Souviens-toi d'oublier
Récit fragmenté
Xavier S. // CrashTest
1. La jeunesse Je me souviens que, du temps où j’étais enfant, j’avais des illuminations de sentiments, des attendrissements mystiques, un amour maladif à m’enfermer en tête à tête avec mon passé. Je m’accordais à moi-même une importance exceptionnelle ; j’en arrivais à penser que j’étais plus qu’un autre ! Je me souviens que, tout enfant, je rêvais des confitures sèches dont il est tant question dans les Mille et une Nuits. Je me souviens du temps où j'apprenais l'alphabet sur ses genoux. J'ai quelquefois pleuré étant petit; on a rencontré, on rencontrera des larmes sur plus d'une page, mais je ne sais pourquoi je me souviens avec une particulière amertume du chagrin que j'eus ce jour-là. Oh ! alors je me levai tout droit, saisi d'admiration... car je me souviens à présent que j'étais assis, aux pieds de ma grand tante Berthe (déjà très vieille en ce temps-là), qui sommeillait à demi dans sa chaise, près d'une fenêtre par où filtrait la nuit grise ; j'étais assis sur une de ces hautes chaufferettes d'autrefois, à deux étages, si commodes pour les tout petits enfants qui veulent faire les câlins, la tête sur les genoux des grand mères ou des grand tantes. Je me souviens des chansons en dialecte valdôtains chantonnées par tante Pauline et les jargons bizarres entendus tout enfant traverser soudain la conversation des adultes comme des blocs obscurs… Je me souviens de la langue codée que Michaud et Laubry avaient inventée en onzième. Je me souviens que, tout enfant, j’aimais à vider mes poches dans celles du pauvre ; de quel sourire ils accueillaient mon passage et quel plaisir aussi j’avais à leur faire du bien. Je me souviens qu'un jour, vers mes sept ans, voisins et parents se mirent a me considérer avec curiosité. Enfant, je me souviens, mais Neptune ne peut oublier que le rusé Ulysse a ravi la vue au Cyclope Polyphème, son fils divin qu'enfanta Thoosa, fille de Phorcys. Cependant il renoncera à sa colère, ne pouvant lutter seul contre notre volonté. Rien n'est plus vrai, dit Charlotte, les gouttes de pluie se réunissent et forment des rivières. Je me souviens même que, dans mon enfance, j'ai souvent cherché à séparer une petite masse de vif-argent, mais les globules se rapprochaient toujours malgré moi.
Je me souviens fort bien que, dans mon berceau, dès l'âge de cinq ou six ans, je voyais en m'endormant une troupe de beaux enfants couronnés de fleurs, qui m'appelaient et me faisaient venir avec eux dans une grande coquille de nacre flottante sur les eaux, et qui m'emmenaient dans un jardin magnifique. Je me souviens d'avoir vu jouer, quand j'étais enfant, une féerie qui développait les aventures de la jeune princesse du pays des Sonnettes, persécutée par de mauvais Enchanteurs. "Me suis-je donc mépris ? Dans mon cœur qui ruisselle Dieu n’avait-il pas mis la sublime étincelle ? Oh ! si, je me souviens. En mes désirs sans frein, Enfant, j’ai vu de près les colosses d’airain ; Je cherchais dans la forme ardemment fécondée Le moule harmonieux de toute large idée ; J’allais aux géants grecs demander tour à tour Quelle grâce polie ou quel rude contour Fait vivre pour les yeux la synthèse éternelle. Je me souviens qu'un jour, étant enfant , j'allai voir le bourdon de Notre-Dame Je me souviens de ma jeunesse passée dans une petite ville. Le théâtre jouait trois fois par semaine, et j'en avais la passion. Je ne dînais pas pour être le premier à la porte, avant l'ouverture des bureaux. Je me souviens des fêtes de l'Épiphanie. J'étais joyeux d'avoir de nouveaux jouets que je croyais apportés par la Befana, cette sorte de fée laide et vieille comme Morgane, mais douce aux enfants et de cœur tendre. Je me souviens que, tout petit, on me menait jouer quelquefois dans un grand parc abandonné Je me souviens des leçons de mon oncle. Je ne dois permettre aucune liberté à aucun homme qu’en présence de mon oncle Pissembock. Je me souviens d’un jour, Davidée, quand tu avais quatre ans... Oh ! la gentille que tu faisais, avec tes cheveux bouclés, et tes bras que tu tendais si câlinement ! C'était un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Je me souviens, qu'à l'âge de neuf ans, il composa un conte de fées, qui faisait les délices et l'étonnement de tous ses camarades. Je me souviens qu'un vaurien de lycéen, en vacances, lui dit à cette occasion en le regardant fixement : —Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans doute postiche ?
Nous avons joué ensemble, autrefois ; je me souviens qu'il était très-méchant. J’ai la mémoire des couleurs… Ce soir une fleur en maraude Autour de moi soupire et rôde Et je me souviens d’autrefois Quand mon adolescence Pleine d’effervescence S’en allait par les bois. Je me souviens, à vingt ans, je n’étais guère solide, j'avais des vertiges, des idées baroques. Je me souviens encore qu'entouré de centaines de camarades, j'étais dans une effroyable solitude, et que j'en vins à aimer cette solitude. J’ai une remarquable mémoire des yeux et je me souviens de cette époque, de notre maison et d’un tas d’événements.
2. La maisonnée La première chose dont je me souviens : j'étais sous quelque chose. Ce quelque chose était une table, je voyais un pied de la table, je voyais les jambes des gens, et aussi un bout de la nappe qui pendait. Je me souviens de dégringolades, sur l'escalier de la cour. Je me souviens de ma chambre d’enfant. La mousseline des rideaux sur la vitre était griffonnée de passementeries blanches, je m’efforçais d’y retrouver l’alphabet et quand je tenais les lettres, je les transformais en dessins que j’imaginais. Enfin, je me souviens qu’en rentrant dans ma petite chambre, je me trouvai très misérable, et que j’avais la conviction profonde que je ne prendrais jamais goût au métier de Joe. L'obscurité s'était accrue de telle sorte que je ne distinguai pas un détail de cette façade, sauf le perron de grès dont je gravis les marches,--huit marches, je me souviens d'avoir compté,--et sauf, à l'angle gauche du toit, une chose confuse, très haute, que je supposai être une tourelle ou un clocheton... Oui: pour ne citer qu'un fait, je me souviens d'un pauvre diable de Napolitain qui, fort mal à propos, mourut en notre maison, voilà quelque quatre-vingts ans. Je me souviens de notre satisfaction, de notre enthousiasme, le jour où fut essayé le grand décor circulaire sans portants qui représentait le « vide ».
Je me souviens aussi du vieux Clovis qui, sa besogne faite, s’essuyait les mains à son tablier bleu. On entendait, de l’autre côté du vestibule, un bruit de verres choqués, de vaisselle remuée. Je me souviens surtout de l’antichambre parce que je m’y tenais le plus souvent, lorsque je n’étais pas à l’école ou dans ma chambre, et que maman, lasse de me voir tourner auprès d’elle, me conseillait d’aller jouer « avec mon ami Pierre », c’est-à-dire tout seul. Je me souviens seulement que mes yeux me cuisaient beaucoup, et qu'avant de sortir de ma chambre, je baignai mon visage longuement. Je me souviens murmure-t-elle Du jour où j'ai franchi ton seuil. Je me souviens avec quelle expression de crainte sur le visage elle était entrée dans ma chambre, comment elle s'était assise, avec une sorte de découragement total, devant moi, et comment elle m'avait regardé avec inquiétude et une muette supplication. Je me souviens maintenant qu’elle m’a dit que les deux chambres, placées à des étages différents, se trouvaient, l’une au rez-de-chaussée, l’autre au premier. Oh ! Je me souviens très bien ! Je courais comme un fou dans ma chambre et je vous criais : « Je roulerai le grand Fred ! je le roulerai d’une façon retentissante ! » Je me souviens de toutes les mains qui ont touché mes mains. Et je revois ce qu’il y avait à l’abri de ces mains, Et je vois aujourd’hui ce que j’étais à l’abri de ces mains tièdes.
3. Les Arts C'était il y a si longtemps à peine si je me souviens il a fallu qu'on me raconte et que je retrouve des traces dans les peintures et chansons Je me souviens comment il apporta le violon, comment il ouvrit la boîte, enleva la serge brodée par une main de dame et commença d’accorder l’instrument. Je me souviens que, dès les premières mesures, je subis une de ces impressions heureuses que presque tous les hommes imaginatifs ont connues, par le rêve, dans le
sommeil. Je me sentis délivré des liens de la pesanteur, et je retrouvai par le souvenir l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts. Je me souviens qu’un soir Lioubotchka répétait pour la centième fois, sur le piano, un passage insupportable. Je me souviens encor des nocturnes sans nombre Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant, À ces soirs d’autrefois – passés dans la pénombre, Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant. Ainsi, je me souviens d'avoir souvent étudié, aux concerts populaires de M. Pasdeloup, des tailleurs ou des cordonniers alsaciens, des ouvriers buvant béatement du Beethoven, tandis que des messieurs avaient une admiration de commande parfaitement visible. Dansons la gigue ! Je me souviens, je me souviens Des heures et des entretiens, Et c'est le meilleur de mes biens. Dansons la gigue ! Une aquarelle, si je me souviens bien, représentait une tête de mort naviguant dans une coquille rose, sur un océan sans limites, sous une lune à figure humaine. C'était vraiment un chef-d'oeuvre ! Je me souviens que je voulais l'acheter. Je voudrais l'avoir acheté maintenant. Je me souviens d'un autre portrait de ce maréchal, peint par Aved, ne vous le rappelez-vous pas ? Il était placé au-dessus de l'escalier. Je me souviens surtout de certain tableau qu'il nous fit de ce qu'il appelait un « bon ménage, » qui me donna des nausées. Et je me souviens encore d'autres artistes que j'ai vus travailler jadis dans ce vallon d'Étretat. Il est singulier de combien de choses je me souviens depuis que j'écris ces Confessions. Elles m'arrivent tout-à-coup, et il me semble que je les juge avec impartialité. A chaque instant je vois le mieux que je n'ai pas fait. Mais qui diable aura la patience de les lire, ces choses? Dans mon enfance, je me souviens d'avoir lu l'histoire d'un fantôme qui venait timidement le soir, appeler de la main les vivants. Il revint ainsi pendant des années, jusqu'au moment où, quelqu'un ayant osé le suivre, on comprit ce qu'il demandait et on lui donna satisfaction.
Je me souviens qu'un jour j'essayai une épreuve plus convaincante encore que toutes les autres. Je pris dans ma bibliothèque un certain nombre de livres tous contemporains, et, procédant à peu près comme la postérité procédera certainement avant la fin du siècle, je demandai compte à chacun de ses titres à la durée, et surtout du droit qu'il avait de se dire utile. Je ne m'appartiens plus ... déjà au collège, tu me jugeais «livresque», je me souviens. Je me souviens que le livre que je tenais était l'Amelia de Fielding. Je me souviens d'avoir lu dans un livre de philosophie que mentir c'est cacher une vérité que l'on doit manifester. Il suit bien de cette définition que taire une vérité qu'on n'est pas obligé de dire n'est pas mentir ; mais celui qui non content en pareil cas de ne pas dire la vérité dit le contraire, ment-il alors, ou ne ment-il pas ? Ah ! oui, je me souviens que vous m’avez dit, il y a des années, l’avoir envoyé à Selby et qu’il fut égaré ou volé en route. Vous ne l’avez jamais retrouvé ?… Quel malheur ! C’était vraiment un chef-d’œuvre ! Je me souviens qu'il tenait sous le bras ce livre, que nous avions en grande estime, et dont il était souvent tourmenté. Je me souviens qu’un jour il me trouva lisant une brochure intitulée Le je ne sais quoi. Tenez, ceci, un chapitre dont je me souviens. Oui, oui ! je me souviens, je dois garder les dossiers et vous donner les autres manuscrits... N'ayez pas peur, j'ai toute ma tête, je serai très raisonnable. Je me souviens qu'il pouvait réciter par coeur douze pages du De Viris Illustribus Urbis Romae. Il est coiffeur à présent. Je me souviens que quelqu’un disait qu’il n’y avait point d’épices dans les vers pour donner à la pensée du montant, ni dans les phrases une pensée qui pût convaincre l’auteur d’affectation ; il disait que c’était une œuvre d’un goût estimable, aussi saine que douce, et bien plutôt belle que parée Je me souviens, qu’étant à Montigny à l’âge de quatorze ou quinze ans, la veille de notre départ, je trouvai sous ma main les Lettres persanes. Je me mets à lire. À la fin de la première lettre, arrivant à cette phrase : sois sûr qu’en quelque lieu du monde où je sois, tu as un ami fidèle, j’en fus ému et frappé fortement. Je me souviens de sa chambre de pourpre, à vitres de papier jaune: et ses livres, cachés, qui avaient trempé dans l'océan!
Je voudrais prier, mais mes dents s’entrechoquent, et je ne me souviens même plus des paroles. Je me souviens seulement de l’histoire du déluge, que Mam nous lisait dans le grand livre rouge, lorsque l’eau s’est abattue sur la terre et a recouvert jusqu’aux montagnes, et le grand bateau qu’avait construit Noé pour s’échapper, dans lequel il avait enfermé un couple de chaque espèce animale. Je me souviens que nous passâmes une après-midi à rechercher la maison où JoséMaria de Hérédia mit la dernière main aux Trophées. Nous grimpâmes un jour jusqu'à ce livre noir; Je ne sais pas comment nous fîmes pour l'avoir, Mais je me souviens bien que c'était une Bible. Je me souviens moi-même qu'étant enfant, les fables de La Fontaine m'amusaient beaucoup, parce que .'leurs images naïves vont au cœur, comme celles de la nature, et que je connaissais les mœurs de quelques animaux Je me souviens encore de la première fois que les ouvrages de Richardson tombèrent entre mes mains j'étois à la campagne. Combien cette lecture m'affecta délicieusement! A chaque instant je voyois mon bonheur s'abréger d'une page.
4. Les choses Quand je me souviens de ces récits, je m'aperçois que j'y apporte, quoi que je fasse, une méthode, une suite, une ordonnance. Je me souviens que j’insistai d’abord sur les qualités des objets plutôt que sur la variété de ceux-ci : le chaud, le froid, le tiède, le doux, l’amer, le rude, le souple, le léger… puis les mouvements : écarter, rapprocher, lever, croiser, coucher, nouer, disperser, rassembler, etc. Je me souviens des plus insignifiants détails de mon existence.... Tenez, je me souviens d'un costume de velours bleu, se laçant par devant, que je portais, le dimanche, étant tout petit; je pourrais, oui, je pourrais, je vous le jure, compter, sur la soutane du curé Blanchetière, les taches de graisse, ou bien les grains de tabac qu'il laissait tomber, en humant sa prise. je me souviens d’une horloge coupant des têtes pour indiquer les heures celles qui attendent aux carrefours les solitaires Je regardais cette écharpe — et voilà que je me souviens d'une pensée autoritaire et sotte qui me vint alors, dont j'aurais pu me libérer (mais je n'osai) en lui donnant forme à haute voix : « Telle qu'un reste de nuit attardé sur les présents de l'automne, des Romains n'en eussent pas toléré le mauvais augure ».
Je me souviens que je l'accompagnai dans les coulisses pendant un entracte. Il fit à Gabrielle un compliment fort court sur la grâce qu'elle avait à porter son costume, lui offrit le bouquet et lui demanda la permission d'aller la voir chez elle. Tout cela fut dit en trois mots. Ces vignettes étaient, si je me souviens bien, de minuscules gerbes de blé jaune entremêlées à des faucilles violacées. Au travers du tissu, se discernaient le bord brodé de la chemise et la peau nue formant vallée au milieu. C'était un jour, sous le grand poirier. Je me souviens que ce jour-là elle avait un caraco couleur chocolat et une cornette à longues barbes. Je me souviens d’un vase où la myrrhe grésille Et d’un minaret bleu. Je me souviens d’un soir aux Eaux-Douces d’Asie : Soir si traînant, si mou, Que déjà, comme un chaud serpent, la Poésie S’enroulait à mon cou. Je me souviens, entre autres, d'une énorme pelote, d'un boisseau de pommes, d'une paire de boucles d'oreilles en jais, d'une provision d'oignons d'Espagne, d'une boîte de dominos, enfin d'un serin avec sa cage, et d'un jambon mariné. Je me souviens de l'oeil de Loupaing, du catalpa, de la petite fontaine, et de ce pauvre balai pris dans la glace! Et, en face de mon forgeron, il me semble, je ne sais pourquoi, que ces choses d'autrefois étaient un spectacle très agréable... je me souviens, entre autres choses, que j’avais deux douzaines et demie de souliers de satin blanc venant de Paris, et une seule paire de souliers pour marcher dans la rue. Je me souviens de cette impatience que j'éprouvais de me lancer dans la carrière avec ma chaussure imperméable. Je me souviens de tel acte de mon esprit par lequel j’ai perçu cet objet, par lequel j’ai déduit cet axiome, par lequel j’ai admis cette vérité. Je me souviens de tel objet, de tel axiome, de telle vérité illusion ! ce sont les idées, et pas du tout les choses, qui restent dans le moi, et la rigueur du langage exige Je me souviens, mon illustre ami, que le jour où je renonçai aux petites vanités du monde et en même temps à ses avantages je me dis entr’autres, en me défaisant de ma montre : grâce au ciel je n’aurai plus besoin de savoir l’heure qu’il est.
5. La nature Je me souviens que la première fois que je devins capable d'observer avec une sorte de plaisir les objets extérieurs, je vis que les feuilles tombées avaient disparu, et que de jeunes bourgeons poussaient aux arbres qui ombrageaient ma fenêtre. Il n'y avait personne dans le jardin. Je me souviens qu'on entendait le bruit lointain d'un marteau sur la forge et la chanson plus rapprochée d'une couturière qui cousait. Voyons ! se disait-il d’un ton moitié enjoué, moitié sérieux : voyons si je me trompe ! si je me souviens ou si je divague ! ma mémoire ou mon imagination me dit qu’au bout de cette allée, à droite, il y a un berceau, et dans un berceau une statue de nymphe antique. Voyons ? C'est au mois de Marie que je me souviens d'avoir commencé à aimer les aubépines. Je me souviens que, la veille, je me suis promené dans la forêt... et que j’ai aperçu dans une allée une bande de cerfs et de biches qui broutaient l’herbe tranquillement... sans se douter de ce qui les menaçait... J’étais seul et, je me souviens, C’était la saison où le vent de nos pays Souffle une odeur de loup, d’herbe de marécage et de lin pourrissant Et chante de vieux airs de voleuse d’enfants dans les ruines de la nuit. Je me souviens des bois et des jardins, Des arbres et des fontaines, Des champs, des prés et aussi des chemins Aux figures incertaines. Je me souviens d'un jour, entre autres. J'allais, le long de l'Océan breton, vers la pointe du Finistère. J'allais, sans penser à rien, d'un pas rapide, le long des flots. Je me souviens d’un buisson de plantes garnies d’épines coupant comme des canifs. J’en sortis sanglant et les vêtements en lambeaux, pour déboucher au nord d’une longue crique qui s’ouvrait au nord. Je me souviens nettement du jour où, pour la première fois, je vis un chêne. Si je me souviens bien, L’air poussa un soupir Comme un coup d’éventail. À l'arbre qui vieillit aussi dans le jardin
j'ai dit cent fois j'ai dit mille fois : je connais j'ai dit : je sais je me souviens c'était hier tout l'espace ! Ma vie est là dans vos ramures Je me souviens d’avoir bu l’odeur de la brume Et d’avoir contemplé le sillage qui fuit En laissant sur les flots une neige d’écume. Je me souviens d’avoir vu, sur l’azur changeant Des vagues, refleurir les astres du phosphore. La forêt se souviendra de l’eau et de l’aubier comme moi je me souviens du museau attendri des grands fleuves qui titubent comme des aveugles la forêt se souvient que le dernier mot ne peut être que le cri flambant de l’oiseau des ruines dans le bol de l’orage. Je me souviens d'un pont de bois sur une rivière toute noire, puis d'un grand quai désert et d'un immense jardin au long de ce quai. Nous nous arrêtâmes un moment devant ce jardin. A travers les grilles qui le bordaient, on voyait confusément des huttes, des pelouses, des flaques d'eau, des arbres luisants de givre. Je me souviens aussi que tout à côté de Barbicaglia, et séparé seulement par un petit mur bas, iI y avait un jardinet assez bizarre que je dominais de Ia hauteur où je me trouvais. C'était un petit coin de terre bourgeoisement dessiné. Ses allées blondes de sable, bordées de buis très verts, les deux cyprès de sa porte d'entrée, lui donnaient l'aspect d'une bastide marseillaise. Je me souviens d'un automne qui fut tout consacré à l'étude des champignons, et d'un autre automne qui ne suffit pas à l'étude des mousses et des lichens. Je me souviens que durant les grandes pluies d’automne j’étais obligé, le soir, crainte d’accident, d’ajuster un parapluie sur lé ciel de mon lit. Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l'arbre Et du double fétiche de la fécondité Je me souviens que Marthe les appuyait contre mon oreille et me disait: «Entends le bruit de la mer...» Je me souviens du balancement infernal des flots, qui me donnait le vertige, et de la danse continuelle de la voile à l’horizon ; j’avais aussi la conviction absolue d’être déjà mort, et je pensais, avec une amère ironie, à l’inutilité de ce secours qui arrivait trop tard — et de si peu — pour me trouver encore vivant. Je me souviens!… J'ai vu tout, fleur, source, sillon, Se pâmer sous son œil comme un cœur qui palpite… —Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon! Je me souviens fort bien de cette longue descente circulaire autour de ce diable de lac glacé. Et là je me souviens du soleil de septembre Qui donnait à la grappe un jaune reflet d’ambre, Des pommiers du chemin pliant sous leur fardeau, Et du trèfle fleuri, pittoresque rideau S’étendant à longs plis sur la plaine rayée, Et de la route étroite en son milieu frayée, Et surtout des bleuets et des coquelicots, Point de pourpre et d’azur dans l’or des blés égaux. Je me souviens qu'à une époque plus reculée j'avais coutume d'aller le dimanche soir m'asseoir dans le cimetière quand la nuit était close. Là, je comparais ma propre perspective à celle des marais que j'avais sous les yeux et je trouvais de l'analogie entre elles en pensant combien elles étaient plates et basses toutes les deux et combien était sombre le brouillard qui s'étendait sur le chemin qui menait à la mer. Je me souviens seulement qu'il y avait des endroits qui sentaient la violette; je me souviens aussi que par instants j'avais peur; je croyais apercevoir au clair de la lune des fantômes blancs qui me regardaient. Je me souviens aussi que tous les ans, aux vacances, je construisais une petite galiote en carton, je la bourrais de friandises et de fleurs et je la livrais tout joyeux et tout haletant aux caprices de l'eau de la Bièvre. Je me souviens d'un lac affreux Et de couples enchaînés par un atroce amour Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Comme cette nuit-ci Où tant d'affreux regards Éclatent dans le ciel splendide Je me souviens d’un arbuste, dont l’écorce, de loin, me parut de consistance si bizarre que je dus me lever pour aller la palper. Je la touchai comme on caresse ; j’y trouvais un ravissement. Je me souviens… Était-ce enfin ce matin-là que j’allais naître ? Je me souviens d’une pluie d’été Je me souviens de ces myrtilles des montagnes que je cueillis un jour de grand froid dans la neige. La mer fumait, des brumes noyaient Santa Cruz, bouillaient les horizons. Je me souviens que tout l'univers paraissait stagner dans ces vapeurs et que, cependant, à
travers la lumière, un élan était sensible en lui, une force de mouvement, de transformation, de création perpétuels. Je me souviens d'un jour où je pleurais sincèrement, amèrement, comme un enfant que les larmes ne font point rougir, au bord d'une mer qui a vu des miracles, non pas divins, mais humains. J'étais seul, les pieds dans le sable, assis sur des roches vives où l'on voyait des boucles d'airain qui jadis avaient attaché des navires. Il n'y avait personne, ni sur cette plage abandonnée par l'histoire, ni en mer, où pas une voile ne passait. Je me souviens de ses larmes. Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles -, la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent… J'étudiai la patience. Je me souviens d'avoir fait ici une théorie, presque une méthode de cette vertu négative, avec un classement de phases à suivre en même temps que j'étudiais le classement botanique d'après Grenier et Godron. Comme elles brillaient vivement, Les étoites.au firmament, Dans cet azur de nuit pâte comme un visage Je me souviens, souvenez-vous, Que le vent du soir était doux, Comme un aveu d'amour qu'on devine au passage. C’était au début d’adorables années La terre nous aimait un peu je me souviens Je me souviens du maître d'école qui disait : « L'homme est maître de la nature... » Si je me souviens La balade était bien Si je me souviens C'était au mois de juin Au mois de juin Beau mois de juin Je me souviens de vous Tout au fond d'un jardin secret Dans le soleil léger de mai J'étais à vos genoux
Je me souviens de ce jour passé en Bretagne. Nous trois, courant sous le ciel gris, dans ces bois de Toulven, Marie, Anne et moi. Je me souviens de la couleur de l'herbe : elle était presque bleue, avec des moires vertes. Quand nous arrivâmes au bout de la haie, nous revînmes sur nos pas, tant le soleil avait là une odeur douce. Je me souviens de la sensation délicieuse, un matin, partant avant jour avec Barbier et trouvant une belle lune et un vent chaud. C'était le temps des vendanges, je ne l'ai jamais oublié. Nous descendîmes dans la barque. Je me souviens que les rames ne faisaient aucun bruit en touchant l'eau ; je me penchai pour les regarder : elles étaient enveloppées avec les ceintures de nos Palicares. Mais moi je me souviens (et n’en soyez pas surprise), Je me souviens pour vous de ce que vous disiez. Vous disiez (à quoi bon rougir ?)…donc vous disiez… Que vous aimiez fort la cerise, La cerise et les cerisiers. Je me souviens d'un orage terrible qui nous surprit ainsi à travers bois en descendant du Ballon d'Alsace. Quand nous quittâmes l'auberge d'en haut, les nuages étaient audessous de nous. Je me souviens qu’un jour, après avoir en vain interrogé l’horizon, elle revint à moi, et me caressant tristement elle me dit : « Je ne vois plus rien, Charlot, je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où nous sommes. Je me souviens de nos tours de jardin et de nos conversations à ses heures de liberté, conversations où elle m’apparaissait si intelligente et si agréable !
6. Le monde animal Je me souviens que, lorsque j'étais enfant, les chasseurs apportaient à la maison, vers l'automne, de belles et douces palombes ensanglantées. On me donnait celles qui étaient encore vivantes, et j'en prenais soin. Et, ce matin-là, l'un d'eux avait apporté dans un panier un écureuil gelé qu'il avait découvert en route. Il essayait, je me souviens, d'accrocher par ses griffes, au poteau du préau, la longue bête raidie...
Je me souviens que j’ai marché dans un chemin où un ruisseau coulait sur les cailloux, des lézards verts et des insectes aux ailes d’or montaient lentement le long des rebords de la route, qui était enfoncée et toute couverte par le feuillage. Du temps que nous étions entre fourmis, antennes tendues, vibrantes, je me souviens, c'était avant la famille des hommes, entre des brins d'herbe, parmi des graines tombées. Il n'y avait pas à réfléchir. La terre mouillée sentait fortement. Indistinct, inconcevable était l'avenir. Eh, oui, je me souviens... Nous avions les plus beaux chevaux de la région, et ils s’en allaient en cavalcade. Je me souviens d’un grand écrivain, qui vécut jadis au XIXe siècle, et qui l’a proclamé : le chat est un solitaire. Je me souviens qu'étant enfant, j'aimais déjà les chats avec de brusques désirs de les étrangler dans mes petites mains ; et qu'un jour, au bout du jardin, à l'entrée du bois, j'aperçus tout à coup quelque chose de gris qui se roulait dans les hautes herbes. J'allai voir ; c'était un chat pris au collet, étranglé, râlant, mourant. Il se tordait, arrachait la terre avec ses griffes, bondissait, retombait inerte, puis recommençait, et son souffle rauque, rapide, faisait un bruit de pompe, un bruit affreux que j'entends encore. Je me souviens de tout: du pain qui manquait, du poisson qui nageait, du veau qui tétait… La tourterelle et l'hippocampe ont d'autres lendemains ; je me souviens : jadis ils furent mes plus chers compagnons, avec l'iris; quelle aventure pour ce pauvre trognon, ce corps qui n'est plus corps, cette âme dont s'échappe l'esprit ! Je me souviens qu'enfant je passais des heures entières, assis les jambes pendantes, sur la berge, à écouter le fracas des marteaux et des fouloirs et à regarder les rats nombreux sortir de leurs trous, traverser l'eau et se livrer, sur l'un et l'autre bord, des combats très-intéressants. Imagine-toi, je voyais des rats, je courais à quatre pattes pour leur mettre un grain de sel sous la queue. Et toi, tu m'appelais, des hommes voulaient t'y faire passer. Enfin, toutes sortes de bêtises, des revenants en plein jour... Oh ! je me souviens très bien, la caboche est encore solide... A présent, c'est fini, je rêvasse en m'endormant, j'ai des cauchemars, mais tout le monde a des cauchemars. Je me souviens encore d'un grand chien rouge qui m'aimait beaucoup, qui posait ses pattes sur mes épaules pour lécher mon visage. Je me souviens que, par des jours de pluie, tu n’avais presque pas de boue sur tes souliers. Et je vois encore ce pied léger faire un détour, pour épargner une petite couleuvre, déroulée d’aise sur un sentier chaud.
Je me souviens de cette nuit où le bay-kouch (le hibou), suivit notre caïque sur la Corne d'or. Je me souviens d'avoir couvé, presque sur mon chevet, certains paniers de biscottes bien nécessaires au déjeuner du lendemain, et d'avoir plané comme un vautour sur certains plats de poisson, pour écarter de nos fourneaux en plein vol ces petits oiseaux de rapine qui ne nous eussent laissé que les arêtes. Je me souviens maintenant d'avoir entendu dire à Albert qu'il ne fallait, pour apprivoiser les animaux les plus craintifs, pour peu qu'ils eussent une étincelle d'intelligence, que quelques heures d'une patience à toute épreuve. Je me souviens aussi du supplice des cafards, qui revenait chaque mois. Ma mère les réunissait, je ne sais comment, dans un vieux tonneau, et j'étais alors admis à assister à leur trépas. Elle versait de l'eau bouillante sur les malheureuses bêtes. dont les agitations, les courses, les bonds désordonnés avant la mort m'enchantaient. La nuit descend et froisse la couverture. Pour dissiper cette chute, je me souviens d'un aigle qui me porta sur les cimes. Je m'étendais sur les nuées. Je me souviens évidemment de l'avoir vue, ma petite Ondine. Je me rappelle sa voix, son rire ; je la vois encore jeter votre truite, une truite d'une demi-livre, mais elle ne reparaîtrait plus, elle ne nous ferait plus ses signes que par des petits éclairs, des petites tempêtes, elle ne nous dirait plus qu'elle nous aime que par des vagues sur nos pieds, de la pluie sur nos joues, ou un poisson de mer dans ma nasse à brochets, que ça ne m'étonnerait pas… Est-ce une vie antérieure Qui me poursuit de ses parfums ? Ces gens vont grouiller tout à l’heure, Dispersant mes rêves défunts. Je me souviens ! c’étaient des frères Que, chef bien-aimé, je menais À travers les vastes bruyères, Les aubépines, les genêts.
7. Les parents Je me souviens de ce cheval, et je me rappelle que mon père me prenait dans ses mains et m'asseyait dessus quand il était amarré à l'écurie. C'est la première fois que je me souviens de mon père, et que je revois un peu sa figure. Il devait être noir, ce cheval, et il avait les pieds blancs.
Je me souviens encore que mon père me prenait sur ses genoux et m'amusait en mettant dans sa bouche le bout allumé de sa cigarette. Je me souviens que m'étant égaré par accident dans une partie de chasse, je trouvai à mon retour le bon duc qui vous grondait de m'avoir laissé derrière vous dans la forêt, comme si vous n'eussiez pas pris assez de soin pour la sûreté d'un frère aîné. Je me souviens d'une soirée funèbre et douce ; le père très grave, la mère atterrée... on causait bas autour de la table. Moi, je baissais les yeux ; mais mon escapade s'était si bien perdue dans la désolation générale que personne n'y pensait plus. Je me souviens très bien que mon père avait toujours eu une prédilection pour les gens les plus effacés, pour les gens qui n’avaient jamais éprouvé ni de grandes joies ni de grandes douleurs. Écoute… je me souviens que, dans le temps mon père nous disait qu’il avait empêché un de ses amis d’aller en prison en déposant une caution pour lui. Et ensuite je l'aurais de nouveau revu une heure ou deux plus tard ? Pourquoi pas ? Il y a des choses encore plus curieuses dans la vie. Ainsi, je me souviens que mon père me racontait souvent que… Je me souviens qu'un matin d'avril ou de mai mon père me fit monter avec lui dans sa voiture pour aller à la campagne chez ma tante Planté. Et je me souviens que c’est au chevet de cette pauvre vieille que j’eus peur, soudain, pour Zinaïda et voulus prier pour elle, pour mon père — et pour moi. Mon père ! Inconnu bien-aimé. Je me souviens, j’avais dix ou douze ans, un soir, au retour du collège, l’idée me vint, me posséda que tu n’étais pas mort. Je ne sais plus quelle histoire j’inventai, que tu étais revenu d’un long voyage, que j’allais te retrouver à la maison. Mais quand je me souviens de mon enfance, j'ai les larmes aux yeux. Il a été bon, il a été tendre, et tes baisers, ma mère, n'auraient pas pu être plus doux que ses caresses. Je me souviens fort bien qu’alors ma mère comparait l’enfant que j’étais au peuple hébreu et protestait qu’avant de vivre dans la grâce il était bon d’avoir vécu sous la loi. Je me souviens du temps où elle me portait dans ses bras et s'occupait de moi comme vous vous occupez de ce bel enfant-là. Mais depuis son malheur elle ne me connaît plus et ne se souvient pas seulement que j'existe. Je me souviens que tu me disais avant ton départ : J’en prendrai soin de ta mère, moi... j’en prendrai soin...
C'est à genoux qu'il me faut vous contempler, ma mère. Je me souviens. Chose inouïe ! tout à l'heure je pensais n'avoir jamais quitté votre sein. Je me souviens aussi du visage blême de ma mère et de ses yeux immenses. Je me souviens, – et ceci doit finir cette longue histoire, – qu’après mon retour, durant quelques mois et même des années, une grande tristesse régnait dans les familles, et qu’on n’osait plus se parler franchement, ni faire des vœux pour la gloire du pays.
8. Les lieux et réjouissances Je me souviens je me rappelle C’est en ces lieux chers à mon cœur Je me souviens très bien d’avoir remarqué ce petit estaminet tranquille, avec son arrière-salle déserte, si commode, et les grosses tables de bois mal équarries. Je me souviens des pas sur le trottoir, En automne, le soir, Quand les volets fermés, on écoutait la rue Mourir : La lampe à flamme crue Brillait et l’on disait le chapelet Et des prières à n’en plus finir ! Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l'air pendant ces nuits où rien ne dort Je me souviens que, ce soir-là, je n’avais pas vu mon village depuis longtemps ; je me promenais dans ses rues courtes qui me paraissaient autrefois embrouillées, et je trouvais ses maisons si basses qu’elles me faisaient de la peine. Je me souviens de cette ville Dont les paupières étaient bleues Où jamais les automobiles Ne s'arrêtent que quand il pleut Je me souviens de mon premier séjour à Paris
Je me souviens du quai désert et des grands arbres blancs, de l’autre côté de l’eau... La rue des Saints-Pères, l’amical autobus, illuminé comme un manège de chevaux de bois, et qui grince et fume dans une espèce de poussière glacée... Je me souviens qu'à l'angle de la rue Revel et de la place de la Liberté, nous faillîmes écraser un enfant qui jouait, assis sur le bord du trottoir. Moi, je me souviens de vous, de notre vie de Londres, de toutes nos sottises,-et je vous écris en vous priant de vouloir bien me répondre. Je me souviens, ma chère, que dans une de vos lettres, vous m’avez vanté Londres comme la plus sûre de toutes les retraites. Il y a bien des exemples de cette propagation de sons non perceptibles aux espaces intermédiaires. Je me souviens qu’en maint endroit ce phénomène fut observé, entre autres, dans la galerie intérieure du dôme de Saint-Paul à Londres, et surtout au milieu de curieuses cavernes de Sicile, ces latomies situées près de Syracuse, dont la plus merveilleuse en ce genre est connue sous le nom d’Oreille de Denys. D’ailleurs, même à Anvers, la pluie n’est qu’un accident, quoique fréquent, et je me souviens aussi de ces avenues ensoleillées, des magnifiques promenades qui conduisent à son musée, à ses Quentin Metzis. Quelle douceur mettent ces chefsd’œuvre dans le souvenir et comme en un tel moment elle se fait plus pénétrante. Je me souviens que, dans la rue, au lieu d’aller vite rejoindre Mikhaïl, qui m’attendait à l’hôtel, j’ai tourné le dos à l’éblouissante place Mohammed-Ali et me suis dirigé droit vers la mer. Je me souviens. C'étaient des jours de joie pour nous collégiens, qui ne demandions pas mieux que de courir les rues. S'il faut tout dire, dans ces villes amoureuses, les processions font les affaires des amants. Je remonte plus haut : je me souviens que j’avais pris le chemin de fer avec un de mes amis pour nous rendre ensemble à un bal champêtre. Je me souviens de cette fête, et j’admire que vous ayez réussi à y faire ce que vous voulez, pêle-mêle avec ceux qui m’en paroissent les patrons. Pourtant, je me souviens encore De ce petit port au couchant, Où mon rêve a voulu se plaire. Je me souviens d'avoir quelquefois trempé gaiement mon pain dans mon lait, assis auprès de ma fenêtre en y respirant l'air, en laissant planer mes yeux sur un paysage de toits bruns, grisâtres, rouges, en ardoises, en tuiles, couverts de mousses jaunes ou vertes.
Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que dans une autre existence peut-être, J'ai déjà vue... et dont je me souviens! En effet, je me souviens qu’elle m’a été présentée avant le dîner comme la fille de notre amphitryon. Je vous dirai que je l’ai peu vue, elle est allée se coucher de bonne heure. Les toits rouges au loin sur une mer de brume Détachent leurs îlots dans le brouillard frileux, Et moi je me souviens, le cœur plein d’amertume, Du temps où je voyais le ciel dans ses yeux bleus. Je te rencontre. Je me souviens de toi. Cette ville était faite à la taille de l'amour.
9. L'idylle Je regardais les femmes et les fleurs Comme on regarde des étoffes ou des images : Je me souviens alors de toutes les couleurs Qui enchantaient mes premiers paysages. Je me souviens aussi de nos promenades du dimanche, en été, elle et moi, tout jeune garçon. On n’était pas riches et le tour de la Corniche ne coûtait que trois sous. Je me souviens : que de rires, de bruit, de coups de fusil, et que de romans d’amour ! Je me souviens de toi telle que tu étais en ce dernier automne: un simple béret gris avec le coeur en paix. Dans tes yeux combattaient les feux du crépuscule. Et les feuilles tombaient sur les eaux de ton âme. Je me souviens des heures d'argent et de soleil vers les fleuves, la main de la compagne sur mon épaule, et de nos caresses debout dans les plaines poivrées. Je me souviens, reprit−elle, d'une chanson de Céluta. O Céluta ! comme elle est heureuse ! comme elle mérite de l'être ! Je me souviens d'un assez gentil visage. Surtout, je me souviens d'une femme pareille à toutes les femmes: ni plus haute, ni plus basse; ni meilleure, ni pire. Je me souviens très bien des tristes correspondances échangées.
Je me souviens qu'un jour je lui ai écrit : «Je vous remercie d'être une si grande âme.» Je me souviens seulement du sens de quelques-uns de ces gribouillages, qui prenaient la forme de déclarations d'amour, car, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, c'était au nom de l'amour (comment pouvais-je savoir quelque chose de lui?) que je l'adjurais de renoncer à une réclusion aussi cruelle. Je me souviens: tu adorais ta beauté et tu la parais pour toi-même, idole ironique. Je me souviens de ma surprise, quand je t'ai vue avec une gorge de vraie femme, tandis que le reste gardait la finesse grêle de l'enfance... Et si souple et si frais, une éclosion de bouton, un chantre de printemps... Je me souviens, murmura-t-il en se parlant à lui-même, que j'ai vu deux ravissantes créatures dans le jardin. Mais dois-je vraiment épouser l'une d'elles, ou n'est-ce qu'un rêve ? Ma fois ! je n'en sais rien. Le véritable amour souffre et se tait... Je me souviens que moi-même une fois... mais il ne s'agit pas de cela ici. Le roman est une chose du passé. Je me souviens, ( est-il quelque chose qui échappe à ceux qui aiment ? ) du moment et du lieu où vous me déclarâtes pour la première fois votre tendresse, où vous me jurâtes de m'aimer jusqu'à la mort. Et je me souviens que la place de mes baisers apparaissait toute rouge sur ses joues, tant sa peau rose était délicate et fine. En attendant, je l'ai appelée Erèbe, elle ne sait pas pourquoi. Son corps est pareil à ces flambeaux, dorés, mordus de noir, que je me souviens d'avoir vus à Ephèse après l'incendie. J'ai envie de dire que c'est elle qui me vit, me meurt, se sert de moi, me façonne, m'abandonne, me reprend, me roule. Je l'oublie, je me souviens d'elle, j'ai confiance en elle, elle se fraye un chemin à travers moi. Je suis moi quand elle est moi. Elle m'enveloppe, me quitte, me conseille, s'abstient, s'absente, me rejoint. Je suis un poisson dans son eau, un prénom dans son nom multiple. Oui, je me souviens, quand vous êtes venu dans la nuit. Je me souviens de leurs yeux graves et de leur visage étrangement haussé vers le baiser comme vers quelque chose qui l’eût éclairé… la nuit semblait s’être déchirée d’un coup de bas en haut sur un grand volcan de lumière… C’était comme un orgasme de feu, un prodigieux sexe de flamme… Et ce baiser serait en quel oubli, Si n’avait pas été là ce nuage!
Je me souviens et souviendrai de lui Toujours, de lui très blanc qui descendait. Je me souviens comme d'une lutte de notre première étreinte... Et je me souviens du poids de ce corps, vaincu et voluptueux, que je balançais dans mes bras, comme on balance le corps d'un petit enfant, pour jouer. Elle riait de se sentir lourde, même pour ma force. Si je me souviens, avant que le sommeil s'emparât de nous, tu m'as dit qu'épouser et engendrer, cela ne faisait que ténèbres sur la vraie lumière, pierres d'achoppement au milieu de la route. De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé : Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai, Pour sortir le matin tu changeas de coiffure ! J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil, On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil, Sur tout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes, Mon regard ébloui pose des taches blondes ! Je me souviens d’avoir gravé un nom dans l’écorce d’un platane. Je me souviens d’avoir laissé un morceau de ma tunique dans un chemin où passait quelqu’un. Je me souviens d’avoir aimé… Je me souviens de mes tendresses vagues, Des aveux fous que je jurais d’oser, Lorsque, tout bas, rien qu’aux chatons des bagues Je risquais un fuyant baiser. Je me souviens d’un instant d’exaltation, tout au début de nos relations – je m’en souviens, bien que j’eusse fait honneur à la bouteille. Je me souviens de toi ; je t'ai vu, je t'ai aimé, j'ai travaillé avec toi dans quelque autre phase de ma vie antérieure. Je me souviens d'avoir été intrigué puis charmé, quand je sus le sens du petit mot français « adoré » qu'elle accolait à mon nom. Je me souviens d’avoir éprouvé un sentiment fort analogue à ce que doit vivre un employé qui vient d’obtenir son premier engagement : je n’étais plus un jeune garçon tout court, mais un amoureux. Je me souviens très bien que mes premiers sentiments, sans être plus vifs, étaient plus voluptueux.
Et j'entends, et c'est là mon plus dur châtiment, Ta noble voix, et je me souviens des caresses ! Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila. Je me souviens d'une chanson, D'une chanson quand on s'aimait. Elle disait, cette chanson, Des mots d'amour. Je me souviens d'une chanson Je me souviens... (à quelle heure du jour ne l'ai-je pas devant mes yeux?) je me souviens de la façon dont Elle soulevait ses cheveux avec ses faibles doigts si pâles. Je me souviens d'une autre année C'était l'aube d'un jour d'avril J'ai chanté ma joie bien-aimée Chanté l'amour à voix virile Au moment d'amour de l'année Je me souviens de ses petits propos caressants ; je dirais comment elle était vêtue et coiffée, sans oublier les deux crochets que ses cheveux noirs faisaient sur ses tempes. Oh! tout cela ne me disait pas des choses transcendantes; je ne savais même pas ce que cela me disait, mais je me souviens très bien que mon cœur était léger, léger, et comme soulevé. Et je me souviens qu’avant de l’épouser je la fis entrer dans une salle parquetée de miroirs, pour voir si elle n’avait point des pieds d’âne. Je me souviens parfaitement d'avoir été marié, mais je ne me rappelle plus d'avoir été fiancé. Je crois plutôt que je n'ai jamais été fiancé. Je me souviens des plus heureux instants que j'ai passés avec Marguerite. Dans les premiers mois de notre mariage, lorsqu'elle dormait la nuit à mon côté, lorsque, je songeais à elle en faisant des rêves d'avenir, sans cesse l'attente d'une séparation fatale gâtait mes joies, détruisait mes espoirs. Je me souviens aussi de tes yeux furtivement levés au ciel et du tremblement de tes doigts qui se posèrent sur ma bouche. Regarde, regarde ton nouveau corps. Je me souviens de la rencontre entre ces deux visages de mon amour, de mon unique amour. C’est peut-être de cela que tu es morte.
10. Le drame Il me prit dans ses bras que brûlait la fièvre. Et je me souviens qu'il répétait :- La laisser seule ! La laisser toute seule ! Je me souviens encore de ce qu'il m'en coûta de revenir sur mes pas, de subir le contact glacé des doigts immobiles, d'arracher l'anneau, en fermant les yeux, et serrant les dents… Je me souviens, quand elle est partie… Je me souviens de tout !… Je la revois, avec sa toilette, sa robe grise, l’ombre de sa main Mais un an a passé, et voilà, nous pouvons nous en souvenir sans trop de peine, tu es en blanc, et ton visage rayonne… (La pendule sonne douze coups.) La pendule avait sonné ainsi. (Un temps.) Je me souviens, quand on a emporté le cercueil, la musique jouait. Je me souviens d'avoir pensé que les yeux n'ont pas d'âge, et que l'on meurt avec ses yeux d'enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l'ont plus lâché. Je me souviens de tes adieux. Ah ! distinctement je me souviens que c’était en le glacial Décembre : et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour — vainement j’avais cherché d’emprunter à mes livres un sursis au chagrin — au chagrin de la Lénore perdue — de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore : — de nom pour elle ici, non, jamais plus ! J'avais la fièvre, une fièvre qui galopait dans mes veines comme une bête... C'est cela, je me souviens. Toujours le même cauchemar me faisait ramper, le long d'un souterrain interminable. A Madrid, au couvent de l'Incarnation, après ma grande maladie, quand la fièvre et le délire me quittèrent, je me souviens que j'étais ainsi. J'avais la tête vide et je ne sais quel poids sur le coeur. Chaque fois que j'essayais de penser, mes yeux éblouis voyaient du feu et ma pauvre tête semblait prête à se briser. Je me souviens d'avoir été malade aussi à Paris dans mon premier voyage ; j'étais fort pauvre : aussi n'eus-je ni amis, ni dévotes, ni médecins, et je guéris. Je me souviens comme tu étais bon, quand j'étais malade.
Je pris ma main, je me souviens, ma main gauche dans ma main droite ; je voulus la porter à ma tête et le fis. Pourquoi ? pour m’affirmer que je vivais et trouver cela admirable.
11. Les tribulations Je me souviens de cette aventure comme si elle était d’hier… Bien que les détails en soient un peu lestes et même horribles, je veux la conter. Et je me souviens qu'un jour, ayant sur le coeur quelque gros chagrin d'écolier, je fis le rêve de monter dans une de ces voitures qui partaient, de m'en aller. Je me souviens que c'était dans un hôtel très calme, un de ces hôtels où l'herbe verdit les coins de la cour, dans une rue silencieuse, la rue des Poitevins. Cette maison passait pour très hospitalière, et à de certains jours elle devenait lumineuse et bruyante. Nous sortions de chez Abel tous deux – je me souviens – quand je lui dis qu’il devrait faire ce voyage. C’est à peine si je me souviens des détails de mon voyage. Je me souviens de ce soir-là, parce que je vis une chose bien curieuse, une chose que je trouve bien triste et que vous trouverez peut-être tout a fait réconfortante, tant il est vrai que rien n'est absolument triste, en soi. Je me souviens qu’un jour de voyage, de la fenêtre du wagon, je m’efforçais d’extraire des impressions du paysage qui passait devant moi. J’écrivais tout en voyant passer le petit cimetière de campagne, je notais des barres lumineuses de soleil sur les arbres, les fleurs du chemin pareilles à celles du Lys dans la Vallée. Depuis, souvent j’essayais, en repensant à ces arbres rayés de lumière, à ce petit cimetière de campagne, d’évoquer cette journée, j’entends cette journée elle-même, et non son froid fantôme. Je me souviens qu'il y avait dans le compartiment un gros homme blond, accablé de chaleur. Il contemplait la campagne comme s'il ne devait plus jamais la revoir, d'un regard profond et alangui de jeune captive. Je me souviens d'avoir pleuré devant un hôtel de Strasbourg où j'avais donné jadis une fête, et où je n'obtins rien, pas même un morceau de pain. Je ne sais plus au juste si c'était en Esthonie ou en Ingrie, mais je me souviens encore parfaitement que c'était au milieu d'une effroyable forêt, que je me vis poursuivi par un énorme loup, rendu plus rapide encore par l'aiguillon de la faim.
Je me souviens que je parlais cette langue harmonieuse à Fenris, lorsque nous étions perchés tous deux sur les rochers de la baie de Skaër. Après avoir été fort longtemps à tomber, à ce que je préjuge (car la violence du précipice doit m'avoir empêché de le remarquer), le plus loin dont je me souviens est que je me trouvai sous un arbre embarrassé avec trois ou quatre branches assez grosses que j'avais éclatées par ma chute, et le visage mouillé d'une pomme qui s'était cachée contre. Je me souviens d'avoir entendu dire à maître Pangloss qu'autrefois pareils accidents étaient arrivés, et que ces mélanges avaient produit des égipans, des faunes, des satyres ; que plusieurs grands personnages de l'antiquité en avaient vu ; mais je prenais cela pour des fables. Je me souviens du ciel gris d’un petit matin... Nous sommes dans des canots... Le lac est légèrement agité, et, comme en maugréant, regarde nos débauches... Je me souviens d’avoir été témoin d’une des plus magnifiques réparations que puisse offrir un amant au mari qu’il minotaurise. Mais il n'y aura que moi qui n'en serai pas dupe ; car je me souviens comment on a abandonné le Minotaure, et comment on s'est tenu caché pour laisser passer la première bourrasque de colère et de chagrin. Je me souviens que quand je mis le pied à l’étrier, je promis de ne blesser qui que ce fût, que je galoperois de mon mieux, mais que si je rencontrois quelqu’un sur ma route, je me détournerois pour le laisser passer. Ce fut dans cette idée que je donnai le premier coup de fouet ; et depuis ce temps, mon coursier, grâce au ciel, n’a cessé de galoper à son gré. Mais il fait encore froid et je me souviens d’un voyage fait l’année dernière à Cannes, justement : le chauffage du wagon ne fonctionnait pas et j’ai passé une nuit atroce. Je me souviens de quelle façon gaillarde il a galopé de Paris à Béthune. Car il s'agit aussi de minuscules territoires d'exil sur quoi continuent à exister vaille que vaille ceux dont je me souviens et ceux que j'aime. Je me souviens qu’en arrivant, sur les trois heures, dans un petit village, nous nous arrêtâmes devant une forge pour demander à boire. Je me souviens pourtant d'avoir une fois pissé dans la marmite d'une de nos voisines, appelée madame Clot, tandis qu'elle était au prêche.
Je me souviens qu'une fois Saint-Lambert faillit à lui jeter son assiette à la tête, sur une espèce de démenti qu'il lui donna en pleine table, en lui disant grossièrement : Cela n'est pas vrai. Je me souviens d’avoir ouï, au temps jadis, un entretien du roi Henry avec le duc de Nivernois. Ils gémissaient de la manie de leurs François, acharnés à s’entre-détruire. Je me souviens bien d'avoir entendu expliquer ce symbole par le comte Albert, lorsqu'il me racontait l'histoire orageuse de sa vieille Bohême, et de ses chers Taborites, lesquels étaient imbus de ces croyances renouvelées des premiers temps du christianisme. Je me souviens de la scène qui lui fit le plus de peine au coeur et dont elle ne se remit jamais complètement. Je me souviens que c'était vers la fin de l'hiver: les nuits étaient encore longues et froides, et l'ennui de retourner chez lui si tard l'avait décidé à attendre le jour dans ma chambre. Je me souviens que nous fûmes réveillés en sursaut par la corne du bateau de sauvetage. Oh ! ces appels dans la tourmente et dans la nuit, qu’ils sont lugubres ! Je me souviens de cette belle nuit étoilée, où l'on n'entendait que le faible bruit de la mer calme. Je me souviens de la dernière nuit. La lune était à peu près pleine ; par ma fenêtre grande ouverte elle entrait en plein dans ma chambre. Et je me souviens tout à coup d'une décision que j'avais prise l'autre mois : j'avais résolu d'aller là-bas en pleine nuit, vers une heure du matin, de contourner l'hôtel, d'ouvrir la porte du jardin, d'entrer comme un voleur et de chercher un indice quelconque qui me permit de retrouver le Domaine perdu, pour la revoir, seulement la revoir Je me souviens – lorsque je parle ainsi Ah saura-t-on jamais qui se souvient Dans tout ce chaud murmurant carrefour Qui fait le cœur et lui donne son nom – Je me souviens, c'était dans un pays Qu'on aperçoit fort au sud sur les cartes, Le ciel mouillait à tort et à travers Le grand matin noir et plein d'innocence. La volonté de ressaisir à tout prix cette force me la rendit, et je me souviens encore de ceci : c'est qu'au retour d'une excursion assez sérieuse, je vins m'asseoir sur ce
banc en me débitant l'axiome suivant : «Décidément, la patience n'est pas autre chose qu'une énergie.» "Je me souviens qu'alors j'entendis sortir une multitude de cris sourds et étouffés de cette carène renversée; mais, voulant appeler moi-même mon ami à mon secours, ma bouche se remplit d'eau salée," Je me souviens encore du plaisir que j'éprouvais lorsque, la nuit, au milieu du désert, mon bûcher à demi éteint, mon guide dormant, mes chevaux paissant à quelque distance, j'écoutais la mélodie des eaux et des vents dans la profondeur des bois.
12. Les combats Je me souviens d’une terre brûlée alentour Je me souviens d’une vallée de larmes Je me souviens du chanoine Robersart, qui avait prononcé ses vœux, et qui sortit ensuite du cloître et devint capitaine de troupes franches. Je me rappelle qu'il me causa autant d'effroi que d'admiration par ses récits de batailles et je me souviens, comme si c'était d'hier, de l'épouvante que j'éprouvai en voyant une tache de sang sur la manche de sa chemise. Je me souviens très bien qu’il appelait cette loi stupide : le règlement militaire. Je me souviens de la famine. A cet endroit-là même, je me souviens que, couché sur un tas de paille de maïs, devant le corps de garde de gendarmerie (quelle profanation!), je parlai de ma jeunesse à mon ami Ampère, et je lui dis que, parmi les souvenirs tendres qui me restaient, il n'y en avait qu'un seul qui ne fût mêlé d'aucune amertume. Attends… attends… Manoel s’écria Benito. Je me souviens ! Oui ! je me souviens !… Pendant le duel, au premier coup que j’ai porté à Torrès en pleine poitrine, ma manchetta a rencontré sous son poncho un corps dur… comme une plaque de métal. Je me souviens que c’était vous qui l’assistiez dans les opérations graves. En voilà un homme qui aime couper, tailler et rogner ! Je me suis familiarisé aux armées avec le langage des auxiliaires celtes ; je me souviens surtout de certains chants… Mais les jargons barbares valent tout au plus pour les réserves qu’ils constituent à la parole humaine, et pour tout ce qu’ils exprimeront sans doute dans l’avenir.
Je me souviens... un jour, pendant la guerre ; nous étions réunis autour d’un moribond. Personne ne le reconnaissait. Il avait été trouvé dans les débris d’une ambulance bombardée (volontairement ou non, cela revenait exactement au même !) ; sa figure avait été mutilée. Je me souviens bien pourtant : pendant cette seconde où, instinctivement, je cherchais, éperdu, hagard, mon frère d'armes, j'ai vu son corps monter, debout, noir, les deux bras étendus de toute leur envergure, et une flamme à la place de la tête ! Je me souviens de l'ordre de mon maître ; Il fit rentrer mon fer dans son fourreau : Il m'a privé du droit brillant des armes ; Mais j'imagine un moyen tout nouveau Pour décider de vos grandes alarmes. Je me souviens d’un certain légionnaire, d’origine allemande, que nous considérions comme un sujet peu recommandable. Il avait eu à El-Moungar la poitrine traversée par une balle. Oh oui, je me souviens que vous pouvez jeter la pierre. Je me souviens cependant d’avoir perçu, sitôt le coup reçu, des rires sauvages s’élever des cavernes. Dans la même guérite, auprès d’un ministère, je me souviens d’avoir vu deux enfants qui dormaient, frère et sœur sans doute, pressés l’un contre l’autre, les jambes ramenées sous eux, les deux visages rapprochés, si pâles et si bien pareils ! Quand je vois un homme heureux j’oublie les Dieux du ciel ; mais je me souviens d’eux quand je vois un être souffrant. Je me souviens, lui dis-je, que tu m’as abandonné une fois dans le danger. Je me souviens de ce que disaient les autres soldats, en parlant de Jean-Manuel, pendant ces années de guerre, et leurs propos ont quelque chose de prophétique que je n'ai pas pu inventer : — C'est dur pour tous Je me souviens... Comme ils fuyaient !... Bougres de lâches !.. Alors tout à coup avec colère je me souviens d’avoir survolé les grandes charognes Du plus haut des airs Mon œil impérissable n’a jamais vu que les plus grandes charognes Merci Je suis rassasié
Je ne me rappelle pas trop ce qui arriva sur le vaisseau ; je me souviens seulement d’un excellent capitaine.
S’il est vrai que les seuls paradis sont ceux qu’on a perdus, je sais comment nommer ce quelque chose de tendre et d’inhumain qui m’habite aujourd’hui. Un émigrant revient dans sa patrie. Et moi, je me souviens. Ironie, raidissement, tout se tait et me voici rapatrié. Je me souviens du jour où la guerre s'est enfin terminée.
13. Méditation funèbre Je me souviens qu’avec Ambroise, un soir, comme aux jardins d’Académus, nous nous assîmes sur une tombe ancienne, qui y est tout entourée de cyprès ; et nous causions lentement en mâchant des pétales de roses. Je me souviens très bien que c’est rue de l’École de Médecine que j’appris la fin du compositeur et que cette nouvelle m’impressionna beaucoup car, à cette époque, toutes les morts, du moment qu’elles étaient celles de gens dont je connaissais l’existence, me bouleversaient. Ah ! c’est vrai, je me souviens... j’ai voulu mourir et même... Je me souviens qu’un jour, au Pont-Royal, je vis un homme se noyer. Et je me souviens très nettement d'un homme en redingote et sans chapeau qui se tenait au premier rang de la foule. Il paraissait triste et accablé et tandis qu'elle s'écoulait, je vis, qu'au soleil, cet homme n'avait point d'ombre. Vite et discrètement, il sortit un revolver de sa poche et se tira une balle dans la bouche. Je me souviens d'avoir vu, au cimetière Montmartre, la forme d'un corps humain comme tracé en relief sur la terre humide. En me baissant, je vis que ce relief était le résultat d'une couche épaisse de petits champignons vénéneux. Le pauvre mort était dessiné là, tête, corps, bras et jambes, et comme revenu à la surface du terrain, sous forme de végétation hideuse et infecte. Je me souviens qu'un jour un brigand ivre (on pouvait s'enivrer quelquefois aux travaux forcés) raconta comment il avait tué et tailladé un enfant de cinq ans: il l'avait d'abord attiré avec un joujou, puis il l'avait emmené dans un hangar où il l'avait dépecé. Je me souviens aussi de cette histoire Où deux enfants, les doigts unis, mouraient
D’un même coup de hache, un soir, dans la forêt ; Et je voulais mourir ainsi, et je voulais Dormir ainsi, avec toi seule, Loin du monde, sans qu’on le sût jamais. Alors l’homme dit : « Je me souviens. » Et il imite l’animal qui oublie aussitôt et qui voit chaque moment mourir véritablement, retourner à la nuit et s’éteindre à jamais. Moi qui savais à quoi m’en tenir, je me souviens de l’amertume passagère dont je fus envahi en comprenant que j’étais en lutte contre la mort, et que ces gens-là ne s’en apercevaient pas. Je me souviens d’un jeune homme – un homme encore jeune – empêché de mourir par la mort même – et peut-être l’erreur de l’injustice. Et je me souviens de cette phrase d’un autre pessimiste : « Tout est transitoire. Les êtres, étant nés, doivent mourir, et, une fois morts, ils sont heureux d’être en repos. » Je me souviens que Jules Janin me disait: «Ah! quel bel article nous ferions sur vous si vous étiez mort!» En versant le whisky et en le dégustant, je me souviens d’un autre philosophe chinois, Tchouang-tseu, qui, quatre siècles avant Jésus-Christ, dénonçait en ces termes la rêverie du monde : « Qui sait si les morts ne se repentent pas de s’être attachés à la vie ?
14. Mélancolie Je me souviens de ces premières journées comme d’un songe ; je vois la mansarde plus en désordre, plus noire que de coutume, je sens cet air épais et étouffant que la fenêtre ne renouvelait pas ; je nous aperçois, pareils à des ombres, allant dans nos haillons, nous embrassant, vivant en nous. Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. —Et je l'ai trouvée amère. —Et je l'ai injuriée. Je me suis armé contre la justice. Je me suis enfui. Je me souviens du goût, des gens De la torpeur et des tourments Y'a pas cinq heures j'avais quinze ans Mais plus grand chose de l'enfant Je me rappelle d'un torrent D'un homme singe et d'un cadran
De cette douleur entre les dents De la douceur d'aucun printemps Avant Avant C'est une souffrance profonde parfois, quand je me souviens que j'ai vingt-cinq ans, et que j'ai l'ardeur et le courage de ma jeunesse. En feuilletant dans ce passé d’émotions de jeunesse, reviendra-t-il un jour nous continuer la série des souvenirs du temps heureux écoulé en terre étrangère, mais qui nourrissait en son âme le « Je me souviens » du pays des aïeux ? Je me souviens ; C’était aux temps les plus anciens, Aux époques les plus solennelles Je me souviens de qui je fus. J’ai brisé corde et chaîne. Je me souviens de ma forêt et de ma vigueur ancienne. Mais ce spectre, ce cri, cette horrible blessure ? Cela dut m’arriver en des temps très anciens. Ô nuit ! Nuit du néant, prends-moi ! — La chose est sûre : Quelqu’un m’a dévoré le cœur. Je me souviens. Mais qui me toucherait, des lions respectée ? Du reste, je ne veux rien d'humain et, sculptée, Si tu me vois les yeux perdus au paradis, C'est quand je me souviens de ton lait bu jadis. Je me souviens de ceci, de cela,--d'une promenade à Vourzac, d'une moisson au grand soleil!--et dans le calme de cette pension qui s'endort, la tête tournée vers la fenêtre d'où j'aperçois le champ du ciel, je rêve non à l'avenir, mais au passé. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure Je te contemple et je t’admire ! Je me souviens, quand je te vois, Des divinités d’autrefois, Qui portaient la lance ou la lyre.
Je me souviens des heures en allées ; pieds nus sur les dalles ; j’appuyais mon front au fer mouillé du balcon ; sous la lune, l’éclat de ma chair comme un fruit merveilleux à cueillir. Enfin on sortit de l’église, et je me souviens que j’en sortis lentement, que je retardais mes pas ; que je regrettais la place que je quittais ; et que je m’en allais avec un cœur à qui il manquait quelque chose, et qui ne savait pas ce que c’était. Je dis qu’il ne le savait pas ; c’est peut-être trop dire, car, en m’en allant, je retournais souvent la tête pour revoir encore le jeune homme que je laissais derrière moi ; mais je ne croyais pas me retourner pour lui. Je me souviens du passé comme de la journée d’hier. Je vois comme dans une buée les lieux et les gens...
15. Les gens et les rencontres C'est mon devoir de connaître tout le monde et je me souviens de vous avoir vu un soir chez lady Windermere. J'espère que sa Grâce est bien portante. Je me souviens qu'une fois seulement, au cours de ces années passées au village, le champion Harrison me laissa entrevoir un instant quelle sorte d'homme il avait été jadis. John nous présenta, et je me souviens que le contact de sa main me parut visqueux et désagréable. Il vint à moi en me tendant la main et en me demandant si je me souvenais de l'avoir vu quelque part. «Oui, monsieur le baron, lui répondis-je, et je me souviens que vous m'avez offert et promis vos bons services à Berlin, si je venais à en avoir besoin.» Je me souviens d'avoir entendu chez Mme d'Espard un magnétiseur prouvant, par des considérations historiques très spécieuses, que ce vieillard, mis sous verre, était le fameux Balsamo, dit Cagliostro. Je me souviens d’avoir vu un dénommé Kerfoot, au cours de la traversée, perdre un doigt, qui fut écrasé et réduit en bouillie, sans un murmure, sans une contraction du visage. Je me souviens qu'un Bernois, nommé M. Kirchberger, m'étant venu voir, me trouva perché sur un grand arbre, un sac attaché autour de ma ceinture, et déjà si plein de pommes, que je ne pouvais plus me remuer.
Je me souviens encore du scandale que j’ai fait le jour où mon célèbre collègue Lefleau, m’a montré avec orgueil son fils en me disant : « Voilà ce que j’ai fait de mieux », je lui ai répondu : — Le premier imbécile venu aurait pu en faire autant. Ami, je me rappelle Annie Anderson, qui dort là-bas, où vous êtes: mais, ici, je me souviens d'un moi qui se nomme, depuis bien longtemps,--Sowana. Je me souviens, comme si la chose s'était passée hier, de l'entrée du jeune Rouletabille, dans ma chambre, ce matin-là. Il était environ huit heures, et j'étais encore au lit. Je me souviens, Cadio, combien, dans le temps, vous étiez ferré sur les chiffres, mais que, pour vos propres dépenses, jamais vous ne consentiez à compter.. Je me souviens, à présent, qu'Alcide le pressait toujours de boire, et qu'il lui mettait du vin blanc avec du rouge; et puis il lui a fait boire à la fin du cidre en bouteilles, qui moussait comme son champagne; c'est ça qui lui a porté à la tête ! Je me souviens qu’une fois un tenancier de bar me prépara un verre de sirop et de soda ; c’était une boisson douce, non alcoolisée. Ses yeux, dont je me souviens, disaient alors, combien clairement : «Est-il possible que je continue à voir Larsan partout » Je m'en souviens bien, et je me souviens aussi qu'il mérite tes éloges. Le pivot de toute l’affaire était l’ineptie d’un certain amiral, l’amiral Pierre, si je me souviens bien. Tout tournait autour de cela, et mon bonhomme ne pouvait pas trouver de mots assez forts pour exprimer sa confiance. Je me souviens à ce propos d’une histoire que j’ai ouï raconter à un homme qui avoit été dans le pays du Mogol ; elle fait voir que les prêtres indiens ne sont pas moins stériles que les autres dans les idées qu’ils ont des plaisirs du paradis. Je me souviens seulement de l’étrange stupéfaction que j’éprouvais d’avoir été témoin de tout ce qui s’était passé le matin. Je me souviens qu’on ralluma les bougies, bien inutilement du reste, et j’étais conscient d’un désir de regarder franchement tout le monde et, en même temps d’éviter tous les regards. Je me souviens de l'avoir rencontré dans les Champs-Elysées. Il était à cheval. Eh bien, il galopait par moment ventre à terre, et puis il s'arrêtait pour aller pas à pas. Je me souviens qu’un jour, marchant dans un bois noir Où des ravins creusaient un farouche entonnoir, Dans un de ces endroits où sous l’herbe et la ronce
Le chemin disparaît et le ruisseau s’enfonce, Je vis, parmi les grès, les houx, les sauvageons, Fumer un toit bâti de chaumes et de joncs. La belle chose qu’une tête de sauvage! Je me souviens de deux qui étaient là, noires et luisantes à force d’être boucanées, superbes en couleurs brunes, avec des teintes d’acier et de vieil argent. Je me souviens d'un apothicaire qui demeure aux environs ; récemment encore je le remarquais sous sa guenille, occupé, le sourcil froncé, à cueillir des simples ; il avait la mine amaigrie ; l'âpre misère l'avait usé jusqu'aux os. Je me souviens de cela maintenant : lorsqu’il a été arrêté dans une cachette où mademoiselle l’avait fait conduire, je me trouvais là par hasard. Je me souviens qu'un soir, en France, entendant parler de la passion de NotreSeigneur Jésus-Christ, il s'écria, de la façon la plus plaisante et avec un sérieux incroyable : Je lui avais bien dit qu'il finirait par se faire un mauvais parti chez ces méchants Juifs. C'est un signal, un appel sur deux notes, haute et basse, que j'ai déjà entendu jadis... Ah ! je me souviens : c'est le cri du grand comédien lorsqu'il hélait son jeune compagnon à la grille de l'école. Je me souviens que, comme je le traitais de gros indécent, il me traita de prude et sortit en me criant sur l’escalier : « Vous n’êtes qu’une bête ! ». Je me souviens de la figure de ce bandit, et je frémis rien qu'en songeant à ce type ignoble de dégradation. Je me souviens seulement que les négociants chinois et japonais avec lesquels nous entrâmes en relation lui donnaient un autre nom que notre pilote portugais, et qu’ils le prononçaient comme ci-dessus QUINCHANG. Je me souviens que vous m’avez rendu quelques bons offices, et dernièrement encore vous m’avez été utile, comme vous l’êtes toujours, sans le savoir. Vous n’étiez pas gourmand, sinon d’un plat nouveau. Ainsi je me souviens que vous fûtes malade Pour avoir trop goûté de la tête de veau. Aussi, pourquoi manger de la viande en salade ? Souffrez , lui dit-il , que je vous demande si vous vous souvenez de m'avoir vu autrefois, comme il me semble que je me souviens de vous avoir vu : votre visage ne m'est point inconnu, il m'a d'abord frappé ; mais je ne sais où je vous ai vu : votre mémoire peut-être aidera à la mienne.
Je me souviens d'une au teint roux de colaeus, aux yeux verts, aux deux joues rousses et dont la figure double et légère ressemblait aux graines ailées de certains arbres. Je ne sais quelle brise l'amena à Balbec et quelle autre la remporta. Je me souviens d'une jeune personne fort jolie, fort bien née et fort aimable. Je me souviens que cette calèche sortait de chez Binder, et je me souviens aussi que cette femme, dont le coeur était un abîme, gantait le six un quart, qu'elle avait trois taches de rousseur à la tempe droite, ni plus ni moins, «des narines palpitantes, des ronds de bras inimitables et des silences anhélants.» Je me souviens de vous, jeune Milésienne, Beau torse mutilé qui demeurez debout, Comme on voit, en été, les gerbes de blé roux Noblement se dresser dans l’onde aérienne ; Ses mains étaient, je me souviens, gantées de transparentes mitaines qui sentaient l’iris, et sa robe, très courte, rose, découvrait de petites jambes d’une courbe molle et déjà voluptueuse. Je me souviens d'une dame qui me disait de grands noms de plantes étrangères avec une épouvantable sûreté de mémoire, et qui me semblait si savante, que je n'osais lui répliquer. Je me souviens, autrefois, quand elle vous reluquait. Je me souviens, je me souviendrai toute ma vie, Folcoche... Les platanes, pourquoi portent-ils ces curieuses inscriptions, ces V.F. quasi rituels, que l'on pourra retrouver sur tous les arbres du parc, chênes, tulipiers, frênes, tous sauf un taxaudier que j'aime ? V.F... V.F... V.F... C'est-à-dire, vengeance à Folcoche ! Vengeance ! Je me souviens toujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon, sur la réputation qu'on lui donne, et les choses que le public a vues de lui. Vous connoissez l'homme, et sa naturelle paresse à soutenir la conversation. Mais ce dont je me souviens, par exemple, c'est de l'expression étrange que prit soudain son regard en ne découvrant point parmi nous celui qu'elle cherchait. Je ne me souviens plus de la réponse que je fis à la dame ; je me souviens seulement qu’elle lui déplut infiniment. Madame… je n’oublie pas… je me souviens… comme tout le monde… voilà tout… Je me souviens de la dernière fois où j'ai rencontré mon ami, à l'époque de nos désastres, un jour où je traversais notre ville, sans savoir ce que j'allais devenir.
Je me souviens de ces yeux attentifs dont il me regardait, suivant chacun de mes mouvements. Je me souviens très bien avoir vu éclater sur ses lèvres une bulle de salive microscopique. Cette petite bulle me fit reprendre mes sens.
16. Les paroles Je me souviens de son inépuisable ravissement lorsque je lui appris que ces petites voix émanaient de créatures vivantes, dont il semble que l’unique fonction soit de sentir et d’exprimer l’éparse joie de la nature. Mais moi, je n’ai oublié ni votre indulgence, ni mes paroles ; je me souviens de toutes, même des plus légèrement données, et auxquelles un jeune homme moins consciencieux que je ne le suis, ayant un cœur moins jeune et moins probe, ne songerait même pas. Je me souviens presque mot pour mot de notre première conversation Et je me souviens de leur causerie. Mais faut-il appeler causerie leur échange de courtes paroles qui n'allaient pas de l'un jusqu'à l'autre ? Mais je me souviens que je me dis secrètement : Je voudrais bien que la question fut posée franchement, et je réfléchirais très sérieusement avant de répondre NON. Tout ce qu’ils disent porte la conviction dans l’esprit, parce qu’ils n’avancent rien d’obscur, rien de douteux, rien qui soit déguisé ou défiguré par les passions et par l’intérêt. Je me souviens que j’eus beaucoup de peine à faire comprendre à mon maître ce que j’entendais par le mot d’opinion, et comment il était possible que nous disputassions quelquefois, et que nous fussions rarement du même avis. La raison, disait-il, n’est-elle pas immuable ? Je me souviens d'avoir ouï dire à un abbé que la plus agréable des sciences était une chose dont j'ai oublié le nom, mais qui commence par un B. - Par un B, madame ? ne serait-ce point la botanique ? - Non, ce n'était point de botanique qu'il me parlait ; elle commençait, vous dis-je, par un B, et finissait par un on. Je me souviens, en ce moment, d'un proverbe : « Le fou se croit sage ; mais le sage sait qu'il n'est qu'un fou. Moi, je me souviens, parce que tout ça s’est marqué en fer chaud. Tu m’as dit : « Merci de me faire voir ta pitié. »
Je me souviens de l'avoir entendu prononcer les paroles que voici : «Je ne resterai plus longtemps parmi vous». Mais je me souviens de la phrase de Madrid : « Ce n'est pas pour moi, c'est pour vous. » Je me souviens que sa prophétie parut, en novembre ou en décembre 1892, dans une publication depuis longtemps défunte, le « Pall Mall Budget ». Je me souviens que, deux ou trois fois, vous m’avez dit le soir des mots que je n’entendais point du tout alors. Je me souviens que peu de personnes, parmi les convives de l'élégant traducteur de la poésie anglaise, comprirent le sens mystérieux de cette fable aussi vraie que fantastique. Je me souviens de cette légende… Je me souviens aussi d’avoir lu, dans quelque philosophe, qu’il n’y a point de méchanceté comparable à celle d’une méchante femme. Oui, et je me souviens aussi de vos paroles en me montrant votre verre : « Voilà le vrai ami, tandis que l'amour, les femmes, la gloire, illusion et folie ! » Et je me souviens, rappela-t-il avec malice, de quelqu'un qui disait : « Crois le serpent plutôt que la catin, et la catin plutôt que le Pathan, Mahbub Ali. » Là-dessus il cita un proverbe espagnol que je ne puis répéter dans les mêmes termes, mais dont je me souviens avoir habillé à ma façon un proverbe anglais, que voici : « Dans le trouble soyez troublé, Votre trouble sera doublé. » Voilà ... je me souviens ... voilà exactement la phrase que j’ai déchiffrée ... cinq mots latins ... dans cet ordre... « Ad lapidem currebat olim regina... » Je me souviens même que dans ce temps-là, je fis sur ce sujet des vers latins, qui commençoient par: « O mille nexibus non desinentium Foecunda rixarum parens! Quid intricatis junbus jura impedis? » Je me souviens, entre autres, que M. Dubois nous récitait avec enthousiasme de certains vers de Voltaire ou de lui, où il y avait: « _dans la plaie ... retournant le couteau. »
Dans des vers d'elle sur le Jour des Morts, je me souviens de celui-ci qui s'adressait aux êtres chers qui nous ont été ravis : « Vous qui ne pleurez plus, vous souvient-il de nous ? » Je me souviens qu'un poète médiocre, qui n'était pas médiocrement dur, nommé Iro, fit de mauvais vers à ma louange, dans lesquels il me faisait descendre de Minos en droite ligne. Je regardai la carte ; elle portait un nom étranger que j’ai oublié : puis, dans le bas, une ligne écrite en anglais, dont je me souviens fort bien : « Recommandé par M. Septimus Luker. » Si je me souviens bien, vous étiez en effet de ceux qui étaient venus, en bas, pour prendre part à une grande discussion sur la puissance des mots. Je me souviens des mots, des inflexions, des intervalles entre eux, du vocabulaire direct et négligé.
17. L'indicible Et le Démon répondit : « Je suis Mémoire et je suis versé dans les traditions du passé, mais moi aussi je suis vieux. Ces êtres étaient comme les eaux de la rivière Thom, on ne pouvait les comprendre. De leurs actes, je ne me souviens pas, car ils n’existèrent que dans l’instant. De leur apparence, je me souviens vaguement, elle était pareille à celle des petits singes dans les arbres. De leur nom, je me souviens clairement, car il rime avec celui de la rivière. Ces êtres d’hier s’appelaient Homme. » Je me souviens d'avoir assisté à un fait encore plus horrible, et même d'y avoir participé. Je me souviens seulement de l’expression de leurs figures, lorsque j’ouvris la porte. Je m’en souviens parce qu’elle éveilla en moi une joie douloureuse. C’était une expression de terreur, comme je le désirais. Jamais je n’oublierai cet effroi désespéré et soudain qui apparut sur leurs figures quand ils m’aperçurent. Je me souviens de ce que vous m'avez dit touchant la susceptibilité des fantômes : vous sachant à quelques pas de moi, ils pourraient hésiter à apparaître, et, puisque vous en avez vu un, je veux aussi en voir un au moins. Je me souviens aussi, rien à cet instant n'aurait pu être plus beau et plus tragique, je me souviens de lui être apparu noir et froid comme un homme foudroyé aux pieds du sphynx.
Je me souviens qu'au pays des morts, où j'ai passé quelques secondes (sans doute) de rêve, qui étaient des mois, j'avais, en arrivant là, voulu me fâcher, moi aussi ; je ne savais pas encore, mais la désespérante facilité du moindre geste (j'arrachais de ses gonds, comme une plume, une porte de chêne monumentale), le sourire d'ironie fatale des autres morts et la douceur implacable du visage du maître m'avaient vite désarmé. Je me souviens de cette créature dégoûtante comme d'un phénomène monstrueux. Pendant plusieurs années j'ai vécu au milieu de meurtriers, de débauchés et de scélérats avérés, mais de ma vie je n'ai rencontré un cas aussi complet d'abaissement moral, de corruption voulue et de bassesse effrontée. Je me souviens qu'une fois, pendant une interminable nuit d'hiver, j'entendis un récit qui, au premier abord, me parut un songe balbutié dans un cauchemar, rêvé dans un trouble fiévreux, dans un délire... Je me souviens que je me suis trouvé, au bas d’un escalier, debout devant une grille. J’étais doué d’une force surhumaine ; je secouai la grille et je criai : « Par ici ! » Je me souviens bien de soixante-dix années, et dans ce long espace de temps j'ai vu de terribles moments et d'étranges choses ; mais tout ce que j'avais vu n'était rien auprès de cette cruelle nuit. Je me souviens que je me suis levé de mon lit, j'ai saisi mon poignard, et si, dans ce moment, un homme se fût présenté, je l'aurais égorgé pour sucer son sang, déchirer ses membres avec mes dents... Horreur... Il faut (je me souviens encor de vos paroles) Négliger pour lui plaire, et femme, et biens, et rang, Exposer pour sa gloire et verser tout son sang. Je saute sur la Chouette, je me souviens de la dent de la pauvre Goualeuse, je lui empoigne le bras, et je le lui tords. Je me souviens encor de ces spasmes terribles, De ces baisers muets, de ces muscles ardents, De cet être absorbé, blême et serrant les dents. S’ils ne sont pas divins, ces moments sont horribles Je me souviens qu’il y avait derrière elle un massif et qu’une bêche luisante et mince y était plantée dans la terre. Pendant le long silence qui suivit, une tentation m’obséda de prendre cette bêche à la main, et de la trancher en deux, là, comme un ver rouge. Je me souviens seulement que je la frappais avec la régularité d’un paysan qui bat au fléau,--et toujours sur les mêmes points: le sommet de la tête et l’épaule gauche... Je n’ai jamais entendu d’aussi horribles cris...
Partout du sang… des éclaboussements de sang… Je me souviens que sa main baignait, tout entière, dans une mare rouge qui s’étalait autour d’elle, sur le plancher… Je me souviens... Je vois le corps étendu sur le tapis, entre la table et la haute cheminée, à deux pas de moi... Je marchai vers lui, je me penchai sur son visage... Ses yeux semblaient me poursuivre de leur regard, même après la mort. Je me souviens encore avoir éprouvé un soulagement, une délivrance dans tout mon être après lui avoir donné ce coup. Ah ! c'est le Diable ! je me souviens.
18. La mémoire Ce fut un matin, je me souviens, que je m'éveillai ainsi dans mon bon sens. J'avais oublié les détails de ce qui était arrivé, et je n'avais d'autre impression que celle d'un grand malheur qui aurait tout d'un coup pesé sur moi. Les ténèbres sont dissipées... je me souviens... Cette tentative eut lieu pendant ma dernière année de travaux forcés. Je me souviens aussi bien de cette dernière période que de la première, mais à quoi bon accumuler les détails ? Malgré mon impatience de finir mon temps, cette année fut la moins pénible de ma déportation. J’avais beaucoup d’amis et de connaissances parmi les forçats, qui avaient décidé que j’étais un brave homme. "Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? Je me souviens de quelque chose comme dans un songe, je me souviens de quelque chose comme dans la brume ; mais si c’est la vérité, ou pas, je ne puis le dire. Je me souviens, je me souviens : Ce sont des défuntes années, Ce sont des guirlandes fanées Et ce sont des rêves anciens ! Je me souviens d’avoir vécu; je me souviens aussi de ne pas avoir vécu. Pas plus tard que cette nuit j’ai rêvé que j’étais mort, et chose curieuse c’était le moment vrai où je vivais heureux. C’est donc cela que je me souviens, comme, au reste, on se souvient d’un rêve.
Je ne sais pas très bien si je rêve ou si je me souviens, si j'ai vécu ma vie ou si je l'ai rêvée. Je me souviens. Je n'ai donc pas rêvé ! Au réveil, je me souviens mal. Tout de même, je ne puis oublier que tel rêve avait le goût de la vie, tel autre le goût de la mort, aussi précisément que tel plat avait le goût du sucre, tel autre, le goût du sel. C’est pourquoi, je me demande à quoi bon protéger de la mort mes jours ? Alors je me souviens des amis que je pleure, Des temps qui ne sont plus, d'un espoir qui me leurre, De la riche nature apparue à mes yeux, De mes songes d'hier toujours vains, mais joyeux, De mes projets en l'air; que sais-je ? Je me souviens de mes songes. Aux clairs matins de grand soleil L’arbre fermentait sous la sève, Mon cœur battait d’un sang vermeil. Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? Comme la vie est douce et brève ! Je me souviens, je me souviens Des jours passés, des jours anciens ! J’étais jeune ! je me souviens ! Je me souviens du bel été, Des bateaux-mouches sur le fleuve Et de nos nuits de la Cité. Hélas ! qu'il vente, grêle ou pleuve, Ma peine est toujours toute neuve : Elle chemine à mon côté... Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce ? J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien. Je me souviens amèrement aujourd'hui de ces heures où, jusque dans vos bras, je cherchais les bornes de mon cœur pour m'y blesser tour à tour et m'y appuyer. Je me souviens!... Une belle chose, oui ... mais féroce pour la lâcheté humaine. Du reste dès la première minute où je l'ai vue, mon pronostic avait été tout à fait sombre, je me souviens très bien.
Je me souviens d’avoir machiné en pensée vingt plans successifs, tous plus ou moins ingénieux et tous rejetés. Je me souviens que, de son vivant, un négociant de ses amis le blâmait avec beaucoup d'ironie de sa conduite, la trouvait incompréhensible, se frappait le front en le montrant, et, secrètement, l'imitait. Donc, passons. Ce qui nous arrive, nous l'attirons un peu, voilà tout. Les humeurs quotidiennes, les hasards d'un mot, d'un silence, toutes ces contingences qui devraient s'effacer derrière moi, ça s'inscrit dans cette enfant qui rumine et qui se souviendra, comme je me souviens des inflexions de voix de Dominique. Et je me souviens de ce que disent les moines Indiens, que toute cette vie mauvaise est une vaine apparence, et qu'elle ne reste avec nous que parce que nous bougeons avec elle. Je me souviens très bien de ce détail parce que la pluie tambourinait sur les vitres, le long du couloir par lequel on m’emmenait à l’interrogatoire. Ce qu'étaient ces histoires, je n'en ai aucune idée, je me souviens seulement que l'art des transitions, dans le récit, me manquait complètement. Décrire ta vie dans l'ordre serait absurde: je me souviens de toi au hasard. Mon cerveau te ressuscite par détails aléatoires, comme on pioche des billes dans un sac. Je me souviens de tout Tout me revient dans l' cou Tous ces mots insensés Dans de beaux chants de fous Des poètes sans palmes
19. Epilogue Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l’almanach où le crayon a marqué les dates sinistres ! Mais bientôt la mémoire recouvre son domaine, au point que, dans une certaine mesure, j'ai conscience de mon état. Je sens que je ne me réveille pas d'un sommeil ordinaire. Je me souviens que je suis sujet à la catalepsie. Et bientôt enfin, comme par un débordement d'océan, mon esprit frémissant est submergé par la pensée de l'unique et effroyable danger -l'unique idée spectrale, envahissante. En moi, la conscience humaine s’est confondue avec l’instinct animal ; je me souviens de tout, et je revis chaque existence en moi-même. Ainsi, lorsque je me souviens de la mémoire, elle se présente aussitôt à moi par ellemême : et lorsque je me souviens de l'oubli, et l'oubli et la mémoire se présentent aussitôt à moi, la mémoire qui fait que je me souviens et l'oubli dont je me souviens. Je me souviens de… ce dont ils se souviennent à propos… de moi qui me souviens. Je pense parce que je me souviens. Moi-même à tous moments je me souviens à peine Si je suis empereur, ou si je suis Romain.
Mais puisque tu le veux, puisque c’est toi qui viens Me faire souvenir, c’est bon, je me souviens ! Si vers le soir un triste orage Vient ternir l’éclat d’un beau jour, Je me souviens qu’à votre cour Le temps change encor davantage. Et je me souviens de l’éternité, des siècles morts, du siècle présent et vivant et du bruit qu’il fait. Ainsi dans cette immensité s’anéantit ma pensée et il m’est doux de faire naufrage dans cette mer. Je me souviens du monde réel Où j’ai vécu, il y a longtemps. J'ai une mauvaise mémoire des noms, mais je me souviens rarement d'un visage.
Je Me souviens d'avoir été homme. D'abord, avant tout, il faut que je Me remercie. Devant le ciel d'été, tiède et calmé, Je me souviens de toi comme d'un songe, Et mon regret fidèle aime et prolonge Les heures où j'étais aimé. Je me souviens de ce chagrin amer Tout aussi bien que s'il datait d'hier. Ne vous étonnez-vous point qu'au-delà du fleuve d'Oubli je me souviens encore de notre amitié, et que j'en conserve le souvenir en des lieux où vient faire naufrage la mémoire des hommes ? Mais je me souviens des choses que j'ai connues autrefois, du ciel, des arbres, des maisons, des vaches et de l'eau. Un jour, j'ai pleuré beaucoup, parce que tout était comme lorsqu'on a éteint la chandelle ; maintenant, il fait toujours nuit pour moi. Non, je me souviens plus que je ne voudrais les jours d'autrefois m'apparaissent souvent ce qu'ils ont eu d'aigu et d'énervant s'efface dans les profondeurs de la mémoire, pour ne me rappeler que les bons moments et le bonheur perdu. Je me souviens de t'avoir expliqué cela... Dans quelques heures, je vais être l'âme silencieuse d'un mort, d'un défunt, d'un trépassé. Je souffrirai peut-être beaucoup dans ce nouvel état et j'aurai besoin de tes prières. Je t'en supplie, ne me les refuse pas, car je n'aurais plus de voix, alors, pour te les demander !
Avec l'aimable et involontaire contribution de: André Chamson Adélard Lambert Aimé Césaire Alain Bosquet Alain Fournier Albert Camus Albert Cohen Alexandre Dumas père Alexeï Apoukhtine Alfred de Musset Poésies Alfred de Vigny Alfred Delvau Alfred Des Essarts Alfred Jarry Alphonse Allais Alphonse Daudet Alphonse de Lamartine Amédée Achard André Beaunier André Breton André Chénier André Gide André Pieyre de Mandiargues Anna de Noailles Antoine Volodine Anton Pavlovitch Tchekhov Arthur Conan Doyle Arthur Rimbaud Benjamin Biolay Bernardin de Saint-Pierre Bertold Brecht Blaise Cendrars Boris Vian Bram Stoker Charles Baudelaire Charles Bukowski Charles Cros Charles Dickens Charles Trénet Chevalier de Chatelain Christian Boltanski Claude Farrère Claude-Henri Fuzée de Voisenon
Colette Comtesse de Noailles Comtesse de Ségur Comtesse de Ségur Corneille Cyrano de Bergerac Daniel Darc Daniel Defoe Denis Diderot Dujardin Edgar Allan Poe Edith Piaf Edmond Rostand Cyrano de Bergerac Edouard Levé Émile Chevalier Émile Gaboriau Émile Nelligan Émile Verhaeren Emile Zola Emmanuel Bove Emmanuel Roblès Erckmann-Chatrian Ernest Choquette Eugène Fromentin Eugène Ionesco Eugène Sue Eugène Zamiatine Fédor Dostoïevski Félicien Champsaur Fénelon Francis Carco Francis Jammes Francis Scott Fitzgerald François Coppée François Mauriac François René de Chateaubriand Friedrich Nietzsche Friedrich Schiller Gaston Leroux George Sand Georges Bernanos Georges Duhamel Georges Rodenbach Gérard de Nerval Giacomo Leopardi Maxime Gorki Guillaume Apollinaire
Gustave Flaubert Guy de Maupassant Gyp Hector Malot Héloïse et Abailard Henri Barbusse Henri Michaux Henrik Ibsen Henry Becque Henry James Herbert George Wells Hervé Bazin Hervey de Saint-Denys Homère Honoré de Balzac Howard Phillips Lovecraft Irène Némirovsky Ivan Sergueïevitch Tourgueniev J. M. G. Le Clézio Jack London Jacques Roubaud Jacques Spitz James Joyce Jean Aicard Jean Aubert Loranger Jean Galmot Jean Giono Jean Giraudoux Jean Moréas Jean Racine Jean Richepin Jean Tardieu Jean-Jacques Rousseau Jean-Louis Murat Johann Wolfgang von Goethe Jonathan Swift Joseph Conrad Joseph Kessel Judith Gautier Jules Renard Jules Supervielle Jules Vallès Jules Verne Julien Gracq Juliette Greco Laurence Sterne Leconte de Lisle
Léon Bloy Léon Tolstoï Lesage Louis Aragon Madame de Sévigné Marcel Proust Marceline Desbordes-Valmore Marguerite Duras Marguerite Yourcenar Mary Wollstonecraft Shelley Maurice Barrès Maurice Blanchot Maurice Leblanc Maurice Maeterlinck Max du Veuzit Max Jacob Maxime Du Camp Michel Butor Michel Houellebecq Moliere Montesquieu Nicolas Boileau Octave Mirbeau Oscar Vladislas de Lubicz Milosz Oscar Wilde P.-J. Stahl Pablo Neruda Panaït Istrati Paul Bourget Paul Claudel Paul Claudel Paul Drouot Paul Féval Paul Gauguin Paul Verlaine Philippe Sollers Pierre de Marivaux Pierre Loti Pierre Louÿs Prosper Mérimée Raymond Queneau Remy de Gourmont René Barjavel René Bazin René Boylesve René Char René Crevel
René Daumal Renée Vivien Richard Brautigan Robert Desnos Roger Gau Romain Gary Romain Rolland Rudolph Erich Raspe & Gottfried August Bürger Rudyard Kipling Sacha Guitry Saint-Augustin Samuel Richardson Savinien de Cyrano de Bergerac Simone de Beauvoir Stefan Zweig Stendhal Stéphane Mallarmé Sully Prudhomme Théodore de Banville Théophile Gautier Thomas Mann Tristan Bernard Tristan Tzara Valère Novarina Vaucaire Victor Cherbuliez Victor Hugo Villiers de Lisle-Adam Voltaire W.C. Fields Walter Scott Wilkie Collins William Shakespeare Xavier de Montépin