DRANE ÊTRE
6 JUIN - 31 JUILLET 2008 HÔTEL DE RÉGION - ROUEN
À travers sa production multiforme, Drane travaille toutes les dimensions. Ses sculptures de béton, ses gravures flottantes, ses monotypes noir et blanc ou ses arbres à l’encre de chine coulée sur papier révèlent un monde mouvant et émouvant, un monde surprenant de poésie mais aussi semblant contenir une partie de la violence du monde, à l’image de ses sculptures de béton représentant des hommes et des femmes figés dans un long cri silencieux. En intitulant « Être » son exposition présentée à l’Hôtel de Région, cette artiste née à Rouen mais qui maintenant vit et travaille à Dieppe, œuvre sur l’idée d’exister, sur la verticalité, l’élan vers le haut. Peut-être peut-on dire sur une belle idée de la dignité. La Région Haute-Normandie est donc heureuse d’accueillir en ses murs le travail tout en nuance de Drane pour sa traditionnelle exposition d’été. Alain Le Vern Président de la Région Haute-Normandie
Debout, sculpture béton rehaussé huile, 209 cm, 2008
PETIT ENTRETIEN AVEC DRANE
Quand et comment avez-vous commencé la sculpture ? C’est en 2004, je crois, que j’ai eu une envie soudaine de modeler du béton ; à cause de la couleur du béton sans doute, il offre des gris poudrés sublimes. J’aime les matériaux bruts, banals, les matériaux qui engagent fortement le côté physique. Alors j’ai commencé, un été. Il faisait très chaud, le béton prenait à une allure folle, je travaillais vite vite. Des personnages en béton ont été créés d’un seul élan, d’un désir univoque et violent. De la matière sont nées les formes. Le béton est un matériau ne permettant pas l’hésitation, il respecte les impulsions. L’aspect est brut, la matière sans détour, crue et rapide. Au départ, l’envie était de mettre en forme cinquante personnages identiques. En fait, c’est une grande famille de soixante personnes différentes qui sont nées, comme un autoportrait éclaté, comme autant de miroirs à nousmêmes. C’est un immense bonheur que de caresser le béton, j’ai l’impression de « donner naissance » (tout comme l’encre coule sur le papier trempé lorsque je crée mes « hêtres »…). J’ai poursuivi, agrandi la famille même si les sculptures changent. Les formes présentées dans cette exposition sont plus épurées : elles s’élancent, verticales comme des lignes de vie. Des coulures sont apparues sur les dernières créées, des lignes verticales noires comme des chemins de vie.
Créer une sculpture est un geste vivant. Pour moi, c’est donner la vie, signifier l’écoulement du temps. En exposant les œuvres, je me sens une parmi les autres, en lien de vie avec les hommes ; vivante et dans le destin de mourir. Quelles sont vos techniques de travail, vos matériaux de prédilection ? Il y a quelques années encore je faisais de la gravure, beaucoup d’eaux-fortes. Dans les œuvres présentées ici, j’ai travaillé sur papier : encre de chine coulée, monotype noir et blanc. Les sculptures sont de béton que je modèle sur des armatures de métal et filasse ; ensuite elles sont rehaussées d’huile. Enfin, pour mes gravures flottantes, c’est mon secret ! Quelles sont vos sources d’inspiration et quels sont les artistes qui ont été influents ? Dans le désordre, j’aime particulièrement Willem Cartridge, Richier, Yan Mei Ping, Guiseppe Penone (à couper le souffle), Ousmane Sow, Krajcberg, Garouste, Lalique, les grands architectes contemporains, Soutine, Dubuffet, Le manège de Petit Pierre m’a fait pleurer, Aloïse, Ernest-Pignon Ernest, Chardin, Goya, L’autoportrait à 29 ans de Ingres m’a fait pleurer, Schubert, L’homme qui marche de Giacometti m’a fait pleurer, Schiele, Vallotton, Picasso, Dürer, Shakespeare, Chagall, Nicolas de Staël, Soulages, Gaudi, Matisse, Bonnard, Balzac (une passion), Baudelaire (une passion), Herman Hesse, Pasolini, et tant d’autres… J’aime les artistes « hors des chemins » et fortement engagés ! Quels sont les grands thèmes de votre œuvre ? Il n’y a jamais de thème dans mes créations. Cependant j’ai nommé l’ensemble des œuvres ÊTRE. Ces œuvres, je les souhaite puissantes de vie, elles ont en commun un graphisme, des jeux de lignes verticales. Gravures flottantes, arbres à l’encre coulée, monotypes, sculptures de béton rehaussées, huile et film artistique, toutes ces œuvres étaient noir et blanc d’abord, puis étaient jeux de lignes, lignes faites par ma main. Les œuvres sont grandes, comme pour engager tout le corps, plonger dedans ; mais c’est ma main qui éclabousse dans le béton, c’est elle qui dessine, frotte, taille… J’adore ça les mains, le travail des mains, le savoir-faire des mains… La ligne dessinée ne trompe pas : elle vous reflète et marque votre authenticité, votre liberté, votre identité. Je suis bouleversée devant un dessin de Egon Schiele ou Giacometti ou Goya… C’est comme si je voyais la personne du dessinateur devant moi, tout proche, alors
Le baiser, monotype, 120 x 80 cm, 2008
je reçois des émotions fortement. Peu importe le sujet, la lecture, la rencontre ou la vision qui m’ont inspirée : je me laisse traverser par des désirs de créer et le médium devient réceptacle émotionnel. Comment s’est opéré le choix des œuvres exposées à l’Hôtel de Région ? En fait je présente mon travail du moment ; de l’année écoulée. Cet ensemble d’œuvres exposées à la Région offre une cohérence formelle me semble-t-il. Je continue de travailler chaque jour ; j’ai besoin d’aller dans mon atelier souvent, comme je mange et comme je bois, d’être dans le silence. Mon travail est une ligne (encore une) continue et que je souhaite longue.
Soliloque Sculpture béton rehaussé huile, 2006 180 cm
J’ai toujours dessiné. J’aime poser le crayon sur le papier, sur la toile. La plupart de mes dessins sont faits comme ça, par le hasard : cela doit m’échapper. Dès que je m’applique, c’est « mauvais ». La feuille blanche paralyse, la toile vierge paraît trop immense alors j’accepte ce blanc, cet espace vide : je ne me pose pas de question, et les traits partent libres. En gravure, sur la plaque, mon dessin est immédiat, d’un seul jet ; la plaque de zinc, comme un support actif, m’invite, aspire mes traits. J’aime les techniques. C’est comme une alchimie, une rencontre ; comme des recettes de cuisine. C’est un jeu gourmand où l’on recherche le goût subtil qui émoustille les papilles. Je fais des allers et venues entre peinture et gravure, entre gravure et peinture. Je gratte, j’enduis, je raye, je creuse, j’encolle, j’écris, avec la même jouissance à dire mes ressentis, à vouloir partager. J’invente avec l’énergie du rejet des contraintes apprises. J’ai vite rêvé de mettre mes gravures en trois dimensions. J’avais envie qu’elles s’échappent du support du papier, qu’elles s’émancipent : je rêvais de voir les lignes noires flotter, libres dans l’espace. Mon désir a pris forme lors de la rencontre avec une photographe, un soir ; lors de nos échanges passionnés sur nos techniques respectives : photographie, gravure, création numérique. Les dessins sont nés, je les ai mis dans des carafes de cristal ou de verre ; ils flottent, bougent et reprennent leur place. On tourne autour de la carafe et, à chaque mouvement que l’on fait, apparaît une autre vision, un monde qui bouge. Chaque angle de vue est un nouveau tableau. Chaque élément extérieur donne une nouvelle image, crée une nouvelle variation. On s’approche comme pour regarder ces kaléidoscopes qui me font toujours rêver avec leurs mirages mouvants. J’aimerais que chaque carafe soit perçue comme un poème où les lignes noires nous emmènent ailleurs… DRANE écrit fait pour Les gravures flottantes DSN expo (de nouvelles gravures flottantes sont exposées à l’hôtel de Région, salle Gambetta)
Bruissement Sculpture béton rehaussé huile 2007 175 cm
Chant affable Sculpture béton rehaussé huile 2007 185 cm
Ut majeur Sculpture béton rehaussé huile 2008 164 cm
Voix grave Sculpture béton rehaussé huile 2008 207 cm
DRANE MARIE-LAURE BÉNARD Carcahoux 37, chemin du Golf 76200 Dieppe Tél/fax : 02 32 900 878 ml.benard@laposte.net Née en 1959 à Rouen. Vit et travaille à Dieppe, Seine-Maritime.
DE GAUCHE À DROITE Don Quichotte, gravure flottante, diam. 35 cm, 2008 Diptyque : Hêtre, monotype 221,5 x 58,5 cm, 2008 Être, monotype 221,5 x 58,5 cm, 2008 La danse de Tarzan, gravure flottante, diam. 40 cm, 2008
EXPOSITIONS PERSONNELLES 1992 Galerie Doré, Rouen. 1993 Galerie Les Etelles, Villequiers. 1994 Palais des congrès, Rouen / Galerie La Palette, Les Baux de Provence. 1995 Salon de la Grand’Mare, Rouen, prix de la création / Château d’lclon, Normandie. 1996 Galerie La Palette, Les Baux de Provence. 1997 Chapelle du Carmel, Bois-Guillaume. 2000, 2001, 2002 Espace Jacques Prévert, Dieppe. 2001 Saint-Saëns, Art des Rives, installation / Veule-les-Roses, Art des Rives, installation. 2002 Abbaye de Fontaine-Guérard / Journées du Patrimoine d’Arques la Bataille / Scène Nationale de Dieppe DSN. 2003 Espace Jacques Prévert, Dieppe / Parc Weber, Saint-Aubin-le-Cauf / Maison Henri IV, Saint-Valery-en-Caux, Sotto Voce avec 50 sculptures, tableaux transparents, gravures flottantes, huiles sur toiles. 2006 Galerie La Traverse, Mers-lès-Bains. 2007 Parc Weber, Saint-Aubin-le-Cauf / illustration scénario long-métrage La vie des ventres sourds d’O. Lefèvre Brunet et Ina Mihalache / Détour, festival d’automne / Journées du Patrimoine, CHU Charles Nicolle, Rouen / Création d’un fauteuil artistique mis aux enchères pour la restauration du Manoir d’Ango, Varengeville / Galerie La Caverne des Arts, Chantilly / Création d’affiches théâtre.
RÉGION HAUTE-NORMANDIE 5, rue Robert Schuman / BP 1129 76174 Rouen Cedex 1 Tél. 02 35 52 56 00 / Fax 02 35 52 56 56 www.region-haute-normandie.fr
En couverture : sculpture béton rehaussé huile, 153 cm, 2006 (détail) / Rédaction : Laure Voslion / Photos : HEKA agence photo / réalisation L’ATELIER de communication
Être là, monotype, 120 x 80 cm, 2008