière et l’esprit. Mais quelle sacrée avance de l’Afrique noire sur la pensée aristotélicienne et cartésienne, laquelle avance a permis d’assurer une gestion équitable de la science et de la philosophie à toutes les époques ! En traitant, du moins dès le départ, la question des origines sous un angle cosmologique, l’Afrique a creusé la distance scientifique qui la sépare, aujourd’hui encore, des prolongements épistémologiques du savoir que promeuvent les avancées


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des sciences de l’Univers. Nous devons nous appesantir sur la question si sensible de l’invisible, souvent ramenée au fétichisme de la pensée, à défaut de réduire cette dernière à des actes de sorcellerie, par simple défaut de modélisation ou d’explication cartésienne. L’invisible sur le devant de la scène La physique des particules ne remet plus en cause le domaine de l’invisible si longtemps contesté par l’esprit cartésien de l’Occident chrétien, lequel domaine a été plus ou moins rationalisé et surtout, pratiqué pendant des millénaires par les initiés et sages d’Afrique noire, de l’Égypte pharaonique à nos jours. A présent, plus de science-fiction. La question de l’invisible et de l’existence des mondes parallèles s’imposent aux scientifiques de notre temps. De nombreuses théories cosmologiques aboutissent à des mondes séparés du nôtre : l’application de la relativité générale d’Einstein, la mécanique quantique, l’inflation éternelle de la théorie des cordes, la gravitation quantique à boucles de la théorie de la gravitation quantique en témoignent. Le chercheur Aurélien Barrau, du laboratoire de physique subatomique de cosmologie de Grenoble jette un regard froid à venir de la physique : « Pour la première fois je crois, c’est la rationalité qui semble conduire à l’existence de mondes invisibles (…) Elle crée des ponts avec d’autres disciplines, ébauche une nouvelle mythologie, et de ce fait nous oblige à redéfinir ce que l’on attend de la physique. »18 Partout, les conclusions sont les mêmes : ce sont les forces qui sont à l’œuvre dans le cosmos qui font que l’hypothèse des mondes parallèles découle d’elle-même des modèles de physique théorique. Pourrait-on encore douter que les Négro-égyptiens et Négro-africains aient atteint de tels résultats en toute connaissance de cause ! Les obstacles créés par l’universalisme européen Aurélien Barrau, « Les lois de la physique mènent aux multivers » in La Recherche, septembre 2009, n° 433, p. 53. 18


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Mais que de chemin à parcourir et d’embûches à traverser pour persuader les uns et les autres des limites de la science cartésienne naguère décrétée universelle ! L’Afrique noire a été prématurément déclarée hors sujet par le positivisme cartésien de l’universalisme européen19. Malheureusement, la terre africaine reste dépendante des prétentions débordantes du mode d’être du cartésianisme. L’école, la religion, l’administration, les institutions, tout y passe. L’élite ne semble pas affectée par cette situation ou alors montre une incapacité à y faire face. Cette carence procède d’une absence de réflexion sur les fondements de toute réflexion rationnelle et surtout les logiques culturelles qui lui sont sous-jacentes. François Urvoy ouvre une brèche susceptible de nous éclairer : « En effet la pensée commune a pour traits principaux de comporter une dimension intéressée, d’ériger la particularité culturelle de ce qu’elle conçoit en forme universelle au dessus de toute remise en cause et, lorsqu’elle rencontre d’autres formes, de les dévaluer proportion de l’écart avec la sienne, bref d’ériger sa particularité en norme radicale. »20 Nous sommes désormais édifiés. Une remise en condition Auguste Comte (1798- 1857), le fondateur du positivisme, pense que c’est « dans l’organisation caractéristique de la race blanche et surtout, quant à l’appareil cérébral, quelques germes positifs de sa supériorité »19 que se justifie l’universalité du modèle occidental. Sur la base de ces mêmes considérations, Arthur de Gobineau (18161882) a projeté son Essai sur L’inégalité des races humaines et Lévy-Bruhl (18571939), La mentalité primitive. Fort de ces considérations, Edmund Husserl (18591938) pointe du doigt le lieu historique de l’esprit rationnel : la Grèce antique du VIIe et VIe siècle av. J.-C. Bien entendu, la version actualisée du discours de Max Weber (1864-1920) renvoie à cet eurocentrisme viscéral : « Tous ceux qui, élevés dans la civilisation européenne aujourd’hui, étudient les problèmes de l’histoire universelle, sont tôt ou tard amenés à se poser, et avec raison, la question suivante : à quel enchaînement de circonstances doit-on imputer l’apparition dans la civilisation occidentale et uniquement dans celle-ci, de phénomènes culturels qui - du moins nous aimons à le penser - ont revêtu une signification et une valeur universelle ?» Même Edgar Morin est tombé ce même piège insolite : « Il faut aussi considérer ce fait très curieux que la science est et demeure occidentale tout en étant devenue tout à fait universelle.» 20 François Urvoy, Science et ontologie. L’expérience multiforme III, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 39-40. 19


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s’impose. François Urvoy expose la nature de cet effet massifiant du cartésianisme : « Elle peut bien admettre, parfois, nous explique Urvoy, le caractère provisoire et incertain de certains de ses contenus, mais ne renonce jamais à sa manière de penser. »21 L’expérience montre que le fait de procéder ainsi a permis à l’Occident chrétien d’imposer ses valeurs à toute l’Afrique. Si nous n’y prenons garde, notre incarcération dans le modèle cartésien prendra de l’ampleur. Aussi devons-nous faire l’effort d’entrevoir les conditions dans lesquelles nos ancêtres ont entrevu la construction scientifique (cosmologique) de la réalité en reprenant les problématiques cartésiennes qui la sabordent. De ce point de vue, nous sommes fondés à entreprendre une telle reconstruction d’autant plus que la métaphysique (philosophie) redevient une dimension de la physique. Si nous envisageons, de la sorte, l’histoire du cosmos, il est certain que nous rencontrerons, comme les savants KamitKamit, les solutions philosophiques auxquelles ils sont parvenus. Nous devons avoir présent à l’esprit que même au cas, hypothétique, où il nous serait difficile d’en cerner tous les contours, au moins aurons-nous mené à bien la démarche de dévoilement de notre boîte noire des savoirs. La métaphysique (philosophie) demande à être entendue et revendique son droit d’apaiser la raison en quête de vérité, lorsque la physique (science) devient incapable d’expliquer comment ces choses sont « comme elles sont », à la fois esprit et matière, invisible et visible. Cette problématique de la science complexe échappe, on le pressent, à l’esprit cartésien. Cette unité de la nature dont le socle repose sur la cosmologie négro-égyptienne apparaît scientifiquement fondée, malgré la diversité des connaissances. De fait, il existerait un lien immatériel, une unité principielle de forme entre la pensée qui raisonne et le contenu de notre Univers, lequel lien ontologique a été for21

Idem, p.40.


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malisée par une loi négro-égyptienne, Maât. Notre hypothèse de travail penche en faveur d’une maturation qualitative de la science négro-égyptienne. Il semble bien que les savants négro-égyptiens ont établi une relation complexe entre les principes métaphysiques, la physique et la nature par le biais d’une loi. Aussi cette loi de la nature, mathématique, a-t-elle servi de référent en philosophie. Tel est le point de départ de l’expression ontologique des principes postulés par l’intuition des savants d’Afrique noire. Ces principes métaphysiques ont, par conséquent, gouverné l’accès à la philosophie. 1.2 1.2.1

LES PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES La recherche des principes unificateurs

Le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond ne cache pas les ambitions de la physique moderne : « Ce que nous voulons, c’est obtenir une compréhension structurelle de la réalité, vieille démarche qui remonte aux pythagoriciens, c’est-à-dire trouver, sous la confusion des apparences, certains principes unificateurs et, le cas échéant, les éléments constitutifs du monde – pour autant que cette idée ait un sens. »22 Le physicien sait de quoi il parle. Les lois de la physique modernes, telle celle de la gravité, se présente dans la cosmologie comme un Principe organisateur et unificateur. Les principes modernes Ailleurs, le principe de complémentarité, le principe d’indétermination, le principe de conservation de l’énergie, le principe de superposition, le principe de continuité, etc., sont autant d’hypothèses de travail qui se sont avérés fructueux pour résoudre des problèmes et des énigmes indécidables avec le seul raisonnement de la science. Avec le recul que nous avons aujourd’hui, nous pouvons juger les choses avec objectivité. Jean-Marc Lévy-Leblond, « Savoir et prévoir », entretien réalisé par Ruth Scheps, in Les sciences de la prévision, ouvrage collectif, Seuil, 1996, p. 40. 22


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En lisant Françoise Balibar, on se convainc qu’il faille creuser de ce côté-là23. Les physiciens bien connus que sont Ernst Mach, Hermann von Helmholtz, Heinrich Hertz, Ludwig Boltzmann, ont tous été des physiciens et des philosophes familiarisés avec les principes de pensée, abstraits, où interfèrent le raisonnement métaphysique et la physique elle-même. Le premier et le second se relaient encore dans la mise en forme des règles. Parce que la théorie quantique est née en Allemagne, on comprend pourquoi beaucoup de physiciens allemands, à l’instar de Niels Bohr, Werner Heisenberg, Wolfang Pauli, Erwin Schrödinger, pères fondateurs de la physique quantique, ont favorisé le déferlement des principes de cette physique qui ont été dès le départ, des principes d’abstraction philosophique. Ne l’oublions pas, le théoricien de la connaissance bien connu, Emmanuel Kant (1724-1804), a exercé une grande influence dans la pensée occidentale. Le célèbre auteur de la Critique de la raison pure et de la Critique de la raison pratique était un concepteur de principes. Ces principes de pensée dits métaphysiques dès le départ, ont fini par devenir de véritables règles de calcul permettant d’explorer le domaine quantique. Les principes négro-égyptiens Atoum, Râ, Horus, Seth, Maât, kheper sont des principes de pensée posés en tant que tels dès le départ aux fins d’explorer le monde des particules, conformément à leur statut épistémologique. Car il s’agit bien d’une théorie de la connaissance. Maât correspond bien à l’idée qu’on se fait d’une loi de la physique qui fait office de Principe primordial organisateur des phénomènes, en même temps que de fondement d’une théorie que nous pensons réellement universelle (de l’Univers). Notons ici que la nature cosmologique de ces principes précités se prolonge à des principes que l’on peut reporter dans la vie courante. Atoum renvoie à un corpuscule éternel et insécable qui part du Françoise Balibar, « Des principes par principe » in Les dossiers de la Recherche, n° 29, novembre 2007, pp. 86-89. 23



© KIYIKAAT EDITIONS, 2014 www.kiyikaat.com ISBN : 978-2-923821-29-0 Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Décembre 2014 Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales Canada, Décembre 2014 Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.



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