John Thackara propose de mettre l’humain au coeur du design dorénavant, plutôt que la technologie comme jusqu’alors. C’est une belle assertion peut-être, donner forme aux choses pour leurs qualités d’échange avec nous et non pas pour leur auto-complication. Peutêtre aussi est-ce une fausse piste, que l’humain n’est pas un bon critère de design universel du monde car il est très exclusif et dominant, au détriment de toutes les surprises que pourraient apporter des préoccupations plus individuelles et factuelles. L’inattendu qui submerge avec intensité une toute petite partie de notre attention quand on s’apprête à commencer un bouquin, disparaît à la fin de la première phrase. La suite ne nous concerne plus, c’est au livre de faire le travail, on lui a offert notre volonté de le lire et il doit la transformer en envie. Mais tout ça n’existe pas à la lecture d’un simple texte volatile. Dans un journal, sur internet, les messages qui ne s’apparentent pas à une aventure de lecture ne nous attrapent pas de la même manière. Ils nous prennent par l’habitude, la facilité, ils nous prennent par la curiosité distraite, on les lit parce qu’on sait lire, comme on sait parler de nos soucis ou s’habiller. Ça nous plait, ça nous distrait, ça n’est pas important, c’est normal, et on ne peut pas vraiment s’en passer. À quelle catégorie allait appartenir In The Bubble, ce livre de John Thackara que je devait lire pour un cours d’architecture sur le thème des innovations sociales ?
le livre. Alors, cette première phrase sera-t-elle de celles-ci ? J’avais bien besoin de basculer dans le monde des mots parce que le titre ne m’évoquait rien… In The Bubble, Designing in a Complex World. Je n’aime pas le design. Il me fatigue. Donc j’ouvre le bouquin, et bonne surprise, la première phrase me happe ! « ‘’In the bubble’’ is a phrase used by air traffic controllers to describe their state of mind, among their glowing screens and flows of information, when they are in the flow and in control. Lucky them. » Je comprends vite que le design de Thackara n’est pas celui des objets ou matériaux, mais bien l’idée très large de mettre en place quelque chose, de lui donner forme. Et que tout ce qui nous entoure est le résultat d’autant de processus de design. Et que si on est dans un tel embarras historique, nous autres humains sur cette terre d’accueil éventrée, c’est que nos designers ont fait des bêtises. De la arrive l’idée très simple : « if we can design our way into difficulty, we can design our way out. »
Vautré dans la lecture je ne remarque pas ce que fait John Thackara dans mon dos. Je lis et j’apprends en même temps, il me raconte des histoires sur notre société technologique, il remarque ce qui ne va pas, et simplement il commence à ébaucher des pistes de réponses. Pas des mode d’emplois tout fait, des prédispositions, des manières d’aborder le design pour éviter de perpétuer la catastrophe.
Je l’avais en format PDF, sur mon ordinateur. Il avait donc l’envergure restreinte d’un simple texte, mais je savais bien que c’était un livre. Parfois, ce qui donne au livre son statut ce n’est pas tant l’objet, avec les pages, les couvertures, le poids, qui sont la personnalité du livre, mais la première phrase elle-même. Elle ne se contente pas de préparer le lecteur à lire, de le transformer en bouquineur, elle peut aussi créer
Que s’est-il vraiment passé ? J’ai lu… une réplétion de faits, un attroupement de connaissances rondes et bien façonnées, qui abreuvent le cerveau et bloquent la réflexion en le gorgeant d’idées empaquetées trop bien ficelés. On n’arrive plus à les démembrer, les sortir de leur contexte.
Je relève la tête pour boire mon thé et immédiatement mes pensées se réorganise autrement. Mince. en émergeant la tête dans le thé j’ai vu de quoi John parlait : le drame de notre époque. Je suis en train de lire un de ces livres qui dénoncent les horreurs de notre société, la terrible situation dans laquelle on est, notre fin proche. Un livre catastrophe. Je replonge la tête dans le livre et cette angoisse de notre époque disparait, les analyses simples et nouvelles reprennent la place, légères. Voilà ce qui ne va pas, et voilà pourquoi. On est à deux doigts de savoir quoi faire alors. Je continue à lire avec espoir. En vain, malheureusement. Bon peu importe me dis-je une fois finit, je sais au moins ce qui ne vas pas, et pourquoi. Me voilà empli de nouvelles connaissances. Je suis un être satisfait.
Au commencement John s’est posé deux questions. Where do we want to be ? And how do we get there ? Ces questions sont simples, et ce qui est mieux encore c’est que John n’y répond pas. C’est bien, en effet, parce qu’il raconte plutôt comment se comporter pour ne pas provoquer du néfaste. C’est mieux, ça laisse plus de choix possibles, d’ouvertures nouvelles, plutôt que de prédéfinir ce qui est bon et de tenter de l’atteindre en oubliant tout ce à quoi on n’avait pas pensé. Cette bonne surprise ne dure pas car en fait John ne propose pas d’idées. Pour faire ça il faudrait prendre parti philosophiquement et pratiquement un peu plus. Mais John thackara n’a pas envie, il a déjà trop à faire avec toute une connaissance à brasser et transmettre. John Thackara tu énonces une multitudes de connaissances qui prennent constamment la forme d’idées, des idées pour décrire des phénomènes, des idées pour mieux formuler dans des phrases prêtes à emporter. Mais je ne peux pas savoir si tes idées sont intéressantes à lire, John, car tes idées aujourd’hui sont des évidences communes. Gage de leur validité ? Ou au contraire de leur simplicité ?
In the Bubble Designing in a complex world - John Thackara
less stuff and more people