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Contexte
La dernière partie de ce mémoire sera consacrée à un des plus grands projets réalisé par Robert Courtois : la cité sociale « Versailles » à Neder-Over-Heembeek. Cet important complexe d’environ 800 logements a été construit en 4 phases urbanistiques qui reprennent chacune des typologies et des écritures architecturales différentes mais forment néanmoins un ensemble cohérent. Cette réalisation fera prochainement l’objet d’une importante rénovation. Etant donné l’inscription de ce projet dans la suite des réalisations de Robert Courtois et au vu de cette œuvre qui se trouve être une synthèse des démarches récurrentes de l’architecte, il m’a paru essentiel de me pencher sur la question de l’intérêt architectural, urbanistique et patrimonial de ce complexe. Ce chapitre reprend alors une analyse historique et géographique du site, une analyse historique sur la typologie particulière des logements sociaux, une analyse urbanistique, architecturale et patrimoniale du complexe Versailles et enfin un résumé des interventions passées et futures sur le site. Ce chapitre est destiné à mieux comprendre ce projet, l’œuvre de Robert Courtois, son travail et quelles étaient les intentions de l’architecte qu’il serait essentiel de conserver dans le cadre de la rénovation.
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Le complexe Versailles se situe à Neder-Over-Heembeek, une section de la ville de Bruxelles, en périphérie. Le projet est construit entre les années 1965 et 1984. Il comprend une typologie particulière qui est celle du logement social. Tous ces éléments ont leur importance dans la construction et la conception du projet. Ils feront donc l’objet d’une analyse qui tentera de replacer le site Versailles dans son contexte.
9 TENGROOTENHUYSE, Eric. (1998), Logement et société : évolution comparée : essai appliqué au cas du logement social à Bruxelles depuis un siècle (mémoire, Faculté d’Architecture ULB-La Cambre-Horta, Bruxelles)
Le propos de cette partie étant plus de l’ordre informatif, ce sous-chapitre sera rédigé comme une synthèse de trois mémoires rédigés par Eric Tengrootenhuyse9, Nicolas Libon10 et Gery Leloutre11 qui traitent de l’historique du site, de l’historique des logements sociaux et du contexte géographique. Cette synthèse d’écrits extérieurs permettra de contextualiser le site Versailles au niveau historique et géographique. Le vrai sujet de ce chapitre, la cité sociale Versailles, sera ensuite aborder suivant une analyse personnelle.
10 LIBON, Nicolas. (1995), Etude comparée de différents types d’occupation de logements sociaux à Bruxelles (mémoire, Faculté d’Architecture ULB-La Cambre-Horta, Bruxelles)
11 LELOUTRE, Géry. (2009), Principes de développement d’une périphérie urbaine, le cas de Neder-Over-Heembeek, NOH Future ? (mémoire, KU Leuven, Leuven)
Le 18e siècle est caractérisé par le développement de nouveaux moyens de production qui induisent une migration des populations vers les villes et les industries. Le passage du travail à domicile vers la ville, amène une concentration de la population autour des industries. Les moyens de transports à l’époque étant peu développés, on voit un afflux de population ouvrière en forte hausse. On assiste, en plus, à une croissance démographique importante due en partie à une réduction des épidémies et aux interventions réalisés pour l’améliorations des conditions sanitaires. Cette période marque le début d’une demande toujours croissante en terme de logements. Ces besoins grossissants font place à des opérations de spéculations immobilières rendant rapidement impossible l’accès à un logement décent pour les populations ouvrières. Les habitants les plus pauvres sont alors obligés de vivre dans des taudis, dans des faubourgs ouvriers ou alors d’être exilés en périphérie de la ville. Ces conditions humaines déplorables donneront suite à une réflexion pour tenter de proposer des solutions acceptables. C’est ainsi que les cités ouvrières et les corons naissent. Ils ont pour but de proposer aux ouvriers des conditions de vie plus humaines mais également de contrôler socialement les populations. Dans la continuité de ces réflexions, des actions coopératives sont mises en place pour rendre les ouvriers responsables de leurs logements. Progressivement, l’idée est avancée de la prise en charge des logements ouvriers par les pouvoirs publics. Cette époque marquera la genèse des logements, dis plus tard, sociaux. En 1914, le ministre Beernaert lance un projet de loi qui inaugure une politique de logement social en Belgique. Cette loi accorde des réductions fiscales aux sociétés et aux travailleurs qui achètent des maisons ouvrières en créant des comités chargés de favoriser la construction de maisons ouvrières acceptables pour les ouvriers. La société nationale des habitations à bon marché est créée en 1919. A cette époque, la typologie des logements sociaux favorisée est l’immeuble de rapport. Celui-ci est intégré dans le tissu urbain, il respecte les alignements et les gabarits. Il groupe, en général, une dizaine de logements. Il se compose comme l’habitat bourgeois mais simplifié, plus petit et moins onéreux. Les espaces communs sont limités pour éviter de favoriser les organisations entre masses ouvrières qui pourraient conduire à des mutineries. Les appartements sont souvent tous identiques. Le mémoire de Eric Tengrootenhuyse, sur l’évolution comparée du logement social à Bruxelles, analyse la structure de ces logements. Il les décrit comme respectant les principes hygiénistes avec un WC en extérieur, une cuisine ventilée et aérée. Une salle commune est centrale au logement et dessert les espaces de nuit qui sont en relation entre eux. La circulation dans le logement est dédoublée. Une grande importance est donnée aux espaces extérieurs avec des terrasses en connexion avec la ventilation de la cuisine.
En 1919, les ouvriers accèdent au suffrage universel. Cette donnée va engendrer un bouleversement dans la vie politique et économique. Les pouvoirs publics, sous peine d’être fortement affaiblis, devront prendre en compte leurs considérations. Le logement social sera alors synonyme de recherche sociale et architecturale d’un grand intérêt. Un grand nombre d’architectes se penchent sur la question et mettent en place de nouvelles théories pour cette typologie. C’est dans ces années que le concept de cité-jardin voit le jour. Ce principe tend à proposer aux habitants des maisons individuelles de qualité et à bon marché en périphérie de la ville, profitant d’une qualité paysagère importante et reliées à la ville par la mise en place d’importantes voiries financées par l’état. Ce concept sera néanmoins rapidement visé à disparaître. Ces faubourgs résidentiels ont un rendement trop faible car la densité très basse de ces ensembles ne permet pas un retour sur investissement suffisant. Le développement de ces maisons en périphérie conduit également à un budget trop conséquent pour relier la ville à ces cités. Sous peine d’écroulement économique du secteur du logement social, la construction de cités-jardins subventionnée par l’état est stoppée. En 1930, le congrès des CIAM a lieu à Bruxelles. La conclusion de ce congrès est d’abandonner l’idée des cités-jardins pour se tourner vers les constructions en hauteur. Celles-ci sont plus rentables, demandent une surface au sol moins importante et peuvent être implantées plus près de la ville puisqu’elles ne nécessitent pas de grands territoires comme les citésjardins. Cette proposition permettrait de continuer à produire des logements sociaux. Pour cette typologie, Eric Tengrootenhuyse décrit des typologies d’appartements plus variées. Au sein d’un même immeuble, on retrouve des appartements allant de 1 à 3 chambres. La conception des immeubles à appartements plutôt que les immeubles de rapport mitoyens offre deux façades supplémentaires aux logements. L’organisation interne des logements est modifiée. Il est divisé en une partie jour et une partie nuit qui est desservie par un hall de nuit. Les chambres sont plus intimisées par l’arrêt du système de circulation en boucle dans l’appartement au travers des chambres. Le reste de la distribution se fait par le séjour. La cuisine est plus réduite. Les WC sont compris à l’intérieur de l’habitation. L’espace extérieur en terrasse est réduit mais il est toujours présent et connecté à la cuisine et au séjour. La fin de la seconde guerre mondiale marque un nouveau tournant pour les logements sociaux. Cette époque de reconstruction doit faire face à une nécessité de logements très importante. La solution mise en place par de nombreux pays européens a alors été de se tourner vers une production de logements rapides, rationnels, standardisés, denses.
En 1949, la loi Brunfaut intervient pour pallier le manque d’investissement privé dans le secteur peu rentable des logements sociaux. Dans cette loi, l’état assure une rente annuelle de 2 milliards de francs à la société des habitations à bon marché et prend en charge les opérations liées aux voiries qui donnent accès aux logements (opération la moins rentable). Cette loi stimule également la construction privée par des sociétés nationales. Vers la fin des années 50’, le logement fait face à une volonté d’industrialisation des méthodes de constructions. Les éléments préfabriqués sont nombreux, permettant de travailler plus rapidement sur des projets à grande échelle. Ces réflexions mènent à une nouvelle typologie qui allie la présence de grands espaces verts des cités-jardins avec la densité des immeubles à appartements : la cité-parc. Celle-ci reprend l’idée de techniques de construction plus standardisées, moins onéreuses, en hauteur mais présentant des qualités environnementales avec l’implantation de ces bâtiments dans des parcs. Cette typologie dénote souvent avec son contexte environnant en rupture claire avec la trame urbaine. Cette période est aussi marquée par un renforcement des critères de sélection des personnes pouvant bénéficier d’un logement social. Ces logements sont donc recentrés sur les plus démunis. Une dernière fois, le mémoire de Eric Tengrootenhuyse permettra de comprendre, par son analyse comparée, la composition de ces nouveaux logements. On voit l’apparition de la coursive. Ce système distributif permet une optimisation du nombre de logements desservis par une même circulation verticale. Il favorise également les possibilités de contacts entre les habitants. On voit également un développement important du nombre de tours. Cellesci sont denses, fonctionnelles et peuvent desservir plusieurs appartements depuis une circulation centrale tout en nécessitant un terrain réduit. La tour est aussi efficace dans la démarche de standardisation de cette période. Elle permet un empilement systématique d’un même appartement alignant ainsi les descentes techniques. L’intérieur du logement subit également une évolution, on retrouve la présence d’un hall de jour en plus du hall de nuit. Ces deux éléments permettent la distribution entre les pièces qui deviennent chacune un espace intimisé à part entière. La partie nuit et la partie jour sont clairement distinguées. Cette séparation peut se faire physiquement par une division des espaces sur plusieurs étages, avec souvent les espaces jours en bas et les espaces nuits à l’étage. La scission peut également être induite par la présence entre les deux espaces jours/nuits d’un bloc « service » qui reprend les espaces techniques (descentes d’eau, pièces de services). La présence d’espaces extérieurs privatifs est souvent beaucoup moins importante. Elle est néanmoins compensée par les grands espaces extérieurs de parcs sur lesquels s’implantent les immeubles.
Jusqu’en 1814, les villages Over-Heembeek et Neder-Heembeek étaient distincts, respectivement situés en amont et en aval de la Senne. Ces deux sites ont, très vite dans l’histoire, été occupés pour leurs qualités : légère topographie, site desservi par des ruisseaux, proximité avec la Senne. A l’époque, la relation avec la ville de Bruxelles tournait surtout autour de la détente et la villégiature. En 1860, le plan cadastral de Popp montre l’effacement progressif des parcelles agricoles et une parcellisation importante des noyaux villageois qui sont plus construits dans le territoire de Neder-Over-Heembeek. En 1920, un recensement de la population bruxelloise fait état de la perte de 22.000 habitants sur les 10 dernières années. Cette modification est expliquée par la destruction de nombreux logements dans le pentagone, par la multiplication des moyens de communication avec la périphérie de la ville et par les revenus des ménages qui augmentent grâce au salaire des femmes, qui avant la première guerre mondiale étaient peu nombreuses à travailler. De nombreux ménages peuvent alors se permettre un logement plus confortable. La périphérie et des logements de meilleure qualité deviennent accessibles à un plus grand nombre de personnes. En 1921, le territoire de Neder-Over-Heembeek, toujours très rural, est annexé par la ville de Bruxelles à cause de la présence du canal dans son territoire qui empêchait la traversée vers des installations portuaires vers la capitale. L’acquisition de ce secteur permet à Bruxelles de retenir les habitants en évitant qu’ils ne partent trop loin et désertent la capitale. En 1935, l’exposition universelle est organisée en périphérie de Bruxelles sur le plateau du Heysel. Cet événement permet d’attirer la population vers cette partie de la ville et augmente considérablement le nombre d’habitants sur ce territoire. Cette exposition a aussi servi d’outil à la ville pour des opérations d’urbanisation des territoires récemment acquis. Les apports financiers extérieurs rendent possible la construction d’infrastructures et de voiries. Les équipements construits sur le site de l’exposition sont destinés à y rester. Grâce à l’urbanisation de ce plateau du Heysel et à la présence du domaine royal, NederOver-Heembeek est développé comme une périphérie urbaine. Les projets réalisés pour cette urbanisation bourgeoise sont respectueux des typologies rurales existantes avec des constructions basses et de petite taille.