LES INVITÉS
JACQUES GAMBLIN & THOMAS COVILLE Au bout de l’autre
LE BOUT DU BOUT
AU BOUT DU QUAI
AU BORD DU MONDE
QUERÉTARO
FRENCH LINES
LES CABANES
Des artistes normands chez eux au Mexique
Les archives de la traversée mythique
Heureux dimanches dans la baie du Mont
MICHEL ART, C ULT URE & S O C I É T É E N NOR M A N DIE
NUMÉRO 4
AUTOMNE 2020
PORTFOLIOS
PAATRICE MARCHAND JEAN-PIERRE SAGEOT
15 €
LES BOUTS DU MONDE
160 PAGES DE RENCONTRES ET D’IMAGES POUR S’ÉVADER EN NORMANDIE
INTERLICHTENSTADT Nicolas Moulin
Inauguration le samedi 19 septembre 2020 à 18h00.
devant L’Académie : 96 rue des Martyrs de la Résistance - 76150 Maromme.
L’œuvre monumentale de Nicolas Moulin va prendre place dans l’espace public grâce au don de la pièce par l’artiste au SHED et du soutien précieux de la ville de Maromme.
le-shed.com
MICHEL A RT, C U LTURE & SO CIÉTÉ EN NORMAN DIE
« Si vous ne tenez pas à vous perdre en route, arrangez vous pour ne pas partir seul. » * ÉDITORIAL PAR GUY FOULQUIÉ PRÉSIDENT DES ÉDITIONS L APIN ROUGE XAVIER GRANDGUILLOT DIRECTEUR DE PUBLICATION FLORENCE DEGUEN RÉDACTRICE EN CHEF
La revue MICHEL nous emmène aux bouts du monde. Par les seuls moyens du partage d’expériences, de la relation, des images et sans taxe carbone sur les billets d’avion. En fait MICHEL serait bon pour la planète ? En effet, et en voici la démonstration En promenade à Sainte-Adresse, on arrive au bout du bout de la plage. Sans aucune modestie, le lieu se nomme le bout du monde. En déroulant le chemin du retour on se plaît à se demander combien d’endroits peuvent prétendre à ce nom et ainsi naît le projet d’un contenu vivifiant comme l’air marin, consacré aux découvertes… et aux découvreurs. Entre modernité et histoire, les liens avec d’autres mondes, d’autres peuples, d’autres temps remplissent ce quatrième numéro. En prétextant des Bouts du Monde, nous voulions mettre l’accent sur l’esprit d’ouverture, sur la curiosité (une très bonne qualité) qui anime nombre d’entre nous, sortir de nos habitudes, de nos paysages. Et le confinement est venu redonner encore plus de valeur à cette envie.
Avec MICHEL venez ainsi à la rencontre de lointains très lointains. Au Mexique, l’Alliance française promeut des échanges entre artistes normands et mexicains. Au Brésil, les navigateurs normands partaient chercher le bois braisé. Au Québec on peut encore rêver d’arriver au bout de la route. De Normandie on est beaucoup parti. Et pas toujours dans les paquebots de la French Line. Nous nous sommes posé aussi la question de l’éloignement tout proche, de ces lieux-dits « bout du monde » que l’on trouve près de nous. Pour éprouver cette distance, la marche est un précieux outil, qui allonge le temps, comme l’a pratiqué Caboisett en parcourant le littoral du Tréport à Avranches. À l’intérieur des terres, il y a aussi beaucoup d’endroits perdus ou oubliés, des zones blanches ou des villes abandonnées, des périphéries. Avec ce numéro qui déglingue les boussoles, vous pouvez demander à MICHEL où se trouve le bout du monde : MICHEL ne sait pas, ne sait plus et finalement préfère ne pas savoir… il veut juste y aller, avec vous. * Hubert Haddad, Un monstre et un chaos, éditions Zulma
MICHEL
NUMÉRO 4
AUTOMNE 2020 michel-larevue.fr
ART, CULTURE & S O C I ÉTÉ EN NOR M A N DI E
LES BOUTS DU MONDE OUVERTURE 1
ÉDITORIAL
40 AU
4
LA COUV’
BOUTTE DU MONDE
TEXTES RÉGIS SÉNÉCAL – PHOTOS MARIE-HÉLÈNE LABAT
GUY FOULQUIÉ – XAVIER GRANDGUILLOT – FLORENCE DEGUEN
45
ALAIN KOKOR
DU BOUT DU MONDE À LA NORMANDIE RENCONTRES ABORIGÈNES… PAR YOLANDE VIVALDI-HAUTEFEUILLE
LES INVITÉS
JACQUES GAMBLIN THOMAS COVILLE 5
AU BOUT DE L’AUTRE PAR MATHILDE BENNETT, ÉMILIE RICHELLE ET SOPHIE ROUSSELET
48
PAR DAMIEN ÉCLANCHER
CHAPITRE 2
AU BOUT DU QUAI 50
LE BOUT DU BOUT ENTRE LA NORMANDIE ET LE MEXIQUE, UNE IMPROBABLE ET JOYEUSE ÉMULATION CRÉATIVE
57
CANDICE PREVOST : LITTLE MISS SOCCER PAR JULIEN LEGALLE – PHOTOS CANDICE PREVOST
64 66
LE VOYAGE IMAGINAIRE
PAR GUY FOULQUIÉ ET PASCALE MARCHAL
36
QUAND LE BOIS « BRAISÉ » ATTIRAIT LES NORMANDS AU « BRÉSIL » PAR GUY FOULQUIÉ — ILLUSTRATIONS EXTRAITES DE « LE TRAFIQ DU BRÉSIL » DE JEAN-MARC MONTAIGNE
MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
MON AÏEUL RÊVÉ PAR CHRISTINE PETITPAS
69
À 3 800 KM L’UN DE L’AUTRE… ELLE ÉCRIT, IL TRADUIT PAR CHRISTINE RAOULT
80
LE BOUT DU MONDE IMMOBILE PAR PIERRE GENTES
PAR ANNA FOUQUÉ
33 RONEL,
FENDRE LES FLOTS PAR CHRISTOPHE GUÉRIN
28 TALLISKER
FUSIONNE LES MONDES POUR DÉPASSER SES PROPRES FRONTIÈRES
MYTHIQUES FRENCH LINES PAR OLIVIER BOUZARD ICONOGRAPHIE : FRENCH LINES & COMPAGNIES
PAR YANN LAPOIRE ET LAURE VOSLION
24
VOIR TERRE-NEUVE ET REVIVRE PAR ANNE MORILLON AVEC MARIE-HÉLÈNE DESJARDINS PHOTOS MUSÉE DES PÊCHERIES DE FÉCAMP
CHAPITRE 1
14
QUESTION DE PRINCIPE
PORTFOLIO PAATRICE MARCHAND
73
CHAPITRE 3
CHAPITRE 5
AU BORD DU MONDE
AU BOUT DE LA RUE
82
120
PROMENADES AU BOUT DU MONDE PAR FLORENCE DEGUEN, ISABELLE LETELIÉ, BÉATRICE POMETAN ET MARIE NIMIER PHOTOS ÉRIC ENJALBERT
PAR ISABELLE LETELIÉ – PHOTOS ALEXANDRA FLEURANTIN
126
92 BIVILLE PAR VALENTIN DANIEL
93 100
TEXTE GUY FOULQUIÉ – PHOTO MARIE-HÉLÈNE LABAT
UN BOUT D’AMÉRIQUE ABANDONNÉ DANS L’EURE
CARTE BLANCHE AU COLLECTIF CABOISETT
TEXTE LAETITIA BRÉMONT – PHOTOS CORALIE HIC
AUJOURD’HUI, UN AVANT-GOÛT DE L’INFINI
CHAPITRE 4
À TOUT BOUT DE CHAMPS VESTIGES D’HEUREUX DIMANCHES AU BORD DE L’EAU
128
142
QUAND BRETON REDEVIENT NORMAND POUR ÉCRIRE NADJA PAR ANNA FOUQUÉ
113
LIRE DE TOUT PAR ANNA FOUQUÉ
114
KONIEC ŚWIATA LE BOUT DU MONDE EST EN POLOGNE PAR DAGMARA FERAY
117
ZONES BLANCHES : ÊTRE OU NE PAS ÊTRE AU BOUT DU MONDE PAR MARYLÈNE CARRE – PHOTOS LUCIE MACH
RÊVE D’AUJOURD’HUI PAR ANNE BOURGET
PORTFOLIO JEAN-PIERRE SAGEOT UN MONDE À BOUT
133
S’ÉVADER 144
PAR MARIE-ANNE GERMAINE PHOTOS EMMANUEL BLIVET
109
LE SHED UNE FLAMME EN PÉRIPHÉRIE
AU BORD DU MONDE
PAR GUILLAUME HUE
102
LE QUARTIER DES NEIGES
DES LIEUX, DES LIVRES, DES EXPOS, DES FILMS, DE LA MUSIQUE…
CLÔTURE 152
LES CONTRIBUTEURS ELLES ET ILS ONT FAIT MICHEL…
155
OÙ TROUVER MICHEL ?
160
MICHEL EST MON AMI CHAPITRE IV PAR ANNE-GUYLAINE DU MAS
LA COUV’
Alain Koch dit Kokor vit au Havre, qu’il n’a jamais quitté. Illustrateur, auteur de BD, il a publié une quinzaine d’albums dont un très bout-du-mondesque Au-delà des mers (2015). Le petit dernier est paru chez Futuropolis en 2019 L’ours est un écrivain comme les autres librement adapté de l’œuvre de William Kotzwinkle, The bear went over the mountain. Il est également musicien dans le duo indie pop-rock Ruby Shoes qui sortira son deuxième album, Sweet Divine, à l’automne 2020.
D’ABORD UNE SENSATION par Kokor Déjà il ne s’agit pas d’illustrer « le » bout du monde mais « les » bouts du monde. Bien davantage une sensation qu’un endroit, l’étourdissement de celui qui cherche à aller plus loin. Je pense immédiatement à ce fond bleu, qui est ma marque de fabrique mais qui renvoie aussi à l’immensité du ciel, au vertige. Et là, me vient le souvenir de la balançoire. De l’énergie enfantine que l’on met à se projeter, c’est tout juste si on n’étire pas les doigts de pieds pour aller le plus loin possible… Je gribouille un personnage qui prend son élan, et c’est pour trouver le balancement que j’en dessine un second. Très rapidement, j’inverse les dessins : là où j’aurais utilisé deux cases en bande dessinée, je me retrouve avec deux personnages en miroir. Ce mouvement, ce déséquilibre, cet autre bout de soi la tête en bas, ça colle. J’incline la ligne d’horizon et ça y est, pour moi la sensation est là. Ne reste plus qu’à dessiner une falaise, puisqu’on est en Normandie et que cela symbolise le vertige, l’envie d’accéder à l’inatteignable aussi. Quand il y a un rocher au loin, on est toujours tenté de nager vers lui, non ? D’aller s’isoler, de s’élever, d’aller au bout, comme si tu étais le premier à y mettre le pied. Mon bout du monde à moi, personne ne sera surpris d’apprendre qu’il est à Sainte-Adresse où je suis né. J’ai toujours adoré ce lieu-dit, ado déjà je repoussais les limites pour l’explorer… Pour atteindre ce moment si particulier où tu sens qu’il n’y a plus grand monde derrière toi.
LES INVITÉS JACQUES GAMBLIN THOMAS COVILLE
Au bout de l’autre
6 les invités — J A C Q U E S G A M B L I N E T T H O M A S C O V I L L E
L’un est Normand, comédien. L’autre Breton, navigateur (d’une mère née dans le Calvados). Inviter l’un et l’autre pour ouvrir ce numéro consacré aux bouts du monde nous est apparu une évidence. L’amitié entre Jacques Gamblin et Thomas Coville est un voyage qui repousse la ligne d’horizon. Pas facile à intercepter. Sauf quand un confinement planétaire stoppe les étoiles dans leur course… et donne des ailes à MICHEL. Rencontre inespérée en visioconférence autour de l’amitié, la peur, la joie et le dépassement de soi, ce bout du monde intérieur qui rend tous les autres possibles. PAR MATHILDE BENNETT – ÉMILIE RICHELLE – SOPHIE ROUSSELET
NOS MÉTIERS, NOS ÂGES, NOS SENSIBILITÉS SONT TRÈS DIFFÉRENTS. Nous nous « rencontrons » pour la première fois par Skype, lors de la conférence de rédaction de lancement de ce numéro, le 21 mars 2020. Un peu assommées par les premiers jours de confinement, décidées à en profiter peutêtre, nous ne nous connaissons pas mais nous ressentons toutes la petite étincelle de l’aventure lorsque la discussion autour d’un invité s’arrête sur le comédien Jacques Gamblin. Sa correspondance avec le navigateur Thomas Coville lors de sa tentative
MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
de record du tour du monde à la voile en solitaire, Je parle à un homme qui ne tient pas en place a été chroniquée avec enthousiasme dans le dernier numéro de MICHEL. C’est devenu une pièce de théâtre bouleversante, la transcription rare et intime d’une amitié teintée de philosophie, de questionnement, d’immensité. Il y a du bout du monde dans cette amitié-là. Et la possibilité d’une joyeuse mise en abyme, pour nous coincées derrière nos écrans à Caen, Rouen et La Mailleraye-sur-Seine : partir à la recherche de ces deux compagnons de route dont on ne sait ni où ils sont, ni s’ils nous entendront, ni s’ils nous répondront. Comme eux, il y a six ans, nous décidons de correspondre et d’avancer ensemble… Trois petits points anonymes face à ces phares au loin dont nous tentons de capter et comprendre le faisceau commun. Nous plongeons progressivement, dans leur univers, écrits et films pour l’un, perfor-
7
© NICOLAS GÉRARDIN – © ACTU NAUTIQUE
A U B O U T D E L’ A U T R E
mances et interviews pour l’autre. Leurs parcours, leurs pensées, leurs mots résonnent différemment chez chacune d’entre nous. Mathilde, étudiante scénographe, y voit un écho à ses propres questionnements artistiques et son lien avec le littoral. Émilie, attirée par le théâtre, le cinéma et qui assure la communication d’associations militantes et artistiques, est emballée par le défi d’équipe et la rédaction d’un entretien à deux interlocuteurs et six mains. Proche depuis longtemps du milieu culturel et des artistes, amoureuse de la mer, Sophie, chargée de mission dans une instance territoriale, s’enthousiasme à l’idée d’un projet inédit, de nouvelles rencontres et d’une aventure insolite. Et si l’important, au fond, c’était le cheminement pour arriver jusqu’à eux, jusqu’à ce bout du monde ? Six bouteilles, six messages empreints de nos trois personnalités, sont jetés au large via les réseaux sociaux, e-mail et voie épistolaire.
Où êtes-vous ? À Granville ? Ailleurs ? Êtes-vous en mer ? Préparez-vous un nouveau défi ? Me répondrez-vous ? Jacques, face au silence de Thomas concentré sur sa course, avait continué d’envoyer des « bouteilles dans les airs » sans savoir si elles parvenaient au navigateur. Jusqu’à ce qu’un jour, Thomas décide de capituler face aux éléments et de stopper la course. Il rompt alors le monologue et s’abandonne à l’écriture. « Bonsoir Jacques, Oui je te reçois. Oui je te lis et te relis. » Nous croisons les doigts. Ce sont finalement les lettres, échouées dans leurs boîtes aux lettres iodées respectives, qui atteindront destination, à Locmariaquer dans le Morbihan. Hasard ou pas, ils y sont tous les deux confinés, chacun dans sa maison. Notre démarche les touche, leur donne envie de nous accorder un moment d’échange exceptionnel. Magie de la technologie qui fait fi de la restriction de circulation, nous nous sommes découverts au travers de deux « conversations » confinées et virtuelles. Ensemble au « bout du monde » de chacun.
Je parle à un homme qui ne tient pas en place de Jacques Gamblin et Thomas Coville, éd. Équateur, 14 €
14 CHAPITRE 1 — LE BOUT DU BOUT
Entre la Normandie et le Mexique, une improbable et joyeuse
émulation créative TEXTES : YANN LAPOIRE – QUERÉTARO - MEXIQUE LAURE VOSLION EN NORMANDIE
À quoi tient une aventure artistique ? Au détachement du chargé de mission Arts Plastiques de Normandie au poste de Directeur d’une Alliance Française au Mexique. Au gré des liens maintenus et des liens créés, des coups de cœur, des amitiés, Querétaro, cité coloniale au nord de Mexico, est devenue une résidence informelle pour artistes normands. Et vice-versa. Portraits et morceaux choisis d’une aventure en cours d’écriture.
Sur le papier, le point de jonction est quasi nul. Qu’ont en commun la Normandie et Querétaro, région du Centre du Mexique ? A priori, peu de choses, hormis quelques connexions liées à l’économie : la grande entreprise française d’aéronautique Safran dispose de quelques usines à Gonfreville-l’Orcher, dans la banlieue du Havre, et a une implantation importante à Querétaro, à trois heures au nord de Mexico. Il y a certes une vraie francophilie au Mexique, et pas mal de fantasmes sur ce pays ici. Et puis la ville coloniale mexicaine est d’une belle échelle, comparable à celle des trois métropoles normandes… Mais c’est bien tout. Et pourtant, depuis plus de deux ans et demi, quelque chose se trame entre ces deux bouts du monde. En grande partie grâce à l’Alliance Française de Querétaro, l’une des quelque huit cents associations de ce réseau mondial dont la mission est de diffuser la langue et la culture française dans le monde. Il y a trente-deux alliances françaises au Mexique, mais une seule dirigée par un fonctionnaire en détachement venu de Normandie… où il était chargé de mission Arts plastiques à la région. Il n’en fallait pas plus : la structure s’est naturellement faite entremetteuse entre les artistes des deux côtés de l’Atlantique, sans forcément imaginer provoquer autant d’étincelles. Se sont ainsi créées, de manière volontairement aléatoire, d’improbables rencontres artistiques et humaines.
28 CHAPITRE 1 — LE BOUT DU BOUT
Tallisker fusionne les mondes pour dépasser ses propres frontières
Elle a pris un whisky écossais pour nom de scène et s’est lancé le défi de mettre en musique trois bouts du monde qu’a priori tout oppose : Paris, Téhéran et New York. L’artiste électro rouennaise Tallisker signe un album d’une improbable harmonie au terme d’un long voyage géographique, mais aussi intérieur. TEXTE ANNA FOUQUÉ PHOTO TALLISKER
MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
« CE PROJET, C’ÉTAIT UN DÉFI, JE ME SUIS SURPASSÉE. ÇA SE VOIT ET ÇA S’ENTEND ». Se surpasser, c’est passer au-dessus de soi. Mais aussi au-dessus des frontières physiques. Au-dessus des codes de la musique urbaine, de la culture perse et du répertoire classique. Dépasser, aussi, la confidentialité relative des artistes électro français dans le monde. Ce n’est sans doute pas un hasard si Tallisker, l’avatar aux consonances écossaises d’Éléonore la jeune chanteuse rouennaise, a signé chez un tourneur qui porte le nom de « Limitrophe production ». Ni si son dernier album cinq titres, Azadi – « liberté » en persan – laisse les auditeurs cois bien au-delà du monde de l’électro. Les frontières, elle les traverse, les dépasse, les réécrit. Silhouette fine et gracieuse, yeux intensément verts, aura mystérieuse, la jeune femme fascine. À 32 ans, elle a plusieurs cordes à son arc – chanteuse, productrice, violoncelliste – et autant de facettes
Au boutte du
Nationale 7, Road 66… Et puis il y a la discrète, lointaine et fantasmagorique route 138. Avec ces mille quatre cents kilomètres de long, sur la rive nord du Saint Laurent, c’est l’une des plus anciennes voies carrossables du Canada. Un époustouflant chemin de traverse au « boutte » du monde, comme ils disent là-bas. CARNET DE VOYAGE : RÉGIS SÉNÉCAL (TEXTE) ET MARIE-HÉLÈNE LABAT (PHOTOS)
Monde
Natashquan qui signifie « là où l’on chasse l’ours ». Un coin de pays qu’on a surnommé l’Innucadie, parce que les Acadiens s’y réfugièrent et y furent accueillis par les Innus. Là où le goudron s’arrête, planent les chansons de l’enfant du pays, Gilles Vigneault. Survol fantastique, de cette terre trouée de plan d’eau, dans un hydravion, antique et mythique Beaver, surnommé Flying Jeep par les militaires américains. Le pilote, légende de l’est canadien, est un descendant de l’inventeur du célèbre fusil Lebel. Toutes les nuances de vert sont perceptibles dans cette végétation de toundra aux arbres rachitiques, alors que les bleus profonds jaillissent de toute part. Sur la mer des bancs de sable s’étalent comme des dunes humides.
VOIR TERRE-NEUVE ET REVIVRE En 1977, dans la France de Raymond Barre en pleine explosion punk, Olivier s’est embarqué à 19 ans sur le Shamrock III, le dernier chalutier des Terre-neuvas de Fécamp. Sa sœur se souvient de l’épopée de sueur et de glace de ce frère parti à la rencontre de lui-même au bout de ce monde âpre qui n’était pas le sien. TEXTE ANNE MORILLON
PHOTOS MUSÉE DES PÊCHERIES DE FÉCAMP
MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
51 V O I R T E R R E-N E U V E E T R E V I V R E
Dieppe, le 31 mars 2020. Alors que la France est confinée, certains travaillent pour continuer comme ils peuvent ou comme ils doivent, à faire fonctionner le monde, ou télétravaillent ou encore s’occupent à trier leurs photos ou leurs souvenirs. C’est mon cas… Voilà une belle occasion de fouiller le passé pour mieux vivre le présent, de faire le point avec sa mémoire pour éclaircir son avenir. À Dieppe il fait froid et le soleil est beau (il est toujours beau à Dieppe, le soleil) la mer est de jade mais si je vais parler d’elle ce sera sans la voir car la promenade y est interdite. Mais la promenade seulement car sur le port, les marins s’activent encore… Bientôt la pêche à la coquille Saint-Jacques sera fermée et nous attendrons octobre pour profiter de ce trésor. Depuis l’hiver 1977, c’est avec une certaine nostalgie que je regarde ou déguste ce coquillage Dieppois dont nos marins sont si fiers car de tous, il est bien le meilleur… Cette année-là, Olivier, mon frère, âgé alors de 19 ans s’embarquait sur un chalutier coquillard, pour préparer un autre voyage celui de la « grande pêche » en Mer du Nord à la recherche de luimême. Il refusait de faire son service militaire dans la Marine Nationale mais je compris plus tard qu’il cherchait sur la mer les racines que sur terre il n’avait pas trouvées… À son retour, depuis le port jusque chez nous il traversait la plus longue rue de la ville en titubant. Une semaine sur la Manche lui avait fait perdre l’équilibre sur une terre ferme. Il titubait donc, mais désormais il était prêt pour embarquer quelques jours plus tard à bord du Shamrock III, sous le commandement du Capitaine Jean Recher, il irait naviguer en mer du Nord avec les derniers marins Terre-Neuvas de Fécamp dont il ne comprenait guère le patois normand-maritime. Ces hommes d’équipage étaient pour la plupart marins au long cours depuis toujours, comme leurs pères et grands-pères avant eux, et connaissaient bien Saint-Pierre et Miquelon. Ils étaient rompus aux tempêtes de cette mer, au froid polaire de cette pêche et à tous les codes de ce genre d’embarcation, à cette vie « d’Homme », confinés sur un chalut loin de leurs épouses et de leurs enfants, loin de tout. Le temps de son absence nous paraissait très long mais je crois qu’alors la campagne d’hiver (quel drôle de nom pour ce voyage) durait trois mois dans une mer plus poissonneuse et plus déchaînée que celle de l’été qui durait quatre mois. Nous ne recevions de lui qu’une ou deux lettres par voyage et même si mes parents lui en écrivaient des dizaines, Olivier n’en recevait guère plus. Au cours du dernier voyage de ce bateau, il y eut un reportage réalisé par l’équipe de Thalassa, mon frère attendait sur le pont le regard fixé au loin vers le bateau postal. Je n’ai jamais oublié la force de ce regard, son souvenir est si présent aujourd’hui encore, je n’avais pas la moindre idée de la motivation d’Olivier mais je ressentais profondément les départs de mon frère comme autant de fuites, et dans ses yeux brillait enfin le lien qui nous unissait et que depuis si longtemps il avait perdu. Le bateau débarquerait ses précieuses missives, tandis que moi et mes parents devant ce petit écran nous pleurions. Sur ses lettres, les nouvelles étaient toujours bonnes et l’on se réjouissait. Il avait bien des crevasses sur les mains que le sel creusait un peu plus chaque jour mais il allait bien, écrivait-il, et tout son équipage était de bonne compagnie. Il revint de son premier voyage pas plus loquace qu’il n’en était parti, mais j’étais curieuse… alors il me raconta un peu : le temps qui n’était plus, les bordées de seize heures et la perte de ses repères dans un ciel toujours trop sombre, la langue qu’il fallut apprendre de ces hommes
58 CHAPITRE 2 — AU BOUT DU QUAI
Trente mille objets et œuvres d’art, 80 000 photos, des films, des archives sonores… French Lines & Compagnies conserve au Havre la mémoire des compagnies maritimes qui reliaient la France au reste du monde. Passeuses de culture, temples d’innovations, accélératrices de mondialisation… Témoins, pour le meilleur et pour le pire, d’une époque révolue. PAR OLIVIER BOUZARD ICONOGRAPHIE : COPYRIGHT FRENCH LINES & COMPAGNIES
Page précédente E migrants, France, 1912 Ci-dessus Valise de voyage en cuir jaune ayant appartenue à Ginette Le Friant, avec étiquette à bagage du paquebot France (CGT 1962). DON PIERRE LE FRIANT
C’EST PRESQUE UN SECRET D’INITIÉS. À l’abri des regards, dans une ancienne usine de production d’appareils électriques transformée en coffre-fort climatisé, est conservée une mémoire unique en Europe : celle de l’aventure marchande et humaine de la Transatlantique. Un siècle et demi de trésors sont ici conservés par l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) « French Lines & Compagnies, Patrimoine maritime et portuaire », soit le plus vaste fonds d’Europe jamais dédié aux compagnies maritimes françaises. Ces mythiques « French lines » qui, dès 1851, ont relié l’ancien monde au nouveau. Une véritable caverne d’Ali Baba où se côtoient 32 000 objets et œuvres d’art, mobiliers, orfèvrerie, vaisselle, uniformes, affiches, maquettes, plans de navires… Mais aussi 80 000 phototypes, films, enregistre-
MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
ments sonores, papiers administratifs, objets publicitaires. Pas moins de cinq kilomètres linéaires d’archives retracent les aspects économiques, techniques, commerciaux, artistiques et sociaux de ces légendaires traversées. Un témoignage unique. Et fascinant. Car oui, les échanges transocéaniques fascinent. Qu’on en juge par l’émotion suscitée à la simple évocation du paquebot France : toute une nation vibre alors d’un sentiment de nostalgie, teinté d’une amertume proportionnelle à la fierté ravalée en 1974, lorsque la France abandonna le mythique navire à son triste sort. Double symbole des flamboyantes Trente Glorieuses et du déclin consécutif aux chocs pétroliers, le fleuron de la Compagnie Générale Transatlantique finit sa course tricolore au « quai de l’oubli ». Son fantôme n’en continue pas moins de hanter la mémoire
59 MY THIQUES FRENCH LINES
collective, comme si ce mirage malheureux nourrissait toujours un inconscient collectif fait de gloire, de prospérité et de confiance en un avenir radieux. Nous parlons ici de la grande épopée des relations maritimes intercontinentales qui, depuis le milieu du xixe siècle, ont profité de l’innovation industrielle et technique pour relier la France à ses territoires coloniaux, au Nouveau Monde et aux endroits les plus éloignés de la planète. Stratégique, voire impérialiste, cette toile maritime n’est pas sans évoquer la globalisation des échanges et la perméabilité des cultures que l’on croit parfois être l’apanage de l’époque contemporaine. Or, un siècle avant l’explosion commerciale liée à la conteneurisation des marchandises, les compagnies maritimes internationales et françaises engageaient déjà leurs pays respectifs dans une formidable entreprise d’apports mutuels, de fertilisation croisée, de métissage des modes de vie.
À voile et surtout à vapeur Témoin de ces étonnantes influences réciproques, l’évolution de la Marine marchande illustre la manière dont est né le phénomène de la mondialisation. Fers de lance dans ce domaine, les compagnies maritimes profitent
de la révolution industrielle pour lancer les premières lignes régulières de paquebots, désormais à vapeur. Les grandes compagnies pionnières naissent dans les années 1830 en Grande-Bretagne. En France, les Messageries Maritimes sont fondées en 1851, suivies par la Compagnie Générale Maritime en 1855, devenue Compagnie Générale Transatlantique dix ans plus tard. Leurs navires sillonnent dès lors les mers, acheminant fret, courrier et passagers vers le Nouveau Monde, de la haute société aux migrants de fond de cale. Sans ces lignes, les USA n’auraient sans doute pu transformer la misère européenne en rêve américain.
Agence des Messageries Maritimes à Pondichéry Affiche C ie des Messageries Maritimes. Paquebots-poste français. Australie, Indo-Chine, Océan Indien, Méditerranée, Brésil et Plata de David Dellepiane (18661932), vers 1910. Maquette du Mariette Pacha (MM 1926)
Promenades au Bout du Monde PAR FLORENCE DEGUEN, ISABELLE LETELIÉ, BÉATRICE POMETAN ET MARIE NIMIER PHOTOS ÉRIC ENJALBERT
Vestiges d’heureux dimanches au bord de l’eau MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
103
Le Repos du pêcheur, Tout près du lac… Ainsi avaient-elles été baptisées par leurs propriétaires, tout à leur modeste rêve – initié dans les années 50 – d’un dimanche de pêche en famille au bout du monde. Après la décision écologique d’araser le barrage de la rivière, les pontons vermoulus des cabanes du Lac de Vezins, dans le Sud-Manche ont aujourd’hui les pieds… dans la verdure. TEXTE MARIE-ANNE GERMAINE PHOTOS EMMANUEL BLIVET
LES LACS DE VEZINS ET DE LA ROCHE-QUI-BOIT, dans le Sud-Manche, font partie de ces paysages cachés : peu accessibles car en contrebas de versants escarpés et boisés. La plupart des visiteurs ne les connaissent que depuis les ponts qui enjambent les retenues d’eau comme le Pont des Biards ou encore le Pont de la République. Ces paysages sont apparus dans la première moitié du xxe siècle lorsque la Société des Forces Motrices de la Sélune a entrepris la construction de deux barrages hydroélectriques sur cette rivière, à une douzaine de kilomètres de son embouchure dans la Baie du Mont Saint-Michel. Les retenues d’eau ont alors ennoyé la vallée, transformant ses paysages. Ces lacs
sont vite devenus un lieu de pêche mais aussi de villégiature. Çà et là, au niveau du pont des Biards et sur les rives du Lair, les berges du plus grand des deux lacs de Vezins se sont retrouvées ponctuées de cabanons cachés dans les sous-bois. Construites dès les années 1950 et 1960, ces installations hétéroclites témoignent d’un fort attachement aux lieux et du souvenir d’un rapport privilégié et intime à un paysage en voie de mutation.
Cannes, seaux, réchauds Ces constructions se distinguent par des matériaux multiples, notamment de récupération, des formes et
ZONES Le confinement les a souvent isolés plus qu’ailleurs. En Normandie, une cinquantaine de hameaux ne sont pas encore couverts par la téléphonie et l’internet mobile. Mais entre réclamer la 4G et regretter son arrivée, ces petits bouts du monde s’interrogent. A-t-on besoin d’être connecté en permanence partout ? TEXTE MARYLÈNE CARRE PHOTOS LUCIE MACH
BLANCHES ÊTRE OU NE PAS ÊTRE AU BOUT DU MONDE
MOULINES, 303 HABITANTS, dans le sud du Calvados, loin des grands axes. Le téléphone sonne. Moins d’une seconde. « Encore un appel manqué », soupire Laurent Lespiaux. Sa messagerie vocale est sat urée de tentat ives d’appels. Quand il réussit à capter une barre de réseau au fond du jardin, il s’estime déjà chanceux. « À l’intérieur, c’est mort ». Le 12 mars 2020, alors que toute la France se confine derrière ses écrans, les habitants des zones blanches comprennent vite que l’isolement et la distanciation n’auront pas le même sens pour tout le monde. Dans ces territoires sans couverture mobile, parfois sans internet, communiquer avec ses proches, travailler ou faire l’école à distance relèvent de la roulette russe. Ça passe, ou ça passe pas ? À Moulines, la famille confinée a dû composer avec la seule ligne fixe et un débit internet qui rame en bout de ligne. Impossible de se connecter tous en même temps. « Quand quelqu’un est au téléphone, on ne peut pas en même temps charger nos mails. Pour télécharger les devoirs des enfants, on doit attendre l’heure du coucher. ». Un film ? Pas la peine d’y penser. Dans l’Orne, Saint-
Georges d’Annebecq attend depuis des années les travaux promis par Orange. Le réseau cuivre est vieillissant, le signal ne passe pas bien. Dans ce village de cent cinquante âmes, le débit est cent fois inférieur à la moyenne nationale. « Internet, c’est soit le matin très tôt, ou très tard le soir », confie une habitante. Les plans nationaux censés réduire la fracture numérique sont restés à l’état de promesse. Les hameaux ne sont pas un investissement rentable pour les opérateurs.
Pour le meilleur et pour le pire, Le Gast sort de zone blanche « Avoir internet et la téléphonie mobile n’est pas un luxe, mais un droit ! » a ma r telé penda nt des années Reine Eude, maire de Le Gast de 2014 à 2020. Pendant des années, quiconque se rendait dans cet te c h a r m a nte com mu ne du bocage virois, entre la Manche et le Calvados, voyait apparaître sur son smartphone : aucun service. Impossible de passer un coup de fil ou d’envoyer un texto dans le village. Les jeunes pestaient, les anciens continuaient la vie comme avant. Mais sans commerce de proximité
et avec des problèmes de mobilité, nombre de maisons restaient vides. La commune était bien entrée dans le « Plan Macron 2015 », intégrant la short list des 268 communes françaises (dont 38 en Normandie), à qui l’État avait promis l’installation d’un pylône avant fin 2016. Mais empêtré dans des centaines d’appels d’offres, l’État s’était déchargé auprès des collectivités. Le « New deal mobile » de janvier 2018 identifiait à nouveau Le Gast parmi les territoires prioritaires. Il promettait à l’élue une enveloppe de cent milles euros et un opérateur, Free mobile, était affecté pour monter une antenne. Un an plus tard, le pylône de 36 mètres de haut se dressait à côté du cimetière. Et le 23 décembre 2019, les deux cents vingt habitants ont cru au Père Noël : les téléphones se sont mis à sonner intempestivement, Le Gast était enfin connecté ! Finis les escapades au bout du village pour « avoir une barre ». Terminés les arrangements avec le voisin pour utiliser son réseau privé. Bienvenus la connexion 24/24, le télétravail, Netflix, les jeux vidéos, les applications mobiles… Pour le meilleur et pour le pire, Le Gast est sorti de zone blanche.
Le quartier des Neiges UN CÅ’UR QUI BAT AU MILIEU DE NULLE PART
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On le dit plus ancien que Le Havre lui-même. Le quartier des Neiges, avec ses petites maisons et ses barres HLM coincées entre les grues du port et la centrale thermique, ne ressemble à rien de connu. C’est là qu’ont toujours vécu les vagues successives de migrants, Bretons ou Espagnols hier, Syriens aujourd’hui… Et là que bat un cœur singulier, fait de fierté et de solidarité. TEXTE ISABELLE LETELIÉ PHOTOS ALEXANDRA FLEURANTIN
Pour se convaincre de l’étrangeté de ce quartier de la ville Océane, il suffit de regarder une carte : les rues, les maisons, sont à l’écart du reste de la ville, vers le sud-est, et environnées, enclavées même, au milieu de la zone industrielle. Une dizaine de voies en tout, une petite zone d’immeubles, une école, une église, un stade, quelques commerces semblent perdus et oubliés au pied de la Centrale EDF, bordés de forêts de conteneurs et des anciens abattoirs transformés en entrepôts. Se balader aux Neiges a son côté surréaliste : des maisons souvent toutes petites et paraissant fabriquées de bric et de broc, parfois coquettes avec leurs jardins de poupée… avec en guise de paysage en levant à peine le nez, le gigantisme des terminaux à conteneurs, des tours de la centrale thermique, des hangars… Depuis des décennies, c’est aussi un quartier à la mauvaise réputation. Trafics, économie parallèle, chômage et pauvreté : on dit encore que les policiers évitent de s’y rendre, et le maire s’y est fait caillasser sa voiture l’an dernier… Mais on admet aussi que c’est mieux aujourd’hui, avec la reconstruction des immeubles, la réfection de plusieurs espaces publics. Il n’en reste pas moins que les réputations sont difficiles à dissiper. Les Neiges restent un quartier à part, où on ne vient pas par hasard. « Personne ne s’arrête ici à moins d’y habiter ou d’y avoir quelque chose de précis à faire, témoignent les habitants. Ce n’est pas un secteur qu’on a besoin de traverser, c’est celui qu’on contourne, sans compter que les ponts et les quais en rendent l’accès difficile ».
Mardi 4 juin 2019 Anniversaire des deux cents jours : le village fortifié des gilets jaunes est détruit en application du nouvel arrêté préfectoral. Cette intervention était attendue, mais tout le monde est sous le choc. Un peu à l’écart de l’AG, je repense à ma série sur les naufragés et rajoute une pièce au puzzle. Mercredi 12 juin 2019 Au 208e jour, les élections européennes ont balayé les GJ et le village est détruit. Le RPDV enregistre sa plus basse affluence. C., un des grands bâtisseurs du rond-point, vient reproduire les gestes familiers de tournoiement de drapeau au centre du giratoire, quasi-désert. Seule une poignée de gilets jaunes se tient aux abords. L’ambiance est lourde, je ne sais pas si le mouvement survivra à l’été. C’est la deuxième fois que je pense faire mon image de fin de sujet.
< Jeudi 22 août 2019 Au 280e jour, l’été est passé. Les GJ ont occupé le temps à leur façon : décoration du rond-point et affichages, systématiquement détruits par la police. La fréquentation estivale a été faible mais pas inexistante : dix à vingt personnes ont occupé le rond-point tous les jours.
Dimanche 13 octobre 2019 332e jour : c’est la douzième fois que je viens photographier la pleine lune au rond-point des vaches. Faire un sujet aussi long, avec la même unité de lieu et à l’air libre m’a permis de faire une série au rythme de notre planète, et de changer de paradigme. Peu importe le devenir des GJ, et de l’espèce humaine, la course des astres au-dessus de ce lieu continuera malgré tout.
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Des lieux, des livres, des expos, des films, de la musique… ÉCOUTER
LE RAP FLAMBOYANT DE ROUQUIN
Rouquin comme le sang, chaud et palpitant. Un rapport à la vie, à l’universalité, ce liquide rouquin qui coule dans nos veines… Un autre EP sort cet automne, qui sera l’occasion pour Rouquin de remonter sur scène, au 106 à Rouen ou à l’espace François Mitterrand à Canteleu… Au fait, pourquoi Rouquin ? — GF https://rouquin.bandcamp.com/
SE L AISSER ILLUSIONNER
Un premier album EP sorti cet hiver, Le meilleur des mondes, résonne de références aux œuvres d’Aldous Huxley. Les textes flirtent avec l’autodérision et nous parlent d’un système où chacun lutte pour sa survie. Rouquin, alias Jean Baptiste et Antonin Martaud, est un groupe de rap prolifique au verbe dense, au goût de la forme parfaite, au champ lexical sans limites. Sur les vagues hypnotiques de la bande-son, les voix se glissent dans une non-violence assumée. Riche assemblage de sensations. Chaque intro instaure un univers particulier, intrigant, parfois fragile. Emprunts à l’électronique, au jazz, au traditionnel africain. Rouquin comme le breuvage naissant de la terre et du soleil,
BERLUE, COURT MÉTRAGE NORMAND
Curieux spectacle pour les mouettes de Mers-les-Bains. Par une matinée comme une autre, le soleil caresse les façades bariolées tandis que sur la plage évolue une silhouette solitaire. Un pêcheur, à en juger par son attirail, et bredouille qui plus est. On se dit qu’en temps normal, les mouettes ne font que peu d’état des nasses vides. Ce jour-là pourtant,
MICHEL NUMÉRO QUATRE — LES BOU TS DU MONDE
MICHEL PARTENAIRE DE TERRE DE PAROLES
Pour la deuxième année, MICHEL est partenaire de Terre de Paroles à travers l’animation de rencontres.
Samedi 3 octobre – 16h Médiathèque d’Arelaune-en-Seine Laure Voslion reçoit Victor Poucher, auteur de Autoportrait en chevreuil, qui sera lu par lui-même. Dimanche 4 octobre – 10h30 Eco-Brunch à la Bouche du 3 pièces à Rouen. Guy Foulquié essaiera des modérer les élans de deux auteurs de Il était une bergère, Stéphanie Maubé et Yves Deloison, avec des extraits lu par Hélène Franscisi. Vendredi 16 octobre – 17h30 Librairie L’encre marine à Eu. Yolande Hautefeuille rencontre Maylis Besserie pour Le Tiers temps, avec une lecture prévue ensuite. Samedi 17 octobre – 14h Librairie le Chat Pitre à Fécamp. Florence Deguen rencontre Laurence Vilaine, auteur de La Géante, dont la lecture aura lieu le soir à 19h.
Berlue, court métrage d’Axel Roche et Raoul Barbé
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ce personnage retient toute leur attention. Car soudainement, celui-ci se fige et, se délestant de son barda, entreprend de creuser frénétiquement dans les galets… Ainsi débute Berlue, dernier court-métrage d’Axel Roche et Raoul Barbé. Treize petites minutes mystérieuses, pleines d’humour et d’embruns, au sein duquel l’absurdité est le maître-mot. Diplômés des Beaux-Arts de Rouen en 2017, le cinéma est pour les deux jeunes réalisateurs le meilleur moyen d’exprimer leur attrait pour les arts-plastiques et le théâtre. Quant à la plage de Mers-les-Bains, elle s’est imposée d’elle-même : la côte normande est en effet un vaste et riche décor qui ne demande qu’à être exploré… — GF Berlue, un court métrage d’Axel Roche et Raoul Barbé, en libre accès sur Youtube.
SE REPOSER
SEULS AU BOUT DU MONDE
Se perdre pour mieux se retrouver… Parfois une pause s’impose et le bocage normand s’y prête aisément, notamment du côté de Saint-Amand-Villages dans la Manche. Après un kilomètre de route de campagne non goudronnée, essieux sensibles s’abstenir, le voyageur échoue, ravi, à l’écogite Le bout du monde : cinq chambres et
SÉLECTION NORDIQUE
VOYAGER SANS BOUGER Pour prolonger la lecture de notre article sur le précieux travail de traduction en français de la littérature islandaise (page 71), vous pouvez vous ruer sur ces flamboyants romans glacés… Ou vous glisser dans la peau de deux touristes américains débarqués sur une Islande vierge d’humains, dans le long-métrage Bokeh. — CR Écrivain ou écrivaine ? Dans l’Islande du début des années 60, Hekla, 21 ans, claque la porte de la ferme parentale pour aller tenter sa chance à Reykjavik, avec pour seuls bagages quatre manuscrits et sa machine à écrire… Mais pour aller à la rencontre de son destin d’écrivain, elle doit d’abord fuir celui que les autres ont naturellement décidé pour elle, le concours de beauté de Miss Islande… « Hekla aurait pu exister si la société n’avait pas été aussi conservatrice et patriarcale, et le monde littéraire aussi. » explique Audur Ava Olafsdottir. Miss Islande, de Audur Ava Olafsdottir (Prix Médicis Etranger 2019), traduction Éric Boury, éditions Zulma, 20,50 €.
Dystopie glaciale L’Islande perd tout contact avec l’étranger. L’île de ce journaliste et cette violoniste est transformée par la peur. L’auteure, journaliste de la télévision islandaise, y tisse le glissement d’une société qui se retrouve forcée à revenir à une autarcie abandonnée. L’île, de Sigrídur Hagalín Björnsdóttir, traduction Éric Boury, éditions Gaïa, 21 €.
Bout du monde, fin ou début du monde L’histoire d’un gamin distillée au fil d’une trilogie qui se déroule dans le nord-ouest de l’Islande du xixe siècle. Un premier livre dont la lente déambulation se perd au fil des pensées
de personnages croisés par l’enfant, amène le lecteur à se perdre dans un bout de monde glacé. Trilogie de Jón Kalman Stefánsson, Entre ciel et terre ; La tristesse des anges et Le cœur de l’homme, traduction Éric Boury, éditions Folio, 8,50 € chaque tome.
Aliens et frissons L’Islande, laissée en pâture aux extraterrestres, y est vue au travers du regard d’une adolescente et de son petit frère. Une science-fiction bien glaçante, en deux tomes. Sanglant hiver et Dernier hiver, de Hildur Knútsdóttir, traduction Jean-Christophe Salaun, éditions Thierry Magnier, 15,90 €.
Code génétique particulier Le Parlement islandais a voté à la fin des années 1990 une loi autorisant une société privée américaine, DeCode genetics, à constituer un fichier médical de la population islandaise à des fins de recherches. L’auteur a utilisé ce fait pour construire une enquête de son inspecteur Erlendur. Un personnage à suivre dans treize autres enquêtes. La cité des jarres, Arnaldur Indridason, traduction Éric Boury, éditions Points, 7,50 €.
La carte postale, sans les touristes Un couple d’Américains en voyage en Islande se réveille un matin dans Reykjavik fantomatique et déserté. Ils sont désormais seuls au monde et l’île leur révèle la beauté angoissante de ses plus beaux sites touristiques. Bokeh, film américain de Geoffrey Orthwein et Andrew Sullivan, 2017, en VOD ou streaming.
Commandez la revue MICHEL Les anciens numéros sont en vente au prix de 10 € sur commande dans les librairies de Normandie ou sur le site michel-larevue.fr
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LES ANCIENS NUMÉROS
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SUR LES PONTS
RACINES
LES MÉDIATIONS
INVITÉ : Sylvain Groud, chorégraphe – Ponts de mémoire, les ponts de la bataille de Normandie sont toujours en activités – Le pont Colbert de Dieppe – La traversée de la Seine à Rouen, une longue histoire – Jean Gaumy, la construction du pont – Portrait d’Isabelle Lebon, photographe – Portfolios « j’aime beaucoup ce que vous faites », Claire Lebreton …
INVITÉE : Alice Zeniter, écrivain – L’IMEC, la mémoire de l’écrit à Caen – Le vin en Normandie – Le domaine d’Harcourt – Ancêtres d’hier par l’historien Éric Eydoux – Normandeep blues, Nicolas Miliani producteur de musique – La Spiranthe d’automne au pied de Tancarville – Back to the roots, la naissance du sport au Havre par les Anglais – Portfolios Emmanuel Blivet, Anya Tikhomirova …
INVITÉ : Vikash Dhorasso, footballeur – Les dispositifs Culture justice et Culture à l’hôpital – L’instit gadjo – Opération séduction au musée de Dieppe – Les festivals Off Courts et du Grain à démoudre – L’expérience Globules – Le droit normand, pionnier de la médiation – Les Veilleurs à Évreux – Échelle inconnue à Flamanville – Portfolios Guillaume Laurent, Alexandra Fleurantin …
AUTOMNE - HIVER 2017
PRINTEMPS – ÉTÉ 2018
PRINTEMPS - ÉTÉ 2019