THE GIRL IN RED - Une Histoire Népalaise (Français)

Page 1

Une Histoire NĂŠpalaise par Kore Kamino


À la mousson d’Août 2001, les parents de Maya et d’Anna firent leur premier retour à Katmandou depuis 15 ans. Ils y avaient vécu dans les années 80 avec leurs deux filles, puis avaient déménagé au Japon et plus tard en Angleterre pour permettre aux filles d’y achever leurs études. Bien que le Népal ait toujours été dans leurs têtes, ils n’avaient jamais réussi à y revenir. Puis, les deux filles ayant grandi, Scott et Naoko purent enfin envisager le retour à Katmandou. La plus grande partie du retour initial fut occupée à retrouver tous leurs vieux amis et à refaire connaissance. Une des personnes qu’ils espéraient retrouver était une enfant à l’époque et ils n’avaient aucune idée de sa véritable identité. C’était une amie de Maya et d’Anna, mais ils ne savaient ni son nom ni où elle vivait, car ils ne l’avaient connue alors que comme “Kumari”, la déesse vivante. Maya et Anna étaient fascinées par cette petite fille un peu plus jeune qu’elles et qui menait une vie si différente de la leur, et de la plupart des enfants népalais. Comme ils vivaient à cinq minutes de la maison et du temple de la déesse vivante, les filles commencèrent à lui rendre visite quotidiennement. La petite fille en rouge - car c’était la couleur qu’elle portait toujours - remarqua qu’elles venaient la voir chaque jour et un jour, elle leur demanda si elles voulaient jouer au ballon. Elles n’étaient pas autorisées à venir à l’intérieur et la fille en rouge n’était pas autorisée à sortir, mais Maya et Anna pouvaient venir jusqu’au bas de l’escalier, et elle, pouvait venir sur le palier. Et c’est ainsi que commença une amitié plus qu’inhabituelle... 1


* pujas matinales

très inclinées du Temple Narayan 4. Des enfants de mon âge courant de tous côtés, certains en uniforme

RASHMILA

scolaire bleu ou marron, d’autres en haillons. “Après mes pujas 1 matinales et mes cours, je n’avais pas grand chose à faire jusqu’à ce que mes camarades de

Il y en avait deux en particulier que je cherchais du regard.

jeu - car je n’étais pas la seule enfant dans la maison -

Mon champ de vision était limité puisque je n’étais

rentrent de l’école. Moi je n’y allais pas bien sûr, j’avais

pas censée sortir ma tête par la fenêtre. Je ne pouvais

mes cours à l’intérieur de mon temple.

voir que trois temples ainsi que Ghadi Bhaita 5, la partie

Pendant que j’attendais que mes camarades reviennent,

j’aimais observer par les fenêtres du

temple, Durbar Square

2

et les gens qui y passaient.

Il y avait des conducteurs de rickshaw espérant accrocher un touriste étranger, des porteurs aux habits en lambeaux et aux jambes nues fumant une cigarette

blanche du palais où le roi et sa famille m’attendaient le premier jour du plus grand festival de l’année, Indra Jatra. Mais moi, c’était par dessus tout les gens qui m’intéressaient. Puis j’ai entendu une des femmes de la maison m’appeler, “Dyo Meiju, des visiteurs étrangers.”

après avoir transporté une lourde charge, un autre

Ce n’était pas un ordre, car personne ne commande

croulant sous le poids d’un réfrigérateur amarré à

une déesse, mais je savais très bien que parce qu’ils

son front. Un agriculteur Newari 3 portant des légumes

laisseraient une offrande sur une petite colonne dans

dans deux paniers suspendus à un long bâton posé sur

la cour, j’avais le devoir de me montrer à la fenêtre,

ses épaules. Des femmes de la campagne vêtues de

tout comme je savais que j’avais le devoir de ne pas

saris rouge coloré assises, commérant sur les marches

sourire quand j’y étais. Parfois, c’était un peu ennuyant,

2

3


par exemple quand j’étais en train de jouer avec mes

n’étaient pas népalaises, mais mes gardiens, que je

poupées ou de danser avec les autres enfants, mais

considérais comme mon père et mes frères, décidèrent

d’autres fois, ça ne me dérangeait pas.

qu’elles pouvaient passer la porte et venir au bas des

J’ai pris mon air sérieux de Kumari et me suis dirigée

marches pendant que je me tenais sur le palier. Ainsi nous pouvions nous lancer le ballon de bas en haut.

vers la fenêtre. Parfois, les étrangers applaudissaient, certains

Parfois, elles me jetaient des bonbons et d’autres fois je

faisaient Namaste, et d’autres restaient plantes là à me

leur lançais certaines de mes offrandes. Nous pouvions

fixer. D’où étaient-ils, je me demandais? Pourquoi les

même discuter car elles parlaient un peu népalais. Qui

femmes étaient-elles habillées si bizarrement? Est-ce

elles étaient et d’où elles venaient, je ne l’ai jamais su.

que leurs cheveux étaient comme ça naturellement?

Les enfants ne parlent pas de ces choses-la quand ils

La plupart d’entre eux, hommes et femmes, avaient des

jouent au ballon et mangent des bonbons. Tout ce que

appareils photo autour du cou, mais je savais que s’ ils

je savais était leurs noms: Maya et Laxmi 7, des noms

les pointaient vers moi, je devais reculer dans l’ombre.

népalais.

Si seulement j’avais pu crier vers le bas et demander à leur guide népalais d’où ils étaient. A quoi ressemble le

Quand on me transportait en dehors de mon temple

pays d’où ils viennent? Est-ce que j’irai là-bas un jour?

lors de certains petits festivals, je me trouvais au milieu

Et que pensent-ils de moi?

d’une foule de gens qui se pressaient autour de moi.

Hésitant un peu, j’ai dirigé mon regard vers le bas,

C’était particulièrement vrai lors du bain de Seto au milieu de l’hiver (j’’étais assise

vers un des recoins de la cour. Elles étaient là, les deux

Macchendranath

filles étrangères un peu plus âgées que moi, habillées

en marge de la foule pour observer l’icone se faisant

comme les filles népalaises d’un salwar khameez 6 un

baigner) et aussi lors de brèves sorties quand je me

peu sale. Depuis longtemps, elles venaient tous les jours,

rendais au temple adjacent de Teleju 9 . Maya et Laxmi

s’asseyaient et me regardaient en souriant lorsque

firent connaissance de mes deux “frères”, Gautam et

je me présentais aux touristes. A cette époque-là il y

Mahendra, et leur demandèrent si elles pouvaient

avait moins de touristes que maintenant, et souvent

venir près de moi lors de ces fêtes. Jusque-là nous

la cour était vide. Alors une fois les touristes partis, je

n’avions pas été plus proches que le haut et le bas

les ai appelées en leur disant que j’avais un ballon,

de l’escalier. Ils acceptèrent, à condition que les filles

“pourquoi ne jouerait-on pas ensemble?” Elles eurent

n’essaient pas de me faire rire ou de jouer avec moi.

l’air surprises, mais vraiment heureuses! Evidemment

Après tout, j’avais mes devoirs, et l’un d’eux était de

elles ne pouvaient pas réellement entrer, car elles

garder un visage impassible quand j’étais en public.

4

5

8


A vrai dire, je n’ai jamais eu aucun problème avec

Maya et Anna ne l’aient jamais su. Une fois, elles lui

ça. Il y a un collier spécial, celui du naga (serpent) qui

ont dit que bientôt elles s’en iraient. Et puis un jour elles

symbolise la puissance de Kumari et que je portais

ne sont plus venues. Je ne savais pas où elles étaient

seulement à certains moments des festivals. Quand je

allées, ni si je les reverrais un jour.

l’avais sur moi, je pouvais sentir sa puissance et jamais je n’ai eu envie de sourire a ces moments-là.

Plus tard, je revins vivre chez moi avec ma famille, le temps passa. Alors que je travaillai très dur pour arriver

* Naga, le serpent symbolise la puissance de Kumari

jusqu’en seconde, un film danois a été fait sur moi et a remporté le prix du meilleur documentaire au Festival HBO du film pour les enfants, et j’ai été invitée à me rendre à New York, tous frais payés, en tant qu’invitée spéciale. Très naïve, j’ai demandé à ma sœur aînée “Vais-je pouvoir voir Maya et Laxmi là-bas?” Malgré mes deux années de retour à l’école, mes idées sur le monde en général étaient encore plutôt vagues. “Sais-tu au moins de quel pays elles viennent?” demanda Pramila, ma sœur aînée qui est parfois désagréablement pragmatique. “Heu, non...”

Quoi qu’il en soit, tout s’est bien passé, Maya et

“Tu pourras peut-être demander dans la rue. Peut-être

Laxmi se tenaient à côté de moi et ensemble nous

que quelqu’un les aura vues

avons admiré l’icone se faisant asperger de lait et

monde.”

quelque part dans le

d’eau et tout le monde a applaudi. Maya et Laxmi se sont comportées comme deux parfaites demoiselles

Je me sentis stupide. Inutile de dire que je ne les ai pas

et aucune de nous trois n’a souri. Après cela, elles

trouvées lors de mon bref mon séjour à New York. En fait,

marchèrent à côté de mon palanquin, ou à côté de l’un

il m’a fallu très longtemps pour retrouver l’une d’elles.

de mes “frères” lors de chacun de mes petits festivals.

A ce moment-là, j’étais étudiante à l’université. Leurs

Parfois, quand elles venaient à Kumari Ghar

, elles

parents, qui venaient régulièrement à Katmandou,

jouaient avec les autres enfants dans la cour. L’un

m’avaient retrouvée quelques années auparavant.

d’eux était ma sœur Surmila, mais je ne pense pas que

Ils étaient ici et Maya, déjà mariée et vivant à Tokyo,

6

7

10


vint leur rendre visite au Népal. Ce soir-là il y avait une

l’enseignement à domicile de deux heures par jour. Le

fête dans la cour de Kumari Ghar, elle et ses parents

reste du temps nous apprenions à connaitre les enfants

étaient invités, et c’est là que nous nous sommes

du coin et leurs jouets faits maison. La plupart du temps,

enfin retrouvées. Pour la première fois nous pouvions

Maya et moi portions des vêtements assortis conçus

nous asseoir côte à côte et nous parler - cette fois en

et fabriqués par ma mère Naoko et ainsi vêtues nous

anglais, même si c’était ma pire matière à l’école.

avons commencé à faire partie des meubles dans le

Maya est venue chez moi le lendemain et au cours

quartier et aux alentours de Durbar Square pendant

des jours suivants, on a pu passer du temps ensemble à

tout notre séjour dans la vallée.

Katmandou, comme de vraies amies.

Notre pèlerinage quotidien à Durbar Square consistait à tenter d’apercevoir la Kumari; la chose

Je sais que de nombreuses personnes, en particulier

la plus mystérieuse et magnifique que nous n’avions

dans les pays étrangers trouvent mon enfance

jamais vue. La première fois que nous l’avons vue, cela

étrange, et ont même pitié de moi parce que je n’étais

devait être comme des dizaines de touristes avant

pas libre de sortir quand je voulais. Mais je ne me

nous, en mettant quelques ruppees sur son piédestal

suis jamais sentie privée de quelque façon. C’est vrai,

en forme de lotus dans la cour de Kumari Ghar, afin

j’ai dû renoncer à certaines choses, j’ai aussi eu des

d’appeler la déesse à la fenêtre. Nous avons appris

opportunités que peu d’enfants népalais de 7 ou 8 ans

plus tard qu’elle s’appelait Anita, qu’elle était plus

avaient à l’époque.”

âgée que nous; dix ou douze ans à l’époque et que comme une vraie déesse, elle était aussi inaccessible et hautaine que nous pouvions l’imaginer.

ANNA Maya et moi avons rapidement découvert que nous “Ma famille visita le Népal pour la première fois

étions autorisées à aller nous amuser dehors, une fois

quand j’avais six ans et ma sœur, Maya, huit ans.

nos devoirs faits, du moment que nous n’allions pas trop

C’était un essai de six mois pour voir comment nous

loin et que nous ne mangions pas les sucettes glacées

nous adapterions à la vie en Asie tandis que mon

(faites avec de l’eau non traitée). Bientôt nous avions

père étudiait la région pour les besoins d’un livre sur

compris que les sucettes glacées étaient délicieuses

lequel il travaillait. Nous n’avions pas de préjugés et

et que si nous allions à Kumari Ghar tous les jours et

avons accepté ce changement aussi excitant que

nous cachions dans un coin de la cour nous pourrions

nouveau en profitant de la liberté que nous offrait

apercevoir Kumari gratuitement chaque fois qu’un

8

9


nouveau groupe de touriste venait mettre quelques pièces dans le piédestal. Après ça, nous rentrions à la maison et habillions nos poupées, Sita et Taji en Kumari dans un de ses 3 costumes traditionnels et nous les paradions comme au moment des festivals. Nous avions confectionné des tenues de cérémonie pour les deux poupées en collant de petites perles là où les bijoux de sa coiffe d’or se trouvaient, en cousant méticuleusement les petits vêtements et en appliquant le long maquillage sur les yeux et le troisième oeil des festivals. Les six premiers mois sont passés très vite et bientôt il a été temps de rentrer à la maison à Hawaii. Je me souviens, de retour à l’école, d’être incapable de faire imaginer notre vie au Népal à quelqu’un qui n’y avait pas été. J’essayais de raconter les femmes faisant leurs puja matinaux, les vaches sacrées errant dans les rues et volant les légumes sur les étals de marché, et bien sûr Kumari et à quel point elle était importante pour Maya et moi. Mais j’ai été accueillie avec les regards vides de mes camarades de classe et des professeurs. Finalement, je repris la routine scolaire en gardant mes histoires du Népal pour moi-même. Le Népal me manquait pourtant terriblement et j’espérais que nous pourrions y retourner. J’ai donc été ravie quand mes * appeler la déesse à la fenêtre

parents nous ont annoncé que nous quittions Hawaii pour de bon et retournions au Népal. Cette fois, j’avais presque huit ans. Quand nous avons atterri à Katmandou pour notre

10

11


deuxième séjour, j’avais beaucoup plus l’impression de revenir à la maison que lorsque nous étions revenus à Hawaii. Un de nos premiers arrêts fut à Kumari Ghar pour voir Anita nouveau. J’étais excitée comme une puce. Nous avons mis notre offrande sur le piédestal, mais j’ai été surprise et déçue de voir un autre visage venir à la fenêtre. Elle avait bien le maquillage et la robe rouge de la Kumari, mais nous ne la connaissions pas et elle avait l’air bien trop mignonne et petite pour être la déesse mystérieuse à laquelle nous étions habituées. La nouvelle Kumari n’avait que cinq ans et était relativement nouvelle dans cette fonction. Même si elle essayait d’avoir l’air sérieuse, il y avait encore un soupçon de sourire sur ses lèvres quand elle est venue à la fenêtre pour nous regarder. Notre Kumari habituelle nous manquait et ce soir-là nous n’avons pas le cœur à habiller Taji et Sita. Mes parents ont loué un appartement en marge de Durbar Square avec vue sur le temple Taleju et Makhan Thol 11 , ça a donc été facile de retomber dans notre routine de Katmandou. Comme nous vivions à seulement cinq minutes à pied de Kumari Ghar,

* Maya et moi allions

Maya et moi allions faire un tour là-bas main dans

faire un tour là-bas

la main tous les jours malgré tout. Nous nous tenions sous le passage couvert comme avant et attendions notre aperçu gratuit de Kumari lorsque les touristes venaient et qu’on l’appelait. Et après un très court laps de temps, cette nouvelle Kumari a commencé à nous plaire de plus en plus. Nous l’avons vue au moment des festivals et je me souviens avoir été impressionnée 12

main dans la main


que son comportement soit aussi naturel et aussi digne

une figure tellement importante au Népal que j’étais

que celui d’Anita autrefois. Elle n’a pas souri une seule

étonnée qu’elle puisse commencer à nous reconnaître.

fois, ni parlé à quelqu’un de proche, elle est juste restée

Nous lui avons fait signe et souri timidement espérant

assise immobile ressemblant beaucoup à la déesse

devenir amies avec la petite fille, mais sans jamais

qu’elle était. Gautam et Mahendra étaient deux

oublier qu’elle était avant tout une déesse qui avait

frères de la famille qui vivaient et s’occupaient d’elle

subi de nombreux tests et de cérémonies pour obtenir

en la portant dans les rues au moment des festivals,

son statut. Nous nous sommes contentées des sourires

gardaient les foules au loin, la portaient sur son

et des saluts pendant de nombreux mois. Et grâce à

chariot et l’aidait à soutenir le poids de sa coiffe , si elle

cette expérience vécue, les robes et costumes de Sita

devenait trop lourde pour elle. Ils nous ont reconnues et

et Taji sont devenus plus élaborés et plus incrustés de

ils nous ont souri quand ils nous ont vues dans la foule.

perles et nos mises en scène des festivals plus délicates et détaillées.

Bientôt Rashmila a commencé à venir à la fenêtre pour les touristes et à regarder si nous étions là, attendant

Quand

les

vrais

festivals

arrivaient,

nous

nous

dans l’ombre. Nous nous cherchions du regard les unes

préparions pendant des jours et pourchassions mon

et les autres et c’était excitant pour nous. Elle voyait

père afin qu’il nous promette de choisir toujours les

tellement de visages étrangers en une journée et c’était

meilleurs endroits pour prendre les meilleures photos.

* Nous nous cherchions du regard les unes et les autres

14

15


Nous connaissions la plupart des neuf jours où Kumari

porte que les Hindous utilisaient pour venir rendre

était autorisée à sortir, mais il y avait aussi d’autres

hommage à Kumari, même le roi passait par là! Nous

cérémonies plus petites qui n’étaient pas connues. Une

sommes entrées. Rashmila et plusieurs autres enfants

nuit, nos parents nous ont réveillées car ils avaient

se trouvaient sur le palier en haut de l’escalier. On nous

entendu qu’elle ferait une apparition nocturne au

a dit de rester en bas , mais nous pouvions nous parler.

temple Teleju, juste en face de chez nous. Nous nous

C’était la première fois que nous communiquions

sommes précipitées pour nous lever et elle était là,

avec elle, et je ne me souviens pas des termes de notre

dans son petit palanquin , sans pratiquement personne

conversation, mais notre népalais était assez bon à ce

autour. Ce fut une nuit très spéciale et mémorable pour

moment pour pouvoir avoir une conversation décente.

nous.

Au cours des mois suivants, jusqu’à notre départ du

Mon festival préféré était le bain de Seto

Népal, Maya et moi nous

nous assurions toujours

Macchendranath. J’aimais tout de Seto Macchendranath,

que nous avions une sorte de gâterie pour elle, des

son temple, sa petite taille, son visage attrayant et les

bonbons de la boutique d’à côté ou un ballon que nous

superpositions de vêtements colorés qui l’habillaient.

pouvions lancer du bas des escaliers. Nous n’avons pas

Une fois par an, Kumari était transportée à travers

été invitées à entrer à chaque fois, mais suffisamment

les rues jusqu’a son patio pour aller y regarder Seto

de fois pour s’en souvenir.

Macchendranath

se

faire

repeindre

et

rhabiller.

Comme Kumari était assise en dehors de son palanquin,

Apprendre à connaître la petite fille en rouge a rendu

nous avons réussi à faire notre chemin à travers la

notre séjour au Népal très étonnant et inoubliable.

foule jusqu’à nous trouver juste à côté d’elle. Ca a été

Nous avons finalement découvert son vrai nom une

les quelques meilleures heures de ma vie de huit ans.

vingtaine d’années plus tard, quand mes parents l’ont

J’aurais pu lui toucher l’épaule si je l’avais voulu, mais

retrouvée et sont devenus amis avec elle et sa famille.

bien sûr, je ne l’ai pas fait. Papa, suite à nos exigences,

Je ne l’ai pas revue depuis que je suis enfant, et même

était dans la position idéale pour photographier ce

si je sais beaucoup plus sur elle maintenant, je n’ai pas

moment pour nous.

le cœur de lui envoyer un email ou la demander en amie sur “facebook”, car je souhaite conserver toujours

Un jour, alors que nous attendions à ce que des touristes

la possibilé tout à fait unique de pouvoir dire que j’étais

arrivent afin d’avoir notre aperçu quotidien, Kumari

autrefois amie avec une déesse”

est venue à la fenêtre et nous a invitées à entrer par la porte latérale. J’ai presque paniqué. C’était la 16

17


MAYA * Tout ce qu’elle portait, c’était

“A vrai dire je ne me souviens pas vraiment de la

vraiment

première fois que je l’ai vue, mais je me souviens que

magnifique et elle, si belle.

mes parents nous avais emmenées la voir en nous disant “c’est une petite fille de votre âge et c’est une déesse vivante”. Et même si je ne peux pas me rappeler avec précision ce moment, je me souviens d’avoir été vraiment intriguée et totalement séduite à partir de là! C’était une fille de notre âge. Et c’était une déesse. C’était incroyablement mystérieux! Il y a un livre qui s’appelle Le Culte de Kumari écrit dans les années 40 ou 30 je crois. C’était à Noël. Le livre était épuisé depuis longtemps mais mes parents avaient réussi à mettre la main sur un exemplaire et l’avaient photocopié entièrement et l’avaient relié. Anna et moi l’avons dévoré. Et c’est comme ça que tout a commencé. Il y avait tellement de tradition autour d’elle, une incroyable atmosphère de mystère. Mais ce qui était le plus mystérieux pour nous c’était que nous ne pouvions pas entrer dans sa maison. Alors ça! Moi j’allais dormir et je rêvais qu’on nous autorisait à y entrer et je voyais comment c’était à l’intérieur... J’étais totalement obsédée par elle, j’en rêvais la nuit! Il y avait aussi ses vêtements aux moments des fêtes et tout ce qu’elle portait, c’était vraiment magnifique et elle, si belle. À l’époque, il n’y avait pas Disney et toutes ces princesses là, donc je suppose que c’était une sorte d’équivalent pour nous? Et beaucoup moins

18

19


* Ses pieds ne sont pas

commercial évidemment! Nous devions fabriquer nos

censés toucher le sol

propres vêtements Kumari, nous ne pouvions pas juste aller les acheter au magasin! A la maison, nous jouions à Kumari, l’une était elle pendant que l’autre jouait son gardien et vice-versa. Celui-là lui tenait la main en marchant. De temps en temps, nous essayions aussi de nous soulever l’une et l’autre - parce que ses pieds ne sont pas censés toucher le sol - mais c’était un peu difficile parce qu’Anna et moi faisions la même taille! Aussi nous essayions d’apparaitre réservées et dignes et de ne pas sourire, car là aussi, c’est comme ça qu’elle est censée être. Mais bien sûr, l’autre faisait des blagues pour pousser celle qui était Kumari à rigoler. Alors on devait essayer très fort de garder notre sérieux. Nous avions fabriqué la couronne et aussi le maquillage et je me rappelle que j’avais vraiment envie de peinture corporelle pour que nous puissions faire le troisième œil et que ça puisse partir, mais a Katmandou c’était impossible d’en trouver. Nous avons donc essayé de le faire avec de la vraie peinture, mais c’était une catastrophe parce qu’après, ça ne partait plus et le

avait la peau à vif en essayant de l’enlever. De retour a Hawaï, c’était vraiment difficile de raconter à nos amis notre voyage au Népal et Kumari. Ce n’était pas seulement qu’ils ne comprenaient rien a ce que nous pouvions ressentir par rapport à elle. Déjà ils ne savaient même pas où était le Népal. Et puis c’était deux mondes trop différents l’un de l’autre. Il faut savoir qu’Hawaï est monde très petit, c’est une petite île où les gens pensent qu’ils sont au paradis, du coup c’était bien au-delà de leur compréhension je crois. Mais bon, environ un an et demi après cela nous sommes revenus à Katmandou. Le jour où nous sommes vraiment devenues amies avec Kumari c’était le jour où Gautam et Mahendra,

khôl pour les yeux était de si mauvaise qualité qu’on

ses deux frères, nous ont dit que nous pouvions entrer

20

21


dans le temple. “Si vous promettez que vous n’allez pas

d’eux, car il sentait qu’il devait être à la hauteur!

essayer quoique se soit ou faire de bêtises vous pouvez

Anna et moi lui répétions “cette fois, les photos doivent

venir au bas de l’escalier .” Nous étions des petites filles

être meilleures que celles de la dernière fois!” Et il

obéissantes, alors évidemment nous avons dit “oui,

faut savoir que c’était des moments complètement

oui, oui”! Et donc nous avons été autorisé à entrer dans

chaotiques parce qu’il y avait des foules de gens lors

son temple et puis elle est descendue sur le palier de

de ces festivals. On peut y être écrasé. Aujourd’hui il

l’escalier et nous avons commencé à nous lancer des

y a des espaces réservés aux photographes mais à

choses les unes aux autres, un ballon, des bonbons et

l’époque il fallait aller y très tôt pour avoir une place

des animaux en peluche aussi je crois. Je ne pense pas

de choix (et sûre!)

que nous lui ayons jamais montré nos poupées Kumari par contre, nous étions un peu gênées. Peut-être parce que

C’est vraiment une partie importante de mon enfance.

ca montrait a quel point nous étions obsédées par elle!

Je me rappelle qu’a chaque fois que nous allions dans une boutique de souvenirs nous consultions tous les

Mon meilleur souvenir avec Kumari c’est le même que

guides pour voir s’il n’y avait pas dedans une photo

ma sœur: le festival de Seto Macchendranath. Dans

de Kumari que nous ne connaissions pas. On regardait

le livre je crois qu’il y a une photo où nous sommes

toutes les cartes postales et si on en trouvait une

juste à côté d’elle - ses deux frères nous avaient

vraiment ancienne et épuisée alors nous l’achetions

soutenu en disant “vous pouvez rester ici.” Nous nous

et elle allait dans notre collection de photos Kumari!

sommes senties tellement privilégiées ce jour-là et

On découpait aussi tous les articles sur elle. Quelle

c’était tellement extraordinaire. Aujourd’hui j’essaie

obsession, maintenant que j’y pense! Même aujourd’hui

de me rappeler si je pensais vraiment que c’était une

si je vois un guide sur le Népal je tourne rapidement

déesse ou si je pensais que c’était une petite fille. Mais

les pages pour voir a quoi ressemblent les dernières

j’avais dû opter pour la déesse, car je ne voulais pas

photos de Kumari - la Kumari de Kathmandu bien sûr,

la toucher: elle était trop sacrée. Je me souviens m’être

parce que c’est la Kumari royale, la plus mystérieuse,

sentie vraiment privilégiée de nous tenir là tout près

le fruit défendu… les autres Kumaris ce n’est pas la

d’elle; tout comme le jour où on nous a dit que nous

même chose.

pouvions entrer dans le temple. Je me sentais tellement privilégiée que je ne voulais que rien ne gâche cela.

Le départ du Nepal a été très dur pour moi, il m’a fallu

On adorait tellement les festivals. Aujourd’hui mon

des années pour m’en remettre. Du coup, je ne me

père m’a avoué qu’il était très stressé avant chacun

souviens pas très bien de la dernière fois où je l’ai vue.

22

23


* beaucoup de ce qui avait été écrit

Je pense que nous nous sommes dit au revoir, mais je n’en suis pas sûre. Tout ce que je me souviens, c’est d’être traumatisée, car j’adorais tellement vivre làbas. Des années plus tard, mes parents ont retrouvé sa trace. Et quand je suis retourné au Népal il y a 8 ans, ils m’ont emmenée la voir. Il y avait une fête dans la cour de Kumari Ghar et ils nous y ont invités. Cette fois encore je me suis sentie vraiment privilégiée, même si j’avais plus de 30 ans cette fois! Je me souviens d’être dans un état d’émerveillement complet, d’être de retour au Népal que j’adorais tellement. Quand j’ai découvert que mon père écrivait le livre de Rashmila je l’ai vraiment encouragé même si d’après ce que j’ai compris c’était vraiment Rashmila la force motrice derrière le livre. Et je n’avais pas réalisé à quel point nous l’avions marquée jusqu’à ce que j’ai lu le livre. Je n’en avais aucune idée. Jusque-là, je pensais que nous étions seules à ressentir cela Je ne savais pas qu’elle se souvenait autant de nous. C’est pourquoi quand j’ai lu le livre j’étais très émue. J’ai pleuré. Et je l’ai lu en quelques heures.”

à ce

sujet était faux, et certains

détails même carrément risibles.

UN MOT DE SCOTT à propos de la mousson 2001 et quand il a retrouvé Rashmila “Nous étions souvent invités chez Rashmila et sa famille, et nous apprécions la cuisine de sa mère. Rashmila nous semblait être une jeune femme normale et sûre d’elle. Peu à peu, ses sœurs et elle nous ont raconté comment elle était passée de la déesse vénérée qu’elle était à la mortelle équilibrée d’aujourd’hui. Nous avons aussi appris que Rashmila avait été très fâchée par le nombre d’erreurs des journalistes étrangers et népalais faites sur Kumari, des erreurs assez graves pour que certaines personnes en arrivent à considérer la tradition Kumari comme une forme de maltraitance des enfants. Pour cette raison, elle espérait pouvoir écrire sa propre histoire un jour. Bien qu’elle fussent très jeunes dans les années 80, nos filles avaient commencé à lire tout ce qui leur tombait

24

25


sous la main à propos de la tradition Kumari. Et même

Histoire adaptée du livre “From Goddess to Mortal, the True

à leur âge, elles pouvaient voir que beaucoup de ce qui

Life story of a former Royal Kumari” par Rashmila Shakya

avait été écrit à ce sujet était faux, et certains détails

racontée a Scott Berry

même carrément risibles. A l’époque, elles avaient insisté pour que j’écrire un livre sur ce thème. Je ne me sentais pas à la hauteur à l’époque, ne parlant pas Newari et n’étant pas sûr que ce fût une bonne idée d’aller fouiller dans les secrets de la société Newari. Lors d’une autre visite, pendant la mousson suivante, j’ai mentionné à la famille de Rashmila que j’avais aidé un voyageur japonais et ancien espion à écrire son autobiographie 12 . Et c’est ainsi que l’hiver suivant, nous avons convenu que j’aiderais Rasmila à raconter sa propre histoire en anglais. Nous avons commencé en 2003 et terminé le livre en 2005. Depuis lors, j’ai pu voir comment Rashmila a terminé sa licence - la première ancienne Kumari à l’avoir fait - comment elle a fait plusieurs stages, et finalement comment elle a décroché son poste d’ingénieur informatique. Cette jeune femme sûre d’elle qui se déplace dans Kathmandu sur son scooter, qui maîtrise bien l’anglais, a une licence en technologie en poche et est sur le point de terminer son master, a ouvert la voie pour les futures déesses vivantes qui, dans le passé, ont hélas, trop souvent vu leur vie se terminer avec leur divinité. Rashmila, elle, voit les choses différemment: “Je me sens chanceuse d’avoir eu deux vies”, dit-elle en regardant en arrière.” 26

NOTES 1

Offrandes, prières

Durbar Square est la place en face de l’ancien palais royal de Katmandou

2

3 Les Newaris sont les habitants traditionnels de la vallée de Katmandou. Ils ont leur propre culture et langue distincte 4 Le Temple Narayan est juste devant la maison du temple de Kumari 5 Ghadi Bhaitak est un ajout néo-classique à l’ancien palais Hanuman Dhoka à Katmandou juste en face Kumari Ghar 6 Le salwar khameez est le traditionnel deux pièces (tunique et pantalon large) porté par les femmes au Népal et en Inde 7 Maya et Anna Mei (le nom de cette dernière étant imprononçable pour la plupart de leurs amis népalais, elle avait été surnommée “Laxmi”) 8 Seto Macchendranath est une importante divinité de Katmandou à Jan Baha la partie la plus ancienne de la ville. Il est vénéré comme un avatar d’Avalokitaswara par les Buddists et comme avatar de Shiva par les hindous. 9 Le Temple Teleju est le plus haut bâtiment traditionnel à Katmandou. La déesse est un avatar de Durga et était la divinité patronne de la famille royale. Kumari est censée être son incarnation terrestre 10

Kumari Ghar est la maison et le temple de Kumari

11

Makhan Thol est une rue à Katmandou sur le côté opposé 27


du Hanuman Dhoka Palace à partir de Kumari Ghar. “Japanese Agent in Tibet” par Hisao Kimurapar Hisao Kimura raconté à Scott Berry, Londres, Sérinde Publications, 1990

12

GRATITUDE Nos plus sincères remerciements pour leur fantastique aide, soutient et conseils vont à: Anna Takagi-Berry Asad Chishti

Le Népal est un des rares endroits sur terre encore emprunt de mythes et de traditions inchangées depuis des siècles. Et ainsi, Kathmandu la mystérieuse enchante et ensorcèle le voyageur. La Fille en Rouge est l’histoire vraie de l’amitié inhabituelle entre 3 petites filles, Maya et sa soeur Anna, 2 étrangères venues vivre à Kathmandu dans les années 80 et Rashmila, une Déesse Vivante népalaise. Vingt ans plus tard, cette dernière et les deux soeurs nous racontent ce moment inoubliable de leur enfance. Au delà des différences culturelles, elles dessinèrent un hymne à la rencontre de l’autre et à la tolérance comme seuls les enfants savent nous l’enseigner. Nous avons découvert leur histoire à Kathmandu en tombant sur le livre de Rashmila et Scott Berry (écrivain et père de Maya et Anna). Nous les avons rencontré tous les 4, et grâce à l’accord de Rashmila et Scott, et des témoignages de Maya et Anna, présentons ici leur magnifique histoire.

Maya Berry Rashmila Sakya Renuka Gurung Sanus House Patan Scott Berry Ainsi bien sûr que les chaleureux habitants de Kathmandu et tout particulièrement le chauffeur de taxi qui nous ramena notre sac d’ordinateur oublié sur le siège arrière de son taxi. Namaste

©Kore Kamino 2013 28

www.korekamino.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.