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Série sur la nouvelle évangélisation
« Il faut faire redécouvrir la beauté et l’actualité de la foi »
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Série sur la nouvelle évangélisation
Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?
— Pape Benoît XVI
Michelle K. Borras
sErVICE D’INFOrmaTION CaTHOLIquE
sErVICE D’INFOrmaTION CaTHOLIquE
Nous vivons dans un monde de tristesse intérieure. Les hommes et les femmes aspirent à faire l’expérience de la joie d’être définitivement aimés et d’aimer définitivement. L’évangélisation est la communication par la parole et par la vie, par la prière et le silence, par les actes et par la souffrance, d’un amour qui à la fois embrasse l’homme et le dépasse infiniment. C’est la communication de la joie. Cette joie est plus grande que l’homme parce qu’elle vient de Dieu. Et c’est justement pour cette raison que c’est la seule joie qui puisse étancher la soif insatiable du cœur humain.
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1 qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?
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ÉDIT Eu rs
Série sur la nouvelle évangélisation
Tous droits réservés.
michelle K. Borras, Ph.D.
1èrE
«
Pa rT IE
»
Ca r DIE u a Ta NT a ImÉ LE mON DE
2 « Je crois en toi » : La question de Dieu dans le monde moderne
:
alton Pelowski et
Les citations des Écritures sont issues de
Patrick scalisi
la nouvelle traduction liturgique de la Bible de l’association épiscopale liturgique
3 Les mystères de la vie de Jésus 4 un Dieu qui est trois fois amour 5 « Nous sommes venus l’adorer » : Introduction à la prière à l’école de Benoît XVI
pour les pays francophones (aELF).
PHOT O
Thomas serafin
2èmE
Pa rTIE
«
a PPE LÉ s à a ImE r …
»
6 appelés à aimer : La théologie de l’amour humain, de Jean-Paul II CONCEPT ION
7 à l’image de l’amour : Le mariage et la famille
adam solove
8 suivre l’amour pauvre, chaste et obéissant : La vie consacrée
N I H I L OB s TaT
9 « qu’il me soit fait selon ta parole » : marie, à l’origine de l’Église
3èmE 3 juillet 2012
Pa rTI E
…
Da Ns L’ É gLIsE , É POu sE DE L’ agN Eau
10 avec le cœur de l’Époux : Le sacerdoce ministériel
susan m. Timoney, s.T.D. Censor Deputatus
Le nihil obstat et l’imprimatur sont des déclarations officielles attestant qu’un
11 La transfiguration du monde : Les sacrements 12 Lumière et silence : un journal intime eucharistique
ImPrI maTu r
livre ou un livret ne contient pas d’erreurs
Cardinal Donald Wuerl
doctrinales ou morales. Cela n’implique
Archevêque de Washington
pas que les personnes qui ont accordé le
14 La justice : La dignité du travail
nihil obstat et l’imprimatur sont d’accord avec
15 La justice : L’Évangile de la vie
archidiocèse de Washington
4èmE
Pa rTI E
«
a ImE r E N aCTE E T EN VÉ rITÉ
»
13 Libres en vue de quoi ?
le contenu, les opinions ou les affirmations qui y sont exprimés.
5èmE
Pa rTIE
«
IL NOu s a a ImÉs Ju squ ’ au BOuT
»
16 La dignité de la personne souffrante ImagE
DE L a C O u V E rT u r E
: L’archange Gabriel
L’archange gabriel tient un rouleau représentant la première proclamation
17 « regardez ! J’étais mort et me voilà vivant… » : La mort et la vie éternelle
de l’Évangile, l’annonciation à marie. Chapelle de la sainte Famille, Conseil suprême des Chevaliers de Colomb, New Haven, Connecticut. La mosaïque a
a N NE XE s
:
Ou TILs POu r L a NOu VE LLE ÉVa Ng ÉLIsaTION
été réalisée par le père marko Ivan rupnik, sJ et les artistes du Centre aletti
a La beauté de la sainteté : L’art sacré et la nouvelle évangélisation
en 2005.
B La technologie et la nouvelle évangélisation : Critères de discernement
Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?
Michelle K. Borras
Table des matières
« Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru… » 1
Un monde assoiffé d’amour et de joie
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Découvrir l’amour de Dieu dans la souffrance
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Un message d’espérance pour le monde moderne
7
Partager la joie de l’Évangile « Allez dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle »
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Pourquoi avons-nous besoin d’une nouvelle évangélisation ?
13
Pourquoi « nouvelle » ?
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La source de l’évangélisation « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas… »
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Qui évangélise ?
26
Contenu de la nouvelle évangélisation
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Méthode d’évangélisation
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Conclusion : Le grain de blé
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Sources
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L’auteur et le « Service d’information catholique »
Détail : le Christ relevant Adam par la main lors de sa descente aux enfers.
Mur de L’Incarnation du Verbe, Chapelle Redemptoris Mater, Cité du Vatican. Image reproduite avec l’aimable autorisation du Centre Aletti.
« Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru… » (1 Jean 4,16) Un monde assoiffé d’amour et de joie
Dans notre monde actuel, rares sont les signes d’une véritable espérance, capable de transformer la vie. Il est plus difficile encore de trouver la joie. Bien souvent, on vit au jour le jour, saisissant parfois un moment éphémère de bonheur mais, la plupart du temps, on se réveille et on se couche dans une existence plutôt monotone et triste. En Europe occidentale et en Amérique du Nord, qui s’enorgueillissent de leur prospérité et de traditions juridiques pour protéger les droits de l’homme, on mange généralement à sa faim. Mais la nourriture, le vêtement, le toit et le respect des droits fondamentaux ne suffisent pas à l’être humain pour survivre. Combien de personnes oseraient confesser, si elles étaient seules ou si elles n’avaient pas à afficher un visage optimiste, que la vie est dure ? Il est difficile pour un jeune de rentrer tous les jours de l’école dans une maison qui lui rappelle que ses parents, qu’il aime, ne s’aiment plus suffisamment pour vivre ensemble ; pour un employé, de retourner tous les jours sur son lieu de
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travail où les êtres humains ne sont vus qu’en termes de productivité ou d’ambition ; pour une personne en milieu de vie de découvrir que sa vie sentimentale est brisée et qu’elle passera le reste de sa vie en tête à tête « avec elle-même ou avec son chat »1 ; ou pour une personne âgée de sentir qu’elle n’a plus rien à apporter à la société et que ses proches l’ont à moitié oubliée. Il est difficile de ne pas être aimé du tout, ou pas autant qu’on aimerait l’être. Et même si nous sommes tellement habitués à cette situation que nous n’y prêtons plus attention, il est dur de ne pas pouvoir aimer. Il n’est pas facile de vivre dans un monde où toute beauté réelle, durable semble souvent absente – une beauté qui ne soit pas une illusion mais qui puisse nous fasciner et nous sortir de notre existence routinière et de nous-mêmes. Et lorsque nous sommes confrontés à un rejet violent et flagrant de la beauté, de l’humanité, de l’amour, cela devient presque insupportable. C’est un peu ce qui s’est passé lors des attaques terroristes contre les États-Unis, le 11 septembre 2001. À cette époque, le New York Times a décrit « des heures de panique » où les Américains « ont assisté à quelque chose d’inexprimable, d’incompréhensible, d’impensable »2. Mais d’autres moments d’horreur ne cessent de se produire à une échelle plus petite, plus personnelle, et parfois aussi à une échelle mondiale. D’un côté, notre époque semble pleine de promesses. De l’autre, ces promesses semblent souvent imploser, parce que nos vies sont ternes et sans joie ou que nous sommes soudain confrontés au mal, manifeste ou plus insidieux, qui peut se déchaîner dans les cœurs humains et dans le monde.
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Découvrir l’amour de Dieu dans la souffrance Karol Wojtyła, devenu le pape Jean-Paul II, et Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI, ont vécu dans un siècle et dans un monde qui étaient non seulement en proie à de terribles conflits, mais où une grande « éruption du mal »3 semblait noyer toute possibilité d’espérance et de joie. Né en 1920, Wojtyła était le plus âgé de quelques années. Il vit le jour dans un pays, la Pologne, qui allait être envahi d’abord par l’Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale, puis par les communistes soviétiques. Plus tard, il dira : « Il m’a été donné de faire l’expérience personnelle des « idéologies du mal ». C’est quelque chose qui ne peut s’effacer de ma mémoire ».4 Après que les armées d’Adolf Hitler ont envahi son pays en 1939, le jeune Karol, étudiant universitaire lorsque la guerre éclata, devint ouvrier dans une carrière de pierres. Un de ses compatriotes a décrit ces années de guerre et d’occupation : « rondes de police, déportations dans les camps ou travaux forcés… exécutions sommaires dans la rue, tout cela faisait partie du quotidien… Nous eûmes faim sans arrêt pendant cinq ans, et l’hiver, nous avions affreusement froid »5. Lorsqu’il décida d’étudier en vue du sacerdoce, Karol suivit sa formation en secret, dans un séminaire clandestin. Devenu prêtre, et plus tard évêque, il ne vit son pays émerger des horreurs de la Seconde guerre mondiale que pour entrer dans de longues années de répression par l’Union soviétique, qui avait installé des gouvernements communistes fantoches dans toute l’Europe de l’Est. Karol jeune homme, prêtre puis évêque, a vu la dignité de la personne humaine gravement et continuellement menacée par l’oppression, les meurtres et les emprison-
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nements injustifiés de ses compatriotes à qui l’on disait qu’ils n’avaient pas besoin de leur culture ni de Dieu. Malgré cela, il savait qu’il devait vivre une vie digne d’un être humain. Face à tout ce qui niait le besoin fondamental de la personne humaine d’aimer et d’être aimée, il devait aimer. Le second de ces deux jeunes gens, Joseph Ratzinger, est né en 1927 et a grandi en Allemagne au moment où le parti nazi de Hitler arrivait au pouvoir. Son père, qui s’était exprimé avec force contre le régime nazi, avait dû déménager avec sa famille pour assurer la sécurité de celle-ci. Adolescent pendant la Seconde guerre mondiale, Joseph, comme tous les Allemands en bonne santé, fut appelé pour rendre un certain nombre de services de soutien à l’effort militaire allemand. Il creusa des tranchées à la main dans un camp de travail, surveillé, comme il le raconte, par « des idéologues fanatiques qui nous tyrannisaient littéralement »6. Enrôlé dans l’infanterie allemande vers la fin de la guerre, Joseph déserta – ce qui était passible de l’exécution immédiate – et rentra chez lui. À son arrivée, il découvrit que les soldats américains occupaient la maison familiale. Il fut fait prisonnier de guerre pendant deux mois, dormant avec des milliers d’autres prisonniers dans un champ en plein air et survivant avec, pour ration quotidienne, « une louche de soupe et un peu de pain »7. Une fois relâché, il retourna au séminaire, motivé par « une grande reconnaissance… d’avoir pu revenir du gouffre de ces dures années »8. En dépit des idéologues qui disaient au peuple allemand que leur pays avait besoin de puissance et de fierté nationale – et non de Dieu – et alors que beaucoup avaient perdu l’espérance, Joseph savait qu’il devait vivre différemment. Il devait vivre humainement, remercier et espérer. Comme Karol, il devait aimer.
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Ces deux jeunes gens, qui allaient plus tard devenir papes, ont vécu dans des circonstances très difficiles. Mais ils ont aussi été portés pendant ces années par quelque chose qu’ils offriraient plus tard à toute personne assoiffée de beauté et d’amour durable : la découverte que l’espérance est possible, que les aspirations les plus profondes de la personne humaine ont un objet réel, que la beauté existe et qu’elle pénètre même les abîmes de la souffrance humaine pour les transformer, que nous sommes réellement faits – et que nous pouvons être aidés en cela – pour aimer et être aimés d’un amour fidèle, parfait et beau.
Un message d’espérance pour le monde moderne Comme l’écrivait Jean-Paul II à la fin de sa vie, toutes ces terribles expériences de sa jeunesse lui ont enseigné qu’il y avait une « limite imposée au mal dans l’histoire » et que cette limite avait affaire avec la miséricorde de Dieu.9 Malgré toutes les craintes que nous pouvons avoir devant la capacité de la personne humaine à faire le mal ou devant la faiblesse et la confusion de notre propre cœur, nous n’avons pas à avoir peur, car Dieu aime. En effet, Dieu est Amour. Dieu est un Père, qui a envoyé son Fils unique pour mourir et vaincre la mort pour nous, afin que nous puissions vivre dans « la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (Romains 8,21). Pour le jeune Karol Wojtyła, et pour l’homme qu’il allait devenir, le christianisme, la révélation d’un Dieu qui a tant aimé le genre humain, était vraiment un Évangile (evangelion, en grec, signifie « bonne nouvelle »). Dans un monde souvent triste et dans la souffrance, un monde d’oppression et de mort, il avait trouvé la joie. Cette joie était si grande qu’il se sentait le devoir de
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l’offrir tous les jours de sa vie à des personnes qui, de différentes manières, étaient oppressées par le manque de joie et d’espérance. Dans les pays modernes et prospères d’Occident, la menace contre le bonheur humain peut prendre des formes plus subtiles que la souffrance dont le jeune Karol a fait l’expérience. Mais devenu pape, Jean-Paul II savait bien que ces dangers subtils sont malgré tout présents et qu’ils ne menacent pas moins les êtres humains que l’ « éruption du mal »10 dont il avait été témoin dans sa jeunesse. Comme Karol Wojtyła, le jeune Joseph Ratzinger aurait facilement pu désespérer. Son pays avait été moralement et physiquement ébranlé et quelqu’un qui a grandi dans ce contexte aurait de bonnes raisons de craindre ce qui habite le cœur humain. Pourtant, comme Jean-Paul II, Ratzinger sera capable de dire, lorsqu’il sera le pape Benoît XVI : « N’ayez pas peur ! ». Il existe quelqu’un qui connaît le cœur des êtres humains, quelqu’un qui chasse toute crainte, quelqu’un qui nous aime et nous rend capables d’aimer, et donc aussi d’espérer. Cette personne est Jésus-Christ. Ce n’est pas le hasard si l’une des premières lettres encycliques de Benoît XVI, adressée à l’Église et au monde a porté sur l’espérance, la grande et définitive espérance en Dieu qui donne son sens à toute la vie humaine.11 Ayant fait l’expérience de la tyrannie nazie, il savait ce qui se produit – non seulement au niveau des événements du monde ou de la guerre, mais à l’intérieur du cœur humain – quand des êtres humains essaient de vivre sans Dieu. Pendant un temps, tout semble bien se passer, jusqu’à ce que les gens réalisent soudain qu’ils ne peuvent pas arrêter les menaces et les violences qu’ils ont eux-mêmes déchaînées dans le monde. Ils perdent espoir et sont terriblement assoiffés de quelque
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chose qu’ils ne peuvent pas donner eux-mêmes. C’est pourquoi, bien plus tard, le pape Benoît a insisté pour visiter une ville de l’Est de l’Allemagne, anciennement communiste, où la plupart des habitants ne croient plus en Dieu, pour leur dire qu’il y a une Bonne Nouvelle. Il existe quelqu’un qui étanche cette terrible soif qui survient dans le cœur humain quand on essaie de vivre sans la seule chose qui puisse nous donner une joie durable. En 2011, au cours de sa visite à Erfurt, en Allemagne, le pape a demandé : « L’homme a-t-il besoin de Dieu, ou les choses vont-elles assez bien aussi sans lui ? ». Puis il a ajouté : « Mais plus le monde s’éloigne de Dieu, plus il devient clair que l’homme, dans l’hybris du pouvoir, dans le vide de son cœur et dans son désir de satisfaction et de bonheur, perd sa vie de plus en plus. La soif d’infini est présente dans l’homme de façon indéracinable. L’homme a été créé pour la relation avec Dieu et a besoin de lui »12. Nous ne pouvons pas étancher notre soif de ce qui nous dépasse, d’infini et cet infini est une personne qui se donne à nous. Une personne qui nous aime et désire si intensément notre amour que nous pouvons dire qu’elle aussi a soif de notre amour13.
Partager la joie de l’Évangile Pour Ratzinger, tout comme pour Wojtyła, le christianisme n’était pas simplement une « bonne nouvelle », mais la Bonne Nouvelle, la seule réponse complète, durable et surabondante au désir inassouvi du cœur humain. Pour eux, le message évangélique est réellement une nouvelle si nécessaire à la personne humaine qu’on ne peut pas le garder pour soi. C’est un message d’une joie profonde et rayonnante, si puissant qu’il peut transformer l’abîme de la
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souffrance humaine en quelque chose qui n’est pas simplement supportable, mais beau. Il peut transformer le manque d’amour en amour, ou une vie ennuyeuse, pénible en une vie qui vaut parfaitement la peine d’être vécue. C’est aussi, nous le voyons chez les premiers chrétiens et même à notre époque, une joie si grande que les croyants pensent qu’il vaut vraiment la peine de mourir pour elle. La joie qui a accompagné Wojtyła et Ratzinger dans leurs expériences difficiles et qui a inspiré le reste de leur vie est cette même joie dont parle saint Jean, l’apôtre et le disciple de Jésus, dans la Bible. Considéré traditionnellement comme le plus jeune des douze apôtres, Jean ne pouvait pas écrire sur cette « nouvelle » sans exprimer son étonnement joyeux devant ce qu’il avait eu le privilège d’entendre, de voir et de toucher en JésusChrist, le Fils de Dieu – Dieu lui-même – fait homme. Au commencement de sa première lettre, Jean décrit simplement son expérience inouïe de la beauté invisible de Dieu rendue visible. Par l’Incarnation, Dieu s’est rendu si proche des êtres humains que nous pouvons percevoir son amour avec tous nos sens : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie… » (1 Jean 1,1). Dans le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité d’entre les morts, Jean a été frappé par quelque chose de tout à fait inattendu. Il a rencontré une beauté si grande qu’il en a été comme transporté hors de lui-même, en extase, et que tous les aspects de son existence en ont été transformés. C’est cette « rencontre » que, dans son commentaire sur ce même livre de la Bible, le pape Benoît XVI décrit comme étant au cœur du christianisme : « Nous avons cru à l’amour de Dieu […] À
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l’origine du fait d’être chrétien [il y a] la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive »14. Reconnaissant que c’était l’Amour même qui l’avait fait sortir de lui-même pour vivre une nouvelle existence dans l’amour, Jean savait que cette rencontre était un cadeau à partager. Si Dieu nous ouvre sa vie, c’est pour nous introduire dans la communion, ou dans la vie partagée, avec lui et avec les autres. Ainsi, Jean poursuit dans sa lettre : « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus Christ. Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite » (1 Jean 1,3-4). L’amitié que Dieu nous offre dans le Christ est une « joie parfaite »15, une joie plus grande et plus intense que ce qu’un être humain peut désirer ou imaginer. Jean sait que cette joie est pour tous et qu’elle doit être proclamée. Pour reprendre le terme que les auteurs du Nouveau Testament, puis la première Église, ont forgé pour parler de cette proclamation, Jean, comme tout disciple après lui, doit évangéliser – non seulement ou principalement par la parole, mais par toute sa vie. Jean sait qu’il doit communiquer l’Amour dans lequel il croit, non pas parce qu’il pense être meilleur que ceux qui ne l’ont pas encore rencontré – il sait bien qu’il ne l’est pas – et certainement pas parce qu’il veut forcer quiconque à croire. Mais il prie, il écrit, il prêche et il souffre parce que « Dieu a tant aimé le monde » (Jean 3,16) et Jean doit l’aimer aussi, puisqu’il aime Dieu. Comme la joie, l’amour déborde naturellement, et en particulier cet amour qui est l’affirmation définitive de la bonté du monde et de toute vie humaine.
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DĂŠtail : Marie et le Christ portant ses blessures, des Noces de Cana.
Chapelle de la Sainte Famille, Conseil suprĂŞme des Chevaliers de Colomb, New Haven, Connecticut.
« Allez dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle » (Marc 16,15) Pourquoi avons-nous besoin d’une nouvelle évangélisation ? Comme le savaient très bien Karol Wojtyła et Joseph Ratzinger, l’humanité a un besoin urgent d’entendre affirmer avec force qu’il est bon que la personne humaine – et le monde tout entier – existe. Nous avons besoin de savoir que la dignité humaine est enracinée dans quelque chose d’inébranlable, que tout être humain est aimé de toute éternité et est appelé à aimer. Wojtyła et Ratzinger ont tous deux fait l’expérience dans leur vie de ce qui arrive à la personne humaine quand le sens de Dieu est obscurci. C’est pourquoi, lorsqu’il est devenu pape, Benoît XVI a affirmé : « Là où l’homme a moins la perception d’être accueilli par Dieu, d’être aimé de lui, la question de savoir s’il est vraiment bien d’exister comme personne humaine ne trouve plus aucune réponse. Le doute à propos de l’existence humaine devient toujours plus insurmontable. [...] Là où le doute au sujet de Dieu devient dominant, le doute au sujet de l’être même des hommes suit inévitablement »16. Quels sont les effets de ce doute ? Ils peuvent être terribles,
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comme l’ « explosion du mal » du génocide que Karol Wojtyła et Joseph Ratzinger ont connu dans leur jeunesse. Mais la plupart du temps, les effets sont plus cachés, comme une poussière grise et toxique qui se dépose sur nos vies : « Nous voyons [ce doute] dans le manque de joie, dans la tristesse intérieure qui peut se lire sur tant de visages humains »17. S’adressant à des enseignants de religion en 2000, le cardinal Ratzinger rappelait que Jésus était venu pour « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Luc 4,18). Puis il a eu une expression inattendue : Nous sommes les pauvres. Si les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord sont riches matériellement, leurs habitants sont cependant terriblement pauvres car il leur manque souvent la seule chose qui rende la vie belle. La plus grande pauvreté n’est pas le manque de nourriture, d’un toit ou de vêtements mais plutôt « l’incapacité d’éprouver la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est aujourd’hui très répandue, sous diverses formes, tant dans les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres. L’incapacité à la joie suppose et produit l’incapacité d’aimer, elle produit l’envie, l’avarice – tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C’est pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle évangélisation »18. Nous avons besoin d’une « nouvelle évangélisation », d’une proclamation renouvelée de la Bonne Nouvelle que saint Jean, comme Wojtyła et Ratzinger après lui, savait ne pas pouvoir garder pour lui. En appelant de ses vœux cette proclamation renouvelée, Ratzinger reprend à son compte un certain nombre d’affirmations du pape Jean-Paul II, qui voyait le besoin d’une évangélisation « nouvelle dans son ardeur, dans ses méthodes et dans son expression »19, capable de porter la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ aux hommes et
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aux femmes dans le monde d’aujourd’hui. Nous vivons dans un monde rempli de cette « tristesse intérieure » décrite par le pape Benoît, où l’homme semble de plus en plus tourmenté « dans sa prétention démesurée au pouvoir, dans le vide de son cœur et dans son aspiration à la satisfaction et au bonheur ». Et surtout, nous vivons dans un monde qui semble avoir oublié qu’au-delà des moments de bonheur éphémères qui traversent parfois la vie de ceux qui ont de la chance, il existe une joie durable et inébranlable. Dans ce monde, ce dont nous avons besoin plus que de toute autre chose, c’est d’expérimenter la joie d’être aimé et d’aimer sans condition. Et ceux qui ont rencontré cet amour ont besoin de le communiquer. C’est cela, l’évangélisation : la communication par la parole et par la vie, par la prière et le silence, par les actes et par la souffrance, d’un amour qui est joie car il embrasse l’homme et le dépasse infiniment. Cette joie peut parfois être exigeante et difficile. Mais c’est toujours une joie « plus grande » que l’homme parce qu’elle vient de Dieu. Et c’est justement pour cette raison que c’est la seule joie qui puisse étancher la soif insatiable du cœur humain.
Pourquoi « nouvelle » ? La communication de cette joie, ou la Bonne Nouvelle de l’amour inconditionnel de Dieu pour l’homme, rendu visible en Jésus-Christ, est la tâche de l’Église depuis le commencement. Après la crucifixion de Jésus et sa mort, abandonné, les apôtres se sont barricadés derrière des portes verrouillées. Mais au cœur de la peur qui les paralysait, ils ont soudain rencontré la joie : « lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! »
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(Luc 24,36). Ils se trouvèrent confrontés à une réalité qui fit sauter toutes les barrières, si définitive qu’elle donne à toute l’Histoire « sa signification et son but ultime »20. Leur Seigneur, qui était mort, était vivant devant eux, les invitant : « Touchez-moi, regardez… » ; et « dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire » (Luc 24,36-41). Ils touchèrent et ils virent, et ils surent qu’ils ne pouvaient pas garder cette joie pour eux. Au cas où les apôtres auraient eu des doutes sur ce qu’ils avaient à faire devant cette action claire, objective et joyeuse de Dieu pour l’homme, Jésus leur donna un ordre : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création » (Marc 16,15). Cet « envoi », ou mission, façonne la communauté des disciples que Jésus a appelés ensemble. En fait, cette mission façonne si complètement l’Église que, presque deux mille ans plus tard, un apôtre des temps modernes, le pape Paul VI, écrivait : « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser »21. Depuis l’aube du christianisme, et pour tous les temps, l’Église existe pour proclamer par sa parole et son action – et surtout par la vie et la mort de tous ceux qui lui appartiennent – la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, acte suprême de l’amour de Dieu. Dans la liturgie de Pâques, elle chante la joie qui nous a été donnée en lui : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, 22
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Psaume 117, 22-24) .
14
D’une part, cette Bonne Nouvelle, et la mission de la proclamer, ne change jamais ; toujours et partout jusqu’à la fin des temps, les chrétiens proclament la réalité pérenne de l’Évangile. Ils le font dans la liturgie et les sacrements de l’Église, dans le discours de ses membres comme dans leur prière silencieuse et cachée, et peut-être plus que tout dans le suprême témoignage du martyre, par lequel ceux qui aiment « le Dieu et Père de notre Seigneur JésusChrist » (Éphésiens 1,3) communiquent l’amour et la vie qui leur ont été donnés. Malgré leur faiblesse, et souvent précisément à travers elle, les chrétiens communiquent la Parole de Dieu et, ce faisant, ils aident à donner la vie à leurs frères et sœurs. Comme eux, ils savent ce que veut dire avoir un cœur insatisfait en tout, parce que leur soif de Dieu est incessante, et parfois insupportable. Si donc cette proclamation ne change jamais, pourquoi le pape Benoît XVI et ses prédécesseurs ont-ils invité avec un sentiment d’urgence à une « nouvelle évangélisation » ? Qu’est-ce qui peut être nouveau dans un message qui a plus de deux mille ans ? Et pourtant, l’Évangile peut-il jamais vieillir ? Nous pouvons commencer à comprendre ce que signifient ces apôtres du XXème et du XXIème siècles en entendant Jean-Paul II parler de la « passion » qui doit être réveillée dans le cœur des chrétiens, et dans les sociétés anciennement chrétiennes qui ont oublié la joie qui leur a été confiée.23 S’il n’est pas attentif à la soif qui habite son cœur et s’il renonce à vouloir voir, écouter et toucher le Seigneur ressuscité, le chrétien laisse mourir en lui la Parole de vie. Son cœur sans passion devient triste et vieux. Une personne ou une société chrétienne qui renonce à vouloir voir, écouter et toucher finit par rechercher l’infini par des moyens toujours plus contradictoires ; elle se
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retrouve dans la perspective terrifiante de toute personne humaine privée d’une affirmation ultime de sa dignité ou de sa valeur. Le croyant et la société dont la foi s’est affadie doivent réveiller en eux la passion, qui est bien plus qu’une émotion ou l’élan d’un enthousiasme passager. Selon les mots de Jean-Paul II, il leur manque cette « ardeur » ou cette « conviction brûlante » de ceux qui ont été fascinés par une beauté qui les dépasse, aimés d’un amour plus grand que ce qu’ils avaient imaginé ou espéré et qui sont devenus à leur tour des personnes qui aiment.24 L’appel à une nouvelle évangélisation est une invitation à réaliser maintenant, à notre époque et par nos vies, que le christianisme n’est pas simplement une nouvelle ou un fait historique. C’est une Parole qui nous est personnellement adressée et cette Parole est Vie, c’est un Amour qui demeure. Cette nouvelle est si bonne et si nécessaire qu’aucun être humain qui l’a rencontrée ne peut la garder pour lui. À la fin de la célébration du grand Jubilé de la naissance de Jésus-Christ, Jean-Paul II écrivait : « Nous devons revivre en nous le sentiment enflammé de Paul qui s’exclamait : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Corinthiens 9,16) »25. Comme le grand apôtre, dont la soudaine rencontre avec Jésus ressuscité a changé toute la vie (cf. Actes 9,1-19), nous devons rencontrer la Parole faite chair et la laisser « brûler » en nous jusqu’à ce qu’elle nous transforme totalement. C’est alors seulement que sa beauté pourra rayonner dans tout ce que nous ferons et dirons, dans nos silences et nos souffrances, et dans notre joie – cette joie dont parle saint Jean dans sa lettre et qui a porté Karol Wojtyła et Joseph Ratzinger au long des années difficiles de leur jeunesse. Comme l’a dit le pape Benoît, c’est le
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seul moyen de réintroduire la joie dans nos cœurs éteints, ou la beauté dans notre monde souvent désespéré et sans beauté. L’Évangile qui ne vieillit jamais, est le chemin vers le seul humanisme qui soit vraiment digne de l’homme : « Les disciples du Christ sont appelés à faire renaître en eux et dans les autres la nostalgie de Dieu et la joie d’en vivre et d’en témoigner, à partir de la question toujours très personnelle : pourquoi est-ce que je crois ? […] faire redécouvrir la beauté et l’actualité de la foi non comme un acte en soi, isolé, qui concerne un moment quelconque de la vie, mais comme une orientation constante, même des choix les plus simples, qui conduit à l’unité profonde de la personne […] Il s’agit de raviver une foi qui fonde un nouvel humanisme capable de faire naître culture et 26
engagement social. »
La source de l’évangélisation Dans une série d’homélies de l’Avent, en 2011, le père Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, met en garde contre deux dangers qui menacent les chrétiens par rapport à la nouvelle évangélisation. Le premier est la paresse, lorsqu’on laisse la tâche aux autres. Nous nous disons à nous-mêmes : « Je pense que l’évangélisation, ou la proclamation de l’Évangile par nos vies et à notre époque est une bonne idée, mais ce n’est pas un ordre qui me concerne personnellement. » Le second danger, plus subtil, est l’ « activisme humain fébrile et vide » qui entraîne peu à peu les chrétiens à perdre « contact avec la source » qu’est la Parole de Dieu.27 Par ce double avertissement, le père Cantalamessa
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soulève la question de la source de la nouvelle évangélisation : D’où vient cette passion renouvelée à laquelle Jean-Paul II nous exhortait avec tant d’insistance, ou ce « réveil » que le pape Benoît appelait de ses vœux ? Quelle est l’immuable origine de la joie qui doit nous transformer et que nous devons proclamer par nos paroles et par notre vie ? En un sens, en identifiant cette origine, nous identifions aussi ce que tout membre de l’Église doit faire en priorité et de plus important pour communiquer la Parole de Dieu. L’origine de l’évangélisation, et la réponse la plus fondamentale du chrétien, est assez simple. C’est encore l’apôtre et l’évangéliste Jean qui nous indique la réponse. Lorsque Jean écrit aux premiers chrétiens pour proclamer sa joie, il ne peut le faire que parce qu’il a d’abord entendu, vu et touché : il a fait l’expérience de la Parole de Dieu faite chair et a été bouleversé par sa beauté. Il a été attiré dans une relation d’amitié avec le Dieu vivant et a découvert que la joie parfaite (cf. 1 Jean 1,4) consiste à « partager la vie » du Père, du Fils et du Saint-Esprit, « une Trinité d’amour ».28 Comme un amant, il a été transporté hors de lui-même. De ce point de vue, il sait que sa vie entière ne peut qu’être une réponse à ce don. Il réalise dans cette expérience en chair et en os la vérité que le pape Benoît a ainsi décrite : « À l’origine de toute évangélisation, il n’y a pas un projet humain d’expansion, mais le désir de partager le don inestimable que Dieu a voulu nous faire, en nous faisant participer à sa vie même »29. À la source de l’évangélisation, il y a l’expérience d’un don : l’amour gratuit et surabondant que Dieu le Père nous a montré en son Fils Jésus-Christ, par l’Esprit qui, depuis la résurrection de Jésus, a été répandu sur « toute chair ». Que nous en ayons conscience ou non, ce don de Dieu, qui nous
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ouvre sa vie, est la source de toute vraie joie dans le monde. Quand Jean-Paul II demande : « Qu’est-ce que l’Évangile ? », il répond sans hésitation : « C’est une magnifique justification du monde et de l’homme, parce que c’est la révélation de la vérité sur Dieu. Dieu est la première source de joie et d’espérance de l’homme. Dieu, tel que le Christ nous l’a révélé. Dieu qui est Créateur et Père : « Dieu qui a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que l’homme ne meure pas mais ait la vie éternelle » (Jean 3,16) »30. L’Évangile est la source de la joie parce qu’il est le don de Dieu, la Parole de Dieu qui vient à notre rencontre. C’est la révélation personnelle du Dieu qui est Amour. Cette Parole, dite à tous les êtres humains de toute éternité, est pleine de la vie divine que Dieu désire partager avec l’homme. C’est une « Parole vivante et efficace »31, une Parole puissante mais dont la puissance consiste dans l’humilité et l’amour de Dieu lui-même. La commission préparatoire pour le synode de 2012 sur la nouvelle évangélisation nous l’a rappelé : « Nous ne devons pas penser seulement à un livre ou à une doctrine ; l’Évangile est beaucoup plus : c’est une Parole […] qui met en pratique ce qu’elle dit ». C’est « une personne : Jésus-Christ, Parole définitive de Dieu, faite homme »32 pour nous donner la joie de prendre part à la communion d’amour qui est en Dieu. Si cette affirmation est vraie – si l’évangélisation a ses origines dans la « proclamation » de Dieu qui a envoyé son Fils racheter le monde – alors, avant de faire quoi que ce soit pour cet Évangile, nous devons le recevoir. Comme Jean, nous devons voir de nos yeux, entendre de nos oreilles et toucher de nos mains pour répondre à l’invitation d’amour de Dieu. Nous devons écouter, et alors seulement – sans jamais cesser de l’écouter ! – nous pourrons proclamer ce
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que nous avons reçu. Selon les mots du pape Benoît, nous devons « nous rendre dociles à […] l’Esprit du Ressuscité, qui accompagne tous ceux qui sont porteurs de l’Évangile et ouvre le cœur de ceux qui écoutent. Pour proclamer de façon féconde la Parole de l’Évangile, il faut avant tout faire une expérience profonde de Dieu »33. En d’autres termes, nous devons prier. Et lorsque nous aurons réellement été dociles et que nous aurons rencontré cette beauté dans la prière, nous ne pourrons faire autrement que de parler – d’abord à Dieu, dans la « louange » car c’est « de là que part toute réponse authentique de foi en la révélation de Dieu dans le Christ »34, puis à nos frères et sœurs qui, comme nous, sont assoiffés d’amour. Les papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI sont tous formels à ce propos : les chrétiens ne peuvent pas évangéliser s’ils ne sont pas d’abord et continuellement évangélisés,35 s’ils ne contemplent pas la Parole incarnée dans toute son humilité et sa splendeur, s’ils ne l’écoutent pas et ne font pas l’expérience de la vie qu’elle donne. Les chrétiens doivent faire cette expérience avant de s’engager dans une quelconque activité d’évangélisation, mais aussi continuellement, parce que la joie qu’ils sont appelés à apporter aux autres leur est offerte continuellement de sa source inextinguible : « Les nouveaux évangélisateurs sont appelés à marcher en premier sur cette Voie qui est le Christ, pour faire connaître aux autres la beauté de l’Évangile qui donne la vie »36. Ils ne peuvent apporter la vie aux autres que s’ils demeurent à la source de la vie, gardant leur « regard fixé sur Jésus-Christ » parce qu’ils savent qu’ « en lui trouve son achèvement tout tourment et toute aspiration du cœur humain »37. Dans toute proclamation de l’Évangile, quelle que soit la
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forme qu’elle prend dans notre vie, il y a la primauté de la Parole de Dieu faite chair en Jésus-Christ et qui nous est communiquée dans les Écritures et dans les sacrements. Hors de la puissance et de la fécondité de cette Parole, les mots que nous pourrons prononcer, nos actions et notre vie ne contiennent ni puissance ni fécondité. Il est vrai que les chrétiens sont des témoins pour leurs frères et sœurs mais seulement parce qu’ils ont été eux-mêmes témoins auparavant. Ce sont eux qui voient, qui entendent et qui touchent l’amour de Dieu mort sur la croix pour nous, ressuscité par le Père et qui a répandu son Esprit sur toute l’humanité. La source de toute évangélisation est Dieu lui-même, qui nous a ouvert sa vie en son Fils. Selon les mots du pape Paul VI, la « base », le « centre » et le « sommet » de l’évangélisation sont toujours « Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité » pour offrir le « salut […] à tout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu »38. En écrivant cela, Paul VI se faisait simplement l’écho de saint Paul qui, deux mille ans auparavant, identifiait ainsi le cœur de sa prédication, de ses souffrances et bien sûr de toute sa vie : « Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié » (1 Corinthiens 2,2). Ce même Jésus-Christ, qui nous ouvre la vie de Dieu, est le Chemin que nous pouvons suivre afin de « faire connaître aux autres la beauté de l’Évangile qui donne la vie »39.
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Détail : Marie, image de l’Église, recevant le sang et l’eau qui sont un symbole des sacrements, à la Crucifixion.
Mur de L’Incarnation du Verbe, Chapelle Redemptoris Mater, Cité du Vatican. Image reproduite avec l’aimable autorisation du Centre Aletti.
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas… » (Jean 12, 24)
Qui évangélise ? Nous ne sommes pas solitaires sur ce chemin car la beauté que nous y rencontrons est une participation concrète à la communion qui est la vie de Dieu. Comme l’explique le pape Benoît, « sur ce chemin, on ne marche jamais seul, mais accompagné : c’est une expérience de communion et de fraternité qui est offerte à ceux que nous rencontrons, pour leur faire partager notre expérience du Christ et de son Église »40. Évangéliser n’est pas une activité solitaire parce que nous ne recevons et nous n’offrons jamais seuls le don de l’Évangile. Jean le rappelle aux premiers chrétiens dans sa première Lettre : l’Évangile est « une communion… avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. » Lorsque les croyants partagent l’amour et la vie de Dieu, une fraternité se crée immédiatement entre eux, dans une communion qui pousse jusqu’aux confins de la terre ce petit groupe de chrétiens qui s’aiment : « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous […] Et nous écrivons cela,
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afin que notre joie soit parfaite » (1 Jean 1,3-4). La communion est la vie partagée. Ce profond partage de vie avec Dieu et avec nos frères et sœurs est précisément la joie que les disciples de Jésus-Christ sont appelés à donner au monde. Comme l’écrivait Jean-Paul II, « ce n’est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu’elle nous inspire : Je suis avec vous ! »41. C’est comme si Jésus nous disait : Avec mon Père, et avec l’Esprit qui nous appartient, je suis avec vous, et nous vous aidons à être les uns avec les autres dans une communion qui surpasse tout le manque d’amour dans le monde, qui est plus fort que la mort ! Si nous pouvions recevoir ou offrir le don de l’Évangile en tant qu’individus solitaires, ce ne serait pas la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu, un amour assez puissant pour régénérer l’union d’une humanité divisée par le péché. Même si nous n’avons pas fait, comme Karol Wojtyła et Joseph Ratzinger pendant la Seconde guerre mondiale, la douloureuse expérience des conséquences de la haine humaine, nous avons tous fait l’expérience de la solitude, de l’échec et du manque d’amour qui isolent. Le « manque de joie » et la « tristesse intérieure » que le pape Benoît dit si présents dans nos sociétés modernes vont de pair avec l’expérience de ne pas être aimé en vérité, ou pas vraiment aimé. Dans une certaine mesure, nous savons tous ce que signifie ne pas faire partie d’une communion qui donne la vie, qui tire sa vie de la joyeuse communion de vie qu’est Dieu. Lorsque nous expérimentons ce manque de communion, nous savons tous ce que signifie souhaiter quelque chose de différent, même si nous ne pouvons pas mettre de
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mots sur notre désir. Nous souhaitons une plénitude de communion qui donne la joie. Cette communion à laquelle nous aspirons est donnée dans la Parole de Dieu faite « chair », qui « a habité parmi nous » (Jean 1,14), engendrant ainsi son Corps qu’est l’Église. Nous recevons, et nous devons recevoir, personnellement cette Parole de Dieu, en méditant les Écritures, dans les sacrements et la prière. Mais nous ne pouvons le faire de manière profitable, ni même le faire tout simplement, qu’à l’intérieur d’une « fraternité » ou communion qui tire son origine de lui. L’Évangile de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ est une Parole d’amour adressée à toute l’humanité, et nous ne la recevons qu’en tant que membres de l’humanité renouvelée qu’est le Corps du Christ, son Épouse. La tradition exprime cette vérité avec des images belles et riches, telles celle de l’Église naissant du côté transpercé du Christ crucifié comme la nouvelle Ève tirée du côté d’Adam. L’Église, en tous ses membres, ne cesse jamais de naître du don de la Parole de Dieu. C’est l’Église dans son ensemble qui reçoit à la Pentecôte le don de l’Esprit-Saint qui descend sur les apôtres sous forme de « langues qu’on aurait dites de feu » (Actes 2,3). Cette même Église reçoit l’ordre qui définira son existence jusqu’à la fin des temps : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile… » (Marc 16,15). Elle reçoit continuellement la Parole de Dieu, la médite en son cœur (cf. Luc 2,19) et l’offre à un monde affamé et assoiffé de Dieu. Nous ne pourrions pas le faire seuls. La Parole de Dieu est trop grande et sa puissance à générer la communion ne pourrait pas être contenue en nous. Mais dans l’Église,
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nous pouvons recevoir la plénitude de l’Évangile, lui permettre de transformer nos vies et toutes nos relations, et l’offrir à tout moment à nos frères et sœurs qui, comme nous, ne peuvent vivre sans amour. Chaque fois que nous rendons témoignage à l’Évangile par notre vie, nos paroles et notre prière silencieuse, nous accomplissons un acte qui implique « toute l’Église dans son essence et dans sa vie »42. Nous offrons la communion joyeuse, source de vie qu’est l’Église et qu’est notre partage ici et maintenant, avec notre vie concrète, dans la vie de Dieu. En même temps, nous participons à un nécessaire « renouveau intérieur »43 de l’Église qui, dans sa liturgie et dans la vie de chacun de ses membres, doit constamment revenir à ses origines dans le don de la Parole. Comme nous le disent les documents préparatoires du synode sur la nouvelle évangélisation, la transmission de la foi n’est « ni individualiste ni solitaire, mais un événement communautaire et ecclésial »44. L’évangélisation est toujours une action de l’Église, qui loue Dieu et offre aux êtres humains la joie qui vient d’ « une expérience de communion et de fraternité »45, la seule expérience de communion et de fraternité qui soit plus forte que tout ce qui isole dans le monde.
Contenu de la nouvelle évangélisation L’Église qui est continuellement nourrie de la Parole de Dieu dans sa liturgie, sait que l’évangélisation est sa « grâce » et sa « vocation propre », « son identité la plus profonde »46. Pour elle qui reçoit et contemple la Parole, le contenu de
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l’évangélisation est clair. Par la prière et la proclamation, et dans la vie de chacun de ses membres, elle doit communiquer la beauté et la sainteté – en d’autres termes, l’amour – de Dieu manifesté en Jésus-Christ. « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jean 3,16). Jean-Paul II avait fait observer que tout l’Évangile est résumé dans cette phrase qui contient la « magnifique justification du monde et de l’homme »47. Pour comprendre ce qu’il voulait dire, il nous suffit de penser à la solitude, à l’agitation et au manque de protection de la personne humaine sans Dieu. Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait chair, vient nous apporter la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu. Ce faisant, il nous montre aussi par sa vie ce que signifie être pleinement humain. Il nous montre ce que nous sommes appelés à être : des personnes qui ont été définitivement aimées et qui peuvent donc aimer avec l’amour infini de Dieu. Jésus révèle Dieu, qui est une communion d’amour. Ce faisant, il révèle l’homme, qui est fait pour cet amour. L’Évangile que Jésus-Christ est venu nous apporter n’est pas une information quelconque sur Dieu, mais Dieu lui-même présent parmi nous. Dieu s’est rendu visible à nos yeux, accessible à nos oreilles et à nos mains. Il s’est même soumis, pour la dépasser, à la terreur de la mort. Cette incroyable humilité d’un Dieu qui vient pour être avec nous là où nous sommes le plus seuls, explique pourquoi recevoir ou transmettre l’Évangile est toujours avant tout l’expression d’une foi qui s’émerveille, d’une foi qui adore. Pour Benoît XVI, l’adoration – qui est au cœur de toute prière – est la
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première réponse fidèle d’amour que l’Église puisse offrir à cette révélation inouïe de l’amour. Notre réponse à Dieu, qui consiste à écouter, contempler et adorer, est au cœur de toute évangélisation : « Le Ressuscité entre au milieu de nous. Et alors, nous ne pouvons que dire avec l’apôtre Thomas : Mon Seigneur et mon Dieu ! L’adoration est avant tout un acte de foi – l’acte de foi comme tel. Dieu n’est pas une quelconque hypothèse possible ou impossible sur l’origine de l’univers. Il est là. Et s’il est présent, je m’incline devant lui […] Nous entrons dans cette certitude de l’amour incarné de Dieu pour nous, et nous le faisons en aimant avec lui. C’est cela l’adoration, et cela donne ensuite une empreinte à ma vie »48. L’amour de Dieu, et la réponse d’amour à laquelle nous sommes appelés, donne une empreinte à notre vie. Après tout, si le christianisme concerne fondamentalement l’amour, on ne peut pas le communiquer comme s’il s’agissait simplement d’une idée intellectuelle. Il faut le vivre, parce que l’amour doit se vivre. Et s’il doit se vivre en nous et pour nous, il faut qu’il devienne de chair et de sang. Dieu le sait et c’est pourquoi il s’est fait lui-même chair et sang dans le Fils de Dieu fait homme, Jésus-Christ. Désormais, il n’existe pas d’autre moyen de communiquer son Évangile qu’en le laissant prendre aussi chair et sang en nous. Le pape Benoît XVI attire notre attention sur cet aspect central de la nouvelle évangélisation en disant : « Puisque la foi chrétienne est fondée sur le Verbe incarné, Jésus-Christ, la nouvelle évangélisation n’est pas un concept abstrait mais la reprise d’une vie chrétienne authentique qui s’appuie sur les enseignements de l’Église »49.
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La Parole de Dieu veut entrer en nous et nous transformer, faisant de nous l’Église, cette joyeuse communion qui est son Corps et son Épouse. Il veut nous aider à aimer parce que nous sommes faits pour aimer. Il sait que nos vies sont dénuées de sens et que nos cœurs sont sans repos tant que nous n’avons pas rencontré l’Amour et que nous ne lui avons pas permis d’entrer dans tous les aspects de notre vie. C’est pourquoi, si nous la laissons entrer et si nous nous inclinons en sa présence, la Parole faite chair nous transforme petit à petit, de sorte que notre vie tout entière commence à rayonner de la beauté de Dieu qui est Amour. Si nous prions, si nous faisons l’expérience de la présence du Christ ressuscité parmi nous et si nous l’adorons avec l’Église, nous commençons alors à comprendre : il nous appelle à aimer avec détermination et pour toujours dans l’amour éternel qu’il porte à l’Église, son Épouse. Cet appel à aimer se dessine le plus nettement dans le don complet que nous faisons de nous-mêmes dans le mariage ou, si nous prononçons les conseils évangéliques, en suivant Jésus pauvre, chaste et obéissant dans la virginité consacrée. Mais il détermine aussi tous les aspects du comportement et de la vie du croyant. Les chrétiens sont appelés à aimer, non pas seulement ou d’abord à travers leurs émotions ou leurs paroles, mais entièrement et concrètement, « par des actes et en vérité » (1 Jean 3,18). Ceux qui rencontrent l’Amour sont invités à le laisser transformer tous les aspects de leur vie. Et parce qu’ils rencontrent cet Amour en JésusChrist, le Fils de Dieu fait chair qui « les a aimés jusqu’au bout » (Jean 13,1), les croyants comprennent alors que la beauté qu’ils ont laissé entrer dans leur vie les emmène
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jusqu’au but de leur vie. Pour le chrétien qui a réellement fait l’expérience de l’Évangile, la souffrance et la mort ne sont pas les réalités ultimes. La réalité ultime est l’Amour qu’est Dieu, un amour qui est la signification et le but de toute vie humaine. Cet amour contient une telle puissance qu’il est plus fort que le péché et plus fort que la mort. La vie et l’amour divin que le Christ ressuscité communique à toute l’humanité contiennent un mystère de jugement et de miséricorde à la fois, et la promesse de la vie éternelle. La vie éternelle n’est pas autre chose que notre participation complète et pour toujours à l’Amour que Jésus est venu nous apporter, l’Amour dont nous parle le christianisme. C’est notre transformation finale par laquelle nous devenons les enfants bienaimés du Père, invités à partager la vie de Dieu. En même temps, c’est une invitation à partager ce « grand mystère » (Éphésiens 5,32) que nous entrevoyons dans les Écritures : le « banquet des noces » de l’Agneau avec l’humanité rachetée, ou avec l’Église qui est son Corps et son Épouse (cf. Apocalypse 19,9). Cet Agneau, Jésus-Christ, est la vie de Dieu qui nous est ouverte. Par son incarnation, sa mort et sa résurrection d’entre les morts pour nous, pour nous donner son Esprit et nous conduire au Père, il est la joie dans le monde, et il est le contenu de l’Évangile.
Méthode d’évangélisation Une « nouvelle évangélisation » est grandement nécessaire à notre époque, où tant de personnes ont terriblement soif d’être aimées et d’aimer pour toujours. Mais la « méthode »
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d’évangélisation, de même que son contenu, n’a pas fondamentalement changé. Depuis le jour où le Christ ressuscité s’est tenu au milieu de ses apôtres effrayés, qui « dans leur joie […] n’osaient pas encore y croire » (Luc 24,41), depuis que son Esprit, répandu sur eux sous la forme de « langues qu’on aurait dites de feu » (Actes 2,3), leur donna un nouveau courage et une nouvelle compréhension du mystère du Seigneur, ou encore depuis que Jean a écrit sa première lettre à certains des premiers chrétiens, la seule méthode d’évangélisation est celle de l’Amour incarné. L’amour doit prendre corps et être communiqué, par les paroles bien sûr, mais avant tout par toute la vie. L’évangélisation est le témoignage rendu par l’existence tout entière de celui qui proclame. Quand Jean parle du Christ, c’est en témoin qu’il en parle. Il a simplement proclamé ce qu’il avait vu, entendu et touché, celui qui est sa (et notre) porte d’entrée dans la joie. L’admiration et l’amour avec lesquels il a contemplé le « Verbe de vie », « la vie… manifestée » (1 Jean 1,1-2) sont palpables dans la lettre de Jean. C’est comme s’il avait encore sous les yeux l’image de Jésus sur la croix, nous aimant jusqu’au bout, ou celle de Jésus ressuscité montrant ses blessures glorieuses, nous aimant au-delà de tout. C’est cet amour qui poussa Jean à aimer, à aimer Dieu par-dessus tout, la communauté des croyants qu’est l’Église et tout être humain comme un frère. Il savait ce que tout chrétien après lui doit savoir : nous ne pouvons pas rendre témoignage à la Parole, au Verbe fait chair sans laisser cette Parole prendre chair en nous. La Parole de Dieu est une Parole totalement engagée
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envers tout être humain qui a jamais vécu et qui vivra jamais. C’est l’engagement du Fils de Dieu venu pour mourir afin que nous vivions, non plus notre petite vie limitée et sujette à la mort, mais la vie véritable de Dieu. Dieu s’est ouvert à nous par amour. Sa Parole s’est faite chair, « s’abaissant » (Philippiens 2,8) si totalement pour nous donner l’amour de Dieu qu’il est mort sur une croix. Ainsi, il a posé ce que le cardinal Ratzinger identifiait comme étant la première condition de toute évangélisation : offrir sa propre personne « au Christ pour le salut des hommes est la condition fondamentale d’un […] authentique engagement pour l’Évangile […] évangéliser n’est pas uniquement une façon de parler, mais une façon de vivre »50. Dieu s’est offert totalement par amour, et l’homme ne peut rendre un témoignage crédible à cet amour que s’il s’offre totalement lui-même. Ainsi, l’évangélisation est une forme de témoignage qui est toute notre vie, une vie qui irradie l’amour. Un témoin, comme toute personne qui aime véritablement, ne se recherche pas lui-même ; il s’offre lui-même, indiquant par toute son existence ce qu’il a vu. En outre, parce que le chrétien a été introduit dans une « fraternité », ou communion, où la Parole de Dieu est reçue, méditée et gardée, il ne témoigne pas seul. Dans toutes ses faiblesses et ses difficultés, il est porté dans une communion plus grande que lui. Témoigner d’un Autre, d’une beauté qui vous sort de vous-mêmes, signifie, comme nous le rappelle le cardinal Ratzinger, « parler au nom de l’Église »51. L’Église ayant son origine en Dieu et reflétant la vie de Dieu, « la communauté des chrétiens n’est jamais close en elle-même »52. Tout dans l’Église et
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tout ce qu’elle fait – y compris sa vie de prière la plus cachée – « n’a tout son sens que lorsqu’elle devient témoignage », ou un témoin de l’amour : « C’est ainsi toute l’Église qui reçoit mission d’évangéliser, et l’œuvre de chacun est importante pour le tout »53.
Conclusion : Le grain de blé Bien que tout dans le monde et que toute créativité humaine soit destiné à participer au service de l’amour de Dieu, l’évangélisation n’est pas un programme que l’on peut gérer ou améliorer grâce aux dernières technologies. En réalité, la méthode d’évangélisation est toujours inévitablement la méthode d’un témoignage qui est à la fois le nôtre et celui de toute l’Église. C’est l’engagement de toute une vie dans la fidélité et la patience, attendant que la graine qu’est la Parole de Dieu porte du fruit. L’attente peut être longue, et parfois difficile, mais il s’agit d’attendre dans l’espérance. C’est aussi une attente dans la prière, car c’est seulement en voyant, en entendant et en touchant la Parole que nous commençons à comprendre la grandeur du don que nous avons reçu. Dans la liturgie de l’Église et dans la contemplation silencieuse, nous apprenons que nous avons été aimés sans mesure et que c’est ainsi que nous avons trouvé la joie. Mais cet amour et cette joie ne sont pas seulement pour nous ; ils sont une force qui nous pousse à sortir et à aller vers nos frères et sœurs. Selon les mots du pape Benoît XVI, « de cette contemplation naît dans toute sa force intérieure l’urgence de la mission, la nécessité impérieuse « de com-
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muniquer ce que nous avons vu et entendu », pour que tous soient en communion avec Dieu (cf. 1 Jean 1,3). La contemplation silencieuse nous immerge dans la source de l’amour, qui nous conduit vers notre prochain, pour sentir sa douleur et lui offrir la lumière du Christ, son message de vie, son don d’amour total qui sauve »54. C’est peut-être un paradoxe mais c’est précisément dans les moments de découragement, quand il semble qu’aucune de nos actions ou de nos paroles n’a porté de fruit, que nous découvrons la véritable « méthode » d’évangélisation : nous ne sommes pas la source qui fait porter du fruit à la Parole. Toute vie et tout le « succès » de l’évangélisation viennent de Dieu. Nous sommes simplement ses serviteurs, parce qu’il a besoin de personnes qui aiment. Il a besoin de personnes qui se livrent et qui prient. De telles personnes, comme les jeunes Karol Wojtyła et Joseph Ratzinger, sont suffisamment attentives, dans l’obscurité du monde, pour percevoir la beauté de Dieu. Ce faisant, elles réalisent alors que la Parole de Dieu a sa méthode propre pour porter du fruit. Au sujet de la nouvelle évangélisation, le cardinal Ratzinger affirmait qu’ « évangéliser n’est pas uniquement une façon de parler, mais une façon de vivre. Le Seigneur lui-même […] a formulé cette loi de fécondité dans la parole du grain de blé qui meurt, tombé en terre »55. Cette « loi de fécondité » s’accomplit dans toute proclamation de l’Évangile : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12,24). Le témoin qui voit, entend et touche la Parole – comme Jean, Karol, Joseph, et peut-être nous-mêmes – a besoin de
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connaître cette loi de la graine qui meurt afin de pouvoir porter un fruit inattendu et surabondant : « Nous ne pouvons donner vie aux autres sans donner notre vie »56. Nous pourrions aussi décrire cela simplement comme la loi de l’amour de Dieu. Cela peut paraître une étrange méthode et une loi difficile pour la nouvelle évangélisation, mais ce témoignage rendu en livrant notre vie est la seule façon de répondre réellement à l’Amour en aimant. C’est la seule façon de devenir vraiment capable de la joie. Comme l’ont réalisé Jean, Karol et Joseph, c’est le seul chemin pour que le message chrétien devienne une Parole d’amour vivante et pleine de joie pour nous-mêmes et pour tous les hommes et les femmes de notre temps.
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Sources 1
Marina Corradi, « On Mission in the Depths of the East », Avvenire, juillet 2001. D’après la traduction en anglais sur www.chiesa.espressoonline.it.
2
N.R. Kleinfield, « U.S. Attacked ; Hijacked Jets Destroy Twin Towers and Hit Pentagon in Day of Terror », New York Times, 12 septembre, 2001.
http://www.nytimes.com/2001/09/12/us/us-attacked-hi-
jacked-jets-destroy-twin-towers-and-hit-pentagon-in-day-ofterror.html?ref=sept112001. 3
Jean-Paul II, Mémoire et identité, Flammarion, 2005, p. 13.
4
Ibid., p. 26.
5
Mieczysław Malinski, cité dans George Weigel, Jean-Paul II. Témoin de l’espérance, Éd. JC Lattès, 1999, p. 76.
6
Joseph Ratzinger, Ma vie : Souvenirs 1927-1977, Fayard, 1998, p. 38.
7
Ibid., p. 44.
8
Ibid., p. 50.
9
Cf. Mémoire et identité, op. cit., p. 26.
10 Ibid., p. 13. 11 Lettre encyclique Spe salvi, (Sauvés dans l’espérance), 2007. 12 Benoît XVI, Discours lors de la célébration œcuménique à Erfurt, 23 septembre 2011. 13 Cf. Benoît XVI, « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé », Message pour le carême 2007 : « Sur la Croix c’est Dieu lui-même qui mendie l’amour de sa créature : Il a soif de l’amour de chacun de nous ».
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14 Lettre encyclique Deus caritas est, (Dieu est amour), 1. 15 Cf. Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini (La Parole du Seigneur), 2 : « participer à la vie de Dieu, Trinité d’Amour, est plénitude de joie (cf. 1 Jean 1,4) ». 16 Benoît XVI, Discours à la Curie romaine pour la présentation des vœux de Noël, 22 décembre 2011. 17 Ibid. 18 Joseph Ratzinger, Conférence pour le jubilé des catéchistes sur le thème de la nouvelle évangélisation, 10 décembre 2000. 19 Jean-Paul II, Discours à l’assemblée de la Conférence épiscopale d’Amérique latine (CELAM), 9 mars 1983. 20 Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo millenio ineunte (Au début du nouveau millénaire), 5. 21 Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (L’évangélisation du monde moderne). 22 Il s’agit du psaume responsorial de la messe du Dimanche de Pâques. 23 Cf. Novo millenio ineunte, op. cit., 30. 24 Ibid., 40. 25 Ibid. 26 Benoît XVI, Homélie de la célébration des vêpres et du Te Deum d’action de grâce pour la fin de l’année 2011, 31 décembre 2011.
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Sources (suite)
27 Raniero Cantalamessa, « La deuxième grande vague évangélisatrice après les invasions barbares ». Homélie de l’Avent au Vatican, 9 décembre 2011. Source : http://www.zenit.org/fr/articles/lanouvelle-evangelisation-apres-les-invasions-barbares-par-lep-cantalamessa. 28 Benoît XVI, Verbum Domini, op. cit., 2. 29 Benoît XVI, Lettre apostolique Ubicumque et semper (Partout et toujours). 30 Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, Éd. Plon/Mame, Paris, 1994, pp. 47-48. 31 La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne : Lineamenta (document préparatoire) pour la XIIIème assemblée générale ordinaire du synode des évêques, 11. 32 Ibid. 33 Benoît XVI, Ubicumque et semper, op. cit. 34 Jean-Paul II, Novo millenio ineunte, op. cit., 4. 35 Cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi, op. cit., 15. 36 Benoît XVI, Homélie de la messe pour la nouvelle évangélisation, 16 octobre 2011. 37 Benoît XVI, Lettre apostolique Porta fidei, (La porte de la foi), 13. 38 Paul VI, Evangelium nuntiandi, op. cit., 27. 39 Benoît XVI, Homélie de la messe pour la nouvelle évangélisation. 40 Ibid. 41 Jean-Paul II, Novo millenio ineunte, op. cit., 29.
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42 Lineamenta, op. cit., 2. 43 Ubicumque et semper, op. cit. 44 Lineamenta, op. cit., 2. 45 Benoît XVI, Homélie de la messe pour la nouvelle évangélisation. 46 Paul VI, Evangelii nuntiandi, op. cit., 14. 47 Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, op. cit., p. 47. 48 Benoît XVI, Discours aux cardinaux, à la Curie romaine et à la Famille pontificale pour la présentation des vœux de Noël, 22 décembre 2011. 49 Benoît XVI, Discours aux évêques de Nouvelle-Zélande et du Pacifique en visite Ad limina, 17 décembre 2011. 50 Joseph Ratzinger, « La nouvelle évangélisation : Construire la civilisation de l’amour », I. 2. 51 Ibid. 52 Paul VI, Evangelii nuntiandi, op. cit., 15. 53 Ibid. L’Église a proclamé patronne des missions sainte Thérèse de Lisieux, carmélite cloitrée, morte à l’âge de vingt-quatre ans sans jamais avoir quitté son monastère. Ce simple fait montre de manière éloquente ce que l’Église entend par évangélisation. 54 Benoît XVI, « Silence et parole : Chemin d’évangélisation », Message pour la quarante-sixième Journée mondiale des communications, 20 mai 2012. 55 Joseph Ratzinger, La nouvelle évangélisation : Construire la civilisation de l’amour, op. cit., I. 2. 56 Ibid.
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L’auteur Michelle K. Borras, Ph.D., est directrice du Service d’information catholique. Elle a un B.A. en littérature anglaise de l’Université Harvard, une licence canonique en théologie de l’Institut Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille à Rome, et un Ph.D. en théologie de l’Institut, section de Washington, D.C. Sa thèse porte sur l’interprétation du mystère pascal par Origène. Michelle K. Borras a enseigné à l’Institut Jean-Paul II de Washington comme professeur adjoint pendant l’année académique 2010-2011 et a donné des séminaires en littérature catholique, en interprétation patristique de l’Écriture et en théologie de Hans Urs von Balthasar dans le cadre de la formation interne des Sœurs missionnaires de Saint Charles Borromée, à Rome. Outre de nombreux travaux de traduction, elle a publié des articles dans le domaine de la littérature catholique et de la théologie.
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6 appelés à aimer : La théologie de l’amour humain, de Jean-Paul II CONCEPT ION
7 à l’image de l’amour : Le mariage et la famille
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B La technologie et la nouvelle évangélisation : Critères de discernement
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« Il faut faire redécouvrir la beauté et l’actualité de la foi »
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Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?
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Nous vivons dans un monde de tristesse intérieure. Les hommes et les femmes aspirent à faire l’expérience de la joie d’être définitivement aimés et d’aimer définitivement. L’évangélisation est la communication par la parole et par la vie, par la prière et le silence, par les actes et par la souffrance, d’un amour qui à la fois embrasse l’homme et le dépasse infiniment. C’est la communication de la joie. Cette joie est plus grande que l’homme parce qu’elle vient de Dieu. Et c’est justement pour cette raison que c’est la seule joie qui puisse étancher la soif insatiable du cœur humain.
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