Débutant à la fin des années 50 aux États-Unis sur un fond de protestation contre la ségrégation, la guerre menée au Vietnam et plus largement contre le mode de vie nord-américain, un mouvement contestataire renverse un temps l’image que les États-Unis ont auprès des intellectuels européens. Caroline Maniaque, titulaire d’un doctorat en architecture (Université Paris VIII), est architecte et historienne de l’art. Elle est maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture ParisMalaquais où elle enseigne l’histoire et la culture architecturale. Elle est également chercheur au laboratoire Ipraus. Ses recherches et publications ont trait, d’une part, à la culture architecturale savante des années cinquante et, d’autre part, à la culture alternative nord-américaine des années soixante et son impact en Europe. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les États-Unis triomphants sont l’incarnation d’un capitalisme puissant et orienté vers l’avenir. Les voyageurs européens en Amérique sont en quête d’une préfiguration du futur et vont explorer les performances technologiques d’un idéal qui est en train d’englober le monde, l’américanisme. Un dialogue culturelle se met en place, mais au cours des années 60, les voyageurs commence à importer une américanisation à double sens, car l’attitude des français est plus complexe : fascinés d’une part par la pop culture américaine, la politique gaulliste les marque en même temps d’un antiaméricanisme caractéristique. La guerre du Vietnam y constitue la toile de fond politique et sociétale des critiques sur les bienfaits des secteurs de pointe, qui provoque des déplacements de population vers la Sun Belt, sud et ouest des Etats-Unis. Le système universitaire américain est secoué par des révoltes depuis 1964, nourrissant un contexte empreint « d’un transfert progressif du pouvoir de l’individu à l’appareil technologique, d’un travail vivant à un travail mort, d’une machine à tout un système mécanisé ». Marcuse.
Une Amérique double est en alors en train de se faire absorbé par la France et l’Europe, vectorisée par les médias et la culture, l’impérialisme raciste d’un coté et Jack Kerouac, Martin Luther King et Bob Dylan de l’autre.
Agnes varda sera une des pionnière dans ce travail de diffusion, à travers ses premiers documentaires sur la ville de Sausalito, donne un premier visage à celles de communautés qui font cet autre choix, celui de vivre dans des maisons barges , ou dans des dômes géodésiques construits avec des matériaux de récupération à Drop City. les jeunes architectes sont attirées par ces architectures marginales qui confèrent un sens à leur réalité en détournant les déchets et les rebuts de la société. Les dômes de Steve Bear sont copiés dans tout le pays et sont empreints de cette sensibilité écologique sans être antitechnologiques, inspirés par les structures de l’inventeur Buckminster Fuller. Les jeunes architectes européens sont attirés par ce retour au travail manuel, à la chose construire, contrairement au canons des beaux arts, et l’émancipation face aux dépendances créées par une société de consommation en pleine essor. Faire l’expérience du voyage au Colorado et au Nouveau-Mexique prend des formes de pèlerinage.
La diffusion des articles et revues françaises passe par le suces d’Architectures without architects et de la construction de la notion d’architecture spontanée, qui exercent l’œil à voir autre chose que le canon moderne. Arquitectural Design sera un pionner dans la représentation de la contre culture en Angleterre. Elle est une des premières a présenter les communautés de Libre au Colorado ou de la Lama Foundation au Nouveau-Mexique, toutes deux riches de structures originales, ou le mode de vie y est raconter sans détour. Le Whole earth catalog sera un des outil de diffusion les plus important aux États-Unis : il présente simultanément des outils et des objets traditionnels mais efficaces et des outils hautement technologiques comme les ordinateurs. La revue est marquée par l’impact médiatique des images en couleur de la Terre d’Apollo 8 et contribue au développement du mouvement environnementaliste. L’individu y est mis en avant, les lecteurs sont invités à participer aux choix et à l’évaluation des contenus. Le Dome cookbook de Steve Bear et le Inflatocookbook du collectif Antfarm sont vendus 1 dollars pièce et produisent eux mêmes les éléments présentés vendus par correspondance. La dimension communautaire définit les publications : elle n’est plus marginale mais fait aussi société par l’utilisation inédite du feed back. Les techniques de communication développées par la culture underground sont représentées : bande dessinées, caricatures, effets psychédéliques.
En France, La face cachée du Soleil, dont les protagonistes sont Frédéric Nicolas, Marc Vaye et JeanPierre Traisnel réutilise les principes de fusion avec l’imagerie populaire. Il est imprimé pour la première fois dans le cadre du projet de fin d’étude d’étudiants à l’imprimerie des Beaux arts. Elle revendique l’utilisation de l’énergie solaire tout en utilisant les outils de communication underground.
Écriture manuscrite, aspect artisanal, non professionnel la définissent. Suivront le magazine Habitats et Le Catalogue des ressources: prônant l’auto construction et le Do it yourself. Le succès parallèle de Shelter est un indicateur de l’emprise du phénomène dans l’hexagone qui prend une nouvelle épaisseur avec le choc pétrolier de 1973. On insistera sur les « différence administrative et réglementaire qui ne permettront pas une diffusion construite efficiente en France. » Jean Soum. La démocratisation des cultures populaires, la prise de conscience pour les jeunes architectes et les enseignants que l’architecte n’est pas seulement un bâtisseur mais aussi un citoyen capable de partager son savoir de spécialiste et de le rendre au grand public change les mentalités. Le goût de construire et le besoin de transversalité des savoirs se positionnent en rupture avec une production architecturale de type capitaliste internationale, et au cours des années 70 se mettent en place progressivement des structures de recherches au sein des écoles. Entre 75 et 78, environ 10 pour 100 des thématiques choisies par les étudiants pour leur diplôme concernera le confort thermique et les économies d’énergies. Le mouvement de la contre-culture, une vrai révolution qui témoigne d’une réaction à la fois contre le capitalisme, contre la ville, contre la high tech américaine et contre l’institution même de l’architecture. Ce courant s’est efforcé de changer la nature de l’architecture, et si dès les années 80 des facteurs politiques, culturels et économiques vont éroder la contre-culture nord-américaine, l’architecture alternative aura une résonance prolongée, jusqu’à parvenir à imposer des réflexions et des comportements qui sembles désormais incontournables, des thèmes comme les énergies renouvelables, , les maisons autonomes, le réemploi, aujourd’hui évidents.
GO WEST - Caroline Maniaque
Architectes de la contre-culture