Né le 27 avril 1935, Lloyd Kahn est une figure de la culture alternative. À la fin des années 1950 Kahn dirige Le Journal de l’Aviation (USAF) pendant deux ans, alors qu’il sert dans l’Armée de l’Air des États-Unis. De retour en Californie en 1960 il travaille un temps comme courtier d’assurance, avant de se convertir en charpentier, forgeant ainsi son expérience de la construction. Persuadé du rôle important que doit jouer l’auto-construction dans l’avenir, il devient l’un des pionniers de l’auto-construction et de la construction écologique. Il se construit ainsi sa propre maison avec du bois de récupération. Influencé par Buckminster Fuller, il s’adonne dès 1968 à des expériences de construction de dômes géodésiques. En 1970, Kahn a publié son premier livre, Domebook One, suivi l’année suivante de Domebook 2. Constatant finalement à la fin de l’année 1972, que le dôme n’est pas l’habitat le mieux adapté, il se lance dans la recherche d’autres techniques de construction d’habitat à travers les USA, l’Irlande et l’Angleterre, et publie en 1973 l’ouvrage Shelter, aux éditions Shelter Publications dont Lloyd Kahn est le rédacteur en chef, publications spécialisées sur les ouvrages de construction et d’architecture, ainsi que sur la santé et le sport.
Riche de plus d’un millier de photographies, Shelter de Lloyd Kahn est un ouvrage grand format (38,5 cm x 28,5 cm) de cent soixante-seize pages présentant différents types d’abris et d’architecture vernaculaire dans toute leur variété. Il remporte un grand succès lors de sa sortie, les mouvements contre-culturels nord-américains atteignant leur apogée à la fin des années 1960, en pleine crise du pétrole. Véritable répertoire d’architecture vernaculaire, l’ouvrage fait également office de manuel d’auto-construction, prônant l’autosuffisance comme forme de vie alternative en résistance au capitalisme. Kahn nous explique ainsi : « Ce livre […] veut poser les bases d’une nouvelle société. Dans les temps à venir, notre tâche sera de réaliser des rapports harmonieux entre les techniques du passé qui sont encore utilisables et les inventions du Xxè qui sont acceptables ». Les habitats décrits sont simples, construits à partir de matériaux naturels et d’énergie humaine.
La première partie du livre tente de retracer l’évolution des habitats vernaculaires, des origines à nos jours, d’articuler et de comprendre des concepts culturels s’appliquant à la structure de l’habitat.
Les différents types d’habitat traditionnel sont classés selon l’approche architecturale : creuser dans la masse : creuser dans le roc par extraction de matière (ex : les cônes de Cappadoce, dans le centre de la Turquie) ; édifier : troncs et branches servant de structure grâce au nattage, ou briques de terre séchées pour l’Habitat africain, ainsi les tribus Dogons (près de Tombouctou) construisant à même le roc. Aux éléments techniques de construction des huttes de l’âge de fer, se succèdent un catalogue des principaux types de tentes Touareg (tentes en peaux ou en nattes) et les différentes étapes de leur montage. Dans certaines régions sont mis au point différents types d’habitat traditionnel, exemple en est des tribus berbères et arabes d’Afrique du Nord : abris tendus (tentes légères en peau de chameau), abris creusés (cavernes troglodytes du sud de la Tunisie), abris construits (Ksars du sud du Maroc).
L’énergie humaine est beaucoup plus propre que l’énergie mécanique». Shelter insiste ainsi sur l’importance de la récupération de matériaux et de l’utilisation de matériaux locaux, exigeant moins de transport et de transformation. Ainsi Drop City, première communauté hippie en Amérique (Colorado), fut totalement auto-construite.
Shelter s’intéresse également à l’histoire des charpentes, des charpentes primitives anglo-saxonnes aux charpentes anglaises du Moyen-Age, ou encore s’attache à présenter des constructions en bois très anciennes, de Norvège, ou encore du Nord de la Russie (églises, huttes, greniers), comme l’Église de la Transfiguration.
L’histoire du développement de l’auto-construction lors de la colonisation du Nouveau Monde est ensuite retracée. La plupart des Européens qui émigrèrent en Amérique au XVIIè siècle venaient du sud-est de l’Angleterre, ce qui explique la ressemblance des premières constructions coloniales (structure classique, assemblage de piliers et de poutres complété par un clayonnage recouvert de boue et d’argile). Le premier village de colons fut établi à Princetown, dans le Cap Cod. Les colons européens qui traversèrent le Missouri se servirent de mottes d’herbe comme matériau, à l’instar des tribus indiennes autochtones Omaha et Pawnee qui vivaient dans des huttes de terre circulaires. Vers 1850 une méthode originale se développa : le balloon framing, montants de cloison cloués et fixés sur la charpente, rendue possible par la fabrication de clous à la machine. Une seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux éléments techniques et conseils d’auto-construction : élaboration de fondations et parquets, constitution de sols (en terre, en ciment), fabrication de portes, lucarnes et fenêtres etc... Les qualités et caractéristiques de différents matériaux naturels sont décrits, car comme le souligne Lloyd Kahn : « La partie la plus importante de la construction d’une maison réside dans le choix des matériaux à utiliser». Ainsi pour le matériaux bois par exemple, sont développés la structure du bois, les différences entre bois tendres et bois durs, sa teneur en humidité, sa densité, le bois à choisir pour tel ou tel type de structure. « Le travail manuel est la base de toute construction, du moins pour les structures simples et de taille réduite.
Un chapitre est également consacré aux maisons mobiles avec de nombreux conseils de mise en œuvre, ainsi que des exemples décrits. Ce type d’habitat présenterait un grand nombre d’avantages : - pare-brise + fenêtres pouvant offrir un champ visuel de 360° - mobilité - durabilité (un cars en aluminium ne connaît pas la rouille), moins de risque d’incendie et de dégâts causés par un possible tremblement de terre ou affaissement de terrain. - Conditions de chauffage optimales - Ventilation facilitée - Entretien et nettoyage réduit au minimum, du fait de la surface très réduite Lloyd Kahn consacre également une partie de l’ouvrage à ses expériences concernant la construction de dômes géodésiques. Le premier dôme géodésique a été construit en 1922 (structure légère, montants en acier, couverture en ciment pâteux) à Jena (Allemagne) d’après les travaux de Walter Bauersfeld et Richard Buckminster Fuller, avec pour objectif de recevoir un grand nombre de personnes et d’avoir la possibilité de projeter le mouvement des planètes et des étoiles. Les expériences de Lloyd Kahn et Steve Baer sur la construction de dômes et zomes sont analysées (Pacific High School, dômes d’Ananda, Red Rockers), présentant les échecs, les écueils à éviter, ainsi que les différentes structures de dômes, et les matériaux à utiliser (bois, toile de jute (dôme de Bernard Maybeck), mousse de polyuréthane, fibre de verre). L’auteur revient sur ses expériences dont il ressort frustré, pour insister sur le fait que les auto-constructeurs doivent avant tout s’inspirer de ce qui a déjà été fait, sans doute la visée première de Shelter. L’ouvrage est construit comme un collage de textes et d’images hétéroclites, tel un scrapbook, et la construction du livre peut apparaître parfois désordonnée. Mais le fait que soient ainsi juxtaposés histoire, éléments techniques de construction et récits d’expériences d’auto-construction permet de mêler l’expérience architecturale et l’expérience de vie.
Shelter- Lloyd Kahn
Architecture vernaculaire