Les cahiers de L’ADAPT #171 - 1er semestre 2013
2013
année citoyenne pour tous ?
L’ADAPT - Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées
L'ADAPT
en chiffres Dans le cadre de ses activités sanitaires, sociales et médico-sociales, L’ADAPT prodigue soins et rééducation et propose orientation, formation et aide à l’insertion professionnelle à chacun de ses bénéficiaires.
12 000
personnes accueillies.
2 500
La mission qu’elle mène depuis plus de 80 ans : accompagner la personne handicapée dans son combat ordinaire, celui de sa vie quotidienne, pour que tous, nous puissions “Vivre ensemble, égaux et différents”.
salariés dont
9,45% de travailleurs handicapés.
scolariser
former
services scolaires, professionnels, sociaux, culturels accompagnent 1400 personnes.
établissements et services accueillent 800 enfants.
sites de formation professionnelle forment près de 4 300 stagiaires.
49
En 2012, L’ADAPT a organisé pendant la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, des forums emploi/handicap, des Jobdatings© et des Handicafés© permettant à 9 000 candidats de rencontrer 2 500 recruteurs.
1 400 24
accompagner
15
soigner
insérer
établissements de soins de suite et de réadaptation rééduquent 3 900 patients.
ESAT dont 15 Hors-les-murs permettent à 1 100 personnes de travailler.
1 1
17
26
adhérents
postes d’administrateurs
Le Réseau des Réussites, pour parrainer bénévolement un travailleur handicapé dans sa recherche d’emploi :
29
Comités des Réussites,
300
parrains bénévoles,
440
personnes parrainées
1997 : Création de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées 2003 : Organisation des Etats généraux de la citoyenneté des personnes handicapées 2004 : Création des Jobdatings© et des Trophées handicap et citoyenneté 2007 : Création des Handicafés© 2009 : Conférence “La place du secteur associatif dans la conception des politiques sanitaires et sociales” lors des 80 ans de L'ADAPT 2011 : Colloque “Emploi et handicap : la question d'une seule semaine ?” à l’occasion de la 15e Semaine pour l’emploi des personnes handicapées 2012 : Conférence “Préparer l'avenir des jeunes avec les jeunes !”, suivie d'un cycle de conférences en région en 2013
P2
SOMMAIRE
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EDITORIAL
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TRIBUNE DE MARIE-ARLETTE CARLOTTI
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2013, ANNÉE CITOYENNE POUR TOUS ?
P30
P14
Environnement, vers l’accessibilité universelle
P16
Scolarisation, la même école pour tous !
P18
La formation, pilier de l’insertion professionnelle
P20
Accompagnement, insertion, intégration : le pari de l’emploi
P22
La culture et le sport, vecteurs d’intégration
P24
Logement, vivre comme les autres
P26
Les droits en institution
P28
Vie affective, sexualité, parentalité : des droits, mais pas encore d’acquis
GLOSSAIRE
LES CAHIERS DE L'ADAPT #171
P3
ILS ONT PARTICIPÉ À CE DOSSIER, NOUS LES EN REMERCIONS... Par ordre d'intervention : > Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion > Eric Blanchet, directeur général de L’ADAPT > Joël Héloir, président de la commission mixte citoyenneté et administrateur de L’ADAPT > Maryvonne Lyazid, adjointe du défenseur des droits chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité > Marie-Anne Montchamps, ancienne ministre, présidente d’entreprises et handicap > Martine Carrillon-Couvreur, présidente du CNCPH > Morgan Dubois, élève de l’IEM de Cambrai, L'ADAPT/Nord > Jacques Godfroy, directeur territorial L'ADAPT Centre > Ghislaine Mauclert, directrice de L’ADAPT/Paris enfants > Farah Ayari, chargée d’insertion à L’ADAPT/Essonne, passerelle bleue > Kevin Boucq, apprenti suivi par la passerelle bleue > Emmanuel Ronot, directeur territorial L'ADAPT Grand Est et organisateur du festival Handyart > Nathalie Paris, directrice de L’ADAPT/Rhône > Stéphane Forgeron, administrateur de L’ADAPT et président du club des jeunes cadres handicapés > Thierry Gallot, directeur de L’ADAPT/Haute-Normandie insertion > Frédéric Bretton, délégué du Comité des Réussites de Charente-Maritime
> Nelly Guillemet, parrainée du Réseau des Réussites > Sophie Aboudaram, directrice de L’ADAPT/Var > Frédéric Crouzilles, éducateur sportif à l’IEM de Cambrai > Hélène Lechenard, pilote des journées particulières de L’ADAPT/Drôme-Ardèche > Norbert Paul, patient de L’ADAPT/Drôme-Ardèche > Brigitte Lerot, directrice de L’ADAPT/Val-d’Oise pôle hébergement et accompagnement adultes > Christophe et Nathalie, résidents dans un studio du foyer d’hébergement de L’ADAPT/Mayenne > Johanne Kerloch, directrice de la qualité et de la relation aux usagers de L’ADAPT > Céline Ferrand, chargée de soutien L’ADAPT/Mayenne > Isabelle Roy, présidente du CVS de L’ADAPT/Cher > Véronique, jeune maman suivie par L’ADAPT/Haute-Normandie insertion > Muriel Pequery, adjointe de direction à L’ADAPT/HauteNormandie insertion > Pascale Ribes, présidente de l’association CH(o)SE > Fabrice Chanut, co-auteur de la série Vestiaires de France 2 > Jean-Marc Maillet-Contoz, créateur du salon Urbaccess, fondateur du magazine Handirect, administrateur de L’ADAPT et membre de la commission accessibilité du CNCPH > Thierry Delerce, directeur territorial Rhône-Alpes/Auvergne/ Limousin > Joël Roman, philosophe
TOUS NOS REMERCIEMENTS ÉGALEMENT AUX MEMBRES DE LA COMMISSION CITOYENNETÉ Estelle Bernard-Pageot, Estelle Boureau, Sophie Cabanes, Delphine Diot, Régine Eon, Michelle Joyaux, Johanne Kerloch’, Alice Lambert, Agnès Lecas, Muriel Pequery, Audrey Relandeau, Rémi Bellois, Jean Loup Coulon, Patrick Farfal, Stéphane Forgeron, Joël Heloir, Marc Labaye, Dominique Le Douce, Bruno Ledru, Marc Loubet, François Mancy, Franck Michel, Gérard Petit, Michel Rebillon, Joël Roman, Emmanuel Ronot.
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{ Éditorial Emmanuel Constans { président de L'ADAPT
« NOTRE VOLONTÉ D'AGIR EST INTACTE »
La citoyenneté a toujours été au cœur des préoccupations et des missions de L'ADAPT. Depuis maintenant 80 ans, toutes nos actions sont orientées vers l'accès à une citoyenneté pleine et entière pour les personnes handicapées. Sur le terrain de la scolarisation et de la formation, de l'emploi comme de la participation sociale ou de l’accessibilité nous avons toujours été à l’avant-garde des combats pour la reconnaissance des droits et la lutte contre les discriminations. De cette exigence démocratique était née en 2003 une initiative, celle d’organiser des États généraux de la citoyenneté des personnes handicapées à la mairie de Paris. Il s’agissait alors pour nous d’attirer l’attention sur les incohérences législatives ou les carences dans les dispositifs d’accompagnement, d’identifier les obstacles à franchir mais aussi de contribuer à faire connaître les bonnes pratiques et les projets innovants, de lancer des pistes de réflexion et d’être une force de proposition vis-à-vis des pouvoirs publics. Dix ans plus tard, notre volonté d’agir est intacte. Pour cette raison, dans le contexte de l’année européenne de la citoyenneté, nous avons décidé de refaire un état des lieux des sujets qui touchent aux droits et libertés fondamentales des personnes handicapées. C’est tout d'abord l’ambition de ces Cahiers de L’ADAPT entièrement dédiés à la citoyenneté et aux thématiques qui la nourrissent et la
fondent au quotidien. C’est également le sens de la mise en place au sein de L’ADAPT d'une commission mixte “citoyenneté et vie associative" faisant écho à notre projet associatif 2011-2015 “Vivre ensemble égaux et différents” La vocation de la commission est double : d'une part permettre d'engager une réflexion sur nos propres pratiques pour que chacune de nos actions soit le plus en cohérence possible avec les valeurs que nous défendons au quotidien. D'autre part, dresser un bilan des avancées sur tous les terrains abordés lors des États généraux de 2003, identifier les défis qui restent à relever et être en capacité de proposer des solutions concrètes. Pour nourrir cette réflexion sur la citoyenneté nous mettons en place un “baromètre de la citoyenneté” en partenariat avec Opinion Way. Tous les ans, le regard de nos concitoyens et de nos élus locaux à l’égard du handicap sera ainsi questionné. Profitant de la pluralité de nos engagements et de la dimension transversale de nos actions dans le champ du handicap, nous avons à cœur d'endosser ce rôle de courroie de transmission entre les différents secteurs de l'action sociale et de constituer un forum permanent pour que les pouvoirs publics promeuvent une politique publique du handicap ambitieuse et volontariste.
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{ Tribune Marie-Arlette Carlotti { ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
« L’histoire de notre pays a conduit à ce que la Nation, l’Etat et la République se confondent. C’est dans ce cadre tout à fait singulier que se déploie la citoyenneté en France. Cette histoire fait de la qualité de citoyen la pierre angulaire de l’intégration et de la cohésion. Il est donc primordial, comme le fait L’ADAPT, de s’interroger sur l’actualité de la notion de citoyenneté et plus spécifiquement sur les conditions de son exercice par les personnes handicapées. L’origine républicaine de la citoyenneté exige toujours davantage d’égalité. Or, les personnes handicapées sont manifestement discriminées, qu’il s’agisse d’éducation, d’emploi ou d’accès aux lieux publics. Cette relégation citoyenne de milliers de personnes affaiblit la République et affaiblit la France. Exclure, c’est s’amputer. C’est se priver d’énergies et d’intelligences précieuses. C’est pourquoi ce gouvernement a fait le choix de la solidarité et de la cohésion. Concernant les personnes handicapées, cela s’est traduit dès le début du mandat par une circulaire du premier ministre indiquant que chaque projet de loi devait comporter un “volet handicap”. Ce fut ensuite le vote du budget. Un budget qui répondait à la nécessité de désendetter notre Etat pour qu’il préserve sa souveraineté, mais un budget qui voulait aussi protéger et soutenir ceux qui en avaient le plus besoin. Ces deux actes ont permis de poser les fondations d’une politique du handicap ambitieuse. Une politique dont l’horizon est précisément l’intégration des personnes handicapées dans tous les domaines de
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l’existence sociale, c’est-à-dire l’accès à une citoyenneté pleine et accomplie. Ainsi la situation des personnes handicapées a été pleinement prise en compte dans la mise en œuvre des priorités du gouvernement que sont l’emploi et l’éducation. Pour améliorer la scolarisation des enfants handicapés, nous avons recruté 1 500 auxiliaires de vie scolaire supplémentaires. J’ai souhaité par ailleurs engager une réflexion sur la professionnalisation de ces auxiliaires et plus généralement des accompagnants. Pour ce qui relève de l’emploi, nous avons prévu des dispositions particulières aux emplois d’avenir et aux contrats de génération afin de faciliter l’insertion et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés. Ces deux sujets, comme celui de la formation professionnelle et du respect des “6%”, seront au cœur de la négociation interprofessionnelle que nous voulons initier avec Michel Sapin à l’automne prochain. Je salue ici les initiatives de L'ADAPT pour l’emploi, notamment la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées, manifestation exemplaire en matière de sensibilisation. Nous allons engager une nouvelle étape décisive pour la politique du handicap en France avec la tenue d’un comité interministériel du handicap en juin. L’éducation, l’emploi mais aussi toutes les autres dimensions de la citoyenneté seront mises sur la table. Nous le ferons car la justice est notre valeur cardinale, et que, pour paraphraser Jean Jaurès, la justice, c’est la citoyenneté jusqu’au bout. »
2013
ANNテ右 CITOYENNE POUR TOUS ?
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2013
ANNÉE CITOYENNE POUR TOUS ? 2013 est l'année européenne des droits des citoyens. Sera-t-elle également l'année d'une citoyenneté partagée par tous ? Malgré la proclamation d'une égalité de droit formelle pour les personnes en situation de handicap, l'exercice de ces droits rencontre au quotidien des obstacles qu'il convient de désigner et de surmonter. Les avancées législatives en faveur de la reconnaissance et de la compensation de ces inégalités de fait sont réelles, mais nécessitent d'être mises en œuvre de manière plus volontariste. De ces efforts pourra émerger une société plus inclusive et une conception de la citoyenneté ouverte à toutes les différences. La citoyenneté désigne un type particulier de lien social et politique qui unit des individus dans une communauté. Être citoyen, c'est partager avec d'autres certains droits et devoirs, être prêt à les exercer en dépassant ses différences (individuelles, sociales, ethniques ou géographiques) pour participer à la vie de la Cité et façonner ensemble un destin commun. Pourtant, comme le rappelle le philosophe Joël Roman, « la participation est importante mais elle n’est pas une condition préalable à la citoyenneté. C'est d'abord l'appartenance à un collectif humain qui fonde la citoyenneté et il faut rappeler et maintenir ce principe inclusif inconditionnel et fondamental. En insistant trop sur la dimension participative, on prend le risque d'en faire un préalable et de négliger certaines franges de la population qui, pour une raison ou pour une autre, ne souhaitent pas ou ne peuvent pas s'intéresser à la chose publique. Or ces personnes sont citoyens de droit, même si la citoyenneté est parfois empêchée ou plus difficile à mettre en œuvre. »
LA PARTICIPATION SOCIALE,LA CONDITION ? Ne pas faire de la participation sociale un préalable à la citoyenneté ne revient pas, pour autant, à ne pas l'encourager ou en favoriser l'exercice lorsque celle-ci est désirée par les personnes concernées. Être citoyen, c'est donc aussi savoir faire preuve d'une certaine qualité de vigilance, non seulement pour la défense de ses propres droits et l’accomplissement de ses propres devoirs, mais aussi pour ceux dont les droits ne sont pas toujours reconnus ou appliqués. Car derrière l'inclusion >> P8
« Notre association ne s'interdit rien » ERIC BLANCHET, directeur général de L’ADAPT « Plus qu'un simple concept, la citoyenneté est le rassembleur de nos individualités. Elle permet à tous de participer à l'évolution de nos sociétés. Quelle plus belle reconnaissance que d'être égaux et différents dans une communauté de valeurs assises sur la bienveillance ? L'ADAPT, depuis sa création, œuvre pour que cet objectif devienne réalité en osant aborder tous les sujets qui nous font "femmes et hommes". Ainsi en 2012 et 2013 de nouveaux thèmes émergent audelà des thématiques plus habituelles de l'accès aux soins, à l'école, au logement, au sport… Les questionnements liés à l'accès à la culture, à la vie affective, à l'engagement politique, au désir d'enfant, au droit à une vie sexuelle sont aussi débattus. Des Café des Réussites (Vie affective et sexuelle à Pantin), des colloques (Parentalité et désir d'enfant en Normandie par exemple) ou encore des manifestations culturelles telles que Handy'art dans le Nord et en Bourgogne se multiplient dans les territoires… Notre association ne s'interdit rien, tant que cela reste dans l’esprit de son projet associatif et dans le respect des personnes. »
Interview
La citoyenneté, une valeur centrale de notre projet associatif” JOËL HÉLOIR, administrateur et président de la commission « citoyenneté et vie associative* » de L'ADAPT Quelle est la définition de la citoyenneté selon L'ADAPT ? La pleine et entière citoyenneté est, au même titre que la solidarité active, l'autonomie responsable et l'innovation ou la liberté d'action, une valeur centrale de notre projet associatif. L'association fait siens les grands principes issus de la Déclaration universelle des droits de l'Homme ainsi que ceux de la CIDPH et mène des actions de manière à ce que toutes les personnes en situation de handicap puissent exercer leurs droits et jouer un rôle actif dans la société. C'est tout le sens de notre démarche associative : permettre à tous et toutes de « Vivre ensemble, égaux et différents ». Quelle déclinaison concrète ? Pour cette raison, L'ADAPT insiste particulièrement sur certaines valeurs directrices et comportements qui nous semblent fondamentaux au regard de la question du handicap. Il y a bien sûr l'exigence d'égalité, qui doit toujours guider notre action, mais également la nécessité d'une bienveillance et d'une attention constante à l'autre dans
sa singularité. Prendre en compte les personnes dans ce qu'elles ont d'unique, mais également aller plus loin, en les accompagnant sur le chemin de l'insertion et de l'autonomie pour que l'égalité des droits revête un sens réel : qu'il s'agisse du travail, de l'école et de la formation, de la vie familiale ou des questions d'accessibilité universelle, nous souhaitons promouvoir au maximum, pour chacun et chacune, la capacité à l'auto-détermination dans ses choix de vie. A terme, comment la déployer ? Cette démarche d'accompagnement implique la promotion de la solidarité et de l'entraide, à la fois au sein de l'association mais également à tous les échelons de la vie sociale, car une société plus inclusive est également une société plus solidaire. C'est avec ces responsabilités en tête, et avec un souci permanent de faire coïncider ces valeurs éthiques avec nos pratiques quotidiennes, que nous menons notre action.
Les huit grands principes de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées de l'ONU (CIDPH) > La
dignité intrinsèque de tout être humain, qui passe par le fait d'assurer aux personnes handicapées la possibilité d'être autonomes et d'avoir une liberté de choix, notamment dans leur vie privée et familiale, > l’interdiction de toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui aurait pour effet de limiter l'accès aux droits de l'Homme, > la participation pleine et effective des personnes, > le respect de la différence, > l'égalité des chances quitte à recourir à la mise en œuvre d'actions positives (mesure préférentielles temporaires) et de « mesures d'aménagement raisonnables » (mesures matérielles spécifiques) pour rattraper le retard pris dans de nombreuses sphères de la vie sociale (éducation, travail, etc.), > l'accessibilité pour tous rappelle aux États leur devoir de lutter contre les barrières à la participation, tant dans l'environnement physique que sur les enjeux d'information ou de communication, > l'intérêt supérieur de l'enfant, > l'égalité hommes-femmes.
*à lire sur www.ladapt.net, le texte fondateur de L'ADAPT sur la citoyenneté
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>> universelle de principe, des formes d'exclusion de certaines catégories de la population ont longtemps existé et à certains égards demeurent aujourd'hui. L'égalité théorique des droits ne doit pas faire oublier un autre niveau de réalité, ancré celuilà dans la réalité sociale, qui rend l'exercice des droits parfois impossible. Quelle valeur accorder par exemple aux principes du droit à l'éducation ou à la libre circulation dans son pays, énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme, quand les structures d'accueil scolaires demeurent inadaptées ou les modes de transport inaccessibles à certaines formes de handicap ? Ce type d'exemples nous rappelle à la nécessité de donner une existence concrète à ces droits sous peine de les voir demeurer des slogans sans ancrage dans le réel. C'est de ce constat, et de la mobilisation constante des associations spécialisées dans le handicap, que sont nées les premières avancées juridiques et leurs traductions politiques pour atteindre la pleine et entière citoyenneté des personnes en situation de handicap.
« Faire évoluer significativement les pratiques » MARYVONNE LYAZID, adjointe du défenseur des droits chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité
« Le défenseur des droits se charge notamment du respect et de la promotion de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, en lien avec le CNCPH et la CNCDH. En 2011, 20% des saisines du défenseur des droits concernaient le critère du handicap, surtout en lien avec l'emploi mais également pour l'accès aux biens et aux services (accessibilité du bâti, logement, transports, crédits et assurances, etc.). A partir d'une seule saisine, le défenseur des droits peut approfondir certains sujets et faire évoluer significativement les pratiques. Par exemple, deux saisines pour des refus d'accès aux activités périscolaires à des enfants en situation de handicap ont donné lieu à une recommandation aux ministères concernés en novembre 2011, afin qu'ils adaptent les dispositions législatives et réglementaires existantes sur les conditions de prise en charge dans les structures périscolaires. Il est donc important que les citoyens connaissent leurs droits et n'hésitent pas à faire appel à nous s'ils sont victimes ou témoins de discriminations prohibées par la loi. » P10
DES DROITS GARANTIS ET RÉAFFIRMÉS Si la politique européenne a permis une avancée notable dans le principe de non-discrimination vis-à-vis des personnes handicapées, notamment avec le Traité d'Amsterdam (1997) ou la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne (2000), la conquête juridique majeure de ces vingt dernières années pour les personnes en situation de handicap reste la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées de l'ONU (CIDPH) de 2006. Celle-ci ambitionne de « promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l'Homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque ». Ratifiée par plus de 75 pays à ce jour, dont la France le 20 mars 2010, cette convention ne crée pas de nouveaux droits en tant que tels mais a pour objectif de permettre aux personnes handicapées de jouir des mêmes droits que les autres. Pour ce faire, elle impose la mise en conformité des droits internes aux pays l'ayant ratifiée avec les grands principes qu'elle énonce (cf. encadré page 8). Déclinés et précisés dans l'ensemble des articles de la Convention, ces huit grands principes s’inspirent de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Ainsi, la CIDPH contribue-t-elle de manière significative à la réaffirmation des principes fondateurs de la citoyenneté pour les personnes handicapées et à leur traduction dans les législations nationales. D'une part en reconnaissant que la personne handicapée est un sujet de droit et en réaffirmant avec force le caractère universel, indivisible, interdépendant et indissociable de tous ses droits et libertés. D'autre part en redéfinissant le principe de nondiscrimination par la promotion de traitements différentiels et de politiques de compensations nécessaires, au moins temporairement, pour lutter contre les barrières à l'égalité réelle. Sans proposer une définition juridiquement contraignante du handicap aux États signataires, la CIDPH reconnaît néanmoins que le handicap résulte >>
{ 2013, ANNÉE CITOYENNE POUR TOUS ?
« La loi du 11 février affirme la pleine citoyenneté de nos compatriotes handicapés » MARIE-ANNE MONTCHAMP, ancien ministre, présidente d’entreprises et handicap
« J’ai eu l’immense chance de porter la loi du 11 février 2005 sous l’impulsion décisive de Jacques Chirac, puis de veiller à en faire vivre l’esprit notamment lors de la CNH du 8 juin 2011. Cette loi fondatrice qui porte le nom de Loi pour l’égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ce texte foisonnant et ambitieux, a été écrit en étroit partenariat avec les associations. Je dois l’avouer, de toute ma carrière politique, c’est sans aucun doute l’action dont je suis le plus fière. La loi du 11 février affirme la pleine citoyenneté de nos compatriotes handicapés, par l’égalité des droits et des chances et par la participation. Dans une vision partagée, le législateur a donné force de loi à ces principes que l’on peut rappeler brièvement tant ils sont simples, républicains et aujourd’hui communément admis : dans notre pays, les enfants handicapés ont, comme tous les autres enfants, le droit d’être scolarisés dans l’école de la République, chacun de nos compatriotes handicapés a le droit d’accéder à la Cité dans son acception la plus large, pour y exercer sa pleine citoyenneté et enfin, chaque personne handicapée a le droit d’exprimer son projet de vie et de bénéficier de moyens de compensation de son handicap pour le réaliser.
Ce droit est inaliénable. Il est désormais constitutif du pacte de solidarité que nous construisons pas à pas avec et pour nos compatriotes handicapés. Par le travail, la citoyenneté s’exprime au cœur de nos entreprises et de nos organisations ; c’est une responsabilité partagée qui aujourd’hui implique l’immense majorité des entreprises. Ainsi, l’emploi des personnes handicapées avance, mais tant reste à faire : améliorer le taux d’emploi de ceux doublement fragilisés par le handicap et un niveau de formation initiale trop faible, conquérir le droit à une vie professionnelle harmonieuse pour tous les salariés reconnus handicapés. Fautil rappeler que trop souvent, ils préfèrent taire leur différence de crainte de subir des discriminations dans leur parcours… En ce domaine, L’ADAPT agit sans relâche notamment grâce à la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées qui, tous les ans au mois de novembre, est un moment fort de débat et de prise de conscience citoyenne. Entreprises et handicap accompagne depuis 2005 les dirigeants d’entreprise qui ont choisi de faire de l’emploi et du maintien dans l’emploi une priorité stratégique. Avec L’ADAPT, nos actions se conjuguent et nous partageons la conviction que l’emploi de nos compatriotes handicapés est une question laboratoire pour l’emploi de tous. Les 10 ans des Etats généraux de la citoyenneté sont une belle occasion de célébrer le chemin parcouru ensemble, mais aussi de signaler que nous restons vigilants quant au respect des droits de nos compatriotes handicapés ! » LES CAHIERS DE L'ADAPT #171
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{ 2013, ANNÉE CITOYENNE POUR TOUS ?
de l'interaction entre les incapacités de la personne et les barrières comportementales et environnementales qu'elle peut rencontrer dans son quotidien. Ce faisant, elle met en exergue la dimension situationnelle du handicap et donc l’importance et la responsabilité que portent les politiques publiques dans la lutte pour une citoyenneté pleine et entière. On retrouve une partie de ces principes fondamentaux dans la loi française du 11 février 2005 « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Celle-ci couvre un ensemble de domaines où les droits du citoyen en situation de handicap doivent s'appliquer dans le milieu ordinaire : principe du droit à compensation, nouvelles ressources financières, plus grandes sanctions envers les entreprises n'employant pas assez de personnes handicapées, nouveaux délais de mise en conformité pour l'accessibilité des
>>
ERP, question du droit de vote des majeurs placés sous tutelle, scolarisation de quartier et sensibilisation au handicap dans le cadre scolaire sont autant de domaines couverts par la loi. Une loi antérieure, celle de 2002, réaffirme quant à elle l'importance de l'exercice de ces droits et libertés individuels même en milieu protégé (lieux de vie et d'accueil, établissements et services d'aides par le travail) et tente d'en garantir l'effectivité par la mise en place de procédures obligatoires. Parmi celles-ci, la remise et l'explication à l'usager ou à son représentant légal d'un livret d'accueil, contenant la charte des droits et libertés des personnes accueillies ainsi que le règlement de fonctionnement de l'établissement concerné, constitue le socle minimal du respect du droit des personnes, au premier rang desquels figure le droit à l'information. >>
« Un enjeu républicain, intiment lié aux principes d’égalité et de liberté » MARTINE CARRILLON-COUVREUR, présidente du CNCPH
« La citoyenneté des personnes en situation de handicap est inscrite, de manière expresse dans la loi du 11 février 2005 mais elle était, déjà, en germe dans beaucoup d’autres législations d’envergure comme la loi du 2 janvier 2002 ou bien celle de 1975. Mais la véritable colonne vertébrale de toute la politique du handicap se trouve, plus encore, constitutionnellement légitimée, par le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 qui pose le principe de la solidarité nationale en faveur des personnes handicapées, et, du même coup, par extension, replace la citoyenneté comme élément constitutif et immanent à toute personne. Il est important de constater que la consécration internationale a été réalisée avec la convention des Nations unies de 2006. Les principes, déclinés et protégés par des textes de haute valeur P12
juridique, doivent être mis en place au sein de notre République. En effet, j’ai toujours considéré qu’il s’agissait d’un enjeu républicain, intiment lié aux principes d’égalité et de liberté. L’accessibilité de la société, de tout par tous, à tous les âges de la vie, est l’une des conditions premières d’exercice de cette citoyenneté. Des documents administratifs ou juridiques aux nouvelles technologies, des chaînes de déplacements aux commerces ou aux bâtiments publics, des bureaux de vote à l’éligibilité, il est évident qu’une société doit pouvoir être accessibles à tous ses citoyens. A défaut, elle est génératrice d’exclusions ce qui est puissamment antagoniste à notre conception républicaine des institutions, comme nous l’enseigne Jean-Jacques Rousseau. La seconde condition est l’accès à l’éducation, aux études de tout niveau, à la formation professionnelle et in fine, à l’emploi. L’inclusion dans la Cité ne peut se concevoir à travers le seul prisme de la compensation financière du handicap mais bel et bien par un accès facilité au travail. Pour cela, nous devons repenser ce concept de citoyenneté, qui doit devenir non seulement un droit pour les personnes, mais aussi un devoir, une obligation de résultat à la charge des pouvoirs publics. C’est par cette impulsion nouvelle que chacun pourra se sentir pleinement citoyen de notre Cité, une citoyenneté parfaitement active et inclusive de notre Nation. »
Les États généraux de la citoyenneté des personnes handicapées de 2003. Il y a maintenant dix ans, L'ADAPT organisait les États généraux de la citoyenneté des personnes handicapées. 1 500 personnes se réunissaient à la Mairie de Paris pendant deux jours pour débattre ensemble des thèmes essentiels de la scolarisation, de l’emploi, des droits et de la vie dans la Cité. De ces débats nourris ressortirent 26 initiatives qui pointaient du doigt les obstacles rencontrés par les personnes handicapées au quotidien et interpellaient les responsables politiques et la société civile pour que soient mises en place au plus vite des mesures adaptées. Un certain nombre de propositions ont
depuis donné lieu à des réalisations constructives. Sur la question de l'insertion professionnelle des jeunes diplômés du supérieur, la création du Jobdating© pour permettre la rencontre en face à face avec de futurs employeurs a ainsi connu un franc succès et donné lieu à un nombre conséquent d'embauches. De même, la préconisation de recourir au parrainage pour l'emploi des personnes handicapées s'est concrétisée dans le Réseau des Réussites qui accompagne plus de 400 parrainés par an et travaille main dans la main avec les acteurs de l’emploi en local. La volonté d’expérimenter de nouvelles formes
Une fois le principe de non-discrimination légale posé, les mesures positives de compensation et d'action sur l'environnement mises en place, reste à encourager un changement profond des mentalités pour donner à l'idée d'égalité des chances… une chance ! Car favoriser la participation sociale des personnes en situation de handicap ou rendre un environnement social plus inclusif et accueillant ne peut se réduire à des avancées législatives, aussi importantes soient-elles. Il s'agit en effet de faire vivre ces droits au quotidien. Les faire vivre, c'est changer notre regard sur le handicap. Les faire vivre, ce n'est pas seulement respecter les contraintes légales qu'ils imposent, c'est intégrer collectivement comme légitimes et souhaitables les principes éthiques sur lesquels ils se fondent. Cette nécessaire prise de conscience passe notamment par le fait de dé-particulariser la question du handicap pour voir que s'y joue en réalité, de manière particulièrement exacerbée, des enjeux qui touchent la société dans son ensemble.
ŒUVRER POUR LE HANDICAP, C'EST FAIRE AVANCER LA SOCIÉTÉ DANS SON ENSEMBLE Au moment où la majorité des Français sont soumis à des ruptures biographiques constantes dans leurs trajectoires professionnelles et personnelles, où des phénomènes de paupérisation touchent des pans entiers de la population, poser la question de la sécurisation des parcours des personnes handicapées et de l'accompagnement c'est, à partir d'un cas particulier, soulever un enjeu majeur sur la manière dont notre société entière fonctionne ou dysfonctionne. Comment penser que l'exigence d'une scolarisation commune mais adaptée aux besoins spécifiques des enfants handicapés n'a rien à voir avec
de travail a été amplifiée avec la multiplication des ESAT Hors-les-murs à L’ADAPT et la création d’une ETTI. D'autres propositions, sur la scolarisation en milieu ordinaire notamment, ont connu des concrétisations plus mitigées à ce jour, les rentrées scolaires continuant à cristalliser les mécontentements vis-à-vis des dispositifs d'accueil proposés. Du chemin reste donc à parcourir et L’ADAPT n'aura de cesse, comme elle l’a fait il y a dix ans, de mobiliser tous les acteurs et décideurs concernés pour que l'inclusion et la participation des personnes handicapées soit enfin une réalité.
le phénomène plus large du décrochage scolaire et de la remise en question des modèles de pédagogie et de transmission du savoir ? Comment croire que les enjeux de participation sociale des personnes handicapées et d'accessibilité ne disent rien des mécanismes plus larges d'exclusion ou de discrimination qui frappent notre société, lorsque la mixité sociale est mise à mal dans tant de domaines de la vie sociale (emploi, urbanisme, politique, culture, etc.) ? Enfin, défendre le droit des personnes handicapées à l'auto-détermination, c'est également permettre d'engager une réflexion plus large sur la liberté de chacun et chacune au moment où la société dans son ensemble se questionne sur le droit à disposer librement de son corps, à décider de son destin ou à fonder des familles (des débats sur le libre-choix thérapeutique à ceux sur le droit de mourir dans la dignité ou sur la reconnaissance des minorités sexuelles). Faire ces rapprochements n'est évidemment pas décréter que le handicap n'engendre pas de questions particulières ou n'appelle pas à des solutions spécifiques mais comprendre qu'une expérience particulière du monde social, le vécu du handicap, joue comme un miroir grossissant des logiques sociales qui interrogent, structurent et clivent nos sociétés. S'attaquer aux problèmes rencontrés par les personnes en situation de handicap, les résoudre de manière à penser simultanément l'exigence d'égalité et la reconnaissance des différences, c'est donc en réalité faire avancer la société dans son ensemble et œuvrer pour le bien commun. C'est, en somme, faire acte citoyen.■
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ENVIRONNEMENT, POUR UNE
ACCESSIBILITÉ UNIVERSELLE
Témoignage
« Voir quelqu'un qui ne se réduit pas à son handicap » FABRICE CHANUT, co-auteur avec Adda Abdelli de la série décalée Vestiaires sur France 2
L'intégration et l'accès à l'autonomie des personnes handicapées engagent notre définition même de ce qu'est un espace commun et partagé puisque c'est de l'interaction entre une personne et un environnement particulier que naît, à proprement parler, la situation de handicap. L'environnement social comme l'environnement spatial sont ainsi les deux versants indissociables d'une réflexion à poursuivre sur le changement des mentalités et sur le « droit à la ville ».
« Certains valides ne comprenaient pas qu'on "puisse rigoler de ça" tandis que d'autres étaient bouleversés par des choses qui nous paraissaient plutôt légères. Mais, dans l'ensemble, on a reçu un accueil très enthousiaste dès le début, y compris du public handi ! On nous a dit "allez-y à fond, vous avez raison", et c'est ce qu'on a fait ! Je pense qu'on montre des réalités que les gens n'ont pas l'habitude de voir. Mais même quand on force le trait, nos personnages sont à l'image de la vie : il y a des gentils, des cons, des rigolos, des tordus, comme chez les valides. Je pense qu'après avoir vu la série, les gens sont plus enclins à voir que derrière quelqu'un dans un fauteuil, il y a aussi quelqu'un qui gamberge, qui a une famille, des amours, des emmerdes : bref, quelqu'un qui ne se réduit pas à son handicap. »
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Les grands enjeux d'accès à la culture, à l'éducation ou au travail des personnes handicapées sont inséparables d'une politique globale de transport et d'accessibilité de tous et toutes. Si l'accessibilité physique est primordiale (de l'école au musée, de l'entreprise au logement), d'autres dimensions comme l'accessibilité numérique ou de l'information le sont tout autant. A ce jour, un ensemble de lieux ou de pratiques participatives demeurent interdits d'accès ou impossibles de fait dans la réalité quotidienne de nombreuses personnes handicapées.
L'ACCESSIBILITÉ UNIVERSELLE, PRÉALABLE À L'ACCÈS EFFECTIF AUX AUTRES DROITS Si la loi de 2005 comporte un volet sur l'obligation d'accessibilité des établissements recevant du public (ERP), avec une échéance de mise en conformité à l'horizon 2015 confirmée par le rapport Campion, Jean-Marc Maillet-Contoz, administrateur de L'ADAPT, membre de la commission accessibilité du CNCPH et créateur du salon Urbaccess, constate les retards pris en la matière : « Sur des choses aussi fondamentales que l'accès aux locaux professionnels par exemple, les décrets d'application n'ont toujours pas été publiés. Ensuite, si les entreprises publiques et certaines collectivités territoriales ont rapidement intégré les obligations de la loi, ainsi que la grande distribution ou les grandes chaînes d'hôtels par exemple, ça reste bien plus problématique pour des structures plus petites. Pour des raisons financières évidentes, mais également pour des raisons qui tiennent à la méconnaissance. Quand les gens pensent accessibilité ils pensent “fauteuils roulants” mais rarement à la manière dont on peut rendre un espace accueillant à d'autres types de handicaps comme la surdité, le handicap mental, etc. Il y a un besoin évident de pédagogie auprès des décideurs comme du grand public. »
Un bâtiment à haute qualité d’usage Les nouveaux locaux de L'ADAPT/Rhône ont été élaborés pour permettre une commodité d'usage pour tous. Situés au cœur de la Cité et à proximité de tous les transports, ils ont été pensés pour que la chaîne du déplacement soit ininterrompue, et ce dès leur approche. La question de la mobilité mais aussi de tout ce qui pouvait constituer un
handicap (physique, sensoriel, psychique, cognitif) a été prise en compte. La signalétique, les couleurs et textures du sol, les plans multisensoriels de guidage, du matériel pour communiquer avec les personnes malentendantes jusqu'à l'ergonomie des poignées de porte, le maximum a été fait pour prendre en compte les besoins spéci-
RÉFLÉCHIR EN TERMES DE « CHAÎNE D'ACCESSIBILITÉ » ET FAIRE ÉVOLUER LE REGARD Les progrès dans l'accessibilité sont réels, mais du fait qu'ils ont lieu de manière parcellaire et atomisée, tout déplacement dans l'espace urbain demeure problématique. Ainsi les points d'arrêt et de rupture dans la chaîne d'accessibilité reliant un point à un autre sont tellement nombreux, que pour n'importe quelle personne handicapée, l'acte de mobilité le plus anodin (aller au cinéma, assister à un concert, prendre le bus) doit-être anticipé et organisé avec la précision d'un parcours du combattant. Ceci est si vrai que de nombreuses personnes en situation de handicap finissent par y renoncer, ce qui contribue fortement à l'isolement
fiques des bénéficiaires et du personnel de l’établissement. Compte tenu de la mission de L'ADAPT, il fallait être cohérent avec les valeurs qu’elle porte et défend. En plus du label Haute qualité d'usage délivré par le CRIDEV, ce projet a été récompensé par la région Rhône-Alpes et le ministère de l'environnement.
social. Anticiper sur ces questions au moment de la conception des lieux, mais aussi des objets avec le défi du design universel, c'est partir du principe que tous et toutes - du malvoyant de naissance à la personne récemment opérée de la cataracte, du dyspraxique au gaucher - pourront être, à un moment ou à un autre de leurs vies, directement concerné-e-s. C'est aussi rendre visibles les personnes handicapées dans l’espace public et ne pas rester dans une vision stéréotypée du handicap. Dans 80% des cas, les handicaps sont invisibles comme le rappelle par exemple l’exposition « Qui est qui ? » de L'ADAPT. Le regard sur les personnes handicapées a certes beaucoup évolué (entreprises, médias, grand public) ces dernières années, mais des efforts restent encore à faire, comme le constate Jean-Marc Maillet-Contoz : « à l'échelle d'une société ça évolue, et c'est très bien, mais à l'échelle d'une vie c'est affreusement long. » ■
Interview
Citoyens de droit, même si la citoyenneté est parfois empêchée” JOËL ROMAN, philosophe et directeur de la collection "Pluriel" des éditions Fayard. « L'autonomie et la participation sont très importantes, mais elles ne sont pas des conditions préalables à la citoyenneté. C'est d'abord l'appartenance à un collectif humain qui fonde la citoyenneté, et il faut rappeler et maintenir ce principe inclusif, inconditionnel et fondamental. En insistant trop sur la dimension participative, on prend le risque d'en faire un préalable et de négliger certaines franges de la population qui, pour une raison ou pour une autre, ne souhaitent pas ou ne peuvent pas s'intéresser à la chose publique. Or ces personnes sont citoyens de droit, même si la citoyenneté est parfois empêchée ou plus difficile à mettre en œuvre.
Les institutions publiques et la société dans son ensemble doivent néanmoins travailler aux conditions d'accessibilité des personnes handicapées : sur des enjeux concrets comme l'accès aux bureaux de vote évidemment, mais aussi sur des questions fondamentales qui touchent au travail ou à la culture notamment. Il faut dans un premier temps prendre conscience des contraintes spécifiques auxquelles est soumise la personne et “faire pour” elle les ajustements nécessaires, puis dans un second temps “faire avec” elle. »
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SCOLARISATION
LA MÊME ÉCOLE POUR TOUS ! L’amélioration de la scolarisation de l’enfant handicapé, citoyen à part entière, est l’un des grands combats des associations. La loi de 2005 a permis quelques avancées mais la bataille est loin d’être gagnée pour autant. Etat des lieux.
Témoignage
« J’ai besoin du monde extérieur. » MORGAN DUBOIS, élève à l’IEM de Cambrai
« Je m’appelle Morgan Dubois. J’ai 18 ans et je souffre d’infirmité motrice cérébrale (IMC). Je fréquente depuis l’âge de trois ans l’IEM de Cambrai, un établissement de L’ADAPT/ Nord. Là, plusieurs professionnels de santé m’accompagnent dans ma rééducation (ergothérapie) et assurent mon suivi psychologique. Interne, j’y dors la semaine et je rejoins ma famille le week-end. Tous les matins, je file au lycée professionnel Louise de Bettignies, où je poursuis ma scolarité en seconde. L’année prochaine, je m’orienterai vers un bac professionnel vente. Je veux devenir concessionnaire. Cette complémentarité entre IEM et scolarisation en milieu ordinaire me convient parfaitement ! J’ai besoin de voir le monde extérieur. Au lycée, je suis souvent avec des jeunes de mon âge, valides, qui sont en terminale. Ça m’apporte beaucoup. Et à l’IEM, ma référente scolarité m’ouvre des portes professionnelles. Elle m’aide à trouver des stages, à écrire mon CV… L’avenir ? Un jour, je vivrai dans un appartement, car je veux vivre mon autonomie à fond. »
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Sans conteste, la loi du 11 février 2005 a aidé à la reconnaissance du droit fondamental des enfants « à besoins éducatifs spécifiques » de 6 à 16 ans à « l’intégration scolaire de proximité ». 214 000 enfants en situation de handicap étaient scolarisés dans l’école de la République en 2011, soit 84 000 de plus qu’en 2004. Aujourd’hui, deux tiers des élèves sont scolarisés en milieu ordinaire. Dans l’enseignement supérieur, on dénombre 10 544 jeunes adultes handicapés en 2010. Une progression spectaculaire : ils étaient 695 en 1981.
RISQUE DE DÉSCOLARISATION La bataille de la scolarisation pour tous n’est pas gagnée pour autant. Des barrières se dressent toujours entre l’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte en situation de handicap et son désir de poursuivre une scolarité adaptée, qui réponde à ses vœux. A ce jour, 5 000 à 20 000 enfants sont accueillis en hôpital, établissement médico-social ou centre de réadaptation fonctionnelle. Pour certains, c’est une nécessité : leur handicap les empêche de fréquenter l’école de leur quartier. Mais pour d’autres, cette solution de secours, subie plus que choisie, augmente le risque de déscolarisation.
FAVORISER L’INCLUSION EN MILIEU ORDINAIRE Que faire ? Les associations militent pour une meilleure formation des équipes éducatives. Les effectifs d’AVS, bien qu’en augmentation (de 18 000 en 2004 à 60 000 en 2010) restent insuffisants. L’été 2012, le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, a promis 1 500 postes supplémentaires. Pour améliorer l’accessibilité à l’école, l’augmentation du nombre d’ULIS (2 200 aujourd’hui) est une autre piste à creuser. L’intégration individuelle en CLIS et l’essor des SESSAD sont privilégiés afin de favoriser l’inclusion en milieu ordinaire. C’est aussi le projet de Jacques Godfroy, directeur de l’IEM de L'ADAPT du Cher. Dans cet établissement, les soins médicaux et le suivi du projet thérapeutique de 54 enfants et adolescents (dont 30 internes) de la région Centre sont assurés par un médecin chef,
spécialiste en médecine physique et réadaptation, et son équipe. En parallèle, l’IEM propose plusieurs projets d’accompagnement innovants, dont le Dispositif ambulatoire de formation professionnelle (DAFP), qui permet aux jeunes handicapés de 14 à 18 ans de poursuivre une formation en CFA et en lycée (l’IEM assurant le transport), notamment dans le tertiaire via le GRETA. Le but ? « Accompagner les jeunes dans leur parcours de vie, de la scolarité à l’emploi » assure Jacques Godfroy. Et de détailler : « Le principe repose sur une inclusion à double sens. Le lycée Jacques Cœur, où se trouve le GRETA de Bourges, a ouvert les portes de sa cantine et de son foyer aux jeunes en situation de
handicap. Et nous, nous avons ouvert celles de l’IEM aux jeunes lycéens valides, qui participent à des ateliers photo, théâtre, etc. Récemment, nous avons reçu l’inspecteur d’Académie. Il était tout étonné de voir le travail entrepris par les jeunes handicapés, dont les capacités sont souvent – à tort – insoupçonnées. » Pour tordre le cou aux idées reçues, valoriser les expérimentations et réfléchir à de nouvelles pistes d’actions, L’ADAPT organise au premier semestre dans tout l’Hexagone une série de conférences sur le thème « Préparer l’avenir des jeunes avec les jeunes ! ». Le 14 juin, l’événement a lieu à Bourges avec l’IEM du Cher. ■
Interview
Vivre comme tous les autres enfants” GHISLAINE MAUCLERT, directrice de L’ADAPT/Paris – SSESD Qu’apporte le SSESD aux jeunes Parisiens ? Le SSESD favorise la scolarisation en proposant des soins et un accompagnement adaptés à l’enfant en situation de handicap, afin qu’il vive comme tous les autres enfants. Nos deux antennes (arrondissements nord et nord-est) suivent 100 enfants et adolescents, âgés de 2 à 20 ans, qui présentent une déficience motrice et/ou des troubles spécifiques des apprentissages. Des professionnels interviennent sur leurs lieux de vie, à domicile, à l’école, pour rencontrer les enseignants et les AVS, éviter les temps de transports et privilégier la scolarité.
Quelle est votre force ? L’adaptabilité. Chaque année, nous revoyons le projet thérapeutique et la situation médicale et scolaire de l’enfant, en lien avec la famille et l’école. Un tel suivi est difficile à faire par les professionnels libéraux. Et votre faiblesse ? Les services médico-sociaux rencontrent des difficultés à recruter certains professionnels de santé, notamment des kinésithérapeutes et des orthophonistes. Je déplore aussi notre liste d’attente, qui oblige 40 enfants à patienter deux ans environ avant d’entrer dans le service. Une situation anormale pour nous et pesante pour les familles.
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LA FORMATION
PILIER DE L’INSERTION PROFESSIONNELLE Intensifier la formation des personnes handicapées par la voie de l’alternance ou de l’apprentissage, développer la formation à distance (FOAD) et encourager les actions de mise en situation professionnelle par les stages, telle est la politique défendue par les associations. Malgré les efforts de tous, des difficultés perdurent. Tour d’horizon. Témoignage
« Prendre son envol grâce à la Passerelle Bleue » KEVIN BOUCQ, jeune apprenti en formation
« J’ai 18 ans, et j’ai fait partie de la première promotion de la Passerelle Bleue. C'est un dispositif qui propose un accès à l’apprentissage à des jeunes en situation de handicap. Elle existe depuis trois ans, c'est unique dans le département ! La Faculté des métiers de l’Essonne, l’Éducation nationale et L’ADAPT/Essonne encouragent notre autonomie à travers un accompagnement pédagogique et médico-psycho-social. Avant, j’étais scolarisé en troisième ULIS au collège Marie Curie, à Etampes. Pendant une année, j’ai alterné les stages en entreprise de restauration et les cours de soutien en français, mathématiques et en atelier de mémorisation, domaines qui me posent problème depuis que je suis tout petit. Cet accompagnement était nécessaire. Et puis, il y avait une super ambiance, on était une dizaine de jeunes, on s’aidait entre nous. Dans deux mois, je vais passer mon examen en CFA. Après ? J’ai envie de changement ! J’aimerais continuer mes études dans l’aide médico-psychologique, afin, à mon tour, de travailler avec les personnes handicapées. J’ai conscience des difficultés qui m’attendent, mais qui ne tente rien n’a rien ! »
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Qu’existe-t-il entre l’école et l’emploi ? Un grand fossé que les associations, coûte que coûte, tentent de combler pour accompagner au mieux les personnes en situation de handicap désireuses de s’insérer dans le monde professionnel. Entre six et 16 ans, l’enfant puis l’adolescent suit un sentier relativement balisé. Mais lorsqu’il devient jeune adulte, les choses se corsent. Les associations travaillent sans relâche à l’organisation du parcours de vie des personnes handicapées en privilégiant un accès personnalisé à la formation, à la qualification et à l'emploi. Mais malgré tous leurs efforts, la réalité reste bien sombre. En juin 2012, plus d’un demandeur d’emploi handicapé sur quatre (27%) ne possède aucun diplôme (hormis le BEPC). La moitié d’entre eux justifie d’un CAP ou d’un BEP. L’université ? 90% des chômeurs handicapés n’ont pas le bac. En conséquence, une désinsertion professionnelle inquiétante, qui a pour effet d’enfermer un peu plus les personnes dans leur handicap. Le manque de formation contribue à réduire leur champ des possibles, alors que l’autocensure, les difficultés d’acceptation du handicap et le manque de confiance en soi n’établissent déjà que trop ce travail de sape.
QUALIFICATION INSUFFISANTE, MOBILITÉ CONTRAIGNANTE Comment rompre ce cercle vicieux ? Malgré les avancées en termes de scolarisation, des difficultés perdurent pour les personnes en situation de handicap qui souhaitent entrer dans une logique préprofessionnelle de formation. Manque d’information, dysfonctionnement de coordination entre les structures médicosociales et les établissements en milieu ordinaire, délai affolant de traitement des dossiers en MDPH… Un chiffre significatif : on dénombre 1% d’étudiants handicapés dans l’enseignement supérieur (post-bac). « Deux obstacles persistent en matière de formation, déplore Emmanuel Ronot, directeur du CRP de L'ADAPT à Monéteau dans l'Yonne, la qualification, insuffisante, et la mobilité, contraignante ». Les personnes en situation
ALTERNANCE ET FORMATION À DISTANCE POUR TOUS
de handicap qui bénéficient de ces structures ont 40 ans en moyenne. Un accident de la vie est à l’origine de leur handicap. Leur vie de famille est construite. Comment tout reconstruire, tout réapprendre ? Pour cela, le CRP de Monéteau propose un dispositif préparatoire (95 places) qui permet la (ré)acquisition des compétences de base en préambule d’une formation professionnelle dispensée en alternance ou à distance. Le but : 100% d’insertion professionnelle pour toute personne en situation de handicap. Pour autant, « beaucoup reste à faire, indique Emmanuel Ronot. On doit se battre chaque année pour que tous les stagiaires reçoivent une rémunération. En amont de la formation, le système scolaire reste encore trop exclusif. Quant à la mobilité, c’est notre rôle, à L’ADAPT, d’accompagner les personnes handicapées pour les aider à trouver des opportunités professionnelles à proximité. »
D’autres voies sont alors à développer. Pour casser les barrières, entre établissements spécialisés et établissements de droit commun, L’ADAPT déploie une série de réponses. Elle noue des partenariats avec l’AFPA et les GRETA, organismes de formation en milieu ordinaire. Elle privilégie et cherche à développer l’alternance, véritable outil du futur. Dispositif d’insertion professionnelle qui a fait ses preuves chez les jeunes « valides » de moins de 26 ans, l’alternance est ouverte depuis 2008 à tout travailleur handicapé sans limite d’âge. Pour la personne handicapée, ces formations sont intéressantes car elles se fondent sur une complémentarité entre l’école et le monde du travail. En 2010, le nombre de contrats d’apprentissage ou de professionnalisation signés a augmenté de 34% ! Pourtant, malgré tout le volontarisme de l’Etat, seuls 1% des 395 000 apprentis sont en situation de handicap. Soit moins de 4 000 personnes. Elle propose enfin la possibilité d’être formé à distance grâce à la FOAD, une modalité de formation qui a le vent en poupe ! En 2004, on comptabilisait 141 parcours de FOAD. Moins de dix ans après, en 2012, ce chiffre a plus que doublé, 335 personnes en situation de handicap en bénéficient. ■
Interview
Atteindre ses objectifs grâce à la FOAD” NATHALIE PARIS, directrice de L’ADAPT/Rhône Qu’est-ce que la FOAD ? Coordonnée par L’ADAPT, la formation ouverte à distance (FOAD) permet à toute personne d’atteindre ses objectifs de formation en proposant des données pédagogiques personnalisées en ligne. Notre établissement a réalisé une vingtaine de parcours FOAD en 2012. A qui s’adresse la formation à distance ? La FOAD est un excellent dispositif pour
les personnes très fatigables, avec, par exemple, une maladie évolutive comme la sclérose en plaques, qui ne peuvent travailler 35 heures. Un exemple ? Lors d’une prochaine remise de diplôme, une personne en situation de handicap se verra décerner son diplôme d’agent d’accueil et de formation. Il y a peu, elle m’a avoué qu’elle n’y serait jamais parvenue sans la FOAD !
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ACCOMPAGNEMENT, INSERTION, INTÉGRATION
LE PARI DE L’EMPLOI
La loi de février 2005 a inscrit dans le marbre les notions d’égalité des droits et des chances, de participation et de citoyenneté des personnes handicapées. Pourtant, le taux de chômage de ces dernières reste deux fois supérieur à celui de l’ensemble de la population active. Pour améliorer l’accès à l’emploi, les associations regorgent d’idées. Témoignage
« Offrir une évolution de carrière aux travailleurs handicapés » STÉPHANE FORGERON, président du Club des jeunes cadres handicapés
« Le club vise à améliorer le recrutement et le déroulement de carrière des personnes handicapées, en favorisant la rencontre avec les entreprises. Il est né d’un double constat : d’un côté, les entreprises ont l’impression qu’elles n’ont pas la possibilité de recruter des personnes handicapées suffisamment diplômées. De l’autre, ces dernières ont le sentiment de ne jamais être recrutées, et si cela arrive, de ne pas avoir les mêmes possibilités d’évolution de carrière que les autres travailleurs. Pourquoi ? Parce que pour l’entreprise, le recrutement d’une personne handicapée est une fin en soi. Pour l’employé, c’est un début. Tout le problème est là : l’entreprise n’offre aucune évolution de carrière aux travailleurs handicapés hautement diplômés, souvent réduits à l’image de quota. »
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Les chiffres ne mentent pas. Et ceux qui évaluent la situation des personnes en situation de handicap sont pour le moins révélateurs des progrès qu’il reste à faire en matière d’accès à l’emploi. Source d’inquiétude, le taux de chômage des personnes handicapées en 2010 s'élève à 20%, le double de celui de l'ensemble de la population active. En juin 2012, Pôle emploi recense 339 656 travailleurs handicapés au chômage. C’est 14,9% de plus qu’en décembre 2011. Ces données officielles font le constat du non respect de la loi du 11 février 2005, relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce texte oblige les entreprises publiques et privées de plus de 20 salariés à employer 6% de personnes handicapées. Or, en 2011, 43% des entreprises n’atteignent pas ce taux d’emploi. C’est particulièrement vrai dans le privé, avec un taux de 2,9%. Dans le public, ce n’est guère mieux, avec un taux de 4,2%. « Aucune des trois branches de la fonction publique n’atteint le taux légal d’emploi de 6%, déplore Thierry Gallot, directeur de L'ADAPT/Haute-Normandie insertion. Ni l’Etat, ni l’hôpital, ni les territoires ne montrent le bon exemple. » Pour faire un sort à ces mauvais chiffres, les associations militent en amont en faveur d’une meilleure formation, aujourd’hui insuffisante.
RÉSEAU DES RÉUSSITES, JOBDATING©, HANDICAFÉ© Afin de favoriser le recrutement et l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, les associations travaillent à l’amélioration de la rencontre entre l’offre et la demande. Des initiatives telles le Réseau des Réussites, l’Handicafé© et le Jobdating©, proposées dans le cadre de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées font partie des solutions innovantes mises en avant par L’ADAPT. Et ça marche ! En 2011, l’événement a permis à 10 000 candidats de rencontrer 2 500 recruteurs.
ETTI ET ESAT HORS-LES-MURS, DE NOUVELLES VOIES VERS L’EMPLOI Désormais, pour la personne handicapée, entrer dans un ESAT n’est plus considéré comme le terminus du train. Le désir d’intégration en milieu ordinaire a pris de l’essor et a permis un retour à la vocation première du travail protégé : être une passerelle vers l’emploi. Les ESAT Hors-les-murs répondent le mieux à cette nouvelle vision de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap et aux besoins des entreprises. Ainsi, plus de la moitié des ESAT de L’ADAPT (15/26) sont hors-les-murs et fonctionnent par mise à disposition des travailleurs en milieu ordinaire. C’est la même logique qui a présidé à la création de la première ETTI dédiée aux travailleurs handicapés : « En mettant à disposition des personnes en situation de handicap auprès d'entreprises, les dispositifs d’ETTI et d’ESAT Hors-les-murs favorisent l’accompagnement,
l’insertion et l’intégration de ces personnes en milieu ordinaire », confirme Thierry Gallot, à l’origine du projet. Ouverte en 2010, l’ETTI a permis à 30 personnes de reprendre le chemin du travail. 14 d’entre elles ont (re)trouvé un emploi stable.
AU-DELÀ DU RECRUTEMENT Parce que le recrutement n’est pas une fin en soi, il convient également de se pencher sur les parcours professionnels des personnes. Pour le sécuriser si nécessaire (maintien dans l’emploi) et surtout pour gommer les différences de trajectoires. Comment favoriser le déroulement de carrière et la bonne intégration des personnes en situation de handicap ? C’est la dernière interrogation sur laquelle se penche L’ADAPT. Une interrogation à laquelle des initiatives telles que le Club des jeunes cadres handicapés (cf. encadré), souhaitent répondre. ■
Interviews croisées
FRÉDÉRIC BRETTON, délégué du Comité des Réussites de Charente-Maritime, parrain NELLY GUILLEMET, en recherche d’emploi depuis 18 mois, parrainée Le parrainage, c’est quoi ? FB : C’est participer à un acte solidaire qui tend à réduire les discriminations à l’encontre de la personne handicapée. Ici, à la Rochelle, depuis 2010, dix bénévoles (professionnels de l'accompagnement, des ressources humaines, du handicap) consacrent une à deux heures par semaine à une douzaine de filleuls. NG : C’est bénéficier d’un accompagnement complet et adapté à la personne handicapée. Moi, je suis
secrétaire, niveau BTS. Depuis 15 ans, je souffre d’une maladie évolutive de la rétine qui ne facilite pas le retour à l’emploi… Voiture fortement déconseillée ! Comment le parrain aide-t-il à (re)trouver le chemin de l’emploi ? FB : On accompagne les personnes handicapées dans leur recherche d’emploi, on fait le tour de leur projet professionnel, on prépare un plan B. On écoute, on fait office de soupape de décompression. On travaille sur la
conscience et l’acceptation du handicap. On redonne espoir. NG : Par un investissement qui ne se limite pas à ça. « Pour trouver un boulot, tu dois être en forme ! », a commencé par me dire ma marraine. Je traversais une période difficile. Elle m’a remise d’aplomb pour mieux démarcher. J’ai apprécié cette logique. Et mi-mars, elle m’a emmenée dans un Forum de l’emploi à Poitiers, à une heure de route… Impossible d’avoir un tel accompagnement à Pôle emploi !
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LA CULTURE ET LE SPORT
VECTEURS D’INTÉGRATION La participation à la vie citoyenne s’inscrit dans un cadre professionnel et social. Toutes les personnes handicapées n’ayant pas accès au monde du travail, l’intégration et la reconnaissance sociales proviennent d’une participation à la vie culturelle, artistique ou encore sportive de la Cité. La culture, l’art ou encore le sport sont vecteurs de bien-être, d’accomplissement personnel, de resocialisation… C’est aussi une porte d’entrée vers plus d’autonomie, une meilleure compréhension du monde à travers ses représentations, un enrichissement personnel et une manière de dépasser ses émotions premières en développant ses facultés d’écoute et d’attention. Sorties au théâtre, expositions, ateliers d’expression orale, corporelle, d’art plastiques, poterie, ou même visite de parcs naturels, sont quelques exemples d’activités qui permettent aux personnes accompagnées de renouer le lien citoyen.
LA CRÉATIVITÉ, MOTEUR DE CONFIANCE ET D’INTÉGRATION Mieux que de redonner confiance, ces activités peuvent devenir un véritable moteur de créativité et d’intégration, avec l’idée qu’être inactif, au sens social du terme, ne signifie pas que l’on est improductif. Poterie, peinture, musique, écriture, etc. Les talents s’exercent et se montrent aujourd’hui ostensiblement, avec un objectif double : d’une part, valoriser le travail créatif et artistique des personnes en situation de handicap ; d’autre part, proposer un autre regard sur les personnes handicapées grâce à la création artistique, vecteur d’expression et de rencontre entre les publics. Depuis 2008, le Festival Handy Art (cf. encadré) organise ainsi toute une semaine culturelle dans l’Yonne autour de la personne handicapée et expose œuvres individuelles et/ou collectives.
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Témoignage
« Il y a une vraie fierté dans l’accomplissement sportif. » FRÉDÉRIC CROUZILLES, éducateur sportif à l’IEM de Cambrai
« La pratique d’une activité sportive est un autre vecteur d’insertion, avec parfois des résultats exceptionnels. Ça peut prendre la forme de loisir, d’un éveil au sport, mais ça peut aussi aller jusqu’à la pratique de haut niveau, voire du très haut niveau. Chaque début d’année, les gamins expriment leur motivation et on met en place des objectifs à atteindre. Certains sont en sportétude, plusieurs sont champions de France dans des disciplines comme la boccia (ndr : sorte de pétanque), la sarbacane ou le tennis de table. D’autres visent même les Jeux paralympiques de 2016. Il y a une vraie fierté dans l’accomplissement sportif. C’est très valorisant pour eux. »
Un festival qui fait des émules, puisque d’autres associations en France s’y intéressent et devraient lancer des projets dans les années à venir, à l’image de l’établissement de L’ADAPT à Cambrai qui a organisé en mars dernier son propre festival.
UNE APPROCHE PÉDAGOGIQUE Pour les personnes impliquées dans un cursus de réinsertion professionnelle, la sensibilisation à la culture et à l’art est aussi une manière de retrouver l’estime de soi, de s’ouvrir sur le monde et d’appréhender des univers souvent difficilement accessibles. Cette sensibilisation ne doit pas se limiter à un simple accompagnement au théâtre ou au musée, mais va plus loin avec une véritable approche pédagogique. La visite d’une exposition peut ainsi engendrer une implication de plusieurs semaines, avant et après la sortie, avec un travail rédactionnel ou oral à l’aide de différents supports qui participent de cette initiation. Les personnes sont ainsi appelées à se positionner, exprimer un jugement, une critique. Leur créativité est dynamisée et leurs singularités se manifestent dans un cadre défini, avec des contraintes, des consignes à respecter, comme dans le milieu professionnel. La découverte culturelle est alors une autre façon de développer sa citoyenneté, sa sensibilité à l’autre et à ce qui nous entoure, par l’apprentissage de la notion de vivre ensemble, et ce autrement que par le travail.■
Témoignage
« Un moment où on vous donne de la joie et du rire, ça fait un bien fou. » NORBERT PAUL, patient pendant onze mois à L’ADAPT Drôme/Ardèche de Valence « L’ADAPT organise chaque année depuis sept ans une “Journée particulière”, pendant laquelle saltimbanques, comédiens, musiciens et autres clowns investissent les lieux de soins pour offrir aux patients des spectacles impromptus et furtifs, issus de leur
Handy Art, un festival pour montrer les potentiels L’idée, c’est de « parler du potentiel des gens, et jamais de leur empêchement », débute Emmanuel Ronot, président du Festival et directeur de L’ADAPT/Bourgogne. Chaque année, quelque 500 créations sont exposées, fruits de travaux individuels ou collectifs de près de 1 500 artistespatients. Sans oublier la programmation culturelle organisée autour du festival, avec des projections de films, des spectacles de danses « mixtes » (artistes valides et handicapés), des ateliers d’écriture, des débats, etc. Si le prochain Festival Handy Art de l’Yonne, qui se tiendra du 6 au 15 octobre prochain, ne sera plus dirigé par L’ADAPT, l’association réfléchit d’ores et déjà à étendre le concept à plusieurs territoires.
programmation saisonnière. Il y a deux ans, j’ai pu y participer. Quand on est dans ce genre de lieu, on est d’une fragilité extrême… Alors quand il y a du bien qui arrive, des sourires, on est heureux, on ne demande pas mieux. Un moment où on vous donne de la joie et du rire, ça fait un bien fou, c’est génial. Ça vous aide à vous sentir un peu mieux. C’est aussi l’occasion d’échanger avec le personnel soignant autrement que par l’aspect médical. Et puis, faire la fête, ça plaît tout le temps ! » LES CAHIERS DE L'ADAPT #171
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LOGEMENT
VIVRE COMME LES AUTRES Si les structures d’accueil en foyer sont parfois une aubaine, certaines personnes en situation de handicap aspirent cependant à acquérir leur indépendance. Il faut donc développer des alternatives qui répondent à cette demande légitime, en mettant en place des structures adaptées, des formes d’habitat spécifiques, en fonction des besoins de chacun. En ligne de mire, l’accès à un logement pour une vie autonome. Pour un adolescent qui souhaite s’émanciper de sa famille ou pour un adulte dont le handicap nécessite des soins quotidiens, la solution la plus répandue est la prise en charge par un foyer d’hébergement ou un foyer de vie. Souvent, cette alternative n’est pas vécue comme une fatalité, ni comme une finalité. Certains résidents l’expriment dès leur arrivée et rejettent l’idée de ne vivre qu’entre soi dans des structures adaptées et confortables, certes, mais confinées.
Un vrai travail d’inclusion sociale est alors réalisé par les associations. En plus d’un suivi médical quotidien, un accompagnement associatif tend à faciliter cette réinsertion par le biais d’apprentissage divers : tâches ménagères, cuisine, administratif, utilisation des transports en commun, activités et animations variées, etc.
UNE MIXITÉ SOCIALE INDISPENSABLE
L’âge de la majorité atteint, les personnes en situation de handicap peuvent faire valoir leurs droits (cf. encadré) et accéder à un logement, pour autant qu’elles répondent aux critères de sélection et qu’elles soient intégrées dans un cursus professionnel, en ESAT par exemple. Chambres autonomes, studios, appartements collectifs, plusieurs alternatives sont envisageables, avec un accompagnement assuré par les SAVS quand c’est nécessaire. Dans certains cas, l’accompagnement est double : les SAVS se chargent du suivi médical et administratif ; le gestionnaire des logements, quand il s’agit d’une association, peut assurer pour sa part un accompagnement citoyen qui permet l’apprentissage de l’autonomie pour aller vers encore plus d’indépendance. A ce titre, l’initiative de l’Association de logement pour jeunes travailleurs (ALJT) est à souligner. En partenariat avec L’ADAPT, cette association francilienne réserve plusieurs de ses logements aux jeunes en situation de handicap. Entre autres services, elle propose à ses locataires des ateliers de cuisine pour apprendre à se nourrir convenablement, assure des cours de sensibilisation aux maladies sexuellement transmissibles en partenariat avec Solidarité sida, ou encore, donne des conseils pour apprendre à se présenter devant un propriétaire potentiel ou pour entreprendre les démarches en vue de l’accession à un logement. Car ces logements sont loués pour une durée de deux ans maximum. Il s’agit donc d’une étape vers une indépendance totale et une pleine participation à la vie de la Cité. Un tremplin pour vivre comme les autres, et avec les autres.■
Les professionnels travaillent donc avec les résidents dans le but de les préparer à une vie plus indépendante et de les réinsérer au cœur de la Cité, quand leur handicap le leur permet. Qu’il s’agisse d’appartements collectifs ou de foyers éclatés, les structures sont systématiquement implantées au cœur de la ville, proches des commerces et des transports. Etre immergée au sein de la société permet à la personne en situation de handicap de ne pas rester en marge et de sortir de son isolement. Avec cette idée que chacun doit participer à une mixité sociale indispensable à l’équilibre de la Cité.
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VERS UNE INDÉPENDANCE TOTALE
Un droit inscrit dans la loi Dans la loi du 11 février 2005 qui affirme la pleine citoyenneté de la personne en situation de handicap, l’accessibilité à un logement décent apparaît comme l’un des piliers essentiels. Depuis le 1er janvier 2007, les textes d’application de cette loi ont ainsi rendu obligatoires des règles de construction et des prescriptions techniques qui imposent l’accessibilité des logements neufs, mais aussi celle des logements existants dans lesquels sont réalisés des travaux. Mieux, le droit au logement opposable (DALO), introduit par la loi du 5 mars 2007, parachève cette avancée légale, en obligeant l’Etat à fournir un logement décent à toute personne présentant un handicap ou ayant à leur charge une personne handicapée. Aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement en raison de son état de santé ou de son handicap. Une évidence qu’il a tout de même fallu inscrire dans les textes de loi.
Interviews croisées…
Studio en foyer, autonome et sécurisant ” POUR CHRISTOPHE ET NATHALIE Nathalie et Christophe, elle en fauteuil, lui atteint d’un traumatisme crânien, vivent depuis 19 ans dans un studio du foyer d’hébergement de L’ADAPT/ Mayenne à Pontmain. Le studio, spacieux et confortable, « plus adapté que les chambres à l’hébergement », note Nathalie, leur a offert un espace de vie qui leur permet d’avoir une vie de couple épanouie et autonome, tout en bénéficiant d’un accompagnement spécifique. Déménager pour un
appartement hors du foyer et acquérir plus d’indépendance ? « On y pense, mais nous ne sommes pas encore prêts », admet Nathalie. « Ici, il y a une surveillance qui est proche en cas de besoin. J’aime bien avoir cette sécurité, juste au cas où. » Christophe semble plus enclin à ce changement de situation : « On y réfléchit depuis longtemps, moi j’aimerais bien ». Cette autonomie tant recherchée est pourtant, dans les faits, presque une réalité.
« Un soir sur deux, on prend nos repas dans le studio, l’autre soir on le prend avec les autres locataires du foyer qui compte vingt appartements », explique Nathalie. Par obligation ? « Non, par choix », répond le couple. Les velléités de changement sont bien là. Reste à Christophe à convaincre sa belle et trouver une alternative adaptée à leurs besoins avec l’aide des associations.
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LES DROITS EN INSTITUTION Depuis la loi de 2002, l'accompagnement des personnes handicapées dans les établissements est encadré de manière à leur assurer le plein exercice de leurs droits et libertés. La loi rappelle formellement qu'en milieu protégé, aussi, s'appliquent les principes fondamentaux de notre société. Respect de la dignité, de l'intégrité, de la sécurité des usagers ainsi que droits à la vie privée, à l'intimité et surtout au libre choix dans les prestations adaptées qui leur sont proposées. Les questions de l'accès à l'information, du libre-choix et du consentement éclairé des usagers apparaissent comme les pierres angulaires d'une démarche globale qui vise à autonomiser autant qu'il est possible la personne handicapée et à en faire un acteur à part entière de son parcours d'insertion. La participation directe de l'usager à la conception et à la mise en œuvre du projet d'accueil et d'accompagnement qui la concerne est par ailleurs centrale.
PLACER L'USAGER AU CŒUR DES DÉCISIONS C'est pour associer pleinement les usagers aux décisions les concernant au premier chef qu'ont été institués les CVS et que sont encouragées toutes les formes de participation. Pour autant, si ces cadres juridiques garantissent le respect de certains droits minimaux, d'autres plus abstraits et sans doute de ce fait plus difficiles à mettre en œuvre (respect de la dignité, droit à l'intimité notamment) risquent de demeurer des coquilles vides si les clivages (milieu protégé et milieu ordinaire, intérieur et extérieur, etc.) qui continuent de structurer notre perception des personnes handicapées ne sont pas peu à peu atténués.
OUVRIR VERS LE MILIEU ORDINAIRE Une des conditions de l'insertion et d'une lutte efficace contre les préjugés est l'ouverture des établissements vers le milieu ordinaire, la multiplication des contacts mixtes ainsi qu'une participation accrue à une vie sociale en dehors des établissements. Si le travail des personnes handicapées par le biais de stages ou de mises à disposition s'inscrit au cœur de cette démarche, le statut juridique actuel du travail protégé perpétue néanmoins une asymétrie avec les autres travailleurs de l'entreprise : régis par le code de la santé publique plutôt que par le code du travail, ces dispositifs permettent en effet la nécessaire protection des usagers (notamment vis-à-vis des risques professionnels) mais les excluent d'un ensemble d'autres droits (congés, modes de rémunérations, etc.). Travailler à un rapprochement accru entre le travail protégé et l'expérience ordinaire du travail, décloisonner sous des formes qui prennent en compte la spécificité des handicaps mais leur donnent leur juste place, est donc la prochaine étape à franchir pour répondre à l'ambition d'inclusion maximale.
Témoignage
« Il y a toujours des choses à améliorer » ISABELLE ROY, présidente du conseil à la vie sociale du Cher.
« Notre rôle est de transmettre les demandes et difficultés des usagers pour améliorer le fonctionnement quotidien : changer les horaires des pauses, demander des véhicules quand les personnes ne peuvent pas prendre le bus de ville par exemple, il y a toujours des choses à améliorer et c'est du sur-mesure. Ce qui
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est important pour nous, c'est de changer l'image stéréotypée de la personne handicapée. L'ADAPT de Bourges organise pour ça depuis six ans “le rallye du partage” : c'est un ensemble d'activités dans la ville, qui mélange valides, non valides et des grandes entreprises partenaires. Ils font au mieux pour prendre en compte les demandes des usagers : parfois c'est possible, comme par exemple pour les formations informatiques, parfois c'est plus compliqué... »
Accord France-Wallonie
S'ACCOMMODER D'IMPÉRATIFS PARFOIS CONTRADICTOIRES POUR INDIVIDUALISER VERS L'ACCOMPAGNEMENT Comment assurer le « droit à l'intimité » ou à la liberté individuelle lorsque par exemple l'invitation de l'entourage dans les établissements va à l'encontre des contraintes de sécurité et peut générer des risques pour d'autres usagers potentiellement vulnérables ? Comment assurer le principe du « libre choix » ou du « consentement éclairé » quand une décision administrative, qu'on se doit évidemment de respecter, donne le dernier mot à un tuteur ou curateur dans les prises de décisions ? Comment, en un mot, concilier droits des individus et devoirs de protection ? Ces questions ne peuvent être résolues à un niveau théorique et impliquent « au cas par cas et au plus près des personnes, de trouver des solutions par la médiation, la recherche du consensus, et ainsi de permettre que le point de vue de l'usager puisse s'exprimer pour le prendre en compte » explique Johanne Kerloch, directrice de la qualité et des relations aux usagers de L'ADAPT. C'est dans cette recherche permanente d'équilibre entre protection et autonomisation des personnes que les pratiques d'accompagnement individualisées et les échanges d'expériences entre établissements trouvent leur sens et leur utilité. ■
Témoignage
« Voir la démocratie en marche a été vécu comme une expérience exceptionnelle » CÉLINE FERRAND, chargée de soutien à l'ESAT de Pontmain.
« L'élection présidentielle nous a fourni l'occasion d'aborder le thème de la citoyenneté. En partenariat avec Lilavie, L'ADAPT/Mayenne a mis en place des ateliers réguliers pour comprendre l'actualité politique : lire, déchiffrer ce que nous dit un texte ou une image, en débattre, se positionner en tant que citoyen… Nous avons
Un accord-cadre signé le 21 décembre 2011 entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la région wallonne du royaume de Belgique formalise le financement par les autorités françaises de dispositifs d’accueil de ressortissants français en situation de handicap en Belgique. Faute d’un nombre de places suffisant en France, entre 3 000 et 10 000 personnes selon les sources autistes, polyhandicapées ou handicapées vieillissantes - choisissent ou se trouvent contraintes à l’émigration pour bénéficier des services nécessaires à leur vie quotidienne. Est-il acceptable que, pour des raisons d’inadaptation de l’offre d’accueil, des familles se voient obligées de choisir entre qualité de la prise en charge et proximité géographique de leurs proches ? Cette contrainte au déplacement n’est-elle pas en contradiction directe avec les droits au libre choix et à une vie familiale affirmés dans la CIDPH ou la loi de 2005 sur « l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » ?
clôturé cette année par un voyage à Paris et une visite de l'assemblée nationale en décembre. Notre député nous a très bien reçu et expliqué son rôle. Il nous a lui-même fait visiter ce lieu chargé de symboles. Voir la démocratie en marche a été vécu par beaucoup d'usagers comme une expérience exceptionnelle. La présence de caméras sur place a permis de comprendre comment l'information qu'on avait analysée auparavant était produite. A notre retour, des ateliers d'écriture leur ont permis de produire un article à leur tour. » LES CAHIERS DE L'ADAPT #171
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VIE AFFECTIVE, SEXUALITÉ, PARENTALITÉ
DES DROITS, MAIS PAS ENCORE D’ACQUIS
Sujets tabous s’il en est, la vie affective et la sexualité des personnes handicapées n’en restent pas moins au cœur de leurs préoccupations. Au même titre qu’une personne valide, elles réclament le droit de disposer de leur corps et d’en jouir librement. Avec comme corollaire, dans certains cas, l’accession à la parentalité. Des problématiques que les associations prennent aujourd’hui à bras-le-corps même si des efforts restent encore à entreprendre. Témoignage
« Je suis très entourée » VÉRONIQUE, jeune maman
A 37 ans, Véronique, en situation de déficience intellectuelle légère, est une Mère Courage : elle vient de mettre au monde des jumeaux, deux garçons prénommés Raphaël et Mathéo, qui portent à quatre le nombre de ses enfants, avec Sophie (11 ans) et Nicolas (9 ans). Pour elle, ces maternités n’ont rien d’exceptionnel : « J’en voulais quatre, j’en ai toujours voulu quatre. Maintenant, ça suffit ! » Des questionnements, elle en a eu, mais uniquement d’ordre pratique : « J’étais juste inquiète au début pour changer les couches, faire les biberons, me lever la nuit. Mais je suis très bien entourée », par les TISF, le CMS et l’ASE pour ses enfants, et pour elle, par le SAVS. Un accompagnement quotidien indispensable pour « assurer le bien-être de Véronique et de sa famille », explique Vanessa Baguet, son éducatrice. « C’est un travail intense pour les différentes équipes qui interviennent », poursuit-elle. Et le papa dans tout ça ? Lui aussi déficient léger, il assume parfaitement son rôle et garde les deux grands le week-end. Véronique en est d’ailleurs très satisfaite : « Il s’occupe très bien des enfants, y’a rien à dire ! », tient-elle à préciser. P28
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), la communauté scientifique, les professionnels du secteur sanitaire et social… Tous reconnaissent qu’avoir une vie affective et sexuelle fait partie intégrante de l’équilibre d’une personne. En France, cette reconnaissance est même inscrite dans la loi dite « handicap » du 11 février 2005. Néanmoins, une personne empêchée doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement afin d’appréhender au mieux un cheminement affectif et sexuel qui n’est pas forcément inné. Il faut pouvoir répondre aux questions métaphysiques ou pratiques qu’elle se pose, et auxquelles le personnel des établissements n’est pas toujours à même de faire face.
DÉDRAMATISER LA QUESTION En institution, l’éducation affective et sexuelle des usagers est une nécessité pour les amener à mieux appréhender leurs émotions et bien vivre avec elles. C’est en prenant conscience de cette problématique récurrente que Muriel Péquery, adjointe de direction de L’ADAPT/Haute-Normandie Insertion, organise depuis 2007 des groupes de discussions dans son établissement. La parole ainsi libérée, le personnel d’accompagnement sait mieux aborder ces situations et éviter les comportements déplacés au sein de l’établissement. Le succès de cette initiative est tel que plusieurs associations lui ont emboîté le pas et mettent désormais en place des groupes de discussions autour de la sexualité. Mais ces initiatives restent marginales et les structures des services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) nécessiteraient d’être adaptées à l’aide de fonds que les associations peinent encore à trouver. >>
ASSISTANCE SEXUELLE, LE DÉSAVEU DU COMITÉ D’ÉTHIQUE
L’ACCÈS À LA PARENTALITÉ L’épanouissement sexuel peut aussi être une porte d’entrée vers l’accès à la parentalité. Une réalité qui se chiffre : pour exemple, en 2011, les ESAT, SAVS, SAMSAH et autres foyers d’hébergement de L’ADAPT de Seine-Maritime comptaient 12% de parents soit 285 sur 2337 usagers pour 417 enfants. Se pose la question de leur accompagnement car 25,34% sont suivis par un SAVS, mais ces infrastructures ne suffisent pas à satisfaire tous les besoins, ni à prendre toutes les problématiques en compte. Un centre de ressources parentalité doit être créé afin, non seulement de répondre aux questions des parents en devenir, mais aussi d’évaluer les possibilités qui s’offrent aux personnes déjà parentes. Les aspects juridiques et sociaux doivent être abordés pour que chacun puisse faire ses choix en toute conscience. Autant de questions fondamentales abordées par les associations lors de plusieurs colloques (le 4 avril à Nantes et le 11 avril à Rouen), qui devraient déboucher sur la création d’un SAVS spécialisé sur la parentalité.
L’assistance sexuelle revient sur le devant de la scène médiatique. Au cinéma d’abord, où elle est portée par le très beau film The Sessions, tirée de l’histoire vraie de Mark O'Brien, poète américain handicapé, et de sa rencontre avec une assistante sexuelle. Moins réjouissant, l’avis négatif du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui avait été interpellé sur cette question par l’ex-ministre Roselyne Bachelot, rendu lundi 11 mars 2013. Pour le CCNE, l’assistance sexuelle s’assimile à de la prostitution, légale en France, et à une forme de proxénétisme, strictement interdit cette fois. Les associations qui militent pour sa reconnaissance, dont CH(s)OSE (cf. encadré), ne comprennent pas ce désaveu. Elles considèrent que l’assistanat est un moyen de reprendre confiance en soi, de se reconnecter avec son corps, pour, au final, aller vers autre chose. Rien à voir avec la prostitution. Elles mettent en avant l’approche psychologique d’un assistant, et ses connaissances des besoins et des fragilités d’un corps empêché. Néanmoins, les détracteurs de l’assistanat sexuel avancent des arguments (marchandisation du corps, exploitation d’une personne fragile, etc.) qui méritent d’être débattus afin d’éviter les dérives et de définir ce qui est a+cceptable ou pas. Légiférer, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays (Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Etats-Unis, Danemark, etc.) est donc une piste à explorer. Considérer la personne handicapée comme ce qu’elle est fondamentalement, à savoir une personne sexuée avec les besoins qui en découlent, est toutefois une nécessité.■
Interview
On est dans une vision de la sexualité d’un autre âge. ” PASCALE RIBES, présidente de l’association CH(s)OSE Pascale Ribes milite depuis 2011 pour la reconnaissance de l’assistance sexuelle. Elle a vivement réagi à l’avis rendu par le Conseil d’éthique en mars 2013 qui assimile l'assistance sexuelle à une forme de proxenétisme : « Il y a un rapport d’une quinzaine de pages vides, un contenu extrêmement moralisateur. On est dans une vision
de la sexualité d’un autre âge. Cette décision ne tient pas du tout compte de ces situations-là et de ce qu’elles impliquent. L’avis du comité d’éthique reste un simple avis. Il faut le ramener à ce qu’il est, d’autant qu’il est fortement contestable. On peut d’ailleurs même se demander si cet avis est vraiment éthique tellement il est orienté. »
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GLOSSAIRE : AFPA Agefiph ALJT ASE AVS CCNE CFA CH(s)OSE CIDPH CLIS CMS CNCDH CNCPH CNH CRIDEV CRP CVS DAFP DALO ERP ESAT ETP ETTI FAGERH FIPHFP FOAD GRETA IEM IMC MDPH OMS ONU PPS RQTH SAMSAH SAVS SESSAD, SESSD TISF ULIS
Association pour la formation professionnelle des adultes Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées Association pour le logement des jeunes travailleurs Aide sociale à l’enfance Auxiliaire de vie scolaire Comité consultatif national d’éthique Centre de formation des apprentis Association pour une vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap Convention internationale des droits des personnes handicapées Classe d’intégration scolaire Centre médico-social Comission nationale consultative des droits de l'Homme Conseil national consultatif des personnes handicapées Conférence nationale du handicap Centre de recherche pour l'intégration des différences dans les espaces de vie Centre de rééducation professionnelle Conseil de la vie sociale Dispositif ambulatoire de formation professionnelle Droit au logement opposable Etablissement recevant du public Etablissement et service d’aide par le travail Equivalent temps plein Entreprise de travail temporaire d'insertion Fédération des associations gestionnaires et des établissements de réadaptation pour handicapés Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique Formation ouverte à distance Groupement d'établissements publics d'enseignement Institut d’éducation motrice Infirmité motrice cérébrale Maison départementale des personnes handicapées Organisation mondiale de la santé Organisation des nations unies Projet personnalisé de scolarisation Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé Service d'accompagnement médico-social pour adulte handicapé Service d’accompagnement à la vie sociale Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile Technicien de l’intervention sociale et familiale Unité localisée pour l’inclusion scolaire
Directeur de la publication Emmanuel Constans Rédacteur en chef Eric Blanchet Coordination éditoriale Service communication Comité éditorial Sophie Cabanes, Cyrielle Claverie, Commission citoyenneté Rédaction Lucas Breton, Arnaud Lerch, Thomas Roure Conception, réalisation www.c-comme-c.fr Commission paritaire N°52-562 Parution trismestrielle ISSN 0182-5437 Dépôt légal 1er semestre 2013 Crédits photos L’ADAPT, Jean-Jacques Bernard, Lucien Lung, Emmanuelle Dal’Secco, Renaud Vezin.
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Les cahiers de L’ADAPT N° 171 - 1 semestre 2013 er
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